Walter Horatio Pater (1839-1894) - Algernon Charles Swinburne (1837-1909) - Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) - William Morris (1834-1896) - Edward Burne-Jones (1833-1898) - George Frederic Watts (1817-1904) - Frederic Leighton (1830-1896) - James McNeill Whistler (1834-1903) - ...
Last update: 18/12/2016
Sous les apparences des atmosphères étranges des "Moonlight Scene" d'un John Atkinson Grimshaw (1836-1893), - 1880, Leeds Bridge (Leeds Art Gallery), 1882 London, View of Heath Street by Night (Tate Britain, London), 1892, Liverpool Docks by Night (Walker Art Gallery, Liverpool), - sous l'immobilisme apparent et rigide de cette fin de siècle britannique qui court jusqu'à la mort de Victoria, alors que la petite bourgeoisie de la boutique et celle des employés de bureau s'en va rallier de larges fractions ouvrières à la morale victorienne et au souci de "respectabilité", dans cette fameuse "déférence envers les supérieurs", que toutes les Églises et sectes entreprennent de gigantesques efforts missionnaires pour endiguer l'irréligion, que les grèves impressionnantes et mouvements de travailleurs ne semblent pas remettre en cause les formidables manifestations d’affection et de loyalisme que constituent les deux jubilés de Victoria, en 1887 et en 1897, la créativité artistique britannique persévère dans cette seule voie que lui laisse emprunter la morale sociale victorienne : faire de l'art pour l'art (Art for art’s sake).
Swinburne va suivre Théophile Gautier qui écrit dans la préface de "Mademoiselle de Maupin" (1835) : "Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à
rien ; tout ce qui est utile est laid." L'art doit certes se libérer de toute préoccupation d'ordre moral, utilitaire ou religieux, et ne doit avoir d'autre fin que lui-même, mais au-delà, c'est
bien la question de la sensualité et du corps qui s'exprime, une sensualité dont il faut parvenir à assurer l'expression dans un monde clos de conventions sociales et morales : "Mon corps
rebelle, ajoute Gautier, ne veut point reconnaître la suprématie de l'âme et ma chair n'entend point qu'on la mortifie.". Huysmans souligne lui aussi l'importance du corps, de ses
désirs et de ses plaisirs, dans "À rebours" ou sous les traits de Lord Henry, dans "Le Portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde : "Tout désir que nous cherchons à étouffer couve en notre esprit et
nous empoisonne. Que le corps pèche une bonne fois et c'en est fait de son péché". S'ouvre l'horizon de tous les raffinements, de toutes les expériences qu'offre la vie, "que rien de votre être
ne se perde".
Le mouvement de l'art pour l'art émerge donc avec l'essai d'Algernon Charles Swinburne sur "William Blake" en 1868, et la même année le critique et historien de
l'art, Walter Horatio Pater (1839-1894), dont l'influence est alors marquante depuis son université d'Oxford, définit le nouveau mouvement, que l'on nommera l'Aesthetic Movement, et
qui va progressivement s'imposer tout au long de cette fin de siècle malgré la Royal Academy et les conventions victoriennes : il faut "se borner à connaître de près les belles choses et s'en
nourrir en exquis amateurs, en humanistes accomplis" (The Renaissance, 1873).
Walter Horatio Pater (1839-1894)
Walter Pater influencera tout le tempérament artistique britannique de cette fin de siècle avec son fameux "Essai sur l'art et la Renaissance" (1873). Il rédige en 1885 "Marius l'épicurien" (Marius the Epicurean, His Sensations and Ideas) pour offrir un modèle global à l'expérience de l'art en tant que mode de vie. Si le roman décrit l'éducation d'un jeune Romain, son expérimentation des différentes philosophies païennes, avec en point culminant la foi et le martyre chrétiens, ce ne sont pas tant les évènements de son existence qui lui permettent d'évoluer, que ses lectures : elle seule permet de relier passé, présent et futur, elle seule soutient une maturation morale ou le pouvoir rédempteur auquel la vie nous confronte.
Algernon Charles Swinburne (1837-1909)
Fils sprirituel de Shelley et de William Blake, ce fils d'aristocrate, à l'hérédité particulièrement chargée (son père, le futur amiral Charles Henry
Swinburne, et sa mère, lady Jane, fille du comte d'Ashburnham, étaient cousins et leurs deux familles depuis longtemps alliées ), élevé dans l'île de Wight par ses grands-parents, formé à Eton et
à Oxford, qu'il quitte obscurément en chemin, étrange assemblage d'un être de petite taille, de santé fragile, mais pourvu d'une force physique et d'un tempérament facilement excitable,
Swinburne s'est rapidement forgé en pleine période victorienne une image de poète à la vie dissolue, anticonformiste, antireligieux, républicain. Sa poésie fait scandale, véhiculant paganisme
antique et sado-masochisme, quoique, au dire d'Oscar Wilde, Swinburne professa le "vice" plus qu'il ne le pratiqua.
Il connaît le succès avec la tragédie antique "Atalanta in Calydon " (1865), puis "Laus Veneris" et ses "Poems and Ballads" (1866) font scandale, révélant
sa sensualité homosexuelle (on le dit algolagnique) : il se veut païen, comme dans la Grèce antique, et célèbre Aphrodite, Proserpine, Pan, Sappho et les jeunes éphèbes. Deux autres séries de
"Poems and Ballads", publiées en 1878 et en 1889, mêlent l'appel à la révolte ("Ode sur la proclamation de la République française", 1870), son admiration pour la République, parce qu'Athènes
exalta la république, pour les révolutionnaires (G. Mazzini, W. S. Landor, mais aussi Victor Hugo, Baudelaire et Sade) et l'effort de légitimation du non-conformisme sexuel. En 1867,
Swinburne rencontra son héros Giuseppe Mazzini, qui vivait en exil en Angleterre et lui inspira les "Songs before Sunrise" (1867). C'est en 1868 que se place la rencontre fortuite de Guy de
Maupassant et de Swinburne : le récit qu'en fit Maupassant impressionna nombre d'écrivains, tissant un lien étrange entre les deux littératures, la littérature française quittant alors le
naturalisme pour inspiration plus "fin de siècle".
"Laus Veneris" est à la fois poème de Swinburne (1866) et peinture de Burne-Jones (1873-1875) : Swinburne réinterprète la vision classique de Vénus et Adonis pour lui donner une sensualité totalement débridée, pulsionnelle, mêlant plaisir et douleur, beauté et terreur, allant jusqu'à exprimer un désir masochiste d'être dévoré par celle que l'on aime ...
"Asleep or waking is it? for her neck,
Kissed over close, wears yet a purple speck
Wherein the pained blood falters and goes out;
Soft, and stung softly — fairer for a fleck.
But though my lips shut sucking on the place,
There is no vein at work upon her face;
Her eyelids are so peaceable, no doubt
Deep sleep has warmed her blood through all its ways.
Lo, this is she that was the world's delight;
The old grey years were parcels of her might;
The strewings of the ways wherein she trod
Were the twain seasons of the day and night.
Lo, she was thus when her clear limbs enticed
All lips that now grow sad with kissing Christ,
Stained with blood fallen from the feet of God,
The feet and hands whereat our souls were priced.
Alas, Lord, surely thou art great and fair.
But lo her wonderfully woven hair!
And thou didst heal us with thy piteous kiss;
But see now, Lord; her mouth is lovelier.
She is right fair; what hath she done to thee?
Nay, fair Lord Christ, lift up thine eyes and see;
Had now thy mother such a lip — like this?
Thou knowest how sweet a thing it is to me.
Inside the Horsel here the air is hot;
Right little peace one hath for it, God wot;
The scented dusty daylight burns the air,
And my heart chokes me till I hear it not.
Behold, my Venus, my soul's body, lies
With my love laid upon her garment-wise,
Feeling my love in all her limbs and hair
And shed between her eyelids through her eyes.
She holds my heart in her sweet open hands
Hanging asleep; hard by her head there stands,
Crowned with gilt thorns and clothed with flesh like fire,
Love, wan as foam blown up the salt burnt sands —
....
... For she lies, laughing low with love; she lies
And turns his kisses on her lips to sighs,
To sighing sound of lips unsatisfied,
And the sweet tears are tender with her eyes.
Ah, not as they, but as the souls that were
Slain in the old time, having found her fair;
Who, sleeping with her lips upon their eyes,
Heard sudden serpents hiss across her hair.
Their blood runs round the roots of time like rain:
She casts them forth and gathers them again;
With nerve and bone she weaves and multiplies
Exceeding pleasure out of extreme pain.
Her little chambers drip with flower-like red,
Her girdles, and the chaplets of her head,
Her armlets and her anklets; with her feet
She tramples all that winepress of the dead.
Her gateways smoke with fume of flowers and fires,
With loves burnt out and unassuaged desires;
Between her lips the steam of them is sweet,
The languor in her ears of many lyres.
Her beds are full of perfume and sad sound,
Her doors are made with music, and barred round
With sighing and with laughter and with tears,
With tears whereby strong souls of men are bound.
There is the knight Adonis that was slain;
With flesh and blood she chains him for a chain;
The body and the spirit in her ears
Cry, for her lips divide him vein by vein.
Yea, all she slayeth; yea, every man save me;
Me, love, thy lover that must cleave to thee
Till the ending of the days and ways of earth,
The shaking of the sources of the sea.
Me, most forsaken of all souls that fell;
Me, satiated with things insatiable;
Me, for whose sake the extreme hell makes mirth,
Yea, laughter kindles at the heart of hell.
Alas thy beauty! for thy mouth's sweet sake
My soul is bitter to me, my limbs quake
As water, as the flesh of men that weep,
As their heart's vein whose heart goes nigh to break...."
Dès 1857, Swinburne fréquente les préraphaélites D. G. Rossetti, W. Morris et E. Burne-Jones et c'est lui qui répond en 1872 à la charge que lance contre
eux Robert Williams Buchanan (1841-1901) dans la Contemporary Review ("The Fleshly School of Poetry"), avec son fameux morceau de polémique littéraire, "Under the Microscope" :
"WE live in an age when not to be scientific is to be nothing; the man untrained in science, though he should speak with the tongues of men and of angels, though he should know all that man
may know of the history of men and their works in time past, though he should have nourished on the study of their noblest examples in art and literature whatever he may have of natural
intelligence, is but a pitiable and worthless pretender in the sight of professors to whom natural science is not a mean but an end; not an instrument of priceless worth for the mental workman,
but a result in itself satisfying and final, a substitute in place of an auxiliary, a sovereign in lieu of an ally, a goal instead of a chariot..."
On dit que Rossetti chercha à convertir Swinburne à l'hétérosexualité en lui envoyant l'écuyère de cirque américaine Adah Menken, mais que celle-ci dut renoncer : "I can't make him understand that biting's no use". Dès 1860, Swinburne est en effet un proche du fondateur, avec William Holman Hunt et John Everett Millais, de l'école de peinture préraphaélite : Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) est un peintre essentiellement littéraire et un poète qui ne s'intéresse guère au monde qui l'entoure, entièrement voué à une mythologie personnelle inspirée par les œuvres de Dante, de Shakespeare et de Browning (le cycle arthurien). Il préfigure à sa manière le symbolisme. Vers 1850, Rossetti semble obsédé par une image archétypale qui résume en elle toutes les autres figure, un type féminin sensuel, mais aux traits d'androgyne et au regard absent : Elizabeth Siddal devient sa "Béatrice", à l'image de la bien-aimée de Dante (Beata Beatrix, 1863-1870, Tate Britain - London). Née en 1829, c'est Walter Deverell qui l'avait introduite comme modèle dans la confrérie des préraphaélites : elle posa notamment dans "Famille anglaise convertie soustrayant un missionnaire chrétien à la persécution des druides" (1850, Ashmolean Museum, Oxford) de William Holman Hunt, et la célèbre "Ophélie" (1852, Tate Britain, Londres) de John Everett Millais, Lizzie Siddal ne s’habillait pas comme les femmes victoriennes, préférant les robes amples avec manches bouffantes aux corsets et crinolines. Son épaisse chevelure rousse, son teint pâle, ses paupières lourdes et fines lèvres constituent les traits qui ont rendu célèbre l’esthétique des Préraphaélites. Rossetti développera une extraordinaire fascination pour son amante et modèle qu’il représente inlassablement dans une centaine de dessins, gravures et esquisses. Suit une période envenimée par des fiançailles qui s'éternisent : Lizzie se met à peindre, se rapproche de Ruskin, Rossetti se détache de toute inspiration médiévale au profit de Titien ou de Véronèse, portraiture ses nouvelles amantes Fanny Cornforth ou Jane Burden, La mort (son suicide ?) de Lizzie, en 1862, transfigurera cette passion en une vénération macabre et mystique. Cette tragédie affectera considérablement Algernon Swinburne qui s'était pris pour elle d'une très profonde amitié.
Le recueil de poèmes que Dante Gabriel Rossetti publie en 1871 créent en effet la controverse : la critique lui reproche d'exalter le corps au dépens de l'âme, le charnel au détriment de l'esprit. C'est pourtant bien une intimité du charnel et de l'esprit que Rossetti tente d'exprimer, tel que dans "The house of life" ou "Nuptial sleep” : il introduit ainsi un lyrisme renouvelé dont l'inventivité va inspirer des poètes comme William Morris , Algernon Swinburne , Christina Rossetti , George Meredith.
"At length their long kiss severed, with sweet smart:
And as the last slow sudden drops are shed
From sparkling eaves when all the storm has fled,
So singly flagged the pulses of each heart.
Their bosoms sundered, with the opening start
Of married flowers to either side outspread
From the knit stem; yet still their mouths, burnt red,
Fawned on each other where they lay apart.
Sleep sank them lower than the tide of dreams,
And their dreams watched them sink, and slid away.
Slowly their souls swam up again, through gleams
Of watered light and dull drowned waifs of day;
Till from some wonder of new woods and streams
He woke, and wondered more: for there she lay."
LA DAMOISELLE ÉLUE (The Blessed Damozel) est l'un des meilleurs poèmes lyriques du peintre et poète anglais Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), et le plus grand représentant de l'école préraphaélite. La première rédaction est de 1847, mais l'auteur, mécontent, la remania plus tard. Du haut des demeures célestes, une jeune fille se penche et voit la terre tourner comme un minuscule papillon, et les âmes qui montent vers Dieu passer près d`elle, semblables à des flammes légères. De son regard elle scrute l'immensité et d`une "voix qui ressemble à celle des étoiles" prie dans un hymne d'amour pour que lui soit rendu son bien-aimé resté sur la terre; une fois au ciel, grâce à son intercession, elle lui apprendra à chanter la louange du Seigneur. Joue contre joue, elle lui dira tout son amour ; la Mère céleste l'approuvera et conduira elle-même le couple devant le Christ qui bénira leur amour pour l'éternité. La voix de son bien-aimé fait écho à sa prière; il perçoit sa triste plainte et la voit disparaître dans l'éther derrière un rayon de lumière dorée. Le chant du poète est enveloppé d`une grande tendresse, mais non sans tristesse. On reconnaît le peintre à ces touches estompées. Les images perdent leurs contours, l`éclat des couleurs est irréel, les mots eux-mêmes ont un sens nouveau pour décrire un au-delà entrevu moins par un poète que par un inspiré.
En 1862, Rossetti avait déposé, dans le cercueil de sa femme, le manuscrit contenant "La Damoiselle élue"; il dut le faire exhumer plus tard pour le publier (1870). Cette œuvre a été mise en musique par le compositeur français Claude Debussy (1862-1918). Son poème lyrique "La Damoiselle élue" fut composé en 1887, et donné à Paris en 1894. Debussy était attiré et inspiré par cette poésie préraphaélite, sensuelle et mystique, nimbée d'un léger voile de mystère ...
THE blessed Damozel lean'd out
From the gold bar of Heaven:
Her blue grave eyes were deeper much
Than a deep water, even.
She had three lilies in her hand,
And the stars in her hair were seven.
Her robe, ungirt from clasp to hem,
No wrought flowers did adorn,
But a white rose of Mary's gift
On the neck meetly worn;
And her hair, lying down her back,
Was yellow like ripe corn.
Herseem'd she scarce had been a day
One of God's choristers;
The wonder was not yet quite gone
From that still look of hers;
Albeit, to them she left, her day
Had counted as ten years.
(To one it is ten years of years:
...Yet now, here in this place,
Surely she lean'd o'er me,—her hair
Fell all about my face....
Nothing: the Autumn-fall of leaves.
The whole year sets apace.)
It was the terrace of God's house
That she was standing on,—
By God built over the sheer depth
In which Space is begun;
So high, that looking downward thence,
She scarce could see the sun.
It lies from Heaven across the flood
Of ether, as a bridge.
Beneath, the tides of day and night
With flame and darkness ridge
The void, as low as where this earth
Spins like a fretful midge.
But in those tracts, with her, it was
The peace of utter light
And silence. For no breeze may stir
Along the steady flight
Of seraphim; no echo there,
Beyond all depth or height.
Heard hardly, some of her new friends,
Playing at holy games,
Spake gentle-mouth'd, among themselves,
Their virginal chaste names;
And the souls, mounting up to God,
Went by her like thin flames.
And still she bow'd herself, and stoop'd
Into the vast waste calm;
Till her bosom's pressure must have made
The bar she lean'd on warm,
And the lilies lay as if asleep
Along her bended arm.
From the fixt lull of Heaven, she saw
Time, like a pulse, shake fierce
Through all the worlds. Her gaze still strove,
In that steep gulf, to pierce
The swarm; and then she spoke, as when
The stars sang in their spheres.
'I wish that he were come to me,
For he will come,' she said.
'Have I not pray'd in solemn Heaven?
On earth, has he not pray'd?
Are not two prayers a perfect strength?
And shall I feel afraid?
'When round his head the aureole clings,
And he is clothed in white,
I'll take his hand, and go with him
To the deep wells of light,
And we will step down as to a stream
And bathe there in God's sight.
'We two will stand beside that shrine,
Occult, withheld, untrod,
Whose lamps tremble continually
With prayer sent up to God;
And where each need, reveal'd, expects
Its patient period.
'We two will lie i' the shadow of
That living mystic tree
Within whose secret growth the Dove
Sometimes is felt to be,
While every leaf that His plumes touch
Saith His name audibly.
'And I myself will teach to him,—
I myself, lying so,—
The songs I sing here; which his mouth
Shall pause in, hush'd and slow,
Finding some knowledge at each pause,
And some new thing to know.'
(Alas! to her wise simple mind
These things were all but known
Before: they trembled on her sense,—
Her voice had caught their tone.
Alas for lonely Heaven! Alas
For life wrung out alone!
Alas, and though the end were reach'd?...
Was thy part understood
Or borne in trust? And for her sake
Shall this too be found good?—
May the close lips that knew not prayer
Praise ever, though they would?)
'We two,' she said, 'will seek the groves
Where the lady Mary is,
With her five handmaidens, whose names
Are five sweet symphonies:—
Cecily, Gertrude, Magdalen,
Margaret and Rosalys.
'Circle-wise sit they, with bound locks
And bosoms covered;
Into the fine cloth, white like flame,
Weaving the golden thread,
To fashion the birth-robes for them
Who are just born, being dead.
'He shall fear, haply, and be dumb.
Then I will lay my cheek
To his, and tell about our love,
Not once abash'd or weak:
And the dear Mother will approve
My pride, and let me speak.
'Herself shall bring us, hand in hand,
To Him round whom all souls
Kneel—the unnumber'd solemn heads
Bow'd with their aureoles:
And Angels, meeting us, shall sing
To their citherns and citoles.
'There will I ask of Christ the Lord
Thus much for him and me:—
To have more blessing than on earth
In nowise; but to be
As then we were,—being as then
At peace. Yea, verily.
'Yea, verily; when he is come
We will do thus and thus:
Till this my vigil seem quite strange
And almost fabulous;
We two will live at once, one life;
And peace shall be with us.'
She gazed, and listen'd, and then said,
Less sad of speech than mild,—
'All this is when he comes.' She ceased:
The light thrill'd past her, fill'd
With Angels, in strong level lapse.
Her eyes pray'd, and she smiled.
(I saw her smile.) But soon their flight
Was vague 'mid the poised spheres.
And then she cast her arms along
The golden barriers,
And laid her face between her hands,
And wept. (I heard her tears.)
Reconnu comme un "admirable musicien du vers", tenant de l'art pour l'art, Swinburne se montrera aussi un critique littéraire de grande lucidité, tant
dans ses essais que dans les poèmes que lui inspirèrent les grands écrivains et les événements littéraires de son époque. "Lesbia Brandon", long roman semi-érotique ponctué de
ballades en vers (rédigé en 1877, mais publié en 1952), est un document sur la place de la flagellation dans le système éducatif anglais, et la passion qui en découle : ambiguïtés sexuelles et
incestes latents dans une atmosphère de néopaganisme.
En 1879, sous l’influence de son conseiller juridique et ami de Rossetti, Walter Theodore Watts-Dunton, Swinburne rentre dans l'abstinence et la
respectabilité et va dormais privilégier la critique littéraire. Shelley meurt à trente ans et reste jeune à jamais, Swinburne devra attendre patiemment la mort jusqu'à soixante-treize ans,
s'étant, pour vaincre ses démons, laissé emprisonner dans une villa à Putney de 1879 à 1909...
Dans ses chroniques (Le Gaulois, 29 novembre 1882) Guy de Maupassant raconte sa rencontre avec Swinburne ("L'Anglais d'Etretat"), rencontre qu'il semble avoir relaté auparavant à Flaubert, Alphonse Daudet et Edmond Goncourt en 1875 .
"Un grand poète anglais vient de traverser la France pour saluer Victor Hugo. Tous les journaux sont pleins de son nom et des légendes courent sur son
compte à travers les salons. J’ai eu, voici quinze ans déjà, l’occasion de rencontrer plusieurs fois Algernon-Charles Swinburne. Je veux essayer de le montrer tel que je l’ai vu, et de fixer
l’étrange impression qu’il m’a faite, restée toujours vive en moi malgré le temps. C’était en 1867 ou 1868, je crois ; un jeune Anglais inconnu venait d’acheter à Étretat une petite chaumière
cachée sous de grands arbres. Il vivait là, toujours seul, d’une manière bizarre, disait-on, et il soulevait l’étonnement hostile des indigènes, le peuple étant sournois et niaisement malveillant
comme tout peuple de petite ville. On racontait que cet Anglais fantaisiste ne mangeait que du singe bouilli, rôti, sauté, confit ; qu’il ne voulait voir personne, qu’il parlait haut, tout seul,
pendant des heures ; enfin mille choses surprenantes qui faisaient conclure aux raisonneurs du lieu qu’il n’était pas fait comme tout le monde. On s’étonnait surtout qu’il vécût familièrement
avec un singe, un grand singe libre dans sa demeure. C’eût été un chien, un chat, on n’eût rien dit. Mais un singe ? n’était-ce pas affreux ? Fallait-il avoir des goûts de sauvage ! Je ne
connaissais ce jeune homme que pour le rencontrer dans la rue. Il était petit, gras sans être gros, d’allure douce, et portait une moustache blonde presque invisible. Un hasard nous fit causer
ensemble. Ce sauvage avait des manières aimables et aisées ; mais il était bien un de ces Anglais étranges qu’on rencontre çà et là par le monde. Doué d’une intelligence remarquable, il semblait
vivre dans un rêve fantastique comme dut le faire Edgar Poe. Il avait traduit en anglais un volume de surprenantes légendes islandaises que je désirerais ardemment voir maintenant traduites en
français. Il aimait le surnaturel, le macabre, le torture, le compliqué, tous les détraquements cérébraux ; mais il parlait des choses les plus stupéfiantes avec un flegme tout anglais qui leur
donnait, sous sa voix douce et tranquille, des allures de bon sens à rendre fou. Plein d’un mépris hautain pour le monde, ses conventions, ses préjugés, sa morale, il avait cloué à sa maison un
nom audacieusement impudent. Le patron d’une auberge déserte écrivant sur sa porte : « Ici on tue les voyageurs ! » ne ferait pas une plus sinistre facétie. Je n’avais point pénétré chez lui
quand je reçus une invitation à déjeuner à la suite d’un accident arrivé à un de ses amis, qui avait failli se noyer et que j’avais voulu secourir. Bien qu’accouru après le sauvetage, je reçus
les remerciements empressés des deux Anglais, et je me rendis chez eux le lendemain. L’ami était un garçon d’une trentaine d’années qui portait sur un corps d’enfant, — un corps sans poitrine et
sans épaules, — une tête énorme. Un front démesuré, qui semblait avoir dévoré tout le reste de l’homme, se développait comme un dôme au-dessus d’une mince figure, terminée en fuseau par la
barbiche d’un menton pointu. Les yeux aigus et la bouche fuyante donnaient l’impression d’une tête de reptile, tandis que le crâne magnifique éveillait l’idée du génie. Une trépidation nerveuse
agitait cet être singulier qui marchait, remuait, agissait par saccades, comme aux secousses d’un ressort détraqué. C’était Algernon-Charles Swinburne, fils d’un amiral anglais et petit-fils, par
sa mère, du comte d’Ashburnham. Sa physionomie, troublante, inquiétante même, se transfigurait quand il parlait. J’ai rarement vu un homme plus saisissant, plus éloquent, plus incisif, plus
charmant dans l’action de la parole. Son imagination rapide, claire, suraiguë et fantasque semblait glisser dans sa voix, faire vivants et nerveux les mots. Son geste à sursauts scandait sa
phrase sautillante qui vous pénétrait dans l’esprit comme une pointe, et il avait soudain des éclats de pensée, comme les phares ont des éclats de feu, de grandes lumières géniales qui semblent
éclairer tout un monde d’idées. La maison des deux amis était jolie et peu ordinaire. Partout des tableaux, parfois superbes, parfois étranges, fixant des conceptions d’aliénés. Une aquarelle, si
je me souviens bien, représentait une tête de mort naviguant dans une coquille rose, sur un océan sans limites, sous une lune à figure humaine. De place en place, on rencontrait des ossements. Je
remarquai surtout une affreuse main d’écorché qui gardait sa peau séchée, ses muscles noirs mis à nu, et sur l’os, blanc comme de la neige, des traces de sang ancien. La nourriture me parut une
énigme que je ne devinais pas. Était-ce bon ? Était-ce mauvais ? Je ne le pourrais établir. Un rôti de singe m’ôta l’envie de manger ordinairement de cet animal ; et le grand singe en liberté qui
rôdait autour de nous et me poussait, par farce, la tête dans mon verre quand j’allais boire, m’enleva tout désir d’avoir un de ses frères pour compagnon de tous les jours. Quant aux deux hommes,
ils m’ont laissé l’impression de deux esprits singulièrement originaux et remarquables, totalement bizarres, appartenant à cette race particulière d’hallucinés de talent dont sont sortis Poe,
Hoffmann et d’autres encore.
Si le génie est, comme on le croit communément, une sorte de délire des grandes intelligences, Algernon-Charles Swinburne est assurément un homme de
génie. Les vastes esprits raisonnables ne sont jamais considérés comme géniaux, tandis qu’on prodigue une sublime qualification à des cerveaux souvent de second ordre, mais qu’agite un peu de
folie. Dans tous les cas, ce poète reste un des premiers de son temps par l’originalité de son invention et la prodigieuse habileté de sa forme. C’est un lyrique exalté, un lyrique forcené qui ne
se préoccupe guère de cette humble et bonne vérité que recherchent aujourd’hui si obstinément et si patiemment les artistes français, mais qui s’évertue à fixer des songes, des pensées subtiles,
tantôt ingénieusement grandioses, tantôt simplement enflées, parfois aussi magnifiques. Deux ans plus tard, je trouvai la maison fermée, les hôtes partis, on vendait les meubles. J’achetai, en
souvenir d’eux, la hideuse main d’écorché. Sur le gazon, un énorme bloc carré de granit portait gravé ce simple mot : « Nip ». Au-dessus, une pierre creuse, pleine d’eau, offrait à boire aux
oiseaux. C’était la sépulture du singe, pendu par un jeune domestique nègre et vindicatif. Ce serviteur violent s’était ensuite enfui, disait-on, devant le revolver du maître exaspéré. Mais,
après avoir erré sans toit, ni pain, pendant plusieurs jours, il reparut et se mit à vendre des sucres d’orge par les rues. Il fut définitivement expulsé du pays après avoir étranglé aux trois
quarts un consommateur mécontent. La terre serait plus gaie si on rencontrait souvent des intérieurs comme celui-là."
L'Aesthetic Movement est, au début des années 1870, considéré comme un mouvement élitiste, égocentrique, voire immoral. Ce n'est que dans la décennie suivante que le Mouvement commence à progresser de façon plus positive. Deux groupes d'artistes le constituent à l'origine, qui entretiennent l'un avec l'autre des relations étroites et complexes.
Le premier groupe, qui s'établit un temps dans la demeure de Henry Thoby Prinsep, célèbre famille associée à l'East India Company, à Little Holland House
(Kensington), constitue en fait un pôle artistique bien intégré du Londres victorien, animé par les peintres Frederic Leighton et George Frederic Watts.
George Frederic Watts (1817-1904),
portraitiste renommé (portraits d'Alfred Tennyson, 1858, de Swinburne, 1865, de Thomas Carlyle, 1868, de sa jeune épouse, l'actrice Ellen Terry, 1863, Dante Gabriel Rossetti, 1871, National Portrait Gallery - London ), s'inspirant de la peinture italienne (Titien, Tintoret), puis choisissant la voie des allégories après avoir un temps subi l'influence de Rossetti, est connu pour son oeuvre, "Hope" (1885, Tate Britain - London), considérée comme typique de cette fin du XIXe siècle.
Frederic Leighton (1830-1896),
s'impose dans la société victorienne avec son gigantesque tableau "Cimabue's Celebrated Madonna is Carried in Procession Through the Streets of Florence" (1855, Londres, Buckingham Palace), acheté par la reine aussitôt qu'exposé. S'inspirant de la Grèce et de la Renaissance italienne, peignant avec une minutie inégalable, Leighton est le peintre absolu de la société victorienne de cette fin du XIXe siècle : 1885, Flaming June - Museo de Arte de Ponce (Puerto Rico); 1868, Actaea with dolphins - National Gallery of Canada - Ottawa; 1856-1858, The Fisherman and the Syren - Bristol Museum and Art Gallery.. Sa maison de Melbury Road, à Kensington, abrite le "Leighton House Museum".
Le second groupe est constitué par Dante Gabriel Rossetti, ses disciples préraphaélites, William Morris (1834-1896), dont la seule toile connue reste "la Belle Iseult" (1858, Londres, Tate Britain), Edward Burne-Jones (1833-1898), célèbre pour son illustration de Chaucer pour la Kelmscott Press(1896), James McNeill Whistler, et le poète Algernon Swinburne.
William Morris (1834-896) imagine dans "Nouvelles de nulle part" (News from Nowhere, or, an Epoch of Rest, being some chapters from a Utopian Romance, 1891), une vie sans propriété privée et sans gouvernement, sans système légal ni pénal, sans éducation formelle, au profit d'une parfaite justice sociale entièrement vouée à la beauté humaine.
Edward Burne-Jones (1833-1898) rejette la réalité contemporaine et peint des cycles évoquant, en plusieurs épisodes, un mythe ou une légende (The Briar Rose, d'après Tennyson, suite de 6 tableaux peints de 1871 à 1890 et dont l'exposition à Londres en 1890 fit sensation). Parmi ses autres peintures les plus significatives, on cite "The Mirror of Venus" (1872-1877, Lisbonne, fondation Gulbenkian), "Laus Veneris" (1873-1875, musée de Newcastle), "The Golden Stairs" (1880, Tate Britain - London), The Love Song (1873, Metropolitan Museum of Art - New York) et son oeuvre la plus populaire, "King Cophetua and the Beggar Maid"(1884, Tate Britain).
Quatre femmes, quatre modèles, se démarquent du goût victorien pour les femmes discrètes, la romaine Anna Risi, muse de Leighton et d'Anselm Feuerbach, Lizzie Siddal, muse rousse de Rossetti et des préraphaélites, Jane Burden Morris, peinte par Rossetti en 1869, et Fanny Cornforth, représentée dans Bocca Baciata (1859) de Rossetti.
James McNeill Whistler (1834-1903),
Américain de naissance et britannique, voire français, par sa carrière, est considéré comme l'un des plus grands artistes cosmopolites du XIXe siècle et l'un des plus incompris. Il parcourut le monde, rencontra les artistes les plus renommés de son temps (Swinburne, Rossetti, Mallarmé,Courbet, Manet, Sickert). "The White Girl" (Portrait de Jo, 1861, Washington, N. G.) est exposé en 1863 à Paris, au Salon des refusés, aux côtés du "Déjeuner sur l'herbe" de Manet. Fantin-Latour le représente en 1864 au centre de son "Hommage à Delacroix", aux côtés de Manet et Baudelaire, marquant ainsi sa place dans l'avant-garde artistique parisienne.
Dans les années 1870, il peint les brouillards londoniens dans différentes gammes colorées (Nocturne in Blue and Silver : Chelsea, 1871 ; Nocturne in Blue and Gold : Old Battersea Bridge, 1872-73, Londres, Tate Gal.). Après 1870, Whistler se consacre au portrait avec "Arrangement en gris et noir n° 1, portrait de la mère de l'artiste" (1871, musée d'Orsay) et "Arrangement en gris et noir n° 2, portrait de Carlyle" (1872-1873, Glasgow Art Gal.).
Désormais, délaissant définitivement l'anecdote, ses œuvres porteront toutes des sous-titres musicaux. Une nouvelle série de gravures, "Venice Set" (1880), confirme chez lui la dissolution des contours et la recherche des effets atmosphériques. Après 1880, Whistler défend par des conférences et des écrits ses positions artistiques. Il reçoit en France l'appui de Huysmans, des Goncourt, de Gustave Geffroy et de Mallarmé, qui traduit son pamphlet "Ten o'Clock" (1885).
John William Waterhouse - 1888
- The Lady of Shalott (Tate Britain - London)
from the ballad by Alfred, Lord Tennyson (1809-1892)...
In the stormy east-wind straining,
The pale yellow woods were waning,
The broad stream in his banks complaining,
Heavily the low sky raining
Over towered Camelot;
Down she came and found a boat
Beneath a willow left afloat,
And round about the prow she wrote
The Lady of Shalott.
C'est avec l'inauguration en 1877 par Sir Coutts Lindsay de la "Grosvenor Gallery" où s'expose désormais la production artistique de l'Aesthetic Movement, que le mouvement pénètre en profondeur la société victorienne. La célèbre expression ""greenery-yallery, Grosvenor Gallery" caractérise désormais celui-ci, le fameux "vert artistique" qui accompagne une formidable rénovation des arts décoratifs avec des artistes majeurs tels que Godwin, Dresser, Morris, ou la fameuse décoration intérieure de "The Peacock Room", oeuvre de Whistler (1876-1877) exposée depuis dans la Freer Gallery de Washington, considérée comme le symbole absolu de l'Aesthetic Movement.
Tous puisent leur inspiration en Orient, plus spécifiquement dans ces objets japonais qui se diffusent massivement en Europe et aux Etats-Unis depuis l'ouverture par le Japon de ses frontières en 1854. Désormais les peintures de l'Aesthetic Movement suscitent l'enthousiasme d'un cercle d'admirateurs particulièrement aisés ...
(James Tissot - circa 1869-1870, Young Women Looking at Japanese Objects)
Les Whistler, Leighton, Watts, Moore ou Burne-Jones s'orientent vers un style qui privilégie l'harmonie des couleurs au détriment du sujet. De cette période datent les oeuvres de Whistler intitulées "Nocturne, Symphonie", qui déroutent alors un certain public confronté à une absence de fini pictural et provoque la fameuse diatribe de Ruskin qui défend un art fondé sur la fidélité à la nature, qui affirme que la beauté ne saurait être détachée de considérations morales et religieuses. Cette controverse affecte la dernière période de mouvement, autant que la mort de Rossetti en 1882 et de Godwin en 1886 : dans les années 1890 le "décadent" supplante "l'esthète", émergence d'une nouvelle sensibilité artistique que l'on retrouve dans la revue "The Yellow Book" publiée à Londres entre 1894 et 1897 (citée par Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray), et qui accueille des auteurs comme Maurice Baring, Henry James, William Butler Yeats, H. G. Wells, Frederick William Rolfe (le baron Corvo)...