John Singer Sargent (1856-1925) - Giovanni Boldini (1842-1931) - Paul Albert Besnard (1849-1934) -
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Last update: 2018/10/10
La fin du XIXe siècle est marquée par l’essor de la bourgeoisie, élite dominante qui prend le pas sur l'aristocratie tout en adoptant certains de ses codes en matière de luxe et de distinction : c'est une classe cosmopolite que fascine l'art et la culture : les riches bourgeois financeront des peintres, des musiciens, et des écrivains, non seulement par passion mais aussi pour tout simplement pérenniser leur image et s’affirmer comme les nouveaux gardiens de la civilisation. C'est dans ce contexte que certaines femmes s'émancipent, mais que sont-elles si ce n'est des muses nues ou des figures idéalisées : et derrière cette façade de richesse et de réussite, pointe une lassitude existentielle, perceptible dans les critiques sociales (on pense à Proust ou à Zola) ou dans des portraits souvent mélancoliques...
Trois peintres traduisent, chacun à leur manière, une véritable obsession pour l'image d'une femme symbole de suprême raffinement et de modernité, des femmes issues de cette haute société dominatrice mais infiniment fragiles, déesse insouciante du luxe parisien pour l'italien Giovanni Boldini (1842-1931), célèbre pour ses portraits d'aristocrates ou mondaines aux poses exagérément allongées et robes flamboyantes (1900-1910). Icône presque classique, mêlant beauté et énigme, chez l'américain John Singer Sargent (1856-1925), auteur d'un scandaleux "portrait de Madame X" (1884, Metropolitan Museum of Art) tant il sait conjuguer dans une même silhouette féminine l'élégance et la sensualité retenue. Muse ou une métaphore pour le français Albert Besnard (1849-1934), peintre symboliste de la beauté féminine et sensuelle dont deux grands portraits marquèrent leur temps, ceux de Mme Henry Cochin et de Mme Pillet-Will (1900-1905) ou "Portrait of Madame Georges Rodenbach" (1897, Musée des Beaux-Arts,Toulon) . Boldini est le peintre des coups de pinceau rapides et virtuoses, donnant l'impression d'un mouvement figé dans l'instant, Sargent conjugue avec subtilité précision et spontanéité, conservant une élégance presque sculpturale, et Besnard expérimente quant à lui textures et des transparences, jouant souvent sur des effets lumineux plus audacieux. La mode et le corps sont des langages visuels, nos peintres dialoguent avec des textures et des harmonies de couleur et chacune de leurs oeuvres peuvent être vue comme autant de miroirs des attentes masculines de leur époque envers les femmes...
John Singer Sargent (1856-1925)
Si l'Amérique revendique Sargent comme un de ses artistes, celui-ci s'expatria vers l'Europe, à l'image de Mary Cassatt, Whistler, Winslow Homer, cherchant sur l'ancien Continent la tradition d'éclectisme et de virtuosité qu'il semblait ne pas trouver dans la peinture américaine. Type même, donc, du peintre américain cosmopolite, - il n'a pas vu l'Amérique avant l'âge de 20 ans, mais a passé son enfance à errer avec sa famille en Italie et en France, en Suisse, en Autriche et en Allemagne -, Sargent est né à Florence et mort à Londres, et fut à Paris l'élève de Carolus Duran, dont il apprit les procédés du portrait mondain ("Carolus-Duran", 1879, Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown, Massachusetts). Carolus-Duran, grand admirateur de Velázquez, enseignait à ses élèves à poser les principaux plans du visage directement sur la toile non préparée, à capturer le flux de lumière en surface, à rechercher le chatoyant. Sargent allait à son tour exporter ces techniques avec une virtuosité saisissante, mais non sans quelques facilités. Admirateur de Frans Hals, sensible aux nouveautés de l'Impressionnisme, ses portraits nous restituent avec une vraisemblance très flatteuse l'image d'une société mondaine, londonienne ou parisienne. En 1878, Sargent commence à exposer au Salon de Paris, et développe une façon de faire qui lui est propre : ses sujets semblent à la fois proches et distants, les visages semblent pris sur le vif et pourtant affichent un détachement significatif, ses poses sont souvent théâtrales. Ses méthodes de composition et de peinture révèlent un équilibre subtil entre contrôle et relâchement, et si l'on recherchait particulièrement son talent de portraitiste, ce n'était jamais sans une certaine appréhension...
Sargent connut le scandale en 1884, lorsqu'il exposa à Paris le portrait de "Madame X" (Met, New-York), celui de Virginie Gautreau, américaine comme lui et célèbre beauté de la haute société de l'époque : Sargent révéla qu'il avait quelques difficultés à la représenter, ne sachant quelle pose privilégier qui accentuait son profil caractéristique. Le public, quant à lui, fut choqué par sa robe très décolletée, perplexe devant sa pâleur cadavérique, rebuté par la position tordue de son bras droit, outré par le fait que l'une de ses bretelles de la robe avait glissé de son épaule (Madame Gautreau et sa mère exigèrent que la lanière fut rétablie). Pour un critique, la palette et le pinceau semblent dérivés de Velázquez, la vue de profil rappelle le Titien, et le traitement non modulé du visage et de la figure inspiré par le style d'Édouard Manet et des gravures japonaises. Mais malgré la nouveauté et la qualité du tableau, ce fut le succès de scandale au Salon de 1884, qui l'emporta : "le profil est pointu, l'œil microscopique, la bouche imperceptible, la couleur pâle, le cou tendineux, le bras droit sans articulation, la main est désossée". Lorsqu'il vendit Madame X au Metropolitan Museum de New York des années plus tard, Sargent avoua que c'était peut-être le meilleur travail qu'il avait jamais fait, mais à l'époque, il était troublé par la malice qu'il suscitait. Il dut fuir Paris pour un temps, gagner Londres, encouragé par l'écrivain Henry James, qu'il rencontre en 1884, puis les Etats-Unis où la gloire semblait l'attendre....
"Lady Agnew of Lochnaw" (1892)
C'est l'un de ses portraits les plus célèbres de Sargent parce qu'il est plus qu'un simple portrait mondain, mais une œuvre qui parvient à nous faire ressentir le caractère et l'esprit d'une femme : Gertrude Vernon, épouse de Sir Andrew Agnew, 9ᵉ baronnet de Lochnaw. Commandé peu après leur mariage, ce portrait incarne toute l'élégance et la modernité de l'aristocratie britannique à la fin du XIXe siècle, - Lady Agnew est représentée dans une posture détendue, assise dans un fauteuil Louis XV, avec un regard direct et assuré, rarissime pour l'époque : la connexion entre elle et le spectateur est immédiate, son regard attire le nôtre par un mélange subtil de mystère et d'une certaine mélancolie. Sargent utilise une palette délicate, dominée par des tons de blanc, de lavande et de chair, pour souligner la douceur et la grâce du sujet. La lumière douce accentue les textures de la peau et des tissus, créant une harmonie visuelle ...
"Mrs. Fiske Warren (Gretchen Osgood) and Her Daughter Rachel" (1903)
Un des portraits que l'on considère parmi les plus sophistiqués de Singer Sargent : une mère et sa fille dans un cadre luxueux, Gretchen Osgood, épouse de Fiske Warren, une figure culturelle de Boston, connue pour son intelligence, son raffinement et ses talents artistiques, l’idéal de la femme de la haute société, et Rachel, sa fille, une figure en devenir, marquant un contraste générationnel subtil : les vêtements sont peints avec une attention méticuleuse aux textures, notamment la robe satinée de Mrs. Warren et les détails du ruban rouge de Rachel; le décor luxueux, avec ses motifs subtils et son mobilier élégant, reflète le statut de la famille tout en restant discret pour ne pas détourner l’attention des figures principales. Contrairement à certains de ses portraits plus flamboyants ou mondains, "Mrs. Fiske Warren" dégage une sensibilité et une intimité rares....
J. Singer Sargent, "Fête familiale" huile sur toile, 1887 (Minneapolis Insitute of Art) - L' "intimisme" est un terme forgé vers 1900 par le critique d'art Camille Mauclair, terme qu'il reprit en 1921 dans "Les États de la peinture française de 1850 à 1920" pour qualifier une des nouvelles inflexions de la peinture, née selon lui à la fin du XIXe siècle. Cette dénomination, qui répondait à celle d' "impressionnisme" inventée quelques années auparavant pour nommer l'art de Monet, de Berthe Morisot ou de Renoir, fit à cette époque sensation. Camille Mauclair définira l'intimisme comme "la révélation de l'âme à travers les choses peintes" ou encore comme "la suggestion magnétique, par la description des apparences, de ce qui se trouve derrière elle, le sens intime des spectacles de la vie". Pour lui, les intimistes étaient avant tout des peintres de scènes d'intérieur, comme Charles Cottet ou Eugène Carrière, qui s'inspiraient des compositions des Hollandais du Siècle d'or pour représenter la réalité, mais une réalité intime et intériorisée. Mauclair opposait ces artistes aux impressionnistes : s'ils décrivaient comme eux une réalité familière en empruntant leurs sujets au quotidien, ils refusaient la touche divisée et l'abandon du dessin au profit de la couleur. Et surtout, ils introduisaient dans leurs œuvres une part de mystère, directement issue du symbolisme finissant, mouvement dont le critique avait été un des ardents défenseurs et même un des protagonistes, puisqu'il était lui-même romancier.
Camille Mauclair fut très proche d'Albert Besnard, dont il analysa l'oeuvre dans plusieurs ouvrages. Les portraits de Besnard purent être perçus comme éminemment "modernes" parce qu'ils portaient attention à la psychologie du modèle, alors même que l'apparat de l'ensemble ne semblait réclamer aucune vision intérieure très recherchée. Le succès de ses portraits mondains tint de la sorte à un subtil mélange entre les codes de la représentation "officielle" (vues de face, vêtements apprêtés, dont les tissus étaient très travaillés) et ceux de l' "intimisme" (visages pensifs, gestes allusifs ou bien accessoires symboliques). L' "intimisme" fut donc pour Besnard dès les années 1880 un moyen de donner un nouveau souffle au genre rebattu du portrait, et il réussit à lui donner des accents très originaux vers 1900, créant autour de ses modèles l'atmosphère mystérieuse du symbolisme, qui jetait alors ses derniers feux. Le peintre américain John Singer Sargent qu'il avait rencontré à Londres et avec lequel il noua amitié, peignit en 1887 une "Fête familiale" dans cette orientation : il représente Besnard debout à l'arrière-plan, sa femme Charlotte et son fils Robert, attablés devant un gâteau d'anniversaire. L'importance du mobilier, des tentures et de la lumière se veut un hommage particulier à la conception intimiste ...
Albert Besnard (1849-1934)
Gloire de la peinture française de la Belle Époque, Albert Besnard a conquis tous les honneurs durant sa longue carrière à force de travail et de créativité. Les grands chantiers parisiens lui offrent la possibilité de renouveler l'art du décor monumental, des murs de l'Ecole de Pharmacie et de la Sorbonne aux plafonds de l'Hôtel de Ville, du Petit Palais et de la Comédie-Française. Le recours à des thèmes modernes, le symbolisme de son langage et la flamboyance de sa palette imposent sa puissante originalité. Besnard est aussi le peintre de la beauté féminine, qu'iI s'agisse de portraits intimes au pastel, de nus sensuels ou d'effigies mondaines dont il est un auteur recherché. Voyageant en Algérie et aux Indes, il livre également une vision personnelle d'un Orient âpre et envoûtant, d'une brûlante féerie...
Un Besnard plus secret se révèle enfin avec sa pratique de la gravure, qui lui permet d'aborder des sujets plus graves, les émotions existentielles de l'homme face à la mort, et montrer ainsi toute la complexité de sa personnalité et de son art. Deux séries de gravures particulièrement sombres reflètent ces préoccupations si singulières ...
Dans "La Femme", une longue suite méditée depuis 1885, Besnard retrace la vie de la femme dans ses bons et mauvais moments : "J'ai cherché dans ces douze eaux-fortes à fixer quelques impressions d'humanité; l'amour jeune et passionné, le baiser d'amour, le triomphe; la femme riche et heureuse, le centre d'admiration; la mort d'un enfant dans une chambre misérable, la mère forcée de se séparer de ses propres vêtements pour couvrir son enfant qu'une destinée aveugle et un sort sans pitié lui ravissent et avec lui, la seule défense contre une vie de prostitution menant à la honte et à la mort. Ce bref drame se termine dans une sorte d'apothéose où je montre une figure de femme âgée et repentante, levant vers les régions de l'éternel repos son pauvre coeur brisé par la vie, ses blessures attestant les luttes surmontées et lui assurant la rémission de ses péchés."
Dans "Elle", suite de vingt-six planches à l'eau-forte (1900-1901), dès la première gravure, l'artiste met en scène la Mort, couronnée de lauriers, chuchotant à l'oreille du vieux peintre. Les vingt-cinq tableautins suivants l'évoquent avec une imagination étonnante. Une Mort qui ici se mêle aux vivants et se glisse, insidieuse, dans la chambre à coucher ou dans la foule, cachée dans un fourré et tenant une longue canne, elle est L'Obstacle sur lequel le cavalier va tomber. Parée d'un long manteau, d'une toque et d'un manchon de fourrure, elle aguiche le passant, ou s'apprête à faucher le couple tendrement enlacé. Et dans scène d'une audace saisissante, "La Possession", elle poussera hors du lit l'amant pour jouir à sa place du corps pantelant de sa maîtresse qui crie ...
Au cours de sa carrière, Albert Besnard n'a réalisé qu'un seul portrait à l'huile le représentant, dans le salon de sa villa de Haute-Savoie, avec sa famille au complet ("Une famille ou Portrait de famille, 1890, Musée d'Orsay) et il est vrai que personne ne peut rester neutre face à ce tableau. On peut rapprocher de ce très célèbre tableau, un "Portait de Jean Besnard" (1896), le plus jeune de ses enfants, à sept ans, entièrement vêtu de noir dans l'embrasure d'une porte qu'il vient d'ouvrir, et en arrière-plan, sa mère qui lit le journal ...
"Portrait de Madame Pillet-Will" (1900-1905), Collection Lucile Audouy - Le 2 juillet 1892, à dix-huit ans, Marie Marguerite Isabelle de Comminges-Péguilhan (1874-1953), dite Isa, épousait le comte Maurice Pillet-Will (1870-1952), issu d'une famille de banquiers parisiens. Elle eut une fille Hélène (1893-1933) et de sa longue liaison avec Henry Jouvenel des Ursins (1876-1935), journaliste et homme politique, un fils adultérin, Renaud. Dans l'impossibilité de divorcer en raison des troubles mentaux de son mari, elle fut abandonnée par son amant qui finit par lui préférer l'écrivain Colette. Elle songea un temps à se venger de sa rivale, mais leurs rapports devinrent amicaux. Elle s'adonna ensuite à la littérature ...
Comparant deux grands portraits de Besnard ayant marqué leur temps, ceux de Mme Henry Cochin et de Mme Pillet-Will, le critique Camille Mauclair notait que l'auteur de ces huiles, "peintes avec le même éclat ", avait tenté de comprendre avant tout la psychologie profonde de ses deux modèles. ll ajoutait qu'il percevait chez la première "la distinction sobre et l'assurance" et chez la seconde un "charme languide". Mais sous la blondeur un peu rousse de la coiffure savamment étudiée de Mme Pillet-Will, on a noté que la fixité de son regard froid est assez troublante, justifiant le surnom de «panthère» qui lui fut donné en raison de son tempérament ombrageux. Son «inquiétante beauté» est encore accentuée par la robe-fourreau qu'elle porte, entièrement ornée de pastilles argentées. Rien donc d'étonnant à ce que la comtesse Pillet-Will ait été aussi assimilée a une sirène et à une déesse. Pour renforcer son élégance, l'artiste a fait appel au XVIIIe siècle français, siècle qu'il estimait au plus haut point: il a situé Mme Pillet-Will entourée de draperies bleues à la manière de Nattier. Visible est encore l'influence du Siècle des Lumières sur ses pommettes hautes en couleur et dans le miroir rococo suspendu derrière elle.
"Portrait de la princesse Mathilde", 1883, Compiègne, château - "Portrait de Francos Magnard", 1884, Petit Palais, Paris - "Portrait de famille", 1890, Musée d'Orsay - "Portrait de Francis Jourdain", 1892, Collect.part. - "Portrait de jean Besnard", 1896, coll.part. - "Portrait de Madame Georges Rodenbach", 1897; Toulon, musée des Beaux-Arts - "Portrait de Madame Paul Jamot", 1900, Reims, musée des Beaux-Arts - "Portrait de Camille Barrère", 1906, un personnage qui inspira le personnage de Norpos dans "A la recherche du temps perdu" de Proust - "Portrait de Boni de Castelleane", 1919, Collection Lucie Audouy, un personnage de légende de l'époque - "Portrait de Mademoisell Vayssier", 1890, idem ...
1880, le "portrait ornemental" - "Le Chapeau de paille", huile sur toile, 1890-1895, collection Lucile Audouy.
"Les années 1880 ont vu la formation du groupe des Nabis avec Paul Sérusier, Pierre Bonnard, Maurice Denis ou encore Édouard Vuillard. Tous étaient favorables à une évolution décorative de l'art. La simplification et la synthétisation de la forme, l'usage de motifs ornementaux, les cadrages atypiques, et les contrastes colorés furent les moyens les plus courants qu'ils utilisèrent pour souligner le caractère décoratif de leurs compositions. A la même époque, Besnard fut lui aussi très intéressé par les aspects ornementaux dans la peinture de chevalet, particulièrement dans le portrait. Mais il s'y attacha de façon très personnelle. Il n'adhéra jamais à un mouvement et chercha au contraire une voie solitaire, qui lui permit de ne pas renier l'esthétique de ses premiers essais. C'est pourquoi il conserva la représentation naturaliste de la figure humaine, héritée de la tradition du début du XIXe siècle, celles de Léon Bonnat ou de Carolus-Duran notamment, qui furent les grands portraitistes de référence de sa génération. Mais s'il conserva l'intégrité du genre du portrait, tel que l'entendaient les "réalistes", il la fit évoluer par la juxtaposition de plans colorés très contrastés et par des luminosités différenciées. Cette combinaison de deux éléments apparemment contradictoires - codes traditionnels de la figuration et traitement décoratif de l'ensemble - eut un parfum de scandale au Salon. Mais elle lui valut aussi certains de ses plus grands succès. A partir des années 1880, Besnard peignit ainsi une série d'effigies féminines remarquables par leur coloris et leurs chatoiements. En diffractant ou en réfractant la lumière artificielle et naturelle, en utilisant une palette très vive, volontairement heurtée dans certains cas, il mit au point une manière qui pouvait s'apparenter à celle de certains post-impressionnistes...."
"Portrait de Madame Roger Jourdain", 1885, musée d'Orsay - "Matinée d'été", 1886, Reims, Musée des Beaux-arts - "Portrait de Madame Besnard", 1887, Musée Carnavalet, Paris - "Portrait de Jeanne Bardet ou La femme en jaune", 1893, coll. Lucile Audouy - "Portrait de Madame Roger Marx?", 1892, coll.part. - "Portrait de femme à la fenêtre au corsage violet", 1899, coll. Lucile Audouy - "L'enivrement des roses", 1899, idem - "Femme dans une loge à l'Opéra", av. 1900, coll. Jacques Sargos - "Féérie intime", 1901, coll. Lucile Audouy - "Charlotte Besnard à Talloires", 1890, coll. part? - Femme assise dans un fauteuil au bord du lac d'Annecy", 1890 - "Le Châle rouge", vers 1920, coll.part. - ...
"Femme à demi-nue dans l'eau", 1890-1900, Musée d'Orsay - "Léda et le cygne", 1890-1900 - "Une source ou Baigneuse", 1912, Nantes, musée des Beaux-Arts - "Nymphe endormie dit Nu aux lapins" (1920-1921), Nantes, musée des Beaux-Arts - "Femme nue se chauffant", pastel, 1886, musée d'Orsay - "Femme pensive aux bras levés", 1889, coll. Lucile-Audouy - "Jeune femme à l'écharpe jaune", 1990 - "La main levée ou Femme aux roses", apr. 1910, coll. part. - ...
Giovanni Boldini (1842-1931)
Le critique d'art Robert de Montesquiou, modèle de des Esseintes dans À Rebours (1884, Huysmans) et du baron de Charlus dans À la recherche du temps
perdu (Proust), peint par par Whistler (1891) et Boldini (1897), définit à merveille l'art de Boldini, un portraitiste ne vise pas tant à la vérité photographique qu'à exprimer le jugement qu'il
porte sur son modèle : modèle et peintre fusionnent ainsi leurs identités dans le personnage représenté (1901). Ses portraits de femmes ne sont pas que des portraits de belles femmes, il parvient
à nous restituer en chacune d'elles le caractère unique de sa beauté. Autre apport, à la manière d'un Toulouse-Lautrec nous contant les nuits endiablées de la Belle Epoque, Boldini nous donne
l'image, éphémère, du Beau-Monde, élégant, policé mais vain, qui peuple les Salons au tournant des XIXe et XXe siècles.
Né à Ferrare en Italie, Boldini est initié par son père, peintre de son métier, aux techniques de la peinture et à l'iconographie traditionnelle de la Renaissance, ses connaissances se trouveront consolidées par les études accomplies à partir de 1863 aux Beaux-Arts de Florence mais ^mus encore dans la fréquentation du Caffè Michelangelo où règnent les Macchiaioli. Vers 1867, Boldini s'installe à Paris pour admirer l'Exposition Universelle et les peintures si réalistes de Courbet, il y fait la connaissance d'Édouard Manet, d'Alfred Sisley et d'Edgar Degas, ce dernier semble incarner pour le jeune artiste italien cet idéal de «peintre aristocrate» qui le fascine depuis son enfance. Le voici en passe d'être introduit dans ce Tout-Paris qui sera par la suite son milieu social de prédilection.
Entre 1867 et 1870, Boldini, rentré à Florence, travaille avec acharnement à une série de portraits (Monsieur Stibert, Le Peintre Cabianca, Piero Martelli). A 28 ans (1870), il s'installe à Londres, et grâce à son ami William Cornwallis-West, dans un quartier très fréquenté par les aristocrates londoniens, son talent de portraitiste s'affine dans cette expérience. Quelque temps après (1871), il s'établit définitivement à Paris, où il travaille pour le marchand d'art Goupil, et devient, en quelques années, un portraitiste « mondain » confirmé : des tableaux tels que le "Portrait de Whistler" (1897, musée de Brooklin, États-Unis) ou encore le célèbre "Portrait de Robert de Montesquiou" (1897, musée d'Orsay, Paris) confirment son prestige auprès du public et des écrivains à la mode (Boldini fut très apprécié par les frères Goncourt) ...
La belle comtesse Gabrielle de Rasty aux poses plus ou moins provocantes ("L’amico fedele" de 1872 se révèle particulièrement suggestif) ou l'extravagante Luisa Casati Stampa (1908, "La Marchesa Luisa Casati con un levriero"), Rita de Acosta Lydig, américaine d'origine cubaine, célèbre pour son style et sa beauté, Marthe de Florian, demi-mondaine française, célèbre pour sa beauté et sa vie amoureuse tumultueuse, Emiliana Concha de Ossa, une aristocrate chilienne, connue pour sa beauté et sa présence dans la haute société européenne, des modèles anonymes ou semi-anonymes qui vont peupler le sérail artistique du peintre italien....
Vers la fin du siècle, le peintre participe régulièrement aux salons officiels, son œuvre découle d'un savant mélange de techniques conservatrices (perspective, ton local, dessin ferme) et d'approches modernes (touches larges et floues, espaces parfois indéterminés, cadrages inédits), son nom tombe rapidement dans l'oubli, sa vision singulière de l'éphémère apparence sociale semblait l'avoir emporté....
Opere : Self-portrait while looking at a painting (1865, Galleria d'Arte Moderna di Palazzo Pitti) - The Art Lover (1866, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea di Roma) - Couple in Spanish Dress with Two Parrots (1872-1873) - Berthe in the Studio (1873) - Conversation at the Cafe (1877-1878) - Guiseppe Verdi in a Top Hat (1886, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea di Roma) - Portrait of Countess de Leusse (1889) - Scène de fête au Moulin Rouge (1889, Musée d'Orsay) - Count Robert de Montesquiou (1897, Musée d'Orsay) - Portrait Of Ena Wertheimer (1902) - ....
John Singer Sargent (1856-1925)
Peintre américain d'origine italienne qui ne vit les États-Unis qu'en 1876, John Singer Sargent est le peintre de l'élégance, immortalisant dans son atelier à Londres les riches et les privilégiés des deux côtés de l'océan Atlantique. En 1874 il se rend à Paris pour étudier la peinture avec Carolus-Duran, et commence à expérimenter les techniques des impressionnistes. En 1879, Sargent se rendit à Madrid pour étudier les œuvres de Diego Velázquez et à Haarlem pour voir celles de Frans Hals, date à laquelle il possède à merveille toute la technique nécessaire qui lui permettront d'acquérir la célébrité, via le scandale, en 1884, avec le fameux "Madame X", un portrait de Madame Gautreau, une célèbre beauté parisienne...
En 1877, Sargent expose pour la première fois au Salon de Paris, obtenant des critiques positives avec son tableau "Portrait d’une jeune femme". A 21 ans, l’une de ses premières œuvres importantes, préfigurant les qualités qui feront de lui un maître du portrait : une attention méticuleuse aux détails, une capacité à saisir la psychologie de ses modèles et une utilisation subtile de la lumière. La composition est sobre et classique, avec une pose traditionnelle qui met en valeur la grâce et la simplicité du modèle. Sargent utilise une palette limitée, composée principalement de tons chauds et neutres (beiges, bruns, noirs et blancs), qui accentuent la subtilité des détails. La robe noire, ornée de dentelles délicates, est peinte avec une précision remarquable, mettant en évidence la formation académique de Sargent à l’École des Beaux-Arts de Paris. Un travail réalisé peu après que Sargent a intégré l’atelier de Carolus-Duran, où il a appris à peindre sans dessins préparatoires détaillés, une technique, influencée par Velázquez, encourageait une spontanéité et une vivacité dans le rendu....
"Frances Sherborne Ridley Watts" (1877, Philadelphia Museum of Art) - "Madame Édouard Pailleron" (1879) - L'épouse du poète Édouard Pailleron, saisie dans une robe noire sophistiquée, l'élégance est austère, la précision extrême, une pièce importante de son œuvre parisienne ... - "Portrait of Carolus-Duran" (1879) - Ce portrait de son mentor, Carolus-Duran, est une œuvre élégante et respectueuse qui montre le peintre dans une posture confiante, vêtue d’un costume sombre. Exposé au Salon de Paris en 1879, il reçut des critiques élogieuses, affirmant Sargent comme un talent émergent. Un tableau qui un hommage à Carolus-Duran (1837-1917), - célèbre peintre de la IIIe République qui exposa au Salon, de 1866 à 1889, et fut, avec Léon Bonnat, portraitiste de la haute société de son temps -, et une démonstration de la maîtrise technique acquise sous sa direction... - "Dr. Pozzi at Home" (1881) - Le Dr. Samuel-Jean Pozzi, un gynécologue célèbre et figure influente de la société parisienne, est représenté dans une robe de chambre rouge vif, la pose théâtrale qu'il prend reflète sa personnalité flamboyante. Une oeuvre conservée au Hammer Museum, Los Angeles, qui montre combien Sargent parvient à saisir des personnalités psychologiquement complexes ...
En 1881, Sargent voyage en Espagne, où il étudie les œuvres de Velázquez. Cette influence marque un tournant dans son style, notamment dans la maîtrise de la lumière et de la psychologie des portraits. L'année suivante il réalise "El Jaleo", une représentation vibrante d'une danseuse de flamenco, qui sera un de ses premiers grands succès....
"El Jaleo" (1882)
Conservé au Isabella Stewart Gardner Museum à Boston, ce tableau marque un tournant dans la carrière de Sargent : il révèle en effet sa capacité à s'éloigner des portraits traditionnels pour saisir de l'énergie, de la passion, de l'émotion. Sa danseuse de flamenco, vêtue de blanc, placée au centre de la composition, est saisie en plein mouvement, entourée de musiciens et de spectateurs, nous offrant un mélange unique de virtuosité technique et de sensibilité artistique.
Les musiciens, à gauche, sont partiellement dans l'ombre, renforçant le contraste entre la lumière intense qui éclaire la danseuse et l'obscurité qui enveloppe le reste de la scène.
L'arrière-plan neutre met en valeur le mouvement dynamique de la danseuse et la richesse des détails. Sargent emploie un éclairage dramatique, presque théâtral, pour accentuer l'émotion de la scène. La lumière semble jaillir du sol, créant des ombres profondes et des reflets qui dynamisent l'image. La palette de couleurs est dominée par des tons sombres, avec des touches de blanc et d'ocre qui mettent en valeur la danseuse.
"Lady with the Rose (Charlotte Louise Burckhardt)", 1882, Metropolitan Museum of Art, New York - "Young Lady with a Repeating Watch" (1883) - Un portrait qui représente une jeune femme élégamment vêtue, tenant une montre à répétition dans ses mains, symbole de statut et de raffinement, tout le talent de Sargent pour les détails et les textures, notamment dans le rendu des tissus et des accessoires. La fascination de Sargent pour l’élégance féminine et les portraits intimes. - "Mrs. Henry White (Margaret Stuyvesant Rutherfurd)", Corcoran Gallery of Art, Washington, D.C., 1883 - En 1884, la présentation de "Madame X" au Salon, portrait d’une élégante mondaine (Madame Virginie Gautreau), provoque un scandale pour son audace, notamment en raison de la posture et de la sensualité de la femme. Un tableau qui deviendra l’un des chefs-d'œuvre les plus emblématiques du peintre (Metropolitan Museum of Art, New York) - "Mrs. Harry Vane Milbank (Alice Sidonie Vandenburg, Albert de Belleroche's mother)", 1883-1884 - "Madame Belleroche (Albert de Belleroche's mother)", 1884 - "Louis de Foucaud" (1884, Musée d'Orsay) - "The Misses Vickers" (1884, Weston Park Museum, Sheffield) - "Arsène Vigeant" (1885, Musée de la Cour d'Or - Metz Métropole) - "Mrs. Francis Davis Millet (Elizabeth ("Lily") Greely Merrill)", 1885-1886, private collection ...
"Le verre de porto" (1884)
Egalement connu sous le titre original "A Dinner Table at Night", est une œuvre marquante de John Singer Sargent, aujourd'hui conservée à la Fine Arts Museums of San Francisco. La scène se déroule dans une salle élégante, probablement lors d'un dîner à l'hôtel de famille Vernon, à Poissy, près de Paris. Le tableau montre une femme (Edith Vernon) et un homme (son mari, Albert) autour d’une table, où trône un verre de porto. L’expression de la femme est calme mais intrigante, avec une subtile note de défi. L’homme à l’arrière-plan semble marginalisé dans la composition, renforçant le rôle central de la femme et soulignant peut-être une tension dans leur relation. La lumière artificielle joue un rôle central. Elle éclaire vivement le visage et les mains de la femme ainsi que les objets en verre et en métal sur la table, créant un contraste saisissant avec l’arrière-plan plus sombre. La palette est dominée par des tons chauds – rouges, bruns et ors – qui évoquent une atmosphère à la fois luxueuse et feutrée. Un tableau qui révèle l’évolution de Sargent vers des œuvres plus personnelles et psychologiques, marquant une transition par rapport à ses portraits formels de commande....
Exil de Sargent à Londres et succès international (1885-1900) - En 1886, il s’est installé à Londres pour échapper au tumulte provoqué par "Madame X" et devient rapidement célèbre comme portraitiste des élites britanniques et américaines. En 1887, il réalise "The Daughters of Edward Darley Boit", un portrait complexe et psychologique, souvent comparé à "Les Ménines" de Velázquez. Parmi ses différents portraits, citons le "portrait de Madame Ramon Subercaseaux", réalisé à l'âge de 24 ans, une œuvre empreinte de clarté et de légèreté, le portrait de son ami d'enfance Vernon Lee, peint en 1881 (Tate Britain, London), qui met en scène un regard fugace et une intelligence vive et complexe, celui de Robert Louis Stevenson et de sa femme dans lequel Stevenson apparaît, comme "un poète bizarre, très joli, aux grands yeux, à l'ossature de poulet, légèrement tordu" (Robert Louis Stevenson and His Wife by John Singer Sargent, 1885, Crystal Bridges Museum of American Art, Bentonville, Akansas) ....
"Claude Monet Painting by the Edge of a Wood" (1885) - "A Morning Walk" (1888, Private collection) - En 1885-1886, Sargent peint des œuvres qui marquent sa brève mais intense phase impressionniste. Cependant, ce n’est qu’en 1887, lorsqu’il a rendu visite à Monet à Giverny, qu’il a embrassé l’impressionnisme plus complètement. Un tableau qui se veut hommage à l’impressionnisme et une œuvre qui a réussi à saisir un moment intime et informel dans la vie de Claude Monet, figure centrale de ce mouvement artistique, accompagné de son épouse, Alice Hoschedé, visible à l’arrière-plan, assise dans l’herbe.Le tableau est conservé à la Tate Gallery à Londres. C'est à la fois un portrait d’artiste et une célébration de l’art en plein air, Monet est représenté en pleine action, une main tenant son pinceau, l’autre posée sur la palette, incarnant la concentration et la sérénité du processus créatif; Sargent utilise une palette vive et naturelle, dominée par des tons verts, bruns et dorés, pour capturer la lumière filtrant à travers les arbres. Les coups de pinceau sont rapides et lâches, évoquant l’approche impressionniste sans s’y conformer totalement. La lumière joue un rôle essentiel, donnant une impression de chaleur et d’immédiateté... En été 1888, Sargent peint à Calcot Mill dans l’Oxfordshire "une promenade du matin" qui invite à comparer les tableaux que Monet a peints en 1886 de sa future belle-fille, Suzanne Hoschedé, vêtue également de blanc et portant un parasol, à l’air libre. La composition de Sargent est pleine de lumière estivale et brillante - "Dennis Miller Bunker Painting at Calcot" (1888, Terra Museum of American Art, Chicago) ...
"Robert Louis Stevenson and His Wife" (1885)
Conservé au Crystal Bridges Museum of American Art, Arkansas, "Robert Louis Stevenson and His Wife" est un tableau qui a toujours fasciné : une composition qui montre Stevenson marchant d’un pas énergique dans une pièce sobre, tandis que son épouse, Fanny Osbourne, est assise à l’arrière-plan dans un fauteuil, presque cachée dans l’ombre, un Stevenson, connu pour son esprit vif et son caractère excentrique. La composition est totalement atypique, voire audacieuse pour son époque. La palette est sobre, dominée par des tons de brun, de gris et de blanc, avec quelques touches de couleur dans les objets et les vêtements. La lumière douce met en valeur la silhouette élancée de Stevenson et éclaire légèrement le visage de Fanny, créant une ambiance intime mais intrigante. Stevenson semble absorbé par ses pensées ou en pleine conversation ... Un Sargent à son apogée en tant que portraitiste capable d'incroyables innovations, s’écartant, comme peu de peintres à son époque, des conventions rigides pour capturer l’essence psychologique de ses sujets...
"Carnation, Lily, Lily, Rose" (1885-1886)
Conservée à la Tate Britain, Londres, une scène lumineuse et poétique montrant deux jeunes filles (Dolly et Polly Barnard, filles d’un ami de Sargent), allumant des lanternes japonaises dans un jardin. Et c'est l'une des œuvres les plus célèbres de John Singer Sargent, tant par sa délicatesse, son ambiance poétique que sa maîtrise de la lumière. Le titre fait référence aux fleurs présentes dans la scène, les œillets (carnations), les lys et les roses. Il évoque également une phrase d'une chanson populaire de l'époque. La lumière est le véritable sujet de cette œuvre. Sargent capture l’éclat doux et chaud des lanternes et son interaction avec le crépuscule environnant. La palette est dominée par des tons pastel, verts, blancs et roses pour le jardin, et des jaunes orangés pour les lanternes. Les gestes délicats des petites filles, concentrées sur leur tâche, ajoutent une touche de naturel et d’innocence. Sargent a peint cette œuvre lors de séjours estivaux dans le Gloucestershire, en Angleterre, où il a travaillé en plein air pour saisir précisément la lumière du crépuscule. - ...
"The Daughters of Edward Darley Boit" (1887)
C'est l'une des œuvres les plus intrigantes et énigmatiques de John Singer Sargent. Réalisé à l'huile sur toile, ce tableau est conservé au Museum of Fine Arts à Boston. Il est souvent considéré comme un chef-d'œuvre de la psychologie et de la composition dans l'art du portrait. Il dépasse en effet le genre du portrait familial conventionnel et l'influence de Velázquez, avec sa capacité à mêler intimité et distance, est évidente, mais Sargent apporte une sensibilité moderne à l’œuvre, jouant avec l’ambiguïté et la tension émotionnelle.
Le tableau représente les quatre filles de l'expatrié américain Edward Darley Boit : Florence, Jane, Mary Louisa et Julia. Les enfants sont représentés dans un intérieur luxueux, mais l’atmosphère sombre et la disposition atypique des figures créent une ambiance mystérieuse et légèrement mélancolique. Les quatre sœurs sont de plus disposées de manière asymétrique dans un espace large et peu éclairé. Leur placement crée un sentiment d’éloignement, à la fois physique et émotionnel. Les grandes amphores japonaises au premier plan, presque aussi grandes que les enfants, jouent un rôle important dans la composition, accentuant l'échelle de l'espace. Les sœurs semblent isolées les unes des autres, avec des postures et expressions variées qui contribuent à l'atmosphère énigmatique. La lumière tamisée crée un jeu subtil d’ombres et de reflets, renforçant la profondeur et la complexité de l’espace. La palette est dominée par des tons sombres et neutres, avec des accents de blanc et de rouge apportés par les vêtements des enfants et les décorations de la pièce. Les expressions et postures des jeunes filles suggèrent ainsi une introspection ou une certaine retenue émotionnelle, en contraste avec l’intimité attendue d’un portrait familial, et l'on peut alors s'interroger sur la personnalité des enfants et la nature de leurs relations ...
Henry James (dont il fit le portrait en 1913) a écrit en 1887 un long essai paru dans Harper's Magazine, dans lequel il s'interroge sur le génie de Sargent. "Dès son premier succès au Salon, écrit-il, il fut salué, je crois, comme une recrue de grande valeur pour le camp des Impressionnistes". Et pourtant si Sargent en effet se lie d'amitié au milieu des années 1880 avec les Impressionnistes (il acheta deux tableaux de Manet et quatre de Monet), ceux-ci ne le considérèrent pas comme l'un des leurs. Degas le décrivit comme "un habile portraitiste qui différait peu des meilleurs peintres de salon alors à la mode". De fait Sargent suivit sa propre voie, peut-être dans la lignée de Vélasquez et d'Ingres, apporte une richesse texturale et une singulière théâtralité à ses différents portraits, des poses étrangement artificielles. Et s'il peint sur commandes, pour la classe dite supérieure, renvoyant au bout du compte l'image empruntée d'une société qui joue la puissance et le sérieux, il expérimente aussi "des paysages et des figures peints dans des conditions réelles de lumière", jusqu'à utiliser "une palette plus lumineuse et un pinceau plus cassé"....
La nouvelle de James, "The Pupil", publiée pour la première fois en 1891, contient des éléments de sa propre enfance et de celle du peintre John Singer Sargent (1856-1925) qu'il rencontre à Paris en 1884, et qu'il encourage à fuir Paris pour Londres apès le fameux scandale de son tableau "Madame X". Tous deux étaient des expatriés célibataires, des travailleurs acharnés dans leur domaine, des hommes réservés, aimant la haute société et les femmes à la mode. Les Moreen, dans l'histoire, "avaient une sorte de connaissance professionnelle des villes continentales". La mère passait son temps à "peindre, peindre, peindre, peindre, toujours une boîte de peinture ouverte devant elle". Le fils, l'élève, s'interroge sur sa famille : "Sont-ils riches, sont-ils pauvres ?.... Pourquoi vivent-ils toujours... une année comme des ambassadeurs et l'autre comme des pauvres ? Qui sont-ils, de toute façon, et qu'est-ce qu'ils sont ?"
"Mrs. Cecil Wade" (1886, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City, Missouri) - "Mrs. Charles E. Inches (Louise Pomeroy)" (1887, Museum of Fine Arts, Boston) - "Robert Louis Stevenson" (1887, Taft Museum of Art, Ohio) - "Isabella Stewart Gardner" (1888, Isabella Stewart Gardner Museum, Massachusetts), un portrait controversé d'Isabella Stewart Gardner (1840-1924), philanthrope américaine et collectionneuse passionnée, qui fut bien plus qu’un simple sujet pour John Singer Sargent, mais une mécène influente, une amie proche et une source d’inspiration majeure : elle est ici représentée debout, dans une robe noire ornée de perles, avec une pose confiante et théâtrale, une posture peu conventionnelle. L’œuvre sera exposée dans une salle dédiée au musée Isabella Stewart Gardner. - "Ellen Terry as Lady Macbeth" (1889) - Représentation dramatique de l’actrice Ellen Terry en costume de Lady Macbeth, tenant une couronne. Conservé à la Tate Britain, Londres. - "Miss Elsie Palmer" (1889-1890, Colorado Springs Fine Arts Center, Colorado) - "Two Girls on a Lawn" (c. 1889, Metropolitan Museum of Art, New York) - "La Carmencita (Carmen Dauset Moreno)", 1890, Musée d'Orsay - ...
En 1890, voyage de Sargent aux États-Unis, où il reçoit des commandes prestigieuses, notamment pour les familles Vanderbilt et Astor. En 1894, il réalise des fresques monumentales pour la Bibliothèque publique de Boston, qui deviennent un projet majeur de sa carrière...
Transition et exploration artistique (1900-1918) - Au début des années 1900, lassé des commandes de portraits, Sargent se consacre davantage aux paysages, aux aquarelles et à des sujets personnels. Il voyage fréquemment en Europe, explorant les paysages alpins, italiens et méditerranéens. En 1907, il mettra fin à sa série des portraits commandés, bien qu’il continue d’en réaliser à titre privé ...
"Mrs. Carl Meyer and her Children" (1896, Tate Britain, London) - "Mr. and Mrs. I. N. Phelps Stokes" (1897, Metropolitan Museum of Art, New York) - "An Interior in Venice" (1899, Royal Academy of Arts, London) - "Ena and Betty, Daughters of Asher and Mrs Wertheimer" (1901, Tate Britain, London) - "Essie, Ruby and Ferdinand, Children of Asher Wertheimer" (1902, Tate Britain, London) - "Portrait of Millicent, Duchess of Sutherland" (1904, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid) - "Helen Vincent, Viscountess d'Abernon" (1904, Birmingham Museum of Art, Alabama) - "Padre Sebastiano" (1904, Metropolitan Museum of Art, New York) - "Self-portrait" (1906, Uffizi Gallery, Florence) - ...
"The Wyndham Sisters" (1899, Metropolitan Museum of Art, New York) - Les trois filles de l’honorable Percy Wyndham, un riche londonien, apparaissent dans cette toile monumentale, Madeline Adeane, Pamela Tennant et Mary Constance, Lady Elcho. Au moment où Sargent a peint cette œuvre de grande taille, il était suffisamment connu pour exiger que l'on puisse peindre dans son studio. Mais il a fait ici une exception pour les sœurs Wyndham : elles posent en effet dans le salon de la résidence familiale à Belgrave Square. Le portrait de leur mère (collection privée) de George Frederic Watts, qui est accroché au mur au-dessus d’eux, établit leur généalogie et rappelle aux spectateurs les liens de Sargent avec des artistes plus âgés.
"The Fountain, Villa Torlonia, Frascati, Italy" (1907)
Une fontaine dans les jardins de la Villa Torlonia à Frascati, une ville près de Rome connue pour ses magnifiques villas de la Renaissance, une fontaine élégante au centre de la composition, entourée de statues classiques et de végétation luxuriante. La perspective dirige l’œil du spectateur vers l’arrière-plan, où des arbres et des bâtiments forment une toile de fond emplie de sérénité. Les coups de pinceau sont lâches et expressifs, typiques du style mature de Sargent, combinant précision et spontanéité. Les détails des sculptures et de la fontaine sont peints avec une grande finesse, contrastant avec le traitement plus libre du paysage environnant. La palette de couleurs comprend des tons de vert, de bleu et de blanc, associés à des touches d’ocre et de gris pour les statues et les structures. Sargent ne se contente pas de représenter un lieu mais évoque une atmosphère, sérénité et interaction entre lumière et matière. On considère cette oeuvre comme représentative des paysages méditerranéens peints par Sargent, une période où il s’éloignait de la peinture de portraits pour explorer des sujets plus personnels et plus lyriques...
John Singer Sargent a entretenu une relation étroite avec l'Italie tout au long de sa vie, y séjournant à de très nombreuses reprises : 1870-1874, sa formation initiale et sa découverte de l’Italie, en 1879, après ses études à l'École des Beaux-Arts de Paris, nouveau séjour en Italie, il y peint des études sur des fresques et des paysages, notamment à Venise, où il est fasciné par les jeux de lumière sur les canaux; en 1880-1882, Sargent continuera à passer beaucoup de temps à Venise, dans les années 1890, visite des régions comme les Alpes italiennes et la Campanie, peint des scènes de Florence, de Lucques et des paysages des environs du lac de Garde; en 1907-1910, ayant décidé de réduire ses commandes de portraits, ses séjours seront plus intenses ... ("A Capriote" (1878), "The Rialto, Venice" (1882), "Venetian Interior" (1880-1882), "A Street in Venice" (1882), "The Church of St. Stae, Venice" (c. 1904), "The Boboli Gardens, Florence" (1906), "Simplon Pass: The Glacier Stream" (1909), ...)
Première Guerre mondiale - Pendant la guerre, Sargent est nommé artiste officiel par le gouvernement britannique. En 1919, il peint "Gassed", une œuvre poignante montrant les effets des attaques au gaz sur les soldats....
"Gassed" (1919)
Une œuvre magistrale, commandée par le British War Memorials Committee, aujourd'hui conservée à l'Imperial War Museum de Londres, d'une singulière puissance émotionnelle (un groupe uni dans une même intensité dramatique) et témoignage poignant sur les horreurs de la Première Guerre mondiale. Gassed" dépeint un groupe de soldats britanniques blessés par une attaque au gaz moutarde, marchant en file, les yeux bandés, guidés par un camarade. En arrière-plan, des soldats blessés reposent ou jouent au football, une juxtaposition frappante entre les souffrances de la guerre et une tentative de normalité. La scène s'étend horizontalement, accentuant l'impression de répétition et de masse dans cette procession de soldats blessés. Les corps, presque grandeur nature, forment une ligne qui traverse la toile, guidant le regard du spectateur sur toute sa longueur. L’horizon lointain et la lumière dorée du coucher de soleil contrastent avec l’horreur de la scène au premier plan. La palette de couleurs est dominée par des tons terreux : bruns, gris et verts, reflétant la boue et l’environnement austère du front... Le peintre généralement connu pour ses portraits de l'élite sociale, s'impose ici comme un artiste capable de dénoncer les réalités sociales et historiques de son temps....
Dernières années et héritage (1919-1925) - 1919 marque l'achèvement des fresques pour le Museum of Fine Arts de Boston, un projet qui l'a occupé pendant plusieurs années. En 1925,Sargent meurt subitement à Londres le 14 avril. Il aura produit environ 900 peintures à l’huile, plus de 2 000 aquarelles, et d’innombrables esquisses et dessins. Il reste connu comme l’un des plus grands portraitistes de son époque, capable de saisir et de nous représenter la personnalité, la psychologie et le statut social de ses sujets avec une maîtrise technique inégalée...