Impressionnisme - Eugène Boudin (1824-1898) - Johan Barthold Jongkind (1819-1891) - Claude Monet (1840-1926) - Edgar Degas (1834-1917) - Auguste Renoir (1841-1919) - Edouard Manet (1832-1883) - Camille Pissarro (1830-1903) - Alfred Sisley (1839-1899) - Frédréric Bazille (1841-1870) - Gustave Caillebotte (1848-1894) - Berthe Morisot (1841-1891) - Mary Cassatt (1844-1926) - Eva Gonzalès (1849-1883) - Marie Bracquemond (1840-1916) - Armand Guillaumin (1841-1927) - Eugène Carrière (1849-1906) - Maximilien Luce (1848-1951) - ......

Last Update: 11/11/2016


Marcel Proust, dans "Le côté de Guermantes" (1920-1921) écrivait que "le monde (qui n’a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu’un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l’ancien, mais parfaitement clair. Des femmes passent dans la rue, différentes de celles d’autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir où nous nous refusions jadis à voir des femmes. Les voitures aussi sont des Renoir, et l’eau, et le ciel : nous avons envie de nous promener dans la forêt pareille à celle qui le premier jour nous semblait tout excepté une forêt, et par exemple une tapisserie aux nuances nombreuses mais où manquaient justement les nuances propres aux forêts. Tel est l’univers nouveau et périssable qui vient d’être créé. Il durera jusqu’à la prochaine catastrophe géologique que déchaîneront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux...".  Effectivement, à chaque génération, une nouvelle image du monde est recréée,  mais celle-ci n'est pas toujours immédiatement visible par ceux qui en sont les protagonistes ou les éventuels spectateurs…

La particularité de l'impressionnisme est d'être immédiatement perçue comme un bouleversement artistique d'ampleur, conçu par un groupe d'artistes qui dialoguent et expérimentent ensemble (Monet, Renoir, Pissarro et Sisley quittent l'atelier pour peindre en plein air, en forêt de Fontainebleau ou en Normandie), un bouleversement qui se répandra très rapidement en Europe et aux Etats-Unis : c'est à partir de 1890 que l'on constate un engouement indéniable des collectionneurs et du public pour ces toiles aux tonalités vives qui fixent tout un monde de sensations et de visions éphémères. Depuis, des centaines de milliers de personnes se pressent à travers la planète à chaque exposition portant de près ou de loin sur l'impressionnisme, pourquoi une telle ferveur, le terme est connu de tous, la re-création d'un monde optimiste qui nous semble déjà familier... le Paris vivant de l’après-guerre de 70 franchit le Pont-Neuf de Renoir, Edouard Manet court les bals masqués de l'Opéra. Mais surtout, ces artistes ont su traduire en termes picturaux toutes les aspirations qui se faisaient alors jour dans la société,  les plages normandes (Corot y est venu peindre, Boudin naquit à Honfleur  en 1824), les rives de la Seine qui mènent à Rouen via Argenteuil, l'eau qui dialogue avec le vent et se prête au canotage, le sentiment dominant est tout simplement celui de la joie de vivre...

L'impressionnisme, en dix années (1874-1886), a révolutionné non seulement les conventions de la peinture mais aussi la banale perception des choses mêmes : auteurs, écrivains ou critiques d'art ont très tôt perçu les véritables enjeux et salué unanimement  l'éclaircissement de la palette de ces nouveaux peintres. Est-ce la photographie qui les poussèrent en quelque sorte à quitter l'obscurité des studios et rechercher un réalisme "objectif" pour le plein-air, aller "dépeindre", dans son apparence immédiate, le monde environnant?  L'impressionniste, à l'instar du photographe qui fige un instant, abandonne cette volonté d'idéalisation qui caractérisait les peintres académiques. Exposées à la lumière du jour, les choses de ce monde ne sont plus perçues telles qu’elles, mais sont réfractées par la conscience du peintre impressionniste qui les regarde suivant les différents moments de la journée; ou entend saisir et représenter l'instantanéité d'une image entrevue, celle d'une guinguette, de frondaisons ombrageant la promenade, de l'arrivée d'un train en gare; "on voyait, écrit encore Proust, selon l’exposition, la lumière venir se jouer sur les espaliers comme sur les eaux printanières et faire déferler çà et là, étincelant parmi le treillage à claire-voie rempli d’azur des branches, l’écume blanchissante d’une fleur ensoleillée et mousseuse." (Le côté de Guermantes)....

Enfin cette révolution qui transforme la peinture en un langage émotionnel techniquement maîtrisé, est soutenu par une théorie de la couleur et de la lumière. Nous savons que les impressionnistes préféraient juxtaposer des teintes de nuances opposées et  laisser ainsi l'œil recomposer à distance leur combinaison, suivant en cela les travaux d'Eugène Chevreul (1839), qui avait mis en évidence toutes les transformations subies par les couleurs selon leur voisinage.

 

"Le paysage n'est qu'une impression instantanée, d'où cette étiquette qu'on nous a  donnée, à cause de moi, du reste. J 'avais envoyé une chose faite au Havre, de ma fenêtre; du soleil dans la buée, et, au premier plan, quelques mâts de navires pointant... On me demanda le titre pour le catalogue, ça ne pouvait vraiment pas passer pour une vue du Havre; je répondis : "Mettez impression". On en fit impressionnisme et les plaisanteries s'épanouirent." (Monet, rapporté par M. Guillemot.)


1874 est donc, nous le savons, la date de la naissance officielle du groupe impressionniste. C'est dans l’atelier parisien du photographe Nadar, boulevard des Capucines, que le critique d’art Louis Leroy s'acharne en avril 1874 sur un tableau de Claude Monet, intitulé "Impression, soleil levant" : "Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans…". Et huit expositions se succèdent ensuite à Paris, de 1874 à 1886... L'exposition de 1882, limitée à Caillebotte, Gauguin, Guillaumin, Monet, Berthe Morisot, Pissarro, Renoir, Sisley, marque un premier tournant :  chaque peintre va désormais poursuivre son travail individuellement, laissant Monet, suivi d'une petite poignée d'artistes seulement, porter seul le drapeau de l'impressionnisme…. 

Puis Renoir en 1893 semblera avoir épuisé la veine de l'impressionnisme et Pissarro se tournera vers le néo-impressionnisme ... 


Eugène Boudin (1824-1898)
"Trois coups de pinceau d'après nature valent mieux que deux jours de travail au chevalet". Eugène Boudin est le "peintre des plages de la Manche"  et de leurs ciels immenses et mouvants. En 1858, il fait découvrir à Monet, alors âgé de dix-sept ans, "l'ivresse" de la peinture en plein air et, en 1861, Corot lui ouvre les voies des paysages d'atmosphère. À Trouville, en 1862, Monet le présente à Jongkind, dont la sensibilité est si proche de la sienne avec cependant des hardiesses que Boudin n'ose pas aborder. Boudin commença à exposer régulièrement au Salon à partir de 1863 et prit part en 1874 à la première exposition du groupe impressionniste.

Works : Scène de plage à Trouville, Musée Eugène-Boudin de Honfleur (1880) - Trouville, scène de plage, au Musée des beaux-arts, Liège (1884) - Dimanche sur la plage de Trouville, musée d'art moderne André Malraux - MuMa, Le Havre (1888-1895 ) - Étude de ciel sur le Bassin du Commerce au Havre, , Musée d'art moderne André Malraux - MuMa (1888-1895) - La Plage à Tourgéville-les-Sablons, National Gallery, Londres (1893) - Le Port d’Antibes, Musée d'Orsay, Paris (1893) - Trouville, Femmes et enfants devant le Casino, Musée Eugène-Boudin de Honfleur (1894).


Johan Barthold Jongkind (1819-1891)
Jongkind arrive à Paris en mars 1846 connu alors comme un de paysagiste postromantique hollandais. Il travaille dans l'atelier d'Isabey, prend contact avec l'Ecole de Barbizon, et porte sur Paris un regard assez novateur en s'attachant à peindre des scènes prises sur le vif. L'aquarelle devient rapidement sa technique de prédilection et Jongkind choisit de la mettre en oeuvre sans soutien graphique préalable. En 1862, il fait la connaissance de Boudin et Monet, avec lesquels il peint au Havre. Monet écrira à propos de Jongkind qu'il fut après Boudin son maître et qu'il lui doit "l'éducation définitive de son oeil"...

Works : Vue de Paris, la Seine, l'Estacade (1853), musée des beaux-arts d'Angers - Quai de la Seine, Paris (vers 1862-1863), Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen - Plage de Sainte-Adresse (1863), Paris, musée du Louvre - La Ciotat (1880), Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen - Skating in Holland, 1890 …


Claude Monet (1840-1926)

C'est en sortant de table, avec "Femmes au jardin" (1867)  que tout a débuté...

C'est "Femmes au jardin" (1867) qu'il est d'usage d'identifier comme le moment où Monet rompt avec la représentation «classique» du paysage pour privilégier la représentation d'un "instant fugitif de l'éclat de la nature au printemps". "Le soleil tombait droit sur les jupes d’une blancheur éclatante ; l’ombre tiède d’un arbre découpait sur les allées, sur les robes ensoleillées, une grande nappe grise. Rien de plus étrange comme effet. Il faut aimer singulièrement son temps pour oser un pareil tour de force, des étoffes coupées en deux par l’ombre et le soleil.", écrit Emile Zola, mais cette œuvre relève encore de la technique de Manet. Elle est refusée au Salon de 1867, et achetée par Bazille pour aider Monet. "Le Déjeuner sur l’herbe" (1866) montre à quel point Monet avait été impressionné par la créativité de Manet, un tableau d'une telle dimension qui ne put être réalisé qu’en atelier, Frédéric Bazille posant pour toutes les figures masculines et Camille, sa jeune maîtresse, pour les figures féminines. Camille est sollicitée pour "La Femme en robe verte" (1866), elle n'a que 19 ans et ici représentée en vieille cocotte. "Train dans la campagne" vers 1870 (il s'agit de la ligne Paris-Saint Germain avec ses wagons à deux étages) ne possède pas encore la touche impressionniste, les teintes sont homogènes et peu nuancées, les contrastes vifs, la  distribution des lumières et des ombres simplifiée, au loin apparaît la silhouette d'un chemin de fer, encore timide...

1867 – L'apprentissage de Monet débute à Paris, le flot des passants saisi d'un balcon, nouveau regard assumé de haut, "Le quai du Louvre", "Saint Germain l’Auxerrois", "Le jardin de l’Infante", autant de points de vue urbains qui vont alimenter plus tard l'inspiration impressionniste…

1867 - L’apprentissage de Monet se poursuit sur les plages de Honfleur et de Sainte Adresse:  "La plage à Sainte Adresse", "Les régates à Sainte Adresse", et déjà la coloration de "Terrasse à Sainte Adresse" - La plage entre Le Havre et Sainte Adresse était un lieu favori du peintre lorsqu’il était enfant,  c'est aussi l'époque où Monet adresse à sa famille et à Bazille des appels à l’aide financière, des  parents  qui n’approuvent pas sa relation avec Camille Doncieux qui vient d'accoucher de Jean…

En 1868, Camille est assise de dos, au bord de la Seine à Bennencourt, un petit village près de Paris (La rivière, Bennencourt), la touche devient plus rapide, tous les éléments qui s'offrent au regard, naturels ou humains, sont tous représentés avec une même valeur visuelle, l'eau et ses reflets, la lumière éclairant la palette. Monet est toujours à cette époque dans une misère absolue, "Renoir m’apporte du pain de chez lui pour que nous ne  crevions pas. Depuis huit jours pas de pain, pas de vin, pas de feu pour la cuisine, pas de lumière, c’est atroce.."

C'est lors d'un séjour de travail à Bougival, en 1870 (à la veille de la guerre franco-prussienne), avec Renoir (Renoir a 28 ans, Monet, 29 ans), que se précise cette nouvelle technique, tous deux interprétant le même sujet, "La Grenouillère", guinguette et établissement de bains sur la rive de la Seine, non loin de Bougival, sur l'île de Croissy,  lieu prisé des Parisiens avec ses baignade, canotage et restaurant flottant, restituant à touches de couleur rapides et vigoureuses un petit monde abandonné à la joie de vivre (en juillet 1869 Napoléon III et Eugénie y firent une visite, la foule y est élégante, mais quinze ans plus tard Maupassant évoquera , une "cohue furieuse et hurlante qui sue la bêtise"). Monet s’attache moins que Renoir aux détails et se montre plus synthétique (1869, "Les bains de la Grenouillère", "La Grenouillère") .
Monet a épousé son modèle, Camille Doncieux, et tous deux séjournent à Trouville peu de temps après leur mariage : "L'Hôtel des roches noires" (1870, Musée d'Orsay, Paris) témoigne non seulement des mondanités balnéaires de la grande bourgeoisie du Second Empire mais plus encore de l'audace technique du peintre...

 

En été 1870, Camille et Claude Monet, mariés depuis juin rejoignent Boudin à Trouville et tous deux, malgré la déclaration de guerre, dessinent et peignent jusqu’en septembre, Monet représente Camille à plusieurs reprises sur la plage…

"Le pont de Westminster" (1871 - Monet rejoint ensuite Pissarro à Londres : il y exécute des paysages de brume, dont le Parlement de Londres (1871). Monet fit sept séjours à Londres entre 1870 et 1901 ce qui représente plus d'une centaine de tableaux, et malgré une année 1870-71 particulièrement tragique (la défaite, la mort de Bazille, la Commune), ce premier séjour londonien de huit mois fut heureux d'autant plus que soutenu financièrement par le marchand de tableaux Durand-Ruel. Après l’écrasement de la Commune, Monet rentre à Londres via la Hollande, séjourne  cinq mois de juin à novembre 1871 dans le petit port de Zaandam à 12 km d’Amsterdam, il  peint une vingtaine de vues et le seul point d'importance aurait ici la découverte des estampes japonaises..

Le Déjeuner" (1872) - Monet regagne la France peu après la fin de la guerre franco-prussienne, fin de 1871, et s'installe à Argenteuil (il y restera jusqu'en 1878, et on compte 237 tableaux pour cette période) avec l'aide matériel de Manet, mais les acquisitions de Durand-Ruel permettent au couple de mener une vie plus aisée. Renoir, Pissarro et Sisley viennent peindre à Argenteuil, qui va devenir le véritable foyer du mouvement impressionniste. Tant le pont d'Argenteuil, représenté sept fois par Claude Monet, que le pont du chemin de fer qui enjambe la Seine en amont du village, permet à l'artiste de jouer avec la fluidité du cours d'eau, les effets de lumière et la masse géométrique du pont. De plus la Seine forme, à cet endroit, un bassin qui offre la plus vaste étendue d'eau de la région parisienne et permet les activités nautiques ("Régates à Argenteuil", vers 1872, le plus célèbre pour sa juxtaposition de couleurs, le vert et le rouge, le bleu et l’orange, et l'instantané de sa représentation; "Le pont d'Argenteuil", 1874;  à mettre en correspondance avec le singulier "Les déchargeurs de charbon" (1872) et ses diagonales)…

Manet, Renoir, Sisley, Caillebotte confrontent leurs recherches et décident de s'unir et d'exposer leurs toiles chez Nadar en 1874 : le tableau de Monet, "Impression, soleil levant", peint en 1872 au Havre, y devient la cible emblématique de l'exposition, puis du mouvement. Dans "Coquelicots" (1873), devenu après coup l'une de ses plus célèbres toiles tant il réunit toutes les caractéristiques de l’impressionnisme, Camille, la femme de l'artiste, et leur fils Jean sont au premier plan, mais ce qui emporte le regard, l'impression visuelle dominante, ce sont deux grandes zones de rouge et de vert bleuté  évoquant toute l'atmosphère vibrante d'une promenade à travers champs lors d'une journée d'été…

Bien que leurs toiles ne trouvent quasi pas d'acquéreurs, c'est une période de création absolue qui voit s'enchaîner les chefs d'oeuvre de l'impressionnisme..… 

L’effet de neige a toujours passionné Monet, de "La Charette" (dès1865 ) à "La pie" (1869) et au "Train dans la neige" (1875), le silence et la lumière glaciale qui enveloppent verticales de arbres et branches alourdies, horizontale des sols recouverts d'une couche poudreuse qui reflète sur sa surface des ombres géométriques. "Neige à Argenteuil" (1875) saisit les premières chutes de neige dans une atmosphère grise. Plus tard, "Effet de neige à Vétheuil" (1878) et "L’église de Vétheuil" (1878) sembleront marquer une nouvelle étape dans les préoccupations de Monet, l’abandon des sujets de la vie moderne...

Au cours de l'exposition chez Durand-Ruel en 1876, Monet présente 18 toiles, dont "Madame Monet en costume japonais", commentaire riche en couleurs brillantes sur l'engouement qui régnait à Paris pour tout ce qui est japonais (Camille porte une perruque blonde qui souligne son identité occidentale), et "Le déjeuner : panneau décoratif" , qui vaut pour son impression d'instantanéité….

"Le bateau-atelier" (1874) - Si Monet peint souvent à Gennevilliers avec Manet (un Manet dont la gamme chromatique s'éclaircit) et Renoir en cette année 1874, il peint aussi au milieu de la Seine sur son célèbre bateau aménagé en atelier, comme s'il s'agissait de ne faire qu'un avec le motif, "chaque feuille de l’arbre est aussi importante que le visage du modèle", écrira-t-il... On a pu dire que l'eau, le ciel et les feuillages des arbres semblent en fait tourmentés, comme par l'absence si singulière de tout  être vivant... 

Le chemin de fer, les massives locomotives suant et soufflant, et le spectacle de leur panache de fumée traversant campagnes et villes fascinent Monet. À l'exposition de 1877, il présente 30 toiles, dont 7 vues de la Gare Saint-Lazare. "Nos artistes doivent trouver la poésie des gares comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves", écrira Zola..

En 1878, Monet s'installe à Vétheuil avant de s'établir définitivement, cinq ans plus tard, à Giverny, où il résidera jusqu'à la fin de sa vie. Auparavant il aura peint "La Rue Montorgueil à Paris. Fête du 30 juin 1878" (1878), exemple parfait de la technique impressionniste avec sa multitude de petites touches colorées qui suggère l'animation de la foule et le flottement des drapeaux, et "Parisiens au parc Monceau"….

"La débâcle" (1880) dégel spectaculaire de la Seine dans la nuit du 5 au 6 janvier 1880, marque la fin d'une période pour Monet. Le peintre perd son modèle, sa femme, sa douce inspiratrice, Camille (Camille dans "Le Printemps", 1872, "Dans la prairie", 1876, "En costume japonais", 1876, "Aux bouquets de violettes", 1877), le 5 septembre 1879 à Vétheuil, elle avait 32 ans (cf le terrible "Camille sur son lit de mort", musée d'Orsay).

Claude Monet ne s'en redressera que difficilement, quand bien même avait surgi en 1876 Alice Hoschedé et ses cinq enfants, grande bourgeoise fortunée peinte par Carolus-Duran vers 1872 : elle deviendra en 1892 la seconde épouse du peintre impressionniste. Elle paraît dans un premier tableau de Monet, lointaine, en 1880, sur une barque, "Paysage à Vétheuil", avant de s'imposer définitivement…

"Le jardin de l’artiste" (1881) dans lequel on aperçoit Michel Monet et Jean-Pierre Hoschedé, marque la fin des mauvais jours pour Monet. Il séjourne à Poissy et se rend souvent sur la côte normande d’où il rapportera des oeuvres dont le succès fera de lui le véritable chef du mouvement impressionniste (Promenade sur la falaise, 1882). Mais Monet préfère Etretat à Possy : "Etretat, la Manneporte, reflets sur l'eau" (1885) est un des tableaux réalisés sur le site d'Etretat en pays de Caux durant l'hiver 1868-1869 puis chaque année de 1883 à 1886 (Barques sur la plage, 1885, Art Institute of Chicago). Le site est connu de Courbet, mais aussi de Maupassant, des "hautes falaises percées de ces trous singuliers qu'on nomme les Portes" (Adieu, 1884, La Roche aux Guillemots, 1882), ce sera pour Monet un première intuition des fameuses "séries" qui vont s'épanouir sous son pinceau au cours de la décennie suivante..

En décembre 1883 Monet part à la découverte de la côte méditerranéenne en compagnie de Renoir, découvre Menton,  l'Italie, la petite ville côtière de Bordighera (une cinquantaine de toiles), Rome, Naples et Florence. La perception de ses nouveaux paysages, lumineux et luxuriants, le déstabilise quelque peu, il rompt avec ses principes envisageant de peindre de mémoire en atelier une réalité qui lui échappe (Cap Martin, 1884, Villas at Bordighera, 1884, Musée d'Orsay, La Vallée de Sasso, 1884, Musée Marmottan Monet). Les quelques 39 tableaux qu'il exécute à Belle Ile (1886, La Côte sauvage, Les aiguilles de Port-Coton) montrent qu'il a quitté les jeux de l'atmosphère et de la lumière pour ceux de l'océan. Le thème des séries prend ainsi corps, que ce soit les immenses formations de rochers d'Etrat, la diversité chromatique de l'eau bleue et verte, ou celle des champs de coquelicots autour de Giverny…

C'est à la fin des années 1880 que Monet connaît enfin notoriété et richesse : la lumière devient sa préoccupation principale et peint des séries qui en révèle les effets changeants à différentes heures de la journée ou des saisons (15 tableaux, Meules de foin, effets de neiges, matin, 1890, Meule de foin , fin de l'été, matin, 1891, Meule de foin au coucher du soleil près de Giverny, 1891). Le succès de sa série est tel que Monet pourra acheter la propriété de Giverny. A l'été 1891 il commence à peindre les rangées de peupliers plantés au bord de l'Epte, une rivière qui se jette dans la Seine à Giverny (15 tableaux). En 1893, débute, à Giverny, l'aménagement de son célèbre "jardin d'eau" : les nymphéas blancs (1899), le pont japonais (1899)...…

1892, "La cathédrale de Rouen" - Monet réalise une trentaine de tableaux sur le motif de la cathédrale de Rouen, et ce pendant deux périodes distinctes, à environ un an d'intervalle, en 1892 et en 1893, entre les mois de février et d'avril, afin d'étudier les différents effets de la lumière…

Dans "Londres, le Parlement. Trouée de soleil dans le brouillard", 1904, tout comme les vues des ponts de Charing Cross et de Waterloo, Monet joue avec les variations de la lumière et de l'atmosphère propres au célèbre "fog", le brouillard qui enveloppait la ville au XIXe siècle, spécialement en automne et en hiver. L'architecture de pierre perd ainsi toute consistance, se livrant au ciel et à l'eau peints tous deux  avec les mêmes tonalités, le mauve et l'orangé. En mai 1904 Monet exposa 37 toiles de Londres. 
Monet ne peint plus des objets en tant que tels, mais leurs reflets et leur dissolution au gré des variations de la lumière, de celle-ci dans le temps et les saisons...

En 1908, il réalise 29 peintures lors d'un séjour de deux mois de Venise (Le Palais da Mula, National Gallery of Art, Washington), une série non pas composée des plusieurs points de vue d'un même motif au cours des différentes moments de la journée, mais différents motifs répétés au cours de la journée reflétant les jeux de l'eau et la lumière, de la pierre et du ciel, du solide et de l'éphémère…

En 1914, Monet fait construire dans son jardin de Giverny un grand atelier lumineux pour y peindre de vastes tableaux sur le thème des Nymphéas (236 toiles). C'est que le peintre cultive ses fameux "Nymphéas bleus" dans le jardin d'eau qu'il fait aménager en 1893 et, à partir des années 1910 et jusqu'à la mort du peintre en 1926, le jardin et son bassin deviennent son unique source d'inspiration. Pourquoi un tel engouement du public depuis lors? La touche peintre fait ici preuve d'une liberté totale, dégagée de la description de toutes formes, si proche de l'abstraction....

Works : "Régates à Sainte-Adresse", 1867, Metropolitan Museum of Art, New York - "Femmes au jardin", 1867, Musée d'Orsay, Paris - "La Pie", 1868, Musée d’Orsay, Paris - "Bain à la Grenouillère", 1869, Metropolitan Museum of Art, New York - "Impression soleil levant", 1872, Musée Marmottan, Paris - "Les Coquelicots", 1873, Musée d'Orsay - "Gare Saint-Lazare", 1877, Musée d'Orsay, Paris - "La cathédrale de Rouen", 1894, Musée d'Orsay, Paris - "Le pont japonais sur le bassin aux nymphéas à Giverny", 1899, Princeton University Art Museum, New-Jersey ... Le Musée Marmottan Monet devient en 1966 le gardien de la plus importante collection d’œuvres de Monet au monde, d’Impression, Soleil levant aux Nymphéas de Giverny.


Auguste Renoir (1841-1919)
Renoir a laissé une œuvre considérable, nécessairement inégale : plus de 4 000 peintures, soit un nombre supérieur à celui des oeuvres de Manet, Cézanne et Degas réunies. De 1869 à 1874, Renoir et Monet travaillent côte à côte, exécutent des oeuvres dans un même esprit de recherche à la  Grenouillère" et à Argenteuil (1873-1874). Ici, c'est plutôt Renoir qui se rapproche de Monet en fragmentant les touches destinées à rendre les reflets colorés sur l'eau, mais les ombres y sont plus chatoyantes alors que Monet joue d'effets d'opposition plus tranchés. Quelques sites de la région parisienne doivent en effet leur renommée à l'impressionnisme, comme la Grenouillère, établissement de bains situé au bord de la Seine, à Bougival, très fréquenté par les Parisiens en fin de semaine. Profitant de la résidence de ses parents à Louveciennes, Renoir, accompagné de Monet, travaille à Bougival pendant tout l'été 1869. Sa guinguette, ses bains et ses canots sur le fleuve constituent autant de prétextes à des toiles scintillantes de couleurs.

 À l'opposé des paysagistes classiques, qui réalisent des vues champêtres vides de présence humaine, ou parfois animées de nymphes ou de dieux, les impressionnistes se concentrent sur les frondaisons ombrageant la promenade, les reflets du fleuve, l'activité des nageurs et des canotiers, l'animation de la foule : "Claude Monet lisant (1872, Musée Marmottan, Paris), "Monet peignant son jardin à Argenteuil" (1873, Wadsworth Atheneum, Hartford), qui nous montre un Monet reconnaissable à son inséparable chapeau rond et utilisant un matériel de peinture léger susceptible d'être aisément transporté sur le motif, une toile proche ce celles de Monet et de Pissaro qui illustre parfaitement le principe essentiel de l'impressionnisme, "La Loge" (1874, Courtauld Institute Galeries, Londres), véritable hymne à la beauté féminine capté en plein théâtre, Nini, et nous rappelle que pour Renoir "le noir est la reine des couleurs", "La Femme en bleu" (1874), Collection particulière), "Les Moissonneurs" (1873), instantané d'été en pleine luminosité, "Femme à l'ombrelle et enfant" (1874), qui représente Camille, l'épouse de Monet, et rappelle la technique de Manet, "La Liseuse" (1874), elle avait, dira Renoir, "une peau qui prend la lumière", "Printemps à Chatou" (1875) et son pré d'herbe douce caressé par la lumière chatoyante du soleil, le fameux , "Étude ; torse, effet de soleil" (1875, Paris, musée d'Orsay), tant décrié par la critique, le modèle est Anna, 19 ans, une rondeur qui se fond dans la nature et ses effets de lumière, "Dans les bois" (1877) et "La Vague" (1879) qui montrent la limite du traitement de la lumière que seul Monet franchira lorsqu'il dissoudra toutes formes en représentant les paysages de son jardin de Giverny  ....

Mais Renoir, à l'inverse de ses amis impressionnistes, ne peut abandonner la figure, notamment celle de la femme. A partir de 1876, il applique au portrait les principes des impressionnistes, aux côtés desquels il figure à la deuxième Exposition impressionniste : "Autoportrait à 35 ans" (1875), "Madame Henriot" (1876), "Victor Chocquet" (1876), "La Balançoire" (1876), où "les effets de soleil sont combinés d'une façon si bizarre qu'ils produisent exactement l'effet de taches de graisse sur les habits des personnages", commentera un critique, le célèbre "Le Moulin de la Galette" (Paris, musée d'Orsay), triomphe de la jeunesse, de la gaieté et de la joie de vivre, Renoir n'avait ainsi jamais peint une composition avec autant de personnages et certains constituent de véritables portraits, "Première sortie" (1876) qui capte tout le bonheur d'une jeune femme aux yeux grands ouverts découvrant le "monde", "Jeanne Samary" (1877) actrice aussi célèbre en son temps que Sarah Bernhardt et qui mourra trop jeune, "Au bord de l'eau" (1879), "Sous la tonnelle" (Moscou, musée Pouchkine)…

En 1880, séjournant à Croissy, il commence sa célèbre composition : "Le Déjeuner des Canotiers" (1m30 sur 1m73, The Phillips Collection, Washington, 1881), où il évoque encore une fois la vie heureuse et sensuelle qu' il affectionne, une scène qui se déroule sur la terrasse du restaurant Fournaise, sur une île de la Seine à Chatou, et représente individuellement nombre de ses relations du moment: Aline Charigot,  que Renoir épousera (au premier plan, à gauche), Alphonse Fournaise, le baron Barbie, avec un chapeau haut de forme, le banquier Ephrussi, devant lui, Angèle, un modèle, est en train de boire, Alphonsine Fournaise, accoudée à la balustrade, à droite le journaliste Maggiolo, au premier plan, à droite, Gustave Caillebote....

Mais "vers 1883, il s'est fait comme une cassure dans mon œuvre. J'étais allé jusqu'au bout de l'impressionnisme et j'arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j'étais dans une impasse" (Renoir cité par Vollard, dans "Renoir", Paris, 1920). La mort de Manet, en avril 1883, l’a sans doute vivement atteint et va ressentir une sorte de nostalgie du métier des maîtres anciens : "Les Grandes Baigneuses", 1884-1887, Musée d’art de Philadelphie, Pennsylvanie;  "Les parapluies" (1885); "Femme se coiffant", 1887, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg;  "Jeune Baigneuse", 1892, Metropolitan Museum of Art, New York), "Aline Charigot" (1885), qui avait commencé à poser pour Renoir dans le "Déjeuner des Canotiers", deviendra sa maîtresse et l'accompagnera à Naples et à Capri fin de 1881 et que Renoir épouse en 1890; elle posera en resplendissante "Baigneuse blonde". C'est avec "Baigneuse à la coiffure" de 1885 que Renoir rejette le plus nettement la technique impressionniste qui noyait les figures dans l'atmosphère ambiante, Renoir semble fasciné par la ligne et se rapprocher d'Ingres. Pierre, le premier fils de Renoir, naquit en mars 1885, la petite famille séjourne à La Chapelle Saint Briac en Bretagne en 1886, la peinture impressionniste n'est plus qu'un lointain souvenir….

Mais concilier dessin et couleur reste l'enjeu principal, et le corps "généreux" de la femme, "l'oeuvre de Dieu" dans chacun de ses mouvements surpris in vivo : "Après le bain" (1888), "Jeune fille s'essuyant les pieds" (1888), série de "La leçon de piano" (1889-1892) aux couleurs chaudes. Puis, "Baigneuse" en 1892 confirme le retour de Renoir vers une exécution adoucie de ses modèles, le visage respire l'innocence, la pudeur; "Jeune fille aux fleurs" (1895), "Baigneuse" (1895), "Baigneuse endormie" (1897). Au début de l'été 1894, Gabrielle, cousine d'Aline et modèle de nombre de tableaux, vient vivre avec les Renoir pour aider aux soins du ménage, et Jean, second fils de Renoir, naît en septembre 1894 (La Famille de l'artiste, 1896).

Après 1900 Renoir va peindre des modèles aux formes plus amples, monumentales (Rubens n'est jamais très loin) qui vont particulièrement solliciter de manière plus directe le spectateur ("La Toilette", 1900; "Baigneuse", 1903; "Gabrielle en blouse ouverte", 1903; "Baigneuse assise", 1910; "Gabrielle à la rose", 1911) tandis que naît Claude, le 4 août 1901 à Essoyes, et sa nurse, Renée Jolivet, va rejoindre le panthéon des modèles servantes de Renoir, Gabrielle, Georgette Pigeot. Mais en décembre 1913, Gabrielle doit partir tant les tensions internes sont importantes: "le pauvre Renoir souffre, écrit Mary Cassatt. Sa femme a renvoyé son ancien modèle qui était chez eux depuis 18 ans, sa fidèle infirmière.. et il doit se débrouiller seul, lui qui est aussi impotent qu'un bébé" (Autoportrait de 1910)…


Edouard Manet (1832-1883)
Le premier tableau de Manet, "Le Buveur d’Absinthe", est refusé au Salon de 1859 et en 1863, l'histoire a retenu comme un tournant significatif le refus par le jury du Salon officiel son  «Déjeuner sur l'herbe». Avant Pissarro et Monet, avant l’impressionnisme, c'est Edouard Manet qui le premier assume, malgré lui, la contestation de l'emprise de l'académisme (nouveau rejet, "Le Déjeuner dans l'atelier", 1868, Munich, Neue Pinacothek, jugé représentatif de son oeuvre à venir), un Manet qui n’est pas et ne sera pas un impressionniste mais le chef de file par excellence des artistes novateurs, un Manet qui appartient profondément à la haute bourgeoisie parisienne et semblera s'étonner du mépris que sa nouvelle manière de peindre provoque de la part du monde de l'art officiel. Sa nouvelle manière de peindre est toute entière assise sur l'idée que la peinture n'est que de la peinture : "Je peins ce que je vois, et non ce qu'il plaît aux autres de voir", mais refuse de se soumettre au "despotisme de la couleur"... Zola dans son roman, "L'oeuvre" (1883-1886), publié après la mort de Manet, dresse le portrait d'un artiste, Claude Lantier, synthèse de Manet et de Cézanne, un génie raté incapable de terminer une peinture, rectifiant continuellement son tableau,  mauvais époux, mauvais père, qui finira par se suicider.
Si Manet n'exposera jamais avec les impressionnistes, il ira pourtant s'installer en 1874 à Argenteuil et peindre canotiers et bateaux, invitera Berthe Morisot, sa future belle-soeur, à poser pour lui  ("Berthe Morisot au bouquet de violettes", 1872, «Le Balcon» (1869) sera acheté par Gustave Caillebotte), éclaircira sa palette dans quelques oeuvres, "Le Chemin de fer" (1872–1873, Washington, National Gallery of Art), "La Serveuse de Bocks" (1879) et "Un Bar aux Folies Bergère" (1881-1882)...


Effets sur l'avenue de l'Opéra (Pissarro, 1898) ...

Camille Pissarro (1830-1880)

Camille Pissarro a occupé une place centrale sur la scène artistique de son époque. Membre fondateur de la nouvelle école de peinture française, il était un ami proche de Monet, un associé de longue date au travail expérimental de Degas et de Mary Cassatt, un soutien pour Cézanne et Gauguin, et un réconfort pour Van Gogh, et il a été soutenu par le grand marchand d'art parisien Paul Durand-Ruel tout au long de sa carrière. Néanmoins, il éprouve le sentiment persistant d'être à part, différent et difficile à classer. Installé en France depuis l'âge de vingt-cinq ans mais né aux Antilles, il n'est pas français et, de surcroît, il est juif. S'appuyant sur l'œuvre considérable de Pissarro et sur une vaste collection de lettres qui témoignent de ses pensées débridées, Anka Muhlstein offrira, par exemple, dans "Camille Pissarro: The Audacity of Impressionism" (2023), un portrait nuancé et intime de l'artiste dont l'esprit indépendant a favorisé un environnement de liberté et d'autonomie...

 

A la différence de Monet, Pissarro privilégie les aspects changeants des paysages ruraux au milieu desquels il s'installe, Louveciennes en 1869, Pontoise en 1872 : "la Route de Rocquencourt "(1871), "l'Entrée du village de Voisins" (1872, Paris, musée d'Orsay), "la Route de Louveciennes", "Gelée blanche" (1873), "la Route de Gisors à Pontoise, effet de neige" (1873, Boston, M. F. A.), "les Toits rouges. Coin de village, effet d'hiver" (1877). Reconnu pour la richesse de sa gamme à base de bruns, de verts et de rouges mais aussi par son sens de la composition, il influencera Cézanne et sera l'un des premiers maîtres de Gauguin.

 

Matériellement difficiles pour Pissarro, les années 1880-1885 marquent une évolution dans sa manière de peindre, interrogations qui agitent tout le groupe de Pontoise (Cézanne, Gauguin, Guillaumin).  qu'à ses recherches personnelles sur la lumière et ses effets. En 1882, Pissarro quitte Pontoise pour Osny avant de s'installer à Eragny-sur-Epte en 1884. " La maison de la Folie" (1885) date de son arrivée à Eragny, à l'image de 'La maison du pendu" de Cézanne (1873, musée d'Orsay): le titre souligne ici l'ancrage de l'oeuvre dans la mémoire d'un lieu particulier…

Enfin, il fut l'un des rares impressionnistes à s'intéresser sérieusement à la figure humaine avec "Portrait de Felix Pissarro " (1881, National Gallery London) et "le Portrait de Félix en jupe" (1883). Une grande rétrospective chez Durand-Ruel en 1892 connaît un véritable succès, et Pissarro commence à se spécialiser dans les séries d'un même motif, généralement urbain, notamment dans différents lieux de Paris, à partir de 1893 : "Avenue de l'Opéra. Effet de neige le matin", 1898, musée Pouchkine, Moscou - "La Place du Théâtre Français, printemps", 1898, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg - "La Place du Théâtre Français", 1898, Los Angeles County Museum of Art, Los Angeles - "Avenue de l'Opéra", 1898, musée des Beaux-Arts, Reims - "le Jardin des Tuileries un après-midi de printemps", 1899, The Metropolitan Museum of Art, New York - "Le Jardin des Tuileries un après-midi d'hiver", 1899, The Metropolitan Museum of Art, New York - "Le Jardin des Tuileries", 1900, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg…


Frédréric Bazille (1841-1870)
 Né dans un milieu protestant fortuné et cultivé, Bazille rencontre Monet, Renoir, Sisley aux Beaux-Arts en 1862 et étudie dans l'atelier de Charles Gleyre. Il loue en 1864 un atelier rue de Vaugirard et, en juin, séjourne avec Monet à Honfleur, où il rencontre Boudin et Jongkind. De retour à Paris, ayant échoué à ses examens de médecine, il décide de se consacrer entièrement à la peinture. Très vite, il s'intègre dans le groupe qui se forme autour d'Edgar Degas, Alfred Sisley, Édouard Manet, Berthe Morisot, Paul Cézanne, Camille Pissarro, Émile Zola, Paul Verlaine...

Bazille s'attache à combiner une peinture de figures en plein air tout en se concentrant avec la lumière naturelle : "La robe rose" (1864, Musée d'Orsay, Paris), "Réunion de famille" (1867, Musée d'Orsay, Paris), "Portrait d'Auguste Renoir" (1867, Musée Fabre, Montpellier), "Vue de village" (1868, Musée Fabre, Montpellier), "La Toilette" (1869-1870, Musée Fabre, Montpellier). Il s'installe en 1868 dans le quartier des Batignolles, rue de la Condamine, à proximité du Café Guerbois dont il devint un habitué. C'est dans cet atelier qu'il peint en 1870 "L'atelier de Bazille, rue de la Condamine", où on le voit présentant une nouvelle oeuvre à Manet et Monet, alors que son ami Maître joue du piano et que Zola discute avec Renoir. Son oeuvre sera interrompue par sa mort prématurée à la guerre de 1870.


Gustave Caillebotte (1848-1894)

Caillebotte est apprécié pour ses scènes de rues dans le Paris haussmannien ou ses vues plongeantes exécutées depuis son balcon. Caillebotte rencontre Degas, Monet et Renoir en 1873, et les aide en 1874 à monter la première exposition des Impressionnistes, avant de devenir co-organisateur et co-financier de la plupart des suivantes, notamment en 1876. Il meurt à quarante-cinq ans en février 1894.
Caillebotte pratiqua une peinture influencée par Degas : "Les Raboteurs de parquet" (1875, musée d'Orsay),  une des premières représentations du prolétariat urbain de facture documentaire et classique, qui sera présenté au Salon de 1875 mais refusé par le Jury (une "peinture bourgeoise à force d'exactitude", écrira Zola); "Le Pont de l'Europe", 1876, musée du Petit Palais, Genève; "La Place de l'Europe à Paris, temps de pluie", 1877, Institut d'art, Chicago; "Vue de toits (effet de neige)", parmi les vingt-cinq oeuvres que Caillebotte propose  en 1879 à la quatrième exposition impressionniste; "Un balcon", 1880, collection privée) et les paysages animés du le bassin d'Argenteuil ("Les Périssoires" (1877) Art Museum - Milwaukee; "Voiliers à Argenteuil", 1888, Musée d'Orsay, Paris; "Canotiers ramant sur l'Yerres", 1879), Caillebotte est en effet un yachtman passionné et a remporté dès 1879 des régates sur la Seine.  Dès 1881, il achètera une maison au Petit-Gennevilliers, sur la rive de la Seine face à Argenteuil, qui deviendra sa résidence principale....


Edgar Degas (1834-1917)
Degas se lia rapidement avec Manet , Monet et Renoir, et participa en 1874 à la première exposition impressionniste. Mais, contrairement à ses amis, il ne manifesta guère d'intérêt pour le paysage et pour l'étude de la lumière : observateur de la vie moderne, il leur préféra les scènes urbaines (Portraits à la Bourse ; Femmes à la terrasse d'un café, 1877) et les champs de courses qui lui permettaient de saisir les chevaux en plein effort (à l'hippodrome, 1869-1872, Musée d'Orsay), ou encore les salles de spectacles (Mademoiselle Fiocre dans « La Source », 1868). "La Famille Bellelli" (1858-1860, Musée d'Orsay, Paris) est pourtant considéré comme l'un des premiers chefs-d'oeuvre de l'Impressionnisme. Degas révèle ici un sens très personnel de la composition : le baron Bellelli est vu de dos et semble insignifiant dans une scène de deuil qui semble pourtant saisir sur le vif les attitudes et sentiments des différents membres de la famille Bellelli.


Mary Cassatt (1844-1926)
Née dans une riche famille de Pittsburgh, Mary Cassatt découvre en 1874 Degas et ses œuvres et prend ainsi sa part au mouvement impressionniste (Berthe Morisot par Édouard Manet, 1870). Elle va peindre ainsi, sa vie durant, les portraits de proches, le plus souvent femmes et enfants saisis dans l'intimité de leur quotidien, mais en recherchant, à l'instar de Degas, la vérité du geste ou de l'attitude. Mary Cassatt consacra les dernières années de sa vie à faire connaître la peinture impressionniste auprès des amateurs et collectionneurs américains.
Works: : "Le Berceau", 1872, musée d'Orsay - "The Child's Bath" (The Bath), 1893, Art Institute of Chicago - "Summertime", 1894, Terra Foundation for American Art, Chicago - "Woman Admiring a Child" (1897) Detroit Institute of the Arts, Drawing - pastel - "Woman Bathing", 1891, Metropolitan Museum of Art - New York, NY -  "Woman with a Pearl Necklace in a Loge", 1879, Philadelphia Museum of Art - "Young Mother", 1900, Metropolitan Museum of Art - New York, NY - "Young Woman Sewing in a Garden",  1886, Musée d'Orsay - "Young Woman Trying on a Dress", 1890-1891, Art Institute of Chicago


Alfred Sisley (1839-1899)
Sisley plante en 1870 son chevalet sur les berges du canal du Loing, " à un endroit où le canal amorce une courbe et lui permettant d'apercevoir la rive opposée à travers un rideau de peupliers aux troncs dénudés" : les "Bords du Loing vers Moret" (1883) et le "Canal du Loing" (1884, Musée d'Orsay, Paris) sont reconnus comme caractéristiques d'un style proche d'un Monet et d'un Renoir, une palette claire, une harmonie lumineuse, des touches rapides. Il s'installe définitivement à Moret-sur-Loing en septembre 1882 Mais s'il participe aux trois premières expositions impressionnistes, Sisley dut subir jusqu'à la fin l'indifférence du public. 
Works : "Chemin de la Machine, Louveciennes", 1873 - Paris, Musée d'Orsay - "L'inondation à Port-Marly", 1876 - Paris, Musée d'Orsay - "La Seine à Bougival" (1876), New York, Metropolitan Museum of Art - "Une rue à Marly" (1876), Mannheim, Kunsthalle …


Berthe Morisot (1841-1891)
Longtemps demeurée à l'ombre de ses confrères impressionnistes, Berthe Morisot fut pourtant considérée par eux comme leur égale. En 1868 elle se lia avec Manet qui lui demanda de poser pour " le Balcon " (1868, Paris, musée d'Orsay). En 1874, elle épousa le frère d'Edouard Manet dont elle eut une fille qui devint son modèle de prédilection. Elle peignit beaucoup d'intérieurs, des portraits ainsi que des scènes de plein air.

Ses oeuvres les plus reconnues sont "Femme au jardin", "Cousant dans le jardin" (1881, musée de Pau), "Dans l'herbe à Maurecourt" (1884, Toledo, Ohio, Museum of Art). "Jeune femme en toilette de bal" (1879, musée d'Orsay) est un portrait qui, loin des représentations mondaines de l'époque, se situe aux confluences de l'impressionnisme et de l'art de Manet (Giuseppe de Nittis fera l'acquisition de ce tableau dès son exposition). A partir de 1881, Berthe Morisot et Mary Cassatt vont progressivement faire preuve de plus d'audace et apparaître, aux yeux des critiques, comme les chefs de file d'un impressionniste renouvelé. 


Eva Gonzalès (1849-1883)
Eva Gonzalès est la moins connue des trois femmes impressionnistes et sa disparition à l'âge de 34 ans, la même année que celle de Manet,  ajoute au sentiment d'inachèvement de son oeuvre. En 1865, à l'âge de 16 ans, elle commence à étudier chez le peintre français d'origine anglaise Charles Chaplin (1825-1891), puis entre en 1869 dans l'atelier d'Édouard Manet, comme Berthe Morisot. Elle expose pour la première fois au salon de 1870 avec un certain succès. Sa peinture se fait de plus en plus impressionniste mais elle refuse de participer, à l'image de Manet, aux salons impressionnistes, au contraire de Berthe Morisot et de Mary Cassatt. Ses thèmes de prédilection portent sur les portraits (sa soeur Jeanne) et les scènes d'intérieur : "Une loge aux Italiens" (1874, musée d'Orsay), "Le réveil" (1876, Kunsthalle, Brême) qui révèle la touche personnelle et sensuelle qui la distingue de son mentor....


Marie Bracquemond (1840-1916)
Marie Bracquemond est une des dames oubliées de l'impressionnisme, longtemps marquée par ses années passées au studio du peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres, longtemps rejetée dans l'ombre de son peintre de mari, peintre de porcelaine, Félix Bracquemond, elle
débute par un troublant "autoportrait" (1870), puis un portrait de sa soeur, Louise, en 1877. A partir de cette date, elle fréquente tant Alfred Sisley que Manet, et s'engage dans le mouvement impressionniste : outre le fameux "Sous la Lampe" (1887), "Sur la Terrasse à Sèvres" (1880), "Trois femmes aux ombrelles" (1880, Musée d'Orsay), "La dame en blanc". Découragée, elle cessera de peindre en 1890...


Armand Guillaumin (1841-1927)
Armand Guillaumin  entre à la fin de 1868, au service des Ponts et Chaussées de la Ville de Paris et mènera sa vocation de peintre (robuste peintre des quais de Paris et des paysages de la Creuse) tout en  poursuivant son travail de petit employé sans perspective , et ce jusqu'en 1891, date d'un coup de fortune. Il voit enfin en 1900 ses oeuvres figurer dans des ventes importantes où figurent des artistes impressionnistes. Jusque-là, il sera directement associé à l'aventure impressionniste et livrera des oeuvres pratiquement à tous les salons jusqu'en 1886. A l'intérieur du groupe, il s'avère plus proche de Cézanne et de Pissarro, qu'il fréquente dès 1874, préférant peindre par larges touches, en "coloriste féroce" (pour reprendre une note de Huysmans), en adepte d'un certain constructivisme (on évoquera par la suite l'école de Pont-Aven), plus que par touches en demi-teintes, ce qui lui vaudra nombreuses réticences de la part des critiques et du public de l'époque. En 1893 il est connu comme le "maître" de Crozant (Creuse). Passé 1900, Armand Guillaumin  exacerbe ses couleurs, composant ses pourpres, ocres et violets sur la Côte d'Azur à Agay ou dans le  massif de l'Esterel, il approche du fauvisme naissant d'un certain Othon Friesz...

"Paris, quai de Bercy, effet de neige" (1873, Musée d'Orsay), "Self Portrait with Easel" (1878, Van Gogh Museum, Amsterdam), "Quai de Bercy" (1885), "Le Ravin de la Folie, Crozant" (1894, Musée du Petit Palais, Geneva), "Paysage de neige à Crozant" (1895, MuMa Le Havre),...


Maximilien Luce (1848-1951)
Le critique américain retient ses vues de Paris, Saint-Michel ou Notre-Dame, un certain Félix Fénéon, à son époque,  décrivit ainsi Maximilien Luce, un ancien ouvrier graveur socialisant qui peint alors que Georges Seurat entame "Une baignade à Asnières" : "un nouveau venu, un brutal et un loyal au talent fruste et musculeux. Dans des mansardes sans femmes, un ouvrier nu-torse se débarbouille, un autre trempe une croûte dans un bol. Les plus lépreux abords des fortifications, il les peint..." : "Man Washing" (1887, Musée du Petit Palais), "Interior Scene" (1888), "Leaning Nude" (1889). C'est en 1887, et pour quelques années, que Luce adopte la technique néo-impressionniste de la touche divisée et de l'application scientifique de la théorie des couleurs, "La Seine à Herblay" (1890, musée d'Orsay, Paris), "Morning, Interior" (1890, Metropolitan Museum of Art), puis aborde le thème de la la civilisation industrielle (The Banks of the Sambre, 1896, Panorama of Charleroi, Les Fumées sur la ville, 1899, œuvre dédiée à Marthe Verhaeren). Sans perdre sa volonté d'engagement politique et sociale (1903, 1902-1903; The Pile Drivers, Musée d'Orsay, 1903-1905 The Commune), il revient progressivement à une technique plus simple et un choix de coloris plus affirmé à la veille de la première guerre mondiale...


L'année 1886 marque la fin de l'aventure impressionniste…
Dans les années 1880, Paul Gauguin rejoint Camille Pissarro (1830-1903) à Rouen, un Pissarro qui est le doyen des impressionnistes et pourtant le plus ouvert à toutes les innovations : le voici soutenant tant Paul Gauguin (1848-1903) que Paul Cézanne (1839-1906), accueillant Paul Signac (1863-1935) qui en 1886 réalise son premier tableau  divisionniste. La même année, Georges Seurat (1859-1891) et ce dernier participent à la huitième et dernière exposition des impressionnistes : Seurat y présente "Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte" (Art Institue of Chicago), prémices d'un nouveau mouvement pictural, le néo-impressionnisme, dans lequel la touche morcelée des impressionnistes laisse place à de minces tirets, parfois à des points. A la même date, après de longues années de lutte, les impressionnistes commencent à connaître une certaine renommée et le marchand de tableaux Durand-Ruel tente l'aventure outre-Atlantique; il  s'embarque à destination de New York avec plus de 300 toiles de ses peintres, bien décidé à ouvrir le Nouveau Monde à l'art moderne. L'intuition de Monet implose avec sa série des Cathédrales (1894) et celle de ses Nymphéas (1899), la lumière et la couleur deviennent le véritable sujet du tableau, et le conduisent aux portes de l'abstraction. Cézanne, pour qui l'impressionnisme ne fut qu'une brève aventure, oppose à la touche fractionnée une construction rigoureuse de la forme par la couleur, ouvrant la voie au cubisme. Grand admirateur du maître d'Aix, Gauguin se tourne vers un art simplifié, traitant la forme en grandes masses colorées. Bien des peintres ont depuis inconsciemment subi l'influence de la formule impressionniste, le  mettant adroitement à la portée du public tout en l'affadissant : le peintre naturaliste Jules Bastien-Lepage (1848-1884) constitue l'exemple parfait, cité par Zola, de l'épuisement en une dizaine d'années (1874-1886) de l'intuition impressionniste...