Symbolisme - Paul Verlaine (1844-1896), "Poèmes saturniens" (1866), "L'Art poétique", "Romances sans paroles" (1874), "Sagesse" (1881), "Les Poètes maudits" (1883) - .....
Last update: 31/12/2016
"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant ..." - Baudelaire mourut en 1867 (d'une maladie aggravée par l'alcool, les drogues et la syphilis). Au cours des décennies suivantes, Verlaine, Rimbaud et d'autres n'en perpétuèrent pas moins son esthétique de la décadence détachée des contingences du monde. Paul Verlaine vulgarisa l'expression de poète maudit", en référence aux poètes qui se battaient contre les conventions poétiques et étaient l'objet du mépris des critiques et de la société. Jean Moréas publia en 1886 le Manifeste du symbolisme, et le terme de "symbolisme" devint d'un emploi plus courant.
Selon l'expression de Baudelaire, les symbolistes voyaient le monde comme une forêt de symboles pour un autre monde - un monde ou la réalité serait transcendée. Les poètes se détournaient du pur aspect physique du monde, abandonnaient toute tentative de l'influencer ou de l'améliorer, que ce soit par la science ou le commerce, et ils rejetaient le positivisme et l'idée que l'homme puisse progresser. Ils cultivaient également un détachement des contingences de ce monde, un mysticisme et l'obsession de la mort, et étaient fascinés par les possibilités d'altérer la conscience de soi par l'érotisme et les drogues, l'alcool, les rêves et le délire. En termes de littérature, ils se dressèrent contre l'attitude déclamatoire et la rhétorique hautaine des poètes publiques de l'époque précédente, ainsi que contre le sentimentalisme, le langage prosaïque et la documentation pseudo-scientifique des romanciers. lls aimaient au contraire suggérer et évoquer les sentiments et les humeurs par la tonalité des mots, la cadence de la poésie et les innovations métriques, Leur rejet des conventions poétiques rigides du passé récent plaça la poésie sur une trajectoire qui devait l'entraîner, via Jules Laforgue (1860-1887) et Gustave Kahn (1859-1936), vers la poésie libre d'Ezra Pound et autres modernistes par excellence.
En littérature, comme en musique classique ou philosophie, tout se tient et se constitue en filiation ou réaction, du moins tant que le littérateur, le philosophe ou le compositeur possèdent et maîtrisent la culture qui les ont précédés. En ce début du XXIe, la rupture est consommée, technocratie et populisme ont érodé le cycle vital de la créativité en quelque deux générations...
C'est dans "Jadis et Naguère" que figure "l'Art poétique" (écrit en 1874), qui fit de Verlaine le chef de file des symbolistes et qui expose, en vers, les principes de la poétique "verlainienne" : "l'Art poétique" prône l'usage des vers courts et des vers impairs, jugés plus musicaux et plus légers. Paul Verlaine, à la différence d'un Rimbaud ou d'un Lautréamont, n'a jamais aspiré à quelque révolte et le paradoxe habite cette oeuvre poétique qui marque définitivement la littérature française : il joue avec les rythmes et les mètres, met en musique des images d'une simplicité sidérante, et par ailleurs semble choisir d'emblée un certain repli sur une vie de brume et de rêve ("Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant…", dominée par l'image d'une mère qui l'assistera constamment et le sauvera parfois de ses pires accès de violence. Nombre de ses poèmes évoquent la quête d'une intimité triste et tranquille et la poésie lui offre, contre les tumultes du monde, le refuge d'une musicalité qui calme son angoisse. Son existence, elle, bascule inexorablement dans une déchéance absolue : durant les dix dernières années de sa vie, il séjournera pratiquement quatre ans dans les hôpitaux parisiens..
Paul Verlaine (1844-1896)
Verlaine naquit à Metz, son père, capitaine-adjudant major au 2e régiment du génie, étant alors en garnison dans cette ville. Sa famille paternelle était originaire du Luxembourg belge ; sa mère, Élisa Dehée (1809-1886), était née à Fampoux, près d'Arras. Après des séjours à Montpellier, à Sète et à Nîmes, les Verlaine revinrent à Metz au début de 1849. En 1851, le capitaine Verlaine démissionna, et les Verlaine vinrent habiter aux Batignolles. Il est reçu au baccalauréat en 1862. Très tôt, il prend l'habitude de boire. En 1864, il travaille quelques mois dans une compagnie d'assurances, puis est nommé expéditionnaire dans les bureaux de la Ville de Paris. En 1868, Verlaine paraît aux soirées chez Nina de Villard et y rencontre les frères Cros, F. Coppée, A. France, A. Villiers de L'Isle-Adam. Au mois d'août, à Bruxelles, il va rendre visite à Victor Hugo ; celui-ci récite au jeune poète, ébloui, des vers des Poèmes saturniens.
En 1869, Verlaine tombe amoureux de Mathilde Mauté, jeune bourgeoise de seize ans éprise de poésie. Ils se fiancent. Verlaine lui adresse des poèmes pleins de l'espoir d'une douce vie tranquille, sorte de havre de paix dont la femme aimée serait la promesse. Ils sont édités l'année suivante sous le titre la "Bonne Chanson". Le mariage de Verlaine et de Mathilde est célébré en 1870. Leur bonheur est de courte durée. Verlaine s'engage brièvement dans l'action communarde, ce qui lui vaudra de perdre son travail à la mairie de Paris.
Puis, en 1871, il reçoit une lettre d'un jeune inconnu qui admire sa poésie et qui, lui envoyant un aperçu de la sienne, lui demande de le faire venir à Paris: c'est Rimbaud. Au cours de l'été 1872, Verlaine abandonne sa femme et s'enfuit avec Rimbaud. Leur périple les mène en Angleterre et en Belgique, dont il chantera les lumières froides et fades dans "Romances sans paroles" (1874). Ces textes, dont les touches brèves et les phrases nominales rappellent la peinture d'un Manet, visent avant tout à la musicalité. L'aventure est de courte durée. Lors d'une scène, Verlaine tire sur Rimbaud, qu'il blesse légèrement. Le jeune homme prend peur et porte plainte. Verlaine est condamné à deux ans de prison.
Privé de sa liberté, soumis à des travaux répétitifs, Verlaine découvre pourtant dans cet enfermement une sorte de sécurité. Il a échoué dans sa recherche d'un bonheur bourgeois, dans celle d'une passion sulfureuse; il se convertit et tourne vers la Vierge sa quête d'un Autre sur qui se reposer. Le recueil "Sagesse" (1880) témoigne de cette ferveur nouvelle, dans une forme tantôt classique tantôt encore très musicale.
De septembre 1876 à septembre 1877, il enseignera au collège Saint-Aloysius, à Bournemouth, où il aura de graves problèmes de discipline. À partir d'octobre, il est professeur à l'institution Notre-Dame, à Rethel, où il enseigne le français, l'anglais et l'histoire, à raison de trente heures de cours par semaine ; là, il se prend d'une amitié passionnée pour son élève Lucien Létinois : mais en 1883, Lucien meurt à l'hôpital de la Pitié, d'une fièvre typhoïde. Longtemps soutenu par la présence et l'aide matérielle de sa mère, malgré ses efforts pour reprendre en main sa vie, Verlaine retombe dans ses travers. En 1886, il a une liaison avec une prostituée, Marie Gambier. Désormais, malade, démuni, il mène à Paris une vie pénible, marquée par la déchéance, même s'il continue de publier et de fréquenter les artistes de son temps. Ironie du sort, durant ces quelques années qui lui reste à vivre, Verlaine va publier une masse de vers grossiers et empreints d'une lourde sensualité, alors que sa renommée de poète s'impose enfin.
1866 – Poèmes saturniens
Les Poèmes saturniens témoignent de l'influence de la poésie parnassienne sur Verlaine; certains fragments en ont d'ailleurs été publiés d'abord dans le Parnasse contemporain. Mais Verlaine y fait déjà preuve d'une recherche formelle et musicale toute personnelle, alliant à des vers au nombre de syllabes impair une versification moins riche, plus libre, que celle pratiquée alors.
CHANSON D 'AUTOMNE - Cette pièce fait partie de la série des Poèmes saturniens intitulée "Paysages tristes". Comme les précédentes, elle s'accorde par la nuance de mélancolie qui la colore au titre et au ton général du livre : la planète Saturne était considérée par les astrologues comme la source d'une influence pénible, et "saturnien" s'oppose à "jovial". Le poète s'abandonne à sa tristesse sans cause précise, mais il la cultive et il l'aime, à cause des sensations délicates et secrètes qu'elle lui procure....
CHANSON D'AUTOMNE
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
MON REVE FAMILIER
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
NEVERMORE - Cette pièce, dont le titre est un mot anglais - Jamais plus, - est la seconde des Poèmes saturniens de 1866; elle fait partie d'une série intitulée Melancholia. Le mot "nevermore" est emprunté à la célèbre poésie d'E. Poe, "Le Corbeau", dont il forme le refrain tragique. Dans ce recueil de début, Verlaine s'inspire encore de la technique parnassienne; mais on sent déjà apparaître cette poésie impalpable qui n'est que "rythme, mélodie, frisson d'une pensée derrière une sensation.." - Pour le sens du poème, on peut comparer avec la pièce de Musset, "Jamais", "Jamais, avez-vous dit, tandis qu'autour de nous Résonnait de Schubert la plaintive musique...". Pour la forme, on peut noter la liberté avec laquelle le poète traite ce genre de poème à forme fixe, le sonnet, éminemment parnassien (le premier quatrain est tout en rimes féminines, le second tout en rimes masculines; pour que les deux quatrains fussent réguliers, il faudrait transposer deux vers du premier dans le second et inversement). On trouve pourtant des exemples de cette disposition chez Ronsard... Une impression de bonheur intime qui ne reviendra plus jamais...
Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul a seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
"Quel fut ton plus beau jour? " fit sa voix d'or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
- Ah! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées!
Et qu'il bruit avec un murmure charmant,
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées!
APRÈS TROIS ANS - Cette pièce suit immédiatement "Nevermore" dans les Poèmes saturníens. Le thème est un souvenir d'amour, mais très éloigné de l'orchestration romantique que lui ont donnée Hugo ou Musset ("Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main"). Ici, Verlaine fait plutôt songer à Baudelaire, qui évoque une image analogue dans un de ses Tableaux parisiens : "Je n'ai pas oublié, voisine de la ville, Notre blanche maison, petite, mais tranquille..." La forme du sonnet est ici plus régulière que dans le précédent....
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.
Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.
Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.
1869 – Les Fêtes galantes
Les Fêtes galantes parurent en 1869. Verlaine y mariait la tradition de libertinage du XVIIIe siècle, connue à travers les Goncourt, à la poésie et aux grâces de Watteau. Il suivait donc une tradition plus littéraire que picturale. Il baigne les personnages de la comédie italienne et les belles "écouteuses" dans cette clarté lunaire qui est l'atmosphère propre de sa poésie. Un pessimisme latent écrase et domine le rêve, extériorisant une inquiétude profonde. Le recueil se termine par la confrontation désolée des deux fantômes de Colloque sentimental : "Tels ils marchaient dans les avoines folles Et la nuit seule entendit leurs paroles..."
À LA PROMENADE
Le ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant légers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d'ailes.
Et le vent doux ride l'humble bassin,
Et la lueur du soleil qu'atténue
L'ombre des bas tilleuls de l'avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.
Trompeurs exquis et coquettes charmantes,
Coeurs tendres mais affranchis du serment,
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes
De qui la main imperceptible sait
Parfois donner un soufflet qu'on échange
Contre un baiser sur l'extrême phalange
Du petit doigt, et comme la chose est
Immensément excessive et farouche,
On est puni par un regard très sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clémente de la bouche.
COLLOQUE SENTIMENTAL
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non.
- Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
PANTOMIME - Seconde pièce des Fêtes galantes de 1869. Plus proprement verlainienne encore que les précédentes, c'est une évocation des personnages de la Comédie italienne, qui a derrière elle une longue tradition poétique, des Cydalises de Gérard de Nerval a La Fête chez Thérèse de Victor Hugo, à Théophile Gautier et à Théodore de Banville. Mais une influence domine cet album de vers, et ce n'est pas celle d'un poète : presque tous les poèmes qui le composent sont inspirés par des toiles de Watteau, que Verlaine a transposées en rêveries mélancoliques et quelquefois fantaisistes, car ces deux notes se rencontrent à la fois chez le peintre et chez le poète; elles sont tout le secret de leur charme. Ici, la fantaisie l'emporte...
Pierrot qui n'a rien d'un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pâté.
Cassandre, au fond de l'avenue,
Verse une larme méconnue
Sur son neveu déshérité.
Ce faquin d'Arlequin combine
L'enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.
Colombine rêve, surprise
De sentir un coeur dans la brise
Et d'entendre en son coeur des voix.
1870 – La Bonne Chanson
La Bonne Chanson a été publié en juin 1870, soit deux mois après le mariage de Paul Verlaine avec Mathilde Mauté. C'est la chronique romancée d'un amour qui finira, on le sait, par sombrer dans la méchanceté et la mesquinerie. Les poèmes de La Bonne Chanson - Verlaine les jugeait d'ailleurs ainsi - se caractérisent par leur simplicité. La première lectrice de ces pièces n'avait que seize ans. Ainsi le style du recueil est bien moins recherché que celui des Poèmes saturniens ou des Fêtes galantes et la forme poétique frôle parfois ici la banalité.
Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs,
Les platanes déchus s’effeuillant dans l’air noir,
L’omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brûle-gueule au nez des agents de police,
Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse,
Bitume défoncé, ruisseaux comblant l’égout,
Voilà ma route — avec le paradis au bout.
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l’eau, des blés, des arbres et du ciel
Vont s’engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du télégraphe
Dont les fils ont l’allure étrange d’un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d’eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille géants qu’on fouette ;
Et tout à coup des cris prolongés de chouette. —
— Que me fait tout cela, puisque j’ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon cœur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rythme du wagon brutal, suavement.
LA LUNE BLANCHE - Sous le titre La Bonne Chanson, Verlaine réunit en 1870 les vers que lui avait inspirés le roman de ses fiançailles. De la première rencontre à la veille du mariage, pendant les vingt et une pièces qui composent ce petit livre parfait, on peut suivre toutes les émotions du poète, son espoir tremblant, le regret de l'absence, les lettres, les serments, l'attente anxieuse, toute cette légère griserie sentimentale sur laquelle la vie abandonna si cruellement son souffle empoisonné. Ici, c'est le souvenir d'une promenade avec sa fiancée, mais évoqué sans aucun lyrisme, en touches légères, où le sentiment se dissimule derrière les sensations les plus délicates...
La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...
O bien-aimée.
L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...
Rêvons, c'est l'heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise ...
C'est l'heure exquise.
DONC CE SERA PAR UN CLAIR JOUR D'ETE ... Pièce 19, sur 21, de La Bonne Chanson, Verlaine évoque ici le jour du mariage : l'image de sa fiancée en toilette de mariée répond à celle qu'il a tracée au début, de la jeune fille "En robe grise et verte avec des ruches," qui lui apparut souriante, un soir de juin qu'il était soucieux. Et derrière le cortège nuptial nous entrevoyons ce rêve qu'il vivait les yeux fermés, "Le foyer, la lueur étroite de la lampe...."
Donc, ce sera par un clair jour d'été :
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encore votre chère beauté;
Le ciel tout bleu, comme une haute tente,
Frissonnera somptueux à longs plis
Sur nos deux fronts heureux qui auront pâlis
L'émotion du bonheur et l'attente;
Et quand le soir viendra, l'air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des étoiles ,
Bienveillamment souriront aux époux.
1874 – Romances sans paroles
Dans les Romances sans paroles (1874), c'est bien l'expérience vécue des années 1871-1873 qui se reflète dans ces poèmes. Dépris de l'influence parnassienne, Verlaine se fait plus libre et plus véridique, son écriture prend une nouvelle tournure, le voici en capacité de tirer toute chose de lui-même. Et pourtant la matière de "Romances sans Paroles" se rattache aux heures les noires de sa vie sentimentale, la liaison singulière avec Rimbaud, la rupture dont l'épilogue fut le fait divers de Bruxelles, le tribunal correctionnel. Verlaine compose tout son livre en prison, une vingtaine de poèmes regroupés en "Ariettes oubliées" - qui représentent l'extrême tentative de Verlaine pour parvenir à une "poésie objective" -, "Paysages belges" et "Aquarelles", auquel on peut ajouter un texte de plus longue inspiration, "Birds in the Night" ("Vous n’avez pas eu toute patience : Cela se comprend par malheur, de reste. Vous êtes si jeune ! Et l’insouciance, C’est le lot amer de l’âge céleste !..)
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie
O le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
Le piano que baise une main frêle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu'un très léger bruit d'aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
Rôde discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle.
Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre être ?
Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin ?
Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin ?
O triste, triste était mon âme
A cause, à cause d'une femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon coeur s'en soit allé,
Bien que mon coeur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consolé,
Bien que mon coeur s'en soit allé.
Et mon coeur, mon coeur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,
Est-il possible, - le fût-il, -
Ce fier exil, ce triste exil ?
Mon âme dit à mon coeur : Sais-je
Moi-même que nous veut ce piège
D'être présents bien qu'exilés,
Encore que loin en allés ?
Elle voulut aller sur les bords de la mer,
Et comme un vent bénin soufflait une embellie,
Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,
Et nous voilà marchant par le chemin amer.
Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le déroulement des vagues, à délice !
Des oiseaux blancs volaient alentour mollement
Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement.
Elle se retourna, doucement inquiète
De ne nous croire pas pleinement rassurés,
Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés,
Elle reprit sa route et portait haut la tête.
"Green", une incomparable élégie reconnue comme l'un des morceaux les plus achevés de la poésie universelle, et qui n'obtint
succès que douze ans plus tard, lors d'une réimpression, en 1887...
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Birds in the night
Vous n’avez pas eu toute patience :
Cela se comprend par malheur, de reste.
Vous êtes si jeune ! Et l’insouciance,
C’est le lot amer de l’âge céleste !
Vous n’avez pas eu toute la douceur.
Cela par malheur d’ailleurs se comprend ;
Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur,
Que votre cœur doit être indifférent !
Aussi, me voici plein de pardons chastes,
Non, certes ! joyeux, mais très calme en somme
Bien que je déplore en ces mois néfastes
D’être, grâce à vous, le moins heureux homme.
---
Et vous voyez bien que j’avais raison
Quand je vous disais, dans mes moments noirs,
Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs,
Ne couvaient plus rien que la trahison.
Vous juriez alors que c’était mensonge
Et votre regard qui mentait lui-même
Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge,
Et de votre voix vous disiez : « Je t’aime ! »
Hélas ! on se prend toujours au désir
Qu’on a d’être heureux malgré la saison ...
Mais ce fut un jour plein d’amer plaisir
Quand je m’aperçus que j’avais raison !
Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ?
Vous ne m’aimiez pas, l’affaire est conclue,
Et ne voulant pas qu’on ose me plaindre,
Je souffrirai d’une âme résolue.
Oui ! je souffrirai, car je vous aimais !
Mais je souffrirai comme un bon soldat
Blessé qui s’en va dormir à jamais
Plein d’amour pour quelque pays ingrat.
Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie,
Encor que de vous vienne ma souffrance,
N’êtes-vous donc pas toujours ma Patrie,
Aussi jeune, aussi folle que la France ?
---
Or, je ne veux pas - le puis-je d’abord ? -
Plonger dans ceci mes regards mouillés.
Pourtant mon amour que vous croyez mort
A peut-être enfin les yeux dessillés.
Mon amour qui n’est plus que souvenance,
Quoique sous vos coups il saigne et qu’il pleure
Encore et qu’il doive, à ce que je pense,
Souffrir longtemps jusqu’à ce qu’il en meure,
Peut-être a raison de croire entrevoir
En vous un remords (qui n’est pas banal)
Et d’entendre dire, en son désespoir,
À votre mémoire : « Ah ! fi ! que c’est mal ! »
---
Je vous vois encor. J’entr’ouvris la porte.
Vous étiez au lit comme fatiguée.
Mais, ô corps léger que l’amour emporte,
Vous bondîtes nue, éplorée et gaie.
Ô quels baisers, quels enlacements fous !
J’en riais moi-même à travers mes pleurs.
Certes, ces instants seront, entre tous,
Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.
Je ne veux revoir de votre sourire
Et de vos bons yeux en cette occurrence
Et de vous enfin, qu’il faudrait maudire,
Et du piège exquis, rien que l’apparence.
---
Je vous vois encore ! En robe d’été
Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.
Mais vous n’aviez plus l’humide gaîté
Du plus délirant de tous nos tantôts.
La petite épouse et la fille aînée
Était reparue avec la toilette
Et c’était déjà notre destinée
Qui me regardait sous votre voilette.
Soyez pardonnée ! Et c’est pour cela
Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil,
En mon souvenir, qui vous cajola,
L’éclair de côté que coulait votre œil.
---
Par instants je suis le Pauvre Navire
Qui court démâté parmi la tempête
Et, ne voyant pas Notre-Dame luire,
Pour l’engouffrement en priant s’apprête.
Par instants je meurs la mort du Pécheur
Qui se sait damné s’il n’est confessé
Et, perdant l’espoir de nul confesseur,
Se tord dans l’Enfer qu’il a devancé.
Ô mais ! par instants, j’ai l’extase rouge
Du premier chrétien sous la dent rapace,
Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge
Un poil de sa chair, un nerf de sa face !
Paul Verlaine (1844-1896), « Prince des Poètes », né à Metz, mena la vie lamentable d'un déclassé. Après toutes sortes d'aventures pénibles ou scandaleuses, il passa à l'hôpital ses dernières années et mourut célèbre et miséreux en 1896. « Chétif trouvère de Paris », insociable et doux, incorrigible et bon, il désarme la critique, malgré ses égarements, à cause de ses souflrances et de son ingénuité. Il a donné "Poèmes Saturniens" (1866) où l'on trouve déjà des accents de mélancolie triste, "Fêtes Galantes" (1869) où revit un XVIIIe siècle à la Watteau, "Romances sans paroles" (1874), "Sagesse" (1880), son principal recueil.
Sa poésie, tour à tour ou « parallèlement » immorale et édifiante, reflète l'opposition qu'il y eut entre sa conduite et son idéal. Sensuel et mystique, Verlaine, en cela héritier de Baudelaire, a chanté les formes basses et charnelles du plaisir ; mais il a ressenti ou deviné les joies très pures du foyer domestique, les charmes de « la vie humble aux travaux ennuyeux et faciles », l'attrait d'un « amour câlin et réchauffant ». Idéaliste auquel répugnent « l'ironie et les lèvres pincées », parfaitement sincère, il a magnifié l'amour et chanté sa foi religieuse retrouvée en strophes d'une humilité poignante et attendrie : Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien / Dans ces temps de féroce ignorance et de haine...
Mais plus essentiellement qu'un voluptueux ou un chrétien repentant, Verlaine est un poète, c'est-à-dire un interprète privilégié des choses gracieuses et indéfinissables, du rêve, de la musique: « de la musique encore et toujours! ». Des images inachevées, des sensations éphémères, des sonorités douces et languissantes (« les sanglots longs des
violons »), thème prédestiné pour les harmonies d'un Debussy ou d'un Reynaldo Hahn, suffisent à constituer le charme immortel des petits chefs-d'œuvre des Poèmes Saturniens, de la Bonne Chanson, des Romances sans Paroles .
Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville, / Quelle est cette langueur / Qui pénètre mon cœur? / O bruit doux de la pluie / Par terre et sur les toits...
La forme chez Verlaine est très inégale, incompréhensible parfois : mais, sous sa négligence apparente, avec sa syntaxe tout à fait arbitraire, avec ses rejets ou surjets et la cadence brisée de ses vers, elle seule convenait pour exprimer la pensée fragile et dolente du poète, sa mélancolie, ses repentirs ou ses joies fugitives...
1881 – Sagesse
Composé entre 1873 et 1880, le recueil est marqué, pour une part, par le séjour de Verlaine à la prison de Bruxelles ("Le ciel est par-dessus le toit... "), puis à celle de Mons. C'est de cette époque que date le retour de Verlaine à la foi catholique. Cependant, bien plus qu'un livre religieux, "Sagesse" exprime la difficulté de Verlaine de s'extraire de ses vices ("Les faux beaux jours"...), la soif de pardon ("Les chères mains"...). L'œuvre fut poursuivie à Stickney, à Arras ; certaines pièces doivent même dater de Rethel et de Coulommes, donc d'une période où le poète était retourné à ses habitudes d'intempérance et de débauche. Il n'est donc pas surprenant que le volume manque d'unité. "Sagesse" a longtemps été considéré comme le chef-d'œuvre de Verlaine.
Les chères mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,
Après ces méprises mortelles
Et toutes ces choses païennes,
Après les rades et les grèves,
Et les pays et les provinces,
Royales mieux qu'au temps des princes,
Les chères mains m'ouvrent les rêves.
Mains en songe, mains sur mon âme,
Sais-je, moi, ce que vous daignâtes,
Parmi ces rumeurs scélérates,
Dire à cette âme qui se pâme ?
Ment-elle, ma vision chaste
D'affinité spirituelle,
De complicité maternelle,
D'affection étroite et vaste ?
Remords si chers, peine très bonne,
Rêves bénits, mains consacrées,
O ces mains, ces mains vénérées,
Faites le geste qui pardonne !
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ :
Une tentation des pires. Fuis l'infâme.
Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la vallée, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.
O pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains.
Si ces hier allaient manger nos beaux demains ?
Si la vieille folie était encore en route ?
Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?
Un assaut furieux, le suprême sans doute !
O va prier contre l'orage, va prier.
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D'une aile inquiète et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher,
D'une île d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi ? Pourquoi ?
Mouette à l'essor mélancolique,
Elle suit la vague, ma pensée,
A tous les vents du ciel balancée
Et biaisant quand la marée oblique,
Mouette à l'essor mélancolique.
Ivre de soleil
Et de liberté,
Un instinct la guide à travers cette immensité.
La brise d'été
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tiède demi-sommeil.
LE CIEL EST, PAR-DESSUS LE TOIT.... - Cette pièce fait partie de la troisième partie de Sagesse. où le sentiment religieux est moins apparent que dans les deux premières; c'est une impression, un paysage de rêve, une sorte de romance sans paroles, selon le titre que Verlaine avait donné lui-même à l'un de ses recueils antérieurs. Peut-être est-ce un souvenir de la vie du prisonnier de Mons et doit-on le rattacher à l'inspiration de "Cellulairement"...
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
Qu'as-tu fait, à toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Sagesse d'un Louis Racine - Le recueil Sagesse, auquel appartient ce sonnet, fut publié en 1881, six ans après le séjour de Verlaine en prison, et porte la marque de son retour à la foi catholique, de cette courte période de calme et de sagesse dans sa vie si tourmentée. Les vers suivants se trouvent dans la première partie du livre, une série de 24 pièces, écrites pour la plupart sur des thèmes religieux. A travers Louis Racine, fils du grand Racine, poète médiocrement inspiré de poèmes sur La Grâce et sur La Religion (1742), Verlaine évoque la France chrétienne et monarchique de la fin du règne de Louis XIV....
Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie!
O n'avoir pas suivi les leçons de Rollin,
N'être pas né dans le grand siècle à son déclin,
Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie,
Quand Maintenon jetait sur la France ravie
L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin,
Et royale abritait la veuve et l'orphelin,
Quand l'étude de la prière était suivie,
Quand poète et docteur, simplement, bonnement,
Communiaient avec des ferveurs de novices,
Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices,
Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant
D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses
En louant Dieu, comme Garö, de toutes choses!
ÊCOUTEZ LA CHANSON BIEN DOUCE.... - Même origine, même date que la pièce précédente. Mais l'inspiration et le ton sont différents. Dans son besoin nouveau de calme et de sagesse, dans son désir de rachat et de pardon, le poète évoque le souvenir de sa femme. Pénétré d'une foi sincère, il veut recommencer sa vie et tout naturellement l'image du foyer qu'il a détruit se présente à sa pensée. Mais la plainte est discrète, si discrète que seule celle à qui elle s'adressait alors pouvait l'entendre. Elle ne fut d'ailleurs pas accueillie, car Verlaine, bientôt repris par ses habitudes de vie irrégulière, rendit lui-même toute réconciliation impossible...
Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse!
La voix vous fut connue (et chère ?)
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoires.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste!
Elle est en peine et de passage
L'âme qui souffre sans colère.
Et comme sa morale est claire!...
Écoutez la chanson bien sage.
MON DIEU M'A DIT.... - Ces deux Sonnets sont extraits d'un assez long ensemble qui forme, avec trois pièces plus courtes, la seconde partie de Sagesse. lls figuraient déjà dans un recueil antérieur et non publié de Verlaine, "Cellulairement" (1875), inspiré par son séjour à la prison de Mons. Ce sont ces pages qui portent le plus clairement la marque de son retour à la foi chrétienne. En dix sonnets, dont nous donnons ici le premier et le dernier, le poète nous rapporte le dialogue qui se déroula, au fond de son coeur meurtri, entre le Dieu miséricordieux et l'humble créature pécheresse et repentante qu'il était alors. Vers nettement chrétiens, par l'humilité sincère de la pensée, par la sereine simplicité de la forme. Pour l'idée du dialogue lui-même, on peut songer au "Mystère de Jésus" de Pascal. Pour les vers, notons les alexandrins ternaires, coupés par le rythme en trois parties (v.1, 2,4... 14) alternant avec l'alexandrin classique (v. 3, 8,10)...
Mon Dieu m`a dit : "Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois
Mon flanc percé, mon coeur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensés que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes péchés, et mes mains! Et tu vois la croix.
Tu vois les clous, le fiel, l'éponge et tout t'enseigne
A m'aimer, en ce monde où la chair seule règne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort, moi-même,
O mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,
Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit?
N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême
Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis ?"
Ah! Seigneur, qu'ai-je? Hélas! me voici tout en larmes
D'une joie extraordinaire : votre voix
Me fait comme du bien et du mal à la fois,
Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes.
Je ris, je pleure, et c'est comme un appel aux armes
D'un clairon pour des champs de bataille où je vois
Des anges bleus et blancs portés sur des pavois,
Et ce clairon m'enlève en de fières alarmes.
J'ai l'extase et j'ai la terreur d'être choisi.
Je suis indigne, mais je sais votre clémence.
Ah! quel effort, mais quelle ardeur! Et me voici
Plein d'une humble prière, encor qu'un trouble immense
Brouille l`espoir que votre voix me révéla,
Et j'aspire en tremblant.
- Pauvre âme, c'est cela!
1883 – Les Poètes maudits, essai
Verlaine est un médiocre prosateur, à l'exception de ce recueil où il s'est astreint à quelque rigueur d'expression. Ses œuvres en prose comprennent : le "Voyage en France par un Français" (vers 1880) ; "Nos Ardennes" (article du Courrier des Ardennes, 1882-1883) ; les "Poètes maudits" (1re série, 1884 ; 2e série, 1888), où Verlaine s'est peint lui-même sous l'anagramme de « Pauvre Lélian » : sont ainsi présentés Tristan Corbière, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle-Adam ; les "Hommes d'aujourd'hui" (1885-1893) ; "Louise Leclercq", "Pierre Duchatel", et les "Mémoires d'un veuf" (1886) ; "Histoires comme ça" (1888-1890) ; "Gosses" (1889-1891) ; Mes hôpitaux et Souvenirs (1891) ; Mes prisons et Quinze Jours en Hollande (1893). Ces pages offrent un intérêt plus documentaire que littéraire.
"LES POETES MAUDITS
Le premier recueil du Parnasse contenait, en effet, des vers de Paul Verlaine, né en 1844, et de Stéphane Mallarmé, né en 1842, qui ne ressemblaient pas tout à fait aux autres. Dans la corbeille d'œufs de poule on distingue les deux œufs de cane. Dès l'éclosion, les canetons reçurent d'ailleurs des coups de bec. Verlaine ne collabora plus au Parnasse, et Mallarmé en fut expulsé à la suite d'un rapport très méprísant d'Anatole France. Ils disparurent jusqu'en 1885, Verlaine dans le vagabondage, Mallarmé dans d'obscures besognes de maître d'anglais. Un et deux ans après Verlaine naissent Tristan Corbière (1845) et Lautréamont (1846). Rimbaud qui ferme la marche ne naît qu'en 1854, mais son étonnante précocité fait croire que la nature veut rattraper le temps perdu et placer bon gré mal gré ce grand garçon dans cette équipe des vingt-cinq ans en 1870. L étude célèbre de Verlaine leur a, valu à tous le nom de poètes maudits. En réalité, c est une avant-garde qui rendra à la génération poétique de 1885 le même service que les tétrarques au Parnasse (Gautier, Leconte de Lisle, Banville et Baudelaire). Comme les tétrarques, et sauf le couple Verlaine-Rimbaud, ils ne sont pas constitués en groupe littéraire. Ils n'existent que chacun à part; ils représentent une manière de dissidence absolue.
Il a fallu encore bien des années après sa mort (ce fut aussi le cas de Baudelaire) pour que Verlaine fût reconnu l'un des plus grands poètes français. Il n'aurait pu l'être au temps du Parnasse, qui avait imposé à l'oreille et au goût certaines exigences d'ordre oratoire et de lumière d'atelier, et conservait ou ramenait plus ou moins le dogme classique qui veut que les vers soient beaux comme de la belle prose, avec quelque chose en plus. A quoi Verlaine a dit, profondément, non.
Il a purifié et dématérialisé la poésie. Si Baudelaire avait mis psychologiquement son cœur à nu, Verlaine l'a mis musicalement à nu. Aucune parole n'est plus que la sienne, proche de ce qui ne peut être dit, n'est plus fraîchement prise au griffon du silence et de la plénitude. A travers les gauches imitations d'école inévitables, il est déjà tout entier dans tel sonnet des Poèmes saturníens : "Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant".
Son vers a l'inflexion des voix qui se sont tues ou qui n'ont pas encore parlé. Il ne ressemble, ce vers, à rien de ce qu'on a fait avant lui, à rien de ce qu'on fera après. Tout vers parait dur à coté de cette moelle de sureau. L'homme sans volonté, le pêcheur à vau-l'eau qu'il fut étaient peut-être nécessaires pour que se formât cette neige et se déposât cette matière poétique allégée...." (Histoire de la Littérature française, Albert Thibaudet, 1936)
1884 – Jadis et Naguère
Ce recueil est composé d'œuvres écrites, pour la plupart, bien avant 1884, quelques-unes même ayant été créées vers 1870. Ce livre rappelle donc parfois la veine des Fêtes galantes, mais aussi l'aventure vécue avec Rimbaud. C'est aussi dans ce recueil qu'a été repris le poème de 1874, "Art poétique", où Verlaine exprime le plus explicitement ce qui fait la beauté de son écriture. La rétrospective que constitue Jadis et Naguère a été publiée à une époque où Verlaine, renié par les Parnassiens de sa génération, est devenu l'un des hérauts du groupe qu'on appellera les Symbolistes.
Composé vers 1871, à l'époque des "Romances sans paroles", "L'Art poétique" ne fut imprimé que dix ans plus tard, dans le recueil "Jadis et Naguère" (1884). C'est à cette époque, comme en témoignent plusieurs lettres a son ami Edmond Lepelletier, que Verlaine prit conscience de sa poétique et songea à en formuler, sinon les règles, du moins l'esprit, d'abord sous la forme d'une préface en prose, puis dans une suite de strophes qui devinrent, pour les jeunes poètes, l'évangile d'une foi nouvelle.
Cet Art poétique est essentiel pour l'histoire du symbolisme : il condamne, en effet, l'éloquence romantique ou parnassienne, la contrainte inutile ou dérisoire de la rime; il fait appel, chez le lecteur, aux nuances les plus fines de la sensibilité, chez le poète, à l'art d'éveiller tout un monde d'images et de rêves par l'harmonie des sons. Tel est le sens de ce manifeste sans tapage que l'on a joliment défini : "Le coup d'aile d'un oiseau s'échappant de la cage parnassienne."...
L'Art poétique
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
1888 – Amours
À l'origine, ce recueil devait compléter "Sagesse", en équilibrant le thème de la foi par celui de la charité chrétienne. Mais, peu à peu, d'autres poèmes sont venus grossir le livre, l'éloignant de plus en plus de son plan d'origine. C'est surtout les vingt-quatre poèmes consacrés à la mémoire de Lucien Lutinois, jeune paysan que Verlaine connut alors qu'il était professeur et avec qui il habita pendant de nombreuses années, qui donnent une couleur particulière à "Amours". Il est vrai que certains poèmes, comme celui où Verlaine absout Lucien Létinois d'avoir péché avec une jeune Anglaise, sont involontairement loufoques, mais d'autres, tels "J'ai la fureur d'aimer" ou "L'affreux Ivry", expriment une douleur authentique.
Couché dans l’herbe pâle et froide de l’exil,
Sous les ifs et les pins qu’argente le grésil,
Ou bien errant, semblable aux formes que suscite
Le rêve, par l’horreur du paysage scythe,
Tandis qu’autour, pasteurs de troupeaux fabuleux,
S’effarouchent les blancs Barbares aux yeux bleus,
Le poète de l’art d’Aimer, le tendre Ovide
Embrasse l’horizon d’un long regard avide
Et contemple la mer immense tristement.
Le cheveu poussé rare et gris que le tourment
Des bises va mêlant sur le front qui se plisse,
L’habit troué livrant la chair au froid, complice,
Sous l’aigreur du sourcil tordu l’œil terne et las,
La barbe épaisse, inculte et presque blanche, hélas
Tous ces témoins qu’il faut d’un deuil expiatoire
Disent une sinistre et lamentable histoire
D’amour excessif, d’âpre envie et de fureur
Et quelque responsabilité d’Empereur.
Ovide morne pense à Rome et puis encore
À Rome que sa gloire illusoire décore.
Or, Jésus ! vous m’avez justement obscurci :
Mais n’étant pas Ovide, au moins je suis ceci.
Hélas ! je n’étais pas fait pour cette haine
Et pour ce mépris plus forts que moi que j’ai.
Mais pourquoi m’avoir fait cet agneau sans laine
Et pourquoi m’avoir fait ce cœur outragé ?
J’étais né pour plaire à toute âme un peu fière,
Sorte d’homme en rêve et capable du mieux,
Parfois tout sourire et parfois tout prière,
Et toujours des cieux attendris dans les yeux ;
.Toujours la bonté des caresses sincères,
En dépit de tout et quoi qu’il y parût,
Toujours la pudeur des hontes nécessaires
Dans l’argent brutal et les stupeurs du rut ;
Toujours le pardon, toujours le sacrifice !
J’eus plus d’un des torts, mais j’avais tous les soins.
Votre mère était tendrement ma complice,
Qui voyait mes torts et mes soins, elle, au moins.
Elle n’aimait pas que par vous je souffrisse.
Elle est morte et j’ai prié sur son tombeau ;
Mais je doute fort qu’elle approuve et bénisse
La chose actuelle et trouve cela beau.
Et j’ai peur aussi, nous en terre, de croire
Que le pauvre enfant, votre fils et le mien,
Ne vénérera pas trop votre mémoire,
Ô vous sans égard pour le mien et le tien.
Je n’étais pas fait pour dire de ces choses,
Moi dont la parole exhalait autrefois
Un épithalame en des apothéoses,
Ce chant du matin où mentait votre voix.
J’étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d’un monde impur,
Cimier d’or chanteur et tunique de flammes,
Moi le Chevalier qui saigne sur azur,
Moi qui dois mourir d’une mort douce et chaste
Dont le cygne et l’aigle encor seront jaloux,
Dans l’honneur vainqueur malgré ce vous néfaste,
Dans la gloire aussi des Illustres Époux !
1889 - Parallèlement
Au mois d'août 1887, Verlaine écrivait à Charles Morice : "Parallèlement est le déversoir, le dépotoir de tous les mauvais sentiments que je suis capable d'exprimer." Et Verlaine, visant à un succès de scandale, mettait la magie incantatoire au service des pires faiblesses de la chair. "Parallèlement" est une composition née d'une des périodes les plus troubles de l'existence de Verlaine, entre 1885 et 1887 : il est réduit au vagabondage et vit à l'hôpital.
Alfred Jarry, Parallelement, dans La Revue blanche 24 (1901)
"II n'y a que deux manières de savourer comme il convient de très beaux vers qui chantent des joies très infames: il faut se les faire lire par une adolescente, vierge s'il se peut et de préférence fille d'anciens rois; ou bien, si l'on n'a pas à sa disposition de lectrice viergenée d'une dynastie immémoriale, on peut méditer seul les poèmes, à même un exemplaire de grand format, imprimé avec des caractères neufs, fondus dans des matrices vénérables. II est indispensable que ces caractères soient amples, et imposent l'idée d'une stabilité immuable, comme d'une architecture. Les poinçons gravés par Garamond sur l'ordre de François Ier répondent à ces exigences, et font la typographie de Parallèlement aussi définitive qu'une inscription sur une porte d'enfer. Ils permettent de lire comme on déguste ou plutôt comme on digère, en passant avec toute la temporisation requise au long de la caresse de chacune de leurs courbes.
Et comme il est dans l'ordre naturel qu'après avoir fixé quelque figure nette, l'oeil reste obsédé de contours identiques quoique de couleur complémentaire, il est impossible de s'interrompre de suivre les arabesques voluptueuses du texte pour se fourvoyer vers le blanc des marges, sans être poursuivi, agréablement d'ailleurs, par des imaginations de choses arrondies: de petites femmes et de petites filles, de chairs blondes et de boucles noires, de joues, de ventres, de seins et de cuisses... Mais nulles rêveries, fussent-elles d'un bibliophile, ne suggéreraient la beauté et la grâce que réalisent les lithographies de Pierre Bonnard. Ses crayonnages légers dans les marges semblent les propres fantômes qui s'évoquent des rythmes à mesure de la lecture, assez diaphanes pour ne point empêcher de lire. C'est la première illustration que l'on publie, qui soit tout à fait adaptée à un livre de vers.
Pierre Bonnard est le peintre de la grâce, des femmes frileuses, des petits enfants, quoiqu'il construise, quand il lui plait, le beau ou le grotesque, cette autre forme du gracieux. Avec une légèreté admirable, il a mollement culbuté sur les draps candides des pages ces êtres, féminins ou enfantins, ou ces jeunes animaux, les petites Amies qui jouent à la grande Sappho. ..
À mademoiselle ***
Rustique beauté
Qu’on a dans les coins,
Tu sens bon les foins,
La chair et l’été.
Tes trente-deux dents
De jeune animal
Ne vont point trop mal
À tes yeux ardents.
Ton corps dépravant
Sous tes habits courts,
— Retroussés et lourds,
Tes seins en avant,
Tes mollets farauds,
Ton buste tentant,
— Gai, comme impudent,
Ton cul ferme et gros,
Nous boutent au sang
Un feu bête et doux
Qui nous rend tout fous,
Croupe, rein et flanc.
Le petit vacher
Tout fier de son cas,
Le maître et ses gas,
Les gas du berger,
Je meurs si je mens,
Je les trouve heureux,
Tous ces culs-terreux,
D’être tes amants.
Limbes
L’imagination, reine,
Tient ses ailes étendues,
Mais la robe qu’elle traîne
A des lourdeurs éperdues.
Cependant que la Pensée,
Papillon, s’envole et vole,
Rose et noir clair, élancée
Hors de la tête frivole.
L’Imagination, sise
En son trône, ce fier siège !
Assiste, comme indécise,
À tout ce preste manège,
Et le papillon fait rage,
Monte et descend, plane et vire :
On dirait dans un naufrage
Des culbutes du navire.
La reine pleure de joie
Et de peine encore, à cause
De son cœur qu’un chaud pleur noie,
Et n’entend goutte à la chose.
Psyché Deux pourtant se lasse.
Son vol est la main plus lente
Que cent tours de passe-passe
Ont faite toute tremblante.
Hélas, voici l’agonie !
Qui s’en fût formé l’idée ?
Et tandis que, bon génie
Plein d’une douceur lactée,
La bestiole céleste
S’en vient palpiter à terre,
La Folle-du-Logis reste
Dans sa gloire solitaire !