Samuel Butler (1835–1902), "Darwin among the Machines" (1863), "Erewhon, or Over the Range" (1872), "Life and Habit" (1878), "The Way of All Flesh" (1903), "The Note-Books of Samuel Butler" - ...
Last update: 31/12/2022
Samuel Butler (1835-1902), satiriste victorien, critique et artiste visuel, possédait l’une des imaginations les plus originales et les plus singulières de son époque : n'est-il pas l'auteur si prolifique et inventif de deux satires sociales qui firent scandales, "Erewhon" (1872), un "nulle part" renversé dans une ère victorienne dont les peurs qu'il évoque sont toujours au coeur du malaise contemporain, et "The Way of All Flesh" (1903), qui dénonce la cruauté et la tyrannie des institutions familiales dans l'Angleterre puritaine, , - le premier roman du XXe siècle? -, de quatre ouvrages sur l’évolution; écrivain de voyage novateur et historien de l’art, il n'aura de cesse, dans le sillage de "l’origine des espèces de Darwin", de donner corps à cette conscience naissante de l’hérédité et de l’environnement en tant que déterminants de notre existence, sans toutefois, bien au contraire, s'interroger sur l'évolution d' "instincts" particulièrement complexes qu'une simple stratégie d'adaptation aléatoire ne peut en elle-même expliquer. Son récit autobiographique d’une éducation difficile et d’un âge adulte troublé, tout en mettant en lumière toute l’hypocrisie de la vie domestique d’une famille cléricale victorienne, préfigure l’effritement des idéaux bourgeois du XIXe siècle au lendemain de la Première Guerre mondiale, ainsi que la façon dont les générations suivantes ont remis en question les valeurs les plus conventionnelles ...
(Samuel Butler, by Alfred Emery Cathie, quarter-plate glass negative, circa 1888, National Portrait Gallery)
Samuel Butler est né le 4 décembre 1835 au presbytère de Langar, près de Bingham, dans le Nottinghamshire. Son père était le révérend Thomas Butler, alors recteur de Langar, puis l’un des chanoines de la cathédrale de Lincoln, et sa mère était Fanny Worsley, fille de John Philip Worsley de Arno’s Vale, Bristol, sucrier. Son grand-père était le Dr. Samuel Butler, célèbre directeur de l’école de Shrewsbury, ensuite évêque de Lichfield. L’enfance et la jeunesse de Butler se passèrent à Langar dans les environs d’un presbytère de campagne, son père se chargea de son éducation. En 1843, alors qu’il n’a que huit ans, premier grand événement de sa vie, la famille se rend en Italie. Le chemin de fer du Sud-Est s’arrêta à Ashford, d’où ils se rendirent à Douvres dans leur propre voiture; la voiture fut mise à bord du bateau à vapeur, ils traversèrent la Manche, et se rendirent à Cologne, remontèrent le Rhin jusqu’à Bâle et traversèrent la Suisse jusqu’en Italie, à travers Parme, où la veuve de Napoléon régnait encore, Modène, Bologne, Florence, et ainsi de suite à Rome. Ils devaient conduire là où il n’y avait pas de chemin de fer, et il n’y en avait alors dans toute l’Italie, sauf entre Naples et Castellamare. Ils passèrent la moitié de l’hiver à Rome et la deuxième moitié à Naples.
Après Allesley en 1846, six ans passés à Shrewsbury (1848), - où il découvre la musique de Haendel, le deuxième grand événement de sa vie -, le jeune Samuel fréquente le St. John’s College de Cambridge, et obtientson diplôme en 1858.
Son père voulait faire de son fils un ecclésiastique, mais le jeune Butler, de sa nature indépendante et hérétique, fut en opposition permanente avec l'autorité paternelle, jusqu'à quitter Cambridge, l’église et la maison familiale pour émigrer en Nouvelle-Zélande, où (avec des fonds avancés par son père) le voici installant un élevage de moutons dans la colonie de Canterbury.
C'est avec enthousiasme qu'il accueillit la publication de "The Origin of Species" (1859), pour un an plus tard verser dans le darwinisme et renoncer au christianisme : mais celui-ci n'en avait pas fini avec lui, et pendant les 25 années qui suivirent, il n'aura de cesse de s'interroger sur la religion et l’évolution. Darwin semble lui avoir permis de se passer de Dieu, et donc de son père. Les sujets darwiniens l'interpellent, et rédige ainsi deux articles, « Darwin Among the Machines » (1863) et « Lucubratio Ebria » (1865), s'interrogeant contradictoirement sur la relation de l'être humain à la machine, celle-ci pouvant être considérée comme un organisme vivant engagé dans la lutte pour l'existence.
Ayant doublé son capital en Nouvelle-Zélande, Butler retourne en Angleterre (1864) et emménage dans son appartement de Clifford's Inn, à Londres, qui sera son domicile jusqu'à la fin de sa vie. En 1865, il publie anonymement "Evidence for the Resurrection of Jesus Christ ... . Critically Examined" (Preuves de la résurrection de Jésus-Christ examinées d'un point de vue critique).
Mais les années 1870, suite à des investissements défaillants, marquent la fin de son indépendance financière. Pendant quelques années, il étudie la peinture à l'école d'art de Heatherley et tente de se convaincre que c'est bien sa vocation. Jusqu'en 1876, il expose occasionnellement à la Royal Academy. L'une de ses peintures à l'huile, "Mr. Heatherley's Holiday" (1874), se trouve à la Tate Gallery, à Londres, et ses "Family Prayers", dans lesquelles l'éthique du presbytère de Langar est transmise de manière satirique, se trouvent au St. John's College, à Cambridge. Plus tard, il s'essaierra à la composition musicale. Son premier roman, "Erewhon", publié en 1872, fait immédiatement de Butler un écrivain. Oubliant la fiction, il publie diverses réflexions dans les domaines de la religion et de la science, "The Fair Haven" (1873), essai d'explication rationnelle de l'élément surnaturel du Christianisme, "God the Known and God the Unknown", exposition d'une théorie panpsychique de l'Univers, "Life and Habit" (1878) et "Evolution, Old and New (1879), critique de la théorie darwinienne de l'évolution et revendication de la découverte du "transformisme", "Unconscious Memory" (1880) et "Luck or Cunning?" (1887), attaques contre le darwinisme et contre Herbert Spencer ...
Dans les années 1880, Butler publia une série de livres sur l’art et les voyages, ainsi que d’autres travaux sur le sujet de l’évolution et rédigeait simultanément son roman autobiographique, "The Way of All Flesh", qu'il ne pourrait éditer tant que certains membres de sa famille seraient encore en vie. "Alps and Sanctuaries (1881) et "Ex Voto" (1888) confirment la réputation de Butler en tant que critique d’art original et pionnier dans le domaine de la photographie, qui est encore une forme d’art relativement nouvelle. Ce "self-fashioner" alliait conservatisme politique et social et radicalisme intellectuel contestant toute autorité culturelle ou académique chaque fois qu'il en trouvait matière. Mais peu d’écrivains victoriens ont pénétré aussi profondément dans le tissu culturel de l’époque ...
En 1886, la mort de son père le libéra enfin de ses énormes soucis financiers. Butler réside alors la moitié de l’année en Italie. Il accumule des milliers de notes et ses voyages vont alimenter son imagination et fournir un matériel inépuisable pour ses « instantanés » d'individualités et de situations ordinaires et extraordinaires. En Sicile, Butler développe ses théories sur Homère, produisant de nouvelles traductions de l’Iliade et de l’Odyssée ainsi qu’une thèse controversée sur la véritable identité de leur auteur, enfin une édition des Sonnets de Shakespeare. Butler est décédé le 18 juin 1902, dans une maison de retraite à St John’s Wood, Londres, il avait soixante-dix ans et personne n'annonçât qu'un grand écrivain britannique venait de disparaître. Il restait pour beaucoup un amateur, un polygraphe en marge de son temps...
Les ouvrages, tous deux posthumes, qui feront le plus pour sa renommée littéraire seront le roman, en partie autobiographique, "The Way of All Flesh " (1903), grand évènement littéraire du début du XXe siècle en Angleterre -, et ses Carnets de notes (1912). La plupart de ses publications ont été traduites en français par Valery Larbaud. Sa réputation posthume fut à son apogée dans les années précédant la Première Guerre mondiale : George Bernard Shaw fut dès 1907 l’un de ses premiers soutiens, en déformant quelque peu ses intentions "sociales", E.M. Forster ("The Longest Journey", 1907) ou Ford Madox Ford ne furent pas en reste comme beaucoup d'auteurs du début du XXe, - Arnold Bennett's Clayhanger (1910), D. H. Lawrence's Sons and Lovers (1913), W. Somerset Maugham's Of Human Bondage (1915), and James Joyce's A Portrait of the Artist as a Young Man (1916) -, marquant son oeuvre comme un tournant et une alternative aux contraintes de l'écriture de la sensiblité victorienne. C'est en 1919 que Henry Festing Jones publia les deux volumes de "Samuel Butler, author of "Erewhon", a Memoir", l'une des meilleures biographies de la littérature anglaise ...
"Erewhon, or over the Range" (1872, Erewhon, ou De l'autre côté des montagnes"
Inspiré par le séjour de Butler en Nouvelle-Zélande (les hautes montagnes de Rangitoto) de 1860 à 1864, et ses souvenirs d'Italie du Nord, "Erewhon" se développe autour de deux thèmes principaux, pivots académiques de la société victorienne, la religion ("The Musical Banks") et l'évolution ("Some Erewhonian Trials", "The Book of the Machines", repris de ‘Darwin Among the Machines", publié en 1863). La critique de la théorie de l’évolution de Darwin semble toutefois passer au second plan d'une satire globale de la société victorienne ...
On goûte particulièrement les premiers chapitres basés sur les souvenirs de Butler dans les hautes montagnes de Rangitoto en Nouvelle-Zélande et la description des statues creuses au sommet du col, vibrant dans le vent avec des accords étranges, constitue une transition très efficace vers l'étrange pays au-delà. Le paysage et le peuple d'Erewhon sont idéalisés à partir de l'Italie du Nord ; ses institutions sont en partie utopiques et en partie des inversions satiriques de notre propre monde. A Erewhon, la maladie est considérée comme un crime et on peut être emprisonné parce qu'on est malade ou pauvre ; à l'inverse, les vrais criminels sont considérés comme malades et reçoivent l'aide de thérapeutes appelés "redresseurs". En outre, les citoyens d'Erewhon sont très méfiants à l'égard des "machines", dont ils craignent qu'elles ne deviennent si intelligentes qu'elles pourraient un jour prendre le contrôle, raison pour laquelle les machines sont interdites dans le pays, - on a maintes fois souligné combien Butler avait anticipé, avec force détails bien singuliers, l'avènement de l'informatique, on songe, par exemple aux machines comme des extensions des membres humains ...
CHAPTER XXIII: THE BOOK OF THE MACHINES
The writer commences:— “There was a time, when the earth was to all appearance utterly destitute both of animal and vegetable life, and when according to the opinion of our best philosophers it was simply a hot round ball with a crust gradually cooling. Now if a human being had existed while the earth was in this state and had been allowed to see it as though it were some other world with which he had no concern, and if at the same time he were entirely ignorant of all physical science, would he not have pronounced it impossible that creatures possessed of anything like consciousness should be evolved from the seeming cinder which he was beholding? Would he not have denied that it contained any potentiality of consciousness? Yet in the course of time consciousness came. Is it not possible then that there may be even yet new channels dug out for consciousness, though we can detect no signs of them at present? “Again. Consciousness, in anything like the present acceptation of the term, having been once a new thing — a thing, as far as we can see, subsequent even to an individual centre of action and to a reproductive system (which we see existing in plants without apparent consciousness) — why may not there arise some new phase of mind which shall be as different from all present known phases, as the mind of animals is from that of vegetables?
CHAPITRE XXIII : LE LIVRE DES MACHINES
L'auteur commence ainsi : "Il fut un temps où la terre était, en apparence, totalement dépourvue de vie animale et végétale, et où, selon l'opinion de nos meilleurs philosophes, elle n'était qu'une boule ronde et chaude dont la croûte se refroidissait peu à peu. Or, si un être humain avait existé pendant que la terre était dans cet état et s'il lui avait été permis de la voir comme s'il s'agissait d'un autre monde dont il n'avait rien à faire, et si en même temps il était totalement ignorant de toute science physique, n'aurait-il pas déclaré qu'il était impossible que des créatures dotées de quelque chose comme la conscience puissent évoluer à partir de la cendre apparente qu'il voyait ? N'aurait-il pas nié qu'elle contenait une quelconque potentialité de conscience ? Pourtant, au fil du temps, la conscience est apparue. N'est-il donc pas possible qu'il y ait encore de nouveaux canaux creusés pour la conscience, bien que nous n'en percevions aucun signe pour le moment ? "Encore une fois. La conscience, dans l'acception actuelle du terme, ayant été une chose nouvelle - une chose, pour autant que nous puissions le voir, postérieure même à un centre d'action individuel et à un système de reproduction (que nous voyons exister chez les plantes sans conscience apparente) - pourquoi n'y aurait-il pas une nouvelle phase de l'esprit qui serait aussi différente de toutes les phases connues actuellement que l'esprit des animaux l'est de celui des légumes ?
“It would be absurd to attempt to define such a mental state (or whatever it may be called), inasmuch as it must be something so foreign to man that his experience can give him no help towards conceiving its nature; but surely when we reflect upon the manifold phases of life and consciousness which have been evolved already, it would be rash to say that no others can be developed, and that animal life is the end of all things. There was a time when fire was the end of all things: another when rocks and water were so.”
The writer, after enlarging on the above for several pages, proceeded to inquire whether traces of the approach of such a new phase of life could be perceived at present; whether we could see any tenements preparing which might in a remote futurity be adapted for it; whether, in fact, the primordial cell of such a kind of life could be now detected upon earth. In the course of his work he answered this question in the affirmative and pointed to the higher machines.
"Il serait absurde d'essayer de définir un tel état mental (ou quel que soit le nom qu'on lui donne), car il doit s'agir de quelque chose de si étranger à l'homme que son expérience ne peut l'aider à en concevoir la nature ; mais lorsque nous réfléchissons aux multiples phases de vie et de conscience qui ont déjà été développées, il serait téméraire de dire qu'aucune autre ne peut être développée, et que la vie animale est la fin de toutes choses. Il fut un temps où le feu était la fin de toutes choses, un autre où les rochers et l'eau l'étaient.
L'auteur, après avoir développé ce qui précède pendant plusieurs pages, s'est demandé si l'on pouvait percevoir actuellement des traces de l'approche d'une nouvelle phase de la vie, si l'on pouvait voir se préparer des constructions qui pourraient, dans un avenir lointain, être adaptées à cette phase, si, en fait, la cellule primordiale d'un tel type de vie pouvait être détectée sur la terre. Au cours de ses travaux, il a répondu à cette question par l'affirmative et a indiqué les machines supérieures.
“There is no security” — to quote his own words— “against the ultimate development of mechanical consciousness, in the fact of machines possessing little consciousness now. A mollusc has not much consciousness. Reflect upon the extraordinary advance which machines have made during the last few hundred years, and note how slowly the animal and vegetable kingdoms are advancing. The more highly organised machines are creatures not so much of yesterday, as of the last five minutes, so to speak, in comparison with past time. Assume for the sake of argument that conscious beings have existed for some twenty million years: see what strides machines have made in the last thousand! May not the world last twenty million years longer? If so, what will they not in the end become? Is it not safer to nip the mischief in the bud and to forbid them further progress?
"Il n'y a aucune sécurité" - pour citer ses propres mots - "contre le développement ultime de la conscience mécanique, dans le fait que les machines possèdent peu de conscience aujourd'hui. Un mollusque n'a pas beaucoup de conscience. Réfléchissez aux progrès extraordinaires réalisés par les machines au cours des dernières centaines d'années et notez la lenteur avec laquelle les règnes animal et végétal progressent. Les machines les mieux organisées ne sont pas tant des créatures d'hier que des créatures des cinq dernières minutes, pour ainsi dire, par rapport au temps passé. Supposons, pour les besoins de l'argumentation, que les êtres conscients existent depuis quelque vingt millions d'années : voyez quels progrès les machines ont accomplis au cours des mille dernières années ! Le monde ne pourrait-il pas durer vingt millions d'années de plus ? Si c'est le cas, que ne deviendront-elles pas à terme ? N'est-il pas plus prudent d'étouffer le mal dans l'œuf et de leur interdire tout progrès ?
(...)
Un certain Higgs, Anglais appartenant à la classe moyenne, s'est rendu, pour faire fortune, comme éleveur de bestiaux dans une lointaine colonie. Poussé par la curiosité, il décide d'explorer une contrée qui se trouve derrière une très haute chaîne de montagnes et que nul n'a encore osé franchir. Après beaucoup de difficultés et de dangers, il arrive à une esplanade sur laquelle se dressent, disposées en cercles, des statues gigantesques, à l`expression terrible, dont la tête est faite de telle sorte que le vent en tire une musique plaintive et terrifiante...
"Then came a gust of howling wind, accompanied with a moan from one of the statues above me. I clasped my hands in fear. I felt like a rat caught in a trap, as though I would have turned and bitten at whatever thing was nearest me. The wildness of the wind increased, the moans grew shriller, coming from several statues, and swelling into a chorus. I almost immediately knew what it was, but the sound was so unearthly that this was but little consolation ....
Higgs continue d`avancer et rencontre les premiers habitants de ce pays inconnu - Erewhon, anagramme de Nowhere (nulle part) -, une population de femmes et d'hommes d'une beauté incomparable ("Lastly, I should say that the people were of a physical beauty which was simply amazing. I never saw anything in the least comparable to them"), et parmi eux un groupe qui le conduit à la ville voisine et le confie à la garde d'un geôlier. Entre la fille de celui-ci, Yram (Mary), et le jeune prisonnier, naît bien vite une tendre idylle, interrompue quand le roi ordonne le transfert de l'étranger dans la Capitale, où il est accueilli dans la maison d`un certain seigneur Nosnibor (Robinson).
Peu à peu, Higgs apprend la langue du pays et il lui est possible de se rendre compte des coutumes, des idées et des croyances des Erewhoniens.La première chose qui le frappe est le manque d`instruments mécaniques : c'est ainsiqu'il apprend que quatre cents ans auparavant, les connaissances en mécanique étaient très poussées, quand un savant professeur du pays s`avisa d'écrire un livre démontrant que les machines étaient destinées à supplanter complètement les hommes; cette théorie donna tellement à penser aux Erewhoniens qu`ils détruisirent les machines et se gardèrent de toute invention ultérieure.
Dans ce pays existe une échelle spéciale des valeurs : celui qui est malade avant l'âge de soixante-dix ans, ou qui est frappé de quelque malheur, se voit infliger un blâme ou une condamnation, tandis que les défauts de caractère moral sont soignés comme s'ils étaient des maladies.
La mort ne fait pas peur aux Erewhoniens, tandis que la naissance d`un enfant est considérée comme un événement douloureux; en croyant à une existence antérieure, ils sont convaincus que ceux "qui ne sont pas encore nés" (The World of the Unborn) viennent au monde de leur propre gré, et ont inventé les "formules de naissance" ("Birth Formulae"), grâce auxquelles le nouveau-né libère ses parents de la responsabilité de tout ce qui pourra lui arriver.
Les jeunes gens sont élevés dans les écoles de la "non-raison" (The Colleges of Unreason), qui enseignent la "science hypothétique" et la façon de se comporter dans des circonstances étranges et impossibles qui ne se présenteront jamais. Les affaires commerciales des Erewhoniens sont quant à elles gérées selon deux systèmes commerciaux distincts, dont l'un attire plus fortement l'imagination "que tout ce à quoi nous sommes habitués en Europe, dans la mesure où les banques qui étaient gérées selon ce système étaient décorées de la manière la plus fastueuse, et que toutes les transactions commerciales étaient accompagnées de musique, de sorte qu'on les appelait des banques musicales ("musical banks"), bien que la musique soit hideuse pour une oreille européenne". Et Butler d'en décrire les "caissiers", version d’Erewhon du clergé anglican, et la clientèe, soit tous ceux qui veulent être considérés comme respectables et croient utile de posséder cette monnaie, encore qu'ils en utilisent une autre pour les nécessités pratiques. Ils vénèrent ouvertement des dieux qui sont les personnifications des qualités humaines, mais en réalité ils ont une prédilection secrète pour la déesse Ydgrun (anagramme de Mrs. Grundy, symbole de la pudibonderie "victorienne"). L’auto-tromperie de la société dans le rituel des banques musicales se révèle être une hypocrisie aussi profondément préjudiciable que la justice religieuse de l’Angleterre victorienne ...
Après quelque temps de séjour dans la capitale, Higgs s`éprend de Arowhena, la plus jeune des filles de Nosnibor, l'un de ces criminels "malades" qu'il convient d'éviter. Arowhena étudie à l'Université de la déraison. Cependant, Nosibor s'oppose au mariage souhaitant que notre héros épouse plutôt sa fille aînée, Zulora. Higgs décide alors de fuir et, sous le prétexte de faire une expérience, construit un ballon avec lequel il s'élève dans les airs, emportant avec lui Arowhena.
Ayant franchi la chaîne des montagnes, le ballon se dégonfle et descend sur la mer; quand déjà tous deux se croient perdus, ils sont recueillis par un navire qui les ramène en Angleterre.
Plus qu`un roman, "Erewhon" est une série de scènes et de dissertations ironiques, un ouvrage dans le genre des "Voyages de Gulliver" de Swift, ou de "L'Utopie" de Thomas More, dans lequel la description d'une civilisation imaginaire sert de prétexte à une satire sociale. L'œuvre porte une condamnation acerbe du compromis victorien, condamnation qui, dans "Ainsi va toute chair", atteindra au tragique. Butler est le vrai représentant d'une époque de la littérature et de la pensée anglaises, en révolte contre un intellectualisme dont elle est toutefois imprégnée jusque dans ses racines. (Trad. Gallimard. 1920).
"Life and Habit" (1877, la Vie et l'Habitude)
Essai de l`écrivain Samuel Butler qui, se référant aux théories des premiers évolutionnistes (Buffon, Lamarck, Darwin), Butler oppose le principe spiritualiste à la conception matérialiste du monde et de la vie, telle qu`elle est exposée dans "De l 'origine des espèces". Au processus mécanique de la sélection naturelle, il substitue le principe téléologique du devenir.
ll reconnaît que l'explication mécanique offerte par la théorie de la sélection naturelle est insuffisante, - Butler n'a de cesse de s'être senti constamment abusé, ses parents, la religion, ses amis, Darwin, la vie même avec ses créatures qui n'entrent pas d'évidence dans le moule de la sélection naturelle -, et il y oppose la conception vitaliste d'une force créatrice qui affirme l'activité de l'esprit sur la matière. dans ce sens que l`évolution est déterminée non point par le pur fait biologique. mais par les attitudes et les capacités de l`esprit, et s`explique seulement par une analyse de la mémoire. qui imprègne toutes les cellules.
Ce qui avait éloigné Butler de l`Eglise. c`est-à-dire des formes de religion communément acceptées, c'était le dogmatisme. Dans les théories de Darwin. il reconnaît une dogmatique et une rigidité idéologique rendues, par leur apparence scientifique. encore plus dangereuses pour cette liberté de la conscience humaine qu'il plaçait au-dessus de tout. Sa conception, qui s'approche du néo-lamarckisme, annonce certains aspects du pragmatisme, l`évolution créatrice de Bergson et, en esquisse, les concepts de l`élan vital et de la mémoire. En même temps, elle a du fait du principe théologique qui l'anime une valeur religieuse. "Life and Habit" (1878) inaugurera une série de livres sur l’évolution, "Evolution, Old and New" (1879), "Unconscious Memory" (1880), "Luck or Cunning" (1887). Toutefois. scientifiquement parlant, Butler reste un profane; ce besoin de clarté et de vérité que toute son œuvre exprime. et qui est le moteur de son caractère critique et polémique, fait de lui, en cette matière. un précurseur. (Trad. Gallimard. 1922).
"Erewhon Revisited" (1901, Nouveaux voyages en Erewhon)
Publié en 1901 comme la suite de Erewhon, vingt ans ont passé depuis que Higgs est retourné dans sa patrie; Arowhena, - de qui il a eu un fils, meurt de la nostalgie de son pays et il est pris d'un désir inquiet de revoir la terre où il l'a connue. Après bien des préparatifs faits avec soin, il part et traverse sans ,trop de difficultés la chaîne de montagnes qui sépare Erewhon du reste du monde; mais à peine a-t-il dépassé la frontière qu'il rencontre deux étranges professeurs. Compère et Compagnon, dont il apprend que des bouleversements profonds se sont produits durant son absence. Sa disparition miraculeuse en ballon a fait de lui un dieu fabuleux : la légende s'était créée qu'il était le fils du Soleil, venu sur terre pour éclairer les Erewhoniens et remonté ensuite au ciel sur un char tiré par des chevaux blancs; on avait donc conservé précieusement ses paroles, réformant toute la vie, l`habillement, les usages, les idées religieuses, d'après ce qu'on se rappelait de lui.
Poursuivant son chemin, stupéfait par ce que viennent de lui révéler les professeurs, Higgs s`apprête à entrer dans la ville, lorsqu'il rencontre un très beau jeune homme, George; c`est avec une profonde émotion qu'il reconnaît en lui le fils qu`il a eu d'Yram, une jeune fille qui l'avait tendrement aimé lors de son premier voyage.
Notre jeune homme, ignorant l`identité de son compagnon, lui déclare qu'à ses yeux Higgs ne fut qu'un imposteur pour lequel il a perdu toute estime : que Higgs revienne détruire l`édifice de mensonges qui a été construit sur son nom, et son admiration lui sera toute acquise. Désireux de conquérir l'amour de son fils, pour qui il se prend d'une affection très vive, Higgs intervient dès le lendemain, au cours de la consécration d'un temple en son honneur : interrompant le discours qui est prononcé à sa louange, il dévoile son identité ; le professeur Compère, voyant que se trouve menacée par le fait même la combinaison qui lui donne, ainsi qu'à ses pareils, la possibilité de s'élever et de dominer, tente de le faire lyncher par la foule; mais George, à qui sa mère a révélé la vérité, le sauve en le faisant arrêter comme fou.
Après un court séjour chez Yram, qui a épousé le maire de la ville, et après avoir fait la connaissance de la fiancée de George, Higgs repart, accompagné de son fils jusqu'à la frontière ; là tous deux se séparent, promettant de se retrouver au même endroit, exactement dans un an. Mais peu après son retour en Angleterre, Higgs meurt et c`est son autre fils qui ira au rendez-vous avec son frère inconnu. Quelques années plus tard arrive une lettre de George qui l'appelle à l'aide : les altérations de la "religion de Higgs" (Higgyism) ont à un tel point corrompu et bouleversé le pays que le roi ne voit de salut possible que dans l'annexion du pays par l`Angleterre. Le jeune Higgs se prépare à partir pour Erewlion, lorsque prend subitement fin le récit.
Ecrite environ trente ans après Erewhon, cette deuxième partie diffère en de nombreux points de la première : le pessimisme dans lequel baignait le premier livre s`est atténué, pour laisser la place à une vision de la vie beaucoup plus sereine; dans la vie familiale d'Yram et de ses enfants, l'auteur ne fait pas de difficultés pour reconnaître les plus hautes valeurs morales, dès l'instant que les conventions et les hypocrisies sociales en sont absentes; ainsi donc le ton s'est adouci et la satire a perdu de son acuité. (Trad. Gallimard, 1924).
"The Way of All Flesh" (1903, Ainsi va toute chair)
Roman posthume et satire brillante et originale des institutions familiales telles qu'elles étaient conçues dans l`Angleterre puritaine et victorienne ; une démonstration en grande partie fondée sur les données autobiographiques, du fait que le commandement : "tes père et mère honoreras", compris de la façon étroite et rigide du XIXe siècle britannique, devenait un des plus tristes devoirs et souvent était source de cruauté et de tyrannie. Le livre qui entendait combattre l'institution et la rigueur de son application et non pas les sentiments qui l'inspiraient, ne justifiait nullement le scandale qui l`accueillit dès sa parution. Du reste, comme il le démontra dans une œuvre qu'iI considérait comme "scientifique", "La Vie et l'Habitude",
Butler était convaincu de l'importance des liens naturels.
"Je me demande de quelle manière ils cesseront d'être, en tant que dessins, et dans quelle nouvelle phase d'existence ils entreront alors ...", la mémoire, le temps ...
"Mr. Pontifex was a carpenter by trade; he was also at one time parish clerk; when I remember him, however, he had so far risen in life as to be no longer compelled to work with his own hands ... My father, who took the living of Paleham about the year 1797, became possessed of a good many of old Mr. Pontifex’s drawings, which were always of local subjects, and so unaffectedly painstaking that they might have passed for the work of some good early master; I remember them as hanging up framed and glazed in the study at the rectory, and tinted, as all else in the room was tinted, with the green reflected from the fringe of ivy leaves that grew around the windows. I wonder how they will actually cease and come to an end as drawings, and into what new phase of being they will then enter..."
"M.Ponitifex était charpentier de son métier; il fut aussi pendant un certain temps, greffier de la paroisse. Mais à l'époque où je me rappelle l'avoir connu, il s'était élevé assez haut dans l'échelle sociale pour n'avoir plus besoin de travailler de ses mains. Dans sa jeunesse il s'était appris à lui-même le dessin. On ne peut pas dire qu'il dessinait bien, mais on était surpris de voir qu'il dessinait aussi bien. Mon père, qui prit la cure de Paleham vers 1797, devint possesseur d'un bon nombre de dessins du vieux M. Pontifex : ils représentaient toujours des sujets locaux, et ils témoignaient si naïvement d'une grande application qu'ils auraient pu passer pour l'œuvre de quelque bon primitif. Je me les rappelle, dans leurs cadres, et sous leur verre, accrochés aux murs du cabinet de travail de la cure, et verdis, comme tous les autres objets de la pièce, par la lumière qui passait au travers des feuilles du lierre dont les fenêtres étaient bordées.
Je me demande de quelle manière ils cesseront d'être, en tant que dessins, et dans quelle nouvelle phase d'existence ils entreront alors"
(..)
"My boy,’ returned my father, ‘you must not judge by the work, but by the work in connection with the surroundings." - Enfance de l'auteur donc, premier chapitre, mémoire visuelle heureuse et transmission abrupte, déjà subie, contradictoire, de l'autorité paternelle, expérience de l'enfant, Edward, du vieux Pontifex, tant respecté du petit monde de Paleham, et défense de sa mémoire par le père qui ne souffre aucune discussion, la jeunesse n'est pas ce moment tant vanté par la société, "To me it seems that youth is like spring, an over-praised season–delightful if it happen to be a favoured one, but in practice very rarely favoured and more remarkable, as a general rule, for biting east winds than genial breezes..."
(..)
"... Je me rappelle que ma mère m'envoya un jour à son atelier chercher de la colle forte, et que j'arrivai juste au moment où le vieux M; Pontifex était en train de gourmander un apprenti. Il avait attrapé ce garçon (un gaillard à grosse tête d'idiot) par une oreille, et lui disait : `
- Quoi donc! encore égaré, esprit perdu? (Je suppose que c'était ce garçon qu'il considérait comme une âme errante et qu'il traitait ainsi d'esprit égaré.)
` - Eh bien, mon gars, poursuivit-il, je vais te dire une chose: il y en a qui naissent abrutis, et tu en es; il y en a qui arrivent à l'abrutissement complet, et tu en es aussi, Jim : car non seulement tu es abruti de naissance, mais tu as singulièrement augmentéton patrimoine; et il y en a d'autres (et là M. Pontifex montait de ton tandis qu'il secouait de droite à gauche l'oreille et la tête de son apprenti), et il y en a d'autres qui se laissent abrutir, ce qui, plaise à Dieu, ne sera pas ton cas, mon garçon, car j'ai l'intention de te guérir radicalement de ton abrutissement, quand pour cela, je devrais te chauffer les oreilles à coups de poing!
Mais je suis sûr que le bonhomme ne chauffa pas les oreilles à Jim ; il se contentait de lui faire peur ; car tous les deux savaient fort bien à quoi s'en tenir sur le compte l'un de l'autre. Une autre fois, je me souviens qu'il interpelle le preneur de rats du village en criant :
- Viens par ici, mon vieux trois-jours-et-trois nuits!
Et j'appris, plus tard, que c'était une allusion aux crises d'ivrognerie du preneur de rats. Mais laissons là, ces bagatelles. La figure de mon père s'éclairait toujours quand on prononçait le nom du vieux Pontifex.
- Je t'assure, Edward, me disait-il, que le vieux Pontifex n'était pas seulement un homme remarquable, mais qu'il était un des hommes les plus remarquables que j'ai connus.
C'en était trop pour le jeune homme que j'étais.
Un jour je répondis :
- Mais, mon père, qu'est-ce qu'il a fait? Il savait un peu de dessin : mais aurait-il pu, quand il se fût agi pour lui de sauver sa vie, faire recevoir un de ses tableaux au Salon de l'Académíe Royale? Il a construit deux orgues et savait jouer le Menuet de Samson sur l'un et la Marche de Scipion sur l'autre; c'était un bon charpentier, et quelque peu blagueur : c'était un bon vieux type, si l'on veut, mais pourquoi en faire un homme tellement plus remarquable qu'il ne l'était?
- Mon enfant, répondit mon père, il ne faut pas juger d'après l'œuvre prise isolément, mais d'après l'œuvre considérée dans le milieu où elle a été produite ( "My boy," returned my father, "you must not judge by the work, but by the work in connection with the surroundings). Crois-tu que Giotto ou Filippo Lippi auraient été reçus au Salon ? Est-ce qu'une seule de ces fresques que nous sommes allés voir quand nous étions à Padoue aurait la moindre chance d'être reçue si on les envoyait au Salon de cette année? Non, et même les gens de l'Académie seraient tellement furieux qu'ils écriraient au pauvre Giotto de venir lui-même retirer sa fresque... Bah! continua-t-il, s'échauffant, si le vieux Pontiîex avait eu les mêmes occasions que Cromwell, il aurait fait tout ce que fit Cromwell et mieux que lui, et s'il avait eu les mêmes occasions que Giotto il aurait fait tout ce qu'a fait Giotto, et non moins bien. Quoi qu'il en soit, le dessin en fit un charpentier de village, et je me fais fort d'affirmer que, pendant tout le cours. desa vie, il n'a jamais bâclé une commande.
- Mais, répondis-je, nous ne pouvons pas juger les gens d'après tant de « si ». Si le vieux Pontifex avait vécu du temps de Giottó, il aurait pu être un autre Giotto, mais il ne vivait pas du temps de Giotto.
" - I tell you, Edward," said my father with some severity, "we must judge men not so much by what they do, as by what they make us feel that they have it in them to do. If a man has done enough either in painting, music or the affairs of life, to make me feel that I might trust him in an emergency he has done enough. It is not by what a man has actually put upon his canvas, nor yet by the acts which he has set down, so to speak, upon the canvas of his life that I will judge him, but by what he makes me feel that he felt and aimed at.
If he has made me feel that he felt those things to be loveable which I hold loveable myself I ask no more; his grammar may have been imperfect, but still I have understood him; he and I are en rapport; and I say again, Edward, that old Pontifex was not only an able man, but one of the veryablest men I ever knew."
"- Je te le répète, Edward, dit mon père avec une expression sévère, nous ,devons juger les hommes moins sur ce qu'ils font que sur ce qu'ils nous font sentir qu'ils sont capables de faire. Lorsqu'un homme a fait assez, soit en peinture, "soit en musique, soit dans les affaires de la vie, pour me faire sentir que je peux compter sur lui à l'occasion, il a fait assez. Ce n'est pas sur ce qu'un homme a réellement mis sur sa toile, ní même les actions qu'il a inscrites, pour ainsi dire, sur la toile de sa vie, que je veux le juger, mais sur ce qu'il me fait sentir de ce qu'il a senti et de ce qu'il s'est proposé. S'il me fait sentir que les choses que j'aime sont dignes d'être aimées, je n'en demande pas davantage. Il a pu faire des fautes de grammaire, mais je l'ai compris tout de même; nous sommes "en rapport", lui et moi. Et je te le répète, Edward : le vieux Pontifex n'était pas seulement un homme remarquable, mais il était un des hommes les plus remarquables que j'ai connus.
" Against this there was no more to be said, and my sisters eyed me to silence. Somehow or other my sisters always did eye me to silence when I differed from my father.."
Après cela il n'y avait plus rien à dire, et les yeux de mes soeurs m'imposèrent silence. Je ne sais comment, mais toujours les yeux de mes sœurs m'imposaient silence quand je n'étais pas du même avis que mon père...."
Le style vif, la clarté des idées, l`usage savant de toutes les armes d`un íroniste très expert, font de ce roman un de ceux qui restent comme caractéristiques d'une époque. Les rapports entre pères et fils sont étudiés en suivant l`histoire d'une famille pendant plusieurs générations : de John Pontifex, menuisier du village, avec son fils George, éditeur de premier plan ; de Théobald et de son fils, contraint à se faire pasteur et ensuite à se marier suivant le désir paternel.
Le vieux John Pontifex, l’arrière-grand-père du personnage central, Ernest, est un menuisier doux, doué artistiquement et sans prétention dans le village de Paleham. Malheureusement, son seul et unique enfant, George, reflète les caractéristiques de sa mère obstinée et sans humour. Après un apprentissage, George prend le contrôle de la maison d’édition de son oncle à Londres, qui répond aux goûts pieux du public de lecture de la classe moyenne. Bien qu’apparemment un homme d’affaires respectable, George est un tyran domestique, en particulier pour son plus jeune fils, Theobald. Faible et incapable de réaliser ses vagues aspirations à devenir un homme de mer, Theobald capitule facilement devant l’insistance de son père à entrer dans le ministère anglican...
(Chapter 5) - Au fond, les gens ne sont pas si différents des plantes et des animaux du monde naturel, poussés par le réflexe et l’instinct plus que par la réflexion, et de fil en aiguille Butler en vient à évoquer la brutalité et la violence paternelles à l'encontre de leurs enfants : il est vrai qu'en ce temps-là, "les gens ne s'analysaient pas eux-mêmes autant que nous le faisons aujourd'hui, et ils vivaient davantage par routine..."
" Fortune, we are told, is a blind and fickle foster-mother, who showers her gifts at random upon her nurslings. But we do her a grave injustice if we believe such an accusation. Trace a man’s career from his cradle to his grave and mark how Fortune has treated him. You will find that when he is once dead she can for the most part be vindicated from the charge of any but very superficial fickleness. Her blindness is the merest fable; she can espy her favourites long before they are born. We are as days and have had our parents for our yesterdays, but through all the fair weather of a clear parental sky the eye of Fortune can discern the coming storm, and she laughs as she places her favourites it may be in a London alley or those whom she is resolved to ruin in kings’ palaces. Seldom does she relent towards those whom she has suckled unkindly and seldom does she completely fail a favoured nursling."
"La Fortune, dit-on, est une mère nourricière aveugle et capricieuse qui répand au hasard ses dons sur ses nourrissons. Mais c'est commettre envers elle une grande injustice que d'ajouter foi à une telle accusation. Suivez la carrière d'un homme depuis le berceau jusqu'à la tombe et voyez. comment l'a traité la fortune. Vous vous apercevrez qu'une fois qu'il est mort, il est bien difficile d'accuser la fortune de l'avoir traité capricieusement (si ce n'est en apparence). Son aveuglement est une pure légende; elle découvre ses favoris bien avant qu'ils soient nés. Nous sommes comme des jours, et nos parents furent pour ainsi dire nos hiers ; mais à travers tout le temps calinent la journée de nos parents, les yeux de la Fortune discernent l'orage qui s'apprête, et elle rit lorsqu'elle place ses favoris dans une ruelle de Londres par exemple, ou dans le palais des rois ceux qu'elle a résolu de perdre. Il est bien rare qu'elle se radoucisse envers ceux qu'elle a nourris sans les aimer, et il est rare aussi qu'elle abandonne tout à fait un de ses nourrissons préférés.
( Was George Pontifex one of Fortune’s favoured nurslings or not?) - George Pontifex était-il ou -n'était-il pas un des nourrissons préférés de la Fortune? Tout bien considéré, je dirai que non, car lui-même pensait que non. Il était trop religieux pour regarder la fortune comme une divinité, il prenait tout ce qu'elle luí donnait sans jamais lui dire merci, étant fermement' convaincu que tous les avantages qu'il obtenait dans la vie, c'était à son propre effort qu'il les devait ; et il ne se trompait pas. Mais c'était parce que la Fortune était passée auparavant et l'avais mis à même de faire cet effort.
"Nos te, nos facimus, Fortuna, deam", s'écriait le poète ; c'est nous-mêmes qui faisons de toi, Fortune, une déesse ; et en effet, mais c'est après que la Fortune nous a mis en mesure de la diviniser. Le poète ne dit rien en ce qui concerne l'origine du "nous". Il se peut qu'il y ait des hommes indépendants de tous antécédents et de tous milieux, et qui ont en eux-mêmes une force initiale qui n'est due en aucune manière au principe de causalité; mais c'est là une question que l'on considère comme assez épineuse, et il vaut peut-être mieux n'y pas toucher. Qu'il nous suffise de constater que George Pontifex ne se regardait pas comme favorisé de la Fortune, et l'homme qui ne se croit pas fortuné est infortuné.
" True, he was rich, universally respected and of an excellent natural constitution. If he had eaten and drunk less he would never have known a day’s indisposition. Perhaps his main strength lay in the fact that though his capacity was a little above the average, it was not too much so. It is on this rock that so many clever people split. The successful man will see just so much more than his neighbours as they will be able to see too when it is shown them, but not enough to puzzle them. It is far safer to know too little than too much. People will condemn the one, though they will resent being called upon to exert themselves to follow the other.
Sans doute. il était riche, universellement respecté, et jouissait d'une parfaite santé physique. S'il avait moins bu et moins mangé, il n'aurait jamais connu un seul jour de malaise. Peut-être que sa grande force résidait en ce fait que, tout en ayant une intelligence supérieure à la moyenne, elle n'était pas très supérieure à la moyenne. C'est là l'écueil sur lequel sombrent tant de gens d'esprit. L'homme qui réussit est celui qui voit plus loin que ses voisins, mais pas plus loin qu'ils ne seront capables de voir eux-mêmes, le jour où on le leur apprendra, et pas assez loin pour les inquiéter. Il vaut beaucoup mieux ne pas savoir assez que de savoir trop. Les gens désapprouvent le "pas assez" mais ils se fâchent si on leur demande de se lancer à la suite du "trop".
(...)
Où était donc le défaut de l'armure chez George Pontíiex ? Je crois qu'il résidait dans le fait qu'il s'était trop rapidement élevé. Il semble bien qu'une éducation transmise par plusieurs générations est nécessaire à l'homme pour jouir convenablement d'une grosse for-tune. La plupart des gens peuvent supporter avec équanimité l'adversité, s'ils y ont été amenés par degrés, plus aisément qu'ils ne s'adaptent à une grande prospérité atteinte dans le cours d'une seule vie. Cependant il y a une espèce de chance qui accompagne les parvenus jusqu'à leur dernier jour. Ce sont les enfants de la première - ou de la première et de la seconde - génération, qui courent un plus grand danger, car la race ne peut pas plus répéter ses ouvrages les meilleurs; immédiatement et sans alternances de bonheur, et de succès, que l'individu lui-même ne peut le faire et on peut dire en règle générale que, plus grand aura été le succès obtenu dans une génération quelconque, plus grand sera l'épuisement chez la génération suívante, jusqu'à ce que la race ait eu le temps de se reposer. C'est ainsi qu'il arrive souvent que le petit-fils d'un homme qui a bien réussi réussira mieux que son fils, - l'énergie qui avait animé le grand-père étant restée en friche chez le fils et s'étant régénéré par le repos de manière à être prête à s'exercer encore chez le petit-fils. Un homme qui a très bien réussi a d'ailleurs quelque chose d'un hybride en lui : c'est un animal nouveau, formé de la combinaison de nombreux éléments discordants entre eux, et l'on sait bien que la reproduction des êtres anormaux, dans le règne animal comme dans le règne végétal, est irrégulière et qu'il ne faut pas s'y fier; et il y a même des cas où ils sont absolument stériles.
Or il est certain que la réussite de M. Pontifex avait été extrêmement rapide ..."
(..)
Butler rappelle que l'argent est, pour l'homme de fortune, le lien par excellence qu'il entretient avec ses enfants, et "pourtant lorsqu'un homme aime beaucoup son argent, il e lui est pas toujours facile d'aimer beaucoup ses enfants aussi". L'argent de George Pontifex était toujous bien sage, ses dividendes ne se disputaient pas entre eux, alors qu'il avait remarqué chez son premier fils, John, des penchants qui l'inquiétient, et Théobald, son second fils, était paresseux et mentait souvent...
" His children might, perhaps, have answered, had they known what was in their father’s mind, that he did not knock his money about as he not infrequently knocked his children. He never dealt hastily or pettishly with his money, and that was perhaps why he and it got on so well together."
"Ses enfants auraient pu répondre, s'ils avaient connu les pensées secrètes de leur père, qu'il ne battait jamais son argent, alors qu'il les battait, eux, assez souvent. Il ne traitait jamais son argent avec précipitation ni colère, et c'était peut-être pour cela que son argent et lui faisaient si bon ménage. Il ne faut pas oublier qu'au début du XIXe siècle, les relations entre les parents et les enfants laissaient encore beaucoup à désirer." La brutalité du père n'est plus évoqué dans la littérature, et "dans les romans de Jane Austen les parents ressemblent un peu moins à des bêtes féroces que dans les romans de ses prédécesseurs, mais il est évident qu'elle se méfie d'eux", le père reste bien "capable de tout". La longue période de Puritanisme sembla voir contribué à cette violence. Et si M. Pontifex semblait un plus sévère avec ses enfants que ne l'étaient ses voisins, ce n'était pas beaucoup plus. "Mais à cette époque-là les pères étaient toujours en train de battre leurs enfants ..." N'était-il pas admis qu'il fallait au plus tôt réprimer les "premiers symptômes d'obstination chez ses enfants pendant qu'ils étaient encore trop jeunes pour offrir une résistance sérieuse"? La "volonté ainsi brisée", pour reprendre un vocable qui n'a guère changé des siècles plus tard, ces enfants pouvaient enfin acquérir "des habitudes d'obéissance dont ils n'oseraient pas se défaire avant d'avoir dépassé leur vingt et unième année" ...
"Comme nous connaissons mal nos pensées!... Oui, nous connaissons nos actions réflexes, sans doute, - mais nos réflexions réflexes ! L'homme, parbleu, s'enorgueillit d'être conscient! Nous -nous vantons d'être différents des vents et des vagues, des pierres qui tombent, et des plantes qui croissent sans savoir comment, et des bêtes errantes qui vont et viennent, suivant leur proie sans l'aide, il nous plaît à dire, de la raison. Nous autres nous savons si bien ce que nous et pourquoi- nous le faisons, n'est-ce pas? J'imagine qu'il y a quelque chose de vrai dans l'opinion qui commence à se répandre aujourd'hui, selon laquelle ce sont nos pensées les moins conscientes et nos moins conscientes actions qui contribuent surtout à façonner notre vie et la vie de ceux qui sortent de nous."
" How little do we know our thoughts-our reflex actions indeed, yes; but our reflex reflections! Man, forsooth, prides himself on his consciousness! We boast that we differ from the winds and waves and falling stones and plants, which grow they know not why, and from the wandering creatures which go up and down after their prey, as we are pleased to say without the help of reason. We know so well what we are doing ourselves and why we do it, do we not? I fancy that there is some truth in the view which is being put forward nowadays, that it is our less conscious thoughts and our less conscious actions which mainly mould our lives and the lives of those who spring from us."
Peu après son entrée dans les ordres, Theobald rencontre Christina Allaby, l'une des cinq filles célibataires de la famille du recteur dont Theobald est le vicaire. Après avoir gagné les droits matrimoniaux de Theobald auprès de ses sœurs lors d'une partie de cartes, Christina, tacitement de mèche avec sa mère, incite Theobald à faire sa demande en mariage. Après des fiançailles prolongées, au cours desquelles Theobald se rend compte qu'il n'éprouve pas d'affection véritable pour Christina, il va de nouveau à l'encontre de son meilleur jugement en honorant son engagement. L'opposition de George à l'union financièrement non rentable de son fils conduit Theobald à rationaliser son engagement dans un mariage sans amour en le considérant comme un acte noble.
Contrairement à son père sur presque tous les autres plans, Theobald lui ressemble beaucoup en tant que personnalité autoritaire. Il est déterminé à rechercher et à détruire le moindre signe d'individualité chez chacun de ses enfants, et c'est l'aîné, Ernest, qui subit la vague frontale de son assaut. Ernest est battu parce qu'il prononce mal les mots, on lui refuse de l'argent de poche et on lui fait "plaisir" en lui permettant de choisir son propre hymne à chanter lors de l'office du dimanche soir. Bien que sa mère soit de bien meilleure nature et plus douce que Theobald, elle finit par s'aliéner Ernest en trahissant ses confidences qu'elles livrent à Theobald, qui s'empresse d'administrer une punition à son fils. Ni le jeune frère ni la jeune sœur d'Ernest ne sont des compagnons de jeu susceptibles d'atténuer la dureté du régime domestique, car ils se soumettent invariablement aux exigences de leurs parents. Seuls les domestiques offrent à Ernest une compagnie agréable.
L'intérêt du roman va se concentrer particulièrement sur le fils de Théobald, Ernest, sur ses souffrances à cause de la pharisaïque tyrannie paternelle, qui l'oblige à étudier la théologie et à être nommé pasteur; sur sa rébellion, qui l'amène à traiter une femme comme une prostituée, et sur les six mois de prison auxquels il est condamné.
Libre, Ernest épouse Ellen, autrefois domestique dans sa famille, mais heureusement il peut reprendre sa liberté en découvrant qu'elle a déjà un mari, car elle s`enivre entre autres choses ...
À l'âge de douze ans, Ernest entre à l'école de Roughborough, dont le directeur, le docteur Skinner, traite ses élèves de la même façon que Theobald traite ses enfants. Ernest est apathique dans ses études, n'aime pas l'athlétisme, commence à fumer et à boire, mais n'est pas impopulaire auprès de ses camarades de classe. Lorsque la tante d'Ernest, Alethea, s'installe à Roughborough, elle soulage Ernest de son existence déprimante en lui organisant des cours de menuiserie et en égayant sa vie morne par son heureuse compagnie. Malheureusement, elle est soudainement frappée par la fièvre typhoïde et meurt ; elle a toutefois rédigé son testament de manière à ce qu'Ernest reçoive la plus grande partie de sa fortune le jour de son vingt-huitième anniversaire.
Un autre malheur arrive à Ernest alors qu'il est chez lui lors de longues vacances. Ellen, une gentille et charmante servante de Battersby, est renvoyée par Theobald lorsqu'on découvre qu'elle est enceinte. Christina espère à moitié qu'Ernest est le père, mais il est innocent ; il est cependant coupable d'avoir donné à Ellen tous ses biens personnels de quelque valeur pour l'aider dans sa démarche. Lorsque Theobald découvre l'acte d'Ernest, il le force à se confesser, puis lui extorque des informations sur ses vices et ceux des autres écoliers de Roughborough. Ernest est angoissé de devoir raconter des histoires en dehors de l'école et, après son retour à Roughborough, est sévèrement puni par le docteur Skinner. Cependant, les autres garçons lui pardonnent volontiers lorsqu'il leur avoue son attitude, et ils se vengent de Theobald en le brûlant en effigie le jour de Guy Fawke, ironiquement le jour de la confirmation d'Ernest.
Après avoir terminé ses études à Roughborough, Ernest entre à l'Emmanual College de l'université de Cambridge ; il y jouit d'une nouvelle liberté, acquiert au moins une modeste réputation en tant qu'intellectuel et obtient un diplôme avec mention. Malheureusement, après avoir fait preuve de dons littéraires et d'un sens de l'humour affirmés, Ernest tombe sous l'influence des Siméonites, un petit groupe d'étudiants fervents évangélistes. Lorsqu'il écrit à ses parents pour leur faire part de son ardeur religieuse, ceux-ci sont plus effrayés qu'amusés ; Theobald insiste néanmoins pour que son fils entre dans les ordres religieux, et Ernest s'exécute.
Ernest demande et obtient un poste de vicaire dans une paroisse londonienne peuplée de personnes issues des classes populaires, pour la plupart indifférentes à la religion. Sous le charme d'un vicaire un peu plus âgé, Pryer, Ernest espère fonder un collège de pathologie spirituelle pour traiter les troubles de l'âme de la même manière que les médecins traitent les maladies du corps. Malheureusement, Ernest confie un petit héritage à Pryer pour qu'il spécule en bourse - les bénéfices escomptés de cette entreprise leur permettraient de faire avancer plus rapidement l'œuvre de Dieu dans le monde. Incapable de contenir son enthousiasme, Ernest entame une campagne d'évangélisation privée dans les limites de sa pension de famille d'Ashpit Place. Il est repoussé à chaque tentative maladroite d'obtenir des conversions ; le point culminant de ses efforts est un fiasco complet, car il prend une jeune femme décente pour une prostituée, l'aborde avec audace et se retrouve rapidement arrêté pour tentative d'agression.
Malgré les efforts de son parrain, Edward Overton, et d'une connaissance du collège, Towneley, Ernest est condamné à six mois de travaux obligatoires à la prison de Coldbath Fields. À son arrivée en prison, Ernest est victime d'une crise de fièvre cérébrale et reste alité pendant deux mois. Une fois suffisamment rétabli, Ernest est mis en apprentissage chez le tailleur de la prison et se voit confier le poste d'organiste de la chapelle. Il apprend que Pryer s'est enfui avec son héritage et que son père a renoncé à lui au même moment. L'aumônier de la prison lui donne des conseils pratiques et ne tente pas de le dissuader de quitter le ministère. À la fin de sa peine, Ernest a renoncé non seulement au christianisme, mais aussi à ses parents, leur disant de le considérer comme quelqu'un de mort.
Avec l'aide d'Overton, Ernest réintègre le monde, mais il ne parvient pas à se faire embaucher comme tailleur. Une rencontre fortuite avec Ellen, la servante renvoyée par Theobald alors qu'Ernest était encore à Roughborough, lui donne l'idée d'ouvrir une boutique de vêtements usagés, un domaine dans lequel Ellen a de l'expérience. Ernest s'éprend rapidement d'Ellen, extrêmement séduisante bien qu'ayant mené une vie dissolue à Londres. Overton est contrarié par la détermination d'Ernest à l'épouser, mais avance au jeune couple de l'argent pour la location d'un magasin qui leur servira également de logement.
Les dernières pages décrivent le bonheur d'Ernest, libéré de toute nécessité de travail, par suite de l'héritage qui le rend maître de lui-même et lui permet de se consacrer à la littérature et à la musique. Dans cette partie qui est parmi les plus denses et les plus vivantes du livre, Butler trace de lui-même un portrait fidèle. (- Trad. Gallimard, 1936).
Le mariage et l'entreprise prospèrent au début, mais lorsqu'Ellen se lasse de son rôle d'épouse d'un mari instruit et raffiné, elle se met à boire beaucoup, une pratique qu'elle dissimule habilement à Ernest. Il attribue son comportement étrange au fait qu'elle est enceinte, et ce n'est qu'après qu'elle ait sombré dans l'alcool une seconde fois, alors qu'elle portait son deuxième enfant, que le naïf Ernest comprend la véritable cause de son désarroi. Résigné à ses déboires, Ernest est soudain rassuré par le témoignage de l'ancien cocher de son père, qui a quitté Battersby au moment où Ellen a été renvoyée. Ce témoignage, selon lequel le cocher et Ellen s'étaient déjà mariés, incite Ernest à se séparer de sa prétendue épouse et à confier ses enfants d'abord à la blanchisseuse d'Overton, puis à une famille d'accueil.
Alors qu'il reste moins de deux ans avant qu'Ernest ne reçoive l'héritage de sa tante Alethea, devenu une fortune considérable, Overton décide que son filleul a assez souffert et l'emploie comme secrétaire. La principale tâche d'Ernest est de gérer les sommes d'argent qui, à son insu, seront bientôt les siennes. Le choc et la surprise d'Ernest lorsqu'il entre en possession de sa fortune n'ont d'égal que ceux de Theobald. Appelé au chevet de sa mère mourante, Ernest ne fait pas étalage de sa richesse ; il agit avec fermeté avec son père et se laisse doucement aller aux inquiétudes de sa mère quant à sa valeur morale. La réconciliation avec ses parents parachève le long et harassant processus de maturation d'Ernest. Financièrement libre, Ernest part d'abord à l'étranger pendant plusieurs années, puis revient pour s'ériger en mouche du coche intellectuelle, bien décidée à s'attaquer aux impostures d'une société qui, de gré ou de force, a besoin d'être amendée ....