Modernismo - Rubén Darío (1867-1916), "Azul" (1888) - "Cantos de vida y esperanza" (1905) - "Carne, celeste caren de la mujer! Arcilla..." ....

Last update: 31/11/2021

 

On identifie le poète nicaraguayen Rubén Darío avec le mouvement, surgi dans la littérature hispano-américaine à la fin du XIXe siècle, qui reçut le nom de "modernismo". L'année 1888, date de la publication de son premier grand recueil, "Azul" (Bleu), est considérée, par certains, comme celle de l'origine officielle du mouvement. En fait, il s'agit d'un phénomène collectif, plusieurs écrivains, dont Martí, del Casal, Gutiérrez Nájera, Díaz Mirón, prennent conscience d'une réalité littéraire "nouvelle"...

Depuis la rupture politique avec l'Espagne, l'histoire littéraire de l'Amérique hispanique s'était réduite à une série de tâtonnements, dominée çà et là par de grandes figures isolées dont l'œuvre dépassait les limites strictement littéraires, mais les écrivains n'ont plus à jouer un rôle politique et prennent conscience des possibilités d'un langage nouveau : "les poètes naissent poètes ; toutes les choses naturelles naissent ; ce qui ne naît pas c'est l'artificiel. C'est ainsi qu'il ne vous faut point croire que Francis Jammes ou Juan R. Jiménez feraient mieux de songer à l'avenir politique de leur pays respectif que de chanter les sentiments qui jaillissent à la chaleur paisible de leurs muses douces..."

 

Le "modernismo", pour Federico de Onis, auteur d'une anthologie de la poésie espagnole et hispano-américaine pour la période 1882-1932, naquit d'abord d'une réaction "contre", avant de devenir un enthousiasme "pour" : " La frontière entre le modernisme et la littérature qui l'a précédée, c'est-à-dire la littérature réaliste et naturaliste de la seconde moitié du XIXe siècle, est assez claire et facile à déterminer, car le modernisme naquit comme une négation de la littérature antérieure et en réaction contre elle. C'est ce caractère négatif qui au début fit l'unité, aux yeux d'autrui et à leurs propres yeux, des jeunes écrivains qui, dans les dernières années du XIXe siècle, arrivèrent à Madrid des quatre points cardinaux de la péninsule, et de plus loin encore, de l'Amérique espagnole, écrivains séparés, différents, opposés sur tout le reste."

Francisco Contreras dans la préface de son poème Raúl publié au Chili en 1992, et reproduite la même année dans la Revista Moderna de Mexico, estime que l'hypersensibilité de la société contemporaine, - "la tendance au mysticisme, à l'occultisme, au raffinement décadent est un résultat de l'actuel état d'âme de la société, déterminé par la réaction contre l'abus du scepticisme, de la science décourageante, du naturalisme grossier" -, produit cet "Art nouveau", qui est un "Art libre", - libre développement du tempérament créateur", qui admet toutes les tendances et concilie tous les systèmes.

Juan Ramon Jiménez, ami de la première heure de Ruben Dario à Madrid et moderniste lui-même avant de servir l'idéal d'une poésie "desnuda", reviendra sur ce qui lui paraît être l'essence du modernisme dans un article de Cuadernos Americanos (Mexico 1944, juillet-août) : "Si un homme clairvoyant était tenu de donner une explication objective, concrète et rapide du modernisme espagnol et universel de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, je crois qu'il dirait que le vrai modernisme fut un vif désir de rénovation vitale et esthétique qui survit aujourd'hui à ce qu'on appela vulgairement modernisme à cette époque-là; et ce que l'on appela vulgairement modernisme alors, est ce qui est mort du vrai modernisme". Et tout simplement, affirme Rufino Blanco Fombona, "Pour ne pas nous asphyxier nous ouvrîmes la bouche. C'est ce fait, de toute une génération, d'ouvrir la bouche à la recherche d'air, que l'on appela le modernisme."...

 

Les dernières années, au final une période bien courte, du XIXe siècle au lendemain de la première guerre mondiale, ont exercé une influence non négligeable sur les lettres contemporaines, Ruben Dario, né dans un bourg de Nicaragua, en fut "le père et le maître magique". Juan Valera, dans une lettre à Menéndez y Pelayo de 1892 définit bien le poète : "Chez Rubén Dario il y a, par-dessus le métis d'Espagnol et d'Indien, la teinture raffinée du parnassien, du décadent et de tout ce que l'Etranger offre de plus récent; de là à mon avis un aspect très insolite, neuf, inouï et étrange, qui plaît et ne choque pas parce qu'il est élaboré avec bonheur et bon goût... Tout chez Dario est naturel et spontané, quoique raffiné et comme ciselé. » . 

Entre 1896, et 1905, créant un climat sophistiqué grâce à sa puissance de rêve et d'évasion, la poésie de Darío marque donc un tournant dans la littérature de langue espagnole, comme on l'a souvent dit, comme ce fut le cas avec Garcilaso de la Vega au XVIe siècle, puis  avec Góngora un siècle plus tard. Après Rubén Darío, on n'écrit plus comme avant,  la poésie espagnole s'assouplit, se libère de toutes contraintes, aborde librement tous les thèmes et récupère son droit de cité dans la littérature universelle. La poésie de Darío devient un point de repère, pour ou contre lui, les plus grands poètes qui lui succèdent, Jiménez, Salinas, Vallejo, Neruda, Borges, Cernuda, Paz, n'ont pas échappé à son influence... 

 

Rubén Darío (1867-1916)

Rubén Dario est né à Chocoyos (aujourd'hui Metapa) dans la République du Nicaragua,  son père se nommait Manuel Garcia, sa mère Rosa Sarmiento, et Félix Rubén García Sarmiento prit le nom  de l'un de ses ancêtres, très connu dans son village, Dario. Les parents rompirent très tôt leurs relations conjugales et Rosa se réfugia avec son fils à San Marco de Colon, près de la frontière du Honduras, avec un certain Soriano. C'est là que le colonel Felix Ramirez Madregil, mari de Bernada Sarmiento, grand-tante de Félix Ruben, vint chercher l'enfant pour le ramener à Léon où il fut pris en charge. Il ne connut donc véritablement ni son père ni sa mère et le seul dévouement de tante Bernarda...

Elevé chez les Jésuites, le poète-enfant se fit remarquer par son intelligence précoce, ses premiers vers furent publiés dans le journal El Termometro de la ville de Rivas le 26 juin 1880 ("Ya iba a cumplir mis trece años y habían aparecido mis primeros versos en un diario titulado Eí Termómetro t que publicaba en la ciudad de Rivas el historiador y hombre político José Dolores Gómez"',  "Naturaleza”, "Al mar", "A Víctor Hugo", "Clases”, "Una lágrima”, "Desengaño”, "El poeta” y "A ti”, ..) et dès sa quinzième année se fit journaliste (1882), parcourant divers pays de l'Amérique centrale (Savaldor, Costa-Rica, Guatemala), puis plus tard l'Amérique du Sud, principalement le Chili, - il collabore à La Epoca et à La Libertad Electoral de Santiago, à El Heraldo et El Mercurio de Valparaiso -, et l'Argentine, - il y publie, à La Nacion ses meilleures pages en prose et y fait fonction de correspondant à l'étranger, et plus tard, en 1896, le livre qui fit sa renommée. 

En 1885, il fait paraître son premier livre, "Primeras notas", puis trois recueils de vers, "Abrajos" (Les Chardons, 1887, "Sí, yo he escrito estos Abrojos tras hartas penas y agravios, ya con la risa en los labios, ya coa el llanto en los ojos ..."), "Rimas (Rimes, 1888, "En EL libro lujoso se advierten las rimas triunfales; bizantinos mosaicos, pulidos y raros esmaltes, fino estuche de artísticas joyas, ideas brillantes; los vocablos unidos a modo de ricos collares; las ideas formando en el ritmo sus bellos engarces, y los versos como hilos de oro do irisadas tiemblan perlas orientales...").

 

"AZUL" (1888)

A vingt et un an, en 1888, Ruben Dario publie "Azul" qui le rend célèbre du jour au lendemain...

"Je ne connaissais pas encore la phrase de Hugo, "l'art c'est l'azur", écrira-t-il, mais la strophe des "Châtiments", "Adieu, patrie! L'onde est en furie! Adieu, patrie, azur!". Et c'est bien Ruben qui, dans "Caupolican" inaugure l'entrée du sonnet alexandrin à la française dans la langue espagnole. Tout le symbolisme et le modernisme sont contenus dans ce mot-clé, AZUL, les rêves du poète, sa soif de beauté et d'idéal. Il y rend hommage à Leconte de Lisle, Catulle Mendès, Salvador Diaz Miron, et le grand écrivain espagnol Juan Valera en reçut un exemplaire : comment ce poète a-t-il pu, sans jamais sortir de son Amérique natale, tant connaître les milieux littéraires parisiens, s'interrogea-t-il. ..

On a parlé de "galicismo mental" à propos d' "Azul", c'est-à-dire, selon Juan Valera cette "assimilation profonde d'une littérature étrangère, qui éblouit d'autant plus qu'en elle se trouve exprimés son âme complexe, ses rêves mystiques ou sensuels d'idéal et de beauté, ses aspirations, son bonheur ou son angoisse"..

"Je trouvai chez les Français une mine littéraire à exploiter", - cf. Erwin K. Maopes, "L'influence française dans l'oeuvre de Ruben Dario"), - mais des oeuvres qui ne sont pas que littéraires, Romantiques, Parnassiens, ou Décadents...Comme "une véritable éponge", Ruben absorbe aussi quantité de "sucs" tirés des Lettres espagnoles de toutes les époques, italiennes, portugaises, anglaises, allemandes, hispano-américaines, et tout autant des arts plastiques et beaux-arts...

Composent "AZUL", successivement : EL REY BURGUÉS (CANTO ALEGRE), EL SÁTIRO SORDO (CUENTO GRIEGO), LA NINFA (CUENTO PARISIENSE), EL FARDO, EL VELO DE LA REINA MAB, LA CANCIÓN DEL ORO, EL RUBÍ, EL PALACIO DEL SOL, EL PÁJARO AZUL (París es teatro divertido y terrible), PALOMAS BLANCAS Y GARZAS MORENAS (Mi prima Inés era rubia como una alemana) - EN CHILE, (I) EN BUSCA DE CUADROS, (II) ACUARELA, (III) PAISAJE, (IV) AGUA FUERTE, (V) LA VIRGEN DE LA PALOMA, (VI) LA CABEZA, (VII) ACUARELA, (VIII) UN RETRATO DE WATEU, IX (NATURALEZA MUERTA), (X) AL CARBÓN .. - LA MUERTE DE LA EMPERATRIZ DE LA CHINA - A UNA ESTRELLA (ROMANZA EN PROSA, et des poèmes (CATULLE MENDES, WALT WHITMAN, SALVADOR DÍAZ MIRON)..

 

"LA CANCIÓN DEL ORO (LA CHANSON DE L'OR)

"Aquel día, un harapiento, por las trazas un mendigo, tal vez un peregrino, quizá un poeta, llegó, bajo la sombra de los altos álamos, a la gran calle de los palacios, donde hay desafíos de soberbia entre el ónix y el pórfido, el ágata y el mármol; en donde las altas columnas, los hermosos frisos, las cópulas doradas, reciben la caricia pálida del sol moribundo." 

Ce jour-là, un loqueteux, aux apparences de mendiant, et qui peut-être était un pèlerin, peut-être même un poète, arriva, à l'ombre des hauts peupliers, jusqu'à la grande rue des palais où l'onyx défie superbement le porphyre, où rivalisent le marbre et l'agathe, où les colonnes élancées, les frises délicates, les coupoles dorées reçoivent la pâle caresse du soleil moribond.

 

"Había tras los vidrios de las ventanas, en los vastos edificios de la riqueza, rostros de mujeres gallardas o de niños encantadores. Tras las rejas se adivinaban extensos jardines, grandes verdores salpicados de rosas y ramas que se balanceaban acompasada y blandamente como bajo la ley de un ritmo.

Y allá en los grandes salones, debía de estar el tapiz purpurado y lleno de oro, la blanca estatua, el bronce chino, el tibor cubierto de campos azules y de arrozales tupidos, la gran cortina recogida como una falda, ornada de flores opulentas, donde el ocre oriental hace vibrar la luz en la seda que resplandece.

Luego, las lunas venecianas, los palisándros y los cedros, los nácares y los ébanos, y el piano negro y abierto, que ríe mostrando sus teclas como una linda dentadura; y las arañas cristalinas, donde alzan las velas profusas la aristocracia de su blanca cera. ¡Oh, y más allá! Más allá el cuadro valioso, dorado por el tiempo, el retrato que firma Durand o Bounat, y las preciosas acuarelas en que el tono rosado parece que emerge de un cielo puro y envuelve en una onda dulce desde el lejano horizonte hasta la hiedra trémula y humilde.

Y más allá...

(Muere la tarde, Llega a las puertas del palacio un carruaje flamante y charolado. Baja una pareja y entra con tal soberbia en la mansión, que el mendigo piensa, decididamente, el aguilucho y su hembra van al nido. El tronco, ruidoso y azogado, a un golpe de látigo, arrastra el carruaje haciendo relampaguear las piedras. Noche.)

 

Derrière les vitres des fenêtres, dans les vastes édifices de la richesse, il y avait des visages, de jolies femmes et d'enfants ravissants. Derrière les grilles, on devinait de grands jardins, des verdures parsemées de roses et des branches qui, mollement, lentement, se balançaient au rythme de la brise. Et là- bas, sans doute, dans les larges salons, l'on pouvait découvrir le tapis de pourpre et d'or, la blanche statue, le bronze de Chine, le grand vase de terre cuite au flanc duquel se voient des champs bleus et des rizières touffues, le lourd rideau, drapé comme une jupe et décoré de fleurs opulentes où l'ocre fait vibrer la lumière sur la soie resplendissante. Et puis, les miroirs de Venise, les palissandres et les cèdres, la nacre et l'ébène, et le piano noir, ouvert, qui semble rire de toutes les dents de son clavier, et les lustres de cristal où les aristocratiques bougies de cire blanche se dressent à profusion. Oh ! Et plus loin, là- bas !.., Là-bas, le tableau de maître doré par le temps, le portrait que signa Carolus ou Bonnat, et les précieuses aquarelles sur lesquelles un ton rose, qui semble sourdre du ciel pur, enveloppe de son onde douce depuis les horizons lointains jusqu'au brin d'herbe humble et tremblant. Et plus loin...

(Le soir achève de mourir.

Un carrosse flambant et vernissé arrive aux portes du palais. Un couple en descend ; il entre avec un tel orgueil dans la maison que le mendiant songe : « Décidément l'aiglon et sa femelle rentrent au nid ». Un coup de fouet; la bête épouvantée traîne bruyamment la voiture, et, des pierres, jaillissent des étincelles. La nuit.)

 

"Entonces en aquel cerebro de loco, que ocultaba un sombrero raído, brotó como un germen de una idea que pasó al pecho, y fue opresión, y llegó a la boca hecho himno que le encendía la lengua y hacía entrechocar los dientes. Fue la visión de todos los mendigos, de todos los suicidas, de todos los borrachos, del harapo y de la llaga, de todos los que viven - ¡Dios mío! - en perpetua noche, tanteando la sombra, cayendo al abismo, por no tener un mendrugo para llenar el estómago. Y después la turba feliz, el lecho blando, la trufa y el áureo vino que hierve, el raso y muaré que con su roce ríen; el novio rubio y la novia morena cubierta de pedrería y blonda; y el gran reloj que la suerte tiene para medir la vida de los felices opulentos, que, en vez de granos de arena, deja caer escudos de oro.

Aquella especie de poeta sonrió; pero su faz tenía aire dantesco. Sacó de su bolsillo un pan moreno, comió y dio al viento su himno. Nada más cruel que aquel canto tras el mordisco."

 

Alors, dans la tête de ce fou, que cachait un chapeau élimé, naquit le germe d'une idée qui lui descendit dans la poitrine, l'oppressa, et revînt à ses lèvres transformé en un hymne qui lui brûlait la langue et faisait s'entrechoquer ses dents. Ce fut la vision de tous les mendiants, de tous les suicidés, de tous les ivrognes, de la loque et de la plaie, de tous ceux qui vivent. Seigneur! dans une nuit perpétuelle, tâtonnant dans l'ombre et tombant à l'abîme, pour n'avoir point trouvé le morceau de pain que réclame leurs entrailles. Et après, la foule heureuse, le lit moelleux, la truffe et le vin coloré qui pétille, le satin et la moire dont les frôlements sont des rires, le fiancé blond et la brune fiancée couverte de pierreries et de guipures, et le grand sablier avec lequel le destin mesure la vie des heureux opulents et qui, à la place des grains de sable, laisse tomber des écus d'or. Et cet espèce de poète sourit ; son masque était dantesque. Il tira de sa poche un pain noir. Il mangea, et puis il offrit son hymne au vent qui passe. Rien n'est plus cruel que ce chant après le coup de dent.

"¡Cantemos el oro!

Cantemos el oro, rey del mundo, que lleva dicha y luz por donde va, como los fragmentos de un sol despedazado.

Cantemos el oro, que nace del vientre fecundo de la madre tierra; inmenso tesoro, leche rubia de esa ubre gigantesca.

Cantemos el oro, río caudaloso, fuente de la vida, que hace jóvenes y bellos a los que se bañan en sus corrientes maravillosas, y envejece a aquellos que no gozan de sus raudales.

Cantemos el oro, porque de él se hacen las tiaras de los pontífices, las coronas de los reyes y los cetros imperiales; y porque se derrama por los mantos como un fuego sólido, e inunda las capas de los arzobispos, y refulge en los altares y sostiene al Dios eterno en las custodias radiantes.

Cantemos el oro, porque podemos ser unos perdidos, y él nos pone mamparas para cubrir las locuras abyectas de la taberna y las vergüenzas de las alcobas adúlteras.

Cantemos el oro, porque al saltar del cuño lleva en su disco el perfil soberbio de los césares; y va a repletar las cajas de sus vastos templos, los bancos, y mueve las máquinas, y da la vida, y hace engordar los tocinos privilegiados.

Cantemos el oro, porque él da los palacios y los carruajes, los vestidos a la moda, y los frescos senos de las mujeres garridas; y las genuflexiones de espinazos aduladores y las muecas de los labios eternamente sonrientes.

Cantemos el oro, padre del pan.

Cantemos el oro, porque es en las orejas de las lindas damas, sostenedor del rocío del diamante, al extremo de tan sonrosado y bello caracol; porque en los pechos siente el latido de los corazones, y en las manos a veces es símbolo de amor y de santa promesa.

Cantemos el oro, porque tapa las bocas que nos insultan; detiene las manos que nos amenazan, y pone vendas a los pillos que nos sirven.

Cantemos el oro, porque su voz es música encantada; porque es heroico y luce en las corazas de los héroes homéricos, y en las sandalias de las diosas y en los coturnos trágicos y en las manzanas del Jardín de las Hespérides.

Cantemos el oro, porque de él son las cuerdas de las grandes liras, la cabellera de las más tiernas amadas, los granos de la espiga y el peplo que al levantarse viste la olímpica aurora.

Cantemos el oro, premio y gloria del trabajador y pasto del bandido.

Cantemos el oro, que cruza por el carnaval del mundo, disfrazado de papel, de plata, de cobre y hasta de plomo."

 

Chantons l'or!

Chantons l'or, roi du monde, qui porte le bonheur et la lumière en quelque lieu qu'il aille comme des fragments de soleil morcelle.

Chantons l'or, qui naît du ventre fécond de la terre nourricière ; trésor immense, lait rutilant de cette gigantesque mamelle.

Chantons l'or, fleuve majestueux, source de vie, qui rend la jeunesse à ceux qui se baignent dans ses courants splendides, mais qui vieillit ceux qui ne peuvent approcher son torrent.

Chantons l'or, parce qu'on fait avec lui les tiares des pontifes, les couronnes des rois et les sceptres impériaux ; parce qu'il se répand sur les manteaux comme un feu solide, qu'il inonde les chasubles épiscopales et resplendit sur les autels, et parce- qu'il soutient le Dieu éternel dans les custodes rayonnantes.

Chantons l'or, parce que nous pouvons être des égarés, mais que toujours il couvrira les folies abjectes de la taverne et les hontes des alcôves adultères.

Chantons l'or, parce qu'au sortir du coin il porte sur son disque le profil superbe des Césars, et s'en va remplir les caisses de ses vastes temples, les banques, et parce qu'il met en mouvement les machines, fait naître la vie, et engraisse les lards privilégiés.

Chantons l'or, parce qu'il procure les palais et les voitures, les robes à la mode, et les seins frais des femmes cupides, et le spectacle des échines qui se courbent, et les grimaces des lèvres éternellement souriantes.

Chantons l'or, père du pain.

Chantons l'or, parce qu'aux oreilles des jolies femmes, il soutient la rosée du diamant qui tremble au bord de ce joli coquillage rose ; parce que dans les poitrines il entend les battements du cœur, et parce qu'il est parfois dans les mains le symbole de l'amour et des promesses sacrées.

Chantons l'or, parce qu'il ferme la bouche qui nous insulte, retient la main qui nous menace et dompte les coquins qui nous servent.

Chantons l'or, parce que sa voix est une musique enchantée, parce qu'il est héroïque et parce qu'il luit sur les cuirasses des héros d'Homère, sur les sandales des Déesses et les cothurnes tragiques, et sur les pommes du jardin des Hespérides.

Chantons l'or dont sont faites les cordes des grandes lyres, les chevelures des plus tendres amantes, les grains des épis et le péplos qui, au lever du soleil, couvre l'aurore olympienne.

Chantons l'or, prix et gloire du travailleur, nourriture du bandit.

Chantons l'or qui traverse le carnaval du monde sous un déguisement de papier, d'argent, de cuivre, voire de plomb.


"Cantemos el oro, amarillo como la muerte.

Cantemos el oro, calificado de vil por los hambrientos; hermano del carbón, oro negro que incuba el diamante; rey de la mina, donde el hombre lucha y la roca se desgarra; poderoso en el poniente, donde se tiñe en sangre; carne de ídolo, tela de que Fidias hace el traje de Minerva.

Cantemos el oro, en el arnés del caballo, en el carro de guerra, en el puño de la espada, en el lauro que ciñe cabezas luminosas, en la copa del festín dionisíaco, en el alfiler que hiere el seno de la esclava, en el rayo del astro y en el champaña que burbujea como una disolución de topacios hirvientes.

Cantemos el oro, porque nos hace gentiles, educados y pulcros.

Cantemos el oro, porque es la piedra de toque de toda amistad.

Cantemos el oro, purificado por el fuego, como el hombre por el sufrimiento; mordido por la lima como el hombre por la envidia; golpeado por el martillo, como el hombre por la necesidad; realzado por el estuche de seda como el hombre por el palacio de mármol.

Cantemos el oro, esclavo, despreciado por Jerónimo, arrojado por Antonio, vilipendiado por Macario, humillado por Hilarión, maldecido por Pablo el Ermitaño, quien tenía por alcázar una cueva bronca, y por amigos las estrellas de la noche, los pájaros del alba y las fieras hirsutas y salvajes del yermo.

Cantemos el oro, dios becerro, tuétano de roca misterioso y callado en su entraña, y bullicioso cuando brota a pleno sol y a toda vida, sonante como un coro de tímpanos; feto de astros, residuo de luz, encarnación de éter.

Cantemos el oro, hecho sol, enamorado de la noche, cuya camisa de crespón riega de estrellas brillantes, después del último beso como con una gran muchedumbre de libras esterlinas.

¡Eh, miserables beodos, pobres de solemnidad, prostitutas, mendigos, vagos, rateros, bandidos, pordioseros peregrinos, y vosotros los desterrados, y vosotros los holgazanes, y sobre todo, vosotros, oh poetas!

¡Unámonos a los felices, a los poderosos, a los banqueros, a los semidioses de la tierra!

¡Cantemos el oro!

Y el eco se llevó aquel himno, mezcla de gemido, ditirambo y carcajada; y como ya la noche obscura y fría había entrado, el eco resonaba en las tinieblas. Pasó una vieja y pidio limosna.

Y aquella especie de harapiento, por las trazas un mendigo, tal vez un peregrino, quizá un poeta, le dio su último mendrugo de pan petrificado, y se marchó por la terrible sombra, rezongando entre dientes."

 

Chantons l'or, jaune comme la mort.

Chantons l'or que les affaires avilissent ; frère du charbon, or noir qui couvre le diamant ; roi de la mine où l'homme lutte et où la roche s'écroule et se brise ; potentat magnifique qui se teinte de sang dans le soleil couchant; chair de l'idole. Toile dans laquelle Phidias découpe le vêtement de Minerve.

Chantons l'or dans le harnais du cheval, le char de la guerre, le pommeau de l'épée, dans le laurier qui ceint les têtes lumineuses, dans la coupe du festin Dyonisiaque, dans l'aiguille qui blesse le sein de l'esclave, dans le rayon de l'astre et dans le Champagne qui pétille comme une dissolution bouillante de topazes.

Chantons l'or parce qu'ils nous fait gracieux, polis et corrects.

Chantons l'or parce qu'il est la pierre de touche de l'amitié.

Chantons l'or purifié par le feu, comme un homme par la douleur; mordu par la lime, comme un homme par l'envie; frappé par le marteau, comme un homme par la nécessité ; rehaussé par l'écrin de soie, comme un homme par un palais de marbre.

Chantons l'or, esclave méprisé par Jérôme, rejeté par Antoine, vilipendé par Macarius, dédaigné par Hilarion et maudit par Paul l'Ermite qui avait pour Alcazar une fruste caverne et pour amis les étoiles de la nuit, les oiseaux de Taabe, et les fauves hirsutes et sauvages du désert.

Chantons l'or qui fut Dieu sous la forme d'un veau, moelle mystérieuse de la roche, silencieux dans les entrailles de la terre mais bruyant au soleil et dans la vie, et résonnant comme un chœur de cymbales; poussière d'astre, résidu de lumière, incarnation de l'éther.

Chantons l'or, soleil amoureux de la nuit qui échange avec elle un suprême baiser, puis sur ses voiles de crêpe, répand une multitude d'étoiles, brillantes comme des louis d'or.

Oh ! Vous ! misérables ivrognes, privés de gloire et de solennités ; mendiants, prostituées, vagabonds, filous, bandits, chemineaux, pèlerins, et vous autres les exilés, et vous autres les paresseux, et vous autres, surtout, les poètes ! Joignons-nous aux heureux, aux puissants, aux banquiers, aux demi-dieux de la terre !

Chantons l'or!

Et le vent emporta cet hymne, mélange de plaintes, de dithyrambes et d'éclats de rire ; et comme déjà la nuit obscure et froide était montée, l'écho le répétait dans les ténèbres. Une vieille passa et demanda l'aumône. Et cet espèce de vieux loqueteux, aux apparences de mendiant, et qui peut-être était un pèlerin, peut-être même un poète, lui donna son dernier quignon de pain pétrifié, et puis il s'en alla dans l'ombre affreuse, grommelant entre ses dents."

 

En 1892, Rubén Darío  va représenter son pays aux grandes festivités organisées en Espagne pour commémorer la découverte de l'Amérique, et y rencontre ainsi plusieurs grands écrivains, Emilio Castelar, Juan Valera, Pardo Barzan. Il obtient le consulat de Colombie à Buenos Aires et durant les quatre ans qu'il y demeure, il fut l'idole de toute la jeunesse argentine. En 1895, à la demande de La Nacio, de Buenos Aires, désireuse de commémorer le 25 mai, date anniversaire de l'indépendance  de la République argentine, il écrit "La Marcha triunfal", vibrant hommage aux fondateurs de la patrie et à tous les obscurs soldats qui lui donnèrent sa liberté...

 

"Los Raros" (1896)

En 1896. il publie un recueil d'études critiques (Los Raros), où il met en œuvre les inflexions les plus subtiles du symbolisme, "Proses profanes et autres poèmes", le recueil le plus représentatif de la première période de sa poésie. On y retrouve, comme dans "Azul", pour reprendre les termes de ses biographes, les grands thèmes de la poésie parnassienne et symboliste, vivifiés par un érotisme qui lui est particulier, et chantés comme seul pouvait le faire un Hispano-Américain qui détestait «la vie et l'époque où il lui fut donné de naître». 

 

EDGAR ALLAN POE (fragment d'étude)

Ce fut par un matin humide et froid que, pour la première fois, j'abordai les terres immenses des Etats-Unis. Le « steamer » allait lentement et la rauque sirène hurlait, crainte d'un choc. Déjà nous avions laissé en arrière Pire Island et son phare élancé; nous étions devant Sandy Hook, d'où vint à notre rencontre la barque du Service de Santé. L'argot yankee, aboyeur, résonnait de toutes parts sous le pavillon étoile. Le vent froid, les sifflets stridents, la fumée des cheminées, le mouvement des machines, le vapeur qui glissait en route vers la grande baie, et jusqu'aux ondes ventrues de cette mer couleur d'étain, tout semblait dire : « All right ». A travers la brume on distinguait les navires et les îles. Long Island déroulait l'immense ruban de ses côtes, et Staten Island, comme dans le cadre d'une gravure, présentait sa beauté et tentait le crayon à défaut de l'appareil photographique que l'absence de soleil rendait inutile. Sur le pont les passagers s'étaient groupés : le commerçant ventripotent, congestionné comme un dindon, avec la courbure de son nez Israélite ; le clergyman osseux, engoncé dans sa vaste redingote noire, le chef couvert d'un large chapeau de feutre et tenant une petite Bible a la main ; la jeune fille à la casquette de jockey qui, pendant toute la traversée, avait chanté d'une voix de phonographe au son de son banjo; l'adolescent robuste, imberbe comme un enfant, et qui, amateur de boxe, possède de tels poings que d'un seul coup il pourrait assommer un rhinocéros A travers les Narrows on aperçoit la terre pittoresque et fleurie, les forts. Puis, sur le côté, élevant au-dessus de sa tête la torche symbolique, demeure la Madone de la Liberté, dont le socle est un îlot. De mon âme jaillit alors le salut : « A toi, prolifique énorme, dominatrice. A toi Notre-Dame de la Liberté. A toi, dont les mamelles de bronze nourrissent des âmes et des cœurs innombrables. A toi qui te dresses, solitaire et magnifique sur ton île, brandissant la torche divine. Je te salue au passage du steamer et je me prosterne devant ta Majesté! Ave, good morning! Je sais, icône divine, oh ! statue magnifique, que ton seul nom, le nom de la parfaite beauté que tu incarnes, a fait naître des étoiles sur le monde, comme le fiât du créateur. Les voilà toutes, brillantes sur les rayures de ton drapeau, ces étoiles qui illuminent le vol de l'aigle d'Amérique, de cette formidable Amérique aux yeux bleus, qui est tienne. Salut ! Liberté pleine de force; le Seigneur est avec toi; tu es bénie... Mais, le sais-tu, divinité ! on t'a beaucoup aimée par le monde, en souillant ta splendeur. Une autre usurpe ton nom, qui, errant sur la terre, porte au lieu de la torche, un infernal flambeau. Celle-là n'est pas la Diane sacrée aux flèches incomparables : c'est Hécate ! »

Mon salut terminé, je contemple la masse énorme qui devant moi se dresse , cette terre couronnée de tours, cette région d'où l'on sent venir un souffle terrible qui subjugue : Manhattan, l'île de fer ; New-York, l'irrésistible capitale du chèque, sanguinaire, cyclopéenne, orageuse et monstrueuse. Entourée des îles mineures, elle a près d'elle Jersey et accroche à Brooklyn l'ongle énorme de son pont ; Brooklyn qui, sur son sein d'acier palpitant porte un bouquet de clochers.

On croit entendre la voix de New-York, écho d'un vaste soliloque de chiffres. Combien différente est la voix de Paris pour celui qui, s'approchant, croit l'entendre, ensorcelante comme une chanson d'amour, de poésie et de jeunesse ! Il semble que du sol de Manhattan va surgir soudain un oncle Sam colossal, qui appellera tous les peuples aux feux d'incroyables enchères et dont le marteau tombera sur les coupoles et les toitures, avec un bruit assourdissant de tonnerre métallique. Avant de pénétrer au cœur du monstre, je me remémore la cité que dans un poème barbare, découvrit Thogorma le voyant :

« Thogorma dans ses yeux vit monter des murailles

« De fer dont s'enroulaient les spirales, des tours

« Et des palais cerclés d'airain sur des blocs lourds ;

« Ruche énorme, géhenne aux lugubres entrailles

« Où s'engouffraient les Forts, princes des anciens jours ».

Semblables aux Forts des anciens jours, les hommes de Manhattan vivent dans leurs tours de pierre, de fer et de cristal.

Dans leur fabuleuse Babel ils crient, mugissent, hurlent, brament, ils émeuvent la Bourse, la locomotive, la forge, la banque, l'imprimerie, les docks et Turne électorale. L'édifice « Produce Exchange » renferme dans ses murailles de fer et de granit assez d'âmes pour faire un peuple... Et voici Broadway. On éprouve une sensation presque douloureuse ; on pressent le domaine du vertige. Par un grand canal dont les bords sont formés de maisons monumentales qui exhibent leurs yeux de verre et leurs tatouages d'enseignes, coule un fleuve tumultueux, confus, de commerçants, de courtiers, de chevaux, de tramways, d'omnibus, d'hommes-sandwiches vêtus d'affiches et de femmes très belles. Quand on embrasse du regard le grouillement continu de l'immense artère, on arrive à ressentir l'angoisse de certaines oppressions. Ici règne la vie d'une fourmilière de percherons gigantesques, de chars monstrueux, de véhicules de toutes sortes. Le vendeur de journaux, rose et souriant saute comme un moineau de tramway en tramway lançant son cri aux voyageurs « Intanrsoonwood », ce qui veut dire qu'il vous offre l'un de ces trois journaux : L'Evening Telegram, le Sun ou le World. Le bruit vous tourne la tête, et Ton sent dans l'air une incessante trépidation ; le carillon des cloches, le vol sonore des roues semble augmenter à tout instant. On craindrait, sans cesse, un choc, un désastre, si l'on ne savait que cet immense torrent, qui coule avec la force d'une avalanche, porte dans ses ondes la précision d'une machine. Aux endroits les plus enchevêtrés de la multitude, les plus convulsifs et mêlés de la vague en mouvement, il arrive qu'une « Lady » âgée, sous sa capote noire, ou une blonde « miss », ou une nourrice qui porte un enfant entre ses bras, veuille passer d'un trottoir à l'autre. Aussitôt, un policeman corpulent lève la main, le torrent s'arrête, la dame passe; « all right ».

« Ces cyclopes » dit Groussac « ces féroces calibans... » écrit Péladan. Eut-il raison l'étrange Sâr, lorsqu'il nomma ainsi ces hommes de l'Amérique du Nord? Caliban règne sur l'île de Manhattan, à San Francisco, à Boston, à Washington et dans tout le pays. Il est parvenu à établir la suprématie de la matière, depuis le mystérieux état qu'Edison lui assigne jusqu'à l'apothéose du porc dans cette étonnante cité de Chicago. Caliban se sature de « whisky », comme il se sature de vin dans le drame de Shakespeare; il se développe et croît; et sans être l'esclave de quelque Prospero, ni le martyr d'un génie de l'air, il engraisse et se multiplie; son nom est légion. Par la volonté de Dieu, il arrive parfois, qu'entre ces monstres puissants, naisse un être d'une nature supérieure iqUi tend les ailes vers l'éternelle chimère de l'idéal. Caliban excite alors Sicorax contre lui ; on l'exile ou on le tue. Et c'est là ce que le monde a pu voir avec Edgar Allan Poe, cygne malheureux qui, de tous, a le mieux connu le rêve et la mort...

Pourquoi ton image est-elle venue à ma mémoire, Stella, Aima, ma douce reine, si vite et pour toujours en allée, le jour où', après avoir parcouru la bouillonnante Broadway, je me suis mis à lire les vers de Poe, dont le prénom, Edgar, harmonieux et légendaire, renferme tant de vague et triste poésie ? Pourquoi ai-je vu défiler alors la procession de ses chastes amoureuses, à travers la poussière argentée de mon songe mystique? C'est parce que tu es la sœur des vierges liliales chantées dans la brumeuse langue anglaise par le rêveur malheureux, prince de tous les poètes maudits. Tu es, comme elles, la flamme de l'amour infini. Devant le balcon couvert de roses blanches, auquel se penche du Paradis ton visage aux yeux profonds et généreux, tes sœurs passent et saluent d'un sourire la mer- veille de ta vertu. O, mon ange, ô ma consolatrice, ô mon épouse ! La première qui passe, c'est Irène, brillante dame à l'étrange pâleur, qui vient de là-bas, des mers lointaines ; la seconde c'est Eulalie, la douce Eulalie aux cheveux d'or, aux yeux de violette, qui tourne son regard vers le ciel ; la troisième est Léonor ainsi nommée par les anges, jeune et radieuse dans l'Eden distant ; l'autre est France, l'aimée, dont le souvenir seul calme la peine ; l'autre est Ulalume dont l'ombre erre dans la région nébuleuse de Weir, près du sombre lac d'Auber; cette autre, c'est Helen, qui fut aperçue pour la première fois à la lueur de perle de la lune ; et voici Annie, qui offrit des baisers, des caresses, des oraisons pour l'adoré ; et une autre encore, Annabel Lee, qui aima d'un amour à faire envie aux séraphins. du ciel ; et voici Isabelle, qui goûtait les amoureux colloques à la clarté lunaire; Ligeia, enfin, méditative, enveloppée d'un voile d'une splendeur extra-terrestre... Ce sont elles, chœur candide d'océanides idéales, ce sont elles qui consolent et qui épongent le front du Prométhée lyrique enchaîné sur la montagne yankee, dont le corbeau, plus cruel encore que le vautour d'Eschyle assis sur le buste de Pallas, torture le cœur du malheureux et le poignarde de la monotone parole du désespoir. Au milieu des martyres de la vie, le vent de tes ailes me rafraîchit et m'encourage, car si tu partis sous ta forme humaine pour le voyage sans retour, je sens venir à moi ton être immortel lorsque mes forces défaillent ou que la douleur bande vers moi son arc noir. Alors, Ame, Stella, j'entends tinter à mes côtés l'or invisible de ton angélique écusson. Ton nom symbolique et lumineux surgit, guide incomparable, dans le ciel de mes nuits, et, conduit par ton ineffable clarté, je porte l'encens et la myrrhe au berceau de l'Eternelle Espérance. (traduction)

 

"Prosas Profanas y otros poemas" (1896, Proses profanes et autres poèmes)

Avec Prosas Profanas y otros poemas, le climat d'évasion du poète s'enrichit encore, de pays lointains, rois et princesses de rêve, Paris où règnent l'Amour et le Génie et où Verlaine vient de mourir, Versailles et le souvenir de ses fêtes galantes, Banville, Catulle Mendès Barbey d'Aurevilly , Berceo, Salvador Rueda. Rubén imite ici la poésie espagnole du XVe siècle et laisse s'exprimer une musicalité que l'espagnol semblait avoir désapprise et qui est l'un des miracles de Ruben.  

 Le fameux sonnet "Margarita", particulièrement récité  en Amérique espagnole, . "El reino interior" (le royaume intérieur) qui exprime la dualité fondamentale de son âme à la fois sensuelle et chrétienne, "El poeta pregunta por Stella" (le poète demande où se trouve Stella) ...

 

"Yo persigo una forma" (JE POURSUIS UNE FORME..., 1900)

 

 O PERSIGO una forma que no encuentra mi estilo,

botón de pensamiento que busca ser la rosa;

se anuncia con un beso que en mis labios se posa

al abrazo imposible de la Venus de Milo,

Adornan verdes palmas el blanco peristilo;

los astros me han predicho la visión de la Diosa;

y ea mi alma reposa la luz como reposa

el ave de la luna sobre un lago tranquilo.

Y no hallo sino la palabra que huye,

la iniciación melódica que de la flauta fluye

y la barca del sueño que en el espacio boga;

y bajo la ventana de mi Bella-Durmiente,

el sollozo continuo del chorro de la fuente

y el cuello del gran cisne blanco que me interroga.

 

Je poursuis une forme que mon style ne peut atteindre, bouton d'idée qui voudrait s'épanouir rose. Elle s'annonce par un baiser qui sur mes lèvres se pose, prélude à l'impossible étreinte de la Vénus de Milo.

Des palmes vertes ornent le blanc péristyle ; les astres m'ont prédit que je verrais enfin la Déesse; et, dans mon âme, repose la lumière, comme la lune, telle qu'un oiseau, sur le lac tranquille.

Mais je trouve seulement, — au lieu du mot qui me fuit, — l'harmonieuse initiation qui, de la flûte, ruisselle, et la barque du rêve qui vogue en plein ciel.

Et, sous la fenêtre de ma belle endormie, le murmure de la fontaine continue de sangloter ; et le cou du grand cygne blanc est toujours là qui m'interroge.

 


SONATINA (1893)

LA princesa está triste,,, ¿qué tendrá la princesa?

Los suspiros se escapan de su boca de fresa, 

que ha perdido la risa, que ha perdido el color.

La princesa está pálida en su silla de oro, 

está mudo el teclado de su clave sonoro; 

y en un vaso olvidada se desmaya una flor.

 

El jardín puebla el triunfo de los pavos-reales. 

Parlanchína, la dueña dice cosas banales, 

y, vestido de rojo, piruetea el bufón.

La princesa no ríe, la princesa no siente; 

la princesa persigue por el cielo de Oriente 

la libélula vaga de una vaga ilusión....

 

ERA UN AIRE SUAVE... (1893)

ERA UN aíre suave, de pausados giros; 

el hada Harmonía ritmaba sus vuelos; 

e iban frases vagas y tenues suspiros 

entre los sollozos de los violoncelos.

Sobre la terraza, junto a los ramajes, 

diríase un trémolo de liras eolias 

cuando acariciaban los sedosos trajes 

sobre el tallo erguidas las blancas magnolias.

La marquesa Eulalia risas y desvíos 

daba a un tiempo mismo para dos rivales: 

el vizconde rubio de los desafíos 

y el abate joven de los madrigales.

Cerca, coronado con hojas de viña, 

reía en su máscara Termino barbudo, 

y, como un efebo que fuese una niña, 

mostraba una Diana su mármol desnudo,

Y bajo un boscaje del amor palestra, 

sobre rico zócalo al modo de Jonia, 

con un candelabro prendido en la diestra 

volaba el Mercurio de Juan de Bolonia.

La orquesta perlaba sus mágicas notas, 

un coro de sones alados se oía; 

galantes pavanas, fugaces gavotas 

cantaban los dulces violines de Hungría.

Al oír las quejas de sus caballeros 

ríe, ríe, ríe la divina Eulalia, 

pues son su tesoro las flechas de Eros, 

el cinto de Gpria, la rueca de Onfalia.

¡Ay de quien sus mieles y frases recoja!

¡Ay de quien del canto de su amor se fíe!

Con sus ojos lindos y su boca roja, 

la divina Eulalia ríe, ríe, ríe.

Tiene azules ojos, es maligna y bella; 

cuando mira vierte viva luz extraña; 

se asoma a sus húmedas pupilas de estrella 

el alma del rubio cristal de Champaña.

Es noche de fiesta, y el baile de trajes 

ostenta su gloria de triunfos mundanos.

La divina Eulalia, vestida de encajes, 

una ñor destroza con sus tersas manos.

El teclado harmónico de su risa fina 

a la alegre música de un pájaro iguala, 

con los staccati de una bailarina 

y las locas fugas de una colegiala.

¡Amoroso pájaro que trinos exhala 

bajo el ala a veces ocultando el pico; 

que desdenes rudos lanza bajo el ala, 

bajo el ala aleve del leve abanico!

Cuando a medianoche sus notas arranque 

y en arpegios áureos gima Filomela, 

y el ebúrneo cisne, sobre el quieto estanque 

como blanca góndola imprima su estela,

la marquesa alegre llegará al boscaje, 

boscaje que cubre la amable glorieta, 

donde han de estrecharla los brazos de un paje, 

que siendo su paje será su poeta.

Al compás de un canto de artista de Italia 

que en la brisa errante la orquesta deslíe, 

junto a los rivales la divina Eulalia, 

la divina Eulalia ríe, ríe, ríe.

¿Fue acaso en el tiempo del rey Luis de Francia, 

sol con corte de astros, en campos de azur? ¿

Cuando los alcázares llenó de fragancia 

la regia y pomposa rosa Pompadour?

¿Fue cuando la bella su falda cogía 

con dedos de ninfa, bailando el minué, 

y de los compases el ritmo seguía 

sobre el tacón rojo, lindo y leve el pie?

¿O cuando pastoras de floridos valles 

ornaban con cintas sus albos corderos, 

y oían, divinas Tirsis de Versalles, 

las declaraciones de sus caballeros?

¿Fue en ese buen tiempo de duques pastores, 

de amantes princesas y tiernos galanes, 

cuando entre sonrisas y perlas y flores 

iban las casacas de los chambelanes?

¿Fue acaso en el Norte o en el Mediodía?

Yo el tiempo y el día y el país ignoro, 

pero sé que Eulalia ríe todavía,

¡y es cruel y eterna su risa de oro!

 

C'ÉTAIT UN AIR SUAVE...

C'était un air suave, un vol de tendres adagios, dont l'Harmonie, cette magicienne, rythmait l'essor. Des chuchotements, de furtifs soupirs, se glissaient parmi les sanglots des violoncelles.

Sur la terrasse, dans les ramures, on aurait dit que des lyres éoliennes caressaient, de leurs arpèges, les soyeux atours des blanches fleurs de magnolia, là-haut, sur les branches.

La marquise Eulalie dédiait ses sourires et ses dédains, en même temps, à deux rivaux : le blond vicomte — tout impertinence, le jeune abbé — tout madrigal.

Non loin, couronné de pampres, pouffait sous son masque un terme barbu ; et une Diane — éphèbe et jeune fille à la fois — montrait sa nudité de marbre.

Dans un bosquet — champ clos des joutes d'amour — sur un beau socle ionique, prenait son vol, une torchère en sa dextre, le Mercure de Jean de Bologne.

L'orchestre perlait ses notes enchanteresses ; on entendait un chœur de sons ailés. De langoureuses pavanes, de frêles gavottes chantaient sur les tendres violes de Hongrie.

 

En écoutant les plaintes de ses soupirants, elle rit, elle rit, elle rit, la divine Eulalie ! Pour trésors n'a-t-elle pas les flèches d'Eros, le ceste de Cypris, la quenouille d'Omphale ?

Gare à qui cueille le miel de ses paroles ! Gare à qui se fie au chant de son amour ! de tous ses yeux — ses yeux brillants — de toute sa bouche — sa bouche rouge — elle rit, elle rit, elle rit, la divine Eulalie.

Elle a les yeux bleus; elle est malicieuse et belle. Quand elle regarde, elle vous jette une ardente lueur étrange. Dans cette étoile qu'est sa pupille humide, l'on voit l'âme cristalline et vermeille du Champagne.

C'est une nuit de fête; et, glorieux, le bal costumé, étale ses splendeurs mondaines. Vêtue de dentelles, la divine Eulalie, de ses mains luisantes, effeuille une fleur.

L'harmonieux clavier de son rire subtil, avec ses staccati dont se griserait une danseuse et ses folles roulades de petite pensionnaire, s'égale aux joyeuses ritournelles d'un oiseau.

Un oiseau quand il est amoureux, exhale, parfois, ses cava- tines, le bec caché sous l'aile... Quels cruels refus ne lance-t-elle pas de dessous son aile, l'aile perfide du léger éventail !

Quand — à minuit — Philomèle égrènera ses notes et gémira en arpèges d'or, et que le cygne éburnéen, sur le lac endormi, creusera, comme une blanche gondole, son sillage,

La marquise gagnera, joyeuse, le bosquet, et la charmille qui s'y blottit, la charmille propice aux caresses, la charmille sous laquelle l'enlaceront les bras d'un page... Et ce page sera son poète !

Au rythme d'un air italien que verse l'orchestre à la brise errante, la divine Eulalie, au nez des deux rivaux, s'esclaffe, s'esclaffe, s'esclaffe...

Etait-ce au temps de Louis de France — ce soleil avec sa cour d'astres, sur champ d'azur — alors que, royale et pompeuse, la rose Pompadour emplissait les palais de parfums ?

Etait-ce au temps où les belles, pinçant leur jupe de leurs doigts de Nymphe, dansaient le menuet, pieds menus et pieds fragiles obéissant à la musique, en cadence, sur les talons rouges ?

Etait-ce, plutôt, lorsque les bergères des vallons fleuris, enrubannaient leurs blancs moutons, et, divines Tircis de Versailles, écoutaient, ravies, les tendres aveux de leurs sigisbées ?

Etait-ce en ces jours exquis où les ducs jouaient au pâtre, où les amantes étaient des princesses et leurs amants des câlineurs alors que les chambellans, sur leur passage, ne frôlaient, des basques de leur habit, que sourires, perles et fleurs?

Peut-être était-ce au Nord ? Au Midi, peut-être ? En quel siècle, en quel pays, je l'ignore ; mais je sais qu'Eulalie rit toujours, et que son rire d'or est cruel, et qu'il ne cesse jamais !

 


REPONSO (1896, A la mémoire de Paul Verlaine)

 

"Padre y maestro mágico, liróforo celeste 

que al instrumento olímpico y a la siringa agreste 

diste tu acento encantador;

¡Panida! Pan tú mismo, que coros condujiste 

hacia el propileo sacro que amaba tu alma triste,

¡al son del sístro y del tambor!"

O Père et maître magique, ô céleste porte-lyre qui, à l'instrument olympien et à l'agreste syrinx, dispensas ton accent enchanteur ; ô émule de Pan ; ô Pan toi-même, qui, au son du sistre et du tambourin conduisis les chœurs jusqu'au seuil des propylées sacrés que chérissait ton âme triste ;

 

"Que tu sepulcro cubra de flores Primavera, 

que se humedezca el áspero hocico de la fiera 

de amor si pasa por allí; 

que el fúnebre recinto visite Pan bicorne; 

que de sangrientas rosas el fresco abril te adorne 

y de claveles de rubí."

Puisse le printemps joncher de fleurs ton sépulcre ; puisse, si, par hasard, quelques fauves s'en approchant, leur gueule féroce baver d'amour ; et Pan à la double corne visiter ton enclos funèbre ; et le tendre Avril l'enguirlander de roses sanglantes et de rubescents œillets !

"Que si posarse quiete sobre la tumba el cuervo, 

ahuyenten la negrura del pájaro protervo 

el dulce canto de cristal 

que Filomela vierta sobre tus tristes huesos, 

o la harmonía dulce de risas y de besos 

de cuito oculto y florestal."

Si le corbeau vient se poser sur ta tombe, que la noirceur de l'impudent oiseau soit mise en fuite par les deux trilles cristallines que verse à tes tristes os Philomèle, mystérieuse et bocagère prêtresse.

 

"Que púberes canéforas te ofrenden el acanto, 

que sobre tu sepulcro no se derrame el llanto, 

sino rocío, vino, miel;

que el pámpano allí brote, las flores de Citeres, 

y que se escuchen vagos suspiros de mujeres 

¡bajo un simbólico laurel!"

Que les jeunes canéphores t'offrent des gerbes d'acanthe ; que, sur ton tertre, ne coulent point de larmes, mais, seulement, de la rosée, du vin, du miel ; que les pampres y poussent, et les fleurs de Cythère ; et qu'on y entende, sous le laurier symbolique, de plaintifs soupirs de femme !

 

"Que si un pastor su pífano bajo el frescor del haya, 

en amorosos días, como en Virgilio, ensaya, 

tu nombre ponga en la canción; 

y que la virgen náyade, cuando ese nombre escuche 

con ansias y temores entre las linfas luche, 

llena de miedo y de pasión."

Si, un jour, quelque pâtre amoureux, sous la fraîcheur du hêtre — comme dans Virgile — essaie son chalumeau, qu'il mêle ton nom à ses appogiatures ; et que la pudique Naïade, en l'entendant, ce nom, devienne soudain la proie des plus ardents effluves, et soit toute anxieuse et craintive, et frissonne de peur et de désir !

 

"De noche, en la montaña, en la negra montaña 

de las Visiones, pase gigante sombra extraña, 

sombra de un Sátiro espectral;

que ella al centauro adusto con su grandeza asuste; 

de una extra-humana flauta la melodía ajuste 

a la harmonía sideral."

 

La nuit, sur les sommets, sur les obscurs sommets hallucinés, passe, gigantesque, un fantôme étrange, ombre d'un satyre spectral. Que sa taille démesurée épouvante le sauvage centaure ! Que, d'un souffle surhumain, il mette le chant de sa flûte à l'unisson de celui des étoiles !

"Y huya el tropel equino por la montana vasca; 

tu rostro de ultratumba bañe la luna casta 

de compasiva y blanca luz; 

y el Sátiro contemple sobre un lejano monte 

una cruz que se eleve cubriendo el horizonte 

¡y un resplandor sobre la cruz!"

Et que l'équestre troupeau prenne la fuite par la vaste montagne ! Et que ton visage d'outre-tombe soit baigné parla chaste lune d'une attendrie et blanche clarté ! Et que le Satyre, stupéfait, voie, au faîte d'un pic lointain, une croix qui, surgie tout à coup, barre l'entier horizon, et qu'il voie, sur cette croix, étinceler une splendeur !

 

Les mythes de l'antiquité inspirèrent au poète d'importantes compositions comme le "Coloquio de los Centauros", écrit à Heredia au Costa Rica : il se penche ici sur l'énigme et le mystère de l'univers, exaltant la puissance de Vénus, chantant sur un ton mystique une Mort apaisante et glorieuse. Le Coloquio aurait pour modèle, selon Arturo Marasso dans son ouvrage "Rubén Dario y su creación poética", le chapitre sur le banquet d'Alexandrie dans les "Rêveries d'un païen mystique" de Louis Ménard.  

 

L'ENTRETIEN DES CENTAURES (Coloquio de los Centauros) ...

 

En LA isla en que detiene su esquife el argonauta 

del inmortal Ensueño, donde la eterna pauta 

de Jas eternas liras se escucha —isla de oro 

en que el tritón elige su caracol sonoro 

y la sirena blanca va a ver el sol— un día 

se oye un tropel vibrante de fuerza y de harmonía.

Son los Centauros, Cubren la llanura. Les siente 

la montaña. De lejos, forman son de torrente 

que cae; su galope al aire que reposa 

despierta, y estremece la hoja del laurel-rosa.

Son los Centauros. Unos enormes, rudos; otros 

alegres y saltantes como jóvenes potros; 

unos con largas barbas como los padres-ríos; 

otros imberbes, ágiles y de piafantes bríos, 

y de robustos músculos, brazos y lomos aptos 

para portar las ninfas rosadas en los raptos.

Van en galope rítmico. Junto a un fresco boscaje, 

frente al gran Océano, se paran. El paisaje 

recibe de la urna matinal luz sagrada 

que el vasto azul suaviza con límpida mirada.

Y oyen seres terrestres y habitantes marinos 

la voz de los crinados cuadrúpedos divinos.

 

Dans l'île où arrête son esquif l'argonaute du Rêve immortel, où résonnent les éternels accords des éternelles lyres : — Ile d'Or où le triton choisit sa conque sonore et où la blanche sirène va voir le soleil, — un jour, on entend une foule vibrante de force et d'harmonie.

Ce sont les Centaures. Ils couvrent la plaine. La montagne aussi les perçoit. De loin, c'est comme un son de torrent qui se précipite ; leur galop réveille l'air en repos et fait tressaillir la feuille du laurier rose.

Ce sont les Centaures. Les uns énormes, rudes ; d'autres allègres et bondissants comme de jeunes poulains; les uns avec de longues barbes comme en ont les pères-fleuves, d'autres imberbes, agiles, à la piaffante vigueur et aux muscles robustes, aux bras et aux reins aptes à porter les nymphes rosées, qu'ils ont ravies.

Ils vont, d'un galop rythmique. Près d'un frais bocage, en face du grand Océan, ils s'arrêtent. Le paysage reçoit de l'urne du matin une lumière sacrée qui adoucit d'un limpide regard le vaste azur. Et les êtres terrestres et les habitants de la mer entendent la voix des divins quadrupèdes chevelus.

 

CHIRON (QUIRON)

Dans le silence des buccins chers aux tritons, dans le silence des sirènes aux lèvres écarlates, tandis que les joues d'Eole sont dégonflées, disons, près de l'illustre laurier aux rameaux fleuris, la gloire immarcessible des Muses belles et le triomphe du terrible mystère des choses. Voici que renaissent les lauriers millénaires ; les vieux lampadaires recommencent à répandre leur clarté ; et dans mon corps de Centaure immortel s'anime le sang du céleste cheval qui fut mon père.

RHOETUS

Archer lumineux, tu arrives du zodiaque ; tu as encore, prises dans les cheveux, des abeilles grecques ; tu montres encore la rouge blessure du dard héracléen, blessure par où ne put sortir l'essence de ta vie. Père et Maître sublime ! Tu es la source salutaire de la vérité que cherche la triste race des hommes ; Esculape lui-même suit le filon de ta science ; le rapide Achille se nourrit toujours du sauvage aliment que tu lui offris jadis, et Héraclès, ne songeant plus à sa massue, dans l'harmonie des astres, s'élève dans le ciel nocturne.

CHIRON

La science est fleur du temps : mon père fut Saturne.

ABANTÈS

Des hymnes pour la sainte Nature ; pour le ventre de la terre et pour le germe qui, dans les rochers, dans les chairs des arbres et à l'intérieur d'une forme humaine, est un même secret et une même loi : puissant et subtil, universel résumé de la suprême force, de la vertu de Dieu.

CHIRON

¡Himnos! Las cosas tienen un ser vital; las cosas 

tienen raros aspectos, miradas misteriosas; 

toda forma es un gesto, una cifra, un enigma; 

en cada átomo existe un incógnito estigma;

Des hymnes ! Les choses possèdent un être vital; les choses ont de rares aspects, de mystérieux regards; toute forme est un geste, un chiffre, une énigme ; en chaque atome existe une empreinte inconnue ; chaque feuille de chaque arbre chante un chant qui lui est propre, et il y a une âme en chacune des gouttes de la mer. Le poète, le prêtre entendent ordinairement l'accent incompris ; parfois le vent vagabond énonce un mystère ; et l'écume ou la fleur révèlent une initiale ; et l'on écoute des paroles de la brume. Et l'homme favorisé du dieu, dans l'eau ou dans la rafale, trouve un mentor : démon ou nymphe.

PHOLUS

Par la grâce maternelle, l'Ixionide biforme comprend l'éclair qui fulgure dans les hauteurs, la nue qui s'avive de lumière et qui décore le chemin sur lequel Aurore conduit son char, et l'écharpe d'Iris, qui a sept rayons comme la lyre sept cordes entre ses montants ; les mois qui sur la terre embaumée se couvrent de belles frondaisons, et le Pôle couronné de cheveux blancs.

L'Ixionide passe, rapide, dans la Montagne, rompant avec sa poitrine les bras épineux de la broussaille sauvage, les pri- sons hostiles; ses oreilles saisissent les plus subtils échos; ses regards traversent les feuilles enchevêtrées, tandis que ses mains cueillent pour sa bouche vermeille les baies fraîches et hautes que le satyre convoite ; près de la fontaine cachée, ses yeux caressent les lignes sinueuses des nymphes de la suite de Diane : car en son corps circule aussi l'essence humaine unie au courant de la divine sève et au sang sauvage de la bête chevaline. Tel est le fils robuste d'Ixion et de la Nue.

CHIRON

Ses quatre jambes descendent; sa tête dressée monte.

ORNEUS (ORNEO)

Je comprends le secret de la bête. Il y a des êtres méchants et des êtres bénins. Ils se font entre eux des signes [de bien et de mal, de haine ou d'amour, ou de douleur ou de joie : le corbeau est mauvais et la palombe est bonne.

CHIRON

Ni la palombe n'est bonne ni le corbeau n'est pervers : la palombe et le corbeau sont des formes de l'Enigme.

ASTYLOS (ASTILO)

L'Enigme est le souffle qui fait chanter la lyre.

NESSUS (NESO)

L'Enigme est le visage fatal de Déjanire! Mes épaules gardent encore le doux parfum de cette beauté ; sa clarté d'étoile appelle encore mes pupilles. O arôme de son sexe ! O roses et albâtres ! O envie des fleurs et jalousies des astres !

CHIRON (QUIRON)

Cuando deí sacro abuelo la sangre luminosa 

con la marina espuma formara nieve y rosa, 

hecha de rosa y nieve nació la Anadiomena.

Lorsque le sang lumineux de l'aïeul sacré, mêlé à l'écume marine, forma de la neige et des roses, faite de rose et de neige l'Anadyomène naquit. La lyrique sirène leva les bras vers le ciel ; les hippocampes recourbés sortirent leurs museaux sur les ondes vertes ; et des hanches arrondies, des crinières de tritons et des dos de dauphins apparurent près de. la Reine nouvelle. Les confins de la mer s'emplirent de la clameur grandiose ; l'univers ouït un nom harmonieux, sonore comme un vers, qui emplissait la profonde cavité du firmament ; ce nom fit gémir d'amour le globe terrestre; il fut pour l'homme plus auguste que celui de Jupiter : et les dieux mêmes l'ouïrent avec étonnement; les sombres abîmes prirent une grâce de lumière. Vénus règne ! Entre les reines célestes elle est la première : car elle est celle qui possède l'invincible pouvoir de la Beauté! Un vase de miel et de myrrhe a jailli de l'amertume. Elle est la plus superbe des souveraines ; princesse des germes, reine des matrices, dame des sèves et des attractions, dame des baisers et des cœurs.

EURYTUS (EURITO)

Je n'oublierai pas les yeux rayonnants d'Hippodamie î

HIPPEA (HIPEA)

Yo sé de la hembra humana la original infamia.

Venus anima artera sus máquinas fatales;

 tras sus radiantes ojos ríen traidores males; 

de su floral perfume se exhala sutil daño; 

su cráneo obscuro alberga bestialidad y engaño.

Moi, je connais l'originelle infamie de la femelle humaine. L'astucieuse Vénus anime ses fatales ressorts ; au fond de ses yeux rayonnants rient de traîtres maux ; de son floral parfum s'exhale un pernicieux effluve ; son crâne obscur héberge de la bestialité et de la fourberie. Elle a les formes pures de l'amphore et le rire de l'eau ridée par la brise, irisée par le soleil. Mais son masque annonce le poison inné : meilleures sont l'aigle, la hyène et la lionne.

De son humide impureté monte la chaleur qui énerve même les dons sacrés de l'impériale Minerve ; et entre ses seins durs, lys du Styx, est une odeur qui emplit la barque de Charon.

ODITES

Sur sa langue fine il y a comme un miel céleste; sa peau de fleur est encore moite d'eau marine. J'ai vu la face enchanteresse d'Hippodamie, sa chevelure épaisse, sa jambe victorieuse. De la femelle humaine elle fut un magnifique exemplaire ; devant son visage olympien nul visage ne resterait insensible ; auprès d'elle les Grâces demeureraient confuses, et les Heures légères et les Muses sublimes suspendraient pour elle leur cours et leur chant.

HIPPEA

Elle fut la cause d'une inénarrable épouvante : pour elle l'Ixionide courba son cou puissant. La femelle humaine est sœur de la Douleur et de la Mort.

CHIRON

Par une loi suprême se réalisera, un jour, l'hymen que le rêveur attend : Caeanis sera Caenus ; l'origine du mystère féminin s'éclaircira; le sphinx dira ce secret à son maître.

CLYTUS (CLITO)

Nature tend ses bras et ses seins aux hommes; la clef des faits est connue du voyant; Homère avec son bâton, dans son antre Deiphobe, langue de l'Oracle.

CAUMANTES

El monstruo expresa un ansia del corazón del Orbe, 

en el Centauro el bruto la vida humana absorbe, 

el sátiro es la selva sagrada y la lujuria, 

une sexuales ímpetus a la harmoniosa furia.

Le monstre exprime une anxiété du cœur du monde ; dans le Centaure la brute s'assimile la vie humaine ; le satyre est la forêt sacrée et la luxure, unit de sexuelles impétuosités à l'harmonieuse furie. Pan joint l'orgueil de l'agreste Montagne au rythme de l'immense mécanique céleste; la bouche mélodieuse qui attire aux Sirénuses tient de la bête ailée et de la muse suave; Pasiphaé s'unit à l'animal biscornu ; Nature sage allie des formes diverses, et, quand la grande Nature tend à l'homme, le monstre, étant le symbole, se revêt de beauté !

GRYNEUS

J'aime l'inanimé qu'aima le divin Hésiode.

CHIRON

Gryneus, en ce monde tout a une âme.

GRYNEUS

C'est donc pour cela que j'ai vu de rares yeux fixés sur moi : les vifs yeux rouges de l'âme du rubis ; les yeux lumineux de l'âme de la topaze, et ceux de l'émeraude, qui imitent la merveille de l'espace azuré ; les yeux des gemmes aux lueurs étranges et aux magiques emblèmes. J'aime le dur granit que travaille l'architecte, et le marbre où dorment la ligne et la parole.

CHIRON

Hommes et femmes, les pierres, encore intactes, dirent à Deucalion et à Pyrrha : « Que nous veux-tu ? »

LYCIDAS

J'ai vu les lémures flotter, aux heures nocturnes, quand les bois muets écoutent le cri fou d'Atys révélant sa douleur ou la merveilleuse chanson de Philomèle. Je hâte mon galop, si je vois dans le bocage des mânes qui passent et si j'entends leur funèbre soupir. Car l'Empire de la Mort, profond et inconnu, garde l'effroi sacré de son fatal mystère.

ARNEUS

La Mort est l'inséparable sœur de la Vie.

CHIRON

La Mort est la victoire de la race humaine.

MEDON

¡La Muerte! Yo ía he visto. No es demacrada y mustia 

ni ase corva guadaña, ni tiene faz de angustia.

La Mort ! Je l'ai vue. Elle n'est point morose et décharnée, ni ne tient à la main une faux courbe, ni n'a un visage d'angoisse. Elle ressemble à Diane, chaste et vierge comme elle ; sur son visage elle a la grâce de la fille nubile, et elle porte une guir- lande de roses astrales. Elle tient dans sa main gauche de triomphales palmes vertes et dans sa main droite une coupe d'eau de l'oubli. A ses pieds, comme un chien, gît un amour qui dort.

AMYCUS

Les dieux mêmes cherchent la douce paix qu'elle verse.

CHIRON

Le chagrin des dieux est de ne point parvenir à la Mort.

EURETUS

Si l'homme — Prométhée — put dérober la vie, la clef de la mort lui sera accordée.

CHIRON

La vierge des vierges est pure et inviolable. Nul ne tiendra son chaste corps dans l'alcôve obscure, ni ne boira sur ses lèvres le cri de la défaite, ni n'arrachera de son front les roses de sa gloire.

Mais voici qu'Apollon s'approche du Méridien; ses tonnerres prolongés sont répétés par l'Océan; sous le char doré du radieux Apollon Eole recommence à enfler ses joues et ses outres. Au loin, on aperçoit un temple de marbre entre des lauriers roses que fait chanter la brise. Avec ses stridentes notes la cigale hellénique déchire la robe transparente de zéphyr, et sur la vaste plaine les Centaures s'en vont en bande bruyante, et à leur passage tremble l'Ile d'Or.

 

"EL REINO INTERIOR" 

"le royaume intérieur", un poème célèbre dans lequel le poète met son âme à nu sous forme allégorique, une âme traversée par le dilemme du mystique et de sensuel, "entre la cathédrale et les ruines païennes, tu voles, ô Psyché, ô mon âme !", entre les sept Vertus et les Sept Péchés capitaux, une âme erre, indécise, entre l'Esprit et la Chai, lui le fils métis de l'Amérique tropicale, très tôt attiré par l'Antiquité et ses mythes, par les séductions du paganisme grec ou latin...

 

Una selva suntuosa

en el azul celeste su rudo perfil calca.

Un camino. La tierra es de color de rosa,

cual la que pinta fra Doménico Cavalca

en sus Vidas de santos. Se ven extrañas flores

de la flora gloriosa de los cuentos azules,

y entre las ramas encantadas, papemores

cuyo canto extasiara de amor a los bulbules.

Mi alma frágil se asoma a la ventana obscura

de la torre terrible en que ha treinta años sueña.

La gentil Primavera primavera le augura.

La vida le sonríe rosada y halagüeña.

Y ella exclama: «¡Oh fragante día! ¡Oh sublime día!

Se diría que el mundo está en flor; se diría

que el corazón sagrado de la tierra se mueve

con un ritmo de dicha; luz brota, gracia llueve.

¡Yo soy la prisionera que sonríe y que canta!»

Y las manos liliales agita, como infanta

real en los balcones del palacio paterno.

¿Qué són se escucha, són lejano, vago y tierno?

Por el lado derecho del camino adelanta

el paso leve una adorable teoría

virginal. Siete blancas doncellas, semejantes

a siete blancas rosas de gracia y de harmonía

que el alba constelara de perlas y diamantes.

¡Alabastros celestes habitados por astros:

Dios se refleja en esos dulces alabastros!

Sus vestes son tejidos del lino de la luna.

Van descalzas. Se mira que posan el pie breve

sobre el rosado suelo, como una flor de nieve.

Y los cuellos se inclinan, imperiales, en una

manera que lo excelso pregona de su origen.

Como al compás de un verso su suave paso rigen.

Tal el divino Sandro dejara en sus figuras

esos graciosos gestos en esas líneas puras.

Como a un velado són de liras y laúdes,

divinamente blancas y castas pasan esas

siete bellas princesas. Y esas bellas princesas

son las siete Virtudes.

Al lado izquierdo del camino y paralela-

mente, siete mancebos ?oro, seda, escarlata,

armas ricas de Oriente? hermosos, parecidos

a los satanes verlenianos de Ecbatana,

vienen también. Sus labios sensuales y encendidos,

de efebos criminales, son cual rosas sangrientas;

sus puñales, de piedras preciosas revestidos

?ojos de víboras de luces fascinantes?,

al cinto penden; arden las púrpuras violentas

en los jubones; ciñen las cabezas triunfantes

oro y rosas; sus ojos, ya lánguidos, ya ardientes,

son dos carbunclos mágicos del fulgor sibilino,

y en sus manos de ambiguos príncipes decadentes

relucen como gemas las uñas de oro fino.

Bellamente infernales,

llenan el aire de hechiceros veneficios

esos siete mancebos. Y son los siete vicios,

los siete poderosos pecados capitales.

Y los siete mancebos a las siete doncellas

lanzan vivas miradas de amor. Las Tentaciones.

De sus liras melifluas arrancan vagos sones.

Las princesas prosiguen, adorables visiones

en su blancura de palomas y de estrellas.

Unos y otras se pierden por la vía de rosa,

y el alma mía queda pensativa a su paso.

?¡Oh! ¿Qué hay en ti, alma mía?

¡Oh! ¿Qué hay en ti, mi pobre infanta misteriosa?

¿Acaso piensas en la blanca teoría?

¿Acaso

los brillantes mancebos te atraen, mariposa?

Ella no me responde.

Pensativa se aleja de la obscura ventana

?pensativa y risueña,

de la Bella-durmiente-del-bosque tierna hermana?,

y se adormece en donde

hace treinta años sueña.

Y en sueño dice: «¡Oh dulces delicias de los cielos!

¡Oh tierra sonrosada que acarició mis ojos!

?¡Princesas, envolvedme con vuestros blancos velos!

?¡Príncipes, estrechadme con vuestros brazos rojos!»

 

Une forêt somptueuse

Calque son rude profil dans l'azur céleste.

Un chemin, la terre est de couleur de rose.

Telle celle que peint fra Domenico Cavalca

Dans ses Vies de saints. On voit les fleurs étranges

De la flore glorieuse des contes bleus,

Et parmi les rameaux enchanteurs, des papemors

Dont le chant donnerait l'extase d'amour aux bulbuls.

Mon âme frêle se montre à la fenêtre obscure

De la tour terrible où elle rêve depuis trente ans.

Le gentil printemps est, pour elle, un augure de printemps.

La vie lui sourit rose et

Et elle s'exclame : « O jour odorant! O sublime jour!

On dirait que le monde est en fleur ; on dirait

Que le cœur sacré de la terre se meut

En un rythme de bonheur ; il surgit de la lumière, il pleut de la grâce.

Je suis la prisonnière qui sourit et qui chante! »

Et elle agite des mains liliales, comme une infante

Royale aux balcons du palais paternel.

Quel son entend-on, son lointain, vague et tendre.

Par le côté droit du chemin s'avance,

Le pas léger, une adorable théorie

Virginale. Sept blanches demoiselles, pareilles

A sept blanches roses de grâce et d'harmonie ,

Que l'aube constellerait de perles et de diamants.

Albâtres célestes habités par des astres :

Dieu se reflète en ces doux albâtres !

Leurs robes sont tissées du lin de la lune.

Elles vont nu-pieds. On les voit poser leur petit pied

Sur le sol rosé comme une fleur de neige.

Et les cous s'inclinent, impériaux, d'une

Manière qui dévoile leur haute origine.

Elles règlent leur pas comme au rythme d'un vers.

Tel le divin Sandro a laissé dans ses figures

Ces gestes gracieux dans ces pures lignes.

Comme à un son voilé de lyres et de luths,

Divinement blanches et chastes passent ces

Sept belles princesses. Et ces belles princesses

Sont les sept Vertus.

Par le côté gauche du chemin et parallèlement,

Sept garçons — or, soie écarlate,

Armes riches d'Orient — beaux, pareils

Aux satans verlainiens d'Ecbatane,

Viennent aussi. Leurs lèvres sensuelles et brûlantes

D'éphèbes criminels sont comme des roses sanglantes;

Leurs poignards, revêtus de pierres précieuses

— Yeux de vipères fascinants de lumières —

Pendent h la ceinture; des pourpres violentes brûlent

Sur les pourpoints ; les tètes triomphantes sont couronnées

D'or et de roses

; leurs yeux, tantôt languides, tantôt ardents.

Sont deux escarboucles magiques d'une fulguration sibylline.

Et en leurs mains de princes ambigus et décadents

Brillent comme gemme les ongles d'or fin.

Superbement infernaux

Ils emplissent l'air de maléfices ensorceleurs,

Ces sept garçons. Et ce sont les sept Vices,

Les sept puissants Péchés capitaux.

Et les sept garçons lancent aux sept demoiselles

De vifs regards d'amour. Les Tentations

Arrachent de leurs lyres melliflues de vagues sons.

Les princesses suivent leur route, adorables visions

Dans leur blancheur de colombes et d'étoiles.

Les uns et les autres se perdent par le chemin de rose,

Et mon âme reste pensive à leur passage.

Oh ! qu'y a-t-il en toi, mon âme ?

Oh ! qu'y a-t-il eu toi, ma pauvre infante mystérieuse ?

Tu penses peut-être à la blanche théorie ?

Peut-être

Les brillants garçons t'attirent-ils, ô papillon?

Elle ne me répond pas. 

Pensive, elle s'éloigne de l'obscure fenêtre

— Pensive et souriante.

Tendre sœur de la Belle au bois dormant —

Et elle s'endort là où

Elle rêve depuis trente ans.

Et en rêve elle dit : « O douces délices des cieux!

O terre rosée qui caressas mes yeux !

— Princesses, enveloppez-moi dans vos voiles blancs!

— Princes, étreignez-moi dans vos bras rouges !

 


MARGARITA (1894)

¿Recuerdas que querías ser una Margarita 

Gautíer? Fijo en mi mente tu extraño rostro está, 

cuando cenamos juntos, en la primera cita, 

en una noche alegre que nunca volverá.

Tus labios escarlatas de purpura maldita 

sorbían el champaña del fino baccarat; 

rus dedos deshojaban la blanca margarita,

"Sí,.. no, . . sí... no - ¡ y sabías que te adoraba ya!

Después ¡oh flor de Histeria! llorabas y reías; 

tus besos y tus lágrimas tuve en mi boca yo; 

tus risas, tus fragancias, tus quejas eran mías.

Y en una tarde triste de los más dulces días, 

la Muerte, la celosa, por ver si me querías,

I como a una margarita de amor te deshojó!

 

En 1898, Rubén Darío  retourne en Espagne et prend conscience de son rôle de novateur. En 1900, il s'installe à Paris, Faubourg Montmartre, ou rue Herschel, ou rue d'Odessa, ou rue Corneille, ou rue Michel-Ange, y rencontre Verlaine, - le  «père et maître magique»  (Responso), Jean Moréas qu'il affectionne tout particulièrement, Remy de Gourmont dont il devint le très fidèle ami, visite l'Exposition Universelle. Dans les années suivantes, il visite I'Italie, l'Autriche, l`Allemagne, l'Angleterre. C'est au cours de ces « années européennes » que sont publiées ses principales œuvres. Poète avec "Cantos de vida y esperanza" (Chants de vie et d'espérance, 1905), "Chanson errante" (1907), "Poème d'automne" (1910), il se révèle en Espagne prosateur, "Espana contemporana" (1901), "Peregrinaciones" (1901), "Parisiana" (1902), "Tierras solares" (1904).

 

1902 est une année faste pour les lettres hispaniques, Francisco Contreras et son poème "Raul", publié au Chili, seconde édition des "Prosas Profanas" de Ruben Dario, publication de la revue moderniste madrilène Helios, du premier recueil de vers de Manuel Machado (1874-1947), "Alma", de la " Sonata de otoño" de Valle-Inclán (1866-1936), des "Rimas" de Juan Ramon Jiménez. Cette même année, le roi Alphonse XIII vient d'atteindre sa majorité et une exposition des oeuvres de Greco au musée du Prado révèle au grand public la peinture de Crétois tant ignorée jusque-là...

 

"Tierras solares" (Terres ensoleillées, 1904) 

 

TRISTESSE ANDALOUSE

Avez-vous entendu chanter un «cantaor»? Si vous l'avez entendu, vous vous rappelez cette voix large et plaintive, ce visage rasé et sérieux, cette main qui agite le bâton pour marquer la mesure. Il semble que ce chanteur soit sur le point de mourir; il semble que sa race disparaisse; il semble qu'elle ait disparu. Pour moi, il m'a été donné plus d'une fois d'être troublé par tel gémissement de l'au-delà, par telle vibration d'âme, de souffrante harmonie, stance pleine de musique brisée, et qui s'enfonce dans les abîmes de l'espace, conduite par on ne sait quelle anxiété. Le «cantaor», cède des terres étrangères, a recueilli l'âme triste de l'Espagne mauresque, et sa voix la répète en gémissements, en longs «hélas», en lamentations de passion, désespérés. Mieux qu'une peine personnelle, c'est une peine nationale dont ces hommes gémissent au son de leurs hystériques guitares. Ce sont des choses anciennes, ce sont les choses mélodieuses ou furieuses des palais arabes... J'ai entendu Jean Breva, le plus renommé des « cantaor », celui qui accompagnait le joyeux roi Alphonse XIII dans ses jeux. Jean Breva hurle ou se plaint, loup ou oiseau d'amour, faisant entrevoir tout le passé de ces régions brûlées par le soleil, tout ce que furent les maures, toute la tristesse immense de la terre andalouse ; tristesse du sol fatigué par les flammes du soleil, tristesse mélancolique des femmes aux grands yeux, singulière tristesse de ces chants mêmes dont il. n'en est pas un que l'on ne puisse entendre et qui ne dise la rixe au couteau, le deuil, la vierge douloureuse, ou l'agonie crépusculaire. Au bord de la mer, j'ai entendu chanter un jeune pêcheur qui reposait près de sa barque et sa chanson était aussi triste, aussi amère quelles stances de Jean Breva. Les fraîches jeunes filles aux joues roses, qui mettent des œillets à la fenêtre et qui ont un amoureux chantent aussi les mêmes chansons. Ainsi vont la vie et l'amour, à rebours de ce qu'imaginent ceux-là qui n'ont vu qu'une Andalousie à la française, une Andalousie d'exposition universelle ou de caisses de raisin sec. En vérité je vous le dis, c'est ici le royaume du désespoir et de la mort. L'amour populaire est inquiet et fatal. La femme aime d'un amour à la fois ardent et craintif. Elle n'ignore point qu'infidèle, le poignard de son amant lui percera la poitrine et les flancs. « Un petit coup de poignard ». Il y a quelque temps, dans un patio fleuri de Malaga où se célébrait une fête, certaine belle fille se mit à chanter. Elle chantait merveilleusement. Et soudain, elle chanta des stances dont deux vers disaient :

« N'est-il personne qui m'envoie 

 Une petite balle dans le cœur ?»

Un fou, ou peut-être un amoureux se trouvait là ; il tira son pistolet, ajusta et froidement lui envoya « une petite balle dans le cœur ». Autrefois, la dague eût remplacé le pistolet. Tous les poètes de ces régions sont excessifs, fatals et violents. Tous sont aimés du soleil. Tous ? non, en voici un qui est aimé de la lune...

Par un de ces crépuscules d'hiver, qui, sur la Méditerranée, essaye une grisaille que l'aurore prochaine effacera, j'ai commencé la lecture du livre d'un jeune poète de la terre andalouse, poète qui vient de surgir et qui est déjà le plus subtil, le plus exquis de tous les porte lyres espagnols. A feuilleter son livre "Tristes ariettes" on croirait un poète étranger. Mais qu'on y regarde de plus près, il est bien du terroir comme son nom. Il s'appelle Juan comme l'Archiprêtre et Jiménez comme le Cardinal. Il apparaît au moment où sur son pays commencent d'arriver les rafales du dehors, qui soufflent sur plus d'un pan écroulé de cette muraille de Chine qu'éleva l'intransigeance nationale et qu'un orgueil excessif et faux consolida. Je veux dire qu'il arrive à point pour que triomphe son effort. Pareil à tous les jeunes poètes de la fin du XIXe siècle et des commencements du XXe il a prêté une oreille attentive à la syrinx française de Verlaine. Mais, loin de tomber dans la fade imitation, étranger aux indigences du plagiat, il a appris à être lui-même — « être soi- même» — et il dévoile son âme en vers simples comme des lis et musicaux comme l'eau de source. Ce poète est malade, il vit dans un sanatorium, là-bas, près de Madrid. Ne cherchez donc point dans sa poésie la joyeuse santé ni les roses du rire. Parfois,, tout au plus, un sourire, un sourire de convalescent :

« Convalescente di squisitti mali... »

Un sourire dans lequel s'insinue l'un des plus grands mystères de la vie. Quand Camille Mauclair, le critique méditatif de l'Art en silence, se plaisait à écrire des vers, il plaça un volume d'automnales sonates verbales sous l'invocation de Schumann ; c'est le mélodieux Schubert que Jiménez a choisi pour patron de son livre mélancolique et musical. En exergue de chaque groupe de poèmes apparaissent, en manière d'introduction, les notes de « L'éloge des larmes », de la « Sérénade », de « Tu es la paix ». On pénètre ainsi, sous l'influence de la musique, dans un parc de douceur et de peine où une âme amoureuse de la lune chante comme le rossignol ses ariettes crépusculaires ou nocturnes. Jamais, plus qu'aujourd'hui, on ne s'est soumis au précepte du pauvre Lélian : « De la musique avant toute chose ». Déjà le céleste Shakespeare avait dit autrefois : 

"The man that hath no music in himself 

Nor is not mov'd with concord of sweet sounds, 

Is fit fort treasons, strategems and spoils ; 

The motions of his spirit are dull as night, 

And his affections dark as Erebus..."

Je connais de ces êtres. Et je vois, en échange, à travers cette poésie réservée et sincère à la fois, la transparence d'un esprit fin comme un diamant et délicieusement sensible. Voici un lyrique de la famille de Heine, de la famille de Verlaine et qui, néanmoins, demeure non seulement espagnol, mais andalous, andalous de la triste Andalousie. Il est de ceux qui chantent la vérité de leur existence et clament le secret de leurs illusions, ornant leurs poésies des fleurs de leur jardin intérieur, étrangers aux spéculations « littéraires » et au monde de l'arrivisme intellectuel. Sa, culture est universelle, son vocabulaire est celui de l'aristocratie artistique de tous les pays, mais l'expression et le fond sont bien à lui, comme le parfum de sa terre et le rythme de son sang. Depuis Becquer, on n'a pas entendu sous le ciel de la Péninsule, un son de harpe, un écho de mandoline, plus personnel, plus individuel. Pouvant être obscur et compliqué, il est cristallin et presque ingénu. On croirait qu'il a des timidités d'orphelin, comme son maître, — priez pour le pauvre Gaspard !  — si, à la clarté de la lune, l'on ne voyait briller sur ses pieds de prince les éperons d'or, qui stimulent les élans d'un jeune et ardent Pégase dont la crinière est toute humide encore de rosée matinale. Le poète dit, comme l'Iphigénie de Moréas, « doux est le soleil » ; mais ses angoisses et ses visions sont éclairées par le « clair de lune ». Et l'on trouve là, dans ces vers admirables et exquis, les mêmes visions, les mêmes angoisses que dans les stances populaires que chantent les filles amoureuses et les bardes sonores, hurleurs et durs. On y trouve l'irrémédiable obsession de la mort, de la pourriture sépulcrale, des cœurs brisés, de la tristesse qui tue. Mais l'artiste a une culture européenne et si ce n'était son « accent » mental on ne reconnaîtrait ni son origine, ni sa patrie, et ses ariettes pourraient être des « lieds » germaniques où des sonatines parisiennes qu'accompagnerait la musique de Debussy. On y trouve un parfum de violettes. On y trouve des paysages entrevus comme au travers d'une vitre, des ciels et des champs de vignette. On y trouve une grande chasteté digne de Poe malgré les cris de la vie ; on y trouve des vallées qui ont un rêve et un cœur !

Une vallée a des rêves 

Et un cœur, duquel s'élève, 

Comme un rêve, un triste son 

De flûtes et de chanson

On y trouve des flûtes de Pan, de douces flûtes champêtres. Délicieuses romances !

Rivière enchantée où les branches amies 

Et somnolentes des grands saules, 

Sur l'eau des anses endormies, 

Posent un baiser qui les frôle. 

Et le ciel est paisible et doux 

C'est un ciel bas, flottant et mou, 

Dont la brume d'argent caresse 

Les arbres gris, avec tendresse.

Cette romance rappelle la musique du divin Gongora, et, pour nous autres Américains, la musique d'un rimeur d'enchantement et de tristesse, d'un adorable orphée cubain, depuis longtemps disparu. Ces notes nous les avons entendues sur les cordes que caressaient les mains de Zenea.

Ecoutez Jiménez :

Une cloche de l'église 

Pleure un angélus d'automne, 

Un angélus monotone, 

Qui meurt dans l'ombre grise.

Et rappelez-vous Zenea :

Arcturus glisse, à son couchant,

De pourpre royale baignée ;

Eole souffle un alizée ,

Qui sur sa harpe éveille un chant.

Dans tout le livre de Jiménez il y a, dirait-on, un sourire psychique plein de la douceur mélancolique que donnent les aspirations impossibles, éternelle maladie de rêveur. Je crois que ceux qui parlent d'un art morbide, se trompent. Il n'y a pas d'art morbide, il y a des artistes malades, et tout se passe dans les âmes comme dans la nature. Les anciens ne se trompaient point lorsqu'ils parlaient de l'influence des astres. Il y a des moyens d'expression qui sont le don du mystérieux destin ; ne demandez pas à un lis pâle d'avoir les couleurs violentes de la rose rouge ; ne demandez pas de la modestie au paon, ou le chant du rossignol au perroquet. Les poètes naissent poètes ; toutes les choses naturelles naissent ; ce qui ne naît pas c'est l'artificiel. C'est ainsi qu'il ne vous faut point croire que Francis Jammes ou Juan R. Jiménez feraient mieux de songer à l'avenir politique de leur pays respectif que de chanter les sentiments qui jaillissent à la chaleur paisible de leurs muses douces. Ne sois pas gai, poète qui naquis aimé de la tristesse, pour ta terre, pour ta brune, amoureuse et triste Andalousie, et puisque aussi bien ton destin te mit dès ta naissance un rayon lunatique et visionnaire dans l'esprit.

Il y a dans ce livre de vagues réminiscences littéraires, on voit passer par moment un jeune homme vêtu de noir, semblable à celui de la strophe mussetine « un jeune homme vêtu de noir qui me ressemblait comme un frère »  ; de ci, de là, on entend l'accord de quelque fête galante, intime, sans décor ni préciosité, et sous la clarté lunaire montent les jets d'eau de Lélian « sveltes parmi les marbres ». Et Hébé, ici, là et par-delà toujours :

Les nuits de lune ont un éclat 

A la blancheur des lys pareil 

Qui donne à l'âme la quiétude 

Et des rêves à la tristesse. 

Je ne sais pas ce qu'à la lune 

Qui nous console et nous apaise, 

Et dont les baisers sont si doux 

A toute âme qui la baise. 

Si l'on voyait toujours la lune, 

La lune blanche douce et bonne, 

Triste larme dans la nuit brune 

Qui sur nous tremble et s'étonne, 

Les cœurs qui savent, par fortune, 

Pourquoi se flétrissent les fleurs, 

Les regards tournés vers la lune 

Mourraient sans doute de douleur. 

Mon beau jardin a sa fontaine, 

Et ma fontaine sa chimère. 

Et ma chimère a son amant 

Qui meurt de tristesse et de peine.

Il y a de temps à autre parmi ces romances soyeuses, des strophes qui font vibrer leurs consonnances d'harmonica, leurs accords d'ocarina. Le précis se mêle à l'indécis. Et l'amour de l'astre dans tous les siècles mystérieusement mélancolise. Le poète expliquera l'attrait qu'il ressent : « Livre monotone, plein de lune et de tristesse. Si la lune n'existait point, je ne sais ce qu'il adviendrait des rêveurs, car le rayon de lune pénètre de telle façon dans l'âme endolorie, que, bien qu'il augmente sa peine, il l'inonde de consolation, d'une consolation pleine de larmes et de langueur. Vous qui frémissez sous les étoiles, lorsque vous parvient dans la brise la sonate d'un piano, et qui sentez combien misérable est la vie dans la nuit et devant la mort, laissez tomber un regard sur ces rimes égales, d'une seule couleur, sans autres nuances que celles qui naissent confusément des massifs au jardin, là-bas où les fleurs sont presque noyées dans l'ombre. 

Et rêvez avec moi les rêves blancs de toujours, et songeons ensemble aux poètes morts : Henri Heine, Gustave Becquer, Paul Verlaine, Alfred de Musset, et pleurons ensemble pour nous et pour tous ceux qui ne pleurent jamais ». Regardez avec sympathie cette jeunesse qui, dans ces temps impertinents, a le courage de ses larmes. « Lacrimabiliter ». Jugez s'il a bien choisi le patronage de Schubert : « Clef d'argent de la source des larmes », dit Shelley, parlant de la musique. Le nouveau poète a saisi cette clef et, une fois de plus, il laisse couler l'eau de la fontaine.

Ainsi, Andalousie, parmi tous tes joueurs de guitare et de tambourin, parmi tous ceux qui font de la littérature gaie avec ta couleur et ton exubérance, il t'est né un joueur de viole et de harpe qui sait chanter noble et délicieusement en sourdine, la secrète nostalgie, la mélancolie que tu portes au fond de ta poitrine. Dans ton jardin abondant et fortement parfumé, dans ton jardin plein d'œillets, une rose d'argent pâle saupoudrée d'azur a ouvert ses pétales harmonieux. Et j'ai foi dans la vie et dans l'avenir. Bientôt peut-être, la nouvelle aurore mettra sa couleur rose sur cette fleur de poésie nostalgique. Et au rossignol qui chante dans la nuit le charme captivant de la lune, succédera une alouette matinale qui se grisera de soleil.

(Traduction)

 

"CANTOS DE VIDA Y ESPERANZA" (1905)

Un recueil considéré comme le chef d'oeuvre de Rubén Darío. "Le mouvement de liberté dont j'ai été l'initiateur en Amérique, écrit-il dans la préface, s'est propagé jusqu'en Espagne, et ici comme là-bas le triomphe est complet". Certes, "je ne suis pas un poète pour les foules, ajoute-t-il, mais je sais que je dois immanquablement aller à elles". À côté des mythologies dont il se délectait avec une grande facilité, on trouve des poèmes où il s'inquiète du sort de l'Amérique hispanique :  le premier poème de la série Los Cisnes (Les Cygnes), la "Salutación del optimista" (Salutation de l'optimiste), le poème A Colón (À Colomb). Il s'y interroge sur l'homme qu'il est devenu. Les Cantos, dit-il, «renferment les essences et les sèves de mon automne»....

A l'encontre du pessimisme de la génération de 98, la SALUTATION DE L'OPTIMISTE, lue à l'Ateneo de Madrid le 29 mars 1905, année de la célébration du tricentenaire de la publication de Don Quichotte (Première partie)...

 

SALUTACIÓN DEL OPTIMISTA (SALUTATION DE L'OPTIMISTE, Madrid, mars 1905)

 

Ínclitas raías ubérrimas, sangre de Híspanla fecunda, 

espíritus fraternos, luminosas almas, ¡salve!

Porque llega el momento en que habrán de cantar nuevos himnos

lenguas de gloria. Un vasto rumor llena los ámbitos;

mágicas ondas de vida van renaciendo de pronto;

retrocede el olvido, retrocede engañada la muerte;

se anuncia un reino nuevo, feliz sibila sueña

y en la caja pandórica de que tantas desgracias surgieron

encontramos de súbito, talismánica, pura, riente,

cual pudiera decirla en sus versos Virgilio divino,

la divina reina de luz, ¡la celeste Esperanza!

 

Célèbres races fertiles, sang de l'Hispanie féconde 

Esprits fraternels, âmes lumineuses, je vous salue. 

Voici venir le moment où des voix de gloire devront chanter 

De nouveaux hymnes. Une rumeur emplit l'air; des ondes 

Magiques de vie passent, renaissant subitement; 

L'oubli recule, la mort trompée recule aussi ; 

Un royaume nouveau s'annonce ; une sibylle songe, 

Et dans la boîte pandorique d'où les malheurs surgirent 

Nous trouvons tout à coup, pure, talismanique, riante 

Celle qu'aurait pu dire en son vers le divin Virgile, 

La divine reine de clarté, la céleste Espérance ! 

 

Pálidas indolencias, desconfianzas fatales que a tumba 

o a perpetuo presidio condenasteis al noble entusiasmo, 

ya veréis el salir del sol en un triunfo de liras, 

mientras dos continentes, abonados de huesos gloriosos, 

del Hércules antiguo la gran sombra soberbia evocando, 

digan al orbe: la alta virtud resucita 

que a la hispana progenie hizo dueña de siglos.

Abominad la boca que predice desgracias eternas,

 abominad los ojos que ven sólo zodíacos funestos, 

abominad las manos que apedrean las ruinas ilustres, 

o que la tea empuñan o ía daga suicida.

Siéntense sordos ímpetus en las entrañas del mundo, 

la inminencia de algo fatal hoy conmueve la Tierra; 

fuertes colosos caen, se desbandan bicéfalas águilas, 

y algo se inicia como vasto social cataclismo 

sobre la faz del orbe. ¿Quién dirá que las savias dormidas 

no despierten entonces en el tronco del roble gigante 

bajo el cual se exprimió la ubre de la loba romana?

¿Quién será el pusilánime que al vigor español niegue músculos 

y que al alma española juzgase áptera y ciega y tullida?

No es Babilonia ni Nínive enterrada en olvido y en polvo 

ni entre momias y piedras reina que habita el sepulcro, 

la nación generosa, coronada de orgullo inmarchito, 

que hacia el lado del alba fija las miradas ansiosas, 

ni la que tras los mares en que yace sepultada la Atlántida, 

tiene su coro de vástagos, altos, robustos y fuertes.

Únanse, brillen, secúndense tantos vigores dispersos; 

formen todos un solo haz de energía ecuménica.

Sangre de Hispania fecunda, sólidas, ínclitas razas, 

muestren los dones pretéritos que fueron antaño su triunfo. 

Vuelva el antiguo entusiasmo, vuelva el espíritu ardiente 

que regará lenguas de fuego en esa epifanía.

Juntas las testas ancianas ceñidas de líricos lauros 

y las cabezas jóvenes que la alta Minerva decora, 

así los manes heroicos de los primitivos abuelos, 

de los egregios padres que abrieron el surco prístino, 

sientan los soplos agrarios de primaverales retornos 

y el rumor de espigas que inició la labor tríptolémica.

Un continente y otro renovando las viejas prosapias,

en espíritu unidos, en espíritu y ansias y lengua,

ven llegar el momento en que habrán de cantar nuevos himnos.

La latina estirpe verá la gran alba futura, 

y en un trueno de música gloriosa, millones de labios 

saludarán la espléndida luz que vendrá del Oriente,

Oriente augusto en donde todo lo cambia y renueva 

la eternidad de Dios, la actividad infinita.

Y así sea esperanza la visión permanente en nosotros.

¡ ínclitas razas ubérrimas, sangre de Híspanla fecunda!

 

Pâles indolences, méfiances fatales qui à la tombe 

Ou les perpétuelles prisons, condamnez le noble enthousiasme

Vous verrez le lever du soleil et un triomphe de lyres

Tandis que deux continents, semés et nourris d'os glorieux,

Evoquant l'ombre superbe de l'antique Hercule,

Diront à l'orbe : la haute vertu a ressuscité

Qui fit maîtresse de siècles, la lignée espagnole,

Abominez la bouche qui prédit des malheurs éternels,

Abominez les yeux qui ne voient que de funestes zodiaques,

Abominez les mains qui détruisent les ruines illustres

Ou qui empoignent la torche ou la dague homicide.

De sourds élans se sentent dans les entrailles du monde,

L'imminence d'une heure fatale trouble la terre ;

Des colosses tombent, des aigles bicéphales se débandent,

Quelque chose comme un vaste cataclysme social s'irrite

Sur la face de l'orbe. Qui dira que les sèves endormies

Ne se réveillent pas alors dans le tronc du chêne géant

Sous lequel s'exprimèrent les mamelles de la louve romaine?

Quel sera le lâche qui nie des muscles à la force espagnole

Et qui juge l'âme d'Espagne, aptère, percluse, aveugle?

Ce n'est pas Babylone, ou Ninive, dans l'oubli et la poussière

Où parmi les momies et les pierres, reine habitant le sépulcre

La nation généreuse, couronnée d'orgueil sans tâche

Qui vers l'aube renaissante fixe ses regards anxieux

Ni celle qui a, derrière les mers où gît enseveli

L'Atlantide, son chœur de rejetons, hauts, robustes, forts.

Que s'unissent, brillent, et secondent tant de vigueurs dispersées,

Qu'elles forment toutes une gerbe d'énergies œcuméniques.

Sang d'Hispanie féconde, solides, fertiles races

Montrez les dons passés qui furent vos triomphes d'antan.

Que reviennent l'antique enthousiasme et l'esprit ardent

Qui arrosera de langues de feu en cette épiphanie

Les têtes anciennes ceintes de lyriques lauriers.

Et les jeunes fronts que la grande Minerve décore

Et qu'ainsi les mânes héroïques des premiers ancêtres

Des pères illustres qui ouvrirent le sillon primitif

Sentent sur elles, les souffles agraires des retours printaniers

Le bruit des épis initiateurs du labeur triptolémique,

Un continent et un autre, renouvelant les vieilles lignées

Unis en esprit, en désirs et en langues

Aboient venir l'heure où ils devront chanter de nouveaux hymnes

La race latine verra la grande cité future

Dans un honneur de glorieuses musiques, des millions de lèvres

Salueront la lumière splendide qui viendra d'Orient

L'Orient auguste où tout se change et se renouvelle

Par l'Eternité et Dieu, et l'infinie activité.

Ainsi soit l'Espérance, notre vision permanente

Célèbres races fertiles, sang de l'Hispanie féconde !

 


"LOS CISNES" (LES CYGNES, Buenos Aires, septiembre de 1894)

 

¿QUÉ SIGNO haces, oh Cisne, -con tu encorvado cuello 

al paso de los tristes y errantes sonadores?

¿Por qué tan silencioso de ser blanco y ser bello, 

tiránico a las aguas e impasible a las flores?

Yo te saludo ahora como en versos latinos 

te saludara antaño Publio Ovidio Nasón.

Los mismos ruiseñores cantan los mismos trinos, 

y en diferentes lenguas es la misma canción.

A vosotros mi lengua no debe ser extraña,

A Garcilaso visteis, acaso, alguna vez ...

Soy un hijo de América, soy un nieto de España,., 

 

Quevedo pudo hablaros en verso en Aranjuez....

Cisnes, los abanicos de vuestras alas frescas 

den a las frentes pálidas sus caricias más puras 

y alejen vuestras blancas figuras pintorescas 

de nuestras mentes tristes las ideas obscuras.

Brumas septentrionales nos llenan de tristezas, 

se mueren nuestras rosas, se agostan nuestras palmas, 

casi no hay ilusiones para nuestras cabezas, 

y somos los mendigos de nuestras pobres almas.

Nos predican la guerra con águilas feroces, 

gerifaltes de antaño revienen a los puños, 

mas no brillan las glorias de las antiguas hoces, 

ni hay Rodrigos ni Jaimes, ni hay Alfonsos ni Ñuños.

Faltos del alimento que dan las grandes cosas,

¿qué haremos los poetas sino buscar tus lagos?

A falta de laureles son muy dulces las rosas, 

y a falta de victorias busquemos los halagos.

La América Española como la España entera 

fija está en el Oriente de su fatal destino;

 yo interrogo a la Esfinge que el porvenir espera 

con la interrogación de tu cuello divino,

¿Seremos entregados a los bárbaros fieros?

¿Tantos millones de hombres hablaremos inglés?

¿Ya no hay nobles hidalgos ni bravos caballeros? 

¿Callaremos ahora para llorar después?

He lanzado mi grito, Cisnes, entre vosotros, 

que habéis sido los fieles en la desilusión, 

mientras siento una fuga de americanos potros 

y el estertor postrero de un caduco león,,,

,. ,Y un Cisne negro dijo: "La noche anuncia el día". 

Y uno blanco: "¡La aurora es inmortal, la aurora 

es inmortal!" ¡Oh tierras de sol y de armonía, 

aun guarda la Esperanza la caja de Pandora!

 

Quel signe fait ton col sinueux, Cygne, Cygne, 

Quand passent les errants et moroses songeurs? 

Pourquoi, silencieux de ta blancheur insigne, 

Tyranniser les eaux et dédaigner les fleurs ?

Je te salue, ainsi que sous la Décadence 

L'eût-fait en vers latins Ovidius Nason. 

Les mêmes rossignols chantent même romance, 

La langue change et c'est toujours même chanson.

Ma langue ne doit pas vous paraître étrangère. 

Peut-être avez-vous vu pleurer Garcilaso... 

Je suis Américain et l'Espagne est ma mère... 

 

Et vous savez encor les vers de Quevedo...

Cygnes, que l'éventail de vos pâles plumages 

De son plus pur baiser caresse nos fronts las, 

Et que, dans la candeur de vos fraîches images 

Nos tristes cœurs soient délivrés des pensers bas.

Les lourds brouillards du Nord nous envoient leurs détresses, 

Nos palmes sont fanées et nos lys sont flétris. 

Il n'est plus d'illusions, il n'est plus de tristesses; 

Nous sommes les mendiants de nos pauvres esprits.

On nous prédit une invasion d'aigles vandales; 

Aux poings sont revenus les antiques gerfauts ; 

Mais elles sont ternies, les gloires ancestrales. 

Il n'est plus de Nunos, de Cids, ni de Renauds...

Poètes, il n'est plus le temps des grandes choses. 

Que ferons-nous, sinon chercher tes lacs charmants ?

 A défaut de lauriers, contentons-nous des roses, 

Faute de gloire, ayons les baisers des amants.

L'Amérique espagnole avec l'Espagne entière 

Regarde à l'Orient de son fatal destin; 

J'interroge le Sphinx, qui attend et espère, 

Avec la question de ton long col divin.

Serons-nous donc livrés aux barbares sauvages ? 

Cent millions de latins parleront-ils anglais? 

Où sont les hidalgos et les rois des vieux âges? 

Faut-il nous taire enfin pour mieux pleurer après?

Cygnes, je vous ai dit ma plainte prophétique, 

A vous qui consolez dans la désillusion, 

Cependant que je sens, des plaines d'Amérique, 

Lancer son dernier râle un frémissant lion...

Alors un Cygne noir : « La nuit prédit le jour. » 

Et un blanc : « L'aurore est immortelle ! L'aurore 

Est immortelle ! » O terres d'or, terres d'amour 

L'espoir emplit toujours la boîte de Pandore !

 


CANTO DE ESPERANZA (CHANT D'ESPERANCE, 1904)

 

Un gran vuelo de cuervos mancha el azul celeste.

Un soplo milenario trae amagos de peste.

Se asesinan los hombres en el extremo Este.

¿Ha nacido el apocalíptico Anticristo?

Se han sabido presagios y prodigios se han visto 

y parece inminente el retorno del Cristo.

La tierra está preñada de dolor tan profundo 

que el soñador, imperial meditabundo, 

sufre con las angustias del corazón del mundo.

Verdugos de ideales afligieron la tierra,

 en un pozo de sombra la humanidad se encierra 

con los rudos molosos del odio y de la guerra.

¡Oh, Señor Jesucristo!, por qué tardas, qué esperas 

para tender tu mano de luz sobre las fieras 

y hacer brillar al sol tus divinas banderas!

Surge de pronto y vierte la esencia de la vida 

sobre tanta alma loca, triste o empedernida 

que amante de tinieblas tu dulce aurora olvida.

Ven* Señor, para hacer la gloria de ti mismo,

ven con temblor de estrellas y horror de cataclismo, 

ven a traer amor y paz sobre el abismo.

Y ru caballo blanco, que miró el visionario, 

pase. Y suene el divino clarín extraordinario.

Mi corazón será brasa de tu incensario.

 

Un grand vol de corbeaux tache le bleu céleste. 

Un souffle millénaire aux menaces de peste 

Vient de l'Extrême-Orient aux massacres funestes.

Est-il né l'Antéchrist ? viendra-t-il maintenant ? 

On voit présages et prodiges étonnants, 

Et le retour du Christ apparaît imminent.

La terre est imprégnée de douleur si profonde 

Que le rêveur méditant sur l'impériale onde 

Palpite avec les angoisses du cœur du monde.

Des bourreaux d'idéal affligeront la terre.

Et dans un puits d'ombre l'humanité s'enterre

Avec ses fiers molosses : la haine et la guerre.

O Seigneur Jésus-Christ, pourquoi tarder, qu'espères

Tu donc pour tendre vers nous ta main de lumière, 

Déployer au soleil tes divines bannières.

Surgis vite et verse l'essence de la vie 

Sur nos âmes folles, tristes ou endurcies, 

Qu'amante de ténèbres ton aurore oublie.

Viens, Seigneur, entendre ta gloire dans nos hymnes, 

Viens avec l'étoile qui brille sur les cimes 

Nous apporter l'amour et la paix sur l'abîme.

J'ai vu ton cheval blanc qui passait dans le soir 

Et ton divin clairon qui sonnait mon espoir. 

Mon cœur sera la braise de ton encensoir.

 


"LO FATAL" (LA FATALITE)

 

Dichoso el árbol que es apenas sensitivo, 

y más la piedra dura porque esa ya no siente, 

pues no hay dolor más grande que el dolor de ser vivo, 

ni mayor pesadumbre que la vida consciente.

Ser, y no saber nada, y ser sin rumbo cierto, 

y el temor de haber sido y un futuro terror.. .

Y el espanto seguro de estar mañana muerto, 

y sufrir por Ja vida y por la sombra y por

lo que no conocemos y apenas sospechamos, 

y la carne que tienta con sus frescos racimos, 

y la tumba que aguarda con sus fúnebres ramos,

;y no saber adónde vamos, 

ni de dónde venimos!. . .

 

Bienheureux l'arbre qui à peine est sensible 

Et plus la pierre dure qui ne sent même pas,

Il n'est point de douleur comme celle de vivre 

Ni de peine plus grande que la vie consciente. 

Etre et ne rien savoir, être sans route certaine 

Et la crainte d'avoir été, et la terreur future... 

Et la sûre épouvante d'être mort demain

Et souffrir par la vie et par l'ombre et par

Ce que nous ignorons et à peine soupçonnons

Et la chair qui tente avec grappes fraîches

Et la tombe qui attend avec ses rameaux funèbres

Et ne savoir où nous allons

Ni d'où nous venons.

 

"CANTOS DE VIDA Y ESPERANZA" (Paris, 1904)

 

Yo SOY aquel que ayer no más decía 

el verso azul y la canción profana, 

en cuya noche un ruiseñor había 

que era alondra de luz por la mañana.

El dueño fui de mi jardín de sueño, 

lleno de rosas y de cisnes vagos; 

el dueño de las tórtolas, el dueño 

de góndolas y liras en los lagos;

y muy siglo diez y ocho y muy antiguo 

y muy moderno; audaz, cosmopolita; 

con Hugo fuerte y con Verlaine ambiguo, 

y una sed de ilusiones infinita.

Yo supe de dolor desde mi infancia, 

mi juventud. .. ¿fue juventud la mía?

Sus rosas aun me dejan su fragancia... 

una fragancia de melancolía ...

Potro sin freno se lanzó mi instinto, 

mi juventud montó potro sin freno; 

iba embriagada y con puñal al cinto; 

si no cayó, fue porque Dios es bueno.

 

CHANTS DE VIE ET D'ESPERANCE

Je suis celui qu'hier encore disait

Le vers d'azur et la chanson profane.

Et dans sa nuit avait un rossignol

Qui, au matin, était une alouette de clarté.

Je fus le maître de mon jardin de rêve 

Plein de roses et de cygnes errants ; 

Le maître des tourterelles ; le maître 

De gondoles et de lyres sur les lacs ;

Et très siècle dix-huitième, et très antique. 

Et très moderne ; audacieux, cosmopolite ; 

Fort avec Hugo, avec Verlaine ambigu, 

Et une soif d'illusion infinie.

J'ai connu la douleur dès mon enfance ; 

Ma jeunesse... fut-elle une jeunesse vraiment? 

Ses roses me laissent encore leur parfum,

Un parfum de mélancolie...

Soudain sans frein mon instinct s'élança.

Ma jeunesse monta un poulain sans frein.

Elle allait, ivre, un poignard à la ceinture;

Si elle ne tomba point, ce fut parce que Dieu est bon.

 

En mi jardín se vio una estatua bella; 

se juzgó mármol y era carne viva; 

una alma joven habitaba en ella, 

sentimental, sensible, sensitiva.

Y tímida ante el mundo, de manera 

que encerrada en silencio no salía, 

sino cuando en la dulce primavera 

era la hora de la melodía...

Hora de ocaso y de discreto beso; 

hora crepuscular y de reriro; 

hora de madrigal y de embeleso, 

de " te adoro", de "¡ay!" y de suspiro.

Y entonces era en la dulzaina un juego 

de misteriosas gamas cristalinas,

un renovar de notas del Pan griego 

y un desgranar de músicas latinas. 

Con aire tal y con ardor tan vivo,

que a la estatua nacían de repente 

en el muslo viril patas de chivo 

y dos cuernos de sátiro en la frente.

Como la Galatea gongorina 

me encantó la marquesa verleniana, 

y así jumaba a la pasión divina 

una sensual hiperestesia humana;

todo ansia, todo ardor, sensación pura 

y vigor natural; y sin falsía,

 y sin comedia y sin literatura. . .: 

si hay una alma sincera, ésa es ia mía.

La torre de marfil tentó mi anhelo; 

quise encerrarme dentro de mí mismo, 

y tuve hambre de espacio y sed de cielo 

desde las sombras de mi propio abismo.

Como la esponja que la sal satura 

en el jugo del mar, fue el dulce y tierno 

corazón mío, henchido de amargura 

por el mundo, la carne y el infierno.

Mas, por gracia de Dios, en mi conciencia 

el Bien supo elegir la mejor parte; 

y si hubo áspera hiel en mi existencia, 

melificó toda acritud el Arte.

 

En mon jardin on vit une belle statue ; 

Elle se crut marbre et elle était chair vivante ; 

En elle habitait une âme jeune, 

Sentimentale, sensible, sensitive.

Et timide devant le monde, de sorte 

Qu'enfermée dans le silence, elle ne sortait 

Que lorsque, au doux printemps, 

C'était l'heure de la mélodie...

Heure de couchant et de baiser discret ; 

Heure crépusculaire et de retraite ; 

Heure de madrigal et de ravissement, 

De « je t'adore », de « hélas » et de soupirs.

Et alors, c'était, sur le chalumeau un jeu 

De mystérieuses gammes cristallines, .

Un renouveau de notes du Pan grec 

Et un égrènement de musiques latines,

Sur un air tel et avec une ardeur si vive 

Qu'à la statue naissaient soudain 

En son muscle viril des pieds de jeune bouc 

Et deux cornes de satyre sur son front.

Comme la Galatée gongorienne, 

La marquise verlainienne m'enchanta, 

Et j'unissais ainsi à la passion divine 

Une sensuelle hyperesthésie humaine;

Tout désir, tout ardeur, sensation pure 

Et vigueur naturelle ; sans fausseté, 

Et sans comédie, et sans littérature... 

S'il est une âme sincère, c'est la mienne.

La tour d'ivoire tenta ma convoitise, 

Je voulus m'enfermer en moi-même 

Et j'eus faim d'espace et soif de ciel 

Du fond des ombres de mon propre abîme.

Avec l'éponge que le sel sature

Dans le jus de la mer, mon cœur doux et tendre

Fut abreuvé d'amertume

Par le monde, la chair et l'enfer.

Mais, grâce à Dieu, en ma conscience

Le bien sut choisir la meilleure part.

Et s'il y eut un fiel âpre en mon existence,

Toute âcreté fut adoucie par l'Art. 

 


Mi intelecto libré de pensar bajo, 

bañó el agua castalia el alma mía, 

peregrinó mi corazón y trajo 

de la sagrada selva la armonía.

 

Je délivrerai mon intelligence des pensées basses.

L'eau castalide baigna mon âme,

Mon cœur s'en fut en pèlerinage et

De la forêt sacrée rapporta l'harmonie.

 

¡Oh, la selva sagrada! ¡Oh, la profunda 

emanación del corazón divino 

de la sagrada selva! ¡Oh, la fecunda 

fuente cuya virtud vence al destino!

Bosque ideal que lo real complica, 

allí el cuerpo arde y vive y Psiquis vuela; 

mientras abajo el sátiro fornica, 

ebria de azul deslíe Filomela.

Perla de ensueño y música amorosa 

en la cúpula en flor del laurel verde, 

Hipsípila sutil liba en la rosa, 

y la boca del fauno el pezón muerde.

Allí va el dios en celo tras la hembra, 

y la caña de Pan se alza del lodo; 

la eterna vida sus semillas siembra, 

y brota la armonía del gran Todo.

El alma que entra allí debe ir desnuda, 

temblando de deseo y fiebre santa, 

sobre cardo heridor y espina aguda: 

así sueña, así vibra y así canta.

Vida, luz y verdad, tal triple llama 

produce la interior llama infinita.

El Arte puro como Cristo exclama:

Ego sum lux et varitas et vita!

Y la vida es misterio, la luz ciega 

y la verdad inaccesible asombra; 

la adusta perfección jamás se entrega, 

y el secreto ideal duerme en la sombra.

Por eso ser sincero es ser potente; 

de desnuda que está, brilla la estrella; 

el agua dice el alma de la fuente 

en la voz de cristal que fluye de ella.

Tal fue mi intento, hacer del alma pura 

mía, una estrella, una fuente sonora, 

con el horror de la literatura 

y loco de crepúsculo y de aurora.

Del crepúsculo azul que da la pauta 

que los celestes éxtasis inspira, 

bruma y tono menor —¡toda la flauta!,

 y Aurora, hija del Sol —¡toda la lira!

Pasó una piedra que lanzó una honda; 

pasó una flecha que aguzó un violento*

La piedra de la honda fue a la onda, 

y la flecha del odio fuese ai viento.

La virtud está en ser tranquilo y fuerte; 

con el fuego interior todo se abrasa; 

se triunfa del rencor y de la muerte,

 y hada Belén, , , ¡la caravana pasa!

 

O la forêt sacrée ! O la profonde 

Emanation du cœur divin 

De la forêt sacrée ! O la féconde 

Fontaine dont la vertu vainc le destin !

Bois idéal qui complique la réalité, 

Là le cœur brûle et vit, et Psyché vole, 

Pendant qu'en bas le satyre fornique, 

Ivre d'azur Philomèle répand sa chanson,

Perle de rêve et musique amoureuse, 

Dans la coupole en fleur du laurier vert, 

Hipsipile subtile boit dans la rose, 

Et la bouche du faune mordille un sein.

Là le dieu passionné poursuit la femme, 

Et le roseau de Pan s'élève de la boue ; 

La vie éternelle répand ses semences, 

Et jaillit l'harmonie du grand Tout.

L'âme qui entre là doit aller une,

Tremblante de désir et de sainte fièvre,

Sur le chardon qui blesse et sur l'épine aigüe :

C'est ansi qu'elle rêve, qu'elle vibre et qu'elle chante.

Vie, lumière et vérité : triple flamme 

Qui produit l'intérieure flamme infinie ; 

L'Art, pur comme le Christ, s'exclame : 

Ego sum lux et veritas et vita !

Et la vie est mystère, la lumière aveugle 

Et la vérité inaccessible effraie ;

 La perfection sévère ne se livre jamais 

Et l'idéal secret dort dans l'ombre.

Voilà pourquoi être sincère c'est être puissant. 

C'est parce qu'elle est nue que l'étoile brille ; 

L'eau dit l'âme de la source 

Dans la voix de cristal qui coule d'elle.

Telle fut ma tentative : faire de mon âme pure 

Une étoile, une source sonore, 

Avec l'horreur de la littérature. 

Et fou de crépuscule et d'aurore.

Du crépuscule bleu qui donne la règle, 

Qui inspire les célestes extases. 

Brume et ton mineur, — toute la flûte ! 

Et l'Aurore, fille du ciel — toute la lyre !

Passa une pierre lancée par une fronde ; 

Passa une flèche aiguisée par un méchant. 

La pierre de la fronde tomba dans l'eau 

Et la flèche de la haine s'en fut avec le vent.

La vertu est d'être tranquille et fort ;

Avec le feu intérieur tout s'embrase ;

On triomphe de la rancune et de la mort.

 

Et en marche pour Bethléem... la caravane passe !

 


"CANCIÓN DE OTOÑO EN PRIMAVERA" (CHANSON D'AUTOMNE AU PRINTEMPS)

 

Juventud, divino tesoro,

¡ya te vas para no volver!

Cuando quiero llorar, no lloro... 

y a veces lloro sin querer...

 

O jeunesse, divin trésor

Tu fuis pour ne plus revenir !

Quand je veux pleurer je ne puis

Parfois, sans le vouloir, je pleure

 

Plural ha sido la celeste 

historia de mi corazón.

Era una dulce nina, en este 

mundo de duelo y aflicción.

Miraba como el alba pura; 

sonreía como una flor.

Era su cabellera obscura 

hecha de noche y de dolor.

Yo era tímido como un niño. 

Ella, naturalmente, fue, 

para mi amor hecho de armiño, 

Herodías y Salomé....

Juventud, divino tesoro,

¡ya te vas para no volver!

Cuando quiero llorar, no lloro.,, 

y a veces lloro sin querer...

Y más consoladora y más 

halagadora y expresiva, 

la otra fue más sensitiva 

cual no pensé encontrar jamás.

Pues a su continua ternura 

una pasión violenta unía.

En un peplo de gasa pura 

una bacante se envolvía...

En sus brazos tomó mi ensueño 

y lo arrulló como a un bebé.. . 

y le mató, triste y pequeño, 

falto de luz, falto de fe...

Juventud, divino tesoro,

¡te fuiste para no volver!

Cuando quiero llorar, no lloro... 

y a veces lloro sin querer...

Otra juzgó que era mi boca 

el estuche de su pasión; 

y que me roería, loca, 

con sus dientes el corazón.

Poniendo en un amor de exceso 

la mira de su voluntad, 

mientras eran abrazo y beso 

síntesis de la eternidad;

y de nuestra carne ligera 

imaginar siempre un Edén, 

sin pensar que la Primavera 

y la carne acaban también...

Juventud, divino tesoro,

¡ ya te vas para no volver! 

Cuando quiero llorar, no lloro ...

y a veces lloro sin querer.

Y las demás! En tantos climas, 

en tantas tierras siempre son, 

si no pretextos de mis rimas 

fantasmas de mi corazón.

En vano busqué a ta princesa 

que estaba triste de esperar.

La vida es dura. Amarga y pesa.

¡ Ya no hay princesa que cantar!

Mas a pesar del tiempo terco, 

mi sed de amor no tiene fin; 

con el cabello gris, me acerco 

a los rosales del jardín ...

Juventud, divino tesoro, 

¡ ya te vas para no volver!

¡ Cuando quiero llorar, no lloro...

y a veces lloro sin querer ...

Mas es mía el Alba de oro!

 

Sans borne, fut la céleste 

histoire de mon pauvre cœur, 

C'était une enfant douce en 

ce monde de deuil et d'affliction.

Elle souriait comme une fleur, 

son regard était pur comme l'aube, 

Et son obscure chevelure 

faite de nuit et de douleur.

J'étais timide comme un enfant. 

Elle fut, naturellement, 

pour mon amour, fait d'hermine, 

Hérodias et Salomé

O jeunesse, divin trésor, 

tu fuis pour ne plus revenir ! 

Quand je veux pleurer, je ne puis, 

Parfois, sans le vouloir, je pleure....

L'autre fut plus sensitive 

et plus consolatrice et plus 

caressante et plus expressive, 

ce que je n'osais espérer.

Car à sa tendresse pure, elle

 unissait la passion violente. 

En un péplum de gaze pâle 

une bacchante s'enveloppait.....

Dans ses bras, elle prit mon rêve

et le berça comme un bébé

Puis le tua, triste et faible, 

faute de lumière et de foi

O jeunesse, divin trésor,

 tu t'en fus pour ne pas revenir ! 

Quand je veux pleurer, je ne puis, 

Parfois, sans le vouloir, je pleure!

Une autre jugea que ma bouche 

était l'écrin de sa passion. 

Qu'elle me rongerait, la folle, 

le cœur, avec ses blanches dents.

Mettant en un excès d'amour 

le désir de sa volonté, 

tandis qu'étaient étreinte et baiser 

la synthèse de l'éternité.

Et de notre chair si légère 

Un Eden sans cesse imaginer, 

sans penser que le printemps même 

et l'ardente chair se fanent

O jeunesse, divin trésor, 

tu fuis pour ne plus revenir 

Quand je veux pleurer je ne puis 

Parfois sans le vouloir, je pleure !

Et les autres ! Sous tous les cieux, 

Sur cette terre,  toujours elles sont. 

Sinon prétextes de mes rimes, 

Du moins, fantômes de mon cœur.

En vain, j'ai cherché la princesse 

qui était triste d'espérer, 

La vie est dure, amère et lourde. 

Las ! Plus de princesse à chanter.

Malgré le temps implacable 

ma soif d'aimer est infinie. 

Les cheveux gris, je vais encor 

vers les rosiers dans le jardin.

O Jeunesse, divin trésor

tu fuis pour ne plus revenir

Quand je veux pleurer je ne puis, 

Parfois, sans le vouloir, je pleure ...

Mais elle est mienne l'Aube d'or.

 


DIVINE PSYCHE

¡Divina Psiquis, dulce mariposa invisible 

que desde los abismos has venido a ser todo 

lo que en mi ser nervioso y en mi cuerpo sensible 

forma la chispa sacra de la estatua de lodo!

Te asomas por mis ojos a la luz de la tierra 

y prisionera vives en mí de extraño dueño; 

te reducen a esclava mis sentidos en guerra 

y apenas vagas libre por el jardín del sueño.

Sabia de la Lujuria que sabe antiguas ciencias,

te sacudes a veces entre imposibles muros, 

y más allá de todas las vulgares conciencias 

exploras los recodos más terribles y obscuros.

Y encuentras sombra y duelo. Que sombra y duelo encuentres 

bajo la viña en donde nace el vino del Diablo.

Te posas en los senos, te posas en los vientres 

que hicieron a Juan loco e hicieron cuerdo a Pablo.

A Juan virgen y a Pablo militar y violento, 

a Juan que nunca supo del supremo contacto; 

a Pablo el tempestuoso que halló a Cristo en el viento,

y a Juan ante quien Hugo se queda estupefacto.

Entre la catedral y las ruinas paganas 

vuelas, ¡oh Psiquis, oh alma mía!

—como decía

 aquel celeste Edgardo,

que entró en el paraíso entre un són de campanas

y un perfume de nardo—,

entre la catedral

y las paganas ruinas

repartes tus dos alas de cristal,

cus dos alas divinas,

Y de la flor

que el ruiseñor

canta en su griego antiguo, de la rosa,

vuelas, ¡oh, Mariposa!,

a posarte en un clavo de nuestro Señor.

 

Divine Psyché, papillon invisible et doux 

Qui est venu des abîmes pour être tout

Ce qui dans mon être nerveux et dans mon corps sensible

Forme l'étincelle sacrée de la statue de boue !

C'est pour mes yeux que tu te montres à la lumière de la terre

Et tu vis prisonnière en moi d'un maître étrange ;

Mes sens en guerre te réduisent à l'esclavage

Et c'est à peine si tu peux errer libre dans le jardin du rêve.

Experte en la luxure, qui connaît d'antiques sciences,

Tu te secoues parfois entre d'impossibles murs,

Et par-delà toutes les vulgaires consciences

Tu explores les recoins les plus terribles et les plus obscurs,

Et tu rencontres ombré et deuil

Sous la vigne ou naît le vin du Diable.

Tu te poses sur les seins, tu te poses sût les ventres

Qui firent de Jean un fou et de Paul un sage.

Jean vierge et Paul militaire et violent;

Jean qui ne connut jamais le suprême contact ;

Paul le tempétueux qui trouva le Christ dans. le vent,

Et Jean devant qui Hugo est frappé de stupeur.

Entre la cathédrale et les ruines païennes

Tu voles, ô Psyché, ô mon âme !

— Comme disait

Ce céleste Edgar

Qui pénétra dans le paradis entre un son de cloche

Et un parfum de nard.

Entre la cathédrale

Et les ruines païennes

Tu partages tes deux ailes de cristal,

Tes ailes divines.

Et de la fleur

Que le rossignol

Chante en son grec ancien, de la rose,

Tu voles, ô papillon,

Pour te poser sur un clou de Notre Seigneur !

 


"MELANCOLIA" (MELANCOLIE)

 

Hermano, tú que tienes la luz, dirae la mía.

Soy como un ciego* Voy sin rumbo y ando a tientas.

Voy bajo tempestades y tormentas, 

ciego de ensueño y loco de armonía.

Ése es mi mal. Soñar. La poesía 

es la camisa férrea de mil puntas cruentas 

que llevo sobre el alma. Las espinas sangrientas 

dejan caer las gotas de mi melancolía.

Y así voy, ciego y loco, por este mundo amargo; 

a veces me parece que el camino es muy largo,

y a veces que es muy corto ...

Y en este titubeo de aliento y agonía, 

caigo lleno de penas lo que apenas soporto,

¿No oyes caer las gotas de mi melancolía?

 

Frère, toi qui as un flambeau, dis-moi où est le mien ! Je suis comme un aveugle. Je marche au hasard et à tâtons. Je vais, dans la tourmente et les tempêtes, ébloui par mon rêve et fou d'harmonie.

Tel est mon mal : rêver ! La poésie est le cilice, hérissé de mille pointes cruelles, que je porte autour de l'âme. De ses épines ensanglantées tombent les gouttes de ma mélancolie.

Et, de la sorte, à travers ce monde d'amertume, je chemine, aveugle et fou. Parfois, il me semble qu'est bien longue la route, et, parfois, qu'elle est très courte.

Et, la poitrine haletante comme celle des agonisants, je me charge, harassé de douleurs, d'un fardeau que je puis porter à peine... Ne les entends-tu pas tomber, les gouttes de ma mélancolie ?

 

"Carne, celeste caren de la mujer! Arcilla..."

(Chair, céleste chair de la femme! Argile...) 

¡CARNE, celeste carne de la mujer! Arcilla

—dijo Hugo—, ambrosía más bien, ¡oh maravilla!,

la vida se soporta,

tan doliente y tan corta,

solamente pos eso:

¡roce, mordisco o beso

en ese pan divino

para el cual nuestra sangre es nuestro vino!

En ella está la lira,

en ella está la rosa,

en ella está la ciencia armoniosa,

en ella se respira

el perfume vital de toda cosa.

Eva y Cipris concentran el misterio

del corazón del mundo.

Cuando el áureo Pegaso

en la viccoria matinal se lanza

con el mágico ritmo de su paso

hacia la vida y hacia la esperanza,

si alza la crin y las narices hincha

y sobre las montañas pone el casco sonoro

y hacia la mar relincha,

y el espacio se llena

de un gran temblor de oro,

es que ha visto desnuda a Anadiomena.

Gloría, ¡oh Potente a quien las sombras temen!

¡Que las más blancas tórtolas te inmolen!

¡Pues por ti la floresta está en el polen

y el pensamiento en el sagrado semen!

Gloria, ¡oh Sublime que eres la existencia

por quien siempre hay funiros en el útero etesno!

¡Tu boca sabe al fruto del árbol de la Ciencia

y al torcer tus cabellos apagaste el infierno!

Inátil es el grito de la legión cobarde

del interés, inútil el progreso

yankee, si te desdeña,

Si el progreso es de fuego, por ti arde.

¡Toda lucha del hombre va a tu beso,

por ti se combate o se sueña!

 Pues en ti existe Primavera para el triste,

labor gozosa para el fuerte,

néctar, Ánfora, dulzura amable.

¡Potque en ti existe

el placer de vivir hasta la muerte

ante la eternidad de lo probable!...

 

Chair, céleste chair de la femme! Argile

- dit Hugo - , ambroisie plutôt, ô merveille !,

on supporte la vie,

si pénible et si courte,

pour cela seulement :

toucher, mordre, baiser

ce pain divin

pour lequel notre sang est notre vin !

En elle est la lyre,

en elle est la rose,

en elle est la science harmonieuse,

en elle on respire

le parfum vital de toute chose.

Eve et Cypris concentrent le mystère

du cœur du monde.

Lorsque Pégase d'or

en son triomphe matinal se lance

au rythme magique de sa marche

vers la vie et vers l'espérance,

s'il dresse ses crins et gonfle ses naseaux,

et pose sur les monts son sonore sabot

et vers la mer hennit,

si l'espace s'emplit

d'un grand tremblement d'or,

c'est qu'il a vu nue Anadiomène.

Gloire, ô Puissante que les ombres craignent !

Que l'on t'immole les plus blanches tourterelles!

Car par toi la forêt s'inscrit dans le pollen

et la pensée en la sacrée semence !

Gloire, Ô Sublime qui es l'existence: 

par toi de lendemain est toujours gros l'utérus éternel!

Tes lèvres ont goût du fruit de l'arbre de la science, 

tu éteignis l'enfer en tordant tes cheveux:

Inutile est le cri de la légion peureuse

de l'intérêt stérile le progrès

yankee, s'il te dédaigne.

Si le progrès est feu, c'est par toi qu'il brûle.

Toute lutte de l'homme aspire à ton baiser,

pour toi l'on combat ou l'on rêve I

Car en toi il y a un Printemps pour le triste,

labeur joyeux pour le fort,

nectar, amphore, douceur aimable.

Car en toi il y a

la joie de vivre jusqu'à la mort

face à l'éternité du probable !..

 


Les recueils que Rubén Darío publiera à partir de cette date approfondiront un désenchantement dont les "Nocturnos" offriront la meilleure expression poétique....

Los QUE auscultasteis el corazón de la noche,

los que por el insomnio tenaz habéis oído

el cerrar de una puerta, el resonar de un coche

lejano, un eco vago, un ligero ruido...

En los instantes del silencio misterioso,

cuando surgen de su prisión los olvidados,

en la hora de los muertos, en la hora del reposo,

¡sabréis leer estos versos de amargor impregnados! ...

Como en un vaso vierto en ellos mis dolores

de lejanos recuerdos y desgracias funestas,

y las tristes nostalgias de mi alma, ebria de flores,

y el duelo de mi corazón, triste de fiestas.

Y el pesar de no ser lo que yo hubiera sido,

la pérdida del reino que estaba para mí,

el pensar que un instante pude no haber nacido,

¡y el sueño que es mi vida desde que yo nací!

Todo esto viene en medio del silencio profundo

en que la noche envuelve la terrena ilusión,

y siento como un eco del corazón del mundo

que penetra y conmueve mi propio corazón.

 

Vous qui avez ausculté le cœur de la nuit ; 

vous qui, dans votre insomnie inexorable, avez scruté de l'oreille 

le choc d'une porte qui se ferme, le roulement d'une voiture 

lointaine, un écho vague, un bruit ténu...

Durant les instants d'un mystérieux silence, 

quand de leur prison surgissent les oubliés,

à l'heure des morts, à l'heure du repos,

vous saurez lire ces vers d'amertume pétris... `

Comme en un vase j'y déverse mes douleurs

de lointains souvenirs et de malheurs funestes,

et les tristes nostalgies de mon âme, ivre de fleurs

et le deuil de mon cœur attristé par les fêtes.

Et le chagrin de n'être pas ce que j'aurais été

la perte du royaume qui m'était destiné, 

penser qu'un instant j'aurais pu ne pas naître,

le songe qu'est ma vie depuis que je suis né!

Je pense à tout cela dans le profond silence

où la nuit enveloppe la terrestre illusion,

et je sens comme un écho du cœur de l'univers

qui pénètre mon cœur et le navre.

 


En 1906, Rubén Dario assiste à Rio de Janeiro, comme membre de la Délégation du Nicaragua, à la conférence panaméricaine qui y déroula cette année-là ses travaux. Il écrivit en cette occasion solennelle sa "Salutación al Aguila" (Bienvenu sois-tu, Aigle magique aux ailes énormes et fortes, pour étendre sur le Sud ta grande ombre continentale, Apporter en tes serres annelées de rouges brillants, Une palme de gloire, de la couleur de l'immense espérance, et dans ton bec l'olive d' une paix vaste et féconde). Le poète chantait dans cet hymne aux Etats-Unis la majesté et la force du Yankee, qui devait apprendre aux fils indo-afro-latins de l'Amérique "la constance, la vigueur, le caractère" (le condor des Andes était alors le frère de l'aigle "Aigle, le condor existe. Il est ton frère dans les grandes hauteurs").

Le ton était bien différent lorsque, deux ans plus tôt, à Malaga, Ruben Dario s'était montré particulièrement ému par les actes de force des U.S.A. (guerre contre l'Espagne en 1898, d'où s'ensuivit la perte de Cuba, de Porto-Rico et des Philippines pour la Péninsule, suivi du détachement, de la République de Colombie, du territoire qui forme l'actuel Panama en 1903). Il avait alors invectivé Théodore Roosevelt, président des Etats-Unis de 1901 à 1909. Dieu est du côté de l'Amérique Latine, proclamait-il à Managua en 1885. "« Non, je ne puis pas, je ne veux pas être du côté de ces buffles aux dents d'argent. Ce sont mes ennemis, ils détestent le sang latin, ce sont les Barbares. Je les ai vus, ces Yankees, dans leurs écrasantes cités de fer et de pierre, et les heures que j'ai vécues parmi eux je les ai passées avec une vague angoisse. Il me semblait éprouver l'oppression d'une montagne, je souffrais de respirer en un pays de cyclopes, de mangeurs de chair crue, de forgerons bestiaux, d'habitants de maisons de mastodontes. Rouges, lourds, grossiers, ils vont dans les rues en se poussant et en se heurtant d'une façon animale, à la chasse du dollar. L'idéal de ces Calibans est limité à la bourse et à l'usine. Ils mangent, mangent, calculent, boivent du whisky et font des millions. Ils chantent Home, sweet home !, et leur foyer est un compte courant, un banjo, un nègre et une pipe ». Aussi écria-t-il dans El Tiempo de Buenos Aires le 20 mai 1898,  Je suis l'ami de l'Espagne au moment où je la vois attaquée par un ennemi brutal qui porte comme drapeau la violence, la force et l'injustice".

L'Espagne que je défends "s'appelle Noblesse, Idéal; elle s'appelle Cervantes, Quevedo, Gongora, Gracian, Velazquez; elle s'appelle le Cid, Loyola, Isabelle; elle s'appelle la Fille de Rome et la Sœur de la France, la Mère de l'Amérique. Miranda préférera toujours Ariel; Miranda est la grâce de l'esprit; et toutes les montagnes de pierres, de fer, d'or, et de porcs, ne suffiront pas pour que mon âme latine se prostitue à Caliban!"....

Retourné en Amérique en 1906, on retrouve Rubén Darío en Espagne en 1908, mais, cette fois, en qualité de ministre du Nicaragua. Destitué un peu plus tard, il vint s'installer à Paris en 1910. Il n'y restera pas longtemps. Collaborant à la revue Mundial, il s'en fait le propagandiste partout où la langue castillane est à l'honneur. En 1913, d'un séjour qu'il fait à Majorque, il en tire matière du seul roman qu'il ait écrit, "Oro de Mallorca" (L'Or de Majorque)...

 

"El Canto Errante" (1907, Chanson errante)

Ruben Diaro a quarante ans et dédie son recueil "aux nouveaux poètes des Espagnes" avec la belle "Oda a Mitre" et des compositions écrites parfois douze ou quinze ans auparavant, un hymne exalté à la gloire de l'Amérique (Desde la pampa, Tutecotzimi) et son chef d'oeuvre, "La cancion de los pinos" (La chanson des pins)...

 

MOMOTOMBO

 

 EL TREN iba rodando sobre sus rieles. Era

en los días de mi dorada primavera

y era en mi Nicaragua natal.

De pronto, entre las copas de los árboles, vi

un cono gigantesco, “calvo y desmudo”, y

lleno de antiguo orgullo triunfal.

 

Le train roulait sur ses rails. C'était

au temps de mon printemps doré

et en mon Nicaragua natal.

Tout à coup, entre les cimes des arbres je vis

un cône gigantesque, "chauve et nu", et

d'antique orgueil triomphal empli.

 

"Ya había yo leído a Hugo y la leyenda

que Squier le enseñó. Como una vasta tienda

vi aquel coloso negro ante el sol,

maravilloso de majestad. Padre viejo

que se duplica en el armonioso espejo

de un agua perla, esmeralda, col.

Agua de un varia verde y de un gris tan cambiante,

que discernir no deja su ópalo y su diamante,

a la vasta llama tropical.

Momotombo se alzaba lírico y soberano,

yo tenía quince años: ¡una estrella en la mano!

Y era en mi Nicaragua natal,

Ya estaba yo nutrido de Oviedo y de Gomara,

y mi alma florida soñaba historia rata,

fábula, cuento, romance, amor

de conquistas, victorias de caballeros bravos,

incas y sacerdotes, prisioneros y esclavos,

plumas y oro, andacia, esplendor.

Y llegué y vi en las nubes la prestigiosa testa

de aquel cono de siglos, de aquel volcán de gesta,

que era ante mí de revelación.

Señor de las alturas, emperador del agua,

a sus pies el divino lago de Managua,

con islas todas luz y canción.

¡Momotombo! —exclamé— ¡oh nombre de epopeya!

Con razón Hugo el grande en tu onomatopeya

ritmo escuchó que es de eternidad.

Dijérase que fueses para las sombras dique,

desde que oyera el blanco la lengua del cacique

en sus discursos de libertad.

 

 Padre de fuego y piedra, yo te pedí ese día

tu secreto de llamas, tu arcano de armonía,

la iniciación que podías dar;

por ti pensé en lo inmenso de Osas y Peliones,

en que arriba hay tizanes en las constelaciones

y abajo dentro la tierra y el mar.

¡Oh Momotombo ronco y sonoro! Te amo

porque a tu evocación vienen a mí otra vez,

obedeciendo a un íntimo reclamo,

perfumes de mi infancia, brisas de mi niñez.

¡Los estandartes de la tarde y de la aurora!

Nunca los vi más bellos que alzados sobre ti,

toda zafir la cúpula sonora

sobre los triunfos de oro, de esmeralda y rubí.

Cuando las babilonias del Poniente

en purpúreas catástrofes hacia la inmensidad

rodaban tras la augusta soberbia de tu frente,

eras tú como el símbolo de la Serenidad,

En tu incesante hornalla ví la perpetua guerra,

en tu roca unidades que nunca acabarán.

Sentí en tus terremotos la brama de la tierra

y la inmortalidad de Pan.

¡Con un alma volcánica entré en la dura vida,

Aquilón y huracán sufrió mi corazón

y de mi mente mueven la cimera encendida

huracán y Aquilón!

Tu voz escuchó un día Cristóforo Colombo;

Hugo cantó tu gesta legendaria. Los dos

fueron como tú, enormes, Momotombo,

montañas habitadas por el fuego de Dios.

¡Hacia el misterio caen poetas y montañas;

y romperáse el cielo de cristal

cuando luchen sonando de Pan las siete cañas

y la trompeta del Juicio Final!

 

J'avais déjà lu Hugo et la légende

que Squier lui apprit. Comme une vaste tente

je vis ce noir colosse contre le soleil,

merveilleux en sa majesté. Vieux père

se reflétant en l'harmonieux miroir

d'une eau couleur perle, émeraude, chou.

Eau d'un vert variable et d'un gris si changeant,

qu'elle ne laisse distinguer son opale et son diamant,

sous le vaste incendie tropical.

Momotomho se dressait lyrique et souverain;

moi j'avais quinze ans : une étoile à la main !

Et c'était en mon Nicaragua natal.

J'étais alors nourri d'Oviedo, de Gomara,

mon âme en fleur rêvait des histoires étranges,

fables, contes, romances, amours

de conquérants, victoires de vaillants chevaliers,

incas et prêtres, prisonniers et esclaves,

plumes et or, splendeur, audace.

J'approchai et je vis dans les nuées la tête prestigieuse

de ce cône chargé de siècles, de ce volcan de geste

devant moi surgi comme révélation.

Seigneur des hauteurs, empereur de l'eau, 

à ses pieds l'admirable lac de Managua,

avec ses îles toutes lumière et chanson.

Momotombo ! - m'écriai-je -, ô nom d'épopée !

Hugo le grand avec raison en ton onomatopée

écouta un rythme d'éternité.

On dirait que tu fus rempart contre les ombres

dès que le Blanc entendit le cacique en sa langue

discourir sur la liberté.

 

Père de feu et de pierre, ce jour-là je te demandai

le secret de tes flammes, l'arcane de ton harmonie,

l'initiation que tu pouvais donner;

Par toi je pensai à l'immensité d'Ossa et de Pélion,

qu'il y a là-haut des titans dans les constellations

et ici-bas dans la terre et la mer.

O Momotombo rauque et sonore ! Je t'aime :

quand je t'évoque à ma mémoire reviennent,

obéissant à l'appel de mon cœur,

parfums et brises de mon enfance.

Les étendards du soir et de l'aurore`!

Jamais je ne les vis plus beaux que sur toi dressés,

toute de saphir la coupole sonore

sur la gloire de l'or, de l'émeraude et du rubis.

Lorsque les Babylones du Couchant

en pourpres catastrophes vers l'immensité

roulaient derrière l'auguste superbe de ton front,

tu étais comme symbole de la Sérénité.

En ton creuset sans repos je vis guerre incessante,

en ton roc l'unité qui jamais ne finira. 

J'ai senti en tes tremblements le rut de la terre

et l'immortalité de Pan.

Avec une âme volcanique j'entrai dans la vie dure,

mon cœur souffrit l'Aquilon, l'Ouragan,

et de mon esprit agitent le cimier enflammé

l'Ouragan, l'Aquilon !

Christophe Colomb jadis a écouté ta voix;

Hugo chanta ta geste légendaire. Tous deux

furent, comme toi, énormes, Momotombo.

montagnes habitées par le feu de Dieu;

Vers le mystère tombent poètes et montagnes:

et le ciel de cristal se brisera

quand lutteront sonores de Pan les sept roseaux

et la trompette du Jugement Dernier !

 


"VERSOS DE OTOÑO" (STANCES D'AUTOMNE, Madrid 1905)

CUANDO mi pensamiento va hacia ti, se perfuma;

tu mirar es tan dulce, que se torna profundo.

Bajo tus pies desnudos aun hay blancor de espuma,

y en tus labios compendias la alegría del mundo.

El amor pasajero tiene el encanto breve,

y ofrece un igual término para el gozo y la pena,

Hace una hora que un nombre grabé sobre la nieve;

hace un minuto dije mi amor sobre la arena.

 Las hojas amarillas caen en la alameda,

en donde vagan tantas parejas amorosas.

Y en la copa de Otoño un vago vino queda

en que han de deshojarse, Primavera, tus rosas.

 

Quand mon rêve sur toi se pose, il se parfume ; 

Si douce est ta beauté qu'elle en devient profonde. 

Sous tes pieds nus persiste une blancheur d'écume. 

Ta lèvre a résumé l'allégresse du monde.

De l'éphémère amour, le charme est périssable ; 

Il offre un but semblable à la joie ou la peine ; 

Je traçais tout à l'heure un doux nom sur la neige ; 

A l'instant j'écrivais mon amour sur le sable.

Voici que dans l'allée erre la feuille jaune, 

L'allée accoutumée aux formes amoureuses... 

Un peu de vin persiste en la coupe d'automne 

Où tu vas effeuiller, ô cher Printemps, tes roses.

 


"La cancion de los pinos" (La chanson des pins, 1907)

¡OH PINOS, oh hermanos en tierra y ambiente,

yo os amo! Sois dulces, sois buenos, sois graves.

Diríase un árbol que piensa y que siente,

mimado de auroras, poetas y aves.

Tocó vuestra frente la alada sandalia;

habéis sido mástil, proscenio, curul,

¡oh pinos solares, oh pinos de fralia,

bañados de gracia, de gloria. de azul!

Sombríos, - sin oro del sol, taciturnos,

en medio de brumas glaciales y en

montañas de ensueños, oh pinos nocturnos,

¡oh pinos del norte, sois bellos también!

Con gestos de estatuas. de mimos, de actores,

tendiendo a la dulce caricia del mar,

¡oh pinos de Nápoles, rodeados de flores,

oh pinos divinos, no os puedo olvidar!

 Cuando en mis errantes pasos peregrinos

la Isia Dorada me ha dado un rincón

do soñar mis sueños, encontré los pinos,

los pinos amados de mi corazón.

Amados por tristes, por blandos, por bellos.

Por su aroma, aroma de una inmensa flor,

por su aire de monjes, sus largos cabellos,

sus savias, ruidos y nidos de amor.

¡Oh pinos antiguos que agitara el viento

de las epopeyas, amados del sol!

¡Oh líricos pinos del Renacimiento,

y de los jardines del suelo español!

Los brazos eolios se mueven al paso

del aire violento que forma al pasar

ruidos de pluma, ruidos de raso,

ruidos de agua y espumas de mar.

¡Oh noche en que trajo eu mano, Destino,

aquella amargura que aun hoy es dolor!

La tuna argentaba lo negro de un pino,

y fui consolado por un ruiseñor,

Románticos somos... ¿Quién que Es, no es romántico?

Aquel que no sienta ni amor ni dolor,

aquel que no sepa de beso y de cántico,

que se ahorque de un pino: será lo mejor...

Yo no. Yo persisto, Pretéritas normas

confirman mi anhelo, mi ser, mi existir.

¡Yo soy el amante de ensueños y formas

que viene de lejos y va al porvenir!

 

Oh pins, mes frères sur terre et dans le ciel,

je vous aime! Vous êtes doux, vous êtes graves et bons

On dirait un arbre sensible et qui médite

choyé par l'oiseau, le poète et l'aurore.

La sandale ailée a touché votre front;

vous fûtes mât, proscenium ou trône,

oh pins solaires, pins d'ltalie,

baignés de grâce, d'azur, de gloire!

Sombres, sans l'or du soleil, taciturnes,

au sein des brumes glaciales et sur

des monts de rêves, oh pins nocturnes,

oh pins du Nord, vous êtes beaux aussi !

Gestes de mimes, de statues, d'acteurs,

ployés vers la douce caresse des vagues,

oh pins de Naples, entourés de fleurs,

oh pins divins, vous oublier ne puis l

Quand au cours de mes errances étranges

l'Ile Dorée m'a offert un asile

où rêver mes rêves, j'ai trouvé les pins

les pins bien-aimés de mon cœur.

Aimés pour leur tristesse, leur beauté leur douceur.

Le parfum qu'ils exhalent comme une immense fleur;

pour leur air monacal et pour leurs longs cheveux,

leurs sèves, et leurs bruits, et pour leurs nids d'amour.

Oh pins antiques qu'agita le vent

des épopées, chéris par le soleil!

Oh pins lyriques de la Renaissance,

et des jardins de la terre espagnole!

Les bras éoliens se meuvent au souffle

des rafales qui font en passant

des bruits de plume, de satin,

des rumeurs d'eau et d'écumes marines.

Oh nuit où ta main m'apporta, ô Destin,

ce goût de fiel qui m'est encor douleur !

La lune argentait la ténèbre d'un pin,

et je fus consolé par un rossignol.

Romantique je suis... Mais quel Homme ne l'est ?

Ah! celui qui ne sait ni souffrir ni aimer,

ni goûter la saveur du chant et du baiser 

qu'il se pende à un pin, ça vaudra mieux pour lui.

Moi non. Moi je persiste. Des temps anciens les normes

confirment ma passion, mon être entier, ma vie.

Moi je suis l'amoureux des rêves et des formes

qui arrive de loin et va vers l'avenir.

 


Rubén Darío quitte enfin l'Europe, et affecté par des excès de toute sorte, contracte une pleurésie en arrivant à New York en 1914 pour mourir dans sa patrie, au Nicaragua, en 1916, date à laquelle il publiera "La Vida de Ruben Dario escrita por el mismo".

 

HISTOIRE DE MES LIVRES i

CHANTS DE VIE ET D'ESPÉRANCE

EXTRAIT

Certes, j'ai toujours eu, depuis les premiers jours de ma vie, la préoccupation profonde des fins de l'existence, la terreur de rinconnu, la peur de la tombe, ou, plutôt, la peur de l'instant où le cœur cesse de battre, et où la vie s'évade de notre corps. Dans ma détresse, je me suis jeté vers Dieu comme vers un refuge, je me suis saisi de la prière ainsi que d'une planche de salut. Mon cœur s'est empli d'affliction, quand j'ai examiné le fond de mes croyances, quand je n'ai pas trouvé ma foi assez solide ni assez fondée, quand le conflit de mes idées m'a fait vaciller et quand je me suis senti dépourvu de tout appui cons- tant et sûr. Toutes les philosophies m'ont paru impuissantes et quelques-unes abominables, œuvres de fous et de malfaiteurs. Par contre, j'ai salué avec gratitude, depuis Marc-Aurèle jus- qu'à Bergson, tous ceux qui donnent des ailes, de la tranquillité d'âme, des vols paisibles et qui nous apprennent à comprendre de la meilleure manière possible, l'énigme de notre séjour sur la terre.

Et 'le mérite principal de mon œuvre, si tant est qu'elle en ait, c'est d'être empreinte d'une grande sincérité, d'avoir mis mon « cœur à nu » et d'avoir ouvert toutes grandes les portes et les fenêtres de mon château intérieur pour montrer à mes frères le sanctuaire de mes plus intimes pensées et de mes songes les plus chers. J'ai connu ce que sont les cruautés et les folies des hommes. J'ai été payé d'ingratitude, trahi, calomnié, méconnu dans unes meilleures intentions par des proches mal inspirés, j'ai été attaqué, vilipendé. Et j'ai souri avec tristesse. Après tout, j'ai senti le néant de toutes choses, la gloire y comprise. S'il est vrai que « le buste survive à U cité », il n'est pas moins vrai que dans l'infini de l'espace et du temps, le buste, la cité, et la planète même, hélas ! disparaîtront sous le regard impassible de l'Éternité !

 

EXTRAIT

... Et j'extériorise ainsi en vers transparents, simples et pleins d'une musicalité intérieure, les secrets de mon existence combative, les coups de la fatalité, les inévitables retours du destin. Il y a peut-être, çà et là, trop de désespérance; il n'en faut accuser que ces instants mémorables pendant lesquels une main des ténèbres fait vibrer davantage les fibres douloureuses de nos nerfs. Et les vérités de ma vie : « une vaste douleur et d'infimes préoccupations », « le voyage vers un vague Orient sur des barques entrevues », « la graine des oraisons qui fleurit en blasphèmes », « les effarements du cygne dans les mares », « le faux azur nocturne de la bohème détestée »... Oui, plus d'une fois j'ai pensé que j'aurais pu être heureux, si le « rude destin » ne s'y était opposé. La prière m'a toujours sauvé, la prière et la foi ; mais souvent aussi, le malin m'a attaqué de .toutes ses forces, me versant dans l'esprit le doute et la colère. Mais quoi ? Les plus grands saints n'ont-ils pas subi de plus terribles assauts. J'ai traversé des bourbiers. Je puis dire avec le courageux Mexicain : « Il y a des plumages qui traversent la boue des marais sans se salir; mon plumage est de ceux-là ». Quant à la bohème détestée, aurais-je perdu tant d'heures de ma vie dans l'agitation des nuits blanches, dans l'euphorie artificielle et désorbitée des alcools, dans la dissipation d'une jeunesse trop robuste, si la fortune m'avait souri, et si le caprice et les tristes erreurs d'autrui, ne m'avaient empêché, après une mort qui me fut cruelle, de fonder un foyer!...

Espérance qui sent l'odeur des herbes fraîches Trille du rossignol, printanier, matinal, Lys trop tôt fauché qui sur sa tige sèche, Recherche du bonheur et poursuite du mal.

Et que grâces soient rendues à la raison suprême si je puis m'écrier ainsi que je le fis dans le premier vers de ce livre : « Si je ne suis tombé, c'est que Dieu était bon ».

 

LE VOYAGE AU NICARAGUA

EXTRAIT

... Quand les heures furent venues des épanchements oratoires, je contais à mes compatriotes mes longues rêveries et mes sincères intentions. Je répéterai ici quelques-unes de mes paroles, car je désire que l'on sache que dans ces instants, je fus reconnaissant à la nation Argentine et à mes amis de Buenos- Ayres. Je leur dis qu'un éminent espagnol, le recteur de l'Université de Salamanque, don Miguel de Unamuno, m'avait écrit, au sujet de mon retour à la patrie originelle, de belles paroles qui parlaient du grec Ulysse et de la merveilleuse Odyssée.

« Il n'est rien qui convienne davantage — exprime-je — à ce retour vers mes lares, que la générosité de mes compatriotes, l'élévation du niveau intellectuel et une orgueilleuse et palpitante sympathie ont transformé en une apothéose, à peine méritée par les souffrances de l'absence et par ce parfum du cœur de la terre maternelle que le temps ni la distance n'ont pu effacer. Je pourrais dire avec une juste fierté que j'ai vu sauter le chien sur le seuil de ma maison, et que ma Pénélope c'est cette Patrie, que s'il est vrai qu'elle tisse et défait sans cesse la toile de l'avenir, ce n'est que dans l'attente du moment qui lui permettra d'y broder une parole d'agrandissement, un mot magique que l'on prononcera pour que les portes d'un glorieux futur laissent passer le triomphe national définitif.

« La ville de Brème a pour devise un dicton latin que le prestigieux d'Annunzio a repris dans un de ses poèmes harmonieux et cosmiques : « Navigare necesse est, vivere non est necesse ».

« J'ai navigué et j'ai vécu ; Talada a été accueillante pour moi autant que Démétrius, et si la récolte d'angoisses fut copieuse, je ne puis nier qu'il m'ait été donné de contribuer au progrès de notre race, et à l'élévation du culte de l'Art dans une génération deux fois continentale. Que les anciennes tribulations soient bénies si elles ont aidé à ce résultat ^t bénie soit aussi la conviction qui toujours m'anima de ce qu'il est nécessaire de vivre. Ulysse revint chargé d'expérience et celle que j'apporte est enrichie d'un trésor d'espérances. Avant tout je veux dire à mes compatriotes qu'après avoir demeuré long- temps parmi les peuples étrangers, après avoir étudié leurs coutumes, mesuré leurs vies, pesé leurs progrès et apprécié leur civilisation, j'ai la conviction certaine que nous ne serons pas les derniers parmi ceux qui dans le chœur des nations maintiendront l'âme latine, ses prestiges et sa haute valeur, dans les prochaines et décisives agitations mondiales. J'ai vécu au Chili, pays combattif et pratique qui a su aussi s'affermir dans la paix. J'ai vécu dans la République Argentine dont les progrès étonnent le monde, terre qui me fut maternelle, et dont le drapeau bleu et blanc renouvelait chez moi une nostalgique illusion patriotique. J'ai vécu en Espagne, la mère Patrie. J'ai vécu en France, la Patrie Universelle. Et rien ne me donnait plus d'orgueil, rien ne m'était plus doux que d'entendre le nom d'un compatriote répété par la renommée scientifique, par la voix autorisée de l'histoire ou par la célébrité littéraire ; et quand parfois malheureusement, le monde apprenait nos lamentables dissentiments, je ne pouvais contenir les battements de mon cœur devant nos Victoires que l'Europe commentait.

« L'Espagne pleure encore l'un de ses grands hommes dis- parus qui s'appela Angel Ganivet. Cet éminent Andalous, qui des régions boréales, envoya tant de lumière à la Terre Maternelle. Ce Grenadin aujourd'hui glorifié rapporte l'histoire d'un homme de Matagalpa qui, après avoir parcouru les Afriques torrides et les lointaines Asies, s'en fut mourir dans un hôpital belge, et l'appela pour lui confier ses dernières pensées. Je ne sais comment s'appelait cet homme de Matagalpa, mais je sais que ce compatriote ignoré, dans sa modestie représentative, avait peut-être vu comme moi dans les constellations que contemplaient ses yeux de voyageur, les paroles classiques : « Navigare necesse est, vivere non est necesse ».

" Si notre pays est peut-être demeuré en retard dans le vaste concert du progrès hispano-américain, cela est dû à des raisons ethniques et géographiques qui seront aplanies, à des motifs qu'expliquent des conditions particulières : nos antécédents historiques et l'absence de cette transfusion migratoire qui, dans d'autres pays, a réalisé des prodiges. Mais nous avons prouvé de façon pratique et vitale, qu'une impulsion opportune, une application de hautes et généreuses énergies, maintenue en accord avec les exigences de l'organisme national peuvent, devant la révision des valeurs universelles, démontrer que, en dehors de la population et de l'influence commerciale, on peut être quelqu'un dans le monde. »

«... Peut-être attendait-on de moi un discours fleuri de rhétorique et parfumé de poésie. Je sais ce que je dois à la terre de mon enfance et à la ville de ma première jeunesse; ne croyez pas que dans mes agitations de Paris, dans mes nuits de Madrid, dans mes soirs de Rome, dans mes crépuscules de Palma de Majorque, je ne fus jamais visité par des pensées telles que celles-ci : le carillon des vieilles cloches de notre cathédrale, ou la renaissance de ces jours si purs où d'étranges fleurs formaient des tapis de pétales et de parfums dans l'attente d'un Seigneur de triomphe, qui venait toujours, comme dans la Bible, monté sur un âne charmant et précédé de palmes vertes.

"Ayant vécu éloigné et comme étranger à vos dissentiments politiques, je ne me crois pas même le droit d'y faire allusion. J'ai lutté et j'ai vécu, non pour des gouvernements mais pour la Patrie; et s'il est un exemple que je veuille donner à la jeunesse de cette terre ardente et féconde, c'est celui d'un homme qui., d'une façon désintéressée, se consacra à des idées d'art, qui fut aussi peu positif que possible et qui, après avoir été acclamé par des peuples pratiques, revint dans son foyer accueilli par des airs de triomphe; et moi, qui dis un jour que je ne pourrai chanter un Président de la République, dans la langue dont je me servirai pour chanter Halagaabal, je me plais aujourd'hui à proclamer la vitalité de l'œuvre de cet homme qui a transformé l'ancienne Nicaragua, et nous a donné l'orgueil de notre suffisance immédiate, et la presque certitude de notre avenir puissant.

« Léon avec ses tours, ses cloches, ses traditions; Léon ville noble et universitaire a toujours été dans ma mémoire, efficace et présente; depuis l'odeur des herbes écrasées dans mes promenades de gamin, depuis la vision du perroquet qui couve à l'air libre ses œufs d'ambre et d'or, depuis les boules de mimosa qui un jour à Palma de Majorque éveillèrent mes souvenirs d'enfance, depuis les échos des vagues qui, sur la Méditerranée merveilleuse répétaient les voix du « Playon » ou les rumeurs du « Poneloya » j'eus toujours en mer et sur terre la pensée de la Patrie. Et que ce fût dans l'âpre Afrique, à Naples la divine, ou dans l'illustre Paris, toujours en moi s'élevait une pensée, un soupir que j'offrais à la vieille cathédrale, à la vieille cité, à mes vieux amis ; et c'est un fait qui s'expliquerait physiologiquement : comment dans le fond de mon cerveau résonnait le son des vieilles cloches et l'accent des anciennes paroles.

« ... Avant que de partir, je veux dire à mes amis d'autrefois, à mes camarades d'aujourd'hui et de demain, à ceux qui s'honorent de se dire mes disciples et en qui j'aperçois la faculté patriotique vitale, je veux leur dire ceci : il est en bon chemin, celui qui poursuit une illusion, quelle que soit cette illusion; il est en bon chemin, l'homme pratique qui, dans son illusion bancaire croit préparer d'heureux lendemains ; il est en bon chemin celui à qui son illusion politique procure des ambitions plausibles et des rêves pleins d'honneurs et celui qui par un fatal penchant doit chercher entre les étoiles un insaisissable profit ; il est en bon chemin s'il porte sa conscience sur la main et si son cœur est avec lui.

«... Par Oviedo Gomara et d'autres historiens des Indes j'ai connu quelque chose de notre terre ancienne et de ses enchantements originels. Je désire que la jeunesse de mon pays soit pénétrée de cette idée essentielle que, pour petit que soit le morceau de terre qui nous vit naître, il peut donner un Homère, si c'est la Grèce, un Guillaume Tell si c'est la Suisse ; et qu'elle sache aussi, que tout comme les individus, les nations ont leur visage et leur personnalité qui fixent les lois de leur destin, et qui donnent toute sa valeur à la place que Dieu leur assigna dans le plan presque inimaginable du progrès universel.

« J'éprouve une satisfaction profonde quand je vois la génération actuelle qui représente l'esprit de notre terre, briller dans l'armée internationale du Continent autant par la quantité que par la qualité. Nous possédons des matières premières en abondance, et ce n'est pas pour rien que Victor Hugo choisit le Momotombo, entre tous les volcans d'Amérique, pour lui faire chanter les merveilleux alexandrins de sa « Légende des Siècles »...


ET POUR NE PAS CONCLURE ...

Le grand écrivain vénézuélien Mariano Picon-Salas (1901-1965), explorateur du champ alors peu étudié de la littérature autobiographique en Amérique latine, raconte dans "Regreso de tres mundos" (Au Carrefour de trois mondes, 1964) qu'étant adolescent il lisait beaucoup Rubén Dario, "tout comme tous les jeunes garçons hispano-américains d'alors " :

"... Après les morceaux choisis de littérature scolaire, venait ce prince indien chargé de bijoux et de papillons, chargé aussi, parfois, de luxure, de lassitude ou de panique... L'angoisse d'un métis issu d'une des régions les plus attardées de l'Amérique latine, vivant encore dans la crainte des légendes et des mythes ancestraux et jeté dans le courant de cette cruelle civilisation mécanique, le poète des "Chants de vie et d'espérance" nous la traduisait magnifiquement. Jamais Rubén Dario n'était plus "colonial", plus hispano-américain, que lorsqu'il prétendait être plus parisien et plus cosmopolite. Les dessins d'une tapisserie rococo, la mélodie d'une pastorale, le rendez-vous dans un pavillon avec une femme masquée, l'émouvaient de façon nouvelle et ingénue, comme cela n'arriverait jamais à un Européen, pour qui tout cela est familier...

'est presque le premier poète qui naquit à la littérature hispano-américaine, engourdie jusqu'alors dans des bouquins néo-classiques, égrenant placidement les épis des études de mœurs les plus banales et somnolant devant le dictionnaire des rimes ou collectionnant les fautes de grammaire. Le pauvre Dario témoignait de cette lutte terrible de l'artiste précoce surgi avant son temps. Toujours en voyage, du Nicaragua au Chili, à Buenos Aires et ensuite en Europe, à la poursuite de ce qu'il appela avec une touche de préciosité ingénue "la libellule vague d'une vague illusion" ! Cette déficience qui nous est propre, à nous qui sommes nés dans ce coin oublié de la planète, lui faisait rechercher avec une passion ardente et désordonnée ce butin de beauté et de culture dont nous manquions.

Son admirable poésie, que les érudits de nos villages trouvaient si exotique, c'était cette aventure personnelle, terrible, désespérée, où il pouvait faire siens en même temps la poésie grecque, l'épopée française, les alexandrins perdus dans une chanson de geste, les "dezires" du Moyen Age espagnol, la "Soledad" compliquée de Gongora, la musique wagnérienne, et le fondu des couleurs des symbolistes.

Mais comme on retrouve chez lui l'Amérique espagnole ! dans cette fusion colorée de tant de choses, dans cette habileté de lapidaire indigène, qui fait briller, parmi les thèmes occidentaux, ses joyaux de jade, ses iguanes, ses crapauds et les lézards, dans cette crainte superstitieuse du péché, dans cette sensualité énervée et dans cet étonnement d'enfant avec lequel Dario jouit et nous fait jouir de toutes les fleurs des différentes civilisations, comme liées en un même bouquet ! Ce qu'il avait vécu, rêvé, lu, la rhétorique et la vérité allaient pêle-mêle dans le même courant.

N'est-ce pas là une constante de l'écrivain et de l'artiste sud-américain ? » ...