Amadeo Modigliani (1884-1920) - Jeanne Hébuterne (1898-1920) - Anna Zborowska (1885-1978) - Moïse Kisling (1891-1953) - Alice Prin (1901-1953) - Tsuguharu Foujita (1886-1968) - Marc Chagall (1887-1985) - Boris Grigoriev (1886-1939) - Chaïm Soutine (1893-1943)...
Last update: 11/11/2016
Au début du XXe siècle, Au début du XXe siècle, toute une génération d'artistes, venus des quatre coins du monde, s'installe à Paris, 1905-1913 est une période de fermentation comme il en a peu existé dans l'histoire de l'art, les lieux sont connus, Montmartre et le Bateau-Lavoir, puis Montparnasse, et les ateliers précaires de La Ruche au numéro 2 du passage de Dantzig, dans le 15e arrondissement de Paris, ou la colonie d'artistes du 7 rue du Delta. L'Italien Modigliani, arrivé à Paris en 1906, le Lituanien Chaim Jacob Lipchitz, en 1909, le Russe Chagall et le Polonais Moïse Kisling , en 1910, le Slave Soutine et le Russe Kikoïne, en 1912, le Japonais Tsuguharu Foujita, en 1913, tous se révèlent des artistes farouchement indépendants, en marge de tous les mouvements d'avant-garde, quoique marqués par l'abstraction naissante et un désir de couleurs vives, tels que fauvisme, cubisme, futurisme. Tous ont en commun un même goût pour la poésie et le roman, et tous semblent, à des degrés divers, rongés de l'intérieur qu'ils compensent par une production acharnée. Mais ils portent déjà en eux leur propre fin, artistes exaspérés tout en émotion et en révolte, ils n'engendreront ni écoles ni disciples ....
Modigliani est devenu un mythe qui a suscité un nombre incalculable de biographies et d'études, dans le monde entier, mais, si nous reprenons les paroles de Jeanne, sa fille, une biographie de Modigliani "n'existe pas et n'existera jamais". En une petite dizaine d'années (1910-1920), Modigliani mène une existence d'ivresse et de passion et peint une multitude de portraits et une longue suite de nus féminins qui semblent tous dégagés une vision désabusée, certes, tragique peut-être, mais que l'on ne peut s'empêcher de rapprocher d'un Sandro Botticelli, peintre de la "grâce inquiète" au XVe siècle, peintre qui, au-delà du visage, entend exprimer plus une pensée qu'un simple portrait, "comme la morne acceptation de la vie …"
Amadeo Modigliani (1884-1920)
"Pouvons-nous nous renfermer dans le cercle d'une morale étroite? L'homme qui ne sait pas tirer de son énergie de nouveaux désirs, et presque un nouvel individu, destinés à toujours démolir tout ce qui est resté de vieux et de pourri, pour s'affirmer, n'est pas un homme, c'est un bourgeois, un épicier..." (à Oscar Ghiglia). En 1906, Paris compte 2,73 millions d'habitants, ses boulevards ont été dessinés par le baron Haussmann, plus de 9600 lampes à arc éclairent la cité, et dans huit années éclatera la Première Guerre mondiale. Vincent Van Gogh est mort en 1890, Paul Gauguin en 1903, Paul Cézanne en 1906, et le Salon d'Automne de 1905 voit s'exposer Henri Matisse, André Derain. Originaire de Livourne, en Toscane, Modigliani arrive à Paris au début de 1906, à 22 ans, s'installe à Montmartre, rue Caulaincourt, à proximité du Bateau-Lavoir, il y côtoie Picasso, Derain, Apollinaire, Diego Rivera, Max Jacob, mais changera souvent de domicile. Fauves et cubistes exposent, mais Modigliani préfère fréquenter les cafés, rencontre le Dr Paul Alexandre qui lui fait connaître l'art nègre et le soutiendra jusqu'en 1914. C'est l'époque de : The Jewish Woman (1907-1908, Private collection), l’un des six tableaux que Modigliani sélectionna en 1908 pour sa première exposition de groupe à Paris, Nude Suffering (1908, Private collection), Nude with Hat (1907-1908, Hecht Museum), Woman in a Yellow Jacket (1909, Private collection), Portrait of Dr. Paul Alexandre (1909, Private collection)...
En 1909, il s'installe à Montparnasse, au 14 de la cité Falguière et se lie avec le roumain Constantin Brancusi arrivé à Paris en 1904 et qui deviendra l'un des sculpteurs les plus influents du début du XXᵉ siècle. Modigliani, sculpteur, projette alors de créer un temple dédié à la Beauté, comportant des centaines de caryatides (figure féminine par excellence qui supporte le toit d’un temple), c'est le temps où s'impose dans ses dessins une simplification et une purification de la forme, à l'image de l'art nègre ou des premiers travaux cubistes, techniques qu'il intègre à sa manière de reconstruire la figure humaine. Cette expérience de sculpteur qu'il abandonne pour on ne sait quel motif (son état physique, une certaine déception) investit sa peinture (cou allongé, tête ovale, simplicité des contours)…
En 1913-1914, Modigliani rencontre Kisling, Foujita et Soutine, et se remet à la peinture…
Bien des personnages atypiques animent ce petit monde qui gravite autour de Montparnasse : Joseph Levie, peintre et restaurateur de tableaux à Montmartre, Victor Libion, le créateur de La Rotonde en 1911, à l'angle du boulevard du Montparnasse et du boulevard Raspail, et qui veut que les artistes se sentent bien chez lui, refuge pour beaucoup durant la guerre, Rosalie, ancien modèle de Bouguereau, qui accueille les artistes dans sa petite crèmerie bon marché du 3 rue Campagne-Première et où Modigliani rencontra Béatrice Hastings... C'est en 1914 qu'il rencontre la journaliste anglaise, "les yeux verts, le verbe haut, avide d'hommes et d'alcool" : la liaison (1914-1916) de Modigliani avec Béatrice Hastings l'entraîne sur la voie d'une existence qui deviendra de plus en plus déréglée, ils buvaient et se droguaient ensemble, se disputaient constamment. Il peignit environ quatorze portraits d’elle et ceux-ci font preuve d'une singulière absence d’expressivité .
Aucun artiste n'a autant propagé le mythe du peintre affamé, étendu sur quelque trottoir recroquevillé sur lui-même jusqu'au lendemain matin, ou se faisant expulser d'un restaurant après maintes provocations. Aucun artiste n'a autant propagé le mythe du peintre excessif et séducteur invétéré, "on ne pouvait pas détacher les yeux de sa belle tête romaine aux traits absolument parfaits", a rapporté l'ancienne maîtresse de Picasso, Fernande Olivier. Amours passionnés, alcool et haschich emportent Modigliani dans quelques aventures aussi brèves que violentes. En 1910, la future grande poétesse russe Anna Akhmatova (1889-1966), alors jeune mariée délaissée par son époux, partage le temps d'un été une passion brutale traduite en quelques esquisses au crayon par Modigliani: "tout ce qui était divin chez Modigliani ne brillait qu'à travers une sorte de ténèbres", écrira-telle. En juillet 1914, à une époque où la peinture de l'artiste se fait plus sereine, Modigliani rencontre, Béatrice Hastings (1879-1943), correspondante excentrique et raffinée de la vie parisienne (The New Age), amante de Wyndham Lewis et de Katherine Mansfield : Modigliani brosse en quelques 14 tableaux la psychologie indépendante, ambitieuse et imposante de la jeune anglaise (Madame Pompadour, 1915). En 1916, avant de rencontrer Jeanne Hébuterne, il rompt avec Béatrice, non sans maints épisodes publiques des plus violents, et rencontre Simone Thiroux (1892-1921), une de ses amies canadiennes, qu'il quitte une année plus tard, enceinte et tuberculeuse, elle mourra en 1921, l'année suivant la mort du peintre,...
En 1915, la fin de la terrible guerre aidant, Max Jacob présente à Modigliani le marchand de tableaux Paul Guillaume, grand ami de Derain et spécialiste de l'art nègre. Paul Guillaume loue un atelier sur la butte de Montmartre et prend en charge un Modigliani qui va produire une toile tous les six jours, dit-on. Il réalise nombreux portraits : Portrait of a Young Girl (1910, Private collection), Portrait of Paul Alexandre (1913, Musée des Beaux-Arts de Rouen), Portrait of Diego Rivera (1914, Private collection), Beatrice Hastings (1915, Galleria d'Arte Moderna di Milano), Chaim Soutine (1915, Private collection), Lola de Valence (1915, Metropolitan Museum of Art, New York), Madame Pompadour (1915, Art Institute of Chicago), Pierre Reverdy (1915, Private collection), Portrait of Juan Gris (1915, Metropolitan Museum of Art, New York), Portrait of Moise Kisling (1915, Pinacoteca di Brera), Raymond Radiguet (1915, Private collection)….
En 1916, Modigliani, dont l'état de santé s'aggrave, se lie avec Léopold Zborowski, qui s'occupera de la diffusion de son œuvre. En 1917, Modigliani peint encore et toujours ceux qui l'entourent, Zborowski, Anna, Lunia Czechowska, et réalise sa première série de nus, des nus qui anticipent les différentes étapes du désir, invitation, anticipation, satisfaction, et quand Modilgiani peignait un nu, il voulait, dit-on, qu'on le laisse seul. En décembre 1917, Zborowski organise la première exposition personnelle de Modigliani. Cendrars préfacera le catalogue avec un poème… C'est l'époque de : Nude on a Couch (1915, Private collection), Woman with Velvet Ribbon (1915, Musée de l'Orangerie), Beatrice Hastings (1916, The Barnes Foundation), Bride and Groom (1915-1916, Museum of Modern Art, New York), Female Nude (1916, The Courtauld Gallery, London), Leopold Zborowski (1916, Private collection), Lolotte (1916, Musée National d'Art Moderne de Paris)...
Quand il rencontre Jeanne Hébuterne (1917) à l'académie Colarossi, elle a 19 ans, Modigliani retrouve d'abord un peu de stabilité. Jeanne inspire (avec Lunia Czecowska) les plus belles œuvres des dernières années, et le caractère maniériste de l'allongement des lignes (du cou en particulier) se généralise. Indifférent aux théories, Modigliani ne fit qu’effleurer le fauvisme, l’expressionnisme ou le cubisme, courants qui départagent les artistes de son temps. Ainsi son œuvre, bien que parfaitement cohérente avec elle-même, est-elle inclassable stylistiquement ou même historiquement….
La vie de Modigliani est à la fois bien et mal connue. Modigliani est devenu le héros de la bohème, incarnant à lui seul toutes les passions, toutes les folies de l’artiste maudit, au gré de la fantaisie de ses biographes Modigliani recherche en effet une certaine beauté abstraite, synthèse de son idéal formel et de son expérience du modèle , on a parlé d'art nègre pour décrire ses caractéristiques si singulières, des yeux en amande sous des sourcils fortement arqués, la ligne longue et forte du nez. Ainsi la mise en page est-elle presque toujours semblable: les personnages sont en général vus de face, assis, les mains croisées; toute l’attention est concentrée sur le visage; les fonds unis, indéfinis, servent de repoussoir, le corps n’étant souvent que trop sommairement esquissé. Ce qui préoccupe Modigliani, c’est l’effet plastique de la ligne, son relief, plus sculpture que peinture; le modelé n’est que très légèrement indiqué et la couleur réservée, harmonieuse, sans épaisseur, car elle n’est là que pour "agrémenter" le dessin...
Enfin, ne peut-on oublier comment Modigliani soutint deux peintres aussi marqués que lui par le destin, Chaim Soutine, son compatriote juif expatrié, et Maurice Utrillo, le fils déséquilibré de la peintre Suzanne Valadon et de père inconnu....
Les oeuvres de Modigliani sont exposées principalement à The Barnes Foundation (Reclining Nude from the Back, 1917; Young Redhead in an Evening Dress, 1918; Hanka Zabrowska, 1919), Philadelphia Museum of Art (Portrait of a Polish Woman, 1919), The Metropolitan Museum of Art, New York (Flower Vendor, 1919; Jeanne Hébuterne, 1919; Reclining Nude, 1917), The Art Institute of Chicago (Portrait of a Woman, 1917), le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (Lunia Czechowska, 1919; Woman with Blue Eyes, 1919), Museu de Arte Moderna de São Paulo (Self Portrait, 1919), Solomon R. Guggenheim Museum, New York City( Yellow Sweater, 1919), Tate Modern, London (Portrait of a Girl, 1917), The National Gallery of Art, Washington DC (Portrait of Chaim Soutine, 1917; Portrait of Madame Kisling, 1917), The Museum of Modern Art, New York (Reclining Nude, 1917)...
En 1917, Moïse Kisling écrit, "Modigliani était mon meilleur ami. Mais ce n'était plus le garçon sobre d'avant guerre. Il venait tous les jours dans mon
atelier; nous travaillions ensemble et nous avions souvent des modèles communs : nous fîmes tous les deux entre autres le portrait de Jean Cocteau", et Modigliani, à son tour fit de nombreux
portraits de son ami en 1915. Quand Modigliani n’avait pas d’atelier, Kisling lui offrait le sien, rue Joseph-Bara. En 1917 apparaît Jeanne Hébuterne, elle a 19 ans : elle rejoint son peintre
paysagiste de frère à Paris et sert de modèle à Léonard Foujita. C'est la même année qu'elle rencontre Modigliani par l'entremise de Chana Orloff, une sculptrice russe. Les témoignages et
photographies de l'époque révèlent une Jeanne Hébuterne, belle et énigmatique jeune femme au teint pâle, cheveux châtain et regard vert et mélancolique, fascine (on sait que Modigliani les
peindra toujours en bleu), une bouche charnue : l'attrait passionnel est immédiat avec Modigliani, mais la réputation de ce dernier, émigré juif, bohème, peintre, alcoolique et toxicomane, oblige
Jeanne Hébuterne à rompre avec sa catholique de famille. De leur relation naît en 1918 une fille, Giovanna. Jeanne Hébuterne devient en 1919 son modèle préféré : "Les Yeux bleus, Portrait de
Jeanne Hébuterne" (1918, Philadelphia Museum of Art), "Portrait de Jeanne Hébuterne (1918, Pasadena, Norton Simon Museum), "Portrait de Jeanne Hébuterne" (1919, Kurashiki, musée d'art Ohara),
...
Elle ne se relèvera pas de la mort de Modigliani à 36 ans, le 24 janvier 1920, et le 26 du même se suicide, enceinte, en se jettant du 5e étage de
l'appartement de ses parents, à Paris. Elle avait alors 22 ans.
Le "Portrait de Paulette Jourdain" est une des dernières oeuvres peintes par Modigliani, en 1919. Native de Bretagne, Pauline "Paulette" Jourdain (1904-1997) a tout juste une quinzaine d'années quand elle arrive à Paris et est employée comme domestique puis comme assistante du marchand de Modigliani, Léopold Zborowski. Elle deviendra la maîtresse de ce dernier et posera pour d'autres artistes, dont Soutine et Kislin. Peinte dans son atelier au coin du 8 rue de la Grande Chaumière, c'est un tableau aux couleurs riches, présentant la jeune fille "en majesté", ici une synthèse allant de l'art africain aux peintures de maîtres anciens pour créer une oeuvre unique et sophistiquée. ...
Anna Zborowska (1885-1978)
Elle fut l'un des modèles attitrés d'Amedeo Modigliani entre 1906 et 1919 : "Anna Zborowska" (1917, Galerie nationale d'art moderne et contemporain, Rome), "Madame Zborowska" (1918, Tate), "Hanka Zborowska assise sur un divan" (1917, Museum of Modern Art), "La robe bleue"... Elle posa aussi, et aux mêmes dates, pour Félix Vallotton, Tsugouharu Foujita, Maurice Utrillo. Elle épousa le poète et marchand d'art Léopold Zborowski (1889-1932) qui rencontra Modigliani par l'entremise de Soutine en 1916 et qui fut pour lui un considérable soutien. Dans une cinquantaine de feuilles découvertes depuis peu, publiées sous le titre de "Trois ans avec Modigliani", Anna Zborowska raconte les débuts du peintre, sa rencontre avec son mari, la Rotonde, les nuits d'ivresse, les modèles nus courant dans l'appartement..
Dans ses portraits, Modigliani dépasse les peintres cubistes dans la destruction de la réalité, ses modèles sont segmentés dans un dédale de détails géométriques fragmentés : il passe ainsi par une étape de simplification géométrique, puis réassemble les différents éléments du visage avec l'intention de reconstituer une personnalité d’une manière directe et intransigeante: "chez Modigliani, écrira Jean Cocteau, la ressemblance est si forte qu’il arrive que cette ressemblance s’exprime en soi et frappe ceux qui n’ont point connu les modèles". Le portrait de Max Jacob ( 1876-1944) est représentatif de l'art de Modigliani, il y montre toute la nature complexe de son modèle, "la malice, l’ingénuité, la cupidité, la mélancolie, l’ironie, la douceur, la bonté, la cruauté, la lubricité, tout ce que voulez, sauf l’innocence et la simplicité.." (1916, Cincinnati Art Museum), quant au portrait du poète Jean Cocteau (1889-1963), c'est bien le parfait dandy avec son mouchoir soigneusement arrangé dans la pochette que Modigliani met en scène (1917). Lunia Czechovska (1919) évoquera face à Modigliani "l’impression d’avoir l’âme mise à nu et être dans l’étrange position de ne rien pouvoir faire pour déguiser ses sentiments".
Parmi ces portrais, citons ses compagnons Moïse Kisling (1891-1953) et Chaïm Soutine (1893-1943), mais aussi Henri Laurens (1885-1954), sculpteur cubiste, le peintre mexicain Diego Rivera (1886-1957), Pablo Picasso (1881-1973), qui ne fut jamais des intimes de Modigliani, le jeune Raymond Radiguet (1903-1923) qui faisait ses débuts sous la houlette de Jacob et de Cocteau, Léon Indenbaum (1892-1981), sculpteur d’origine russe au visage d'une singulière pâleur, Paul Guillaume ( 1891-1934) qui fait irruption comme marchand dans le monde de l’art parisien en 1914 en ouvrant sa première galerie rue de Miromesnil, José Pacheco (1885-1934), peintre portugais qui s'installe à Paris en 1910, le peintre catalan Manuel Humbert (1890-1975), le jeune poète polonais Léopold Zborowski (1889-1924) qui succédera à Paul Guillaume comme agent de Modigliani, le peintre polonais Wielhorski, Roger Dutilleul (1873-1956) grand bourgeois et grand collectionneur…
Moïse Kisling (1891-1953)
"C’est un véritable instinct qui pousse un coloriste à préférer telle couleur, le rouge, le vert et le jaune par exemple" et il faut en effet voir chaque oeuvre de Kisling comme une nouvelle expérience de couleur - De plus, dans ses portraits, Kisling est le peintre qui s'attache à créer une atmosphère et à faire ressortir la beauté nouvelle de la femme moderne, le regard, traité avec minutie, exprime souvent la tristesse ou l'angoisse. Élève de J. Pankiewicz, à l'Académie de Cracovie, il se rend à Paris en 1910 et s'installe rue Joseph-Bara à Montparnasse, un immeuble où habite Pascin puis Zborowski, reçoit beaucoup, notamment Modigliani, Soutine, Derain, Gris, Picasso. La diversité de ces contacts peut expliquer l'éclectisme de ses premiers tableaux, où coexistent assez harmonieusement la mise en page disciplinée du Cubisme et la couleur (Nature morte au pichet, 1913, Genève, Petit Palais, fondation Ghez). C'est en 1913 que André Salmon fait connaître le peintre. Engagé dans la Légion étrangère, blessé et réformé (1915), Kisling réside entre 1917 et 1920 dans le Midi (Marseille, environs de Toulon, Sanary, saint Tropez) ; il y exécute des portraits (Jean Cocteau, 1916, id. ; L'Homme à la pipe, 1916, id.) et des paysages d'une stylisation assez naïve, avec une prédilection pour les arrière-pays plus que pour les variations chromatiques de la mer. Si la palette de Kisling s'éclaire au contact de la Méditerranée, singulièrement l'eau est quasiment absente de ses oeuvres. Jeux optiques entre les couleurs primaires et les couleurs complémentaires, ciel d'un jaune incandescent et montagne d'un bleu profond marquent le fauvisme de "Saint Tropez" (1918).
Le somptueux "Nu au divan rouge "(1918), à la fois expressionniste et décoratif, illustre bien le syncrétisme de son art, on y suggère l'Olympia de Manet (1863) et la Vénus d'Urbino de Titien (1538), les fruits au premier plan entrent en correspondance avec les formes généreuses d'une femme qui s'offre à la convoitise du regard tout en cachant son sexe. Toujours à la même date, "Nature morte à la bouteille et au verre" semble reprendre les éléments traditionnels des natures mortes cubistes, la bouteille, le verre et le guéridon, mais le peintre en fait un espace voué aux teintes vives et contrastes chromatiques, le fauvisme l'emporte sur le cubisme. Une exposition chez Duret, en 1919, affirme son succès et Kisling devient le peintre des " années folles ".
"1916 la sieste à Saint Tropez, Kisling avec Renée" - C'est au printemps de l'année 1916 que Kisling rencontre Renée Gros, - "elle me plut tout de suite étrangement, avec ses cheveux d'un blond violent, coiffés à la chien, son visage au menton pointu, au grand nez, visage irrégulier mais animé d'un regard quêteur.." -, et l'épouse en 1917.
"Portrait de jeune femme" (1925), "Jeune femme au chandail rouge et foulard bleu, Kiki de Montparnasse" (1925) - Si l'artiste subit, comme tant d'autres, l'ascendant de Derain après la guerre (rotondité des volumes, dégradé des tons qui composent le visage), il ne renonça pas à ses premiers acquis, notamment à la couleur. Ses nombreuses figures féminines, portraits et nus, souvent empreintes d'une nostalgie proche de celle de Modigliani (stylisation du modèle inclinant la tête, mains croisées, regard en direction du spectateur et pourtant distant, presque absent), occupent une place non négligeable dans l'iconographie de l'après-guerre (La Rousse, 1929; Jeune Fille au châle polonais, 1928, Paris, M.N.A.M.). En 1938 Kisling est condamné à mort par les allemands, en septembre 1939 Kisling est mobilisé au 11ème régiment du train des équipages. Il s'exilera au Portugal puis aux USA durant la guerre. Kisling vécut à New York puis à Hollywood de 1941 à 1946 ("Je partis pour Hollywood où je fréquentais la colonie française ... J'habitais chez Arthur Rubinstein où je vais retourner bientôt pour faire le portrait de sa petite famille ... J'eus avec Charlie Chaplin de longues conversations. J'appris la peinture à Michèle Morgan". Après l'armistice il retourne dans le Midi, le port de Marseille, Sanary sur Mer (Sanary sur Mer, vu de la maison de l'artiste, 1951), où il s'installe, Josane, son dernier modèle (Nu de Josane aux bras croisés, 1952)…
Kiki de Montparnasse
Durant les années folles, tous se retrouvaient autour d’expositions et de soirées folles : celles de la baronne d’Oettingen, du bal nègre avec Youki et surtout avec Kiki, reine de ces soirées. Cette jolie brune volcanique, au sourire éclatant s’appelait en réalité Alice Prin (1901-1953). Sa beauté et sa gentillesse en firent la coqueluche des artistes désargentés. Elle avait débuté en chantant à la terrasse de la Rotonde et dans une boîte à la mode, le Jockey. De nombreux peintres la prirent comme modèle : Modigliani, Soutine, Picasso, Foujita, Derain..... Parmi tous ses amants, Man Ray, le photographe-cinéaste américain l’immortalisa sur pellicule dans un court métrage de 1928, appelé « l’étoile de mer » d’après un poème de Robert Desnos. Quand survint la Seconde Guerre mondiale, Kiki de Montparnasse vit la fin de sa gloire, et bascula dans la misère, alcoolique et droguée, elle mourut en 1953.
Leonard Foujita (Tsuguharu Fujita, 1886-1968)
Né à Tokyo d’un père général médecin de l’armée japonaise au temps de l’empereur Mutsuhito, Tsuguharu Foujita débarque en 1913 à Montparnasse, en pleine effervescence cosmopolite du monde artistique: il a 27 ans, une solide formation classique, il est pétri de culture traditionnelle et lettrée, mais totalement excentrique et ouvert au vaste monde, et n’a aucune difficulté à créer des liens dans les milieux les plus variés et à savoir faire parler de lui : d’origine aristocratique, il cultive une allure de dandy, fréquente Apollinaire, Diego Rivera, Desnos, Picasso, Modigliani, Van Dongen, Soutine, Derain, Kisling, et Braque, Man Ray et Kiki de Montparnasse, ... Sa première exposition personnelle, en juin 1917 à la galerie Chéron, près des Champs-Élysées, fut un triomphe et ses 110 aquarelles se sont vendues instantanément. Au Salon d'Automne de 1922, le portrait nu de Kiki de Montparnasse sur fond ivoire (Nu couché avec Toile de Jouy) porte un succès lucratif. Opportuniste, il découvre Deauville en 1925, attire curieux et actualités cinématographiques de Pathé ou Gaumont, entre Mistinguett et Suzy Solidor, ou photographié en 1927 avec son chat par l'autrichienne Dora Kallmus.
Une existence mouvementée et frivole , des thématiques très simples à base de nus, d'autoportraits, de chats, de poupées et d'enfants, qui contrastent totalement avec son goût pour l'art de la Renaissance et son style, des fonds lisses et satinés, la précision et la finesse du trait, l'utilisation de teintes grisées sur un blanc opale, un mélange d'huile de lin, de craie broyée ou de plomb blanc et de silicate de magnésium qui fascine les spectateurs, les aplats de couleur des estampes japonaises auxquels s'ajoutent des arabesques proches de celles de Modigliani, au total un rendu des formes tout en douceur et grâce...
Foujita non seulement s'immerge totalement dans les milieux parisiens et dans l'art occidental, qu'il soit médiéval ou d'avant-garde, mais il aime les femmes : en 1917, il rencontre Fernande Barrey (1892-1960) au Café de la Rotonde, belle de nuit et modèle d'Amedeo Modigliani et de Soutine, - qui l'incitèrent à peindre -, il l'épouse mais se sépare en 1928, Fernande ayant une liaison avec son cousin Koyanagi. Succédant à Kiki (1901-1953), c'est Lucie Badoud (1903-1964), qu'il surnomma Youki (Neige rose), qui rentre dans sa vie en 1929, ménage à deux qui se transforme en ménage à trois, partagé avec l'écrivain surréaliste Robert Desnos. En 1931, Foujita fuit avec Madeleine Lequeux en Amérique du Sud, on la surnomme la «Panthère» (elle est danseuse au Casino de Paris), il la rebaptise «Mady Dormans», elle le suit au Japon mais décédera d'une overdose à Tokyo en juin 1936...
En 1930, Foujita peint quatre tableaux , "Le Salon à Montparnasse", "La Dompteuse au lion", "Trois femmes", "Le Triomphe de la vie sur la mort", suit un "Autoportrait" (1936, Masakichi Hirano Art Foundation), le peintre s'éloigne du raffinement et de l’élégance de ses œuvres antérieures pour une crudité burlesque...
En 1933, Foujita regagne le Japon, il est enrôlé en 1940, est nommé peintre officiel de l'armée de la Grande Guerre d'Asie et subit la tragédie des combats et massacres de masse ("Mort lumineuse aux îles Attu", Attsu-tô gyokusai, 1943; "Nos frères de Saipan fidèles jusqu'à la mort", Saipan-tô dôhô shinsetsu o mattô su), et lorsqu'il revient en France, en 1949, protégé par le général MacArthur et de riches collectionneurs américains, il n'est plus tout à fait le même. En 1955, sa rupture avec l'Asie est définitive et il acquiert la nationalité française. Une nuit de 1959, dans la basilique Saint-Remi de Reims, une illumination mystique le porte au catholicisme et c'est dans la conception de la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix, à Reims, qu'il jettera ses dernières forces ...
Marc Chagall (1887-1985)
Né dans l'actuelle Biélorussie, au sein d'une famille juive hassidique, Moishe Zakharovitch Shagalov , arrive en août 1910, francise son nom et devient Marc Chagall. Auparavant, apprenti sans le sou de Léon Bakst, il avait rencontré celle qui deviendra plus tard sa femme et modèle de plusieurs de ses œuvres, Bella Rosenfeld, fille d'un riche bijoutier (Ma fiancée aux gants noirs, 1909, Les Amoureux en vert, 1916, La Promenade, 1917, Bella au col blanc, 1917). Il occupe d'abord un atelier impasse du Maine, puis s'installe en 1912 à la Ruche jusqu'en 1914. Le voici découvrant Renoir, Monet, Van Gogh, Matisse et les Fauves, qui autorisent la couleur au détriment de tout réalisme: la couleur envahit donc ses toiles (L'atelier, 1910) et exprime en toute liberté toute sa culture russe et yiddish (L'Ane vert, 1911, Tate Modern, London; La Noce, 1911; A la Russie, aux ânes et aux autres, 1911, Le Buveur ou le Saoul - 1911-1912). Via ses motifs qui empruntent aux techniques du cubisme et du rayonnisme, Chagall semble opposer une intériorité propre particulièrement agitée, passionnée et imaginative, à cet environnement occidental qui développe calmement ses révolutions picturales. Vitebsk et Bella Rosenfeld sont toujours présents en lui…
(Chagall, Quelques impressions sur la Peinture française) "Je suis arrivé à Paris comme poussé par le destin. A ma bouche affluaient des mots venus du coeur. Ils m'étouffaient presque. Je bégayais. Les mots se pressaient à l'extérieur, anxieux de s'éclaircir de cette lumière de Paris, de se parer d'elle. Je suis arrivé avec des pensées, des rêves qu'on ne peut avoir qu'à vingt ans, mais peut-être ces rêves se sont-ils arrêtés en moi pour longtemps.
D'habitude, on pourrait dire qu'on ne va pas à Paris avec des bagages tout faits. On y va, délesté, pour étudier, et on en repart avec du bagage - parfois. Je pouvais certes m'exprimer dans ma ville lointaine, dans le cercle de mes amis. Mais j'aspirais à voir de mes propres yeux ce dont j'avais entendu parler de si loin : cette révolution de l'oeil, cette rotation de couleurs, lesquelles spontanément et savamment se fondent l'une dans l'autre, dans un ruissellement de lignes pensées, comme le voulait Cézanne, ou librement dominantes comme l'a montré Matisse. Cela, on ne le voyait pas dans ma ville. Le soleil de l'Art ne brillait alors qu'à Paris, et il me semblait et il me semble jusqu'à présent qu'il n'y a pas de plus grande révolution de l'oeil que celle que j'ai rencontrée en 1910, à mon arrivée à Paris. Les paysages, les figures de Cézanne, Manet, Monet, Seurat, Renoir, Van Gogh, le fauvisme de Matisse et tant d'autres me stupéfièrent. Ils m'attiraient comme un phénomène de la nature. Loin de mon pays natal, ses clôtures se profilaient dans mon imagination sur le fond de ses maisons. Je n'y voyais aucune des couleurs de Renoir. Deux, trois taches sombres. Et, à côté d'elles, on aurait pu vivre une vie sans l'espoir de trouver ce langage artistique libéré qui doit respirer de lui-même comme respire un homme.
A Paris, je ne visitai ni académie, ni professeurs. Je les trouvais dans la ville même, à chaque pas, dans tout. C'était les commerçants du marché, les garçons de café, les concierges, les paysans, les ouvriers. Autour d'eux planait cette étonnante "lumière-liberté" que je n'ai jamais vue ailleurs. Et cette lumière, facilement, passait sur les toiles des grands maîtres français et renaissait dans l'art. Je ne pouvais m'empêcher de penser : seule cette "lumière-liberté", plus lumineuse que toutes les sources de lumière artificielles, peut faire naître des toiles scintillantes, où les révolutions de la technique sont aussi naturelles que le langage, le geste, le travail des passants dans la rue."
Chagall part s’installer à Paris en 1911 et les premières quatre années qu'il y passera sont souvent considérées comme celles de la maturité : Autoportrait aux sept doigts (1912), Le village et moi (1911), Hommage à Apollinaire (1911-12), Calvaire (1912), Le violoniste (1912), Paris par la fenêtre (1913), un jeu de couleurs à forte résonnance, des éléments figuratifs le plus souvent fantaisistes, une atmosphère générale à mi-chemin de la blague yiddish et du conte de fées russe....
"Autoportrait aux sept doigts" (Self Portrait with Seven Fingers, 1912-1913, Private)
Chagall pénètre rapidement dans le milieu artistique de Paris, fait la connaissance de Delaunay et fréquente les vendredis de Canudo, directeur de la revue
Montjoie, où il rencontre La Fresnaye, Gleizes, Metzinger, Marcoussis, Lhote, Le Fauconnier. Il se lie également avec Cendrars et Apollinaire, et les deux poètes s'enthousiasment pour sa peinture
et son "primitivisme". Chagall emprunte au Cubisme et à la conception luministe de Delaunay une manière nouvelle de présenter les rapports formels : "Moi et le village" (1911, New York, MOMA), "À
ma fiancée" (1911, musée de Berne), "À la Russie, aux ânes et aux autres" (1911-12, Paris, M.NAM), "Le soldat boit" (1912-13, New York, Guggenheim Museum). Au cours de sa première année à Paris,
en 1911, Chagall peint à de multiples reprises Vitebsk. La représentation créative de sa ville natale entremêle réalité et fantaisie, et à travers la figuration de la population paysanne juive,
associée à une iconographie faisant la part belle à l'harmonie entre l'homme et l'animal, elle devient l'instrument privilégié par lequel Chagall préserve son lien avec les lieux de son enfance.
Par l'entremise de Guillaume Apollinaire, Chagall rencontre Walden à Paris en 1912 (Paris par la fenêtre, 1913, Solomon R. Guggenheim Museum, New York City), puis expose à Berlin au premier Salon
d'automne allemand (1913) et à Der Sturm (juin-juillet 1914). Il continua son voyage pour revoir sa fiancée Bella et sa famille à Vitebsk. Mais la guerre éclata et le retint en Russie jusqu'en
1922... Mais Vitebsk reste "un monde à part, une ville ennuyeuse, habitée par des bourgeois bossus et maigres, des juifs verts" imprégnés de la parole sacrée (Le Juif en vert,
1914)....
Chagall épouse Bella à Vitebsk le 25 juillet 1915 et devient, à la révolution de 1917, "commissaire aux beaux-arts", puis un temps directeur de l’école des Beaux-Arts. L'existence y est tant étouffante, impossible à tenir son amour (N'importe où hors du monde, 1915; Fenêtre à la campagne, 1915; Au-dessus de la ville, 1914-1918; La promenade - 1917). Marc et Bella, accompagnés de leur fille Ida, s’installent à Moscou, après un différent avec Malevitch (Paysage cubiste, 1918-1919), et le peintre affine son style sans se détacher de son univers biblique et hassidique (Introduction au Théâtre d'art juif, 1920). C'est le temps de : Over Vitebesk (1914, Philadelphia Museum of Art), Birthday (1915, Museum of Modern Art, New York), Bella and Ida by the Window (1916), In Step (1916, Tretyakov Gallery, Moscow), The Marketplace, Vitebsk (1917, Metropolitan Museum of Art, New York), Grey Lovers (1917, Private collection), The Promenade (1917, The State Russian Museum, Saint Petersburg), The Blue House (1917-1920, Musée d'Art Moderne et d'Art Contemporain de Liège)...
Chagall revient à Paris en septembre 1923, décide de ne pas rejoindre le mouvement surréaliste et modifie son style en élimant les séquelles du cubisme et en procédant, d'une part, à la fusion des noirs et des blancs, et, d'autre part, à l'interpénétration des tons. La tonalité violente inspirée par le folklore russe fait place à une collaboration plus subtile durant toute ses oeuvres des années 20 et 30. Mais vers 1933 les persécutions des juifs s'annoncent, l'antisémitisme sévit également dans certains milieux français, la figure du Christ va s'imposer à Chagall après son voyage en Terre Sainte en 1931 (La crucifixion blanche, 1938). En 1941 Chagall et sa famille, sont forcés de quitter la France où une rafle a failli enlever Bella, ce qui a précipité leur départ pour New-York. Une Bella qui demeure toujours son guide et sa muse et rédige en yiddish, entre 1935 et 1944, ses propres mémoires, celles du temps d’avant leur mariage dans la ville de Vitebsk, qui devient une sorte d’archétype du lieu du bonheur (Les Lumières allumées). Bella jusqu'à sa mort en 1944 fut le grand amour de Chagall…
Boris Grigoriev (1886-1939)
Né à Moscou, Boris Grigoriev, peintre d'avant-garde et satiriste, séjourne à Paris en 1913 puis en 1921 pour connaître la notoriété en 1926 et finir ses jours, après un détour au Chili et aux Etats-unis ( Faces of Russia), à Cagnes sur mer...
Works : Bistro, Paris (Tretyakov Gallery, Moscow) , The Concierge (1918, Tretyakov Gallery, Moscow), Parisian Café (1913, State Russian Museum, St Petersburg), Fair in Brittany (1914, Tretyakov Gallery, Moscow), A Model (1926, Metropolitan Museum of Art, New York), Mother (1915, The State Russian Museum, Saint Petersburg), Night Scene in Paris (1913, The Pushkin State Museum of Fine Arts), Parisian Cafe (1914, Tretyakov Gallery, Moscow), Portrait of A.A. Korovin (1916, The State Russian Museum, Saint Petersburg), Portrait of Painter N.V. Remizov with his Wife (1932-1933, The State Russian Museum, Saint Petersburg), Portrait of Vsevolod Meyerchold (1916, The State Russian Museum, Saint Petersburg), The Street of Blondes (1917, Museum of the Russian Academy of Arts, St. Petersburg), Woman Reading (1922, Metropolitan Museum of Art, New York)...
Chaïm Soutine (1893-1943)
Natif de Lituanie, dans un petit village à majorité juive de la région de Minsk, fils d'un tailleur, Chaïm Soutine rencontre Michel Kikoïne puis Pinchu
Krémègne, tous deux futures peintres associés à l'Ecole de Paris, et gagne en 1910 Vilna. Soutine se fixe à Paris en 1913 et s'installe à La Ruche, puis devient en 1915, le compagnon bien connu
des jours de misère de Modigliani. Celui-ci, son aîné, déjà un peu connu, aussi beau et charmeur que Soutine est repoussant, lui apprend les bonnes manières et prend en charge cet homme qui n'a
connu que souffrances et humiliations. Ils travaillent côte à côte à la Cité Falguière sans qu'on puisse déceler la moindre trace d'influence de l'un sur l'autre, une peinture qui pour
Soutine s'exprime par le choix virulent des couleurs et le travail agressif de la pâte, un style qui par ailleurs n'évoluera plus. Mais tous deux sont poussés par le même désir d'indépendance,
loin, très loin des mouvements artistiques de leur temps, fauvisme, cubisme ou futurisme., tous deux rongés de l'intérieur par une souffrance profonde, palpable chez un Soutine qui par ailleurs
déborde d'énergie, moins visible chez Modigliani qui la noie néanmoins dans l'alcool et la drogue. Modigliani dans ses portraits le peint avec franchise mais laisse émaner un regard attendri
(1916, musée d'art moderne de Céret). Envoyé par le marchand Léopold Zborowski dans le village de Céret en 1919, il y reste trois années, éprouvantes, peint avec frénésie deux cents
tableaux et apprend la mort de son ami, Modigliani.
Works: "La Jeune Femme" (1915), "Autoportrait au rideau" (1917), "Les Maisons rouges" (1917), "White House" (Musée de lOrangerie, Paris), "L'Escalier rouge à Cagnes" (1918), "Self Portrait" (1918, Musée d'art de l'université de Princeton), "La Folie" (1919), "La Femme en vert" (1919), "Le Pâtissier" (1919, The Barnes Foundation), "Young Girl in Red Blouse" (1919, The Barnes Foundation), "Little Girl with Doll" (1919, Hillman Family Foundation, New York City), "Portrait of Moise Kisling" (Philadelphia Museum of Art ), "Les Platanes à Céret" (1920)…
Peintre puissant et autodestructeur, Soutine créera constamment dans la fièvre. Le collectionneur américain Barnes achète nombre de ses tableaux et c'est avec le "Petit Pâtissier" (1919) que Barnes et Soutine accède à la renommée, et à la fortune. En 1925, il emprunte à Rembrandt le thème du "Boeuf écorché" (musée des Beaux-Arts de Grenoble), emblématique de son style : l'utilisation immodérée du rouge sang et les distorsions de ses portraits et de ses paysages accentuent l'effet dramatique et nous versent au bord de la démence. Visionnaire doué d'une stupéfiante richesse d'expression, Soutine incarne le mythe de l'art rebelle et férocement antibourgeois. Son attachement à la "vérité" intime des choses le pousse, à la façon de Van Gogh, à une observation obsessionnelle et manique de la nature sous tous ses aspects. Paulette Jourdain, ex-modèle de Modigliani et devenue la confidente de Soutine, posera deux ou trois d'affilée tant Soutine peignait lentement et revenait sans arrêt sur des détails. La première exposition personnelle de Soutine sera organisée à Paris, galerie Bing, en juin 1927. En 1928, il peint le portrait de Madeleine Castaing, pourvoyeuse financière des années 1930s, commence ses séries de grooms et rencontre Pascin à Montparnasse. L'homme reste partagé entre timidité instinctive, dépression et grossièreté, "Il lui arrivait d'étaler la peinture avec ses mains enduites de couleurs, et la pâte restait sous ses ongles. Le travail terminé, il plaçait son tableau contre le mur, n'offrant aux regards que l'envers de la toile et il ne souffrait pas qu'on puisse examiner ce qu'il venait de peindre" (Drieu La Rochelle). Gerda Michaelis, dite "Garde", rencontrée au Dôme en 1937, le soutiendra constamment, notamment lorsqu'ils seront tous deux emportés par la tourmente de nazie de 1940-1943. Marie-Berthe Aurenche, ancienne épouse de Max Ernst, lui donnera refuge les deux dernières années de sa vie. Il décèdera le 9 août 1943 d'une perforation de l'estomac...
Works: "Le pâtissier au mouchoir rouge" (1922-23, Musée de l'Orangerie, Paris), "Road up the Hill" (1922, Tate Modern, London), "Landscape with Figures" (1922, Metropolitan Museum of Art, New York), "Vue de Cagnes, La Gaude et les Baous" (1922-1923), "The Sculptor, Oscar Miestchaninoff" (1923-1924, Musée National d'Art Moderne de Paris), "Woman in a Blue Dress" (1924, id.), "La raie" (1924, The Metropolitan Museum of Art, New York), "Le Boeuf écorché" (1925, Kunstmuseum, Bern), "The Groom" (1925, Musée National d'Art Moderne de Paris), "Room Service Waiter" (1927, Musée de l'Orangerie, Paris), "Portrait of Madeleine Castaing'" (1929, Metropolitan Museum of Art, New York), "Young English Girl" (1934, Musée de l'Orangerie, Paris), ...
La mort de Modigliani (1920) marque un renouvellement de ce qu'on appelle l' "école de Paris". Les conditions matérielles apparaissent alors plus favorables pour les peintres, alors qu'une nouvelle génération de peintres affluent vers Paris, de Russie notamment après une étape à Berlin : Mané-Katz, en 1921, Zygmund Menkès et Max Band, en 1923, retour de Chagall en 1923, Abraham Mintchine, Constantin Terechkovitch en 1920, André Lanskoy et Serge Charchoune en 1921, Jean Pougny en 1923, Serge Poliakoff. Ces peintres sont beaucoup moins novateurs que leurs aînés et plus aisément intégrés à la vie artistique, bénéficiant du soutien de leurs coreligionnaires, critiques ou directeurs de galerie….