William Makepeace Thackeray (1811-1863), "The Memoirs of Barry Lyndon" (1844), "The Book of Snobs" (1846-1847), "Vanity Fair" (1847-1848), "The History of Pendennis" (1848-1850), "The History of Henry Esmond" (1852), "The Newcomes" (1853-1855) - ......
Last update 12/18/2016
La première édition de" Vanity Fair", "A Weekly Show of Political, Social, and Literary Wares", paraît à Londres le 7 novembre 1868, à l'initiative de
Thomas Gibson Bowles : le titre s'inspire du célèbre roman de William Makepeace Thackeray, "La Foire aux vanités", publié la première fois en 1846-1847 dans Punch, et entend dénoncer, par la
caricature, la vanité de ces personnages, membres de la famille royale, de l'église anglicane, ou du parlement britannique, aristocrates, écrivains, artistes, qui peuplent alors une société
victorienne qui tentent à tout prix de sauver les apparences. L'hebdomadaire satirique cessera toute publication en 1914.
Sous l'imperturbable posture des convenances, écrivains irlandais et britanniques se livrent une satire de la société victorienne, empruntant les
chemins des "novels of the big house" de la société anglo-irlandaise, du roman gothique et de ses terreurs , du "sensational novel" dans un Londres obscur qui se complexifie, de ses analyses
détaillées scrutant les moeurs feutrées de la vie provinciale, de ces "books of nonsense" ou de cette littérature enfantine aux interprétations multiples ..
“... Life is a mirror: if you frown at it, it frowns back; if you smile, it returns the greeting....”
Donné comme grand rival de Dickens, submergé par l'oubli du temps et pourtant écrivain si mordant et sans concession, William Makepeace Thackeray, enfant de l'ère impériale britannique, naquit à Calcutta où son père travaillait dans la East India Company. ll retourna en Angleterre en 1817. ll écrivit pendant plusieurs années des articles pour des magazines, puis publia, en 1847-1848, tout d'abord sous forme de feuilleton, son premier roman important, "Vanity Fair" (La Foire aux vanités), une satire caustique de la corruption galopante au sommet de la société. Son histoire relate la tentative de Becky Sharp, son héroïne intelligente, attrayante et pleine de ressources, de suivre sa voie dans une société dont toutes les règles lui sont défavorables....
"Becky Sharp refuse la demande de mariage de Sir Pitt Crawley, parce qu'elle vient juste d'épouser son fils" (La Foire aux vanités)
William Makepeace Thackeray (1811-1863)
Né à Alipur (faubourg de Calcutta), dans une famille aisée, William Makepeace eut pour père, selon une tradition familiale, un homme qui était allé faire fortune dans la Compagnie des Indes orientales et mourut lorsque son fils n'avait que quatre ans. Sa mère épousa en 1818 un major du génie de Bengale, Henri Carmichael Srnyth; elle revint en Angleterre avec son mari en 1821 et s'installa d'abord à Addiscomb, puis à Ottery St. Mary où son fils la rejoignit. Thackeray réalisa en Angleterre un parcours scolaire et universitaire sans diplôme : ce garçon doux et myope, inapte aux sports, était la victime désignée au collège de Charleston (1822-1829) de camarades robustes et brutaux. Il eut le nez cassé dans une mêlée et fut défiguré pour le restant de ses jours, ce qui augmenta sa susceptibilité déjà excessive. ll s'imaginait avoir un physique ridicule et son ton sarcastique est sans doute dû à une réaction de défense (cf. The Newcomes or The Roundabout Papers). A Cambridge, il collabora au Snob, journal de l'université, dans lequel il fit paraître des vers et des dessins humoristiques. Il se nourrit de Swift, Sterne, Addison, Steele, Pope et Goldsmith. Il passa les vacances de 1829 à Paris et celles de 1830 à Cologne et à Weimar où il rencontra Goethe et apprit à admirer Schiller. Thackeray avait pense s'orienter vers la diplomatie, mais il se décida pour le barreau. Il commença son droit en 1831, mais en 1832, quand il entra en possession de l'héritage paternel, il acheta et dirigea le National Standard and Journal of Literature, auquel il collabora avec des lettres de Paris. Il s'essaya aussi à la peinture, mais sans succès. Son journal cessa de paraitre en février 1834; Thackeray était ruiné, il fut obligé de vivre de ses talents de journaliste et de caricaturiste de 1834 à 1837. En 1836, parut son premier volume Flore et Zéphyr, illustré de lithographies satiriques. Il devint ensuite le correspondant parisien du Constitutíonal, journal ultralibéral que son beau-père avait contribué à fonder. Comptant sur son traitement, il épousa, Isabelle Getkin Creangh Shaw, mais le journal fit faillite un mois plus tard et Thackeray se mit en devoir de payer les dettes de cette désastreuse affaire : il ne réussira à se libérer que grâce à La Foire aux Vanítés, car ses premières œuvres ne se vendirent pas bien. Pour comble de malheur, sa femme devint folle après avoir donné le jour à une troisième fille. Il la conduisit à Paris, puis en Allemagne, mais elle ne guérit jamais et vécut jusqu'en 1894. Thackeray dut se séparer d'elle et confier ses filles à leurs grands-parents. Il vécut désormais de sa plume, en collaborant à des revues et à des journaux auxquels il donnait, sous divers pseudonymes, des articles de critiques et de variétés, des esquisses et des romans. Ses esquisses du Punch de 1846 eurent un grand succès et furent réimprimées en 1848 sous le titre, The Snobs of England by one of Themselves.
Il contribue au journal satirique Punch de 1842 à 1854, dans lequel il publie son premier succès, "The Book of Snobs" (1846-7). Ses grands romans sont écrits dans les années 1840 : "Vanity Fair" (1847-48), "Pendennis" (1849-50), "The History of Henry Esmond" (1852), "The Newcomes" (1853-55), des romans de mœurs contemporaines et des romans historiques, "The Virginians" (1857-59).
Le réalisme de Thackeray fut souvent opposé à celui de Dickens, mais le surpasse par la férocité avec laquelle il met en scène des personnages sans scrupule, arriviste ou égoïste. Le satiriste qui ridiculise tant la bêtise humaine utilise un humour décapant pour restituer tout le sel de l'absurdité de la société victorienne. Comme Dickens, Thackeray entreprit des tournées de conférences en Angleterre et en Amérique (1852-53 et 1855-56) pour pouvoir doter ses filles ...
"The Memoirs of Barry Lyndon, Esquire, by himself" (1844)
Son premier roman, "Mémoíres de Barry Lyndon du royaume d'Irlande", constitue une réaction pleine d'humour contre les descriptions romantiques d'existences tarées dont abondaient les œuvres de romanciers qui, comme Bulwer-Lytton, se prétendaient les continuateurs de Byron ; mais cette œuvre préfigurait également ses propres romans. Pourtant, publié d'abord sous le titre "The Luck of Barry Lyndon" en série dans le Fraser Magazine, ce fut un roman queThackeray eut de grandes difficultés à composer et dont il fut au final peu satisfait. Heureusement, les critiques modernes ont vu Barry Lyndon sous un jour beaucoup plus favorable que les contemporains de Thackeray, et même Thackeray lui-même : aujourd’hui, il est considéré par certains critiques comme l’une de ses meilleures œuvres...
"The Book of Snobs"
(William Makepeace Thackeray, Le Livre des snobs, 1846-1847)
"Il existe une affreuse maladie du siècle qui s'appelle : snobisme de l'âme. Le germe s'en est développé dans la culture moderne avec virulence, depuis que
le bacille en a été isolé, voici soixante ans par Thackeray. C'est à lui que le vocabulaire anglais est redevable du mot "snob"." (Rudyard Kipling) - Le Livre des Snobs fut publié en 1848.
Thackeray y entreprend la critique de la société de son temps, dont il fustige le défaut principal, le "snobisme". Le snobisme consiste à vouloir paraître plus que ce qu'on est, à rechercher les
honneurs de plus haut placé que soi au prix de tous les avilissements, à tout faire pour plaire et impressionner, dénaturant ainsi les relations humaines au point d'en faire un enjeu de pouvoir
permanent dont tout sentiment et toute affection sincère sont exclus...
Chap. I. Où l’on s’amuse et rit à l’endroit des Snobs - Chap.II. Le Snob royal - Chap. III. Des influences aristocratiques sur le Snob - Chap. IV. Nouvelles de la cour; leur influence sur les Snobs - Chap. V. Ce que les Snobs admirent - Chap. VI. De quelques Snobs de haute volée - Chap. VII. Continuation du même sujet - Chap. VIII. Les Snobs de la Cité - Chap. IX. Les Snobs militaires - Chap. X. Encore les Snobs militaires - Chap. XI. Les Snobs du clergé - Chap. XII. Des Snobs du clergé et de leur Snoberie - Chap. XIII. Toujours les Snobs ecclésiastiques - Chap. XIV. Les Snobs universitaires. - Chap. XV. Encore les Snobs universitaires - Chap. XVI. Le Snobisme et les gens de lettres - Chap. XVII. De quelques Snobliots irlandais - Chap. XYIII. Des Snobs qui donnent à dîner - Chap. XIX. Les Snobs à table - Chap. XX. Où l’on voit encore de plus près les Snobs à table - Chap. XXI. Les Snobs voyageurs - Chap. XXII. Considérations générales sur les Snobs voyageurs - Chap.XXIII. Les Snobs anglais sur le continent - Chap. XXIV. Les Snobs des champs - Chap. XXV. Vue prise sur les Snobs des champs - Chap. XXVI. Les Snobs des champs dans leur intérieur - Chap. XXVII. Autre catégorie de Snobs des champs. - Chap. XXVllI, Plaisirs et déplaisirs des Snobs des champs - Chap. XXIX. Gala chez les Snobs des champs - Chap. XXX. Bonsoir aux Snobs des champs - Chap. XXXI. Salmigondis. - Chap. XXXII. Les Snobs dans le mariage - Chap. XXXIII. Les Snobs en ménage - Chap. XXXIV. Suite du même sujet - Chap. XXXV. De ceux qui deviennent Snobs au lieu de devenir maris - Chap. XXXVI. Les Snobs au club - Chap. XXXYII. Revue générale des Snobs de club - Chap. XXXVIII. Les Snobs de club au jeu et sur le turf. - Chap. XXXIX. Un Snob de club amoureux - Chap. XL. Les Snobs de club considérés comme hydrophobes et carnivores - Chap. XLI. Un petit drame à propos des Snobs de club - Chap. XLII. Une visite au club des Sarcophages. - Chap. XLIII. Crimes et conversion d’un Snob de club - Chapitre final - .
"Now let us consider how difficult it is even for great men to escape from being Snobs. It is very well for the reader, whose fine feelings are
disgusted by the assertion that Kings, Princes, Lords, are Snobs, to say ‘You are confessedly a Snob yourself. In professing to depict Snobs, it is only your own ugly mug which you are copying
with a Narcissus-like conceit and fatuity.’ But I shall pardon this explosion of ill-temper on the part of my constant reader, reflecting upon the misfortune of his birth and country. It is
impossible for ANY Briton, perhaps, not to be a Snob in some degree. If people can be convinced of this fact, an immense point is gained, surely. If I have pointed out the disease, let us hope
that other scientific characters may discover the remedy.
If you, who are a person of the middle ranks of life, are a Snob,—you whom nobody flatters particularly; you who have no toadies; you whom no cringing
flunkeys or shopmen bow out of doors; you whom the policeman tells to move on; you who are jostled in the crowd of this world, and amongst the Snobs our brethren: consider how much harder it is
for a man to escape who has not your advantages, and is all his life long subject to adulation; the butt of meanness; consider how difficult it is for the Snobs’ idol not to be a
Snob."
"Nous allons voir maintenant combien il est difficile, même aux mortels du plus haut rang, d'échapper aux influences du Snobisme. Je vois déjà d'ici le
lecteur, dont j'ai froissé les nobles instincts en affirmant que rois, princes et lords sont atteints de Snobisme, s'écrier tout en courroux « Mais vous qui parlez, qui êtes-vous
donc? oserez-vous nier que vous soyez un Snob ? et en annonçant bien haut que vous allez faire le portrait des Snobs,
n'est-ce pas votre vilain museau que vous nous donnez en peinture, avec toute la fatuité et la prétention d'un autre Narcisse? »
Mais je pardonne à mon aimable lecteur cette boutade de mauvaise humeur ce n'est point sa faute si un astre contraire l'a fait naître dans ce pays or,
il n'est pas possible à un sujet des États britanniques de n'être pas quelque peu Snob, sauf la gradation du plus au moins. Si l'on pouvait bien se pénétrer de cette importante vérité, ce serait
là un grand point de gagné. J'ai signalé le foyer du mal, espérons que quelque homme de science saura découvrir le remède.
Si vous n'avez pu vous soustraire au Snobisme, vous qui êtes placés dans les couches intermédiaires de la société vous que personne n'a mission de
flatter, qui n'avez point de courtisans en titre vous dont la porte n'est point sans cesse assiégée par une valetaille abjecte et
servile, ou par un monde à l'échine 'flexible; vous que les agents de police apostrophent sans plus de façon pour vous dire de
circuler; vous enfin qui vous trouvez confondus et poussés dans la foule au milieu des autres Snobs vos frères: comment, je vous
prie, pourrait s'en défendre un homme qui n'a pas tous ces avantages, dont toute la vie n'est qu'une longue suite d'adulations, qu'on a fait l'idole d'un fétichisme qui ne se lasse point? Comment
voulez-vous que cette divinité 'des Snobs ne finisse pas par être aussi Snob que ceux qui l'adorent?
(CHAPITRE VIII - Les Snobs de la Cité).
"Par ordre hiérarchique, place maintenant aux Snobs de la Cité! et ils méritent toute notre attention. Mais ici se présente une difficulté : le Snob de la Cité est en général peu accessible. Si vous n’êtes un riche capitaliste, perdez tout espoir de pénétrer dans le sanctuaire mystérieux de sa banque de Lombard-Street; et si vous ne tenez point par quelque bout à la noblesse, vous tenteriez en vain d’être admis dans sa demeure. Les maisons de commerce des Snobs de la Cité peuvent se décomposer de la manière suivante : un des associés a son nom au bas de toutes les listes de bienfaisance, et il fréquente Exeter-Hall; le second associé est un Snob qui vise à la science : vous le rencontrerez aux soirées de lord N... ou aux séances de l’Institut britannique; le troisième associé est en général un Snob qui se pique de goût : il suit les ventes de tableaux, va aux expositions les jours réservés, et se montre assidu aux réunions des sociétés scientifiques. Mais le plus ordinairement il est impossible d'établir des rapports intimes avec des personnages aussi graves, aussi majestueux et aussi imposants.
Il n’est pas de table à laquelle un honnête homme ne puisse à un jour donné avoir son couvert mis. Il sera invité à la campagne de milord duc; il pourra même danser un quadrille à Buckingham-Palace; et, à ce propos, vous sou-venez-vous, chère lady Vilhelmine Wagglewiggle, de l’effet que nous fîmes au bal donné par notre dernière souveraine, notre bien-aimée reine Caroline, à l’hôtel de Brandebourg dans Hammersmilh? Mais la porte des Snobs de la Cité reste hermétiquement fermée, et si l’on parvient à savoir quelque chose de cette classe importante de notre nation, c’est en grande partie par une sorte de rumeur publique.
Dans les autres contrées de l’Europe, le Snob banquier est plus sociable et plus communicatif que chez nous. Sa maison s’ouvre à tout le monde. Qui n’a entendu parler, par exemple, de l'hospitalité princière que l’on reçoit dans la maison des Scarlatchild de Paris, de Naples et de Francfort? Les plus pauvres comme les plus riches sont admis à ses fêtes splendides. Le prince Polonia à Rome et le duc de Strachino méritent aussi une mention honorable pour le bon accueil qu'ils savent faire.
Voici un trait de caractère du premier de ces deux personnages qui me plait beaucoup. Les titres ne coûtant pas très-cher dans les Etats romains, il a fait un marquis de son premier commis de banque; cela n’empêchera pas Sa Seigneurie de vous soutirer un bajoco , lorsque vous viendrez changer des billets chez elle, avec autant d’adresse que le dernier de ses commis. Il est vraiment fort agréable de procurer tant de plaisir à ces grands personnages pour la modique somme d’un liard ou deux. Le plus pauvre se trouve ainsi à même de leur faire du bien! Les Polonia ont contracté des alliances avec les plus anciennes et les plus illustres familles de Rome. Vous pouvez voir leurs armes, un moucheron d’or sur champ d’azur, écartelées en mille endroits de la ville sur les écussons des Golonna et des Doria.
Nos Snobs de la Cité partagent aussi cette manie des mariages aristocratiques, et c’est là un spectacle qui me réjouit fort. Ma nature misanthropique et jalouse me fait trouver un sauvage plaisir à voir ces charlatans d’espèces diverses se partager dans ce royaume la souveraine puissance, tout en se détestant du fond du cœur et ne consentant à une trêve passagère que dans des vues sordides et intéressées.
J’aime à voir ce vieil aristocrate tout gonflé de l’orgueil de sa race, digne rejeton de quelque illustre pirate normand. dont le sang est resté pur pendant une longue suite de générations, et qui a autant de mépris au service de ses concitoyens de l’Angleterre, qu'un libre enfant de l’Amérique en éprouve pour un esclave noir ; j’aime à voir, dis-je, le vieux Stiffneck obligé de courber la tête, de dévorer son infernal orgueil et d’épuiser jusqu’à la lie la coupe d'humiliation que lui présente le sommelier de Pump et Aldegote....
"Vanity Fair"
(William Makepeace Thackeray, La Foire aux vanités, 1847-1848)
Dans "Vanity Fair", l'un des plus grands romans anglais du XIXe siècle, Thackeray dénonce avec ironie les hypocrisies et les turpitudes de la vie sociale à
travers les exploits de la sulfureuse et calculatrice Rebecca Sharp que tout oppose à son amie, Amélia Sedley, fragile et douce jeune femme issue d'une famille bourgeoise aisée. Alors qu'Amélia
est promise à son cousin George Osborne, Rebecca entend se faire une place dans la haute société anglaise et épouse un riche héritier. La bataille de Waterloo et la mobilisation de son mari vont
bouleverser la vie d'Amélia tandis que la roue tourne pour Rebecca ....
"If Miss Rebecca Sharp had determined in her heart upon making the conquest of this big beau, I don't think, ladies, we have any right to blame her; for though the task of husband-hunting is generally, and with becoming modesty, entrusted by young persons to their mammas, recollect that Miss Sharp had no kind parent to arrange these delicate matters for her, and that if she did not get a husband for herself, there was no one else in the wide world who would take the trouble off her hands. What causes young people to "come out," but the noble ambition of matrimony? What sends them trooping to watering-places? What keeps them dancing till five o'clock in the morning through a whole mortal season? What causes them to labour at pianoforte sonatas, and to learn four songs from a fashionable master at a guinea a lesson, and to play the harp if they have handsome arms and neat elbows, and to wear Lincoln Green toxophilite hats and feathers, but that they may bring down some "desirable" young man with those killing bows and arrows of theirs?
"Que miss Sharp ait résolu au fond de son coeur de faire la conquête de ce gros et gras garçon, nous n’avons, mesdames, aucun droit de l’en blâmer. Car, si le soin de la chasse aux maris est généralement, par un sentiment de modestie très-louable, départi par les jeunes filles à la sagesse de leurs mères, il faut se souvenir que miss Sharp n’avait nul parent d’aucun genre pour entrer à sa place dans ces négociations délicates. Si donc elle ne cherchait un mari pour son propre compte, il y avait peu de chance qu’elle trouvât, dans tout l’univers, quelqu’un qui s’en occupât pour elle. Qu’est-ce qui engage toute notre belle jeunesse à aller dans le monde, si ce n’est la noble ambition du mariage ? Qu’est-ce qui fait partir toutes ces bandes pour les eaux ? Qu’est-ce qui fait danser jusqu’à cinq heures du matin dans une saison mortelle ? Qu’est-ce qui fait travailler les sonates au piano-forte et apprendre quatre romances d’un maître à la mode, qu’on paye une guinée le cachet ; jouer de la harpe quand on a le bras joli et bien fait, et porter des chapeaux et des fleurs vert Lincoln, si ce n’est l’espérance qu’avec tout cet arsenal et ces traits meurtriers on frappera au coeur quelque souhaitable jeune homme ? "
Publié en fascicules de janvier 1847 à juillet 1848, et paru en volume en 1848, la Foire aux Vanités déroule deux intrigues différentes, à peine liées entre elles, et qui vont se développer parallèlement. C'est d`abord la vie el les aventures d`une femme courageuse, d'une rare intelligence. mais peu scrupuleux,. Rebecca (Becky) Sharp. L'autre histoire est celle d'une amie d`école de Rebecca, Amélia Sedley. A sa sortie du collège, Becky vient passer quelques semaines chez les Sedley; elle essaie de séduire Joe, le frère d`Amélia. Becky est pauvre, elle doit gagner sa vie elle-même ; cependant elle adore l`argent et les possibilités qu'il offre; c`est pourquoi, bien que Joe soit un être méprisable, ivrogne et lâche. elle fait tout pour le conquérir; elle y réussirait si le fiancé d'Amélia, George Sedley. marquis d`Osborne. n'intervenait pour empêcher Joe de se déclarer. Becky entre alors comme gouvernante chez sir Pitt Crawley où elle arrive à se faire aimer de tous, même de miss Crawley, la richissime sœur de sir Pitt. Le baron lui-même l'adore et, à la mort de lady Crawley, il lui propose de l`épouser....
"Becky ne tenait pas absolument à mener une vie honnête et irréprochable ; mais ce à quoi elle tenait, c’était à jouir de la considération qui en est la suite et qui ne s’obtient, comme on le sait, dans le grand monde qu’à la condition de s’être fait présenter à la cour en robe traînante avec plumes et diamants. Du moment où le lord chambellan vous a marquée au poinçon de la vertu, vous pouvez être mise en circulation dans le monde comme une femme de bon aloi. Comme ces marchandises mises en quarantaine qu’on ne laisse sortir qu’après les avoir arrosées de vinaigre aromatique, de même il suffit, pour plus d’une femme de réputation équivoque, de traverser l’atmosphère royale pour se trouver par là même purifiée de tout principe délétère et malsain...." (If she did not wish to lead a virtuous life, at least she desired to enjoy a character for virtue, and we know that no lady in the genteel world can possess this desideratum, until she has put on a train and feathers and has been presented to her Sovereign at Court. From that august interview they come out stamped as honest women. The Lord Chamberlain gives them a certificate of virtue. And as dubious goods or letters are passed through an oven at quarantine, sprinkled with aromatic vinegar, and then pronounced clean, many a lady, whose reputation would be doubtful otherwise and liable to give infection, passes through the wholesome ordeal of the Royal presence and issues from it free from all taint", CHAPTER XLVIII)
.... Malheureusement, elle a déjà épousé en secret Rawdon Crawley, fils cadet de sir Pitt et neveu préféré de miss Crawley. Cependant, à la nouvelle de ce mariage, la tante déshérite son neveu, et Becky recommence à lutter pour se procurer à tout prix de l'argent. Tous les moyens lui sont bons pour atteindre son but. Elle passe ainsi d'aventure en aventure, d'intrigue en intrigue, réussissant toujours à se tirer des plus mauvais pas.
Amelia Sedley est l`opposée de Becky: elle est sincère, simple, honnête, un peu sotte. Elle aime de tout son cœur son fiancé George, jeune homme égoïste et léger qui, lorsque le père d`Amélia perd toute sa fortune, est sur le point de rompre ses fiançailles...
" Mais cette pauvre créature avait-elle jamais connu ce que c’était que l’amour-propre ? elle avait pour cela trop de simplicité dans l’âme, trop besoin d’un appui pour la soutenir. Depuis son mariage avec George Osborne, sa part en ce monde avait été la pauvreté, les humiliations, les privations quotidiennes, de dures paroles, un dévouement sans récompense. Il faut bien qu’il y ait des pauvres et des riches, comme disent ceux qui ont pour partage de boire à la coupe du bonheur. Assurément ! mais au moins, sans chercher à sonder les mystères de la justice divine, rappelez-vous qu’en vous faisant naître dans la pourpre et la soie, la Providence vous a commandé la charité pour ceux qui vivent dans les haillons et la misère. Amélia recueillait donc sans se plaindre, et presque avec un sentiment de gratitude, les miettes tombées de la table de son beau-père, et qui lui servaient au moins à nourrir l’auteur de ses jours. Elle avait compris que là était son devoir, et il était dans sa nature de faire de sa vie un perpétuel sacrifice à ceux qu’elle entourait de son affection...." (XXV)
Un de ses collègues, le capitaine Dobbin, admirateur infortuné d'AméIia, l'empêche d'accomplir cette mauvaise action, et le mariage a lieu quand même, malgré l`opposition du vieil Osborne. Mais George est tué à Waterloo. Amélia, désespérée par sa mort, passe de longues années dans la misère la plus noire. repoussant les avances du dévoué Dobbin pour rester fidèle au souvenir de son mari. C`est seulement lorsque Becky lui apprend que George ne méritait pas ce dévouement passionné, qu'elIe se décide enfin, après quinze ans de veuvage, à épouser son fidèle admirateur, devenu le colonel Dobbin.
(CHAPTER 2 - In which Miss Sharp and Miss Sedley prepare to open the Campaign)
"... Miss Sharp’s father was an artist, and in that quality had given lessons of drawing at Miss Pinkerton’s school. He was a clever man; a pleasant companion; a careless student; with a great propensity for running into debt, and a partiality for the tavern. When he was drunk, he used to beat his wife and daughter; and the next morning, with a headache, he would rail at the world for its neglect of his genius, and abuse, with a good deal of cleverness, and sometimes with perfect reason, the fools, his brother painters. As it was with the utmost difficulty that he could keep himself, and as he owed money for a mile round Soho, where he lived, he thought to better his circumstances by marrying a young woman of the French nation, who was by profession an opera-girl. The humble calling of her female parent Miss Sharp never alluded to, but used to state subsequently that the Entrechats were a noble family of Gascony, and took great pride in her descent from them. And curious it is, that as she advanced in life, this young lady’s ancestors increased in rank and splendour.
Le père de miss Sharp était artiste, et, en cette qualité, avait donné des leçons de dessin dans la maison de miss Pinkerton. C’était un habile homme, bon vivant, bien réjoui, mais brouillé avec le travail. Ses plus grandes dispositions étaient à faire des dettes, et son faible le menait toujours à la taverne. Quand il avait bu, il était dans l’usage de battre sa femme et sa fille ; et le lendemain matin, fatigué d’un grand mal de tête, il adressait ses injures à la foule insouciante de son génie, puis décochait ses traits non moins vifs et quelquefois bien ajustés, contre la sottise de ses confrères les peintres. Comme il était fort mal à l’aise pour subvenir à ses besoins, et que, dans Soho où il vivait, il devait de l’argent à un mille à la ronde, il pensa améliorer sa position en épousant une jeune femme, française d’origine et danseuse de profession. Miss Sharp ne parlait jamais de l’humble condition de sa mère ; mais elle vantait beaucoup la noble et illustre famille des Entrechats, originaires de Gascogne, et tirait vanité d’appartenir à de tels ancêtres. Il est bon de constater que, plus elle avançait dans la vie, plus la race de cette jeune dame gagnait en noblesse et en illustration.
Rebecca’s mother had had some education somewhere, and her daughter spoke French with purity and a Parisian accent. It was in those days rather a rare accomplishment, and led to her engagement with the orthodox Miss Pinkerton. For her mother being dead, her father, finding himself not likely to recover, after his third attack of delirium tremens, wrote a manly and pathetic letter to Miss Pinkerton, recommending the orphan child to her protection, and so descended to the grave, after two bailiffs had quarrelled over his corpse. Rebecca was seventeen when she came to Chiswick, and was bound over as an articled pupil; her duties being to talk French, as we have seen; and her privileges to live cost free, and, with a few guineas a year, to gather scraps of knowledge from the professors who attended the school.
La mère de Rebecca avait fait son éducation on ne sait pas bien où, et sa fille parlait le français avec la pureté des Parisiens. C’était à cette époque une qualité précieuse, et qui valut à Rebecca son entrée chez l’austère miss Pinkerton ; car, sa mère étant morte, son père, qui se trouvait lui-même dans un état désespéré, écrivit à miss Pinkerton, après sa troisième attaque de delirium tremens, une lettre pathétique où il mettait l’orpheline sous sa protection. Peu après il descendit dans la tombe, en laissant deux baillis se débattre sur son corps. Rebecca avait dix-sept ans lorsqu’elle vint à Chiswick. On la traita comme une pensionnaire à bourse entière. Elle était tenue de parler français, et jouissait en retour de l’avantage de vivre là sans rien payer ; et même, moyennant une somme modique par an, elle recueillait des professeurs attachés à la maison quelques bribes d’enseignement.
She was small and slight in person; pale, sandy-haired, and with eyes habitually cast down: when they looked up they were very large, odd, and attractive; so attractive that the Reverend Mr Crisp, fresh from Oxford, and curate to the Vicar of Chiswick, the Reverend Mr Flowerdew, fell in love with Miss Sharp; being shot dead by a glance of her eyes which was fired all the way across Chiswick Church from the school-pew to the readingdesk. This infatuated young man used sometimes to take tea with Miss Pinkerton, to whom he had been presented by his mamma, and actually proposed something like marriage in an intercepted note, which the oneeyed apple-woman was charged to deliver. Mrs Crisp was summoned from Buxton, and abruptly carried off her darling boy; but the idea, even, of such an eagle in the Chiswick dovecot caused a great flutter in the breast of Miss Pinkerton, who would have sent away Miss Sharp, but that she was bound to her under a forfeit, and who never could thoroughly believe the young lady’s protestations that she had never exchanged a single word with Mr Crisp, except under her own eyes on the two occasions when she had met him at tea.
Petite de taille, vive de tournure, elle était pâle et avait les cheveux d’un blond rouge. Ses yeux, ordinairement baissés, s’ouvraient si larges lorsqu’ils vous regardaient, et prenaient une expression si singulière et si communicative, que le révérend Mr. Crisp, tout frais sorti d’Oxford et vicaire du ministre de Chiswick, le révérend Flowerdow, s’éprit d’amour pour miss Sharp. Un coup d’œil l’avait frappé à mort dans l’église même de Chiswick, un coup d’œil dirigé du banc des pensionnaires au pupitre de lecture. Notre jeune passionné allait prendre le thé chez miss Pinkerton, à laquelle il avait été présenté par sa maman. Il avait même prononcé le mot de mariage dans un billet intercepté, que la marchande de pommes avait été chargée de remettre. Mistress Crisp, appelée soudainement à Buxton, emmena avec elle son cher fils. Mais l’idée seule qu’un vautour avait pu s’introduire parmi les colombes de Chiswick souleva dans la poitrine de miss Pinkerton un tel flot d’indignation, qu’elle eût renvoyé miss Sharp, si elle n’eût pas été engagée par une parole solennelle. Malgré toutes les protestations de la jeune personne, elle ne put jamais croire que ses entretiens avec Mr. Crisp se fussent bornés à ceux que Rebecca avait eus sous ses yeux en deux occasions, lorsqu’ils s’étaient rencontrés pour prendre le thé.
By the side of many tall and bouncing young ladies in the establishment, Rebecca Sharp looked like a child. But she had the dismal precocity of poverty. Many a dun had she talked to, and turned away from her father’s door; many a tradesman had she coaxed and wheedled into good-humour, and into the granting of one meal more. She sate commonly with her father, who was very proud of her wit, and heard the talk of many of his wild companions – often but ill-suited for a girl to hear. But she never had been a girl, she said; she had been a woman since she was eight years old. O why did Miss Pinkerton let such a dangerous bird into her cage?
Auprès des grandes demoiselles de l’établissement, Rebecca Sharp pouvait passer pour une enfant. Mais elle possédait cette désolante expérience qu’on doit à la pauvreté. Elle avait eu affaire à plus d’un créancier, et avait su l’éloigner de la porte de son père ; elle savait comment enjôler et mettre de bonne humeur les fournisseurs, pour gagner de la sorte un repas de plus. D’ordinaire elle allait festoyer avec son père, qui était très-fier de son esprit, et elle entendait les propos de ses grossiers compagnons, souvent peu convenables pour une jeune fille. Mais elle n’avait jamais été jeune fille, à ce qu’elle disait, et était femme depuis huit ans. Pourquoi miss Pinkerton avait-elle admis un oiseau si dangereux dans sa cage ?
The fact is, the old lady believed Rebecca to be the meekest creature in the world, so admirably, on the occasions when her father brought her to Chiswick, used Rebecca to perform the part of the ingénue; and only a year before the arrangement by which Rebecca had been admitted into her house, and when Rebecca was sixteen years old, Miss Pinkerton majestically, and with a little speech, made her a present of a doll – which was, by the way, the confiscated property of Miss Swindle, discovered surreptitiously nursing it in school hours. How the father and daughter laughed as they trudged home together after the evening party (it was on the occasion of the speeches, when all the professors were invited), and how Miss Pinkerton would have raged had she seen the caricature of herself which the little mimic, Rebecca, managed to make out of her doll. Becky used to go through dialogues with it; it formed the delight of Newman Street, Gerrard Street, and the artists’ quarter: and the young painters, when they came to take their gin-and-water with their lazy, dissolute, clever, jovial senior, used regularly to ask Rebecca if Miss Pinkerton was at home: she was as well known to them, poor soul! as Mr Lawrence or President West. Once Rebecca had the honour to pass a few days at Chiswick; after which she brought back Jemima, and erected another doll as Miss Jemmy; for though that honest creature had made and given her jelly and cake enough for three children, and a seven-shilling piece at parting, the girl’s sense of ridicule was far stronger than her gratitude, and she sacrificed Miss Jemmy quite as pitilessly as her sister.
Le fait est que la vieille dame tenait Rebecca pour la plus douce créature, tant elle avait admirablement joué son rôle d’ingénue toutes les fois que son père l’avait conduite à Chiswick ! C’était à ses yeux une modeste et innocente petite fille. L’année qui précéda celle où elle fut admise dans la maison, elle était alors âgée de seize ans, miss Pinkerton, de son air le plus majestueux, et à la suite d’un petit discours, lui remit en présent une poupée confisquée à miss Swindle, qu’on avait surprise à faire avec elle la dînette pendant les heures de classe. Que de quolibets échangés entre le père et la fille lorsqu’ils rentraient chez eux après une soirée passée chez miss Pinkerton, et surtout au sujet des discours prononcés en présence des professeurs réunis ! Quelle n’eût pas été la colère de cette bonne miss Pinkerton, si elle avait vu comme cette petite grimacière de Rebecca la tournait en caricature à l’aide de sa poupée ! Elle avait avec elle de longs dialogues qui faisaient les délices de NewmanStreet, de Gerard-Street et de tout le quartier des artistes. Les jeunes peintres, en venant prendre leur grog au genièvre chez leur doyen, si bon diable et si paresseux, ne manquaient jamais de demander à Rebecca si miss Pinkerton était à la maison ; elle n’était que trop connue d’eux, la pauvre créature ! Une fois Rebecca eut l’honneur de passer quelques jours à Chiswick ; elle en remporta une Jemima, c’est-à-dire une autre poupée à l’image de miss Jemmy. Et cependant l’honnête fille lui avait donné en confitures et en pâtisseries de quoi régaler trois enfants, et glissé de plus à son départ une pièce de sept schellings. Mais l’esprit railleur de cette enfant était plus fort que la reconnaissance, et elle sacrifia miss Jemmy avec aussi peu de pitié que sa sœur.
The catastrophe came, and she was brought to the Mall as to her home. The rigid formality of the place suffocated her: the prayers and the meals, the lessons and the walks, which were arranged with a conventional regularity, oppressed her almost beyond endurance; and she looked back to the freedom and the beggary of the old studio in Soho with so much regret, that everybody, herself included, fancied she was consumed with grief for her father. She had a little room in the garret, where the maids heard her walking and sobbing at night; but it was with rage, and not with grief. She had not been much of a dissembler, until now her loneliness taught her to feign. She had never mingled in the society of women: her father, reprobate as he was, was a man of talent; his conversation was a thousand times more agreeable to her than the talk of such of her own sex as she now encountered. The pompous vanity of the old schoolmistress, the foolish good-humour of her sister, the silly chat and scandal of the elder girls, and the frigid correctness of the governesses equally annoyed her; and she had no soft maternal heart, this unlucky girl, otherwise the prattle and talk of the younger children, with whose care she was chiefly intrusted, might have soothed and interested her; but she lived among them two years, and not one was sorry that she went away. The gentle, tender-hearted Amelia Sedley was the only person to whom she could attach herself in the least; and who could help attaching herself to Amelia?
Lorsque la mort lui enleva son père, La Mall s’ouvrit pour elle comme une nouvelle famille ; mais les rigides observances de la maison lui étaient insupportables. Les prières et les repas, les leçons et les promenades, qui avaient lieu avec une ponctuelle régularité, la mettaient à bout de patience, et, quand elle se reportait à la vie libre et misérable du vieil atelier de Soho, elle se prenait à le regretter. Tout le monde, et jusqu’à elle, s’imaginait qu’elle était minée par la douleur de la perte de son père. Dans sa petite chambre, nichée sous les combles, ses jeunes compagnes l’entendaient marcher et sangloter pendant toute la nuit ; mais c’était de rage et non de douleur. Elle n’avait guère dissimulé jusqu’au moment où, jetée dans l’abandon, elle apprit à feindre. Elle s’était peu mêlée à la société des femmes.
Son père, tout relégué du monde qu’il était, ne manquait pas de talent, et sa conversation était cent fois plus agréable que le bavardage de telle personne de son sexe, comme elle pouvait maintenant en rencontrer. La prétentieuse vanité de la vieille maîtresse d’école, la gaieté intempestive de sa sœur, les conversations un peu niaises et les médisances des grandes pensionnaires, la glaciale exactitude des maîtresses, lui causaient un égal ennui. Si elle avait eu un cœur tendre et maternel, cette infortunée jeune fille, elle aurait trouvé du charme et de l’intérêt dans le babil et les confidences des petites filles qui lui étaient confiées. Mais elle vécut avec elles deux années, et aucune ne regretta son départ. Il n’y avait que le bon et tendre cœur d’Amélia qui pût la toucher et se faire aimer d’elle. Mais qui aurait pu ne pas aimer Amélia ?
The happiness – the superior advantages of the young women round about her, gave Rebecca inexpressible pangs of envy. ‘What airs that girl gives herself, because she is an Earl’s grand-daughter!’ she said of one. ‘How they cringe and bow to that Creole, because of her hundred thousand pounds! I am a thousand times cleverer and more charming than that creature, for all her wealth. I am as well-bred as the Earl’s grand-daughter, for all her fine pedigree; and yet every one passes me by here. And yet, when I was at my father’s, did not the men give up their gayest balls and parties in order to pass the evening with me?’ She determined at any rate to get free from the prison in which she found herself, and now began to act for herself, and for the first time to make connected plans for the future.
Le bonheur, les avantages sociaux que ses jeunes compagnes avaient sur elle livraient Rebecca aux cruels tourments de l’envie. « Voyez, disait-elle, quels airs se donne celle-là parce qu’elle est petite-fille d’un comte ! Comme elles s’inclinent et rampent devant cette créole, et cela à cause de ses cent mille livres ! Je suis cent fois plus vive et plus agréable que cette créature avec tout son or ; ma naissance vaut bien celle de cette petite-fille de comte, avec tous ses parchemins : et cependant chacun ici me laisse à l’écart, tandis que chez mon père tous ses amis manquaient les bals et les fêtes, pour venir passer la soirée avec moi ! » Elle résolut en conséquence de s’affranchir à tout prix de la prison où elle se trouvait. Elle se mit dès lors à travailler dans ce but et à dresser ses plans pour l’avenir...."
(XXI, A Quarrel About an Heiress)
MR. OSBORNE, SENIOR, AND MR. OSBORNE, JUNIOR - Nous assisterons à de nombreuses oppositions entre les différents protagonistes, entre Becky et Amelia, entre les Sedley et les Osborne, à la fois de la classe moyenne, riches et d’une manière vulgaire, mais l’un monte insensiblement dans le monde et l’autre s'enfonce. C’est au sujet des fortunes déclinantes des Sedley que le vieux M. Osborne a sa querelle avec son fils George. Il souhaite que George épouse Mlle Swartz, une héritière antillaise, et rompe tout lien avec la fille de la maison Sedley en décomposition. Et la scène dans laquelle il effectue cette tentative révèle encore un autre contraste, le contraste entre deux générations de la bourgeoisie mondaine, le père de loin le plus brutal et le fils de loin le plus égoïste, l’homme égoïste dans le bien et l’homme brutal dans le mal ....
"Love may be felt for any young lady endowed with such qualities as Miss Swartz possessed; and a great dream of ambition entered into old Mr. Osborne's soul, which she was to realize. He encouraged, with the utmost enthusiasm and friendliness, his daughters' amiable attachment to the young heiress, and protested that it gave him the sincerest pleasure as a father to see the love of his girls so well disposed.
"You won't find," he would say to Miss Rhoda, "that splendour and rank to which you are accustomed at the West End, my dear Miss, at our humble mansion in Russell Square. My daughters are plain, disinterested girls, but their hearts are in the right place, and they've conceived an attachment for you which does them honour--I say, which does them honour. I'm a plain, simple, humble British merchant--an honest one, as my respected friends Hulker and Bullock will vouch, who were the correspondents of your late lamented father.
You'll find us a united, simple, happy, and I think I may say respected, family--a plain table, a plain people, but a warm welcome, my dear Miss Rhoda--Rhoda, let me say, for my heart warms to you, it does really. I'm a frank man, and I like you. A glass of Champagne! Hicks, Champagne to Miss Swartz."
Les mérites incontestables que possédait miss Swartz avaient assurément de quoi inspirer une violente passion, et l’âme du vieil Osborne se berçait déjà de mille rêves ambitieux qu’il espérait bientôt, grâce à cette héritière, voir passer à l’état de réalités. Il était ravi des avances et des cajoleries que ses filles faisaient à leur nouvelle amie, et il déclarait que sa plus grande joie comme père était de voir ses enfants placer si bien leurs affections.
« Il ne faut point chercher, disait-il à miss Rhoda, dans notre humble retraite de Russell-Square, la splendeur et le luxe que vous offrent les salons aristocratiques. Chère demoiselle, mes filles sont toutes simples, tout ouvertes. Ce qu’on peut dire pour elles, c’est qu’elles ont le cœur bien placé et ressentent pour vous une tendresse qui prouve en leur faveur. Quant à moi, je ne suis qu’un négociant tout uni et tout rond dans les affaires, et sans prétention, comme pourront vous le dire Hulker et Bullock, les correspondants de feu votre père, de si respectable mémoire. Vous trouverez chez nous cette cordialité et cette franchise qui font le bonheur, et, pour tout dire en un mot, une famille respectée, une table simple, des mœurs honnêtes, un accueil affectueux. Ah ! chère miss Rhoda, chère Rhoda, laissezmoi vous appeler ainsi, car mon cœur, je vous le jure, s’épanouit de joie à votre approche. Je vous le dis du fond du cœur, je ne sais quel instinct me pousse vers vous. Vite, un verre de champagne! Hicks, du champagne pour miss Swartz. »
There is little doubt that old Osborne believed all he said, and that the girls were quite earnest in their protestations of affection for Miss Swartz. People in Vanity Fair fasten on to rich folks quite naturally. If the simplest people are disposed to look not a little kindly on great Prosperity (for I defy any member of the British public to say that the notion of Wealth has not something awful and pleasing to him; and you, if you are told that the man next you at dinner has got half a million, not to look at him with a certain interest)--if the simple look benevolently on money, how much more do your old worldlings regard it! Their affections rush out to meet and welcome money. Their kind sentiments awaken spontaneously towards the interesting possessors of it. I know some respectable people who don't consider themselves atliberty to indulge in friendship for any individual who has not a certain competency, or place in society. They give a loose to their feelings on proper occasions. And the proof is, that the major part of the Osborne family, who had not, in fifteen years, been able to get up a hearty regard for Amelia Sedley, became as fond of Miss Swartz in the course of a single evening as the most romantic advocate of friendship at first sight could desire.
Pourquoi douter de la véracité du vieil Osborne, de la sincérité de ses filles dans leurs protestations de tendresse pour miss Swartz ? Combien de gens y a-t-il ici-bas dont les affections savent aller ainsi au-devant des écus et les saluent de loin !
Leurs plus tendres sympathies sont toujours prêtes pour ceux qui ont le bon esprit d’avoir beaucoup d’argent et qui justifient l’amitié qu’on leur accorde par leur rang dans le monde. Pendant quinze ans, les Osborne n’avaient manifesté qu’une très mince tendresse à la pauvre Amélia, tandis qu’une seule soirée suffit pour les enflammer d’une belle passion en faveur de miss Swartz, de manière à persuader les plus incrédules sur la sympathie mystérieuse des cœurs.
What a match for George she'd be (the sisters and Miss Wirt agreed), and how much better than that insignificant little Amelia! Such a dashing young fellow as he is, with his good looks, rank, and accomplishments, would be the very husband for her. Visions of balls in Portland Place, presentations at Court, and introductions to half the peerage, filled the minds of the young ladies; who talked of nothing but George and his grand acquaintances to their beloved new friend.
Old Osborne thought she would be a great match, too, for his son. He should leave the army; he should go into Parliament; he should cut a figure in the fashion and in the state. His blood boiled with honest British exultation, as he saw the name of Osborne ennobled in the person of his son, and thought that he might be the progenitor of a glorious line of baronets. He worked in the City and on 'Change, until he knew everything relating to the fortune of the heiress, how her money was placed, and where her estates lay. Young Fred Bullock, one of his chief informants, would have liked to make a bid for her himself (it was so the young banker expressed it), only he was booked to Maria Osborne. But not being able to secure her as a wife, the disinterested Fred quite approved of her as a sister-in-law. "Let George cut in directly and win her," was his advice. "Strike while the iron's hot, you know--while she's fresh to the town: in a few weeks some d---- fellow from the West End will come in with a title and a rotten rent-roll and cut all us City men out, as Lord Fitzrufus did last year with Miss Grogram, who was actually engaged to Podder, of Podder & Brown's. The sooner it is done the better, Mr. Osborne; them's my sentiments," the wag said; though, when Osborne had left the bank parlour, Mr. Bullock remembered Amelia, and what a pretty girl she was, and how attached to George Osborne; and he gave up at least ten seconds of his valuable time to regretting the misfortune which had befallen that unlucky young woman.
« Quel magnifique parti ce serait là pour George, disaient ses sœurs avec miss Wirt, et qui lui vaudrait bien mieux que cette petite niaise d’Amélia ! »
Un joli garçon comme lui, avec sa tournure, son grade, ses qualités, était le mari qu’il fallait à la riche héritière. Les demoiselles Osborne avaient soin de parsemer l’horizon de bals à Portland-Place, de présentations à la cour, d’invitations chez les plus hauts personnages. Il n’était plus question que de George et de ses brillantes connaissances auprès de leur nouvelle et bien chère amie.
Le vieil Osborne, de son côté, voyait là pour son fils une excellente occasion. George laisserait l’armée pour le parlement, et prendrait sa place dans les salons et la politique. Le sang du vieillard bouillait dans ses veines quand il pensait que le nom des Osborne pourrait être anobli dans la personne de son fils, et pour lui il se voyait déjà le tronc d’une glorieuse lignée de baronnets. Dans la Cité et à la Bourse, il se mit en quête des renseignements les plus complets sur la fortune de l’héritière, sur la nature de ses biens, sur la situation de ses immeubles. Le jeune Fred Bullock, qui lui avait fourni les indications les plus détail lées aurait bien pris l’affaire pour son propre compte (ce sont les expressions même du jeune banquier), si déjà il n’avait pas été fiancé à Maria Osborne. Ne pouvant donc faire sa femme de miss Swartz, ce désintéressé jeune homme aurait bien voulu en faire tout au moins sa belle-sœur.
« Que George marche à l’assaut franchement, continua-t-il sur le ton de la plaisanterie, et l’enlève à la pointe de l’épée ; il faut frapper le fer pendant qu’il est rouge, comme on dit, et la prendre au débotté. Dans une semaine ou deux, quelque petit freluquet de nos quartiers aristocratiques viendra lui offrir son titre avec une fortune à refaire, et nous autres gens de la Cité, nous en serons pour nos frais, comme c’est arrivé l’année dernière pour lord Fitzrufus, et miss Grogram, jusqu’alors fiancée à Podder de la maison Podder et Brown. Le plus tôt, c’est le mieux, M. Osborne, tel est mon sentiment. »
Quand M. Osborne fut parti, M. Bullock se souvint alors d’Amélia, de la grâce aimable de cette jeune fille si attachée à George Osborne, et il préleva bien sur son temps dix précieuses secondes pour déplorer le malheur qui avait frappé cette innocente enfant.
While thus George Osborne's good feelings, and his good friend and genius, Dobbin, were carrying back the truant to Amelia's feet, George's parent and sisters were arranging this splendid match for him, which they never dreamed he would resist.
When the elder Osborne gave what he called "a hint," there was no possibility for the most obtuse to mistake his meaning. He called kicking a footman downstairs a hint to the latter to leave his service. With his usual frankness and delicacy he told Mrs. Haggistoun that he would give her a cheque for five thousand pounds on the day his son was married to her ward; and called that proposal a hint, and considered it a very dexterous piece of diplomacy. He gave George finally such another hint regarding the heiress; and ordered him to marry her out of hand, as he would have ordered his butler to draw a cork, or his clerk to write a letter.
This imperative hint disturbed George a good deal. He was in the very first enthusiasm and delight of his second courtship of Amelia, which was inexpressibly sweet to him. The contrast of her manners and appearance with those of the heiress, made the idea of a union with the latter appear doubly ludicrous and odious. Carriages and opera-boxes, thought he; fancy being seen in them by the side of such a mahogany charmer as that! Add to all that the junior Osborne was quite as obstinate as the senior: when he wanted a thing, quite as firm in his resolution to get it; and quite as violent when angered, as his father in his most stern moments.
Ainsi, pendant que l’inconstant George Osborne revenait aux pieds d’Amélia, sous l’inspiration de son bon génie personnifié dans l’excellent Dobbin, son père et ses sœurs préparaient pour lui un brillant mariage, sans croire à aucun obstacle possible de sa part. Lorsque le vieil Osborne faisait ce qu’il appelait une ouverture, il ne laissait point de place au doute par rapport à ses intentions. Lorsque d’un coup de pied il précipitait un de ses valets du haut de son escalier, c’était une ouverture pour engager celui-ci à quitter son service. Avec sa rondeur, son tact ordinaires, il promit à mistress Haggistoun de lui souscrire un billet à vue de dix mille livres, le jour où son fils épouserait sa pupille : il appelait cela une ouverture, et pensait avoir agi en diplomate consommé touchant la susdite héritière. Il fit aussi une ouverture à George ; il lui ordonna de l’épouser sur-le-champ, tout comme il aurait dit à son sommelier de déboucher une bouteille, ou à son secrétaire d’écrire une lettre.
Cette ouverture du genre impératif fut accueillie par George avec une vive contrariété. Il était alors dans le premier enthousiasme, dans le premier feu de sa réconciliation avec Amélia, et jamais ses chaînes ne lui avaient paru si douces. La comparaison de ses manières, de sa tournure avec celles de miss Swartz, lui montrait une union avec celle-ci sous des traits doublement burlesques et odieux.
« Des voitures et des loges à l’Opéra, se disait-il, où l’on me verra à côté de mon enchanteresse couleur acajou ! J’en ai assez ! »
Il faut dire que le jeune Osborne était bien aussi entêté que le vieux. Quand il voulait quelque chose, rien ne pouvait l’ébranler dans sa résolution, et, si les fureurs du père étaient terribles, celles du fils ne valaient guère mieux.
On the first day when his father formally gave him the hint that he was to place his affections at Miss Swartz's feet, George temporised with the old gentleman. "You should have thought of the matter sooner, sir," he said. "It can't be done now, when we're expecting every day to go on foreign service. Wait till my return, if I do return"; and then he represented, that the time when the regiment was daily expecting to quit England, was exceedingly ill-chosen: that the few days or weeks during which they were still to remain at home, must be devoted to business and not to love-making: time enough for that when he came home with his majority; "for, I promise you," said he, with a satisfied air, "that one way or other you shall read the name of George Osborne in the Gazette."
The father's reply to this was founded upon the information which he had got in the City: that the West End chaps would infallibly catch hold of the heiress if any delay took place: that if he didn't marry Miss S., he might at least have an engagement in writing, to come into effect when he returned to England; and that a man who could get ten thousand a year by staying at home, was a fool to risk his life abroad.
"So that you would have me shown up as a coward, sir, and our name dishonoured for the sake of Miss Swartz's money," George interposed. This remark staggered the old gentleman; but as he had to reply to it, and as his mind was nevertheless made up, he said, "You will dine here to-morrow, sir, and every day Miss Swartz comes, you will be here to pay your respects to her. If you want for money, call upon Mr. Chopper."
La première fois que son père lui signifia d’un ton impératif qu’il aurait à déposer ses hommages aux pieds de miss Swartz, Georges songea à opposer la temporisation à l’ouverture du vieillard.
« Vous auriez dû y penser plus tôt, mon père, lui dit-il ; cela est impossible maintenant : d’un moment à l’autre nous allons recevoir nos ordres de départ. Ce sera pour mon retour, si tant est que j’en revienne ; et il s’efforçait pour lui faire sentir que c’était fort mal prendre son temps pour conclure un mariage que de choisir précisément celui où le régiment était menacé à chaque instant de quitter l’Angleterre. Le peu de jours qui restaient devaient être consacrés aux préparatifs de campagne, et non à des serments d’amour. Il songerait tout à son aise à se marier quand il aurait son brevet de major. Car, je vous le jure, continuait-il d’un air joyeux et déterminé, vous verrez un de ces jours le nom de George Osborne tout au long sur la Gazette. »
Suivait la réplique du père, qui mettait en avant les renseignements qu’il avait pris dans la cité : mais le père avait à cœur d’empêcher que quelque freluquet aristocratique ne fît main basse sur l’héritière, dans le cas d’un plus long retard, et on pouvait au moins par précaution procéder aux fiançailles, pour célébrer ensuite le mariage au retour de George en Angleterre. D’ailleurs, c’était une folie d’aller exposer sa vie sur le continent, lorsqu’on avait sous la main une fortune de dix mille livres sterling de rente.
« Vous voulez donc, monsieur, que je passe pour un lâche, répliqua George, et que notre nom soit déshonoré, par tendresse pour les écus de miss Swartz ? »
Cette objection jeta quelque incertitude dans l’esprit du vieillard ; mais, dominé par son entêtement naturel, il répondit : « Demain, vous dînerez ici, monsieur, et, toutes les fois que miss Swartz y viendra, j’entends que vous soyez là pour lui faire votre cour. Si vous avez besoin d’argent, vous pouvez passer chez M. Chopper. »
Thus a new obstacle was in George's way, to interfere with his plans regarding Amelia; and about which he and Dobbin had more than one confidential consultation. His friend's opinion respecting the line of conduct which he ought to pursue, we know already. And as for Osborne, when he was once bent on a thing, a fresh obstacle or two only rendered him the more resolute. The dark object of the conspiracy into which the chiefs of the Osborne family had entered, was quite ignorant of all their plans regarding her (which, strange to say, her friend and chaperon did not divulge), and, taking all the young ladies' flattery for genuine sentiment, and being, as we have before had occasion to show, of a very warm and impetuous nature, responded to their affection with quite a tropical ardour. And if the truth may be told, I dare say that she too had some selfish attraction in the Russell Square house; and in a word, thought George Osborne a very nice young man. His whiskers had made an impression upon her, on the very first night she beheld them at the ball at Messrs. Hulkers; and, as we know, she was not the first woman who had been charmed by them.
Un nouvel obstacle s’élevait donc à la traverse des projets de George au sujet d’Amélia. Plus d’une conférence intime eut lieu à cette occasion entre lui et Dobbin. L’opinion de ce dernier nous est déjà connue ; et quant à George, une fois qu’il s’était mis une chose en tête, il ne s’arrêtait pas devant une difficulté de plus ou de moins. Le sombre objet de la conspiration restait tout à fait étranger à cette conspiration tramée entre les principaux membres de la famille Osborne, et dont elle était l’objet. Bien plus, sa tutrice et amie ne lui avait rien laissé pénétrer, et l’héritière de Saint-Kitts prenait pour très-sincères les flatteries de ses jeunes compagnes. Sa nature impétueuse et ardente, comme nous avons eu occasion de le voir précédemment, répondait à ces démonstrations multipliées avec une chaleur toute tropicale. Et puis, il faut en convenir, elle trouvait une jouissance personnelle dans ses visites à Russell-Square ; elle y rencontrait un charmant garçon, George Osborne, en un mot. Les moustaches du jeune lieutenant avaient fait sur elle une vive impression le soir où elle les avait vues au bal de MM. Hulker, et comme nous le savons, elle n’était pas la première victime de leur puissance séductrice.
George had an air at once swaggering and melancholy, languid and fierce. He looked like a man who had passions, secrets, and private harrowing griefs and adventures. His voice was rich and deep. He would say it was a warm evening, or ask his partner to take an ice, with a tone as sad and confidential as if he were breaking her mother's death to her, or preluding a declaration of love. He trampled over all the young bucks of his father's circle, and was the hero among those third-rate men. Some few sneered at him and hated him. Some, like Dobbin, fanatically admired him. And his whiskers had begun to do their work, and to curl themselves round the affections of Miss Swartz.
George savait prendre à la fois un air vaniteux et mélancolique, langoureux et hautain, derrière lequel il affectait de laisser entrevoir des passions, des secrets et tout un enchaînement mystérieux de peines de cœur et d’aventures. Sa voix avait des notes douces et sonores. Il disait : « Il fait chaud ce soir, » ou offrait une glace avec cet accent triste et sentimental qu’il aurait mis à annoncer à la même dame la mort de sa mère ou à lui faire une déclaration d’amour. Il regardait du haut de sa grandeur les jeunes lions de la société de son père et posait en héros parmi ces élégants de troisième ordre. Les uns riaient de lui et le détestaient, les autres, comme Dobbin, concevaient une admiration poussée jusqu’au fanatisme. Toujours est-il que ses moustaches commençaient à produire leur effet sur le petit cœur de miss Swartz et à l’enrouler de leurs vrilles capricieuses.
Whenever there was a chance of meeting him in Russell Square, that simple and good-natured young woman was quite in a flurry to see her dear Misses Osborne. She went to great expenses in new gowns, and bracelets, and bonnets, and in prodigious feathers. She adorned her person with her utmost skill to please the Conqueror, and exhibited all her simple accomplishments to win his favour. The girls would ask her, with the greatest gravity, for a little music, and she would sing her three songs and play her two little pieces as often as ever they asked, and with an always increasing pleasure to herself. During these delectable entertainments, Miss Wirt and the chaperon sate by, and conned over the peerage, and talked about the nobility.
Toutes les fois qu’il y avait chance de voir George Osborne à Russell Square, cette naïve et excellente jeune fille n’avait point de paix qu’elle ne fût auprès de ses chères amies. C’était une dépense et un luxe de robes neuves, de bracelets et de chapeaux sur lesquels on ne ménageait pas les plumes. Elle donnait à sa parure tous les soins imaginables pour assurer son triomphe sur le conquérant, et avait recours à toutes ses séductions pour obtenir ses bonnes grâces. Quand les demoiselles Osborne lui demandaient de leur air le plus grave de faire un peu de musique, elle chantait ses trois romances et jouait ses deux morceaux avec un courage infatigable et un plaisir toujours croissant. Pendant que les demoiselles Osborne se livraient à ces délicieuses distractions, miss Wirt et la tutrice, se retirant dans un coin de la pièce, se mettaient à étudier le Dictionnaire de la Pairie et à parler noblesse.
The day after George had his hint from his father, and a short time before the hour of dinner, he was lolling upon a sofa in the drawing-room in a very becoming and perfectly natural attitude of melancholy. He had been, at his father's request, to Mr. Chopper in the City (the old gentleman, though he gave great sums to his son, would never specify any fixed allowance for him, and rewarded him only as he was in the humour). He had then been to pass three hours with Amelia, his dear little Amelia, at Fulham; and he came home to find his sisters spread in starched muslin in the drawing-room, the dowagers cackling in the background, and honest Swartz in her favourite amber-coloured satin, with turquoise bracelets, countless rings, flowers, feathers, and all sorts of tags and gimcracks, about as elegantly decorated as a she chimney-sweep on May-day.
The girls, after vain attempts to engage him in conversation, talked about fashions and the last drawing-room until he was perfectly sick of their chatter. He contrasted their behaviour with little Emmy's--their shrill voices with her tender ringing tones; their attitudes and their elbows and their starch, with her humble soft movements and modest graces. Poor Swartz was seated in a place where Emmy had been accustomed to sit. Her bejewelled hands lay sprawling in her amber satin lap. Her tags and ear-rings twinkled, and her big eyes rolled about. She was doing nothing with perfect contentment, and thinking herself charming. Anything so becoming as the satin the sisters had never seen.
"Dammy," George said to a confidential friend, "she looked like a China doll, which has nothing to do all day but to grin and wag its head. By Jove, Will, it was all I I could do to prevent myself from throwing the sofa-cushion at her." He restrained that exhibition of sentiment, however.
Le lendemain du jour où George reçut l’ouverture de son père quelques instants avant le dîner, il s’étendit sur le sofa du salon, dans la pose la plus naturelle à un homme mélancolique et rêveur. D’après l’avis de son père, il avait passé, dans la journée, au bureau de M. Chopper. Le vieux commerçant donnait de grosses sommes à son fils, sans consulter, dans ses largesses, d’autre règle que son caprice. Ensuite, George s’était rendu à Fulham, où il était resté trois heures avec Amélia, sa chère petite Amélia, et enfin il était venu retrouver ses sœurs, aussi empesées dans leur maintien que leurs robes de mousseline. La société était réunie dans le salon ; les duègnes bavardaient dans leur coin, et l’honnête Swartz portait sa robe favorite de satin jaune, des bracelets de turquoise, des bagues à n’en plus finir, des fleurs, des plumes, et une collection de breloques et de brimborions qui la faisaient ressembler à la boutique d’une revendeuse à la toilette.
Les demoiselles de la maison, après des efforts inutiles pour tirer une parole de leur frère, se mirent sur le chapitre des modes et parlèrent de la dernière réception à la cour. George ne tarda pas à trouver ce babillage insupportable. Et puis ces tournures étaient-elles à comparer à celle de la petite Emmy ? Dans ces voix brusques et saccadées, ces jupes roides d’empois, qu’y avait-il de semblable à la douceur angélique, aux grâces modestes de sa bien-aimée ? La pauvre Swartz était justement assise à la place que prenait autrefois Emmy ; ses mains, couvertes de joyaux, s’étalaient en éventail sur sa robe de satin jaune ; ses broches et ses boucles d’oreille lançaient des lueurs rutilantes, et ses gros yeux semblaient vouloir se précipiter de leurs orbites. Elle exprimait dans toute sa personne la parfaite satisfaction du désœuvrement, avec un air qui disait à tout le monde : « Admirez-moi ! » Les deux sœurs trouvaient, du reste, que le satin lui allait à ravir.
« Le diable m’emporte, dit George en retrouvant le confident de son cœur, si elle n’avait pas l’air d’un mandarin chinois qui n’a rien à faire toute la journée qu’à branler la tête. Vrai Dieu, Will, j’étais démangé de l’envie de lui jeter le coussin du sofa. » Il était parvenu toutefois à réprimer la pétulance de sa mauvaise humeur.
THE FALL OF BECKY SHARP (Chapter LIII)
Becky Sharp, comme Mrs. Rawdon Crawley, a atteint le sommet de la splendeur sociale et du triomphe. Mais son mari, en dépit de ces succès, a encore des dettes impayées; et alors qu’il quitte la maison de Lord Steyne, il est brusquement saisi par des huissiers et emmené passer la nuit dans une sponging-house. Il envoie un message à sa femme, mais celle-ci se contente de répondre qu’elle est souffrante et ne peut rien faire. Le frère de Rawdon Crawley, Sir Pitt Crawley, cependant, a lui épousé une femme de grande bonté instinctive, et c’est à elle que Rawdon fait appel. Le résultat ne se fait pas attendre et marque la fin de la vie conjugale de notre aventurière....
Friend Rawdon drove on then to Mr. Moss's mansion in Cursitor Street, and was duly inducted into that dismal place of hospitality. Morning was breaking over the cheerful house-tops of Chancery Lane as the rattling cab woke up the echoes there. A little pink-eyed Jew-boy, with a head as ruddy as the rising morn, let the party into the house, and Rawdon was welcomed to the ground-floor apartments by Mr. Moss, his travelling companion and host, who cheerfully asked him if he would like a glass of something warm after his drive.
The Colonel was not so depressed as some mortals would be, who, quitting a palace and a placens uxor, find themselves barred into a spunging-house; for, if the truth must be told, he had been a lodger at Mr. Moss's establishment once or twice before. We have not thought it necessary in the previous course of this narrative to mention these trivial little domestic incidents: but the reader may be assured that they can't unfrequently occur in the life of a man who lives on nothing a year.
Upon his first visit to Mr. Moss, the Colonel, then a bachelor, had been liberated by the generosity of his aunt; on the second mishap, little Becky, with the greatest spirit and kindness, had borrowed a sum of money from Lord Southdown and had coaxed her husband's creditor (who was her shawl, velvet-gown, lace pocket-handkerchief, trinket, and gim-crack purveyor, indeed) to take a portion of the sum claimed and Rawdon's promissory note for the remainder: so on both these occasions the capture and release had been conducted with the utmost gallantry on all sides, and Moss and the Colonel were therefore on the very best of terms.
Nous avons laissé l’ami Rawdon dans un fiacre, se rendant, en compagnie de M. Moss, à cette maison trop hospitalière, dont les portes s’ouvrent spontanément à bien des gens qui s’en passeraient volontiers. Les premiers rayons de l’aube commençaient à dorer le faîte des cheminées de Chancery-Lane, lorsque le roulement du fiacre éveilla les échos d’alentour. Un petit juif, à la chevelure aussi rutilante que le soleil levant, introduisit la compagnie dans l’intérieur de la maison. M. Moss fit à Rawdon les honneurs de ce manoir, et lui demanda obligeamment s’il ne désirait pas quelque chose de chaud après cette course matinale. Le colonel était loin d’être aussi consterné de l’aventure que bien d’autres l’eussent été à sa place, en se trouvant dans une maison de détention, sous les grilles et les verrous, au sortir d’un palais rempli des femmes les plus séduisantes. Rawdon, il est vrai, avait déjà été plusieurs fois le pensionnaire de M. Moss. Si nous n’avons pas cru nécessaire de mentionner dans le cours de ce récit ces petites misères de la vie domestique, c’est qu’il n’y a là rien que de très-vulgaire pour un gentleman qui mène grand train sans un sou de revenu.
Lors de sa première visite à M. Moss, le colonel, alors célibataire, avait été libéré par la générosité de sa tante ; lors de la seconde mésaventure, la petite Becky, avec le plus grand esprit et la plus grande bonté, avait emprunté une somme d’argent à Lord Southdown et avait amadoué le créancier de son mari (qui était son châle, sa robe de velours, son mouchoir de poche en dentelle, son bibelot et son fournisseur de gimcrack, en effet) pour prendre une partie de la somme réclamée et le billet à ordre de Rawdon pour le reste : Donc, à ces deux occasions, la capture et la libération avaient été menées avec la plus grande galanterie de tous les côtés, et Moss et le colonel étaient donc dans les meilleurs termes l’un à l’égard de l’autre.
"You'll find your old bed, Colonel, and everything comfortable," that gentleman said, "as I may honestly say. You may be pretty sure its kep aired, and by the best of company, too. It was slep in the night afore last by the Honorable Capting Famish, of the Fiftieth Dragoons, whose Mar took him out, after a fortnight, jest to punish him, she said.
But, Law bless you, I promise you, he punished my champagne, and had a party ere every night--reglar tip-top swells, down from the clubs and the West End--Capting Ragg, the Honorable Deuceace, who lives in the Temple, and some fellers as knows a good glass of wine, I warrant you. I've got a Doctor of Diwinity upstairs, five gents in the coffee-room, and Mrs. Moss has a tably-dy-hoty at half-past five, and a little cards or music afterwards, when we shall be most happy to see you."
« Vous allez retrouver, colonel, votre ancienne chambre, et tout le reste en parfait état, disait, en homme qui sait vivre, le recors à son prisonnier. On a toujours eu soin de la tenir bien aérée et de n’y mettre que des gens comme il faut. L’avant-dernière nuit elle était occupée par l’honorable capitaine Famish, du 5e dragons. Au bout de quinze jours sa tante l’en a fait sortir ; c’était, disait-elle, pour le mettre à la raison qu’elle l’avait fourré ici. Mais, en attendant, il mettait drôlement, je vous le promets, mon champagne à la raison ; tous les soirs il y avait gala ; on arrivait de tous les clubs de la capitale et on faisait sauter crânement les bouchons de champagne ; et il venait de bons diables, je vous en réponds, et auxquels un verre de vin ne fait pas peur. Mistress Moss tient toujours sa table d’hôte à cinq heures et demie ; on fait ensuite de la musique ou l’on joue aux cartes… Dans le cas où vous voudriez bien nous faire l’honneur de votre présence…
– C’est bon, je sonnerai si j’ai besoin de vous, » dit Rawdon ; et il alla tranquillement se coucher.
Comme vieux soldat, il ne se laissait point abattre par les revers de la fortune. Un homme d’un caractère moins aguerri, et par conséquent de moins de sang-froid, aurait envoyé une lettre à sa femme au moment même où on lui mettait la main sur le collet.
« Mais, pensa Rawdon, à quoi bon aller troubler son sommeil ? elle ne s’apercevra seulement pas si je suis ou non rentré ; il sera assez tôt de la prévenir lorsqu’elle aura dormi et moi aussi. De quoi s’agit-il ? De cent soixante-dix livres ? Ce serait bien le diable si elle ne trouvait pas à décrocher quelque part cette bagatelle. »
Ce fut au milieu de ces réflexions et après avoir donné sa dernière pensée au petit Rawdon, que le colonel s’endormit dans ce lit dont le capitaine Famish avait été le dernier occupant. Il était dix heures environ lorsqu’il se réveilla. Le petit garçon aux cheveux rouges lui apporta avec une sorte de fierté enfantine un nécessaire en argent pour se faire la barbe. Le manoir de M. Moss, bien qu’ayant un aspect un peu sombre, ne manquait pas cependant d’un certain air de splendeur. On remarquait sur les étagères de vieux plateaux en argent qui
avaient leur éclat, des porte-liqueurs auxquels on pouvait faire le même reproche, des boiseries jadis dorées et sur lesquelles pendaient des rideaux de satin d’un jaune fané, qui servaient à cacher à l’œil les barreaux des fenêtres. Sur les murailles, de grands cadres écornés et dédorés entouraient des paysages et des sujets de sainteté. Le déjeuner du colonel lui fut apporté dans cette argenterie noire et splendide dont nous venons de parler. Miss Moss, jeune fille aux yeux vifs et encore tout empapillotée, demanda avec un sourire au colonel, en lui présentant la théière, s’il avait passé une bonne nuit. Elle lui donna aussi le Morning-Post où se trouvaient les noms de tous les grands personnages qui avaient figuré la nuit précédente à la fête de lord Steyne. On y faisait un brillant éloge de cette fête et du succès qu’avait obtenu la belle et charmante mistress Rawdon Crawley dans les différents rôles qu’elle avait remplis.
Le colonel se mit à jaser de la façon la plus intime avec sa geôlière, qui s’était assise sur le bord de la table dans une pose pleine de grâce et de nonchalance ; elle portait à ses pieds de vieux souliers de satin éculés et des bas qui lui tombaient sur les talons. Le colonel Crawley finit par demander une plume, de l’encre et du papier, et bientôt miss Moss arriva, portant entre l’index et le pouce la feuille de papier désirée. Combien de pauvres diables avaient tracé à la hâte sur ces petits carrés blancs les formules de supplication les plus ardentes, et, se promenant de long en large dans ce détestable repaire, avaient attendu avec impatience le messager chargé de la parole de délivrance ! Qui n’a reçu de ces lettres dont le pain à cacheter est encore humide, dont chaque mot est l’expression d’une âme mortifiée et malheureuse ? Rawdon, du reste, n’éprouvait aucune inquiétude sur le sort de sa missive.
I HOPE YOU SLEPT WELL. Don't be FRIGHTENED if I don't bring you in your COFFY. Last night as I was coming home smoaking, I met with an ACCADENT. I was NABBED by Moss of Cursitor Street--from whose GILT AND SPLENDID PARLER I write this--the same that had me this time two years. Miss Moss brought in my tea--she is grown very FAT, and, as usual, had
her STOCKENS DOWN AT HEAL.
« Chère Becky, écrivait-il, j’espère que vous avez bien dormi. Ne vous tourmentez pas si je ne vous ai pas apporté votre café ce matin ; la nuit dernière, comme je m’en revenais avec mon cigare, il m’est arrivé un accident. J’ai été coffré par Moss de Cursitor-Street, et c’est sous les lambris dorés de son splendide salon que je vous écris la présente, de ce même salon où je me suis trouvé dans la même position il y a deux ans. Miss Moss m’a apporté le thé. Elle a pris beaucoup d’embonpoint. Suivant son ordinaire, elle a toujours ses bas sur les talons.
« Il s’agit du billet de Nathan ; il y en a pour cent cinquante livres sterling, cent soixante-dix avec les frais. Envoyez-moi mon nécessaire et des habits ; je suis en chaussons de bal et en bas de soie blancs, c’est-à-dire dans le même état que ceux de miss Moss. Vous trouverez dans les tiroirs du secrétaire soixante-dix livres ; vous n’aurez qu’à aller en offrir soixante-cinq à Nathan, en lui demandant un renouvellement. Promettez-lui de prendre du vin ; nous en trouverons bien toujours le placement dans nos dîners. Mais point de tableaux, surtout ; il les vend trop cher.
« S’il ne veut pas se prêter à cette combinaison, cherchez dans vos hardes ce que vous pouvez vendre ; il faut absolument avoir réuni cette somme ce soir : d’abord parce qu’il n’est pas fort agréable de demeurer ici ; et puis, ensuite, parce que c’est demain dimanche, sans compter que les lits ne sont pas très propres, et qu’en outre cela pourrait donner des idées aux autres créanciers. Je suis bien aise que cette aventure ne soit pas tombée le samedi de sortie de Rawdon. Je vous embrasse bien.
« Tout à vous,
« R. C.
« P. S. Ne tardez pas trop à venir. »
Cette lettre écrite et cachetée fut portée par un de ces messagers qui sont toujours à attendre dans le voisinage de l’établissement de M. Moss. Tranquille désormais de ce côté,
Rawdon descendit dans le préau, où il fuma son cigare avec un grand calme d’esprit.
Three hours, he calculated, would be the utmost time required, before Becky should arrive and open his prison doors, and he passed these pretty cheerfully in smoking, in reading the paper, and in the coffee-room with an acquaintance, Captain Walker, who happened to be there, and with whom he cut for sixpences for some hours, with pretty equal luck on either side. But the day passed away and no messenger returned--no Becky.
Il calcula qu’il fallait bien trois heures à Becky pour mener à bonne fin cette négociation et faire ouvrir les portes de sa prison ; ce temps s’écoula pour lui de la manière la plus agréable, à fumer, à lire le journal et à boire à la cantine avec un de ses amis, le capitaine Walker, qui se trouvait dans le même cas que lui ; ces deux messieurs se livrèrent aux cartes un terrible assaut, dans lequel les chances restèrent égales des deux côtés.
Les heures se passaient pourtant sans que Rawdon vît revenir son ambassadeur, et Becky n’arrivait pas davantage. À l’heure ordinaire de cinq heures et demie, la table d’hôte de M. Moss fut servie pour ceux des locataires de la maison qui avaient de quoi payer leur écot. Ils se réunirent dans le splendide salon dont nous avons déjà parlé, et avec lequel communiquait la chambre temporairement occupée par M. Rawdon. Miss Moss, qui alors s’était débarrassée de ses papillotes, fit les honneurs d’un gigot de mouton bouilli aux navets, et le colonel en mangea de très-bon appétit. On lui proposa ensuite, pour fêter sa bienvenue, de faire sauter le bouchon d’une bouteille de champagne ; il s’y prêta de très-bonne grâce : les dames burent à sa santé, et miss Moss lui lança une œillade des plus gracieuses.
Au milieu du repas, on entendit retentir la sonnette de la porte ; le jeune garçon aux cheveux rouges se leva pour aller répondre, et il annonça en revenant que l’ambassadeur de Rawdon lui avait rapporté un paquet avec une lettre qu’il remit à son adresse.
« Ne vous gênez pas, colonel, je vous prie, » dit M. Moss en accompagnant ces paroles d’un signe de la main.
Le colonel ouvrit la lettre d’une main tremblante. C’était un charmant petit billet sur papier rose parfumé, avec un joli cachet de cire verte.
« Mon pauvre bichon, écrivait mistress Crawley, je n’ai pu fermer l’œil de la nuit, ne sachant ce qu’était devenu mon vieux monstre. Je n’ai pu prendre un peu de repos qu’après avoir envoyé chercher ce matin M. Blench, car je grelottais la fièvre. Il m’a prescrit une potion, et a défendu à Finette qu’on me dérangeât sous quelque prétexte que ce fût. C’est ainsi, mon bon mari, que votre messager, qui a bien mauvaise mine, à ce que dit Finette, et qui sent le genièvre, a été obligé d’attendre dans l’antichambre jusqu’au moment où j’ai sonné. Jugez, mon pauvre mari, dans quel état m’a mise votre lettre presque indéchiffrable.
« Toute malade que j’étais, j’ai envoyé aussitôt chercher une voiture, et, à peine habillée, sans avoir le courage de prendre mon chocolat (car je n’ai de plaisir à le prendre que lorsque
c’est mon vieux monstre qui me l’apporte), je me suis fait conduire au galop chez Nathan. Je l’ai vu ; j’ai eu beau pleurer, gémir, me jeter à ses pieds, rien n’a pu attendrir cet homme
exécrable. Il lui fallait tout son argent, disait-il, ou autrement il était décidé à retenir mon vieux monstre en prison. Alors je suis rentrée avec l’intention d’aller faire une triste visite à ma tante, pour aller mettre entre les mains de cette chère tante, avec ce qui s’y trouve déjà, les hardes et les bijoux qu’il me serait possible de réunir. Le bélier de Bulgarie était chez moi avec milord ; ils venaient me complimenter du talent que j’avais montré dans mon rôle. Paddington n’a pas tardé à les suivre, puis Champignac, puis son ambassadeur, chacun m’apportant ses compliments et ses fadeurs. J’étais à la torture, soupirant après le moment où je serais débarrassée de ces importuns, et comptant les minutes qui prolongeaient la captivité de mon pauvre prisonnier.
« Quand ils ont été partis, je me suis jetée aux pieds de milord, je lui ai dit que nous allions tout engager et l’ai supplié de me prêter deux cents livres. Il s’est mis à jurer et à tempêter comme un furieux, et m’a dit de ne pas faire la sottise de rien mettre en gage, en m’assurant qu’il aviserait à me venir en aide. Là-dessus il est parti, en me promettant qu’il m’enverrait demain matin ce dont j’avais besoin. J’attends l’exécution de sa promesse pour aller trouver mon vieux monstre et lui porter un baiser bien tendre
« De son affectionnée,
« BECKY.
« P. S. J’écris dans mon lit, car j’ai la tête et le cœur bien malades. »
When Rawdon read over this letter, he turned so red and looked so savage that the company at the table d'hote easily perceived that bad news had reached him. All his suspicions, which he had been trying to banish, returned upon him.
Lorsque Rawdon eut terminé cette lettre, sa figure se couvrit d’une telle rougeur, ses regards devinrent si farouches, que le reste des convives ne douta pas un moment que cette missive renfermât de mauvaises nouvelles. Tous les soupçons contre lesquels il avait lutté jusqu’alors vinrent de nouveau assaillir son esprit. Elle n’avait pas su aller vendre ses bijoux, et elle trouvait le temps de faire des gorges chaudes sur les compliments et les flatteries qu’elle recevait pendant qu’il était en prison. En cherchant bien, ne pourrait-il pas découvrir quelle main l’avait poussé sous les verrous ? Wenham était avec lui au moment de son arrestation, et alors… Il frémissait de s’arrêter à de pareils soupçons. Il quitta la salle à manger, l’esprit tout en désordre, et courut s’enfermer dans sa chambre ; il ouvrit son pupitre, fit courir sa plume sur le papier sans trop savoir ce qu’il écrivait, et envoya ces quelques lignes à sir Pitt ou lady Crawley, et chargea le même commissionnaire de les porter sur-le-champ à GauntStreet, de prendre un cabriolet au besoin ; il y avait une guinée pour lui s’il lui rapportait la réponse avant une heure.
Dans ce billet, il suppliait son frère et sa sœur, pour l’amour de Dieu, au nom de son fils et de son honneur, de le tirer de la triste situation dans laquelle il était tombé ; il était en prison, il avait besoin de cent livres pour recouvrer sa liberté, il les suppliait de venir le délivrer.
Après avoir expédié sa lettre, il revint prendre sa place à table et demanda du vin. Sa conversation bruyante, ses éclats de rire stridents avaient quelque chose d’étrange et de sinistre. À plusieurs reprises il partit d’un ricanement convulsif en songeant à ses terreurs. Cette heure se passa pour lui à boire et à faire le guet, cherchant à saisir le moindre bruit qui lui annonçât la voiture qui allait lui rapporter sa destinée.
À l’expiration du temps fixé, il entendit un bruit de roues devant la porte, et le jeune garçon aux cheveux rouges sortit avec son trousseau de clefs. Une dame attendait dans le salon des visiteurs. « Le colonel Crawley ? » demanda-t-elle d’une voix toute tremblante...."
En 1846. Thackeray avait atteint une certaine notoriété dans le monde littéraire par sa collaboration à des revues à grand tirage telles que le Fraser's Magazine et le Punch. ll aspirait cependant à une œuvre plus importante, d'une plus grande consistance : c`est ainsi que naquit "La Foire aux vanités", qui, malgré l'accueil assez froid que lui réserva le public, consacra la renommée de Thackeray. Le roman a un sous-titre, "A Novel without a Hero". On a pu affirmer que la révolution que Thackeray a apportée dans le monde littéraire se résume en cette formule. ll ne s'agit plus, ici, du roman à thèse qui dominait dans la première période de l`époque victorienne, ce roman où le héros possédait soit toutes les vertus, soit tous les vices, où la bonté était récompensée et le mal puni. C'est la réalité de la vie, "le bons sens" de l'homme, son égoïsme et ses inconsequences qui sont, cette fois, évoqués. ll ne s`agit plus de mannequins, mais d'êtres vivants. C`est là en substance le message contenu dans cette oeuvre où le génie de Thackeray s`affirme d'une manière décisive. Le récit, qui a l`ampleur d'une fresque, présente et illustre les hauts faits et gestes des classes sociales les plus diverses : la critique froide et pénétrante des caractères, la vivacité et la variété des portraits suscitent l'admiration. La forte personnalité de Becky Sharp domine. Le réalisme de Thackeray atteint une force et une vérité que cet écrivain n`a pas dépassées par la suite. Autour de Becky. l`on trouve un groupe de figures inoubliables ...