- Transcendantalism - Ralph Waldo Emerson (1803-1882), "Nature" (1836) - Christopher Pearse Cranch (1813-1892) - Henry David Thoreau (1817-1862), "Civil Disobedience" (1849), "Walden" (1854) - Margaret Fuller (1810-1850), "Woman in the Nineteenth Century " (1845) - Louisa May Alcott (1824-1904), "Little Women" (1868), "Little Men, or Life at Plumfield with Jo’s Boys" (1871) - ...
Last update : 12/12/2019
Se libérer du XVIIIe siècle aristocratique - "Why should we not have a poetry and philosophy of insight and not of tradition, and a religion by revelation to us, and not the history of theirs" (Emerson) - Éclectique et cosmopolite (platonisme, romantisme allemand et anglais), rejetant le puritanisme moral dans ses excès, le transcendantalisme de la Nouvelle-Angleterre est né dans la région de Concord, dans le Massachusetts, et voit émerger, de 1830 à 1855, des personnalités aussi diverses et très individualistes que Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Margaret Fuller, Orestes Brownson, Elizabeth Palmer Peabody et James Freeman Clarke, ainsi que George Ripley, Bronson Alcott. En 1840, Emerson et Margaret Fuller fondent The Dial (1840-44), le prototype du "petit magazine" dans lequel apparaissent certains des meilleurs écrits des petits transcendantalistes. Né à Boston, le poète américain Ralph Waldo Emerson est aussi un philosophe inspiré par le romantisme qui pense que chaque particule de la matière et chaque pensée individuelle est un micrococosme de l'univers tout entier.
"That government is best which governs least" (Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins). En décalage avec les idées de Marx et l'esprit révolutionnaire qui prévalaient alors en Europe, Henry David Thoreau dans son essai "La Désobéissance civile" publié en 1848, reprend la conception rousseauiste d'une nature humaine bonne par essence, considère que les partis politiques sont nécessairement partiaux, et que leur politique va souvent à l'encontre des convictions morales : c'est le devoir des individus de protester contre les lois injustices, le citoyen n'a pas à abdiquer un instant sa conscience face au législateur, qu'un imbécile puisse créer une règle et tous les imbéciles la respecteront. Mahatma Gandhi reconnaîtra dans les années 1920 l'influence de Thoreau dans sa campagne de désobéissance (Satyagraha), et Martin Luther KIng en 1964 dans son action contre les discriminations raciales ...
L’ « American Bloomsbury » de Concord (Massachusetts), the “biggest little place in America” (Henry James), Louisa May Alcott, Ralph Waldo Emerson, Margaret Fuller, Nathaniel Hawthorne, et Henry David Thoreau .. - "Le carrefour où les prairies marécageuses sous l’autoroute à péage de Cambridge s’élèvent abruptement vers les vergers de l’autre côté de la route de Lexington ressemble à n’importe quel coin de la Nouvelle-Angleterre; ombragé par des érables, il est bordé par une herbe luxuriante en été et des tas de neige labourée en hiver. Sur le côté élevé, deux maisons en planches à clin se trouvent près de la route. En face d’elles, une maison blanche avec une entrée à colonnes est entourée de pelouses. C’est le genre de maison qu’un marchand ordinaire aurait pu posséder au XIXe siècle, mais cette intersection est un endroit extraordinaire. À plusieurs reprises, ces trois maisons abritaient Ralph Waldo Emerson et sa famille, Henry David Thoreau, Bronson Alcott et sa fille Louisa May, Nathaniel Hawthorne et Margaret Fuller. Leurs voisins étaient Henry James et son père, Emily Dickinson et Oliver Wendell Holmes, Henry Wadsworth Longfellow et Horace Mann. Leurs amis étaient Walt Whitman, Herman Melville, Henry Ward Beecher et Edgar Allan Poe. De leurs collaborations et du paysage de Concord sont nés presque tous les chefs-d’œuvre américains du XIXe siècle — Walden, The Scarlet Letter, Moby-Dick et Little Women, pour n’en nommer que quelques-uns — ainsi que les idées sur les hommes et les femmes, la nature, l’éducation, le mariage, et écrire qui façonnent notre monde aujourd’hui. Nous les considérons peut-être comme des daguerréotypes statiques, mais en fait, ces hommes et ces femmes sont tombés désespérément amoureux l’un de l’autre, se sont tourmentés dans une série de triangles romantiques passionnés, se sont édités mutuellement, ont parlé d’idées toute la nuit, et marchait bras dessus bras dessous les grands ormes de Concord ..." (American Bloomsbury: Louisa May Alcott, Ralph Waldo Emerson, Margaret Fuller, Nathaniel Hawthorne, and Henry David Thoreau: Their Lives, Their Loves, Their Work written by Susan Cheever, 2006)
Au milieu du XIXe siècle, l'insatisfaction des transcendantalistes à l'égard de leur société se concentre sur les politiques et les actions du gouvernement des États-Unis, le traitement des Amérindiens, la guerre avec le Mexique et, surtout, la poursuite et l'expansion de la pratique de l'esclavage. Dans sa lettre de 1838 au président Martin Van Buren, Emerson exprime sa consternation face au nettoyage ethnique des terres américaines à l'est du Mississippi : 16 000 Cherokees vivaient dans le Kentucky et le Tennessee, et dans certaines régions des Carolines, de la Géorgie et de la Virginie, et constituaient l'une des tribus les plus intégrées. Le président Van Buren, ancien vice-président de Jackson et successeur, ordonna à l'armée américaine d'entrer dans la nation cherokee, où elle rassembla autant de membres restants de la tribu qu'elle le put et les fit marcher vers l'ouest et à travers le Mississippi: des milliers de personnes moururent en chemin.
Quant au problème de l'esclavage, la question de sa moralité et de son enracinement dans le système politique américain s'est posée avec l'annexion du Texas et son admission dans l'Union en tant que 28e État en 1845, l'esclavage y étant légal. C'est dans ce contexte qu'Emerson a prononcé son discours de rupture "On the Emancipation of the Negroes in the British West Indies" (1844): "Language must be raked, the secrets of slaughter-houses and infamous holes that cannot front the day, must be ransacked, to tell what negro-slavery has been. These men, our benefactors, … the producers of comfort and luxury for the civilized world. … I am heartsick when I read how they came there, and how they are kept there. Their case was left out of the mind and out of the heart of their brothers” . Margaret Fuller s'adresse aux "femmes de mon pays" et les interroge : "You see the men, how they are willing to sell shamelessly, the happiness of countless generations of fellow-creatures, the honor of their country, and their immortal souls for a money market and political power. Do you not feel within you that which can reprove them, which can check, which can convince them? You would not speak in vain; whether each in her own home, or banded in union". Thoreau, l'auteur de "Resistance to Civil Government” (1849, ou improprement Civil Disobedience) médité en prison et qui influencera tant Gandhi que Martin Luther King, écrit qu'il ne peut pas "reconnaître un seul instant cette organisation politique comme mon gouvernement, qui est aussi celui de l'esclave" ("I cannot for an instant recognize that political organization as my government which is the slave’s government also").
La loi sur les esclaves fugitifs adoptée par le Congrès des États-Unis en 1850 a eu des effets spectaculaires et visibles non seulement en Géorgie
ou dans le Mississippi, mais aussi dans le Massachusetts et à New York. Cette loi obligeait tous les citoyens à aider au retour des esclaves fugitifs à leurs propriétaires. Cette extension du
système d'esclavage vers le nord a fait l'objet de l'ouvrage de Thoreau "Slavery in Massachusetts" (1854) et a été rendue publique lorsqu'un esclave en fuite du nom d'Anthony Burns a été
capturé à Boston, jugé par un tribunal du Massachusetts et escorté par la milice du Massachusetts jusqu'au port, où il a été ramené en Virginie pour y être réduit en esclavage. Le non violent
Thoreau soutiendra dans la "Resistance to Civil Government", les actions violentes de John Brown, qui tua des colons pro-esclavagistes non armés au Kansas, et en 1859 attaqua l'arsenal fédéral à
Harper's Ferry, en Virginie ("A Plea for Captain John Brown").
Pourtant, les années 1850 voient décliner l'influence du transcendantalisme, nous sommes, il est vrai, à la veille de la Guerre de
Sécession...
Ralph Waldo Emerson (1803-1882)
Au début du XIXe siècle, l'unitarisme (rejet de la Trinité, humanité de Jésus-Christ, contestation d'une religion de la peur et du péché, ouverture à la
littérature profane) se substitue au calvinisme orthodoxe comme foi d'une grande partie des habitants de la Nouvelle-Angleterre. Ralph Waldo Emerson, le plus célèbre des philosophes de la
Concord, Massachusetts, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de pasteurs natif de Boston, fut ministre unitarien avant de devenir transcendantaliste. En 1832, Emerson renonce à ses fonctions
pastorales en invoquant l'impossibilité où il se trouve de continuer à prêcher certains dogmes auxquels il ne croit plus. Il va poser sur le monde un regard nouveau, un monde avec lequel l'homme
va créer une relation de confiance : "L'Homme doit s’attacher à découvrir et à surveiller cette petite lumière qui erre et serpente à travers son esprit bien plus qu’à découvrir et à observer les
astres du firmament des bardes et des sages".
"I become a transparent eyeball" - Emerson va donc privilégier une approche à base d'intuitions (la "révélation" personnelle) transcendant la logique et l'expérience pour atteindre la révélation des vérités les plus profondes. Hommes et femmes sont des dieux "en ruines" qui, en aiguisant leur "perception", pourront acquérir à nouveau ce "sentiment religieux" que nous propose le Transcendantalisme.
Une "religion" qui privilégie l'idée d'une connaissance personnelle de Dieu, sans intermédiaire, et qui fusionne avec une approche idéaliste : l'idéalisme prend ici le nom de Transcendantal, à partir de l'utilisation de ce terme par Emmanuel Kant, qui, répondant à la philosophie sceptique de Locke, insistait sur le fait qu'il n'y avait rien dans l'intellect qui n'était pas auparavant dans l'expérience des sens. Il y a en nous une classe très importante d'idées, ou de formes impératives, provenant non pas de l'expérience mais d'intuitions de l'esprit lui-même, les formes transcendantes. "Transcendantal" ne signifie pas "transcendant" ou au-delà de l'expérience humaine, mais quelque chose par lequel l'expérience est rendue possible.
L'idéalisme d'Emerson n'est cependant pas purement kantien, il considère par exemple la Raison comme une faculté de "vision", par opposition à la simple compréhension, qui "travaille tout le temps, compare, invente, ajoute, argumente...". Pour de nombreux transcendantalistes, le terme "transcendantalisme" permet simplement de traduire une totale confiance dans les pouvoirs de l'esprit, ce n'est ni plus ni moins que "l'ouverture perpétuelle de l'esprit humain à de nouveaux influx de lumière et de puissance...". Cet idéalisme qui nourrit l'esprit humain trouve dans la Nature tous les motifs de son expansion : la nature, "obéissante" à l'esprit, conseille à chacun de nous de "construire son propre monde" : "Je devins un globe oculaire transparent. Je ne suis rien, je vois tout, les courants de l'être universel circulent en moi" (I become a transparent eyeball. I am nothing; I see all; the currents of the universal being circulate through me), écrit-il lors d'une expérience extatique en forêt. L'idée que la nature, êtres humains compris, a le pouvoir et l'autorité traditionnellement attribués à une divinité indépendante a nourri les oeuvres de Coleridge, de William Wordsworth, dont la poésie était en vogue en Amérique dans les années 1820, et de Thomas Carlyle.
De 1836 à 1844, l'activité littéraire d'Emerson est à son apogée, mais l'écrivain est plus un maître de la formule que de la composition : "Nature" (1836), "The American Scholar" (L'Intellectuel américain, 1837), "The Divinity School Address" (Discours devant la faculté de théologie, 1838), "Essays, First Series" (Essais, première série, 1841), nous montre l'homme affirmant sa volonté d'indépendance sans renoncer à la rectitude morale. Puis avec "Essays, Second Series" (Essais, deuxième série, 1844), "Representative Men" (1850), "English Traits" (1856), "The Conduct of Life" (La Conduite de la vie, 1860), le lyrisme d'Emerson semble s'éroder...
Ralph Waldo Emerson, "Nature" (1836)
En 1836, Ralph Waldo Emerson soutient avec "Nature" que tout individu peut trouver sa véritable spiritualité dans la nature, et non dans le monde du travail
quotidien et animé de la démocratie et de la transformation industrielle jacksoniennes. En 1841, Emerson publie son essai "Self-Reliance", qui invite chacun de ses lecteurs à penser par lui-même
et à rejeter le conformisme et la médiocrité de masse qui s'enracinent dans la vie américaine. Les idées d'Emerson touchaient ainsi une nouvelle classe d'adultes instruits insatisfaits de la vie
américaine traditionnelle...
"Nous vivons dans une ère rétrospective qui construit les sépulcres de ses pères, écrit des biographies, des histoires, des critiques. Les générations
précédentes voyaient Dieu face à face; nous ne le voyons que par leurs yeux. Pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, une relation originale avec l’univers? Pourquoi ne pas avoir une poésie de
l’intuition et non de la tradition, une religion qui se révèle à nous et non à leur histoire? Enfouis au sein d’une saison de la nature dont les flots de vie nous entourent et nous parcourent […]
pourquoi devrions-nous errer parmi les ossements desséchés du passé […]? Le soleil brille aussi aujourd’hui. Les champs regorgent de lin et de laine. Il y a des terres neuves, des hommes
nouveaux, des pensées inédites. Exigeons notre travail, nos lois, notre culte..."
Sans aucun doute, nous n'avons pas de questions à poser qui sont sans réponse. Nous devons faire confiance jusqu'à présent à la perfection de la
création, pour croire que quelle que soit la curiosité que l'ordre des choses a éveillé dans nos esprits, l'ordre des choses peut satisfaire. La condition de chaque homme est une solution
hiéroglyphique à ces enquêtes qu'il mettrait. Il l'agit comme la vie, avant de l'appréhender comme la vérité. De même, la nature est déjà, dans ses formes et ses tendances, en train de décrire sa
propre conception. Interrogeons la grande apparition, qui brille si paisiblement autour de nous. Demandons-nous, à quelle fin est la nature? "
"Our age is retrospective. It builds the sepulchres of the fathers. It writes biographies, histories, and criticism. The foregoing generations beheld
God and nature face to face; we, through their eyes. Why should not we also enjoy an original relation to the universe? Why should not we have a poetry and philosophy of insight and not of
tradition, and a religion by revelation to us, and not the history of theirs? Embosomed for a season in nature, whose floods of life stream around and through us, and invite us by the powers they
supply, to action proportioned to nature, why should we grope among the dry bones of the past, or put the living generation into masquerade out of its faded wardrobe? The sun shines to-day also.
There is more wool and flax in the fields. There are new lands, new men, new thoughts. Let us demand our own works and laws and worship.
Undoubtedly we have no questions to ask which are unanswerable. We must trust the perfection of the creation so far, as to believe that whatever
curiosity the order of things has awakened in our minds, the order of things can satisfy. Every man's condition is a solution in hieroglyphic to those inquiries he would put. He acts it as life,
before he apprehends it as truth. In like manner, nature is already, in its forms and tendencies, describing its own design. Let us interrogate the great apparition, that shines so peacefully
around us. Let us inquire, to what end is nature? "
To go into solitude, a man needs to retire as much from his chamber as from society. I am not solitary whilst I read and write, though nobody is with me. But if a man would be alone, let him look at the stars. The rays that come from those heavenly worlds, will separate between him and what he touches. One might think the atmosphere was made transparent with this design, to give man, in the heavenly bodies, the perpetual presence of the sublime. Seen in the streets of cities, how great they are! If the stars should appear one night in a thousand years, how would men believe and adore; and preserve for many generations the remembrance of the city of God which had been shown! But every night come out these envoys of beauty, and light the universe with their admonishing smile.
Pour entrer dans la solitude, un homme a besoin de se retirer autant de sa chambre que de la société. Je ne suis pas solitaire pendant que je lis et écris, bien que personne ne soit avec moi. Mais si un homme veut être seul, qu'il regarde les étoiles. Les rayons qui viennent de ces mondes célestes se sépareront entre lui et les choses vulgaires. On pourrait penser que l'atmosphère a été rendue transparente avec ce dessein, pour donner à l'homme, dans les corps célestes, la présence perpétuelle du sublime. Vu dans les rues des villes, comme ils sont géniaux ! Si les étoiles devraient apparaître une nuit dans un millier d'années, comment les hommes croire et adorer; et conserve pour de nombreuses générations le souvenir de la cité de Dieu qui avait été montrée! Mais tous les soirs sortent ces prédicateurs de la beauté et illuminent l'univers avec leur sourire admonestant.
"Les étoiles éveillent une certaine révérence, parce que bien qu'elles soient toujours présentes, elles sont toujours inaccessibles; mais tous les
objets naturels font une impression semblable, quand l'esprit est ouvert à leur influence. La nature ne porte jamais une apparence méchante. Le plus sage ne l'extorque pas non plus, et perd sa
curiosité en découvrant toute sa perfection. La nature n'est jamais devenue un jouet pour un esprit sage. Les fleurs, les animaux, les montagnes reflétaient toute la sagesse de sa meilleure
heure, autant qu'ils avaient enchanté la simplicité de son enfance.
Quand nous parlons de la nature de cette manière, nous avons un sens distinct mais plus poétique dans l'esprit. Nous voulons dire l'intégrité de l'impression
faite par des objets naturels multiples. C'est ce qui distingue le bâton de bois du coupe-bois, de l'arbre du poète. Le paysage charmant que j'ai vu ce matin est indubitablement composé de vingt
ou trente fermes. Miller possède ce champ, Locke celui, et Manning la forêt au-delà. Mais aucun d'eux ne possède le paysage. Il y a une propriété à l'horizon qu'aucun homme n'a, sauf celui dont
l'œil peut intégrer toutes les parties, c'est-à-dire le poète. C'est la meilleure partie des fermes de ces hommes, pourtant à ceci leurs terres-actes ne leur donnent aucun titre.
Pour parler vraiment, peu d'adultes peuvent voir la nature. La plupart des personnes ne voient pas le soleil. Au moins, ils ont une vision très superficielle. Le soleil n'illumine que l'œil de l'homme, mais brille dans l'œil et le cœur de l'enfant. L'amoureux de la nature est celui dont les sens intérieur et extérieur sont encore vraiment ajustés l'un à l'autre; qui a conservé l'esprit de l'enfance jusque dans l'ère de la virilité. Ses relations avec le ciel et la terre, devient une partie de sa nourriture quotidienne..."
Christopher Pearse Cranch (1813-1892)
Nature as the Palette of the Soul - Poète, ministre unitairien, caricaturiste et peintre natif du District de Columbia, Cranch intégra le Transcendental
Club pour découvrir en 1836 l'oeuvre de Ralph Waldo Emerson, "Nature". Il se rendit célèbre pour son interprétation de la fameuse métaphore d'Emerson, "The Transparent Eyeball" (vers 1840) :
"Standing on the bare ground, my head bathed by the blithe air, and uplifted into infinite space, all mean egotism vanishes. I am become a transparent eyeball — I am nothing; I see all; the
currents of the Universal Being circulate through me I am part or particle of God..". Plus connu pour ses poèmes que pour sa peinture, le style de Cranch s'apparente à l' "Hudson River School,",
un mouvement qui partageait certaines idées avec les transcendantalistes et se concentrait sur les paysages de l'Amérique. C'est en 1837 que Cranch se détache des principes unitariens, se tourne
vers le Transcendantalisme, la poésie et l'art. Entre 1841 et 1890, Cranch et sa famille gagnent l'Europe et, entre l'Italie, Paris, New York et le Massachusetts, se perfectionne en peinture de
paysage pour subvenir aux besoins de sa femme, Elizabeth De Windt, une nièce de John Quincy Adams, et de ses quatre enfants : "View on the Hudson" (1851), "River Running between Pastures" (1859),
"McIntyre Mountain" (1885), ...
"Woman in the Nineteenth Century", by Margaret Fuller
Une femme aux multiples talents, Margaret Fuller (1810-1850) est très bien connue comme la première véritable féministe américaine. Au cours de sa brève mais fructueuse vie, elle a été auteure, éditrice, critique littéraire et sociale, journaliste, poète et révolutionnaire. Elle est également l’une des rares femmes membres du prestigieux mouvement transcendantaliste, dont les rangs comprennent Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Elizabeth Palmer Peabody, Nathaniel Hawthorne et de nombreux autres éminents intellectuels de la Nouvelle-Angleterre de l’époque. En tant que coéditeur de la revue transcendantaliste The Dial, Fuller a pu donner une voix à sa critique sociale révolutionnaire sur la place de la femme dans la société, la genèse du livre qui deviendra plus tard la femme au XIXe siècle. Publié en 1843, cet essai était intitulé « The Great Lawsuit : Man versus Men, Woman versus Women ». Publié pour la première fois sous forme de livre en 1845, "Woman in the Nineteenth Century" a été perçu comme le document controversé qu’il était : recevoir des acclamations et obtenir un succès populaire dans certains quartiers (la première impression a été vendue en une semaine), tout en suscitant des attaques virulentes de la part des opposants au mouvement des femmes embryonnaires. Dans ce livre, dont le style est caractérisé par la diversité textuelle caractéristique des transcendantalistes, Fuller articule les valeurs découlant de sa croyance passionnée dans la justice et l’égalité pour tous les êtres humains, avec un accent particulier sur les femmes. Bien que sa conception des droits fondamentaux inclue certainement ceux de nature éducative, économique et juridique, il s’agit d’une expansion intellectuelle et de changements dans les attitudes dominantes envers les femmes (par les hommes et les femmes) que Fuller chérit bien au-dessus des manifestations superficielles de la libération. Un classique de la pensée féministe qui a contribué à la Seneca Falls Women’s Convention trois ans après sa publication, "Woman in the Nineteenth Century" a inspiré ses contemporains Elizabeth Cady Stanton et Susan B. Anthony à parler de Fuller comme possédant « more influence upon the thought of American women than any woman previous to her time. »
Henry David Thoreau (1817-1862)
"The better part of the man is soon plowed into the soil for compost. By a seeming fate, commonly called necessity, they are employed, as it says in an
old book, laying up treasures which moth and rust will corrupt and thieves break through and steal. It is a fool's life, as they will find when they get to the end of it, if not before.." -
Henry David Thoreau, excentrique et penseur anticonformiste devenu un héros culturel, fils d'un fabricant de crayons, ne pouvait espérer être admis dans le cercle intellectuel d'élite qui
se réunissait autour d'Emerson, et c'est par le biais d'un poème qu'il put devenir l'apprenti du grand philosophe. Mais lorsque Emerson achète une maison à Walden Pond et autorise Henry Thoreau à
construire sur l'étang la cabane dont il rêvait depuis longtemps, la rupture semble consommée. Autant Emerson était de nature distante, autant Thoreau était passionné et emphatique. Thoreau
aime physiquement la Nature. Il a le sens de la formule et transcende tous les genres littéraires, prône la "Désobéissance civile" (1849) et, après s'être installé à Walden Pond après 1844,
propose à l'homme moderne, dans "Walden" (1854), de simplifier ses exigences pour "aspirer toute la moelle de la vie" : ses belles pages sur la nature constituent autant de prémices de l'écologie
à venir...
"The mass of men lead lives of quiet desperation. What is called resignation is confirmed desperation. From the desperate city you go into the desperate country, and have to console yourself with the bravery of minks and muskrats. A stereotyped but unconscious despair is concealed even under what are called the games and amusements of mankind. There is no play in them, for this comes after work. But it is a characteristic of wisdom not to do desperate things."
"L’existence que mènent généralement les hommes, en est une de tranquille désespoir. Ce que l’on appelle résignation n’est autre chose que du désespoir confirmé. De la cité désespérée vous passez dans la campagne désespérée, et c’est avec le courage du vison et du rat musqué qu’il vous faut vous consoler. Il n’est pas jusqu’à ce qu’on appelle les jeux et divertissements de l’espèce humaine qui ne recouvre un désespoir stéréotypé, quoique inconscient. Nul plaisir en eux, car celui-ci vient après le travail. Mais c’est un signe de sagesse que de ne pas faire de choses désespérées."
En 1841, un petit groupe de transcendantalistes, dont Nathaniel Hawthorne, s'installe dans une propriété appelée Brook Farm à West Roxbury, dans le Massachusetts, pour mener une existence idyllique qui implique travaux agricoles le jour et travail créatif à la lumière des bougies la nuit. L'expérience, jusqu'en 1847, attira plus d'une centaine de participants, mais n'enthousiasma ni Emerson ni Thoreau. Margaret Fuller (1810-1850), éditeur du journal transcendentaliste, The Dial, pendant les deux premières années de son existence, de 1840 à 1842, prône, comme Emerson et Thoreau, le retrait d'une société au sein de laquelle de peuvent s'affirmer "les fontaines rénovatrices" (the renovating fountains) de l'individualité : dans "Woman in the Nineteenth Century" (1845), elle contestera l'image dans laquelle sont enfermées les femmes, des personnes dépendantes soumises à des pulsions d'autonomie incontrôlables, alors que qu'elles souhaitent t le plus, renchérit Fuller, c'est la liberté de déployer leurs pouvoirs, une liberté nécessaire non seulement pour leur développement personnel et dans le cadre d'une institution maritale souvent dégradée ("the woman does belong to the man, instead of forming a whole with him"), mais aussi pour la rénovation de la société...
En 1845, Henry David Thoreau quitte Concord Massachusetts et s’installe dans une cabane qu’il construit lui-même près de Walden Pond dans le Massachusetts. "Walden", est un récit de son séjour dans les bois et de son expérience. Perdant les liens insignifiants qu’il sentait liés à une grande partie de l’humanité, il a poursuivi "la vérité" dans le calme de la nature. Seule une telle expérience permet d’acquérir une véritable illumination. Mais même si Thoreau se détacha des affaires mondaines, ses pensées furent souvent troublées par sa conscience sociale. Via le devoir de désobéissance civile, également inclus dans ce livre, s'exprime ses sentiments anti-esclavagistes et anti-guerre, ainsi que sa protestation contre l’ingérence du gouvernement dans la liberté civile. Ses écrits ont inspiré beaucoup de gens à embrasser sa philosophie de l’individualisme et ont influencé les mouvements de résistance non violents dans le monde entier....
L’existence de l’esclavage aux États-Unis a rendu le gouvernement illégitime et montrer que l’État pouvait aisément propager bien des injustices à partir du moment où les citoyens en devenaient des complices passifs. Thoreau comparait ainsi les êtres humains aux sens moraux émoussés à des morceaux de bois ou de pierres à partir desquels les machines de l’oppression peuvent être façonnées. Pour lui, il n’y avait pas que les propriétaires d’esclaves qui étaient moralement coupables d’esclavage. Les citoyens de l’État du Massachusetts semblent ainsi ne porter aucune responsabilité dans l’esclavage du Sud, mais en acceptant un gouvernement qui l’a légitimé, ils lui ont permis de perdurer. La conclusion logique de la pensée de Thoreau se résume par sa déclaration que le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas du tout. Selon Thoreau, le progrès en Amérique ne peut provenir d'un quelconque gouvernement, mais de l’ingéniosité du peuple : il en résulte que la meilleure chose que le gouvernement puisse faire est de laisser le peuple s'épanouir par lui-même. Un individu mécontent ne peut se contenter de faire simplement enregistrer sa désapprobation au moment des élections ...
« Civil Disobedience » ( La Désobéissance civile, 1848)
Le 23 ou 24 juillet 1846, Thoreau est arrêté par le percepteur et geôlier de Concord Sam Staples, qui exige que Thoreau paie sa poll tax. Lorsque Thoreau refusa, Staples, selon son propre récit, offrit de payer lui-même la taxe. Thoreau refusa et fut mis en prison. Ce soir-là, une personne non identifiée paya la taxe à la fille de Staples. Bien que Thoreau aurait dû être libéré, son geôlier avait déjà enlevé ses bottes et décidé de laisser Thoreau rester en prison pour la nuit. Lorsqu’il est libéré le lendemain, Thoreau est en colère contre l’intervention de son contribuable anonyme. Plus célèbre que l’arrestation similaire de Bronson Alcott, le refus et l’arrestation de Thoreau ont été précédés de deux ans et demi par celui de son ami, dont l’impôt a également été payé par un autre. Charles Lane a écrit un compte rendu de l’arrestation d’Alcott dans le numéro du 27 janvier 1843 du Liberator, dans lequel il expliquait que « the act of non-resistance» d’Alcott était «founded on the moral instinct which forbids every moral being to be a party, either actively or permissively, to the destructive principles of power and might over peace and love ». Mais c’est l’essai de Thoreau qui a créé le texte central de toutes les discussions selon lequel il existe des lois supérieures et des principes moraux auxquels chaque citoyen du monde est tenu. Publié pour la première fois sous le titre « Resistance to Civil Government » dans Aesthetic Papers d’Elizabeth Peabody (mai 1849) et recueilli sous le titre « Civil Disobedience » dans A Yankee in Canada, avec Anti-Slavery and Reform Papers (1866).
I heartily accept the motto, “That government is best which governs least:” and I should like to see it acted up to more rapidly and systematically. Carried out, it finally amounts to this, which also I believe,—“That government is best which governs not at all;” and when men are prepared for it, that will be the kind of government which they will have. Government is at best but an expedient; but most governments are usually, and all governments are sometimes, inexpedient. The objections which have been brought against a standing army, and they are many and weighty, and deserve to prevail, may also at last be brought against a standing government. The standing army is only an arm of the standing government. The government itself, which is only the mode which the people have chosen to execute their will, is equally liable to be abused and perverted before the people can act through it. Witness the present Mexican war, the work of comparatively a few individuals using the standing government as their tool; for, in the outset, the people would not have consented to this measure.
De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. Tout gouvernement n’est au mieux qu’une « utilité », mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles. Les nombreuses objections – et elles sont de taille – qu’on avance contre une armée permanente méritent de prévaloir ; on peut aussi finalement les alléguer contre un gouvernement permanent. L’armée permanente n’est que l’arme d’un gouvernement permanent. Le gouvernement lui-même – simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté – est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique, œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise.
This American government,—what is it but a tradition, though a recent one, endeavoring to transmit itself unimpaired to posterity, but each instant losing some of its integrity? It has not the vitality and force of a single living man; for a single man can bend it to his will. It is a sort of wooden gun to the people themselves. But it is not the less necessary for this; for the people must have some complicated machinery or other, and hear its din, to satisfy that idea of government which they have. Governments show thus how successfully men can be imposed on, even impose on themselves, for their own advantage. It is excellent, we must all allow. Yet this government never of itself furthered any enterprise, but by the alacrity with which it got out of its way. It does not keep the country free. It does not settle the West. It does not educate. The character inherent in the American people has done all that has been accomplished; and it would have done somewhat more, if the government had not sometimes got in its way. For government is an expedient by which men would fain succeed in letting one another alone; and, as has been said, when it is most expedient, the governed are most let alone by it. Trade and commerce, if they were not made of india-rubber, would never manage to bounce over the obstacles which legislators are continually putting in their way; and, if one were to judge these men wholly by the effects of their actions and not partly by their intentions, they would deserve to be classed and punished with those mischievous persons who put obstructions on the railroads.
Le gouvernement américain – qu’est-ce donc sinon une tradition, toute récente, qui tente de se transmettre intacte à la postérité, mais perd à chaque instant de son intégrité ? Il n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. C’est une sorte de canon en bois que se donnent les gens. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il faut au peuple des machineries bien compliquées – n’importe lesquelles pourvu qu’elles pétaradent – afin de répondre à l’idée qu’il se fait du gouvernement. Les gouvernements nous montrent avec quel succès on peut imposer aux hommes, et mieux, comme ceux-ci peuvent s’en imposer à eux-mêmes, pour leur propre avantage. Cela est parfait, nous devons tous en convenir. Pourtant, ce gouvernement n’a jamais de lui-même encouragé aucune entreprise, si ce n’est par sa promptitude à s’esquiver. Ce n’est pas lui qui garde au pays sa liberté, ni lui qui met l’Ouest en valeur, ni lui qui instruit. C’est le caractère inhérent au peuple américain qui accomplit tout cela et il en aurait fait un peu plus si le gouvernement ne lui avait souvent mis des bâtons dans les roues. Car le gouvernement est une « utilité » grâce à laquelle les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise, et, comme on l’a dit, plus il est utile, plus il laisse chacun des gouvernés vivre à sa guise. Le commerce et les affaires s’ils n’avaient pas de ressort propre, n’arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur suscitent perpétuellement et, s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées.
But, to speak practically and as a citizen, unlike those who call themselves no-government men, I ask for, not at once no government, but at once a better government. Let every man make known what kind of government would command his respect, and that will be one step toward obtaining it. After all, the practical reason why, when the power is once in the hands of the people, a majority are permitted, and for a long period continue, to rule is not because they are most likely to be in the right, nor because this seems fairest to the minority, but because they are physically the strongest. But a government in which the majority rule in all cases cannot be based on justice, even as far as men understand it. Can there not be a government in which majorities do not virtually decide right and wrong, but conscience?—in which majorities decide only those questions to which the rule of expediency is applicable? Must the citizen ever for a moment, or in the least degree, resign his conscience to the legislator? Why has every man a conscience, then? I think that we should be men first, and subjects afterward. It is not desirable to cultivate a respect for the law, so much as for the right. The only obligation which I have a right to assume is to do at any time what I think right. It is truly enough said that a corporation has no conscience; but a corporation of conscientious men is a corporation with a conscience. Law never made men a whit more just; and, by means of their respect for it, even the well-disposed are daily made the agents of injustice. A common and natural result of an undue respect for law is, that you may see a file of soldiers, colonel, captain, corporal, privates, powder-monkeys, and all, marching in admirable order over hill and dale to the wars, against their wills, ay, against their common sense and consciences, which makes it very steep marching indeed, and produces a palpitation of the heart. They have no doubt that it is a damnable business in which they are concerned; they are all peaceably inclined. Now, what are they? Men at all? or small movable forts and magazines, at the service of some unscrupulous man in power? Visit the Navy-Yard, and behold a marine, such a man as an American government can make, or such as it can make a man with its black arts,—a mere shadow and reminiscence of humanity, a man laid out alive and standing, and already, as one may say, buried under arms with funeral accompaniments, though it may be,—
“Not a drum was heard, not a funeral note,
As his corse to the rampart we hurried;
Not a soldier discharged his farewell shot
O’er the grave where our hero we buried.”
The mass of men serve the state thus, not as men mainly, but as machines, with their bodies. They are the standing army, and the militia, jailers, constables, posse comitatus, etc. In most cases there is no free exercise whatever of the judgment or of the moral sense; but they put themselves on a level with wood and earth and stones; and wooden men can perhaps be manufactured that will serve the purpose as well. Such command no more respect than men of straw or a lump of dirt. They have the same sort of worth only as horses and dogs. Yet such as these even are commonly esteemed good citizens. Others—as most legislators, politicians, lawyers, ministers, and office-holders—serve the state chiefly with their heads; and, as they rarely make any moral distinctions, they are as likely to serve the devil, without intending it, as God. A very few—as heroes, patriots, martyrs, reformers in the great sense, and men—serve the state with their consciences also, and so necessarily resist it for the most part; and they are commonly treated as enemies by it. A wise man will only be useful as a man, and will not submit to be “clay,” and “stop a hole to keep the wind away,” but leave that office to his dust at least:—
“I am too high-born to be propertied,
To be a secondary at control,
Or useful serving-man and instrument
To any sovereign state throughout the world.”
He who gives himself entirely to his fellow-men appears to them useless and selfish; but he who gives himself partially to them is pronounced a benefactor and philanthropist. How does it become a man to behave toward this American government to-day? I answer, that he cannot without disgrace be associated with it. I cannot for an instant recognize that political organization as my government which is the slave’s government also.
Mais pour parler en homme pratique et en citoyen, au contraire de ceux qui se disent anarchistes, je ne demande pas d’emblée « point de gouvernement », mais d’emblée un meilleur gouvernement. Que chacun fasse connaître le genre de gouvernement qui commande son respect et ce sera le premier pas pour l’obtenir.
Après tout, la raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique. Or un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent. Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du bien ou du mal, mais la conscience ? Où les majorités ne trancheraient que des questions justiciables de la règle d’opportunité ? Le citoyen doit-il jamais un instant abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? Je crois que nous devrions être
hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire bien. On a dit assez justement qu’un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué de conscience. La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je ? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le cœur. Ils n’en doutent pas le moins du monde : c’est une vilaine affaire que celle où ils sont engagés. Ils ont tous des dispositions pacifiques.
Or, que sont-ils ? Des hommes vraiment ? Ou bien des petits fortins, des magasins ambulants au service d’un personnage sans scrupules qui détient le pouvoir ? Visitez l’Arsenal de la Flotte et arrêtez-vous devant un fusilier marin, un de ces hommes comme peut en fabriquer le gouvernement américain ou ce qu’il peut faire d’un homme avec sa magie noire ; ombre réminiscente de l’humanité, un homme debout vivant dans son suaire et déjà, si l’on peut dire, enseveli sous les armes, avec les accessoires funéraires, bien que peut-être
Ni tambour, ni musique alors n’accompagnèrent
Sa dépouille, au rempart emmenée au galop ;
Nulles salves d’adieu, de même, n’honorèrent
La tombe où nous avions couché notre héros
La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, ils se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant, on les tient généralement pour de bons citoyens. D’autres, comme la plupart des législateurs, des politiciens, des juristes, des ministres et des fonctionnaires, servent surtout l’État avec leur intellect et, comme ils font
rarement de distinctions morales, il arrive que sans le vouloir, ils servent le Démon aussi bien que Dieu. Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes, mettent aussi leur conscience au service de l’État et en viennent forcément, pour la plupart à lui résister. Ils sont couramment traités par lui en ennemis. Un sage ne servira qu’en sa qualité d’homme et ne se laissera pas réduire à être « la glaise » qui « bouche le trou par où soufflait le vent » ; il laisse ce rôle à ses cendres pour le moins.
Je suis de trop haut lieu pour me laisser approprier
Pour être un subalterne sous contrôle
Le valet et l’instrument commode
D’aucun État souverain de par le monde
Celui qui se voue corps et âme à ses semblables passe à leurs yeux pour un bon à rien, un égoïste, mais celui qui ne leur voue qu’une parcelle de luimême est salué des titres de bienfaiteur et philanthrope.
Quelle attitude doit adopter aujourd’hui un homme face au gouvernement américain ? Je répondrai qu’il ne peut sans déchoir s’y associer. Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave.
All men recognize the right of revolution; that is, the right to refuse allegiance to, and to resist, the government, when its tyranny or its inefficiency are great and unendurable. But almost all say that such is not the case now. But such was the case, they think, in the Revolution of ’75. If one were to tell me that this was a bad government because it taxed certain foreign commodities brought to its ports, it is most probable that I should not make an ado about it, for I can do without them. All machines have their friction; and possibly this does enough good to counterbalance the evil. At any rate, it is a great evil to make a stir about it. But when the friction comes to have its machine, and oppression and robbery are organized, I say, let us not have such a machine any longer. In other words, when a sixth of the population of a nation which has undertaken to be the refuge of liberty are slaves, and a whole country is unjustly overrun and conquered by a foreign army, and subjected to military law, I think that it is not too soon for honest men to rebel and revolutionize. What makes this duty the more urgent is the fact that the country so overrun is not our own, but ours is the invading army.
Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables. Il n’en est guère pour dire que c’est le cas maintenant. Mais ce l’était, pense-t-on, à la Révolution de 1775. Si l’on venait me dire que le gouvernement d’alors était mauvais, parce qu’il taxait certaines denrées étrangères entrant dans ses ports, il y aurait gros à parier que je m’en soucierais comme d’une guigne, car je peux me passer de ces produits-là. Toutes les machines ont leur friction et peut-être celle-là fait-elle assez de bien pour contrebalancer le mal. En tout cas, c’est une belle erreur de faire tant d’embarras pour si peu. Mais quand la friction en arrive à avoir sa machine et que l’oppression et le vol sont organisés, alors je dis « débarrassons-nous de cette machine ».
En d’autres termes, lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le havre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux que ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur.
(...)
"Action from principle, the perception and the performance of right, changes things and relations; it is essentially revolutionary, and does not consist wholly with anything which was. It not only divides States and churches, it divides families; ay, it divides the individual, separating the diabolical in him from the divine.
L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations ; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable. Elle ne sème pas seulement la division dans les États et les Églises, mais aussi dans les familles ; bien plus, elle divise l’individu, séparant en lui le diabolique du divin.
Unjust laws exist: shall we be content to obey them, or shall we endeavor to amend them, and obey them until we have succeeded, or shall we transgress them at once? Men generally, under such a government as this, think that they ought to wait until they have persuaded the majority to alter them. They think that, if they should resist, the remedy would be worse than the evil. But it is the fault of the government itself that the remedy is worse than the evil. It makes it worse. Why is it not more apt to anticipate and provide for reform? Why does it not cherish its wise minority? Why does it cry and resist before it is hurt? Why does it not encourage its citizens to be on the alert to point out its faults, and do better than it would have them? Whydoes it always crucify Christ, and excommunicate Copernicus and Luther, and pronounce Washington and Franklin rebels?
Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenteronsnous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins – ou les transgresserons-nous tout de suite ? En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Ils croient que s’ils résistaient, le remède serait pire que le mal ; mais si le remède se révèle pire que le mal, c’est bien la faute du gouvernement. C’est lui le responsable. Pourquoi n’est-il pas plus disposé à prévoir et à accomplir des réformes ? Pourquoi n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée ? Pourquoi pousset-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche ? Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions ? Pourquoi crucifie-t-il toujours le Christ – pourquoi excommunie-t-il Copernic et Luther et dénonce-t-il Washington et Franklin comme rebelles ?
One would think, that a deliberate and practical denial of its authority was the only offence never contemplated by government; else, why has it not assigned its definite, its suitable and proportionate, penalty? If a man who has no property refuses but once to earn nine shillings for the State, he is put in prison for a period unlimited by any law that I know, and determined only by the discretion of those who placed him there; but if he should steal ninety times nine shillings from the State, he is soon permitted to go at large again.
On dirait que le refus délibéré et effectif de son autorité est le seul crime que le gouvernement n’ait jamais envisagé, sinon pourquoi n’a-t-il pas mis au point de châtiment défini, convenable et approprié ? Si un homme qui ne possède rien refuse, ne serait-ce qu’une fois, de gagner un dollar au profit de l’État, on le jette en prison pour une durée qu’aucune loi, à ma connaissance, ne définit et qui est laissée à la discrétion de ceux qui l’y ont envoyé ; mais vole-t-il mille fois un dollar à l’État qu’on le relâche aussitôt.
Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Il s’atténuera bien à l’usage – la machine finira par s’user, n’en doutons pas. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle qui lui est spécialement dévolue, il est peut-être grand temps de se demander si le remède n’est pas pire que le mal ; mais si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi.
If the injustice is part of the necessary friction of the machine of government, let it go, let it go: perchance it will wear smooth,—certainly the machine will wear out. If the injustice has a spring, or a pulley, or a rope, or a crank, exclusively for itself, then perhaps you may consider whether the remedy will not be worse than the evil; but if it is of such a nature that it requires you to be the agent of injustice to another, then, I say, break the law. Let your life be a counter-friction to stop the machine. What I have to do is to see, at any rate, that I do not lend myself to the wrong which I condemn.
Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne. Quant à recourir aux moyens que l’État a prévus pour remédier au mal, ces moyens-là, je n’en veux rien savoir. Ils prennent trop de temps et la vie d’un homme n’y suffirait pas. J’ai autre chose à faire. Si je suis venu au monde, ce n’est pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais. Un homme n’a pas tout à faire, mais quelque chose, et qu’il n’ait pas la possibilité de tout faire ne signifie pas qu’il doive faire quelque chose de mal. Ce n’est pas mon affaire de présenter des pétitions au gouverneur ou au Corps Législatif ; ça n’est pas la leur de m’en présenter non plus, car s’ils ne tiennent pas compte de ma pétition, que devrais-je faire ? Dans ce seul cas, l’État n’a prévu aucun recours : le mal réside dans la Constitution elle-même. Cela peut sembler dur, borné et intransigeant, mais c’est traiter avec la plus extrême bonté et considération le seul esprit qui soit à même de l’apprécier et de la mériter. Il en est ainsi de tous changements en bien, comme la mort et la vie, qui s’opèrent dans les convulsions.
Je n’hésite pas à le dire : ceux qui se disent abolitionnistes devraient, sur le champ, retirer tout de bon leur appui, tant dans leur personne que dans leurs biens, au gouvernement du Massachusetts, et cela sans attendre de constituer la majorité d’une voix, pour permettre à la justice de triompher grâce à eux. S’ils écoutent la voix de Dieu, ils n’ont nul besoin, me semble-t-il, de compter sur une autre voix. En outre, tout homme qui a raison contre les autres constitue déjà une majorité d’une voix.
Le gouvernement américain ou son représentant, le gouvernement du Massachusetts, je le rencontre directement, et face à face, une fois l’an – pas plus – en la personne de son percepteur ; c’est la seule forme sous laquelle un homme dans ma condition rencontre forcément l’État qui me dit alors clairement : « Reconnais-moi. » Alors, dans ce cas, la manière la plus simple, la plus efficace et, dans la conjoncture actuelle, la manière la plus urgente de traiter avec lui de la question, et d’exprimer la maigre satisfaction et tendresse qu’il nous inspire, c’est de le désavouer sur l’heure.
Mon voisin fort civil, le percepteur, est bien l’homme à qui j’ai affaire – car c’est à tout prendre avec des hommes et non avec des parchemins que j’ai querelle – et il a délibérément choisi d’être fonctionnaire. Comment saura-t- il vraiment ce qu’il est et ce qu’il fait en sa qualité de fonctionnaire et en sa qualité d’homme ? Jamais tant qu’il ne sera pas mis en demeure de considérer s’il doit me traiter, moi son voisin respecté, en voisin et en homme bien intentionné, ou bien en fou furieux et en perturbateur de l’ordre public ; tant qu’il ne sera pas forcé de trouver le moyen de surmonter l’obstacle à nos relations amicales sans céder aux pensées et aux paroles discourtoises et violentes qui vont de pair avec ses actes. Je suis convaincu que si un millier, si une centaine, si une dizaine d’hommes que je pourrais nommer – si seulement dix honnêtes gens – que dis-je ? Si un seul HONNÊTE homme cessait, dans notre État du Massachusetts de garder des esclaves, venait vraiment à se retirer de cette confrérie, quitte à se faire jeter dans la prison du Comté, cela signifierait l’abolition de l’esclavage en Amérique. Car peu importe qu’un début soit modeste : ce qui est bien fait au départ est fait pour toujours. Mais nous aimons mieux en discuter – c’est cela que nous appelons notre mission. La réforme entretient à son service des quantités de journaux, mais pas un seul homme. Si mon digne voisin, l’Ambassadeur d’État qui consacre son existence au règlement du problème des droits de l’homme à la Chambre du Conseil, au lieu de se laisser menacer des prisons de la Caroline, devait se présenter en prisonnier du
Massachusetts, cet État qui est si anxieux de rejeter sur sa sœur le crime de l’esclavage, encore qu’il ne puisse à ce jour découvrir d’autre grief à l’encontre de celle-ci qu’un acte d’inhospitalité – le corps législatif n’écarterait pas tout à fait le sujet l’hiver prochain.
Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison. La place qui convient aujourd’hui, la seule place que le Massachusetts ait prévue pour ses esprits les plus libres et les moins abattus, c’est la prison d’État. Ce dernier les met dehors et leur ferme la porte au nez. Ne se sont-ils pas mis dehors euxmêmes, de par leurs principes ? C’est là que l’esclave fugitif et le prisonnier mexicain en liberté surveillée, et l’Indien venu pour invoquer les torts causés à sa race, les trouveront sur ce terrain isolé, mais libre et honorable où l’État relègue ceux qui ne sont pas avec lui, mais contre lui : c’est, au sein d’un État esclavagiste, le seul domicile où un homme libre puisse trouver un gîte honorable. S’il y en a pour penser que leur influence y perdrait et que leur voix ne blesserait plus l’oreille de l’État, qu’ils n’apparaîtraient plus comme l’ennemi menaçant ses murailles, ceux-là ignorent de combien la vérité est plus forte que l’erreur, de combien plus d’éloquence et d’efficacité est doué dans sa lutte contre l’injustice l’homme qui l’a éprouvée un peu dans sa personne même. Donnez tout votre vote, pas seulement un bout de papier, mais toute votre influence. Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. S’il n’est d’autre alternative que celle-ci : garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir. Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible. Si le percepteur ou quelque autre fonctionnaire me demande, comme ce fut le cas : « Mais que dois-je faire ? », je lui réponds : « Si vous voulez vraiment faire quelque chose, démissionnez ! » Quand le sujet a refusé obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie. Même à supposer que le sang coule. N’y a-t-il pas effusion de sang quand la conscience est blessée ? Par une telle blessure s’écoulent la dignité et l’immortalité véritable de la personne humaine qui meurt, vidée de son sang pour l’éternité. Je vois ce sang-là couler aujourd’hui.
(...)
" When I converse with the freest of my neighbors, I perceive that, whatever they may say about the magnitude and seriousness of the question, and their regard for the public tranquillity, the long and the short of the matter is, that they cannot spare the protection of the existing government, and they dread the consequences to their property and families of disobedience to it. For my own part, I should not like to think that I ever rely on the protection of the State. But, if I deny the authority of the State when it presents its tax-bill, it will soon take and waste all my property, and so harass me and my children without end. This is hard. This makes it impossible for a man to live honestly, and at the same time comfortably, in outward respects. It will not be worth the while to accumulate property; that would be sure to go again. You must hire or squat somewhere, and raise but a small crop, and eat that soon. You must live within yourself, and depend upon yourself always tucked up and ready for a start, and not have many affairs.
En m’entretenant avec les plus affranchis de mes concitoyens, je m’aperçois qu’en dépit de tous leurs propos concernant l’importance et la gravité de la question, et leur souci de la tranquillité publique, le fort et le fin de l’affaire c’est qu’ils ne peuvent se passer de la protection du gouvernement en place et qu’ils redoutent les effets de leur désobéissance sur leurs biens ou leur famille. Pour mon compte personnel, il ne me plairait pas de penser que je doive m’en remettre à la protection de l’État ; mais si je refuse l’autorité de l’État lorsqu’il me présente ma feuille d’impôts, il prendra et dilapidera tout mon avoir, me harcelant moi ainsi que mes enfants, à n’en plus finir. Cela est dur, cela enlève à un homme toute possibilité de vivre normalement et à l’aise – j’entends, sur le plan matériel.
À quoi bon accumuler des biens quand on est sûr de les voir filer ? Il faut louer quelques arpents, bien s’y installer et ne produire qu’une petite récolte pour la consommation immédiate. On doit vivre en soi, ne dépendre que de soi, et, toujours à pied d’œuvre et prêt à repartir, ne pas s’encombrer de multiples affaires. Un homme peut s’enrichir même en Turquie s’il se montre, à tous égards, le docile sujet du gouvernement turc. Confucius a dit : « Si un État est gouverné par les principes de la raison, pauvreté et misère sont des sujets de honte ; si un État n’est pas gouverné par les principes de la raison, richesses et honneurs sont des sujets de honte. » Non, avant que j’accepte de laisser la protection du Massachusetts s’étendre à ma personne en quelque lointain port du Sud où ma liberté est menacée, avant que je consacre tous mes efforts à édifier une fortune dans le pays par une initiative pacifique, je puis me permettre de refuser au Massachusetts obéissance et droit de regard sur ma propriété et mon existence. Il m’en coûte moins, à tous les sens du mot, d’encourir la sanction de désobéissance à l’État, qu’il ne m’en coûterait de lui obéir. J’aurais l’impression, dans ce dernier cas, de m’être dévalué.
(...)
Thus the State never intentionally confronts a man’s sense, intellectual or moral, but only his body, his senses. It is not armed with superior wit or honesty, but with superior physical strength. I was not born to be forced. I will breathe after my own fashion. Let us see who is the strongest. What force has a multitude? They only can force me who obey a higher law than I. They force me to become like themselves. I do not hear of men being forced to live this way or that by masses of men. What sort of life were that to live? When I meet a government which says to me, “Your money or your life,” why should I be in haste to give it my money? It may be in a great strait, and not know what to do: I cannot help that. It must help itself; do as I do. It is not worth the while to snivel about it. I am not responsible for the successful working of the machinery of society. I am not the son of the engineer. I perceive that, when an acorn and a chestnut fall side by side, the one does not remain inert to make way for the other, but both obey their own laws, and spring and grow and flourish as best they can, till one, perchance, overshadows and destroys the other. If a plant cannot live according to its nature, it dies; and so a man....
Ainsi l’État n’affronte jamais délibérément le sens intellectuel et moral d’un homme, mais uniquement son être physique, ses sens. Il ne dispose contre nous ni d’un esprit ni d’une dignité supérieurs, mais de la seule supériorité physique. Je ne suis pas né pour qu’on me force. Je veux respirer à ma guise. Voyons qui l’emportera. Quelle force dans la multitude ? Seuls peuvent me forcer ceux qui obéissent à une loi supérieure à la mienne.
Ceux-là me forcent à leur ressembler. Je n’ai pas entendu dire que des hommes aient été forcés de vivre comme ceci ou comme cela par des masses humaines – que signifierait ce genre de vie ? Lorsque je rencontre un gouvernement qui me dit : « La bourse ou la vie », pourquoi me hâterais-je de lui donner ma bourse ? Il est peut-être dans une passe difficile, aux abois ; qu’y puis-je ? Il n’a qu’à s’aider lui-même, comme moi. Pas la peine de pleurnicher. Je ne suis pas responsable du bon fonctionnement de la machine sociale. Je ne suis pas le fils de l’ingénieur. Je m’aperçois que si un gland et une châtaigne tombent côte à côte, l’un ne reste pas inerte pour céder la place à l’autre ; tous deux obéissent à leurs propres lois, germent, croissent et prospèrent de leur mieux, jusqu’au jour où l’un, peut-être, étendra son ombre sur l’autre et l’étouffera. Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit ; un homme de même.....
"Walden, or, Life in the Woods" (1854)
"La masse des hommes mène une vie de désespoir tranquille" (The mass of men lead lives of quiet desperation) - La nature prend plus d'importance
dans "Walden" que dans la "Nature" d'Emerson, Thoreau nous révèle une réceptivité, une écoute peu commune de la Nature, l'enjeu est pour lui de réussir à traduire le plus fidèlement possible ce
qu'il ressent dans l'instant. Fuyant le conformisme et les préoccupations commerciales d'une société dans laquelle il ne peut exprimer sa spiritualité et son émotion, Thoreau fait retraite, le 4
juillet 1845, - le jour de l'anniversaire de la déclaration d'indépendance de l'Amérique vis-à-vis de la Grande-Bretagne, déclarant sa propre indépendance -, dans une cabane construite de ses
mains au bord du lac de Walden, à un mile de chez ses parents. Dans ce refuge pastoral, il disposera jusqu'en septembre 1847 (un peu moins de trois ans) du calme nécessaire pour se consacrer à
l'écriture et jouir de l'immersion dans la nature.
Thoreau rédigera sept versions de Walden de 1846 à 1854, retravaillant à chaque version ses phrases, ses mots, recherchant une langue personnelle qui soit à même de mieux traduire son expérience la plus intime de la Nature (writing is “the work of art closest to life itself” ). Son immense Journal révèlera un besoin obsessionnel quotidien d'écriture. Les Forêts du Maine (The Maine Woods) raconte ses excursions dans la nature primitive du Nord-Est, sa confrontation avec la montagne inhospitalière et ses contacts avec un guide indien dont il veut partager le savoir sur la forêt. Dans "Cape Cod" (1865), il évoquera l'étrangeté, et non la convivialité, de la nature, retrouvant une thématique littéraire au coeur d'oeuvres telles que Hamlet et l'Iliade : “The wildness of the savage is but a faint symbol of the awful ferity with which good men and lovers meet” (“Walking”, 1862)...
"Sounds - But while we are confined to books, though the most select and classic, and read only particular written languages, which are themselves but dialects and provincial, we are in danger of forgetting the language which all things and events speak without metaphor, which alone is copious and standard. Much is published, but little printed. The rays which stream through the shutter will be no longer remembered when the shutter is wholly removed. No method nor discipline can supersede the necessity of being forever on the alert. What is a course of history or philosophy, or poetry, no matter how well selected, or the best society, or the most admirable routine of life, compared with the discipline of looking always at what is to be seen? Will you be a reader, a student merely, or a seer? Read your fate, see what is before you, and walk on into futurity."
Lorsque son isolement intriguera ses concitoyens qui l'interrogent sur le sens de son mode de vie, Thoreau répondra par une conférence que l'on retrouve dans le long premier chapitre de son ouvrage, « Économie ». Il y décrit comment gagner sa vie sans aliéner sa liberté, et explique quel dépouillement est nécessaire pour se dégager de l'emprise délétère de la société. Détaillant ses griefs contre la vie moderne, il propose un contre-modèle que chacun devra adapter à son individualité. On reprochera à cette économie d'existence son hypermoralisme rigide, ses certitudes qui étouffent l'écrivain plus nuancé du Journal. ..
"This is a delicious evening, when the whole body is one sense, and imbibes delight through every pore. I go and come with a strange liberty in Nature, a part of herself. As I walk along the stony shore of the pond in my shirt-sleeves, though it is cool as well as cloudy and windy, and I see nothing special to attract me, all the elements are unusually congenial to me. The bullfrogs trump to usher in the night, and the note of the whip-poor-will is borne on the rippling wind from over the water. Sympathy with the fluttering alder and poplar leaves almost takes away my breath; yet, like the lake, my serenity is rippled but not ruffled. These small waves raised by the evening wind are as remote from storm as the smooth reflecting surface. Though it is now dark, the wind still blows and roars in the wood, the waves still dash, and some creatures lull the rest with their notes. The repose is never complete. The wildest animals do not repose, but seek their prey now; the fox, and skunk, and rabbit, now roam the fields and woods without fear. They are Nature's watchmen -- links which connect the days of animated life."
"Solitude - Soir délicieux, où le corps entier n’est plus qu’un sens, et par tous les pores absorbe le délice. Je vais et viens avec une étrange liberté dans la Nature, devenu partie d’elle-même. Tandis que je me promène le long de la rive pierreuse de l’étang, en manches de chemise malgré la fraîcheur, le ciel nuageux et le vent, et que je ne vois rien de spécial pour m’attirer, tous les éléments me sont étonnamment homogènes. Les grenouilles géantes donnent de la trompe en avant-coureurs de la nuit, et le chant du whip-pour-will s’en vient de l’autre côté de l’eau sur l’aile frissonnante de la brise. La sympathie avec les feuilles agitées de l’aune et du peuplier me fait presque perdre la respiration ; toutefois, comme le lac, ma sérénité se ride sans se troubler. Ces petites vagues que le vent du soir soulève sont aussi étrangères à la tempête que la surface polie comme un miroir. Bien que maintenant la nuit soit close, le vent souffle encore et mugit dans le bois, les vagues encore brisent, et quelques créatures invitent de leurs notes au sommeil. Le repos jamais n’est complet. Les animaux très sauvages ne reposent pas, mais les voici en quête de leur proie ; voici le renard, le skunks, le lapin rôder sans crainte par les champs et les bois. Ce sont les veilleurs de la Nature, – chaînons qui relient les jours de la vie animée."
"Walking"
« Walking » fut prononcé dans le cadre d’une conférence en 1851 puis publié à titre posthume comme essai. Thoreau y décrit l’appel incessant qui nous pousse à explorer et à nous perdre dans la beauté des forêts, des rivières et des champs....
" I wish to speak a word for Nature, for absolute freedom and wildness, as contrasted with a freedom and culture merely civil,—to regard man as an inhabitant, or a part and parcel of Nature, rather than a member of society. I wish to make an extreme statement, if so I may make an emphatic one, for there are enough champions of civilization: the minister and the school committee and every one of you will take care of that.
I have met with but one or two persons in the course of my life who understood the art of Walking, that is, of taking walks,—who had a genius, so to speak, for sauntering, which word is beautifully derived “from idle people who roved about the country, in the Middle Ages, and asked charity, under pretense of going à la Sainte Terre,” to the Holy Land, till the children exclaimed, “There goes a Sainte-Terrer,” a Saunterer, a Holy-Lander. They who never go to the Holy Land in their walks, as they pretend, are indeed mere idlers and vagabonds; but they who do go there are saunterers in the good sense, such as I mean. Some, however, would derive the word from sans terre, without land or a home, which, therefore, in the good sense, will mean, having no particular home, but equally at home everywhere. For this is the secret of successful sauntering. He who sits still in a house all the time may be the greatest vagrant of all; but the saunterer, in the good sense, is no more vagrant than the meandering river, which is all the while sedulously seeking the shortest course to the sea. But I prefer the first, which, indeed, is the most probable derivation. For every walk is a sort of crusade, preached by some Peter the Hermit in us, to go forth and reconquer this Holy Land from the hands of the Infidels.
It is true, we are but faint-hearted crusaders, even the walkers, nowadays, who undertake no persevering, never-ending enterprises. Our expeditions are but tours, and come round again at evening to the old hearth-side from which we set out. Half the walk is but retracing our steps. We should go forth on the shortest walk, perchance, in the spirit of undying adventure, never to return,— prepared to send back our embalmed hearts only as relics to our desolate kingdoms. If you are ready to leave father and mother, and brother and sister, and wife and child and friends, and never see them again,—if you have paid your debts, and made your will, and settled all your affairs, and are a free man, then you are ready for a walk.
To come down to my own experience, my companion and I, for I sometimes have a companion, take pleasure in fancying ourselves knights of a new, or rather an old, order,—not Equestrians or Chevaliers, not Ritters or Riders, but Walkers, a still more ancient and honorable class, I trust. The chivalric and heroic spirit which once belonged to the Rider seems now to reside in, or perchance to have subsided into, the Walker,—not the Knight, but Walker, Errant. He is a sort of fourth estate, outside of Church and State and People.
We have felt that we almost alone hereabouts practiced this noble art; though, to tell the truth, at least if their own assertions are to be received, most of my townsmen would fain walk sometimes, as I do, but they cannot.
No wealth can buy the requisite leisure, freedom, and independence which are the capital in this profession. It comes only by the grace of God. It requires a direct dispensation from Heaven to become a walker. You must be born into the family of the Walkers. Ambulator nascitur, non fit. Some of my townsmen, it is true, can remember and have described to me some walks which they took ten years ago, in which they were so blessed as to lose themselves for half an hour in the woods; but I know very well that they have confined themselves to the highway ever since, whatever pretensions they may make to belong to this select class. No doubt they were elevated for a moment as by the reminiscence of a previous state of existence, when even they were foresters and outlaws...."