Thorstein Bunde Veblen (1857-1929), "Why is Economics not an Evolutionary Science?", "The Theory of the Leisure Class" (1899), "The Theory of Business Enterprise" (1904), "The Higher Learning in America" (1918) ......
Last update : 12/11/2016
1899 : Thorstein Veblen, à l'origine de l'expression "conspicuous consumption" (consommation ostentatoire), a ébranlé la complaisance de l'Amérique au début du XXe siècle avec ses critiques incisives, rejetant la vision classique des lois économiques "éternelles" qui justifiaient commodément les pratiques prédatrices des "grandes entreprises" du XIXe siècle en termes d'intérêt personnel rationnel. Veblen a jeté un regard neuf et impitoyable sur la passion de l'Amérique pour l'argent. Tout comme Marx, il part du principe que la société capitaliste est scindée en deux groupes sociaux rivaux, les classes laborieuses et les classes de loisir. Notre système social n'a été conçu que pour bloquer l'"instinct de travail" naturel de l'homme, et notre culture de la classe de loisirs a entretenu le mythe selon lequel le travail était intrinsèquement pénible pour l'homme. De plus, l'essentiel des comportements ne s'explique que par une lutte pour la reconnaissance par ses pairs de son pouvoir et de son rang. C'est bien cette lutte pour la reconnaissance qui fait évoluer la structure des classes sociales. La "consommation ostentatoire" désigne l'acquisition de biens, non pour eux-mêmes mais pour ce qu'ils représentent. Associé à cette consommation de biens superflus et luxueux, le "loisir ostentatoire", le tourisme à l'étranger, le goût pour l'exotisme, sont à l'époque des exemples typiques d'emploi non productif de son temps indiquant d'emblée la classe sociale de l'intéressé, et suscitant donc respect et admiration. Les travaux de Veblen ont une orientation politique nettement marquée, condamnant cette "richesse tenue pour intrinsèquement honorable et conférant prestige à son détenteur".
Plus de deux siècles plus tard, cette analyse reste d'actualité, mais le socle social de la consommation et du loisir ostentatoire s'est considérablement élargi, ce qui peut expliquer l'indifférence du plus grand nombre à ces comportements, le sujet est admis, normalisé et peu discuté. On a pu un instant, dans les années 1960-1970, condamner un tel sentiment de gaspillage de ressources et d'intolérable inégalité entre les êtres humains, l'épuisement des matières premières, les empreintes carbones suscitées par la production des produits de luxe, ont pu renforcer les critiques sur la superfluité de ce monde qui ne vit que dans et par l'ostentatoire. Peine perdue ..
Apres Veblen, nombre de sociologues vont reprendre la notion de consommation ostentatoire pour, comme le plus souvent, l'approfondir et la contester tout à la fois. Pierre Bourdieu (1979) va se réapproprier les notions de "rivalité pécuniaire" et de "consommation ostentatoire" de façon à les adapter à son modèle théorique. ll expliquera ainsi comment les groupes sociaux et les individus entrent en rivalité et cherchent à se distinguer les uns des autres en se procurant des biens et des services spécifiques. Colin Campbell estime pour sa que les travaux de Veblen sont par trop réducteurs, que l'individu se construit une identité à travers les biens qu'il acquiert et les activités auxquelles il s'adonne. Richard Peterson (1992-2005) préfère utiliser le terme d' "omnivore culturel" pour décrire un groupe social en émergence - nous ne sommes plus à l'ère du snobisme tel que rencontré dans les classes sociales les plus aisées -, une fraction aisée sévissant dans les médias qui assure son prestige en s'appuyant non plus sur la consommation des produits de luxe traditionnels, amis en y associant des produits de "consommation délibérée ou ironique" ...
Thorstein Bunde Veblen (1857-1929)
La classe possédante recherche le profit au détriment du développement du bien-être pour tous. La consommation ostentatoire (conspicuous consumption) permet au riche oisif d'asseoir son rang (reputability), énonce Veblen, qui distingue la classe laborieuse qui produit les biens de consommation, et la classe de loisir, qui engrange les profits qu'elle n'a pas créés, et achètent les biens superflus pour exhiber richesse, pouvoir et rang.
Né aux États-Unis de parents norvégiens immigrés, élevé au sein d’une petite communauté paysanne luthérienne au milieu des plaines du Minnesota, Veblen restera toute sa vie un étranger dans cette société américaine du début du XXe siècle soumise au pouvoir des monopoles, des cartels et des trusts , d'où ce regard distant et critique qui traverse son parcours d'économiste et de sociologue après un doctorat de philosophie obtenu à Yale en 1884. Dans un pays où les inégalités se creusent brutalement, Veblen est marqué par cette nouvelle classe sociale qui profite des dividendes de ses investissements et du travail du reste de la population. Rejetant la théorie économique dominante, fondée sur les postulats de la concurrence pure et parfaite ou considérant que le libre marché est le seul mécanisme pouvant conduire à la justice sociale, Veblen porte ses réflexions sur la haute finance et la grande entreprise et tente de démystifier avec irrévérence les valeurs de la société américaine. L'époque est alors à l'ouverture des différents domaines de connaissance alors que naissent et se développent pêle-mêle la sociologie, l’anthropologie, le béhaviorisme, la psychologie expérimentale, la psychologie sociale, la psychanalyse freudienne, les méthodes statistiques mais aussi le pragmatisme de Peirce, James et Dewey, le socialisme utopique américain d'Edward Bellamy. Veblen puise ainsi son inspiration dans l'utopie socialiste, l'évolutionnisme (Spencer et Darwin), voire certains éléments du marxisme comme la distinction entre infrastructure économique et superstructure culturelle.
Veblen était fasciné par la machine et la nouvelle science de la technologie. Il considérait que les hommes d'affaires étaient fondamentalement en guerre avec les ingénieurs et les scientifiques parce que la réalisation de profits exorbitants n'allait pas de pair avec la fabrication de meilleurs produits. Veblen, qui a échoué dans sa carrière universitaire et dans ses deux mariages, était étrange, amer et détaché dans sa vie privée. Mais dans ses livres, Veblen brillait comme l'un des penseurs américains les plus pénétrants, dont les théories se sont avérées une force puissante dans la modernisation de l'économie en tant que science.
Thorstein Veblen accordent une place importante aux liens qu'entretiennent l'économie et la société et s'appuie tant sur Karl Marx, sociologue britannique Herbert Spencer et son compatriote naturaliste Charles Darwin (tout organisme s'inscrit dans une lutte permanente pour les ressources, de telle manière que la rivalité engendre une évolution des espèces), pour exposer ses analyses relatives à la société capitaliste et à ses comportements consuméristes. Pour lui, c'est le progrès technique et, dans son sillage, les méthodes de production industrielles qui ont accéléré le passage de la société traditionnelle à la modernité. Tout comme Marx, Veblen considère que la société capitaliste est scindée en deux groupes sociaux rivaux, les classes laborieuses, constituées de travailleurs, et les classes de loisir, qui se développent dans les domaines de la finance, des affaires, de la politique ou encore de la justice, et qui possèdent les moyens de production. La majorité de la population appartient aux classes laborieuses. Elle produit des biens, que ce soit par l'artisanat ou le travail en usine. À l'inverse, les classes de loisir représentent une petite minorité qui jouit de grands privilèges sociaux et économiques et se comporte en parasite, recueillant les fruits du travail des masses. Comme Marx, Veblen estime que les membres de ce groupe oisif n'accomplissent rien de concret pour le bien commun, leur richesse, leurs avantages découlent de LA MANIERE DONT ILS RIVALISENT ENTRE EUX et manipulent les travailleurs pour leur seul profit....
La sociologie critique du capitalisme de Veblen a en effet produit nombre d'ouvrages, tels que "Theory of Business Enterprise" (1904), "The Instinct of Workmanship" (1914), "The Engineer and the Price System" (1921), mais celui avec lequel il atteint une importante notoriété est "The Theory of the Leisure Class" (1899) : Veblen y dénonce la classe oisive des hommes d'affaires, qui vit de revenus essentiellement financiers, adopte un mode de vie de rentier, s'adonne aux arts et au sport, mais constitue finalement une classe parasite incapable de s'adapter aux mutations. Et, précédant J. K. Galbraith, il analyse l'essor de la technostructure dans la grande entreprise et l'essor de la société de consommation. Il a insisté ainsi sur la consommation ostentatoire, qui pousse les individus à acheter un bien parce que son prix est élevé (« effet Veblen »), contrairement à la théorie microéconomique, qui considère que la demande d'un bien diminue quand son prix augmente. Veblen oppose aux impératifs industriels la logique financière : "partout où la culture de l'argent domine, le processus de sélection, qui façonne les habitudes mentales et décide de la survivance des lignages rivaux, opère à court terme sur la base de l'aptitude à acquérir. Par conséquent [...] toutes les professions tendraient à sélectionner les hommes à cette fin que le tempérament pécuniaire dominât sans partage. Il s'ensuivrait que le type connu sous le nom d'homme économique serait consacré comme type humain normal et définitif. Or cet homme économique [...] ne présente aucune utilité pour les tâches de l'industrie moderne.".
Autre notion développée par Veblen, la "rivalité pécuniaire", autre conséquence néfaste des agissements des classes oisives. Il décrit ainsi la tendance des membres de classes sociales moins élevées à imiter, de manière plus ou moins consciente, les habitudes de consommation des groupes qui leur seraient "supérieurs". C'est par ce biais qu'ils tentent ainsi de signifier qu'ils appartiennent eux aussi à ces groupes sociaux prestigieux qui représentent la puissance et la domination.
Cette rivalité pécuniaire découle directement du désir de propriété matérielle. Lorsqu'on est plus ou moins dégagé des impératifs de survie immédiats, les biens de consommation deviennent des marqueurs sociaux révélateurs du mode de vie et de la position sociale. Or, dans les sociétés capitalistes, la hiérarchie sociale se présente sous forme de strates, à chaque classe correspond un statut spécifique déterminé par les possessions, le pouvoir et le prestige. On ainsi en arrive à des liens inextricables entre possession, pouvoir. rang social, domination, de sorte que la lutte pour le statut le plus élevé va s'enraciner dans l'exhibition de la richesse pécuniaire. D'où une dynamique constante de la ressemblance et de la comparaison (envieuse), la rivalité suscitant l'uniformité, appauvrissant et gaspillant ressources tant matérielles qu'intellectuelles. La logique du destin des "nouveaux riches" est ici évoquée ...
Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir
(The Theory of the Leisure Class, 1899)
«Source d'inspiration pour les tâcherons du savoir, exemple de sagesse froide - ni la mesure de Tocqueville ni l'indignation tempétueuse de Marx -, l'œuvre
de Thorstein Veblen apprend à discerner, au-delà de l'accoutumance à la vie quotidienne, la comédie humaine, la rivalité puérile des adultes en quête d'argent, de gloire et de prestige, jamais
capables d'atteindre un but qui fuit à mesure qu'ils en approchent puisque ce but se définit non pas en soi mais par rapport aux conquêtes des autres.» Raymond Aron /
Gallimard.
La "classe de loisir" est définie comme une institution, c'est-à-dire comme un faisceau donné d'habitudes de pensée, communes à un ensemble d'individus; et
qui contraignent les comportements de ces individus, jusqu'à façonner les notions mêmes de rationalité qui servent de référence à chaque époque de l'histoire. "Ce sont les conditions de la vie en
société qui poussent les hommes à s'adapter. L'adaptation des façons de penser, c'est le développement même des institutions". De là, des typologies de comportements peuvent être construites:
l’ostentation et la rivalité pécuniaire (type aristocratique), la consommation de masse et le conformisme (type bourgeois), la tradition et les valeurs pré-modernes (type
populaire).
Chapter One - Introductory
"The institution of a leisure class is found in its best development at the higher stages of the barbarian culture; as, for instance, in feudal Europe or feudal Japan. In such communities the distinction between classes is very rigorously observed; and the feature of most striking economic significance in these class differences is the distinction maintained between the employments proper to the several classes.
The upper classes are by custom exempt or excluded from industrial occupations, and are reserved for certain employments to which a degree of honour attaches. Chief among the honourable employments in any feudal community is warfare; and priestly service is commonly second to warfare. If the barbarian community is not notably warlike, the priestly office may take the precedence, with that of the warrior second. But the rule holds with but slight exceptions that, whether warriors or priests, the upper classes are exempt from industrial employments, and this exemption is the economic expression of their superior rank. Brahmin India affords a fair illustration of the industrial exemption of both these classes. In the communities belonging to the higher barbarian culture there is a considerable differentiation of sub-classes within what may be comprehensively called the leisure class; and there is a corresponding differentiation of employments between these sub-classes. The leisure class as a whole comprises the noble and the priestly classes, together with much of their retinue. The occupations of the class are correspondingly iversified; but they have the common economic characteristic of being non-industrial. These non-industrial upper-class occupations may be roughly comprised under government, warfare, religious observances, and sports...."
The Theory of the Leisure Class comprend 14 chapitres. Le premier chapitre est une introduction générale, tandis que chaque chapitre suivant se concentrera sur un aspect de sa théorie. Il présente une vue d'ensemble développement socio-économique de l'humanité et reprend la thématique européenne dominante du XIXe siècle selon laquelle la société est passée d'une première période caractérisée par la coopération et la solidarité à une ère "barbare" et prédatrice marquée par la violence, le développement économique et la concurrence. Veblen étend ces idées à la période industrielle moderne, qui est une émanation de la culture "barbare" en ce sens que l'accroissement des richesses a favorisé une plus grande stratification sociale, qui est le produit d'un comportement compétitif et prédateur et d'une augmentation de la consommation ostentatoire. Il établit ici l'importance des institutions dans la formation des modes de consommation des individus, préfigurant le rôle important que joue la sociologie dans le reste de l'ouvrage.
"... The tacit, common-sense distinction to-day is, in effect, that any effort is to be accounted industrial only so far as its ultimate purpose is the utilisation of non-human things. The coercive utilisation of man by man is not felt to be an industrial function; but all effort directed to enhance human life by taking advantage of the non-human environment is classed together as industrial activity. By the economists who have best retained and adapted the classical tradition, man's "power over nature" is currently postulated as the characteristic fact of industrial productivity. This industrial power over nature is taken to include man's power over the life of the beasts and over all the elemental forces. A line is in this way drawn between mankind and brute creation.
In other times and among men imbued with a different body of preconceptions this line is not drawn precisely as we draw it to-day. In the savage or the barbarian scheme of life it is drawn in a different place and in another way. In all communities under the barbarian culture there is an alert and pervading sense of antithesis between two comprehensive groups of phenomena, in one of which barbarian man includes himself, and in the other, his victual. There is a felt antithesis between economic and non-economic phenomena, but it is not conceived in the modern fashion; it lies not between man and brute creation, but between animate and inert things.
It may be an excess of caution at this day to explain that the barbarian notion which it is here intended to convey by the term "animate" is not the same as would be conveyed by the word "living". The term does not cover all living things, and it does cover a great many others. Such a striking natural phenomenon as a storm, a disease, a waterfall, are recognised as "animate"; while fruits and herbs, and even inconspicuous animals, such as house-flies, maggots, lemmings, sheep, are not ordinarily apprehended as "animate" except when taken collectively. As here used the term does not necessarily imply an indwelling soul or spirit. The concept includes such things as in the apprehension of the animistic savage or barbarian are formidable by virtue of a real or imputed habit of initiating action. This category comprises a large number and range of natural objects and phenomena. Such a distinction between the inert and the active is still present in the habits of thought of unreflecting persons, and it still profoundly affects the prevalent theory of human life and of natural processes; but it does not pervade our daily life to the extent or with the far-reaching practical consequences that are apparent at earlier stages of culture and belief..."
" ... Aujourd'hui, la distinction tacite et de bon sens est, en effet, que tout effort ne peut être considéré comme industriel que dans la mesure où son but ultime est l'utilisation de choses non-humaines. L'utilisation coercitive de l'homme par l'homme n'est pas considérée comme une fonction industrielle ; mais tous les efforts visant à améliorer la vie humaine en tirant parti de l'environnement non humain sont considérés comme des activités industrielles. Les économistes qui ont le mieux conservé et adapté la tradition classique postulent actuellement que le "pouvoir de l'homme sur la nature" est le fait caractéristique de la productivité industrielle. Ce pouvoir industriel sur la nature est considéré comme incluant le pouvoir de l'homme sur la vie des bêtes et sur toutes les forces élémentaires. Une ligne de démarcation est ainsi tracée entre l'homme et la création brute.
En d'autres temps et parmi des hommes imprégnés d'un ensemble différent d'idées préconçues, cette ligne n'est pas tracée exactement comme nous la traçons aujourd'hui. Dans le schéma de vie des sauvages ou des barbares, elle est tracée à un autre endroit et d'une autre manière. Dans toutes les communautés soumises à la culture barbare, il existe un sens aigu et omniprésent de l'antithèse entre deux groupes complets de phénomènes, dont l'un comprend l'homme barbare lui-même, et l'autre, sa marchandise. Il existe une antithèse ressentie entre les phénomènes économiques et non économiques, mais elle n'est pas conçue à la manière moderne ; elle ne se situe pas entre l'homme et la création brute, mais entre les choses animées et les choses inertes.
C'est peut-être faire preuve d'un excès de prudence que d'expliquer que la notion barbare que l'on entend véhiculer ici par le terme "animé" n'est pas la même que celle qui serait véhiculée par le mot "vivant". Ce terme ne recouvre pas tous les êtres vivants, mais il en recouvre beaucoup d'autres. Un phénomène naturel aussi frappant qu'une tempête, une maladie, une chute d'eau, est reconnu comme "animé" ; alors que les fruits et les herbes, et même les animaux discrets, tels que les mouches domestiques, les asticots, les lemmings, les moutons, ne sont pas habituellement considérés comme "animés", sauf lorsqu'ils sont pris collectivement. Tel qu'il est utilisé ici, le terme n'implique pas nécessairement la présence d'une âme ou d'un esprit. Le concept inclut des choses qui, dans l'appréhension du sauvage ou du barbare animiste, sont redoutables en vertu d'une habitude réelle ou supposée de déclencher l'action. Cette catégorie comprend un grand nombre d'objets et de phénomènes naturels. Cette distinction entre l'inerte et l'actif est encore présente dans les habitudes de pensée des personnes non réfléchies, et elle affecte encore profondément la théorie prédominante de la vie humaine et des processus naturels ; mais elle n'imprègne pas notre vie quotidienne dans la mesure ou avec les conséquences pratiques de grande portée qui sont apparentes aux stades antérieurs de la culture et de la croyance...."
(...) The evidence afforded by the usages and cultural traits of communities at a low stage of development indicates that the institution of a leisure class has emerged gradually during the transition from primitive savagery to barbarism; or more precisely, during the transition from a peaceable to a consistently warlike habit of life. The conditions apparently necessary to its emergence in a consistent form are: (1) the community must be of a predatory habit of life (war or the hunting of large game or both); that is to say, the men, who constitute the inchoate leisure class in these cases, must be habituated to the infliction of injury by force and stratagem; (2) subsistence must be obtainable on sufficiently easy terms to admit of the exemption of a considerable portion of the community from steady application to a routine of labour. The institution of leisure class is the outgrowth of an early discrimination between employments, according to which some employments are worthy and others unworthy. Under this ancient distinction the worthy employments are those which may be classed as exploit; unworthy are those necessary everyday employments into which no appreciable element of exploit enters.
(...) Les preuves fournies par les usages et les traits culturels des communautés à un bas stade de développement indiquent que l'institution d'une classe de loisirs est apparue graduellement pendant la transition de la sauvagerie primitive à la barbarie ; ou plus précisément, pendant la transition d'un mode de vie pacifique à un mode de vie constamment guerrier. Les conditions apparemment nécessaires à son émergence sous une forme cohérente sont les suivantes : (1) la communauté doit avoir un mode de vie prédateur (guerre ou chasse au gros gibier ou les deux) ; c'est-à-dire que les hommes, qui constituent la classe de loisir inchoative dans ces cas, doivent être habitués à infliger des blessures par la force et les stratagèmes ; (2) la subsistance doit être obtenue à des conditions suffisamment faciles pour permettre à une partie considérable de la communauté d'être exemptée de l'application régulière d'une routine de travail. L'institution de la classe de loisirs est le résultat d'une discrimination ancienne entre les emplois, selon laquelle certains emplois sont dignes et d'autres indignes. Selon cette ancienne distinction, les emplois valables sont ceux qui peuvent être considérés comme des exploits ; les emplois indignes sont les emplois quotidiens nécessaires dans lesquels aucun élément appréciable d'exploitation n'entre.
This distinction has but little obvious significance in a modern industrial community, and it has, therefore, received but slight attention at the hands of economic writers. When viewed in the light of that modern common sense which has guided economic discussion, it seems formal and insubstantial. But it persists with great tenacity as a commonplace preconception even in modern life, as is shown, for instance, by our habitual aversion to menial employments. It is a distinction of a personal kind--of superiority and inferiority. In the earlier stages of culture, when the personal force of the individual counted more immediately and obviously in shaping the course of events, the element of exploit counted for more in the everyday scheme of life. Interest centred about this fact to a greater degree. Consequently a distinction proceeding on this ground seemed more imperative and more definitive then than is the case to-day. As a fact in the sequence of development, therefore, the distinction is a substantial one and rests on sufficiently valid and cogent grounds.
The ground on which a discrimination between facts is habitually made changes as the interest from which the facts are habitually viewed changes. Those features of the facts at hand are salient and substantial upon which the dominant interest of the time throws its light. Any given ground of distinction will seem insubstantial to any one who habitually apprehends the facts in question from a different point of view and values them for a different purpose. The habit of distinguishing and classifying the various purposes and directions of activity prevails of necessity always and everywhere; for it is indispensable in reaching a working theory or scheme of life. The particular point of view, or the particular characteristic that is pitched upon as definitive in the classification of the facts of life depends upon the interest from which a discrimination of the facts is sought. The grounds of discrimination, and the norm of procedure in classifying the facts, therefore, progressively change as the growth of culture proceeds; for the end for which the facts of life are apprehended changes, and the point of view consequently changes also. So that what are recognised as the salient and decisive features of a class of activities or of a social class at one stage of culture will not retain the same relative importance for the purposes of classification at any subsequent stage.
Cette distinction n'a que peu de signification évidente dans une communauté industrielle moderne et, par conséquent, elle n'a reçu que peu d'attention de la part des auteurs économiques. Lorsqu'on la considère à la lumière du bon sens moderne qui a guidé la discussion économique, elle semble formelle et sans substance. Mais elle persiste avec une grande ténacité en tant qu'idée reçue, même dans la vie moderne, comme le montre, par exemple, notre aversion habituelle pour les emplois subalternes. Il s'agit d'une distinction de type personnel, de supériorité et d'infériorité. Aux premiers stades de la culture, lorsque la force personnelle de l'individu comptait plus immédiatement et plus manifestement dans la détermination du cours des événements, l'élément de l'exploit comptait davantage dans le schéma quotidien de la vie. L'intérêt se concentrait davantage sur ce fait. Par conséquent, une distinction fondée sur ce motif semblait plus impérative et plus définitive à l'époque qu'elle ne l'est aujourd'hui. En tant que fait dans la séquence de développement, la distinction est donc substantielle et repose sur des motifs suffisamment valables et convaincants.
La base sur laquelle une discrimination entre les faits est habituellement faite change à mesure que l'intérêt à partir duquel les faits sont habituellement considérés change. Les caractéristiques des faits en cause sont saillantes et substantielles, et l'intérêt dominant du moment y jette sa lumière. Un motif de distinction donné paraîtra insignifiant à quiconque appréhende habituellement les faits en question d'un point de vue différent et les évalue dans un but différent. L'habitude de distinguer et de classer les divers buts et directions de l'activité prévaut nécessairement toujours et partout, car elle est indispensable pour parvenir à une théorie ou à un schéma de vie opérationnel. Le point de vue particulier, ou la caractéristique particulière qui est retenue comme définitive dans la classification des faits de la vie dépend de l'intérêt à partir duquel on cherche à discriminer les faits. Les motifs de discrimination et les normes de procédure dans la classification des faits changent donc progressivement au fur et à mesure de la croissance de la culture, car la fin pour laquelle les faits de la vie sont appréhendés change, et le point de vue change également en conséquence. Ainsi, ce qui est reconnu comme les traits saillants et décisifs d'une catégorie d'activités ou d'une classe sociale à un stade de la culture ne conservera pas la même importance relative pour les besoins de la classification à un stade ultérieur.
But the change of standards and points of view is gradual only, and it seldom results in the subversion or entire suppression of a standpoint once accepted. A distinction is still habitually made between industrial and non-industrial occupations; and this modern distinction is a transmuted form of the barbarian distinction between exploit and drudgery. Such employments as warfare, politics, public worship, and public merrymaking, are felt, in the popular apprehension, to differ intrinsically from the labour that has to do with elaborating the material means of life. The precise line of demarcation is not the same as it was in the early barbarian scheme, but the broad distinction has not fallen into disuse.
Mais le changement de normes et de points de vue n'est que progressif, et il n'aboutit que rarement à la subversion ou à la suppression totale d'un point de vue autrefois accepté. On fait encore habituellement une distinction entre les occupations industrielles et non industrielles ; et cette distinction moderne est une forme transmuée de la distinction barbare entre l'exploit et la corvée. Des emplois tels que la guerre, la politique, le culte public et les réjouissances publiques sont considérés, dans l'appréhension populaire, comme différant intrinsèquement du travail lié à l'élaboration des moyens matériels de la vie. La ligne de démarcation précise n'est plus la même que dans le schéma barbare primitif, mais la distinction générale n'est pas tombée en désuétude.
The substantial difference between the peaceable and the predatory phase of culture, therefore, is a spiritual difference, not a mechanical one. The change in spiritual attitude is the outgrowth of a change in the material facts of the life of the group, and it comes on gradually as the material circumstances favourable to a predatory attitude supervene. The inferior limit of the predatory culture is an industrial limit. Predation can not become the habitual, conventional resource of any group or any class until industrial methods have been developed to such a degree of efficiency as to leave a margin worth fighting for, above the subsistence of those engaged in getting a living. The transition from peace to predation therefore depends on the growth of technical knowledge and the use of tools. A predatory culture is similarly impracticable in early times, until weapons have been developed to such a point as to make man a formidable animal..
La différence substantielle entre la phase pacifique et la phase prédatrice de la culture est donc une différence spirituelle et non mécanique. Le changement d'attitude spirituelle est le résultat d'un changement dans les faits matériels de la vie du groupe, et il se produit graduellement au fur et à mesure que les circonstances matérielles favorables à une attitude prédatrice se présentent. La limite inférieure de la culture prédatrice est une limite industrielle. La prédation ne peut devenir la ressource habituelle et conventionnelle d'un groupe ou d'une classe tant que les méthodes industrielles n'ont pas été développées à un degré d'efficacité tel qu'elles laissent une marge pour laquelle il vaut la peine de se battre, au-delà de la subsistance de ceux qui s'emploient à gagner leur vie. Le passage de la paix à la prédation dépend donc de la croissance des connaissances techniques et de l'utilisation d'outils. De même, la culture prédatrice est impraticable dans les premiers temps, tant que les armes n'ont pas été développées au point de faire de l'homme un animal redoutable...
Les chapitres 2 à 4 définissent les trois principaux facteurs à l'origine de la consommation ostentatoire dans la culture industrielle moderne. Le chapitre 2 explique comment l'émulation pécuniaire, le désir de surpasser les autres pour gagner la reconnaissance sociale et le respect, encourage les riches à consommer non pas pour leur confort personnel, mais plutôt pour affirmer leur rang. Cela conduit les riches à dépenser de l'argent pour des biens et services symboliques plutôt que substantiels. Le chapitre 3 étudie comment les riches, que Veblen appelle la "classe de loisirs", développent un cadre de respectabilité basé sur les loisirs, ou la capacité à effectuer un travail non productif. Le chapitre 4 approfondit cette idée en observant comment les loisirs s'étendent non seulement à leurs types d'emploi, mais aussi à leurs habitudes de consommation.
"The ownership of women begins in the lower barbarian stages of culture..."
Chapter Two - Pecuniary Emulation
In the sequence of cultural evolution the emergence of a leisure class coincides with the beginning of ownership. This is necessarily the case, for these two institutions result from the same set of economic forces. In the inchoate phase of their development they are but different aspects of the same general facts of social structure. It is as elements of social structure--conventional facts--that leisure and ownership are matters of interest for the purpose in hand. An habitual neglect of work does not constitute a leisure class; neither does the mechanical fact of use and consumption constitute ownership. The present inquiry, therefore, is not concerned with the beginning of indolence, nor with the beginning of the appropriation of useful articles to individual consumption. The point in question is the origin and nature of a conventional leisure class on the one hand and the beginnings of individual ownership as a conventional right or equitable claim on the other hand.
The early differentiation out of which the distinction between a leisure and a working class arises is a division maintained between men's and women's work in the lower stages of barbarism. Likewise the earliest form of ownership is an ownership of the women by the able bodied men of the community. The facts may be expressed in more general terms, and truer to the import of the barbarian theory of life, by saying that it is an ownership of the woman by the man.
Chapitre 2 - L'émulation pécuniaire
Dans la séquence de l'évolution culturelle, l'émergence d'une classe de loisirs coïncide avec le début de la propriété. C'est nécessairement le cas, car ces deux institutions résultent du même ensemble de forces économiques. Dans la phase initiale de leur développement, elles ne sont que des aspects différents des mêmes faits généraux de la structure sociale. C'est en tant qu'éléments de la structure sociale - faits conventionnels - que le loisir et la propriété sont des questions d'intérêt pour le but recherché. La négligence habituelle du travail ne constitue pas une classe de loisirs ; de même, le fait mécanique de l'utilisation et de la consommation ne constitue pas la propriété. La présente enquête ne porte donc pas sur le commencement de l'indolence, ni sur le commencement de l'appropriation d'articles utiles à la consommation individuelle. Le point en question est l'origine et la nature d'une classe de loisirs conventionnelle, d'une part, et les débuts de la propriété individuelle en tant que droit conventionnel ou revendication équitable, d'autre part.
La première différenciation à l'origine de la distinction entre une classe de loisirs et une classe ouvrière est une division maintenue entre le travail des hommes et celui des femmes dans les stades inférieurs de la barbarie. De même, la première forme de propriété est la propriété des femmes par les hommes valides de la communauté. On peut exprimer les faits en termes plus généraux et plus fidèles à la théorie barbare de la vie en disant qu'il s'agit d'une propriété de la femme par l'homme.
There was undoubtedly some appropriation of useful articles before the custom of appropriating women arose. The usages of existing archaic communities in which there is no ownership of women is warrant for such a view. In all communities the members, both male and female, habitually appropriate to their individual use a variety of useful things; but these useful things are not thought of as owned by the person who appropriates and consumes them. The habitual appropriation and consumption of certain slight personal effects goes on without raising the question of ownership; that is to say, the question of a conventional, equitable claim to extraneous things.
The ownership of women begins in the lower barbarian stages of culture, apparently with the seizure of female captives. The original reason for the seizure and appropriation of women seems to have been their usefulness as trophies. The practice of seizing women from the enemy as trophies, gave rise to a form of ownership-marriage, resulting in a household with a male head. This was followed by an extension of slavery to other captives and inferiors, besides women, and by an extension of ownership-marriage to other women than those seized from the enemy. The outcome of emulation under the circumstances of a predatory life, therefore, has been on the one hand a form of marriage resting on coercion, and on the other hand the custom of ownership. The two institutions are not distinguishable in the initial phase of their development; both arise from the desire of the successful men to put their prowess in evidence by exhibiting some durable result of their exploits. Both also minister to that propensity for mastery which pervades all predatory communities. From the ownership of women the concept of ownership extends itself to include the products of their industry, and so there arises the ownership of things as well as of persons.
Il y a sans aucun doute eu une appropriation d'articles utiles avant que la coutume de s'approprier les femmes n'apparaisse. Les usages des communautés archaïques existantes, dans lesquelles il n'y a pas de propriété des femmes, justifient ce point de vue. Dans toutes les communautés, les membres, hommes et femmes, s'approprient habituellement pour leur usage individuel une variété de choses utiles ; mais ces choses utiles ne sont pas considérées comme appartenant à la personne qui se les approprie et les consomme. L'appropriation et la consommation habituelles de certains effets personnels légers se font sans que se pose la question de la propriété, c'est-à-dire la question d'une revendication conventionnelle et équitable sur des choses étrangères.
La propriété des femmes commence aux stades inférieurs de la culture barbare, apparemment avec la saisie des femmes captives. La raison initiale de la saisie et de l'appropriation des femmes semble avoir été leur utilité en tant que trophées. La pratique consistant à s'emparer des femmes de l'ennemi en tant que trophées a donné naissance à une forme de propriété-mariage, qui a donné naissance à un foyer dont le chef était un homme. Il s'ensuivit une extension de l'esclavage à d'autres captifs et inférieurs, en plus des femmes, et une extension du mariage de propriété à d'autres femmes que celles prises à l'ennemi. Le résultat de l'émulation dans les circonstances d'une vie de prédateur a donc été, d'une part, une forme de mariage reposant sur la coercition et, d'autre part, la coutume de la propriété. Les deux institutions ne se distinguent pas dans la phase initiale de leur développement ; toutes deux naissent du désir des hommes qui réussissent de mettre en évidence leurs prouesses en montrant quelque résultat durable de leurs exploits. Toutes deux répondent également à cette propension à la maîtrise qui imprègne toutes les communautés de prédateurs. De la propriété des femmes, le concept de propriété s'étend aux produits de leur industrie, et c'est ainsi que naît la propriété des choses aussi bien que des personnes...
Gradually, as industrial activity further displaced predatory activity in the community's everyday life and in men's habits of thought, accumulated property more and more replaces trophies of predatory exploit as the conventional exponent of prepotence and success. With the growth of settled industry, therefore, the possession of wealth gains in relative importance and effectiveness as a customary basis of repute and esteem. Not that esteem ceases to be awarded on the basis of other, more direct evidence of prowess; not that successful predatory aggression or warlike exploit ceases to call out the approval and admiration of the crowd, or to stir the envy of the less successful competitors; but the opportunities for gaining distinction by means of this direct manifestation of superior force grow less available both in scope and frequency. At the same time opportunities for industrial aggression, and for the accumulation of property, increase in scope and availability.
And it is even more to the point that property now becomes the most easily recognised evidence of a reputable degree of success as distinguished from heroic or signal achievement. It therefore becomes the conventional basis of esteem. Its possession in some amount becomes necessary in order to any reputable standing in the community. It becomes indispensable to accumulate, to acquire property, in order to retain one's good name. When accumulated goods have in this way once become the accepted badge of efficiency, the possession of wealth presently assumes the character of an independent and definitive basis of esteem. The possession of goods, whether acquired aggressively by one's own exertion or passively by transmission through inheritance from others, becomes a conventional basis of reputability. The possession of wealth, which was at the outset valued simply as an evidence of efficiency, becomes, in popular apprehension, itself a meritorious act.
Wealth is now itself intrinsically honourable and confers honour on its possessor. By a further refinement, wealth acquired passively by transmission from ancestors or other antecedents presently becomes even more honorific than wealth acquired by the possessor's own effort; but this distinction belongs at a later stage in the evolution of the pecuniary culture and will be spoken of in its place ...
Peu à peu, à mesure que l'activité industrielle supplantait l'activité prédatrice dans la vie quotidienne de la communauté et dans les habitudes de pensée des hommes, la propriété accumulée remplaçait de plus en plus les trophées de l'exploitation prédatrice en tant qu'expression conventionnelle de la prépotence et du succès. Avec le développement de l'industrie sédentaire, la possession de richesses gagne donc en importance relative et en efficacité en tant que base coutumière de la réputation et de l'estime. Non pas que l'estime cesse d'être accordée sur la base d'autres preuves plus directes de la prouesse ; non pas qu'une agression prédatrice réussie ou un exploit guerrier cesse de susciter l'approbation et l'admiration de la foule, ou d'attiser l'envie des concurrents moins performants ; mais les occasions d'obtenir une distinction au moyen de cette manifestation directe d'une force supérieure deviennent moins disponibles à la fois en termes de portée et de fréquence. En même temps, les possibilités d'agression industrielle et d'accumulation de biens augmentent en étendue et en disponibilité.
Plus encore, la propriété devient la preuve la plus facilement reconnaissable d'un degré de réussite honorable, à la différence d'un accomplissement héroïque ou d'un signal. Elle devient donc la base conventionnelle de l'estime. La possession d'une certaine quantité de biens devient nécessaire pour jouir d'une bonne réputation au sein de la communauté. Il devient indispensable d'accumuler, d'acquérir des biens, afin de conserver sa réputation. Lorsque les biens accumulés sont ainsi devenus la marque acceptée de l'efficacité, la possession de richesses prend désormais le caractère d'une base d'estime indépendante et définitive. La possession de biens, qu'elle soit acquise agressivement par l'effort personnel ou passivement par transmission de l'héritage d'autrui, devient une base conventionnelle de réputation. La possession de richesses, qui était à l'origine appréciée simplement comme une preuve d'efficacité, devient, dans l'appréhension populaire, un acte méritoire en soi.
La richesse est désormais elle-même intrinsèquement honorable et confère de l'honneur à son détenteur. Par un raffinement supplémentaire, la richesse acquise passivement par transmission d'ancêtres ou d'autres antécédents devient aujourd'hui encore plus honorable que la richesse acquise par l'effort personnel du possesseur ; mais cette distinction se situe à un stade ultérieur de l'évolution de la culture pécuniaire et nous en parlerons à sa place...
Besides this, the power conferred by wealth also affords a motive to accumulation. That propensity for purposeful activity and that repugnance to all futility of effort which belong to man by virtue of his character as an agent do not desert him when he emerges from the naive communal culture where the dominant note of life is the unanalysed and indifferentiated solidarity of the individual with the group with which his life is bound up. When he enters upon the predatory stage, where self-seeking in the narrower sense becomes the dominant note, this propensity goes with him still, as the pervasive trait that shapes his scheme of life. The propensity for achievement and the repugnance to futility remain the underlying economic motive. The propensity changes only in the form of its expression and in the proximate objects to which it directs the man's activity. Under the regime of individual ownership the most available means of visibly achieving a purpose is that afforded by the acquisition and accumulation of goods; and as the self-regarding antithesis between man and man reaches fuller consciousness, the propensity for achievement--the instinct of workmanship--tends more and more to shape itself into a straining to excel others in pecuniary achievement. Relative success, tested by an invidious pecuniary comparison with other men, becomes the conventional end of action. The currently accepted legitimate end of effort becomes the achievement of a favourable comparison with other men; and therefore the repugnance to futility to a good extent coalesces with the incentive of emulation. It acts to accentuate the struggle for pecuniary reputability by visiting with a sharper disapproval all shortcoming and all evidence of shortcoming in point of pecuniary success. Purposeful effort comes to mean, primarily, effort directed to or resulting in a more creditable showing of accumulated wealth. Among the motives which lead men to accumulate wealth, the primacy, both in scope and intensity, therefore, continues to belong to this motive of pecuniary emulation.
En outre, le pouvoir conféré par la richesse fournit également un motif d'accumulation. Cette propension à l'activité volontaire et cette répugnance à tout effort futile qui appartiennent à l'homme en vertu de son caractère d'agent ne l'abandonnent pas lorsqu'il émerge de la culture communautaire naïve où la note dominante de la vie est la solidarité non analysée et indifférenciée de l'individu avec le groupe avec lequel sa vie est liée. Lorsqu'il entre dans le stade de la prédation, où la recherche de soi au sens étroit du terme devient la note dominante, cette propension l'accompagne toujours, comme le trait omniprésent qui façonne son schéma de vie. La propension à l'accomplissement et le dégoût de la futilité restent le motif économique sous-jacent. La propension ne change que dans la forme de son expression et dans les objets proches vers lesquels elle oriente l'activité de l'homme. Sous le régime de la propriété individuelle, le moyen le plus disponible pour atteindre visiblement un but est celui offert par l'acquisition et l'accumulation de biens ; et à mesure que l'antithèse de l'égoïsme entre l'homme et l'homme devient plus consciente, la propension à l'accomplissement - l'instinct de travail - tend de plus en plus à se transformer en un effort pour surpasser les autres dans l'accomplissement pécuniaire. Le succès relatif, testé par une comparaison pécuniaire désavantageuse avec d'autres hommes, devient la finalité conventionnelle de l'action. La fin légitime actuellement acceptée de l'effort devient la réalisation d'une comparaison favorable avec d'autres hommes ; et par conséquent, la répugnance à la futilité s'associe dans une large mesure à l'incitation à l'émulation. Elle accentue la lutte pour la réputation pécuniaire en frappant d'une désapprobation plus vive toute insuffisance et toute preuve d'insuffisance en matière de réussite pécuniaire. L'effort intentionnel s'entend principalement comme un effort visant à donner une image plus crédible de la richesse accumulée. Parmi les motifs qui poussent les hommes à accumuler des richesses, la primauté, à la fois en termes de portée et d'intensité, continue donc d'appartenir à ce motif d'émulation pécuniaire.
(...)
Chapter Three - Conspicuous Leisure
If its working were not disturbed by other economic forces or other features of the emulative process, the immediate effect of such a pecuniary struggle as has just been described in outline would be to make men industrious and frugal. This result actually follows, in some measure, so far as regards the lower classes, whose ordinary means of acquiring goods is productive labour. This is more especially true of the labouring classes in a sedentary community which is at an agricultural stage of industry, in which there is a considerable subdivision of industry, and whose laws and customs secure to these classes a more or less definite share of the product of their industry. These lower classes can in any case not avoid labour, and the imputation of labour is therefore not greatly derogatory to them, at least not within their class. Rather, since labour is their recognised and accepted mode of life, they take some emulative pride in a reputation for efficiency in their work, this being often the only line of emulation that is open to them. For those for whom acquisition and emulation is possible only within the field of productive efficiency and thrift, the struggle for pecuniary reputability will in some measure work out in an increase of diligence and parsimony. But certain secondary features of the emulative process, yet to be spoken of, come in to very materially circumscribe and modify emulation in these directions among the pecuniary inferior classes as well as among the superior class.
Si son fonctionnement n'était pas perturbé par d'autres forces économiques ou d'autres caractéristiques du processus d'émulation, l'effet immédiat d'une lutte pécuniaire telle qu'elle vient d'être décrite dans ses grandes lignes serait de rendre les hommes industrieux et économes. Ce résultat se produit effectivement, dans une certaine mesure, en ce qui concerne les classes inférieures, dont le moyen ordinaire d'acquérir des biens est le travail productif. Ceci est plus particulièrement vrai pour les classes laborieuses d'une communauté sédentaire qui se trouve à un stade agricole de l'industrie, dans laquelle il existe une subdivision considérable de l'industrie, et dont les lois et les coutumes assurent à ces classes une part plus ou moins définie du produit de leur industrie. Ces classes inférieures ne peuvent en tout cas pas éviter le travail, et l'imputation du travail n'est donc pas très désobligeante pour elles, du moins à l'intérieur de leur classe. Au contraire, comme le travail est leur mode de vie reconnu et accepté, elles tirent une certaine fierté émulative d'une réputation d'efficacité dans leur travail, car c'est souvent la seule ligne d'émulation qui s'offre à elles. Pour ceux dont l'acquisition et l'émulation ne sont possibles que dans le domaine de l'efficacité productive et de l'économie, la lutte pour la réputation pécuniaire se traduira dans une certaine mesure par une augmentation de la diligence et de la parcimonie. Mais certaines caractéristiques secondaires du processus d'émulation, dont nous n'avons pas encore parlé, interviennent pour circonscrire et modifier très matériellement l'émulation dans ces directions parmi les classes pécuniairement inférieures aussi bien que parmi les classes supérieures.
But it is otherwise with the superior pecuniary class, with which we are here immediately concerned. For this class also the incentive to diligence and thrift is not absent; but its action is so greatly qualified by the secondary demands of pecuniary emulation, that any inclination in this direction is practically overborne and any incentive to diligence tends to be of no effect. The most imperative of these secondary demands of emulation, as well as the one of widest scope, is the requirement of abstention from productive work. This is true in an especial degree for the barbarian stage of culture. During the predatory culture labour comes to be associated in men's habits of thought with weakness and subjection to a master. It is therefore a mark of inferiority, and therefore comes to be accounted unworthy of man in his best estate. By virtue of this tradition labour is felt to be debasing, and this tradition has never died out. On the contrary, with the advance of social differentiation it has acquired the axiomatic force due to ancient and unquestioned prescription.
In order to gain and to hold the esteem of men it is not sufficient merely to possess wealth or power. The wealth or power must be put in evidence, for esteem is awarded only on evidence. And not only does the evidence of wealth serve to impress one's importance on others and to keep their sense of his importance alive and alert, but it is of scarcely less use in building up and preserving one's self-complacency. In all but the lowest stages of culture the normally constituted man is comforted and upheld in his self-respect by "decent surroundings" and by exemption from "menial offices". Enforced departure from his habitual standard of decency, either in the paraphernalia of life or in the kind and amount of his everyday activity, is felt to be a slight upon his human dignity, even apart from all conscious consideration of the approval or disapproval of his fellows.
Mais il en va autrement pour la classe pécuniaire supérieure, dont nous nous occupons ici. Pour cette classe également, l'incitation à la diligence et à l'épargne n'est pas absente, mais son action est tellement nuancée par les exigences secondaires de l'émulation pécuniaire, que toute inclination dans cette direction est pratiquement neutralisée et que toute incitation à la diligence tend à être sans effet. La plus impérative de ces exigences secondaires de l'émulation, ainsi que celle dont la portée est la plus large, est l'obligation de s'abstenir de tout travail productif. Ceci est particulièrement vrai au stade de la culture barbare. Au cours de la culture prédatrice, le travail est associé, dans les habitudes de pensée des hommes, à la faiblesse et à la soumission à un maître. Il est donc une marque d'infériorité et, par conséquent, il en vient à être considéré comme indigne de l'homme dans son meilleur état. En vertu de cette tradition, le travail est ressenti comme avilissant et cette tradition n'a jamais disparu. Au contraire, avec le progrès de la différenciation sociale, elle a acquis la force axiomatique d'une prescription ancienne et incontestée.
Pour gagner et conserver l'estime des hommes, il ne suffit pas de posséder la richesse ou le pouvoir. La richesse ou le pouvoir doivent être mis en évidence, car l'estime n'est accordée que sur la base de preuves. Et non seulement les preuves de la richesse servent à faire comprendre aux autres l'importance d'une personne et à maintenir vivant et alerte le sentiment de cette importance, mais elles ne sont pas moins utiles pour construire et préserver l'autosatisfaction d'une personne. A tous les stades de la culture, sauf le plus bas, l'homme normalement constitué est réconforté et soutenu dans son amour-propre par un "environnement décent" et par l'exemption de "tâches subalternes". Toute dérogation forcée à ses normes habituelles de décence, que ce soit dans l'attirail de la vie ou dans la nature et l'ampleur de son activité quotidienne, est ressentie comme une atteinte à sa dignité humaine, même en dehors de toute considération consciente de l'approbation ou de la désapprobation de ses congénères...
... This direct, subjective value of leisure and of other evidences of wealth is no doubt in great part secondary and derivative. It is in part a reflex of the utility of leisure as a means of gaining the respect of others, and in part it is the result of a mental substitution. The performance of labour has been accepted as a conventional evidence of inferior force; therefore it comes itself, by a mental short-cut, to be regarded as intrinsically base...
... Cette valeur directe et subjective des loisirs et des autres preuves de richesse est sans doute en grande partie secondaire et dérivée. Elle est en partie le reflet de l'utilité des loisirs comme moyen de gagner le respect des autres, et en partie le résultat d'une substitution mentale. L'exécution du travail a été acceptée comme une preuve conventionnelle de force inférieure ; par conséquent, elle en vient elle-même, par un raccourci mental, à être considérée comme intrinsèquement vile...
Chapter Four - Conspicuous Consumption
In what has been said of the evolution of the vicarious leisure class and its differentiation from the general body of the working classes, reference has been made to a further division of labour,- that between the different servant classes. One portion of the servant class, chiefly those persons whose occupation is vicarious leisure, come to undertake a new, subsidiary range of duties--the vicarious consumption of goods. The most obvious form in which this consumption occurs is seen in the wearing of liveries and the occupation of spacious servants' quarters. Another, scarcely less obtrusive or less effective form of vicarious consumption, and a much more widely prevalent one, is the consumption of food, clothing, dwelling, and furniture by the lady and the rest of the domestic establishment.
But already at a point in economic evolution far antedating the emergence of the lady, specialised consumption of goods as an evidence of pecuniary strength had begun to work out in a more or less elaborate system. The beginning of a differentiation in consumption even antedates the appearance of anything that can fairly be called pecuniary strength. It is traceable back to the initial phase of predatory culture, and there is even a suggestion that an incipient differentiation in this respect lies back of the beginnings of the predatory life. This most primitive differentiation in the consumption of goods is like the later differentiation with which we are all so intimately familiar, in that it is largely of a ceremonial character, but unlike the latter it does not rest on a difference in accumulated wealth. The utility of consumption as an evidence of wealth is to be classed as a derivative growth. It is an adaption to a new end, by a selective process, of a distinction previously existing and well established in men's habits of thought.
Chapitre 4 - La consommation ostentatoire
Dans ce qui a été dit de l'évolution de la classe des loisirs par procuration et de sa différenciation par rapport à l'ensemble des classes ouvrières, il a été fait référence à une autre division du travail, celle qui existe entre les différentes classes de serviteurs. Une partie de la classe des serviteurs, principalement les personnes dont l'occupation est le loisir par procuration, en vient à assumer une nouvelle gamme de tâches subsidiaires, à savoir la consommation de biens par procuration. La forme la plus évidente de cette consommation est le port de la livrée et l'occupation de vastes logements de domestiques. Une autre forme de consommation par procuration, à peine moins gênante ou moins efficace, et beaucoup plus répandue, est la consommation de nourriture, de vêtements, de logements et de meubles. de nourriture, de vêtements, de logement et de meubles par la dame et le reste de l'établissement domestique.
Mais déjà à un moment de l'évolution économique bien antérieur à l'apparition de la dame, la consommation spécialisée de biens en tant que preuve de la force pécuniaire avait commencé à se concrétiser dans un système plus ou moins élaboré. Le début de la différenciation de la consommation est même antérieur à l'apparition de ce que l'on peut appeler la force pécuniaire. Elle remonte à la phase initiale de la culture prédatrice, et l'on peut même suggérer qu'une différenciation naissante à cet égard remonte aux débuts de la vie prédatrice. Cette différenciation la plus primitive dans la consommation des biens est semblable à la différenciation ultérieure que nous connaissons tous si bien, en ce sens qu'elle a un caractère essentiellement cérémoniel, mais contrairement à cette dernière, elle ne repose pas sur une différence de richesse accumulée. L'utilité de la consommation en tant que preuve de la richesse doit être classée comme une croissance dérivée. Il s'agit de l'adaptation à une nouvelle fin, par un processus sélectif, d'une distinction existant précédemment et bien établie dans les habitudes de pensée des hommes.
In the earlier phases of the predatory culture the only economic differentiation is a broad distinction between an honourable superior class made up of the able-bodied men on the one side, and a base inferior class of labouring women on the other. According to the ideal scheme of life in force at the time it is the office of the men to consume what the women produce. Such consumption as falls to the women is merely incidental to their work; it is a means to their continued labour, and not a consumption directed to their own comfort and fulness of life. Unproductive consumption of goods is honourable, primarily as a mark of prowess and a perquisite of human dignity; secondarily it becomes substantially honourable to itself, especially the consumption of the more desirable things. The consumption of choice articles of food, and frequently also of rare articles of adornment, becomes tabu to the women and children; and if there is a base (servile) class of men, the tabu holds also for them. With a further advance in culture this tabu may change into simple custom of a more or less rigorous character; but whatever be the theoretical basis of the distinction which is maintained, whether it be a tabu or a larger conventionality, the features of the conventional scheme of consumption do not change easily. When the quasi-peaceable stage of industry is reached, with its fundamental institution of chattel slavery, the general principle, more or less rigorously applied, is that the base, industrious class should consume only what may be necessary to their subsistence. In the nature of things, luxuries and the comforts of life belong to the leisure class. Under the tabu, certain victuals, and more particularly certain beverages, are strictly reserved for the use of the superior class...
Dans les premières phases de la culture prédatrice, la seule différenciation économique est une large distinction entre une classe supérieure honorable composée des hommes valides, d'une part, et une classe inférieure inférieure composée des femmes qui travaillent, d'autre part. Selon le schéma idéal de vie en vigueur à l'époque, il incombe aux hommes de consommer ce que les femmes produisent. La consommation qui revient aux femmes n'est qu'un accessoire de leur travail ; c'est un moyen de poursuivre leur travail, et non une consommation destinée à leur propre confort et à la plénitude de leur vie. La consommation de biens improductifs est honorable, d'abord comme une marque de prouesse et un attribut de la dignité humaine ; ensuite, elle devient substantiellement honorable pour elle-même, surtout la consommation des choses les plus désirables. La consommation d'aliments de choix, et souvent aussi d'objets de parure rares, devient un tabou pour les femmes et les enfants ; et s'il existe une classe d'hommes inférieurs (serviles), le tabou s'applique aussi à eux. Avec le progrès de la culture, ce tabou peut se transformer en une simple coutume plus ou moins rigoureuse ; mais quelle que soit la base théorique de la distinction maintenue, qu'il s'agisse d'un tabou ou d'une convention plus large, les caractéristiques du système conventionnel de consommation ne changent pas facilement. Lorsque le stade quasi pacifique de l'industrie est atteint, avec son institution fondamentale de l'esclavage mobilier, le principe général, plus ou moins rigoureusement appliqué, est que la classe laborieuse de base ne doit consommer que ce qui est nécessaire à sa subsistance. Dans la nature des choses, le luxe et le confort de la vie appartiennent à la classe des loisirs. Sous le tabou, certaines victuailles, et plus particulièrement certaines boissons, sont strictement réservées à l'usage de la classe supérieure...
Les chapitres 5 à 7 montrent comment la consommation ostentatoire se manifeste dans la vie quotidienne. Le chapitre 5 entend démontrer que la richesse d'un individu peut être évaluée à l'aune de son niveau de vie, dans lequel les objets et services coûteux acquièrent une signification symbolique et indiquent le statut de sa classe d'appartenance. Le chapitre 6 développe cette idée en illustrant comment les institutions établies par la classe supérieure peuvent fausser la perception de la valeur par les gens : les objets coûteux sont considérés comme agréables sur le plan esthétique non pas pour leur beauté innée, mais parce qu'ils sont convoités par les membres riches et "respectables" de la société. Le chapitre 7 évalue comment certaines coutumes sociales, telles que la mode, sont également des symboles de consommation ostentatoire.
Chapter Five - The Pecuniary Standard of Living
For the great body of the people in any modern community, the proximate ground of expenditure in excess of what is required for physical comfort is not a conscious effort to excel in the expensiveness of their visible consumption, so much as it is a desire to live up to the conventional standard of decency in the amount and grade of goods consumed. This desire is not guided by a rigidly invariable standard, which must be lived up to, and beyond which there is no incentive to go. The standard is flexible; and especially it is indefinitely extensible, if only time is allowed for habituation to any increase in pecuniary ability and for acquiring facility in the new and larger scale of expenditure that follows such an increase. It is much more difficult to recede from a scale of expenditure once adopted than it is to extend the accustomed scale in response to an accession of wealth. Many items of customary expenditure prove on analysis to be almost purely wasteful, and they are therefore honorific only, but after they have once been incorporated into the scale of decent consumption, and so have become an integral part of one's scheme of life, it is quite as hard to give up these as it is to give up many items that conduce directly to one's physical comfort, or even that may be necessary to life and health. That is to say, the conspicuously wasteful honorific expenditure that confers spiritual well-being may become more indispensable than much of that expenditure which ministers to the "lower" wants of physical well-being or sustenance only. It is notoriously just as difficult to recede from a "high" standard of living as it is to lower a standard which is already relatively low; although in the former case the difficulty is a moral one, while in the latter it may involve a material deduction from the physical comforts of life...
Pour la grande majorité des membres d'une communauté moderne, le motif immédiat des dépenses excédant ce qui est nécessaire au confort physique n'est pas un effort conscient pour exceller dans la dépense de leur consommation visible, mais plutôt un désir de se conformer à la norme conventionnelle de décence dans la quantité et la qualité des biens consommés. Ce désir n'est pas guidé par une norme rigide et invariable, qui doit être respectée et au-delà de laquelle il n'y a pas d'incitation à aller. La norme est souple, et surtout elle est indéfiniment extensible, si l'on se donne le temps de s'habituer à toute augmentation de la capacité pécuniaire et d'acquérir de l'aisance dans la nouvelle et plus grande échelle de dépenses qui suit une telle augmentation. Il est beaucoup plus difficile de s'écarter d'une échelle de dépenses déjà adoptée que d'étendre l'échelle habituelle à la suite d'un accroissement de richesse. Beaucoup de dépenses habituelles se révèlent à l'analyse presque purement inutiles et ne sont donc qu'honorifiques, mais une fois qu'elles ont été incorporées dans l'échelle de consommation décente et qu'elles sont devenues une partie intégrante de l'organisation de la vie, il est tout aussi difficile d'y renoncer que de renoncer à beaucoup d'articles qui contribuent directement au confort physique, ou même qui peuvent être nécessaires à la vie et à la santé. En d'autres termes, les dépenses honorifiques manifestement inutiles qui confèrent un bien-être spirituel peuvent devenir plus indispensables que la plupart des dépenses qui répondent aux besoins "inférieurs" du bien-être physique ou de la subsistance. Il est notoirement aussi difficile de s'éloigner d'un niveau de vie "élevé" que d'abaisser un niveau qui est déjà relativement bas ; bien que dans le premier cas la difficulté soit d'ordre moral, alors que dans le second elle peut impliquer une déduction matérielle des commodités physiques de la vie...
... A standard of living is of the nature of habit. It is an habitual scale and method of responding to given stimuli. The difficulty in the way of receding from an accustomed standard is the difficulty of breaking a habit that has once been formed. The relative facility with which an advance in the standard is made means that the life process is a process of unfolding activity and that it will readily unfold in a new direction whenever and wherever the resistance to self-expression decreases. But when the habit of expression along such a given line of low resistance has once been formed, the discharge will seek the accustomed outlet even after a change has taken place in the environment whereby the external resistance has appreciably risen. That heightened facility of expression in a given direction which is called habit may offset a considerable increase in the resistance offered by external circumstances to the unfolding of life in the given direction. As between the various habits, or habitual modes and directions of expression, which go to make up an individual's standard of living, there is an appreciable difference in point of persistence under counteracting circumstances and in point of the degree of imperativeness with which the discharge seeks a given direction.
That is to say, in the language of current economic theory, while men are reluctant to retrench their expenditures in any direction, they are more reluctant to retrench in some directions than in others; so that while any accustomed consumption is reluctantly given up, there are certain lines of consumption which are given up with relatively extreme reluctance. The articles or forms of consumption to which the consumer clings with the greatest tenacity are commonly the so-called necessaries of life, or the subsistence minimum. The subsistence minimum is of course not a rigidly determined allowance of goods, definite and invariable in kind and quantity; but for the purpose in hand it may be taken to comprise a certain, more or less definite, aggregate of consumption required for the maintenance of life. This minimum, it may be assumed, is ordinarily given up last in case of a progressive retrenchment of expenditure. That is to say, in a general way, the most ancient and ingrained of the habits which govern the individual's life--those habits that touch his existence as an organism--are the most persistent and imperative. Beyond these come the higher wants--later-formed habits of the individual or the race--in a somewhat irregular and by no means invariable gradation....
... ... Un niveau de vie est de l'ordre de l'habitude. Il s'agit d'une échelle habituelle et d'une méthode de réponse à des stimuli donnés. La difficulté de s'éloigner d'une norme habituelle est la difficulté de se défaire d'une habitude qui a été formée. La relative facilité avec laquelle un progrès dans la norme est réalisé signifie que le processus de vie est un processus d'activité qui se développe et qu'il se développera facilement dans une nouvelle direction à chaque fois que la résistance à l'expression de soi diminuera. Mais lorsque l'habitude de s'exprimer le long d'une ligne donnée de faible résistance a été prise, la décharge cherchera l'exutoire habituel même après qu'un changement se soit produit dans l'environnement par lequel la résistance extérieure a augmenté de façon appréciable. Cette facilité accrue d'expression dans une direction donnée, que l'on appelle habitude, peut compenser une augmentation considérable de la résistance offerte par les circonstances extérieures au déroulement de la vie dans la direction donnée. Entre les diverses habitudes, ou modes et directions habituels d'expression, qui constituent le niveau de vie d'un individu, il y a une différence appréciable en ce qui concerne la persistance en dépit des circonstances et le degré d'impérativité avec lequel la décharge s'effectue dans une direction donnée.
En d'autres termes, dans le langage de la théorie économique actuelle, si les hommes sont réticents à réduire leurs dépenses dans n'importe quelle direction, ils le sont davantage dans certaines directions que dans d'autres ; ainsi, si toute consommation habituelle est abandonnée à contrecoeur, il y a certaines lignes de consommation qui sont abandonnées avec une réticence relativement extrême. Les articles ou les formes de consommation auxquels le consommateur s'accroche avec le plus de ténacité sont généralement ce que l'on appelle les produits de première nécessité ou le minimum vital. Le minimum vital n'est évidemment pas une allocation de biens rigidement déterminée, définie et invariable en nature et en quantité ; mais, dans le cas qui nous occupe, on peut considérer qu'il comprend un certain agrégat, plus ou moins défini, de consommation nécessaire à l'entretien de la vie. On peut supposer que ce minimum est généralement abandonné en dernier lieu en cas de réduction progressive des dépenses. C’est-à-dire, de façon générale, les habitudes les plus anciennes et enracinées qui régissent la vie de l’individu - les habitudes qui touchent son existence en tant qu’organisme - sont les plus persistantes et les plus impératives. Au-delà de cela viennent les désirs supérieurs — les habitudes plus tardives de l’individu ou de la race — dans une gradation quelque peu irrégulière et en aucun cas invariable....
Chapter Six - Pecuniary Canons of Taste
The caution has already been repeated more than once, that while the regulating norm of consumption is in large part the requirement of conspicuous waste, it must not be understood that the motive on which the consumer acts in any given case is this principle in its bald, unsophisticated form. Ordinarily his motive is a wish to conform to established usage, to avoid unfavorable notice and comment, to live up to the accepted canons of decency in the kind, amount, and grade of goods consumed, as well as in the decorous employment of his time and effort. In the common run of cases this sense of prescriptive usage is present in the motives of the consumer and exerts a direct constraining force, especially as regards consumption carried on under the eyes of observers. But a considerable element of prescriptive expensiveness is observable also in consumption that does not in any appreciable degree become known to outsiders--as, for instance, articles of underclothing, some articles of food, kitchen utensils, and other household apparatus designed for service rather than for evidence. In all such useful articles a close scrutiny will discover certain features which add to the cost and enhance the commercial value of the goods in question, but do not proportionately increase the serviceability of these articles for the material purposes which alone they ostensibly are designed to serve....
Chapter Seven - Dress as an Expression of the Pecuniary Culture
It will in place, by way of illustration, to show in some detail how the economic principles so far set forth apply to everyday facts in some one direction of the life process. For this purpose no line of consumption affords a more apt illustration than expenditure on dress. It is especially the rule of the conspicuous waste of goods that finds expression in dress, although the other, related principles of pecuniary repute are also exemplified in the same contrivances. Other methods of putting one's pecuniary standing in evidence serve their end effectually, and other methods are in vogue always and everywhere; but expenditure on dress has this advantage over most other methods, that our apparel is always in evidence and affords an indication of our pecuniary standing to all observers at the first glance. It is also true that admitted expenditure for display is more obviously present, and is, perhaps, more universally practiced in the matter of dress than in any other line of consumption. No one finds difficulty in assenting to the commonplace that the greater part of the expenditure incurred by all classes for apparel is incurred for the sake of a respectable appearance rather than for the protection of the person. And probably at no other point is the sense of shabbiness so keenly felt as it is if we fall short of the standard set by social usage in this matter of dress. It is true of dress in even a higher degree than of most other items of consumption, that people will undergo a very considerable degree of privation in the comforts or the necessaries of life in order to afford what is considered a decent amount of wasteful consumption; so that it is by no means an uncommon occurrence, in an inclement climate, for people to go ill clad in order to appear well dressed. And the commercial value of the goods used for clotting in any modern community is made up to a much larger extent of the fashionableness, the reputability of the goods than of the mechanical service which they render in clothing the person of the wearer. The need of dress is eminently a "higher" or spiritual need....
Il sera mis en place, à titre d’illustration, pour montrer en détail comment les principes économiques énoncés jusqu’à présent s’appliquent aux faits quotidiens dans une certaine direction du processus de vie. A cet effet, aucune ligne de consommation n’offre une illustration plus appropriée que les dépenses d’habillement....
À partir du chapitre 8, Veblen change de ton, l'analyse laisse place à la critique et à la satire. Le chapitre 8 (Industrial Exemption and Conservatism) soutient que la classe des loisirs, du fait qu'elle n'a pas à participer aux processus industriels, a tendance à valoriser la tradition et le conservatisme. Le chapitre 9 (The Conservation of Archaic Traits) défend ce point de vue en illustrant comment, même dans la société industrielle moderne, l'appartenance à la classe de loisirs est conditionnée par l'adhésion à des structures sociales et à des coutumes archaïques, telles que l'étiquette. Il aborde également les "types ethniques" européens qui composent la société industrielle moderne et leur relation avec les attributs "pacifiques" et "prédateurs". Le chapitre 10 (Modern Survivals of Prowess) affirme que la culture pécuniaire et la société de consommation nourrissent la compétitivité et la férocité, qui augmentent la richesse mais sont préjudiciables à la société dans son ensemble. Le chapitre 11 (The Belief in Luck) montre comment les croyances religieuses et superstitieuses, telles que la confiance dans la chance, peuvent encourager les jeux d'argent et d'autres comportements de consommation destructeurs. Cela est particulièrement évident dans l'athlétisme, une pratique sociale qui devrait mettre l'accent sur l'intégrité et le travail d'équipe, mais qui est entachée par la compétitivité et la culture pécuniaire.
Chapter Eight - The life of man in society, just like the life of other species, is a struggle for existence, and therefore it is a process of selective adaptation. The evolution of social structure has been a process of natural selection of institutions. The progress which has been and is being made in human institutions and in human character may be set down, broadly, to a natural selection of the fittest habits of thought and to a process of enforced adaptation of individuals to an environment which has progressively changed with the growth of the community and with the changing institutions under which men have lived. Institutions are not only themselves the result of a selective and adaptive process which shapes the prevailing or dominant types of spiritual attitude and aptitudes; they are at the same time special methods of life and of human relations, and are therefore in their turn efficient factors of selection. So that the changing institutions in their turn make for a further selection of individuals endowed with the fittest temperament, and a further adaptation of individual temperament and habits to the changing environment through the formation of new institutions.
The forces which have shaped the development of human life and of social structure are no doubt ultimately reducible to terms of living tissue and material environment; but proximately for the purpose in hand, these forces may best be stated in terms of an environment, partly human, partly non-human, and a human subject with a more or less definite physical and intellectual constitution. Taken in the aggregate or average, this human subject is more or less variable; chiefly, no doubt, under a rule of selective conservation of favorable variations....
La vie de l’homme dans la société, tout comme la vie d’autres espèces, est une lutte pour l’existence, et donc c’est un processus d’adaptation sélective. L’évolution de la structure sociale a été un processus de sélection naturelle des institutions. Les progrès qui ont été et qui sont accomplis dans les institutions humaines et dans le caractère humain peuvent être fixés, en général, à une sélection naturelle des habitudes de pensée les plus appropriées et à un processus d’adaptation forcée des individus à un environnement qui a progressivement changé avec la croissance de la communauté et avec les institutions changeantes sous lesquelles les hommes ont vécu. Les institutions ne sont pas seulement elles-mêmes le résultat d’un processus sélectif et adaptatif qui façonne les types dominants ou dominants d’attitudes et d’aptitudes spirituelles; elles sont en même temps des méthodes particulières de vie et de relations humaines, et sont donc à leur tour des facteurs de sélection efficaces. De sorte que les institutions changeantes à leur tour font une sélection supplémentaire d’individus dotés du tempérament le plus approprié, et une adaptation supplémentaire du tempérament et des habitudes individuels à l’environnement changeant par la formation de nouvelles institutions.
Les forces qui ont façonné le développement de la vie humaine et de la structure sociale sont sans aucun doute, en fin de compte, réductibles en termes de tissu vivant et d’environnement matériel; mais, à proximité du but recherché, ces forces peuvent être mieux exprimées en termes d’environnement, partiellement humain, partiellement non-humain, et un sujet humain avec une constitution physique et intellectuelle plus ou moins définie. Pris globalement ou en moyenne, ce sujet humain est plus ou moins variable; principalement, sans doute, sous une règle de conservation sélective des variations favorables....
Chapter Ten - The leisure class lives by the industrial community rather than in it. Its relations to industry are of a pecuniary rather than an industrial kind. Admission to the class is gained by exercise of the pecuniary aptitudes--aptitudes for acquisition rather than for serviceability. There is, therefore, a continued selective sifting of the human material that makes up the leisure class, and this selection proceeds on the ground of fitness for pecuniary pursuits. But the scheme of life of the class is in large part a heritage from the past, and embodies much of the habits and ideals of the earlier barbarian period. This archaic, barbarian scheme of life imposes itself also on the lower orders, with more or less mitigation. In its turn the scheme of life, of conventions, acts selectively and by education to shape the human material, and its action runs chiefly in the direction of conserving traits, habits, and ideals that belong to the early barbarian age--the age of prowess and predatory life.
The most immediate and unequivocal expression of that archaic human nature which characterizes man in the predatory stage is the fighting propensity proper. In cases where the predatory activity is a collective one, this propensity is frequently called the martial spirit, or, latterly, patriotism. It needs no insistence to find assent to the proposition that in the countries of civilized Europe the hereditary leisure class is endowed with this martial spirit in a higher degree than the middle classes. Indeed, the leisure class claims the distinction as a matter of pride, and no doubt with some grounds. War is honorable, and warlike prowess is eminently honorific in the eyes of the generality of men; and this admiration of warlike prowess is itself the best voucher of a predatory temperament in the admirer of war. The enthusiasm for war, and the predatory temper of which it is the index,
prevail in the largest measure among the upper classes, especially among the hereditary leisure class. Moreover, the ostensible serious occupation of the upper class is that of government, which, in point of origin and developmental content, is also a predatory occupation ....
Chapter Ten - La classe des loisirs vit par la communauté industrielle plutôt que dans elle. Ses relations avec l’industrie sont de nature pécuniaire plutôt qu’industrielle. L’admission à la classe se fait par l’exercice des aptitudes pécuniaires, c’est-à-dire des aptitudes à l’acquisition plutôt qu’à l’entretien. Il y a, par conséquent, un tri sélectif continu du matériel humain qui compose la classe de loisirs, et cette sélection procède sur le terrain de l’aptitude à des poursuites pécuniaires. Mais le schéma de vie de la classe est en grande partie un héritage du passé, et incarne une grande partie des habitudes et des idéaux de la période barbare antérieure. Ce schéma de vie archaïque et barbare s’impose aussi aux ordres inférieurs, avec plus ou moins d’atténuation. À son tour, le schéma de la vie, des conventions, agit de façon sélective et par l’éducation pour façonner le matériel humain, et son action va principalement dans le sens de conserver les traits, les habitudes et les idéaux qui appartiennent au début de l’âge barbare - l’âge des prouesses et de la vie prédatrice.
L’expression la plus immédiate et sans équivoque de cette nature humaine archaïque qui caractérise l’homme au stade prédateur est la propension au combat proprement dite. Dans les cas où l’activité prédatrice est collective, cette propension est souvent appelée l’esprit martial, ou, plus tard, le patriotisme. Il n’est pas nécessaire d’insister pour accepter la proposition selon laquelle, dans les pays d’Europe civilisée, la classe des loisirs héréditaires est dotée de cet esprit martial à un degré plus élevé que les classes moyennes. En effet, la classe des loisirs revendique la distinction comme une question de fierté, et sans doute avec certains motifs. La guerre est honorable, et les prouesses guerrières sont éminemment honorifiques aux yeux de la généralité des hommes ; et cette admiration des prouesses guerrières est elle-même le meilleur indice d’un tempérament prédateur chez l’admirateur de la guerre. L’enthousiasme pour la guerre, et le tempérament prédateur dont il est l’indice, prévalent dans la plus grande mesure parmi les classes supérieures ...
Les chapitres 12 à 14 montrent comment la consommation ostentatoire est devenue désormais dominante dans la société moderne. Le chapitre 12 (Devout Observances) affirme que le système clérical est parallèle au cadre social de la classe de loisirs, en particulier en ce qui concerne sa participation à la consommation ostentatoire. Dans le chapitre 13 (Survivals of the Non-Invidious Interests), Veblen établit un lien entre le clergé et les femmes de la classe supérieure en tant que symboles de la richesse par procuration qui reflètent la respectabilité de leurs maîtres patriarcaux : dans le cas de l'église, le maître est la divinité vénérée, tandis que dans le cas des femmes, le maître est le mari ou le père. Bien que les femmes et les églises soient connues pour leurs dons à des œuvres caritatives et leur participation à des organisations d'aide aux pauvres, leurs actions ne sont pas purement altruistes car elles font partie de ce que Veblen appelle la "classe de loisirs par procuration". En effet, dans une société patriarcale, seuls les hommes disposant de moyens indépendants peuvent véritablement appartenir à la classe de loisirs. Le chapitre 14 (The Higher Learning as an Expression of the Pecuniary Culture) critique les institutions modernes d'enseignement supérieur qui s'accrochent à des pratiques religieuses inutiles, en particulier dans le domaine des sciences humaines....