Il Futurismo - Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) - Giacomo Balla (1871-1958) - Umberto Boccioni (1882-1916) - Carlo Carrà (1881-1966) - Luigi Russolo (1885-1947) - Gino Severini (1883-1916) - ..
Last update: 11/11/2016
" Nessuna opera che non abbia un carattere aggressivo può essere un capolavoro. La poesia deve essere concepita come un violento assalto contro le forze ignote, per ridurle a prostrarsi davanti all'uomo "
L'Italie voit apparaître à Rome, Milan, Florence, le "futurisme" (Il Futurismo), traducteur de toutes les pulsions du monde moderne. Au milieu du bouleversement de la société du début du XXe siècle, les futuristes, avec agressivité et sens de la provocation, entendent traduire ce que ni les symbolistes, ni les décadents, ni les esthètes néoclassiques, ne veulent représenter, la ville industrielle, les phénomènes de masse, le développement du machinisme, la vitesse, qui transforment la conception du temps et de l'espace. Le mouvement se fonde sur une vision dynamique de la vie, créatrice de rapports surprenants et paradoxaux, que l'on a pu rapprocher des idées d'un Henri Bergson. "Canteremo il vibrante fervore notturno degli arsenali e dei cantieri incendiati da violente lune elettriche, le stazioni ingorde, divoratrici di serpi che fumano;...le locomotive dall'ampio petto, che scalpitano sulle rotaie, come enormi cavalli d'acciaio. Il Tempo e lo Spazio morirono ieri Noi viviamo già nell'Assoluto, poiché abbiamo già creata l'eterna velocità onnipresente" (Nous chanterons la ferveur nocturne vibrante des arsenaux et des chantiers navals incendiés par les violentes lunes électriques, les stations d'avalement, les serpents dévorant les serpents fumants ; les locomotives à larges seins, qui cisèlent sur les rails, comme d'énormes chevaux d'acier. Le temps et l'espace sont morts hier Nous vivons déjà dans l'Absolu, parce que nous avons déjà créé la vitesse éternelle, omniprésente, Marinetti Manifesto del Futurismo, 1909)...
Mais cette volonté de rupture avec le monde passé et présent porte en elle, notamment avec Marinetti, un désir de guerre nationaliste et salvatrice, pour remettre le monde dans les "rails" de la vision futuriste : "appelée par leurs vœux, la guerre aura sur les futuristes un effet de boomerang", plusieurs d’entre eux tués (Boccioni, Sant’Elia) ou grièvement blessés (Russolo), les autres se dispersant vers l’académisme du « Novecento » (Carrà, Funi, Sironi, Soffici) ou se laissant dévorer par la tentation fasciste ...
In Rome, Milan, Florence, Italy sees the emergence of "Futurism" (Il Futurismo), translator of all the impulses of the modern world. In the midst of the upheaval of society at the beginning of the 20th century, futurists, with aggressiveness and a sense of provocation, hear what neither symbolists, nor decadents, nor neoclassical aesthetes want to represent: the industrial city, mass phenomena, the development of mechanics, speed, which transform the conception of time and space. The movement is based on a dynamic vision of life, creating surprising and paradoxical relationships, which have been brought closer to the ideas of Henri Bergson...
En Roma, Milán, Florencia, Italia, surge el "Futurismo" (Il Futurismo), traductor de todos los impulsos del mundo moderno. En medio de la agitación social de principios del siglo XX, los futuristas, con agresividad y sentido de provocación, escuchan lo que ni los simbolistas, ni los decadentes, ni los estetas neoclásicos quieren representar: la ciudad industrial, los fenómenos de masas, el desarrollo de la mecánica, la velocidad, que transforman la concepción del tiempo y del espacio. El movimiento se basa en una visión dinámica de la vida, creando relaciones sorprendentes y paradójicas, que se han acercado a las ideas de Henri Bergson...
Umberto Boccioni, "La Rue entre dans la maison"
("Visioni simultanee", 1911, Von Der Heydt Museum di Wuppertal) :
"tous les personnages se tiennent immobiles, puis s'animent, vont et viennent, gagnent les rues, entrent dans cette vibration universelle où se confondent la rue, les arbres, les passants, entrent dans une impression de perpétuel devenir, de transformation permanente du monde, la matière en est l'énergie vitale, le divisionnisme et le cubisme fournissent le chromatisme et la perspective de base, le futurisme achève la libération de ce nouveau regard sur cette société en perpétuelle gestation.." Et le personnage qui entend vivre et voir au diapason de cette nouvelle complexité sociale, au rythme de ces nouvelles métropoles industrielles, est ici présenté simultanément, de face et de profil. Cette nouvelle vision se veut foncièrement optimiste, confiante dans la technique, dans le progrès, et entend ainsi "régénérer" le monde ..
"Noi canteremo le grandi folle agitate dal lavoro..."
Lancé en littérature par le "Manifeste du futurisme" (Manifesto iniziale del Futurismo) de Marinetti, publié en 1909, à Paris, qui exalte le XXe siècle, l'industrie, la guerre, et appelle à la destruction des musées, il s'étend à l'art avec le "Manifeste des peintres futuristes", rédigé par Boccioni, signé par Balla, Russolo, Carrà, Severini, en février 1910. Giovanni Papini et Ardengo Soffici en sont les porte-parole littéraires dans les revues "La Voce" (1908) et "Lacerba" (1913). Le mouvement atteint la sculpture et l'architecture avec Antonio Sant'Elia. De 1909 à 1916, plus de cinquante manifestes sont publiés...
(Russolo, Carrà, Marinetti, Boccioni e Severini a Parigi per l'inaugurazione della prima mostra del 1912)
"Nous avions veillé toute la nuit, mes amis et moi, sous des lampes de mosquée dont les coupoles de cuivre aussi ajourées que notre âme avaient pourtant des cœurs électriques. Et tout en piétinant notre native paresse sur d'opulents tapis persans, nous avions discuté aux frontières extrêmes de la logique et griffé le papier de démentes écritures. Un immense orgueil gonflait nos poitrines à nous sentir debout tous seuls, comme des phares ou comme des sentinelles avancées, face à l'armée des étoiles ennemies, qui campent dans leurs bivouacs célestes. Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, seuls avec les noirs fantômes qui fourragent dans le ventre rouge des locomotives affolées, seuls avec les ivrognes battant des ailes contre les murs!
Et nous voilà brusquement distraits par le roulement des énormes tramways à double étage, qui passent sursautant, bariolés de lumières, tels les hameaux en fête que le Pô débordé ébranle tout à coup et déracine, pour les entraîner, sur les cascades et les remous d'un déluge, jusqu'à la mer. Puis le silence s'aggrava. Comme nous écoutions la prière exténuée du vieux canal et crisser les os des palais moribonds dans leur barbe de verdure, soudain rugirent sous nos fenêtres les automobiles affamées.
– Allons, dis-je, mes amis! Partons! Enfin, la Mythologie et l'Idéal mystique sont surpassés. Nous allons assister à la naissance du Centaure et nous verrons bientôt voler les premiers anges! – Il faudra ébranler les portes de la vie pour en essayer les gonds et les verrous! Partons! Voilà bien le premier soleil levant sur la terre! ... Rien n'égale la splendeur de son épée rouge qui s'escrime pour la première fois dans nos ténèbres millénaires. Nous nous approchâmes des trois machines renâclant pour flatter leur poitrail. Je m'allongeai sur la mienne ...
Le grand balai de la folie nous arracha à nous-mêmes et nous poussa à travers les rues escarpées et profondes comme des torrents desséchés. Çà et là, des lampes malheureuses, aux fenêtres, nous enseignaient à mépriser nos yeux mathématiques.
– Le flair, criai-je, le flair suffit aux fauves! ...
Sortons de la Sagesse comme d'une gangue hideuse et entrons, comme des fruits pimentés d'orgueil, dans la bouche immense et torse du vent!... Donnons-nous à manger à l'Inconnu, non par désespoir, mais simplement pour enrichir les insondables réservoirs de l'Absurde!
Comme j'avais dit ces mots, je virai brusquement sur moi-même avec l'ivresse folle des caniches qui se mordent la queue, et voilà tout à coup que deux cyclistes me désapprouvèrent, titubant devant moi ainsi que deux raisonnements persuasifs et pourtant contradictoires. Leur ondoiement stupide discutait sur mon terrain ... Quel ennui! Pouah! ... Je coupai court et, par dégoût, je me flanquai dans un fossé ...
Oh! maternel fossé, à moitié plein d'une eau vaseuse! Fossé d'usine! J'ai savouré à pleine bouche la boue fortifiante!
Le visage masqué de la bonne boue des usines, pleine de scories de métal, de sueurs inutiles et de suie céleste, portant nos bras foulés en écharpe, parmi la complainte des sages pêcheurs à la ligne et des naturalistes navrés, nous dictâmes nos premières volontés à tous les hommes vivants de la terre.."
Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944)
Le fondateur du mouvement futuriste a véritablement débuté à Paris, dans les années 1895, il y fait ses études et plonge dans l'effervescence artistique de la capitale française (la revue littéraire La Plume, Alfred Jarry, Catulle Mendès, Gustave Kahn) et politique (Filippo Turati, Enrico Ferri, Arturo Labriola). Son activité critique commence à Milan avec la fondation de la revue Poesia (1904), destinée à introduire en Italie la poésie symboliste, tant française qu'italienne. C'est la même année (1909) qu'il fait représenter sa comédie "le Roi Bombance", violente satire de la société bourgeoise, et publie dans le Figaro le premier manifeste futuriste dans lequel il rejette son pays-musée qu'est l'Italie, pour une expression artistique agressive, audacieuse, révoltée, qui intègre les masses au travail, mais aussi la vitesse, l'automobile, les locomotives, toute cette vitalité "industrielle" qui bouleverse les vieilles cloisons de l'espace et du temps : "La voiture de course est plus belle que la Victoire de Samothrace".
C'est donc Marinetti qui va porter le futurisme au premier plan de la vie intellectuelle italienne, peintres et poètes se regroupent autour de lui et l’entraîne à prendre position non seulement en littérature et dans les arts plastiques, mais en architecture, au théâtre, dans la danse, la vie quotidienne et la politique. Il se prêtera d'autant plus au jeu qu'il allie à son goût pour l’agitation et le scandale, un sens polémique hors pair et des intuitions, parfois confuses, mais souvent géniales : le voyage qu'il accomplira à Moscou au début de 1914 marque sans doute l’apogée de ce futurisme version Marinetti.
Dans sa recherche de la plus grande liberté d'expression, Marinetti se fait d'abord défenseur du vers libre, théorisé par les symbolistes, puis tente d'édifier le langage qui pourrait lui permettre d'être en prise directe avec l'objet réel en mouvement. Les Manifeste technique de la littérature futuriste (1912), de la cinématographie futuriste (1916), des Mots en liberté incitent à la subversion des contraintes de la syntaxe et de la graphie traditionnelles, l'obsession lyrique de la matière débouche sur "l'imagination sans fils" qui, à l'instar du cinéma, présente de nouvelles relations entre les objets, relations le plus souvent subversives. Marinetti devient rapidement le porte-parole du futurisme et parcourt l'Europe.
Au début de 1918, Marinetti fonda le Parti politique futuriste (Partito politico Futurista) et ne tarde pas à entretenir des relations, parfois houleuses mais constantes, avec le fascisme qui se déploie en Italie...
Manifeste du Futurisme
"1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.
2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace et la révolte.
3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.
4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux, tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.
6. Il faut que le poète se dépense avec chaleur, éclat et prodigalité, pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.
7. Il n'y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d'œuvre sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l'homme.
8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles! .... A quoi bon regarder derrière nous, du moment qu'il nous faut défoncer les vantaux mystérieux de l'impossible? Le Temps et l'Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l'absolu, puisque nous avons déjà créé l'éternelle vitesse omniprésente.
9. Nous voulons glorifier la guerre, – seule hygiène du monde, – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent et le mépris de la femme.
10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.
11. Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l'horizon; les locomotives au grand poitrail qui piaffent sur les rails, tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyaux et le vol glissant des aéroplanes, dont l'hélice a des claquements de drapeaux et des applaudissements de foule enthousiaste.
C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme, parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène de professeurs, d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires.
L'Italie a été trop longtemps le marché des brocanteurs qui fournissaient au monde le mobilier de nos ancêtres, sans cesse renouvelé et soigneusement mitraillé pour simuler le travail des tarets vénérables. Nous voulons débarrasser l'Italie des musées innombrables qui la couvrent d'innombrables cimetières.
Musées, cimetières!... Identiques vraiment dans leur sinistre coudoiement de corps qui ne se connaissent pas. Dortoirs publics où l'on dort à jamais côte à côte avec des êtres haïs ou inconnus. Férocité réciproque des peintres et des sculpteurs s'entre-tuant à coups de lignes et de couleurs dans le même musée.
Qu'on y fasse une visite chaque année comme on va voir ses morts une fois par an! ... Nous pouvons bien l'admettre!... Qu'on dépose même des fleurs une fois par an aux pieds de la Joconde, nous le concevons!... Mais que l'on aille promener quotidiennement dans les musées nos tristesses, nos courages fragiles et notre inquiétude, nous ne l'admettons pas!...
Admirer un vieux tableau, c'est verser notre sensibilité dans une urne funéraire au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d'action. Voulez-vous donc gâcher ainsi vos meilleures forces dans une admiration inutile du passé, dont vous sortez forcément épuisés, amoindris, piétinés? ...."
Umberto Boccioni - Rissa in galleria (1910)
(Pinacothèque de Brera, Milan)
L'oeuvre illustre l'agressivité que le Manifeste des peintres futuristes, qui vient alors d'être publié, retourne contre la société : ici, des membres de ce qui semble être la haute société sont gagnés par une hystérie collective dans une galerie marchande de Milan. La plupart des protagonistes sont en tenue de soirée et courent en levant les bras au ciel, comme aspirés par un tourbillon de frénésie irrépressible. Les couleurs rappellent le postimpressionnisme, mais ici l'accent est mis sur le mouvement, la rapidité de la ville moderne, alors que la lumière aveuglante du café et que l'homme du premier plan, qui nous fait face, nous demandent instamment de nous éloigner ..
Giacomo Balla (1871-1958)
Né à Turin, Giacomo Balla initie au divisionnisme Umberto Boccioni et Gino Severini en 1901, et c'est en effet en s'inspirant du pointillisme français et des recherches conduites par Georges Seurat et Paul Signac, que les artistes italiens vont décomposer les couleurs pures, procéder par petites touches au lieu d'utiliser des mélanges de couleurs. D'autre part, Balla s'initie aux nouvelles possibilités optiques révélées par Etienne-Jules Marey et Eadweard Muybridge dans leurs recherches photo-scientifiques sur la représentation du temps : leurs images amenèrent les futuristes à inventer la première analyse dynamique peinte du mouvement.
De nouveaux plans de compositions sont ainsi suggérés, "La folle, une partie du Polyptique des vivants" (Il polittico dei viventi, 1905, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome), en est un bon exemple lorsque Balla pose un premier regard sur les marges de la société italienne. Puis le regard se déplace pour se positionner au centre du tableau. Le figuratif n'est pas abandonné pour autant, mais ré-interprété dans un nouveau langage plus symbolique, plus chromatique, plus formel.
Balla décompose la lumière (Lampada ad arco, 1919-1910, MoMA, New-York), puis le mouvement ("Dinamismo di un cane al guinzaglio", 1912, galerie Albright-Knox, Buffalo) pour aboutir à ne représenter que le mouvement absolu, indépendamment de tout objet spécifique (1913,"Linee andamentali + Successioni dinamiche" , MoMA, New-York), jusqu'à atteindre l'abstraction de formes chromatiques triangulaires que sont les "Compenetrazione iridescente" (1912-1914).
Dans le "Manifeste technique de peinture", on observait qu' "un cheval au galop n'a pas quatre pattes, il en a vingt, et leurs mouvements sont triangulaires". Balla, dans "Dynamisme d'un chien en laisse" multiplie ainsi les pattes de l'animal et les pieds de sa maîtresse pour représenter la rapide succession des pas, et révèle toute l'influence de la photographie. On retrouve cette recherche dans "Fillette courant sur un balcon" (Ragazza che corre sul balcone, 1912, Museo del Novecento, Milan). Dans "Hirondelles, trajectoires de mouvement et séquences dynamiques" (1913, MoMA, New-York), Balla aboutit à une décomposition complète des formes en représentant les effets extraordinaires des reflets de la lumière. Si le mouvement futuriste décline à partir des années 1910, Balla continue à occuper une place importante sur la scène artistique jusqu'aux années 1940.
Umberto Boccioni (1882-1916)
Avec "Materia" (1912, Collection Peggy Guggenheim, Venise), Boccioni réalise un portrait de sa mère qui est une des réponses les plus troublantes de l'art italien au cubisme, puis bascule dans le futurisme avec deux œuvres clés, "Il Lavoro, La città che sale" (1910-1911, MoMA, New York), représentant le paysage urbain comme un grand chantier dans lequel le mouvement distord et allonge les personnages et les objets, qui touts et toutes finissent par s'interpénétrer, et la série des "Stati d'animo" (1911).
Boccioni fut l'élément le plus actif du mouvement futuriste et son représentant le plus important. Il traduit deux notions de base en peinture et en sculpture, la "simultanéité" des lignes de force, "synthèse de ce dont on se souvient et de ce que l'on voit", comme dans "Elasticità" (1912, pinacothèque de Brera, Milan, et le "dynamisme", ou "force intérieure" de l'objet, comme dans "Dinamismo di un corpo umano" (1913, galerie d'art moderne, Milan).
On reconnaît à Boccioni un certain raffinement dans ses recherches sur les effets dynamiques et un sens aigu de la couleur. Il porte en effet jusqu'à son extrême limite le problème fondamental de l'esthétique futuriste, tant dans la construction de ses formes dynamiques que dans ses écrits théoriques. Et s'il ouvre en 1913, les hostilités contre le cubisme et son héraut Guillaume Apollinaire ("Les Futuristes plagiés en France"), c'est qu'il a sans doute senti avec le plus d'acuité les problèmes, orientations et délimitations que posaient les rapports entre Futurisme et Cubisme : sa conception dynamique des volumes, sa série des "dynamismes" en est une première réponse.
Carlo Carrà (1881-1966)
Entre 1899 et 1900, Carlo Carrà a travaillé au décor des pavillons de l'exposition universelle de Paris entre 1899 et 1900, gagner Londres et entrer en contact avec des anarchistes italiens exilés, intégrer l'Académie des beaux-arts de Brera (1906) pour renouveler complètement son style et participer à la rédaction du Manifeste de la peinture futuriste. De cette période, on retient "La stazione di Milano" (1910-11, ), "I funerali dell'anarchico Galli" (1910-11, New York, MoMA), "Luci notturne" (1910-11), "Donna al balcone" (1912), "La Galleria di Milano" (1912), "Trascendenze plastiche" (1912). En 1914, alors à Paris, Carrà se lie avec Apollinaire et Picasso et tente un "cubo-futurisme" comme dans "Manifestazione interventista", un collage abstrait sur une composition centrifuge fondée sur des cercles concentriques et des diagonales rayonnantes. Une crise intellectuelle l'amène à démissionner en 1915 du mouvement Futuriste , rencontre alors Giorgio De Chirico et Alberto Savinio à Ferrare en 1916 et une peinture métaphysique qui connaîtra une influence considérable : "L'idolo ermafrodito" (1917), "Madre e figlio" (1917), "Il figlio del costruttore" (1917-1921), "L'amante dell'ingegnere" (1921), "L'attesa" (1923), "Meriggio" (1923), “Dopo il tramonto” (1927. Milano, Pinacoteca di Brera). George Grosz, Rudolf Schlichter, et Max Ernst seront particulièrement marqués par ses œuvres. Par la suite, il se tourne vers un "réalisme magique" et un certain retour à l'ordre ("La casa dell'amore", 1924).
Luigi Russolo (1885-1947)
Alors qu'il rejoint à Milan, en 1910, le groupe des futuristes, le parcours de Russolo est très différents de ses amis peintres, il est d'abord musicien et publie en 1913 son manifeste l'Arte dei rumori (l'Art des bruits), qui proclame avec enthousiasme la désuétude des musiques instrumentales traditionnelles et la nécessité de "conquérir la variété infinie des sons-bruits" pour les composer harmoniquement. Avec Ugo Piatti, il réalise des "intonarumori" (bruiteurs), sorte de caisses cubiques dont sortent des trompes et contenant des mécanismes divers permettant de recréer des sons de la vie moderne, de la nature, de la ville, de la guerre. Enrôlé et blessé dans la Première Guerre mondiale, Russolo, après de premiers échecs, perfectionne son instrumentation et accompagne, à Paris, les films muets d'avant-garde au cinéma. Ses rencontres avec Varèse ou Honegger seront sans suite et il mourra dans l'indigence, alors que la musique concrète, qui, elle, utilise du matériel sonore enregistré, en reprendra quelque part l'intuition.
Gino Severini (1883-1916)
Severini travaille à Rome comme employé en 1899, suit des cours de dessin le soir à l'école de la Villa Medicis et rencontre Giacomo Balla dont il devient l'élève, puis gagne Paris où, dès 1912, il intègre à son oeuvre les formes fragmentées du cubisme, réalise la "La danza del pan pan al Monico" (1910-1912), détruit au cours de la guerre, et le "Geroglifico dinamico del bal tabarin" (1912, New York, MoMA), "La Chahuteuse - Dinamismo di una danzatrice" (1912, Museo del 900, Milano), "Ballerina blu" (1912, Collezione Peggy Guggenheim,Venezia).
La ligne nord-sud du métro parisien, prolongée vers le nord en 1912, et passant près du domicile de l'artiste, à Pigalle, lui offre un premier sujet dynamique, assez inhabituel toutefois pour un artiste qui s'intéressait davantage aux agitations des boîtes de nuit à la mode. Dans "Le Nord-Sud" (1913, Pinacothèque de Brera, Milan), Severini accumule des sensations, des bouches de tunnels, des escaliers, des panneaux publicitaires tronqués, des fragments de plaques, le tout exprimant bruit et mouvement.
Il se montre par la suite plus cubiste que futuriste : "Ritmo plastico 14 luglio" (1913), "Arrivo del treno a Parigi" (1914). Pendant la guerre, il traite des sujets militaires, dans la veine futuriste, tels que le célèbre "Treno Blindato " (1915, New York, Collezione R.S Zeisler), "Il treno ospedale" , "Sintesi dell'Idea: Guerra" (1914) et l'étonnant "Canon en action" (1915), qui entend traduire le bruit du canon et et la fumée provoquée par l'engin en action, avec textes associés.
Après 1918, il va se trouver plus marqué par le Cubisme classique de Braque et Gris, puis se tourner vers le Réalisme ("Maternità, Janette e Gina", 1920; "La famiglia di Severini"), participant comme Picasso, La Fresnaye ou Derain au "retour à l'ordre " qui se manifeste partout en Europe et dont il rend compte dans son ouvrage "Du Cubisme au Classicisme" (1921, Dal cubismo al classicismo).
Le futurisme se diffuse à toute l'Europe d'avant la Première Guerre mondiale, entre deux pôles privilégiés, l'Italie et la Russie. L'exposition organisée en 1912 à Paris par Severini n'a pas l'effet escompté, mais participe sans doute à la mise à distance d'un cubisme par trop figé pour des peintres comme Delaunay ou Léger. Après avoir assisté à une conférence futuriste à Moscou, en 1910, les russes Mikhaïl Larionov (1881-1964) et Natalia Gontcharova (1881-1962) s'engagent sur la voie d'une peinture abstraite , jouant sur le dynamisme des faisceaux lumineux. En 1913, ils fondent le "rayonnisme", mouvement de très courte durée, mais pour la critique, le futurisme russe connaît son apogée dans les années 1912-1914, autour de la personnalité de David Bourliouk qui, à partir de 1907, reçoit peintres et poètes dans une propriété du nord de la Crimée, autour de convictions communes rejetant la tradition artistique occidentale et la religiosité symboliste.
De son côté, Rafael Pérez Barradas (1890-1929), peintre uruguayen, voyage en Europe en 1913 et rencontre tant à Milan qu'à Paris les futuristes italiens dont il retint la leçon chromatique : il influencera fortement les milieux artistiques de Barcelone (1914) et de Madrid (1919).
Le "vorticisme" que fonde le poète américain Ezra Pound en 1914, en compagnie du peintre Percy Wydham Lewis, s'inspire d'un futurisme qui, en revanche, entend privilégier la seule dimension temporelle digne de considération artistique, le présent.
Enfin, Giacomo Balla, qui demeurera le plus longtemps fidèle à l’esprit du mouvement, et Fortunato Depero, avec la publication de "Reconstruction futuriste de l'univers" (1915) tentent d'ouvrir le futurisme à toutes les sphères de la connaissance. Le coup de grâce est sans doute porté en 1929, lorsqu'est publié le manifeste de l’Aéropeinture, qui entend renouveler l’inspiration picturale du futurisme par la célébration de l’aviation, et à la faveur de la propagande fasciste : l'inventivité futuriste achève ainsi son cycle de vie ...
Umberto Boccioni - Officina a Porta Romana (1908) ...
En Russie, la deuxième patrie du futurisme, le succès des cercles futuristes qui apparaissent en 1912 fut bref mais fracassant. On peut le décliner en deux courants, un futurisme littéraire qui entend libérer totalement le langage poétique, - quelques dizaines de recueils de poésie furent publiés et quelques productions théâtrales originales organisées -, le cubo-futurisme, synthèse picturale des principes cubistes (décomposition et géométrisation de l'objet), futuristes (dynamisme des plans et des lignes) et néoprimitivistes (schématisme et naïveté). Les principaux représentants du Cubo-futurisme sont Lioubov Popova, Mikhail Larionov, Natalia Gontcharova, Olga Rozanova, Tatline, Malévitch, Olga Rozanova, Alexandra Exter. Trois véritables génies ont émergé du futurisme littéraire russe, Maïakovski, Pasternak et Khlebnikov....
Le futurisme littéraire est inauguré en 1912 via le cercle moscovite Hylaea (Gileia) qui regroupe David Bourliouk (1886-1917), l'initateur et le promoteur , Velemir Khlebnikov (1885-1922), poète et auteur avec Alexeï Kroutchenykh (1886-1968), du manifeste "Le mot en tant que tel" (1913) qui ouvrira bien des perspectives au suprématisme de Kasimir Malevitch, Vassili Kamenski (1884-1961), écrivain et peintre connu pour ses "zhelezobetonnye poemy", la figure incontournable du mouvement, le poète Vladimir Maïakovski (1893-1930), le poète Benedict Livshits (1886-1938), qui sera exécuté pendant les purges staliniennes, la poétesse et peintre Elena Guro (1877-1913). 1912, c'est aussi l'année de publication de leur fameux manifeste "Une gifle au goût du public" (Poshchochina obshchestvennomu vkusu), qui proclame une rupture avec la tradition littéraire existante sous une forme délibérément provocante (jeter "du navire à vapeur de la modernité" Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï, Gorki) et prône la création sans limite de mots arbitraires et dérivés. A la différence de son équivalent italien, le futurisme russe pousse une parole libératoire et volontiers provocante dans un contexte plus littéraire. Les mots, les lettres, implosent pour acquérir une connotation plastique, se disposent dans le poème de la même manière que le peintre dispose des couleurs et des lignes sur sa toile. D'autres cercles équivalents se formeront, à Saint-Pétersbourg, autour de l'ego-futurisme du poète Igor Severyanin, et ses disciples, Sergey Alymov, Vasilisk Gnedov, Vadim Bayan, Georgy Ivanov, Vadim Shershenevich, à Moscou Boris Pasternak, Sergei Bobrov et Nikolai Aseev, à Kiev, à Kharkov, à Odessa....
En 1913-1914, plusieurs poètes célèbres de cette mouvance disparurent, Nadezhda Lvova, Vasily Komarovsky, Bogdan Gordeev, Ivan Ignatyev. Après la victoire des bolcheviks dans la révolution d'octobre, le futurisme a commencé à disparaître définitivement. Certains représentants de ce mouvement ont rejoint une nouvelle organisation littéraire, le LEF, dont le nom signifie Front de gauche de l'art. Elle s'est désintégrée à la fin des années 1920. Certains représentants du futurisme, dont les poèmes étaient célèbres en Russie, ont émigré. Parmi eux, David Burlyuk, Igor Severyanin, Alexander Exter. Alexandre Bogomaz et Velimir Khlebnikov sont morts. Boris Pasternak (1890-1960) et Nikolaï Asseïev (1889-1963) ont développé leur propre style, loin du futurisme...