Gustave Le Bon (1841-1931), "La Psychologie des
foules" (1895) - Gabriel Tarde (1843-1904), "Les Lois de l’imitation" (1890) - Scipio Sighele (1868-1913), "La folla delinquente" (La Foule criminelle, 1891) - Pasquale Rossi (1867-1905),
"L'animo della folla" (1898), "Psicologia collettiva" (1899), "Les suggesteurs et la foule" (1904) - ......
Last update: 31/11/2016
La fin du XIXe siècle installe progressivement une nouveau tissu de communication sociale: la liberté de la presse, l'industrialisation, le développement des échanges, mais aussi les mouvements sociaux urbains, et tout simplement l'intervention du nombre comme facteur politique, le poids arithmétique des majorités contre les élites, donnent aux médias et à l'opinion une place nouvelle dans la société. Gustave Le Bon, Scipio Sighele ou Pasquale Rossi vont ainsi s'intéresser à l'émergence de l'opinion publique, privilégiant une vision manipulatrice du rôle de la presse sur la formation de l'opinion ou, en Italie, penser la foule dans le contexte des transformations politiques et sociales en cours : l'évolution humaine ne peut être uniquement le fait d'un ou plusieurs individus, fussent-ils exceptionnels; la foule possède une dynamique qui lui est propre; elle a son langage, ses mythes, ses états psycho-collectifs qui peuvent s'avérer nécessaire pour valider toute action de transformation politique...
Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), le futur initiateur du mouvement futuriste italien au début du XXe siècle, alors à Paris en 1898, décrit
dans la Revue Blanche "Les émeutes milanaises de mai 1898" : mêlant angoisse et enthousiasme, il décrit la transfiguration de la métropole lombarde sous la fièvre du soulèvement populaire, une
foule urbaine devenue "criminelle", violente, et par-là porteuse d'une certaine esthétique ("Une foule de quatre cent mille habitants en marche a tôt fait de créer de la Beauté suivant les
lois d’une esthétique toute spéciale d’ampleur, d’intensité et de violence").
Dans "Gabriele D'Annunzio intime " (1903, "Les Dieux s’en vont, d’Annunzio reste, Paris, 1908), Marinetti rappele que D'Annunzio rêvait de pouvoir
bouleverser le peuple, la foule, d’un tour de phrase, d'un poème. Les prouesses lyriques d'un poète sont insignifiantes face à ces foules milanaises "habituées aux paraboles véhémentes de Turati,
aux coups de massue de Ferri et à son style couleur de pain blanc". En cette fin du XIXe et début du XXe siècle, les pionniers italiens de la psychologie collective que sont Pasquale Rossi
et Scipio Sighele annoncent le déferlement de ces foules belles, modernes et violentes....
Les précurseurs de Gustave Le Bon et de sa "Psychologie des foules" sont donc pour une grande part italiens : Cesare Lombroso (1835-1909), professeur de psychiatrie à l'université de Turin et criminologue ("l’Uomo delinquente", 1876) pour lequel le criminel est avant tout un malade que les facteurs d'hérédité et de maladies nerveuses prédisposent à la délinquance ; Giuseppe Sergi (1841-1936), le père de l'anthropologie italienne et le théoricien de la « race méditerranéenne », qu'il oppose à la théorie aryenne alors en vogue (L'uomo, secondo le origini, l'antichità, le variazioni e la distribuzione geografica, 1911); Alfredo Niceforo (1876-1960), auteur d'une "Antropologia delle classi povere" (1908), tous cherchent à théoriser l'influence de l'environnement social ou des facteurs biologiques entrant dans la construction du criminel, futur ou avéré : à l'époque toute violence sociale est criminelle, et l'émergence des foules, qui traduit en fait l'émergence des mouvements politiques en Italie (le Partito Socialista Italiano, fondé en 1892 par Filippo Turati et Guido Albertelli est emblématique de la mise en forme de l’action politique des foules), source de pouvoir et de violence potentielle entre 1890 et 1900 ("cette irruption de la foule dans la science est concomitante de son incarnation en tant qu’acteur politique"), devient objet d'interprétation pour Scipio Sighele (1868-1913) et Pasquale Rossi (1867-1905).
Scipio Sighele (1868-1913) publie en 1891 "La folla delinquente" (La Foule criminelle) : il s'y emploie à décrypter les causes mystérieuses d’un type particulier de criminalité, le crime de la foule. "Dans la foule si la pensée se soustrait, le sentiment s’additionne, surtout s’il est atavique et criminel, si bien que s’unir au fond signifie se rendre pire." Ainsi, "l’étude des crimes de la foule, écrit Sighele, est, en effet, très intéressante, surtout pendant cette fin de siècle durant laquelle – de la grève des ouvriers aux soulèvements publics – les violences ne manquent pas. Il semble qu’elle veuille de temps en temps soulager par un crime, tous les ressentiments que les douleurs et les injustices souffertes ont accumulés en elle (..) La science, pas plus que les tribunaux, n’avait jamais pensé que parfois, au lieu d’un seul individu, le coupable pût être une foule. Lorsqu’on voyait paraître devant la justice quelques individus, qu’on avait pu arrêter au milieu d’un tumulte, les juges croyaient avoir devant eux des hommes qui d’eux-mêmes, volontairement, étaient venus s’asseoir sur ces bancs infâmes, tandis qu’ils n’étaient que les quelques naufragés jetés là par la tempête psychologique qui les avait entraînés à leur insu.." Sighele, en considérant le phénomène de la délinquance collective, met ainsi en lumière l’inadaptation des instruments habituels d’analyse, incapables d’expliquer un processus inquiétant : dans la foule l’homme sain se transforme en homme pervers.
"L'école positiviste de droit pénal prouva que le libre arbitre est une illusion de la conscience, elle dévoila le monde, inconnu jusqu'alors, des facteurs anthropologiques, physiques et sociaux du crime, et elle érigea en principe juridique cette idée qui était déjà sentie inconsciemment par tous, mais qui ne pouvait trouver place parmi les formules rigides des juristes, que le crime commis par une foule doit être jugé autrement que celui qui est commis par un seul individu, et cela parce que, dans l'un et l'autre cas, la part que prennent le facteur anthropologique et le facteur social est bien différente. M. Pugliese a été le premier à exposer dans une brochure la doctrine de la responsabilité pénale dans le crime collectif. Il concluait en soutenant la demi-responsabilité de tous ceux qui commettent un crime, entraînés par le courant d'une foule : « Quand c'est une foule, un peuple qui se révolte, écrivait-il, l'individu n'agit pas comme individu, mais il est comme une goutte d'eau d'un torrent qui déborde, et le bras qui lui sert pour frapper n'est qu'un instrument inconscient. » J'ai complété dans la suite la pensée de M. Pugliese en essayant de donner, par une comparaison, la raison anthropologique de sa théorie : j'ai comparé les crimes commis dans l'impétuosité d'une foule au crime commis par un individu aveuglé par la passion. M. Pugliese avait appelé crime collectif ce phénomène étrange et complexe d'une foule qui commet un crime, entraînée qu'elle est par la parole d'un démagogue ou exaspérée par un fait qui est, ou qui lui semble être, une injustice ou une insulte envers elle. J'ai préféré l'appeler simplement crime de la foule, parce que, selon moi, il y a deux formes de crimes collectifs et il est nécessaire de les bien distinguer : il y a le crime par tendance co-naturelle de la collectivité, dans lequel entrent le brigandage, la camorra, la maffia ; et il y a le crime par passion de la collectivité, représenté parfaitement par les crimes que commet une foule..."
Pasquale Rossi (1867-1905) publie "L'animo della folla" (1898), "Psicologia collettiva" (1899), "Les suggesteurs et la foule"
(1904)...
Pasquale Rossi aura sa première expérience de la foule alors qu'étudiant il est arrêté à Naples lors d’une émeute et se retrouve condamné à six mois
de prison. Devenu chirurgien, et socialiste, il s’établit à Cosenza en Calabre. En 1898, il publie ses premiers travaux consacrés à la psychologie collective : alors que les intellectuels
socialistes tentent d'appréhender cette foule, malgré la défiance notamment de Filippo Turati, Rossi est sans doute le premier à s’écarter de la vision pathologique et criminelle de celle-ci au
profit de sa possible éducation ('"follacultura") : "Ce n’est qu’aujourd’hui, écrit Rossi, qu’il est possible de parler d’une science de l’éducation de la foule puisque ce n’est que depuis peu
que la foule appartient et coopère à l’histoire, qu’elle a conscience d’elle-même". Cette éducation de la foule, poursuit-il, s'enracine en premier lieu dans un programme "hygiéniste"
encourageant une population saine et des individus équilibrés psychiquement; à partir de là peut être instauré ce que le socialisme belge ou allemand mettent alors en oeuvre avec des
coopératives, des bibliothèques et des universités populaires: "nous demanderons en vain à la foule émaciée et mal nourrie qu’elle s’éduque". La mise en œuvre de la "follacultura" permettra alors
de délivrer la foule de ses instincts primitifs, d'engager la collectivité dans un processus de civilisation non seulement physique mais moral, non seulement individuel mais
collectif.
"La Psychologie des foules" de Gustave Le Bon (1841-1931) paraît en 1895 : "d'universels symptômes montrent, dans toutes les nations,
l'accroissement rapide de la puissance des foules. L'avènement des foules marquera peut-être une des dernières étapes des civilisations d'Occident... " Le Bon fait de la foule une entité où
les individus sont fondus en une unité soumise à une âme collective qui l'emporte sur les consciences individuelles. Car la foule a sa propre nature psychique, elle est "féminine", impulsive,
mobile, irritable, dominée par une mentalité "magique", mues par des sentiments simples. Mais la vision de Le Bon est très négative : ces comportements collectifs sont en fait l'expression d'une
régression de la société. Il ira plus loin encore en intégrant une dimension raciale dans son analyse : plus les peuples sont primitifs et plus ils sont sujets aux phénomènes de foules. Freud
remettra en cause les postulats d'une telle approche : si un individu accepte de suivre une foule, ne serait-ce pas par un besoin irrépressible de faire partie de la masse? Les motivations et les
conséquences sont alors toutes autres..
De formation médicale, se tournant vers l'anthropologie, fondateur chez Flammarion la célèbre Bibliothèque de philosophie contemporaine, mais aussi par la
suite passionné de physique théorique, Gustave Le Bon écrivit un nombre d'ouvrages considérable : Traité de physiologie humaine (1875) ; Histoire des origines et du développement de l'homme et
des sociétés (1877) ; L'Homme et les sociétés (1880) ; La Civilisation des Arabes (1883) ; Les Civilisations de l'Inde (1887) ; Les Premières Civilisations (1889) ; Lois psychologiques de
l'évolution des peuples (1894) ; La Psychologie des foules (1895) ; Psychologie du socialisme (1898) ; L'Évolution de la matière (1905) ; La Psychologie politique et la Défense sociale (1910) ;
Les Opinions et les Croyances (1911) ; La Révolution française et la psychologie des révolutions (1912).
"Les grands bouleversements qui précèdent les changements de civilisation semblent, au premier abord, déterminés par des transformations politiques considérables : invasions de peuples ou renversements de dynasties. Mais une étude attentive de ces événements découvre le plus souvent, comme cause réelle, derrière leurs causes apparentes, une modification profonde dans les idées des peuples. Les véritables bouleversements historiques ne sont pas ceux qui nous étonnent par leur grandeur et leur violence. Les seuls changements importants, ceux d'où le renouvellement des civilisations découle, s'opèrent dans les opinions, les conceptions et les croyances. Les événements mémorables sont les effets visibles des invisibles changements des sentiments des hommes. S'ils se manifestent rarement, c'est que le fond héréditaire des sentiments d'une race est son élément le plus stable. L'époque actuelle constitue un des moments critiques où la pensée humaine est en voie de transformation. Deux facteurs fondamentaux sont à la base de cette transformation. Le premier est la destruction des croyances religieuses, politiques et sociales d'où dérivent tous les éléments de notre civilisation. Le second, la création de conditions d'existence et de pensée entièrement nouvelles, engendrées par les découvertes modernes des sciences et de l'industrie.
Les idées du passé, bien qu'ébranlées, étant très puissantes encore, et celles qui doivent les remplacer n'étant qu'en voie de formation, l'âge moderne représente une période de transition et d'anarchie. D'une telle période, forcément un peu chaotique, il n'est pas aisé de dire actuellement ce qui pourra sortir un jour. Sur quelles idées fondamentales s'édifieront les sociétés qui succéderont à la nôtre ? Nous l'ignorons encore. Mais, dès maintenant, l'on peut prévoir que, dans leur organisation, elles auront à compter avec une puissance nouvelle, dernière souveraine de l'âge moderne : la puissance des foules. Sur les ruines de tant d'idées, tenues pour vraies jadis et mortes aujourd'hui, de tant de pouvoirs successivement brisés par les révolutions, cette puissance est la seule qui se soit élevée, et paraisse devoir absorber bientôt les autres. Alors que nos antiques croyances chancellent et disparaissent, que les vieilles colonnes des sociétés s'effondrent tour à tour, l'action des foules est l'unique force que rien ne menace et dont le prestige grandisse toujours. L'âge où nous entrons sera véritablement l'ère des foules. Il y a un siècle à peine, la politique traditionnelle des États et les rivalités des princes constituaient les principaux facteurs des événements. L'opinion des foules, le plus souvent, ne comptait pas. Aujourd'hui les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités pèsent peu. La voix des foules est devenue prépondérante. Elle dicte aux rois leur conduite. Ce n'est plus dans les conseils des princes, mais dans l'âme des foules que se préparent les destinées des nations.
L'avènement des classes populaires à la vie politique, leur transformation progressive en classes dirigeantes, est une des caractéristiques les plus saillantes de notre époque de transition. Cet avènement n'a pas été marqué, en réalité, par le suffrage universel, si peu influent pendant longtemps et d'une direction si facile au début. La naissance de la puissance des foules s'est faite d'abord par la propagation de certaines idées lentement implantées dans les esprits, puis par l'association graduelle des individus amenant la réalisation de conceptions jusqu'alors théoriques. L'association a permis aux foules de se former des idées, sinon très justes, au moins très arrêtées de leurs intérêts et de prendre conscience de leur force. Elles fondent des syndicats devant lesquels tous les pouvoirs capitulent, des bourses du travail qui, en dépit des lois économiques, tendent à régir les conditions du labeur et du salaire. Elles envoient dans les assemblées gouvernementales des représentants dépouillés de toute initiative, de toute indépendance, et réduits le plus souvent à n'être que les porte-parole des comités qui les ont choisis..."
Gabriel Tarde (1843-1904) publie en 1890 "Les Lois de l’imitation".
Tarde, qui exerça de 1875 à 1894 les fonctions de juge d'instruction, a lu Leibniz, Hegel, Cournot, et a fait siennes les premières découvertes de la psychologie expérimentale d'un Charcot ou d'un Binet. En 1886, Tarde publie son premier ouvrage, "Criminalité comparée". Le rôle essentiel que Tarde a assigné au thème de l'imitation, à la répétition ainsi qu'aux phénomènes de contagion dans la formation et l'évolution des comportements l'a opposé à Durkheim : "Que serait l'homme sans la société ?", interroge Durkheim, "l'individuel écarté, le social n'est rien", répond Tarde, pour lui il n'y a pas en effet d'autre réalité sociale que l'existence des consciences individuelles. Les individus ne s'allient les uns aux autres qu'à partir du moment où ils adoptent un modèle de référence, qu'à partir du moment où ils imitent leur modèle : c'est bien l'imitation, la répétition, qui permet l'adaptation sociale , donc la vie en société, donc le lien social. Et cette "imitation" opère selon deux lois fondamentales, du dedans vers l'extérieur (les jugements et les désirs sont copiés avant les actes, les croyances avant les modes de vie) puis du supérieur vers l'inférieur (les classes sociales supérieures sont ainsi un modèle pour les inférieures). Cette imitation ne se fait pas sans résistance, sans opposition, mais l'opposition est suivie d'une adaptation qui permet une stabilité provisoire: elle sera remise en cause par une nouvelle invention ... qui sera imitée, etc.
"Y a-t-il lieu à une science, ou seulement à une histoire et tout au plus à une philosophie des faits sociaux ? La question est toujours pendante, bien que, à vrai dire, ces faits, si l'on y regarde de près et sous un certain angle, soient susceptibles tout comme les autres de se résoudre en séries de petits faits similaires et en formules nommées lois qui résument ces séries. Pourquoi donc la science sociale est-elle encore à naître ou à peine née au milieu de toutes ses sœurs adultes et vigoureuses ? La principale raison, à mon avis, c'est qu'on a ici lâché la proie pour l'ombre, les réalités pour les mots. On a cru ne pouvoir donner à la sociologie une tournure scientifique qu'en lui donnant un air biologique, ou, mieux encore, un air mécanique. C'était chercher à éclaircir le connu par l'inconnu, c'était transformer un système solaire en nébuleuse non résoluble pour le mieux comprendre. En matière sociale, on a sous la main, par un privilège exceptionnel, les causes véritables, les actes individuels dont les faits sont faits, ce qui est absolument soustrait à nos regards en toute autre matière. On est donc dispensé, ce semble, d'avoir recours pour l'explication des phénomènes de la société à ces causes, dites générales, que les physiciens et les naturalistes sont bien obligés de créer sous le nom de forces, d'énergies, de conditions d'existence et autres palliatifs verbaux de leur ignorance du fond clair des choses.
Mais les actes humains considérés comme les seuls facteurs de l'histoire! Cela est trop simple. On s'est imposé l'obligation de forger d'autres causes sur le type de ces fictions utiles qui ont ailleurs cours forcé, et l'on s'est félicité d'avoir pu prêter ainsi parfois aux faits humains vus de très haut, perdus de vue à vrai dire, une couleur tout à fait impersonnelle. Gardons-nous de cet idéalisme vague ; gardons-nous aussi bien de l'individualisme banal qui consiste à expliquer les transformations sociales par le caprice de quelques grands hommes. Disons plutôt qu'elles s'expliquent par l'apparition, accidentelle dans une certaine mesure, quant à son lieu et à son moment, de quelques grandes idées, ou plutôt d'un nombre considérable d'idées petites ou grandes, faciles ou difficiles, le plus souvent inaperçues à leur naissance, rarement glorieuses, en général anonymes, mais d'idées neuves toujours, et qu'à raison de cette nouveauté je me permettrai de baptiser collectivement inventions ou découvertes. Par ces deux termes j'entends une innovation quelconque ou un perfectionnement, si faible soit-il, apporté à une innovation antérieure, en tout ordre de phénomènes sociaux, langage, religion, politique, droit, industrie, art. Au moment où cette nouveauté, petite ou grande, est conçue ou résolue par un homme, rien n'est changé en apparence dans le corps social, comme rien n'est changé dans l'aspect physique d'un organisme où un microbe soit funeste, soit bienfaisant, est entré ; et les changements graduels qu'apporte l'introduction de cet élément nouveau dans le corps social semblent faire suite, sans discontinuité visible, aux changements antérieurs dans le courant desquels ils s'insèrent. De là, une illusion trompeuse qui porte les historiens philosophes à affirmer la continuité réelle et fondamentale des métamorphoses historiques. Leurs vraies causes pourtant se résolvent en une chaîne d'idées très nombreuses à la vérité, mais distinctes et discontinues, bien que réunies entre elles par les actes d'imitation, beaucoup plus nombreux encore, qui les ont pour modèles."