Alfred Tennyson (1809-1892), "The Lotus Eaters" (1832), "The Lady of Shalott" (1832), "Locksley Hall" (1842), "In Memoriam" (1850), "The Charge of the Light Brigade" (1854), "Maud" (1855), "Enoch Arfen" (1864) - ..

Last update 12/19/2016


De 1850 à 1892, doté de dons multiples, admiré pour la variété et la perfection de sa versification, lord Tennyson incarne à lui seul toute la poésie victorienne, une poésie qui, sous le vernis de la grandeur, - il fut pour sa génération l'interprète des mythes classiques et des mythes médiévaux -, abrite une absolue mélancolie. Après sa mort, on moqua son sentimentalisme et la médiocrité de sa pensée. Il donna pourtant au conformisme victorience qu'il attendait, des mélodrames populaires à l'épopée arthurienne, et sut traduire les émotions collectives de tout un peuple : "Britons, guard your own" (1852), "Ode on the Death of the Duke of Wellington" (1852), "The Charge of the Light Brigade" (1854), 

Mais en son for intérieur, il resta tourmenté par les sombres appels du cœur et du désespoir qui ne le quittèrent jamais. "Maud" (1855) et les "Idylls of the King" (1859-1888) mettent en évidence les deux tendances profondes du poète, le retrait sur soi et le rejet du monde pour ces seules joies cérébrales de la passion sensuelle qui nourrissent l'âme, d'une part; sa volonté, d'autre part, d'encourager cette nation britannique en pleine mutation et qui ne peut échapper à cette nostalgie du passé dont témoignent ses récits en vers sur des thèmes arthuriens (la Mort d'Arthur,1842, Geraint et Enid, Merlin et Viviane, Lancelot et Elaine, Guenièvre, 1859) et ses drames historiques (Queen Mary, 1875 ; Becket, 1884); il va nourrir ainsi tout un courant artistique caractéristique de cette époque, Ruskin, E. G. Bulwer-Lytton et les préraphaélites ...


ULYSSES

Il sert de de peu que, roi sans emploi, / Auprès de cet âtre silencieux, parmi ces rocs stériles, / Marié à une épouse âgée, j'étende et distribue / Des lois injustes à une race sauvage / Qui s'enrichit, dort, mange et ne me connaît pas. / Je ne puis demeurer en repos ; je veux boire / La vie jusqu'à la lie : toujours j'ai goûté / De nobles joies et de nobles souffrances, tant avec ceux / Qui m'aimaient, que seul ; à terre, et lorsque / A travers les vapeurs chassées par l'ouragan les pluvieuses Hyades / Agitaient la mer obscurcie: je suis devenu fameux; / Car, toujours errant, le cœur inassouvi, / J'ai vu beaucoup et connu beaucoup ; les cités des hommes / Et leurs mœurs, les climats, les conseils, les gouvernements, / Moi-même non le moindre parmi eux, mais honoré de tous; /

Et j'ai goûté les délices du combat avec mes pairs / Loin d'ici, sur les plaines résonnantes de Troie, cité des vents. / Je fais partie de tout ce que j'ai connu; / Pourtant toute expérience est une arche à travers laquelle / Luit ce monde inexploré dont les limites s'évanouissent / Toujours, toujours, à mesure que j'avance. / Qu'il est triste de s'arrêter, d'accepter la fin / Et de se rouiller dans l'inaction, au lieu de se polir par l'usage! / Comme si respirer était vivre ! Une multitude de vies accumulées / Eussent été trop peu pour moi; et d'une seule / Bien peu me reste : du moins chacune de mes heures / Est préservée de cet éternel silence ; mieux encore : / Est riche de nouveaux dons ; il serait indigne, / Pour deux o trois étés, de me ménager jalousement, / Moi, et ce coeur vieilli qu'enflamme le désir / De poursuivre le savoir, tel une étoile qui décline, / Par-delà l'ultime limite de la pensée humaine..."

 

It little profits that an idle king,

By this still hearth, among these barren crags,

Match'd with an aged wife, I mete and dole

Unequal laws unto a savage race,

That hoard, and sleep, and feed, and know not me.

I cannot rest from travel: I will drink

Life to the lees: All times I have enjoy'd

Greatly, have suffer'd greatly, both with those

That loved me, and alone, on shore, and when

Thro' scudding drifts the rainy Hyades

Vext the dim sea: I am become a name;

For always roaming with a hungry heart

Much have I seen and known; cities of men

And manners, climates, councils, governments,

Myself not least, but honour'd of them all;

 

And drunk delight of battle with my peers,

Far on the ringing plains of windy Troy.

I am a part of all that I have met;

Yet all experience is an arch wherethro'

Gleams that untravell'd world whose margin fades

For ever and forever when I move.

How dull it is to pause, to make an end,

To rust unburnish'd, not to shine in use!

As tho' to breathe were life! Life piled on life

Were all too little, and of one to me

Little remains: but every hour is saved

From that eternal silence, something more,

A bringer of new things; and vile it were

For some three suns to store and hoard myself,

And this gray spirit yearning in desire

To follow knowledge like a sinking star,

Beyond the utmost bound of human thought.

(...)



Alfred Tennyson (1809-1892)

"C'est un homme solitaire et triste qui transporte avec lui un morceau de Chaos qu'il est en train de transformer en Cosmos ..." (Carlyle) -  Quatrième des douze enfants du révérend Charles Tennyson, Alfred Tennyson naquit au presbytère de Somersby, comté de Lincoln, connut une enfance difficile dans une atmosphère tendue et triste. Son père, pasteur à son corps défendant, peu argenté, ne lui permit pas de recevoir l'éducation espérée : frustré, c'est vers la nature, la littérature, et dans la solitude qu'il passa son enfance et se tourne vers la poésie  (Poems by Two Brothers, 1827), y acquiert de bonne heure une excellente technique de versificateur t un très riche vocabulaire poétique. Alfred Tennyson entre en 1828, au Trinity College de Cambridge et y mûrit ses dons poétiques sous l'influence d'un groupe d'amis et d'admirateurs enthousiastes qui comprenait notamment W. E. Gladstone et A. H. Hallam. C'est avec leurs encouragements qu'il publia, en 1830, des poésies lyriques : "Poems, Chiefly Lyrical", Recollections of the Arabian Nights, Mariana, The Ballad of Oriana] et de nombreux autres poèmes, mais qui encore sont loin d'atteindre à la perfection dont Tennyson se montrera plus tard. Mais ils révèlent par leurs essais métriques, une liberté nouvelle d'expression.

De 1830 à 1850, la mort de son père l'appauvrit un peu plus et la mort de son ami Arthur Hallam le plonge dans un sentiment de désespoir éternel que reflètent ses différents recueils: "Claribel et Mariana" (1830), bien reçu par Samuel Taylor Coleridge, "The Lady of Shalott" (1833), "The Palace of Art". Des épreuves accentuées par l'insuccès de ses oeuvres ...

Sa renommée grandissait pourtant, et il trouva le courage de revoir ses poèmes de 1830 et de 1833 dont il publia un choix, en 1842, en même temps que paraissait un nouveau volume qui comprenait entre autres, "Locksley Hall", "Ulysse", et la première des "Idylles du roi", "La Mort d'Arthur". 

Quelques amis lui firent obtenir, en 1845, une pension pour mérites civils, qui lui permit de faire face à ses besoins les plus pressants tandis que le lent mais encourageant succès de ses Poèmes de 1842 l'aidèrent à terminer la composition  "The Princess"(1847), petit poème en vers libre dans lequel Tennyson montre le côté absurde des relations entre les sexes et proclame l'égalité de l'homme et de la femme, tout en craignant que celle-ci ne détruise la délicatesse féminine : un récit coupé de chants qui vont compter parmi les meilleures pièces de vers de la littérature anglaise, et parmi celles-ci, "The splendour falls on castle walls"  et "Tears, idle tears" ... 

 

The Splendour Falls

 

The splendor falls on castle walls

    And snowy summits old in story;

The long light shakes across the lakes,

    And the wild cataract leaps in glory.

Blow, bugle, blow, set the wild echoes flying,

Blow, bugle; answer, echoes, dying, dying, dying.

 

O, hark, O, hear! how thin and clear,

    And thinner, clearer, farther going!

O, sweet and far from cliff and scar

    The horns of Elfland faintly blowing!

Blow, let us hear the purple glens replying,

Blow, bugles; answer, echoes, dying, dying, dying.

 

O love, they die in yon rich sky,

    They faint on hill or field or river;

Our echoes roll from soul to soul,

    And grow forever and forever.

Blow, bugle, blow, set the wild echoes flying,

And answer, echoes, answer, dying, dying, dying.

 

Tears, Idle Tears

 

Tears, idle tears, I know not what they mean,

Tears from the depth of some divine despair

Rise in the heart, and gather to the eyes,

In looking on the happy autumn-fields,

And thinking of the days that are no more.

    Fresh as the first beam glittering on a sail,

That brings our friends up from the underworld,

Sad as the last which reddens over one

That sinks with all we love below the verge;

So sad, so fresh, the days that are no more.

    Ah, sad and strange as in dark summer dawns

The earliest pipe of half-awakened birds

To dying ears, when unto dying eyes

The casement slowly grows a glimmering square;

So sad, so strange, the days that are no more.

    Dear as remembered kisses after death,

And sweet as those by hopeless fancy feigned

On lips that are for others; deep as love,

Deep as first love, and wild with all regret;

O Death in Life, the days that are no more!

 


Tennyson n'avait cessé, au cours de toutes ces années, de méditer sur la mort d'Hallam, et avait noté de temps à autre ses réflexions sous forme élégiaque. ll rassembla ces élégies, les classa et les publia en 1850 sous le titre "In memoriam". Peu avant cette publication, il avait renoué ses fiançailles avec Emily Shellwood et l'avait épousée, retrouvant ainsi un bonheur qui fut non seulement couronné par l'énorme succès de son livre, mais aussi par sa nomination, grâce à Gladstone, à la charge de poète officiel, laissée vacante par la mort de Wordsworth. 

Ses poèmes (Maud, 1855 ; les Idylles du roi, 1859, Enoch Arden, 1864) et ses drames (la Reine Marie, 1875) vont faire de lui le chantre aristocratique et national de l'ère victorienne....

 

« ... Puisse-t-il ne pas y avoir de tristesse d’adieu, / quand j’embarquerai ; / (...) J’espère voir mon pilote face à face / quand j’aurai passé la barre. » (Crossing the Bar, 1889). 

 

"Enoch Arden" (1864) fut son plus grand tirage, ses petits poèmes en prose sur la mort du Roi Arthur, qui composent ses Idylles du roi auxquelles il travailla près de trente ans, connurent un succès presque égal. Devenu une sorte d'institution nationale, - position que vint confirmer, en 1884, sa nomination au titre de Lord -, il entreprit d'écrire pour le théâtre à partir de 1874, mais "Queen Mary" (1874) n'eut aucun succès et les deux drames, "Harold" (1877) et "Becket" (1884) ne furent jamais représentés de son vivant. La composition de ces œuvres et celle de "The FaIcon", "The Promise of May", "The Cup", représentés respectivement en 1879, 1882 et 1884, occupèrent la majeure partie des dernières années de sa vie, mais n'épuisèrent pas toute son énergie créatrice puisque, quelques semaines avant sa mort, il était en train de corriger son dernier volume, "The Death of OEnone" (1892) ...


"The Lotos-Eaters" (Les Mangeurs de lotus, 1832)

Poème d'Alfred Tennyson édité en 1832 (avec la date de 1833) dans un recueil lyrique, inspiré du Livre IX de l'Odyssée et divisé en deux parties. Dans la première, l'auteur nous conte l`arrivée d'Ulysse et de son équipage dans l`île des mangeurs de lotus. Les habitants y sont accueillants. La seconde partie est un chœur composé de mangeurs de lotus, qui chantent les merveilles de leur île et font l`éloge de la vie qu'ils y mènent. Les marins leur répondent, en se lamentant sur leur triste sort comparé à celui des populations heureuses de l`île. Les marins, révoltés contre leur destin. décident de ne plus quitter l`île ... 

 

"Courage!" he said, and pointed toward the land,

"This mounting wave will roll us shoreward soon."

In the afternoon they came unto a land

In which it seemed always afternoon.

All round the coast the languid air did swoon,

Breathing like one that hath a weary dream.

Full-faced above the valley stood the moon;

And like a downward smoke, the slender stream

Along the cliff to fall and pause and fall did seem.

 

A land of streams! some, like a downward smoke,

Slow-dropping veils of thinnest lawn, did go;

And some thro' wavering lights and shadows broke,

Rolling a slumbrous sheet of foam below.

They saw the gleaming river seaward flow

From the inner land: far off, three mountain-tops,

Three silent pinnacles of aged snow,

Stood sunset-flush'd: and, dew'd with showery drops,

Up-clomb the shadowy pine above the woven copse.

 

The charmed sunset linger'd low adown

In the red West: thro' mountain clefts the dale

Was seen far inland, and the yellow down

Border'd with palm, and many a winding vale

And meadow, set with slender galingale;

A land where all things always seem'd the same!

And round about the keel with faces pale,

Dark faces pale against that rosy flame,

The mild-eyed melancholy Lotos-eaters came.

 

Branches they bore of that enchanted stem,

Laden with flower and fruit, whereof they gave

To each, but whoso did receive of them,

And taste, to him the gushing of the wave

Far far away did seem to mourn and rave

On alien shores; and if his fellow spake,

His voice was thin, as voices from the grave;

And deep-asleep he seem'd, yet all awake,

And music in his ears his beating heart did make.

They sat them down upon the yellow sand,

Between the sun and moon upon the shore;

And sweet it was to dream of Fatherland,

Of child, and wife, and slave; but evermore

Most weary seem'd the sea, weary the oar,

Weary the wandering fields of barren foam.

Then some one said, "We will return no more";

And all at once they sang, "Our island home

Is far beyond the wave; we will no longer roam."

CHORIC SONG

There is sweet music here that softer falls

Than petals from blown roses on the grass,

Or night-dews on still waters between walls

Of shadowy granite, in a gleaming pass;

Music that gentlier on the spirit lies,

Than tir'd eyelids upon tir'd eyes;

Music that brings sweet sleep down from the blissful skies.

Here are cool mosses deep,

And thro' the moss the ivies creep,

And in the stream the long-leaved flowers weep,

And from the craggy ledge the poppy hangs in sleep."

(...)


C'est l`un des premiers poèmes publiés par Tennyson. mais nous voyons déjà son art s`y affirmer nettement dans toute sa puissance. Les Mangeurs de lotus soutiennent la comparaison avec ses œuvres ultérieures et demeurent l`un de ses chefs-d`œuvre par ses descriptions d`un monde éclatant et sensuel, et par les variations délicates des vers, dont la rime suit l`évolution des sentiments qu`ils expriment, passant de l`évocation langoureuse et extatique des mangeurs de lotus aux lamentations angoissées des marins ...


"Locksley Hall" (1842)

Publiée en 1842, avec d'autres Poèmes, c'est la plainte, sous forme de monologue, d`un jeune homme qui, à son retour à Locksley Hall où il a passé sa jeunesse, évoque l`amour qu`il portait à sa cousine Amy et la douleur qu`il a éprouvée lorsque, cédant aux pressions de son père, celle-ci l`a abandonné pour épouser l`homme qu'on lui destinait. Mais il regrette surtout sa foi dans le progrès du monde, l'enthousiasme, l`ardeur de vivre qui enflammaient sa jeune âme. Mais ce désespoir n'est pas sans appel, et le poème se termine sur quelques accents moins désolés qui font mieux augurer de l`avenir.

 

"Comrades, leave me here a little, while as yet 't is early morn:

Leave me here, and when you want me, sound upon the bugle-horn.

'T is the place, and all around it, as of old, the curlews call,

Dreary gleams about the moorland flying over Locksley Hall;

Locksley Hall, that in the distance overlooks the sandy tracts,

And the hollow ocean-ridges roaring into cataracts.

Many a night from yonder ivied casement, ere I went to rest,

Did I look on great Orion sloping slowly to the West.

Many a night I saw the Pleiads, rising thro' the mellow shade,

Glitter like a swarm of fire-flies tangled in a silver braid.

Here about the beach I wander'd, nourishing a youth sublime

With the fairy tales of science, and the long result of Time;

When the centuries behind me like a fruitful land reposed;

When I clung to all the present for the promise that it closed:

When I dipt into the future far as human eye could see;

Saw the Vision of the world and all the wonder that would be.—

In the Spring a fuller crimson comes upon the robin's breast;

In the Spring the wanton lapwing gets himself another crest;

In the Spring a livelier iris changes on the burnish'd dove;

In the Spring a young man's fancy lightly turns to thoughts of love.

Then her cheek was pale and thinner than should be for one so young,

And her eyes on all my motions with a mute observance hung.

And I said, "My cousin Amy, speak, and speak the truth to me,

Trust me, cousin, all the current of my being sets to thee."

On her pallid cheek and forehead came a colour and a light,

As I have seen the rosy red flushing in the northern night.

And she turn'd—her bosom shaken with a sudden storm of sighs—

All the spirit deeply dawning in the dark of hazel eyes—

Saying, "I have hid my feelings, fearing they should do me wrong";

Saying, "Dost thou love me, cousin?" weeping, "I have loved thee long."

Love took up the glass of Time, and turn'd it in his glowing hands;

Every moment, lightly shaken, ran itself in golden sands."

(...)

"Locksley Hall" est l'une des œuvres les plus connues et les plus admirées de Tennyson. Elle décrit les rêves. les aspirations, l`élan de sincérité de la jeunesse. L`état d'âme trouble, inquiet, du héros est évoqué avec un accent de vérité suggestive : le rythme cadencé, presque haletant, du vers. contribue efficacement à exprimer le tourment passionné du jeune amoureux d`Amy. Beaucoup plus tard, en 1886. reprenant ce thème. Tennyson publia "Locksley Hall soixante ans après" (Locksle y Hall Sixty Years After). où sont décrits les sentiments et l`état d`âme d'un homme arrivé au déclin de sa vie. Dans ce dernier poème, la foi en Dieu et la croyance en la bonté de l`homme sont plus manifestes et plus positives que dans la première version ...


"In memoriam" (1850)

Poème qu'Alfred Tennyson écrivit en souvenir d'un ami intime poète, lui aussi, Arthur H. Hallam, mort à vingt-deux ans ans en 1833. Commencé l'année de la mort d'Hallam, le poème,  qui comprend cent trente et un paragraphes, ne fut publié que dix-sept ans après. C'est la longue plainte d'une âme plongée dans une immense douleur, brisée par un malheur irréparable. En prenant comme point de départ la mort de son ami, thème qui donne son unité à l'œuvre, le poète affronte dans ce monologue philosophique le problème de l'immortalité, considéré sous ses aspects spirituels les plus divers ; le doute, la peur, la confiance tour à tour envahissent son âme. La mort de son ami soulève chez Tennyson les problèmes fondamentaux de l'être humain, le problème de la foi et celui de l'immortalité. Du fond de sa douleur, le poème remonte lentement vers une plus grande sérénité; celle-ci provient du sentiment d'une survivance spirituelle, de la foi en Dieu et de la confiance envers les hommes. Son prologue et son épilogue, sa division arbitraire en trois parties, - Despair, Regret, Hope - marquent les affinités du poème avec la poésie élégiaque anglaise de ce siècle mélancolique, qui va de 1733 à 1840. Tennyson a remanié le poème jusqu'en 1850 ; il y a introduit la partie proprement explicative et les passages philosophiques. Mais c'est le noyau lyrique et élégjaque qui en est la partie la plus belle; le tempérament poétique de Tennyson s'y révèle tout entier.

 

I

I held it truth, with him who sings

   To one clear harp in divers tones,

   That men may rise on stepping-stones

Of their dead selves to higher things.

But who shall so forecast the years

   And find in loss a gain to match?

   Or reach a hand thro' time to catch

The far-off interest of tears?

Let Love clasp Grief lest both be drown'd,

   Let darkness keep her raven gloss:

   Ah, sweeter to be drunk with loss,

To dance with death, to beat the ground,

Than that the victor Hours should scorn

   The long result of love, and boast,

   `Behold the man that loved and lost,

But all he was is overworn.'

II

Old Yew, which graspest at the stones

   That name the under-lying dead,

   Thy fibres net the dreamless head,

Thy roots are wrapt about the bones.

The seasons bring the flower again,

   And bring the firstling to the flock;

   And in the dusk of thee, the clock

Beats out the little lives of men.

O, not for thee the glow, the bloom,

   Who changest not in any gale,

   Nor branding summer suns avail

To touch thy thousand years of gloom:

And gazing on thee, sullen tree,

   Sick for thy stubborn hardihood,

   I seem to fail from out my blood

And grow incorporate into thee.

III

O Sorrow, cruel fellowship,

   O Priestess in the vaults of Death,

   O sweet and bitter in a breath,

What whispers from thy lying lip?

'The stars,' she whispers, `blindly run;

   A web is wov'n across the sky;

   From out waste places comes a cry,

And murmurs from the dying sun:

'And all the phantom, Nature, stands—

   With all the music in her tone,

   A hollow echo of my own,—

A hollow form with empty hands.'

And shall I take a thing so blind,

   Embrace her as my natural good;

   Or crush her, like a vice of blood,

Upon the threshold of the mind?

 

IV

To Sleep I give my powers away;

   My will is bondsman to the dark;

   I sit within a helmless bark,

And with my heart I muse and say:

O heart, how fares it with thee now,

   That thou should'st fail from thy desire,

   Who scarcely darest to inquire,

'What is it makes me beat so low?'

Something it is which thou hast lost,

   Some pleasure from thine early years.

   Break, thou deep vase of chilling tears,

That grief hath shaken into frost!

Such clouds of nameless trouble cross

   All night below the darken'd eyes;

   With morning wakes the will, and cries, 

'Thou shalt not be the fool of loss.'

V

I sometimes hold it half a sin

   To put in words the grief I feel;

   For words, like Nature, half reveal

And half conceal the Soul within.

But, for the unquiet heart and brain,

   A use in measured language lies;

   The sad mechanic exercise,

Like dull narcotics, numbing pain.

In words, like weeds, I'll wrap me o'er,

   Like coarsest clothes against the cold:

   But that large grief which these enfold

Is given in outline and no more.

VI

One writes, that `Other friends remain,'

   That `Loss is common to the race'—

   And common is the commonplace,

And vacant chaff well meant for grain.

That loss is common would not make

   My own less bitter, rather more:

   Too common! Never morning wore

To evening, but some heart did break.

O father, wheresoe'er thou be,

   Who pledgest now thy gallant son;

   A shot, ere half thy draught be done,

Hath still'd the life that beat from thee.

O mother, praying God will save

   Thy sailor,—while thy head is bow'd,

   His heavy-shotted hammock-shroud

Drops in his vast and wandering grave.

Ye know no more than I who wrought

   At that last hour to please him well;

   Who mused on all I had to tell,

And something written, something thought;

Expecting still his advent home;

   And ever met him on his way

   With wishes, thinking, `here to-day,'

Or `here to-morrow will he come.'

 (...)


Dès sa parution, et malgré une critique opposée, "In memoriam" fut très bien accueilli; il marqua le début de cette admiration quasi fanatique dont les contemporains entouraient Tennyson pendant les quarante demières années de sa vie. A la suite de la publication de cette œuvre, Tennyson fut élu, vers la fin de 1850, poète lauréat. La cadence employée dans ce poème a pris le nom de "In Memoriam Stance" ...


The Charge of the Light Brigade (1855)
C'est l'un des textes les plus connus de Tennyson, poème dramatique en hommage aux cavaliers britanniques entraînés dans une charge insensée le 25 octobre 1854, durant la guerre de Crimée : "Theirs not to make reply, / Theirs not to reason why, / Theirs but to do and die" ("Il n'y a pas à discuter / Il n'y a pas à s'interroger / Il n'y a qu'à agir et mourir"). C'est avec cette oeuvre de Tennyson et le rythme de ses vers qui expriment tant cette progression de la cavalcade vers l'horreur, que le sacrifice aveugle de ces "noble six hundred" entra dans la mémoire collective britannique.
(The Charge of the Light Brigade, the Battle of Balaclava, 15th October 1854, with Godfrey Charles Morgan, 1st Viscount Tredegar, Astride His Horse, 'Sir Briggs' - John Charlton (1849–1917) - National Trust, Tredegar House - The Charge of the Light Brigade - Thomas Jones Barker (1815–1882) - Defence Academy of the United Kingdom )

Half a league, half a league,
    Half a league onward,
All in the valley of Death
    Rode the six hundred.
"Forward, the Light Brigade!
"Charge for the guns!" he said:
Into the valley of Death
    Rode the six hundred.

"Forward, the Light Brigade!"
Was there a man dismay'd?
Not tho' the soldier knew
    Someone had blunder'd:
Theirs not to make reply,
Theirs not to reason why,
Theirs but to do and die:
Into the valley of Death
    Rode the six hundred.

Demi-lieue par demi-lieu,
Par demi-lieue de l'avant!
Tous dans la vallée de la Mort
Chevauchaient les six-cents.
Il dit: "En avant, la Brigade légère!
A la charge de cette batterie!"
Et dans la vallée de la mort
Chevauchèrent les six-cents.

"En avant, la Brigade légère!"
Fut-il, celui que l'ordre consterna?
Non! Pourtant il savait, le soldat,
Il savait que c'était insensé.
Pas un mot, pas une question.
A eux d'agir et de mourir :
Et dans la vallée de la mort
Chevauchèrent les six-cents.


Cannon to right of them,
Cannon to left of them,
Cannon in front of them
    Volley'd and thunder'd;
Storm'd at with shot and shell,
Boldly they rode and well,
Into the jaws of Death,
Into the mouth of Hell
    Rode the six hundred.
(...)
When can their glory fade?
O the wild charge they made!
All the world wondered.
Honour the charge they made!
Honour the Light Brigade,
Noble six hundred!

Pour eux les canons, à droite,
Pour eux les canons, à gauche,
Pour eux les canons, droit devant,
Pour eux les rafales et le grondement,
Pour eux l'orage des balles et des obus.
Hardis ils chevauchèrent bellement,
Jusque dans les mâchoires de la Mort
Jusque dans la gueule de l'Enfer.
(...)


Leur gloire ne sera pas ternie,
Ô! Quelle équipée sauvage!
Le monde entier en fut frappé.
Honneur à la Brigade légère,
Ces valeureux six-cents!



"Maud" (1855)

C`est un monologue lyrique dont le protagoniste nous conte. à la première personne, son histoire tragique. Après une enfance malheureuse, il trouve enfin un peu de joie et de sérénité dans son amour pour Maud. Les deux jeunes gens cachent leur amour, car le père de la jeune fille ne lui permettra jamais d`épouser le fils pauvre d'une famille déchue. Mais le frère de Maud découvre l`un de leurs rendez-vous secrets; un duel s`ensuit, où notre héros tue le frère de la jeune fille et est obligé de fuir à l`étranger. Hanté par le remords et par le désespoir, il est sur le point de succomber à la folie, mais la guerre de Crimée lui donne l'occasion de fuir sa douleur et de servir sa patrie ...

 

     I hate the dreadful hollow behind the little wood,

     Its lips in the field above are dabbled with blood-red heath,

     The red-ribb'd ledges drip with a silent horror of blood,

     And Echo there, whatever is ask'd her, answers 'Death.'

     For there in the ghastly pit long since a body was found,

     His who had given me life—O father! O God! was it well?—

     Mangled, and flatten'd, and crush'd, and dinted into the ground:

     There yet lies the rock that fell with him when he fell.

     Did he fling himself down? who knows? for a vast speculation had fail'd,

     And ever he mutter'd and madden'd, and ever wann'd with despair,

     And out he walk'd when the wind like a broken worldling wail'd,

     And the flying gold of the ruin'd woodlands drove thro' the air.

     I remember the time, for the roots of my hair were stirr'd

     By a shuffled step, by a dead weight trail'd, by a whisper'd fright,

     And my pulses closed their gates with a shock on my heart as I heard

     The shrill-edged shriek of a mother divide the shuddering night.

     Villainy somewhere! whose? One says, we are villains all.

     Not he: his honest fame should at least by me be maintained:

     But that old man, now lord of the broad estate and the Hall,

     Dropt off gorged from a scheme that had left us flaccid and drain'd.

     Why do they prate of the blessings of Peace? we have made them a curse,

     Pickpockets, each hand lusting for all that is not its own;

     And lust of gain, in the spirit of Cain, is it better or worse

     Than the heart of the citizen hissing in war on his own hearthstone?

     But these are the days of advance, the works of the men of mind,

     When who but a fool would have faith in a tradesman's ware or his word?

     Is it peace or war? Civil war, as I think, and that of a kind

     The viler, as underhand, not openly bearing the sword.

     Sooner or later I too may passively take the print

     Of the golden age— why not? I have neither hope nor trust;

     May make my heart as a millstone, set my face as a flint,

     Cheat and be cheated, and die: who knows? we are ashes and dust.

     Peace sitting under her olive, and slurring the days gone by,

     When the poor are hovell'd and hustled together, each sex, like swine,

     When only the ledger lives, and when only not all men lie;

     Peace in her vineyard—yes!?-but a company forges the wine.

     And the vitriol madness flushes up in the ruffian's head,

     Till the filthy by-lane rings to the yell of the trampled wife,

     While chalk and alum and plaster are sold to the poor for bread,

     And the spirit of murder works in the very means of life.

(...)

La veine dramatique de Tennyson n'est nulle part aussi vivante et évocatrice que dans ce poème, où l'on a noté l`analyse psychologique particulièrement poussée des états d'âme du héros, un accent énergique dont le poète n`est pas coutumier et le lyrisme de certains chants d`amour, parmi les plus beaux que le poète ait composés. Maud démontre la façon étonnante dont le vers de Tennyson peut épouser le sujet, soulignant toutes les nuances du thème par des modulations délicates et d'imperceptibles changements de ton. 

Le poème provoqua une tempête de protestation, beaucoup furent choqués par la morbidité et l’hystérie du poème et par le bellicisme du héros. Il contient néanmoins certains des passages les plus lyriques de Tennyson, et c`est dans ce poème que se trouve le passage célèbre. souvent cité : (XXII), "Maud, viens au jardin" (Come into the garden, Maud) ...

 

Come into the garden, Maud,

      For the black bat, night, has flown,

Come into the garden, Maud,

      I am here at the gate alone;

And the woodbine spices are wafted abroad,

      And the musk of the rose is blown.

   For a breeze of morning moves,

      And the planet of Love is on high,

Beginning to faint in the light that she loves

      In a bed of daffodil sky,

To faint in the light of the sun she loves,

      To faint in his light, and to die.

   All night have the roses heard

      The flute, violin, bassoon;

All night has the casement jessamine stirr'd

      To the dancers dancing in tune;

Till a silence fell with the waking bird,

      And a hush with the setting moon.

   I said to the lily, "There is but one

      With whom she has heart to be gay.

When will the dancers leave her alone?

      She is weary of dance and play."

Now half to the setting moon are gone,

      And half to the rising day;

Low on the sand and loud on the stone

      The last wheel echoes away.

 

I said to the rose, "The brief night goes

      In babble and revel and wine.

O young lord-lover, what sighs are those,

      For one that will never be thine?

But mine, but mine," so I sware to the rose,

      "For ever and ever, mine."

   And the soul of the rose went into my blood,

      As the music clash'd in the hall;

And long by the garden lake I stood,

      For I heard your rivulet fall

From the lake to the meadow and on to the wood,

      Our wood, that is dearer than all;

   From the meadow your walks have left so sweet

      That whenever a March-wind sighs

He sets the jewel-print of your feet

      In violets blue as your eyes,

To the woody hollows in which we meet

      And the valleys of Paradise.

The slender acacia would not shake

      One long milk-bloom on the tree;

The white lake-blossom fell into the lake

      As the pimpernel dozed on the lea;

But the rose was awake all night for your sake,

      Knowing your promise to me;

The lilies and roses were all awake,

      They sigh'd for the dawn and thee.

(....)



"Enoch Arden" (1864)

Célèbre poème de Alfred Tennyson - Dans un port de la côte orientale d'Angleterre, trois enfants jouent sur une plage : Enoch Arden, Philip Ray et Annie Lee. Au cours de leurs jeux, Annie est l'épouse tantôt de l'un, tantôt de l'autre. Puis le jeu devient une réalité. Un jour, Enoch et Annie se marient ; de son côté, Philip, très amoureux lui aussi d'Annie, en ressent une profonde douleur. Après sept années passées dans le bonheur et la tranquillité, voici que la maladie et la pauvreté font leur apparition; pour redonner le bien-être à sa chère famille, Enoch s'embarque en qualité de maître d'équipage sur un bateau en partance pour la Chine. Au cours du voyage de retour, le bateau coule; Enoch se sauve sur une île déserte des tropiques, où il vit de longues années dans une solitude complète. Enfin, il parvient à regagner la terre natale. Mais, aussitôt arrivé, il apprend qu'Annie s'est remariée avec Philip : celui-ci, dévoué, fidèle et affectueux, a toujours aidé la jeune femme et ses enfants alors qu'ils étaient dans la misère. Enoch décide de ne pas dévoiler son identité, afin de ne pas briser la paix d'Annie. Il continue à vivre dans le village, travaillant humblement parmi les pêcheurs, et ce n'est qu'une année après, sur son lit de mort, qu'il révèle à l'aubergiste chez laquelle il loge qu'il s'appelle Enoch Arden. Il la prie de dire à sa femme et à ses enfants, mais seulement après sa mort, comment il a rendu son dernier soupir, en les bénissant et en les aimant toujours....

 

Long lines of cliff breaking have left a chasm;

And in the chasm are foam and yellow sands;

Beyond, red roofs about a narrow wharf

In cluster; then a moulder'd church; and higher

A long street climbs to one tall-tower'd mill;

And high in heaven behind it a gray down

With Danish barrows; and a hazelwood,

By autumn nutters haunted, flourishes

Green in a cuplike hollow of the down.

 

  Here on this beach a hundred years ago,

Three children of three houses, Annie Lee,

The prettiest little damsel in the port,

And Philip Ray the miller's only son,

And Enoch Arden, a rough sailor's lad

Made orphan by a winter shipwreck, play'd

Among the waste and lumber of the shore,

Hard coils of cordage, swarthy fishing-nets,

Anchors of rusty fluke, and boats updrawn,

And built their castles of dissolving sand

To watch them overflow'd, or following up

And flying the white breaker, daily left

The little footprint daily wash'd away.

 

  A narrow cave ran in beneath the cliff:

In this the children play'd at keeping house.

Enoch was host one day, Philip the next,

While Annie still was mistress; but at times

Enoch would hold possession for a week:

`This is my house and this my little wife.'

`Mine too' said Philip `turn and turn about:'

When, if they quarrell'd, Enoch stronger-made

Was master: then would Philip, his blue eyes

All flooded with the helpless wrath of tears,

Shriek out `I hate you, Enoch,' and at this

The little wife would weep for company,

And pray them not to quarrel for her sake,

And say she would be little wife to both.

 

But when the dawn of rosy childhood past,

And the new warmth of life's ascending sun

Was felt by either, either fixt his heart

On that one girl; and Enoch spoke his love,

But Philip loved in silence; and the girl

Seem'd kinder unto Philip than to him;

But she loved Enoch; tho' she knew it not,

And would if ask'd deny it.  Enoch set

A purpose evermore before his eyes,

To hoard all savings to the uttermost,

To purchase his own boat, and make a home

For Annie: and so prosper'd that at last

A luckier or a bolder fisherman,

A carefuller in peril, did not breathe

For leagues along that breaker-beaten coast

Than Enoch.  Likewise had he served a year

On board a merchantman, and made himself

Full sailor; and he thrice had pluck'd a life

From the dread sweep of the down-streaming seas:

And all me look'd upon him favorably:

And ere he touch'd his one-and-twentieth May

He purchased his own boat, and made a home

For Annie, neat and nestlike, halfway up

The narrow street that clamber'd toward the mill.

 

  Then, on a golden autumn eventide,

The younger people making holiday,

With bag and sack and basket, great and small,

Went nutting to the hazels.  Philip stay'd

(His father lying sick and needing him)

An hour behind; but as he climb'd the hill,

Just where the prone edge of the wood began

To feather toward the hollow, saw the pair,

Enoch and Annie, sitting hand-in-hand,

His large gray eyes and weather-beaten face

All-kindled by a still and sacred fire,

That burn'd as on an altar.  Philip look'd,

And in their eyes and faces read his doom;

Then, as their faces drew together, groan'd,

And slipt aside, and like a wounded life

Crept down into the hollows of the wood;

There, while the rest were loud in merrymaking,

Had his dark hour unseen, and rose and past

Bearing a lifelong hunger in his heart.

(...)


Dans certaines légendes saxonnes et bretonnes, la solitaire Pénélope, après avoir vainement attendu, se marie une deuxième fois. Son mari revient et réclame de vive voix ses droits. Enoch, lui, par contre, ne réclame rien. Tennyson a préféré cette conclusion pathétique, aboutissant au renoncement. Le récit se déroule simplement dans la mélodie du "vers blanc" (pentamètre non rimé à rythme îambique), le mètre des drames élisabéthains et du "Paradis perdu" de Milton. L'art du poète est une réussite, surtout dans les descriptions. Il peint le merveilleux contraste entre la nature exubérante des tropiques et la vision de la patrie nordique et lointaine, évoquée par le pauvre marin naufragé. Ce poème fut traduit en latin et en sept langues européennes ...  


"The Idylls of the King" (Les Idylles du Roi, 1859-1885)

" I am half sick of shadows" said The Lady of Shalott.
Série de poèmes narratifs basés entièrement sur le Roi Arthur et la Légende arthurienne. Il y reprend sa célèbre "The Lady of Shalott", l'histoire d'une princesse qui ne peut être vue du monde, hormis à travers le reflet d'un miroir : un jour, pourtant, elle se laisse gagner par le désir d'apercevoir Lancelot, mais brise son miroir et n'est plus que ce corps à jamais inerte dérivant au gré du courant sur une barque vers Camelot. Quelque part, le Dame de Shalott, en quittant le monde de l'illusion pour s'abandonner à la réalité de son désir, rencontre son destin...

(John William Waterhouse The Lady of Shalott - Tate, London 1888)

On either side the river lie
Long fields of barley and of rye,
That clothe the wold and meet the sky;
And thro' the field the road runs by
To many-tower'd Camelot;
And up and down the people go,
Gazing where the lilies blow
Round an island there below,
The island of Shalott.
Willows whiten, aspens quiver,
Little breezes dusk and shiver
Thro' the wave that runs for ever
By the island in the river
Flowing down to Camelot.
Four gray walls, and four gray towers,
Overlook a space of flowers,
And the silent isle imbowers
The Lady of Shalott.
By the margin, willow-veil'd
Slide the heavy barges trail'd
By slow horses; and unhail'd
The shallop flitteth silken-sail'd
Skimming down to Camelot:
But who hath seen her wave her hand?
Or at the casement seen her stand?
Or is she known in all the land,
The Lady of Shalott?
Only reapers, reaping early
In among the bearded barley,
Hear a song that echoes cheerly
From the river winding clearly,
Down to tower'd Camelot:
And by the moon the reaper weary,
Piling sheaves in uplands airy,
Listening, whispers "'Tis the fairy
Lady of Shalott".(...)

De chaque côté de la rivière s'étendent
De longs champs d'orge et de seigle,
Qui couvrent les plateaux et rejoignent le ciel ;
Et à travers les champs la route mène
Au très imposant Camelot ;
Et les gens vont et viennent,
Regardant où poussent les lys
Autour d'une île là en bas,
L'île de Shalott
Saules blanchis, trembles frissonnants,
Petite brise, obscurité et frisson
A travers l'onde qui passe pour toujours
Près de l'île dans la rivière
Coulant vers Camelot.
Quatre murs gris et quatre tours grises
S'ouvrent sur un espace de fleurs,
Et l'île silencieuse garde dans sa chaumière
La dame de Shalott
Seuls les moissonneurs fauchant de bonne heure,
Une partie de l'orge produit,
Entendent une chanson qui fait écho joyeusement
Venant clairement de la rivière
En bas, vers l'imposant Camelot ;
Et près de la lune le moissonneur épuisé,
Entassant les bottes de céréales sur les hauteurs dégagées,
Ecoutant, murmure : c'est la fée
La Dame de ShalottLà, elle tisse de nuit et de jour
Un tissu magique aux couleurs éclatantes,
Elle a entendu une rumeur dire
Qu'une malédiction s'abattrait sur elle si elle restait
A regarder en bas vers Camelot.
Elle ne sait pas ce que peut être la malédiction
Et alors, elle tisse encore plus,
Et pense rarement à autre-chose,
La Dame de Shalott.


Part II

 

No time hath she to sport and play:

A charmed web she weaves alway.

A curse is on her, if she stay

Her weaving, either night or day,

       To look down to Camelot.

She knows not what the curse may be;

Therefore she weaveth steadily,

Therefore no other care hath she,

       The Lady of Shalott.

 

She lives with little joy or fear.

Over the water, running near,

The sheepbell tinkles in her ear.

Before her hangs a mirror clear,

       Reflecting tower'd Camelot.

And as the mazy web she whirls,

She sees the surly village churls,

And the red cloaks of market girls

       Pass onward from Shalott.

 

Sometimes a troop of damsels glad,

An abbot on an ambling pad,

Sometimes a curly shepherd lad,

Or long-hair'd page in crimson clad,

       Goes by to tower'd Camelot:

And sometimes thro' the mirror blue

The knights come riding two and two:

She hath no loyal knight and true,

       The Lady of Shalott.

 

But in her web she still delights

To weave the mirror's magic sights,

For often thro' the silent nights

A funeral, with plumes and lights

       And music, came from Camelot:

Or when the moon was overhead

Came two young lovers lately wed;

'I am half sick of shadows,' said

       The Lady of Shalott.

Part III

 

A bow-shot from her bower-eaves,

He rode between the barley-sheaves,

The sun came dazzling thro' the leaves,

And flam'd upon the brazen greaves

       Of bold Sir Lancelot.

A red-cross knight for ever kneel'd

To a lady in his shield,

That sparkled on the yellow field,

       Beside remote Shalott.

 

The gemmy bridle glitter'd free,

Like to some branch of stars we see

Hung in the golden Galaxy.

The bridle bells rang merrily

       As he rode down from Camelot:

And from his blazon'd baldric slung

A mighty silver bugle hung,

And as he rode his armour rung,

       Beside remote Shalott.

 

All in the blue unclouded weather

Thick-jewell'd shone the saddle-leather,

The helmet and the helmet-feather

Burn'd like one burning flame together,

       As he rode down from Camelot.

As often thro' the purple night,

Below the starry clusters bright,

Some bearded meteor, trailing light,

       Moves over green Shalott.

 

His broad clear brow in sunlight glow'd;

On burnish'd hooves his war-horse trode;

From underneath his helmet flow'd

His coal-black curls as on he rode,

       As he rode down from Camelot.

From the bank and from the river

He flash'd into the crystal mirror,

'Tirra lirra, tirra lirra:'

       Sang Sir Lancelot.

 

She left the web, she left the loom

She made three paces thro' the room

She saw the water-flower bloom,

She saw the helmet and the plume,

       She look'd down to Camelot.

Out flew the web and floated wide;

The mirror crack'd from side to side;

'The curse is come upon me,' cried

       The Lady of Shalott.

(....)

 



Les "Idylles" ne furent pas écrites dans l'ordre des événements qu'elles relatent, mais au gré de l'inspiration du poète. Un premier fragment, "Mort d'Arthur", fut publié (avec d`autres poésies) en 1842. En 1859 parurent, publiés sous le titre "Idylls of the King", quatre petits poèmes : "Enid", "Vivien" , "Elaine", "Guinevere". Puis, plus tard, en 1869, s'ajoutèrent encore à la série, "Le Saint-Graal" (Holy Grail), "La Venue d'Arthur" (The Coming of Arthur), "Pelleas et Ettarre", "Le Passage d'Arthur" (The Passing of Arthur). En 1872 parurent de plus, "Le Dernier Tournoi" (The Last Tournament) et "Gareth et Lynette". La série est enfin complétée par "Balín et Balan", publiée en 1885. Toutes contiennent des épisodes de la légende du roi Arthur et de ses chevaliers. Le roi Arthur représente ici l'homme idéal qui groupe autour de lui les chevaliers de la Table ronde, c'est-à-dire les puissances de l'esprit et du corps qui jurent de servir Jésus-Christ et le roi, de redresser les torts et de protéger la femme. Mais dès la nouvelle de la faute de Guenièvre, l'organisation du royaume commence à s'affaiblir. Les chevaliers perdent la foi qu'ils avaient placée dans les hommes et dans leur propre mission. La recherche vaine du Saint-Graal les disperse dans le monde. Mais ce drame de l'échec du meilleur d'entre les hommes par la faute du péché n'aura pas été vain. Arthur pourra remporter la victoire à condition de perdre tous ses biens terrestres. C`est là, dans son ensemble, l'allégorie des Idylles. Elle en constitue le fonds commun.

Les Idylles du roi sont sans doute l'œuvre la plus vaste entreprise par Tennyson. Elles remportèrent un grand succès auprès de ses contemporains et ce d'autant plus que le cycle est bien dans l`esprit de l'art victorien, et qu'en traçant le type du souvenir i le poète eut indirectement l'intention de célébrer le prince consort Albert. Mais pour beaucoup, on ne peut les compter parmi les meilleures pages de Tennyson. Bien que l'art de l'écrivain n'ait jamais atteint une pareille perfection, les épisodes par trop ajustés de cette épopée moralisante en réduisent la résonance artistique ...