Claude Debussy (1862-1918) - Erik Satie (1866-1925) - Paul Dukas (1865-1935) - Albert Roussel (1869-1937) - Maurice Ravel (1875-1937) - Ricardo Viñes (1875- 1943) - ...
Last update: 11/11/2016
"Il n'y a pas d'école Debussy. Je n'ai pas de disciples, je suis moi". En 1910, il est alors d'évidence qu'avec Claude Debussy une évolution profonde de la pensée musicale occidentale vient de s'imposer, ignorant délibérément une partie des principes de base de l'harmonie classique pour créer un nouveau langage musical composé d'harmonie, de rythme, de sonorité, de couleur, puisé dans une imagination débordante et nourrie de poésie, de littérature, d'art plastique. "La musique, je l'aime passionnément, moi, et c'est par amour pour elle que je m'efforce de la dégager de certaines traditions stériles qui l'engoncent. C'est un art libre, jaillissant, un art de plein air, un art à la mesure des éléments du vent, du ciel, de la mer! Il ne faut pas en faire un art fermé, scolaire. .. On n'écoute pas autour de soi les mille bruits de la nature, on ne guette pas assez cette musique si variée qu'elle nous offre avec tant d'abondance. Elle nous enveloppe, et nous avons vécu au milieu d'elle jusqu'à présent sans nous en apercevoir..." C'est ainsi que l'on a pu effectivement rapprocher l'oeuvre de Debussy du symbolisme, qui effectivement constitue une véritable source d'inspiration, mais aussi de l'impressionnisme, plus pour l'idée d'une convergence intellectuelle que pour une source commune d'inspiration.
Claude Debussy (1862-1918)
Debussy est issu d'un milieu modeste dépourvu de toute affinité avec la musique. Claude Debussy apprend le piano et entre en 1872 au Conservatoire de Paris, où il passera douze années. Lauréat du prix de Rome en 1884, avec l'Enfant prodigue, il s'installe à Paris en 1887.
Débute une première période, qualifiée de bohème, au cours de laquelle il découvre Wagner à Bayreuth (1888-1889), le Boris Godounov de Moussorgski, la musique d'Extrême-Orient à l'Exposition universelle, rencontre Mallarmé et met en musique quelques unes de ses poésies influencées par le symbolisme (1892), et se laisse soutenir financièrement par Ernest Chausson pendant deux années longues années. Il compose dans cette période la Suite bergamasque pour piano (connue sa pièce "Clair de lune", le "Quatuor à cordes" (1893), et "Prélude à l'après-midi d'un faune" (1894), d'après Mallarmé.
A partir de 1892, sa musique suscite un peu plus d'attention. La représentation de la pièce Pelléas et Mélisande de Maeterlinck en 1893, lui inspire un opéra, décisif dans sa carrière, qui sera créé en 1902 et pour lequel l'incompréhension critique de la première cédera rapidement à l'enthousiasme du public. Naissent les premiers chefs-d'œuvre, "Pour le piano" (1896-1901), les "Trois Chansons de Bilitis", sur des poèmes de Pierre Louÿs (1897-1898), les trois "Nocturnes" (Nuages, Fêtes, Sirènes) pour orchestre (1897-1899), Estampes (1903), Masques et l'Isle joyeuse (1904), les deux recueils des Images (1905-1908), Children's Corner (1906-1908), la première audition de la Mer (1905). Débutent aussi maintes amitiés avec peintres, écrivains et poètes(il fréquente les "mardis" de Mallarmé), et ignorent les cercles musicaux et compositeurs associés (hormis Satie).
A partir de 1921, il publie ses ses célèbres articles critique qu'il signe "Monsieur Croche". Sa vie privée lui fait traverser de nombreuses épreuves, problèmes financiers, séparation de sa première femme en 1905, pour Emma Bardac, long combat contre le cancer. Il meurt quelques mois avant l'armistice de 1918 après avoir été violemment nationaliste. De 1915 datent les Douze Études pour piano, dédiées à Chopin, et la suite En blanc et noir pour deux pianos, œuvres visionnaires d'un homme sur sa fin.
Pour qui aime les chiffres, l'oeuvre de Claude Debussy comporte 306 compositions et requiert vingt quatre heures d'écoute.
La "petite histoire" - Debussy est engagé comme accompagnateur par Nadeja von Meck en 1880 et parcourt ainsi l'Europe. Il en vient à composer de 1880 à 1882 des chants d'amour pour Marie-Blanche Vasnier, une de ses élèves, mariée et mère de deux enfants. Revenu à Paris, il vit à Montmartre, comme il peut, avec sa maîtresse, Gabrielle Dupont. En 1899, il rencontre et épouse Rosalie Texier, dite Lilly, couturière sans talent ni culture, mais dévouée et simple, alors âgée de 25 ans. Mais il l'abandonne très rapidement pour Emma Bardac, la mère d'un de ses élèves, la quarantaine et musicienne, au grand scandale du Tout Paris qui apprend la tentative de suicide de la première femme de Debussy (1904). Il obtient finalement le divorce pour épouser Emma, maîtresse en un temps de Fauré, et, en 1905, naît Claude-Emma, à qui il dédie la Suite pour piano Children’s Corner.
Fêtes galantes (1891-1904)
Les Fêtes gantes sont inspirées de Verlaine mais aussi de certains événements de la vie de Debussy. Le premier cahier est dédié à Marie Vasnier et le second, publié treize ans plus tard, à Emma Bardac.
Le Quatuor en sol mineur (1893)
Le Quatuor en sol mineur, composé de quatre mouvements, fut exécuté pour la première fois par le Quatuor Ysaye le vendredi 29 décembre 1893 et se heurta à l'incompréhension totale tant des amateurs que des professionnels; ces derniers étant sans doute hantés par leurs souvenirs classiques, quatuors de Haydn, de Mozart, de Beethoven.. Mais si Ernest Chausson, l’intime ami de Debussy, n’accepta pas l’oeuvre nouvelle, ce rejet ne fut pas partagé par Paul Dukas : "le quatuor de M. Debussy porte bien l’empreinte de sa manière. Tout y est clair et nettement dessiné, malgré une grande liberté de forme. L’essence mélodique de l’oeuvre est concentrée, mais d’une riche saveur. Elle suffit à imprégner le tissu harmonique d’une poésie pénétrante et originale. L’harmonie elle-même, malgré de grandes hardiesses, n’est jamais heurtée ni dure. M. Debussy se complaît particulièrement aux successions d’accords étoffés, aux dissonances sans crudité, plus harmonieuses en leur complication que les consonances mêmes : sa mélodie y marche comme sur un tapis somptueux et savamment orné, aux couleurs étranges, d’où seraient bannis les tons criards et discordants. Un thème unique sert de base à tous les morceaux de l’oeuvre. Certaines de ses transformations sont particulièrement captivantes en leur grâce inattendue. Telle, par exemple, celle qui se trouve au milieu du scherzo (ce morceau n’est qu’une ingénieuse variation du motif). Rien de plus charmant que le retour expressif du thème rythmique accompagné par le frémissement léger des batteries du second violon et de l’alto et par les pizzicati du violoncelle. S’il fallait affirmer nos préférences entre les quatre parties, nous choisirions le premier morceau et l’andante, d’une poésie vraiment exquise et d’une suprême délicatesse de pensée..."
Prélude à l'après-midi d'un faune (1894)
C'est la toute première expérience orchestrale de Debussy marquée par l'abandon de la rigueur formelle et ses couleurs particulièrement évocatrices, et c'est aussi son premier grand succès. La critique de l'époque la décrit comme "une curieuse fantaisie, pleine d'harmonies imprécises et de phrases fugaces". Illustration très libre du poème de Mallarmé, l'oeuvre se présente comme une succession de décors à travers lesquels se meuvent les désirs et les rêves du Faune qui, las de poursuivre sa crainte des nymphes et des naïades, s'endort en s'abandonnant à l'universelle nature. L'ouverture où la flûte joue seule est l'un des passages les plus célèbres. Pierre Boulez a écrit à propose de ce Prélude : "on peut dire que la musique moderne commence avec lui." Le public semble ainsi immédiatement sensible à la beauté de la musique, sans prêter attention à la forme si imprévue, si originale d’un développement contraire à toutes les règles alors reconnues de la composition, fait de désarticulation continuelle des motifs. Il ne prendra pas garde à l’audace des modulations et se laissera séduire par la nouveauté des combinaisons orchestrales qui feront du Prélude l’oeuvre la plus populaire de Claude Debussy. Ce triomphe ne rendit pas Debussy plus heureux, il persévéra dans une mélancolie chronique qui ne le quitta pas : "Je t’assure que j’ai besoin de ton affection, écrit-il à Pierre Louys, tellement je me sens seul et désemparé. Rien n’est changé dans le ciel noir qui fait le fond de ma vie.."
Pelléas et Mélisande (1902)
Debussy mit dix années à composer Pelléas. C'est le seul opéra achevé par Debussy et, s'inspirant du drame symboliste de Maurice Maeterlinck, lui-même transposition du mythe de Tristan et Yseult, emporte le spectateur dans une musique suggestive et le décor onirique du royaume imaginaire d’Allemonde : la mystérieuse Mélisande, créature énigmatique et fragile, éveille la passion de son demi-frère Pelléas, de Golaud et du vieux roi Arkel.
"L’intrigue se déroule au Royaume imaginaire d’Allemonde, gouverné par le vieil Arkel. Après avoir rencontré Mélisande, créature fragile et énigmatique, au cours d’une chasse en forêt, le Prince Golaud l’a épousée sans rien savoir d’elle, puis l’a présentée à son demi-frère Pelléas. Entre Mélisande et Pelléas, un lien secret s’est d’emblée tissé, fait de regards et de complicité, d’amour peut-être ? Golaud se met à épier Pelléas et Mélisande : il recommande d’abord à son demi-frère d’éviter son épouse, puis ne tarde pas à menacer fermement, dévoré peu à peu par la jalousie. Pelléas et Mélisande finissent par s’avouer leur amour : au moment où ils s’embrassent, Golaud sort son épée et tue Pelléas, laissant Mélisande s’enfuir. En présence d’Arkel et d’un Golaud rongé par les remords, la mystérieuse Mélisande s’éteindra lentement, sans que son mal soit clairement identifié et que Golaud ne parvienne à percer la vérité sur les liens profonds qui l’unissaient à Pelléas."
C'est la soprano écossaise Mary Garden qui créa le rôle de Mélisande et la petite histoire a déjà rapporté la rupture qui s'ensuivit entre Debussy et Maeterlinck, ce dernier furieux que le rôle de Mélisande n’ait pas été confié à sa femme, Georgette Leblanc. On sait de même que la division du drame en courts tableaux séparés par d’assez longs entractes nécessaires à la plantation des décors successifs obligea Debussy à composer à la hâte des interludes pour soutenir ces moments.
La nouveauté de Debussy est de rejeter les grands airs au profit d'un style parlé qui confère au drame sa beauté envoûtante. "Je ne suivrai pas, a pu écrire Debussy, les errements du théâtre lyrique où la musique prédomine insolemment, où la poésie est reléguée et passe au second plan, étouffée par l’habillage musical, trop lourd. Au théâtre de musique, on chante trop. Il faudrait chanter quand cela en vaut la peine et réserver les accents pathétiques. Il doit y avoir des différences dans l’énergie de l’expression. Il est nécessaire par endroits de peindre en camaïeu et se contenter d’une grisaille… Rien ne doit ralentir la marche du drame. Tout développement musical que les mots n’appellent pas est une faute. Sans compter qu’un développement musical tant soit peu prolongé est incapable de s’assortir à la mobilité des mots… Je rêve de poèmes qui ne me condamnent pas à perpétrer des actes longs, pesants ; qui me fournissent des scènes mobiles, diverses par les lieux et le caractère ; où les personnages ne discutent pas, mais subissent la vie et le sort. »
Estampes pour piano (1903)
En 1903, Debussy avait déjà écrit pour le piano (Deux Arabesques, La Suite bergamasque, Clair de lune, Pour le piano…), mais c'est à partir de cette date que s'affirme toute sa conception nouvelle de l’utilisation du piano et sa première oeuvre majeure dans ce domaine : les "Estampes", un triptyque de trois pièces assez courtes intitulées "Pagodes", "La soirée dans Grenade" et "Jardins sous la pluie", crées en janvier 1904 par le pianiste Ricardo Viñes.
La Mer (1905)
C'est l'une des pièces orchestrales françaises les plus jouées, et pourtant l'oeuvre déconcerta lors de sa création, elle semble trop composée, trop complexe, pas assez "tempête et furie" pour les contemporains et il fallut attendre l'interprétation d'Arturo Toscanini pour être restituée dans toute sa brillance. Debussy reprend ici la légendaire estampe du japonais Hokusai, "La grande vague de Kanagawa", et entreprend sa composition à partir de ses seuls souvenirs de flots, tendus au plus près d'une très grande sensualité. La musique dispose de trois éléments, ses sonorités, pour imiter la voix de la mer, ses rythmes, pour en suggérer les mouvements, ses harmonies et ses timbres, pour donner à notre écoute l'équivalent des nuances et des reflets que notre vision y perçoit. Le premier mouvement, "De l'aube à midi sur la mer", s'accélère progressivement, suivant la courbe ascendante de l'astre solaire et comprend le passage le plus connu qui met en scène seize violoncelles. Le deuxième mouvement, "Jeux de vagues", explore les mille facettes des jeux d'eau et de lumière dans un scherzo scintillant. Le troisième et dernier mouvement, "Dialogue du vent et de la mer", dépeint les échanges de l'air et de l'eau, des tons blancs et gris des nuages courant au-dessus d'une mer agitée. L'oeuvre requiert une très grande précision orchestrale au niveau du rendu de chaque instrument.
Le triptyque "La Mer", terminé en 1905, est une des rares oeuvres de Debussy auxquelles le titre de musique à programme ou de poème symphonique convienne parfaitement. Et pourtant, il s'agissait bien moins pour le maitre de l'impressionnisme français d'illustrer musicalement les phénomènes naturels que de prêter une expression musicale à sa perception de la nature. La première pièce, «De l'aube à midi sur la mer", se divise clairement en trois parties, dont le sujet apparait surtout dans la progression des couleurs sonores: l'Aube, le Lever du soleil, le Soleil au zénith. La seconde pièce, "Jeux de vagues", disposée en forme de libre sonate précédée d'une introduction, a un caractère accusé de scherzo. De nombreux traits descriptifs interviennent ici: des glissandos de harpe illustrent le flux et le reflux des vagues, des trilles et des triples croches le frémissement de la surface de l'eau, des rythmes dansants le bondissement des vagues, et de puissants accords aux notes d'agréments caractéristiques, le ressac. La troisième pièce, «Dialogue du vent et de la mers", avec sa dramatique émotion, sonne comme un finale de symphonie. Certains thèmes et motifs correspondent au vent, d'autres à la mer; ils n'apparaissent pas seulement sous forme de dialogue, mais aussi en combinaison contrepointique.
Préludes, livrets 1 & 2 (1910-1913)
Debussy est alors au sommet de son art lorsqu'il entreprend de transformer tant les "Préludes et fugues" de Bach que les vingt-quatre pièces de Chopin en une oeuvre totalement picturale. Debussy n’ira pas plus loin dans l’écriture pianistique : la priorité donnée aux timbres et aux couleurs, les harmonies complexes, les rythmes, la variété et la fluidité des évocations sonores vont faire de ces pièces des monuments fondateurs de la littérature pianistique du XXe siècle. Et, alors que dans ses Préludes de Chopin exprime des sentiments, ce sont des sensations que Debussy évoque, on songe au chant expressif et douloureux de "Des pas sur la neige…", ou au désarroi de l'âme dans la tempête avec "Ce qu’a vu le vent d’Ouest". "Seuls les compositeurs ont le privilège de capturer toute la poésie du jour et de la nuit, de la terre et du ciel, de recréer leur atmosphère et de rendre leur puissantes pulsions dans un cadre rythmique". Chacune de ces pièces connut ensuite une destinée particulière, notamment "la Cathédrale engloutie" et "la Fille aux cheveux de lin". On sait que Debussy, pour jouer ses Préludes, appréciait chez les interprètes de son temps la délicatesse des nuances et la plus grande simplicité de style.
(Debussy, villa Médicis, Rome, 1885)
"Claude Debussy est le plus ancien des compositeurs de Ia génération qui s'incarne en outre en Schoenberg et Ravel, Reger et Scriabine, Ives et Rachmaninov et représente à Ia fois la conservation, le dépassement et la destruction du langage romantique. Par le génie qui habite son oeuvre, Debussy devint le prophète d'un art nouveau, le porte-parole d'une évolution logique qui ne pouvait survenir qu'après le "Tristan" de Wagner. Poésie, peinture et musique virent se transformer leur symbiose. La fin du siècle marqua en même temps le début d'une découverte de valeurs nouvelles qui s'étendit également au domaine esthétique. Une position clef revient à I'oeuyre pianistique de Debussy qui, en effet, concevait "le ton du piano comme une personnalité, un ton qui ne s'attarde pas dans I'abandon au sentiment mais qui s'évanouit dans l'instant de son existence (Oscar Bie). Debussy recourait à un univers de formes n'appartenant en propre qu'à lui seul. C'est également pourquoi ses "Préludes" ne sont pas comparables dans leur multiple, encore qu'associative, richesse d'idées à ceux de grands prédécesseurs. Ce sont des créations quasi "hermétiques", des sortes de psychogrammes dont les titres postposés n'ont guère de valeur générale, impérative : eux aussi consistent en "couleurs et en temps rythmés" (Debussy).
Il suffit de jeter un regard sur le premier livre des "Préludes" (1910) pour prendre conscience de la diversité conceptuelle qui fait de ce cycle un sommet de la musique moderne ...
Le N° 1 recourt à la quintuple périodicité et à un subtil changement de mesure. Le N° 2 a une gamme par tons entiers dont le compositeur tire une double motivique et à un interlude pentatonique. Le N° 3 est une sorte d'étude où domine le demi-ton. Le N° 4 présente une métrique constituant un véritable travail d'équilibre dans le cadre d'une vision de valse dérivant d'un titre emprunté à Baudelaire ("Les Fleurs du Mal", "Spleen et idéal", XVIII Harmonie du soir, 1ere strophe, 3e vers; Le N° 5 présente un italianisme comme «tamisé», déployant trois thèmes sur la base d'une carence modulatoire délibérée (fixation obstinée sur la tonalité de si majeur!) ainsi qu'un rythme et un langage mélodique ironiques et caricaturaux. Le N° 6 parvient avec les moyens les plus concis à la parfaite plénitude sonore en s'appuyant sur un rythme inflexible. Le N° 7 offre extérieurement une écriture pianistique "orchestrales" semblant provenir de l'école de Liszt et présente un point d'orgue longuement tenu sur la note fa dièse. Le N° 8 se sert d'un ton mélodique archaïque engendrant une poésie d'une pureté de cristal - Debussy en emprunta le titre à la "Chanson écossaise" de Lecomte de Lisle. Le N° 9, grandiose combinaison de "Jota" ibérique et de gamme tzigane, constitue un pseudo morceau de guitare de forme tripartite, adoptant un ton de persiflages. Le n° 10 offre, en exploitant presque toute l'étendue du clavier, une vision de Ia cathédrale d'Ys qui se sert de contours sonores quasi liturgiques et d'une imposante statique basés sur des harmonies médiévales dissimulées. Le n° 11 est un petit morceau de danse se déroulant dans un spirituel tourbillon. Et le premier livre se termine sur le N° 12, parodie grotesque, annonçant Stravinsky, de l'atmosphère de music-hall : cette page pleine de morgue (et portant l'indication d'interprétation "nerveux et avec humeurs" est traitée en ravissante étude d'écriture staccato.
L'oeuvre pianistique de Debussy n'est ni celle d'un disciple de Liszt ni celle d'un maitre tributaire de l'académisme français; elle n'est pas non plus celle d'un innovateur radical, mais celle d'un génie circonspect." (Knut Franke)
Douze Etudes (1915)
Ces Etudes pour piano furent inspirées par Chopin, reprenant à son compte les mêmes difficultés techniques et de pure imagination virtuose que celles mises en oeuvre par le compositeur. Chaque étude est dotée d'un objectif technique précis, consistant à développer la capacité à jouer des sixtes, des octaves, mais Debussy y ajoute sa manière de jouer avec toutes les couleurs de sonorité du clavier. L'interprétation requiert non seulement une grande habileté technique mais aussi de jouer tant avec précision qu'avec une douceur tout en subtilité.
Erik Satie (1866-1925)
Debussy eut peu d’amis musiciens et n'apprécia que peu Ravel, qui pourtant transcrivit certaines de ses oeuvres. Le seul compositeur avec lequel il poursuivit une longue amitié fut Erik Satie, et ce dès les années 1890. Tout semblait les séparer, conceptions esthétiques ou trajectoires sociales, mais aucun élément ne permet de comprendre les raisons de ce lien. Satie commence par gagner sa vie comme pianiste accompagnateur au cabaret du Chat-Noir, puis à l'auberge du Clou : il y fait la connaissance de Debussy et compose les Six Gnossiennes (1890-91), dont Debussy orchestra la première et la troisième. Satie s’engage dans l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, dirigé par le sâr Peladan en 1891, vit en 1893 une liaison brève mais passionnée avec Suzanne Valadon. En 1898, il se retire à Arcueil dans la solitude absolue et compose une foule de pièces pour piano auxquelles il donne des titres les plus dérisoires (Pièces froides, 1897 ; Trois Morceaux en forme de poire, 1903, pour piano à quatre mains ; Nouvelles Pièces froides, 1906-1910 ; Aperçus désagréables, 1908-1912 ; Préludes flasques et Véritables Préludes flasques pour un chien, 1912). A 39 ans il décide d’obtenir un diplôme à la Schola Cantorum de Vincent d’Indy. En 1915, il fait la connaissance de Jean Cocteau, avec qui collabore dans le cadre d’un ballet puis dans le contexte de l’éclosion du Groupe des Six (Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Taillefferre). En 1919, il découvre le dadaïsme avec Tristan Tzara.
Mais Satie ne se départ pas d'un sentiment d'impasse qu'il a sans doute lui-même alimenté : il semble avoir enfermé dans une autodérision constante et sa musique et son personnage, empêchant toute reconnaissance de la véritable originalité de sa musique. Au moins de son vivant. Après plusieurs années de consommation excessive d'absinthe, Erik Satie meurt le 1er juillet 1925.
Erik Satie est bien l'initiateur, quoiqu'il est tout fait pour masquer sa créativité, du renouveau de la composition musicale Il avait en effet entrepris de réagir contre une musique qu'il jugeait alors inutilement compliquée, trop pleine d'intentions littéraires. Il entend revendiquer un style concis, aéré, sans développements thématiques. En pleine vogue wagnérienne, il ,compose pour le piano "Trois Gymnopédies" (1888) et "Trois Gnosiennes" (1889-1891), pièces courtes, naïves, sans début, sans fin véritable. La création musicale ne doit pas être, pour lui, l'occasion d'épanchements de la subjectivité, mais un acte objectif, s'accompagnant d'une réflexion préalable. De plus Satie donne libre cours à son goût pour l'humour et l'ironie, et par les titres de ses oeuvres et dans sa musique même : "Véritables Préludes flasques (pour un chien) (1912) et "Embryons desséchés" (1913) en sont deux exemples caractéristiques.
Pour qui aime les chiffres, l'oeuvre de Satie compte trois cent deux compositions et requiert douze heures d'écoute.
Le compositeur moderne semble devenir, même s'il demeure esthète et inspiré, un homme de science, traitant son piano en instrument de laboratoire, expérimentant toutes les agrégations sonores pressenties par sa pensée : "Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musicien. C’est juste. Dès le début de ma carrière, je me suis, tout de suite, classé parmi les phonométrographes. Mes travaux sont de la pure phonométrique. Que l’on prenne le "Fils des Étoiles" ou les "Morceaux en forme de poire", "En habit de cheval" ou les "Sarabandes", on perçoit qu’aucune idée musicale n’a présidé à la création de ces oeuvres. C’est la pensée scientifique qui domine. Du reste, j’ai plus de plaisir à mesurer un son que je n'en ai à l’entendre. Le phonomètre à la main, je travaille joyeusement et sûrement. Que n’ai-je pesé ou mesuré? Tout de Beethoven, tout de Verdi, etc. C’est très curieux. La première fois que je me servis d’un phonoscope, j’examinai un si bémol de moyenne grosseur. Je n’ai, je vous assure, jamais vu chose plus répugnante. J ’appelai mon domestique pour le lui faire voir. \
Au phono-peseur, un fa dièse ordinaire, très commun, atteignit 93 kilogrammes. Il émanait d'un fort gros ténor dont je pris le poids.
Connaissez-vous le nettoyage des sons? C'est assez sale. Le filage est plus propre; savoir Ies classer est très minutieux et demande une bonne vue. Ici, nous sommes dans la phonotechnique. Quant aux explosions sonores, souvent si désagréables, le coton, fixé dans les oreilles, le atténue, pour soi, convenablement. Ici, nous sommes dans la pyrophonie. Pour écrire mes "Pièces froides", je me suis servi d un kaléidophone-enregistreur. Cela prit sept minutes. J’appelai mon domestique pour les lui faire entendre..." (Erik Satie, L'Art de la Musique, Seghers)
Gymnopédies, Gnosiennes (1888-1897)
Erik Satie est bien l'initiateur, quoiqu'il est tout fait pour masquer sa créativité, du renouveau de la composition musicale Il avait en effet entrepris de réagir contre une musique qu'il jugeait alors inutilement compliquée, trop pleine d'intentions littéraires. Il entend revendiquer un style concis, aéré, sans développements thématiques. En pleine vogue wagnérienne, il ,compose pour le piano "Trois Gymnopédies" (1888) et "Trois Gnosiennes" (1889-1891), pièces courtes, naïves, sans début, sans fin véritable. La création musicale ne doit pas être, pour lui, l'occasion d'épanchements de la subjectivité, mais un acte objectif, s'accompagnant d'une réflexion préalable. Les "Gymnopédies" constitueraient une musique imaginée pour accompagner les danses des gymnastes de la Grèce antique et sont écrites comme des valses douces, rythmées et mélodiques.
De plus Satie donne libre cours à son goût pour l'humour et l'ironie, et par les titres de ses oeuvres et dans sa musique même : "Véritables Préludes flasques (pour un chien) (1912) et "Embryons desséchés" (1913) en sont deux exemples caractéristiques.
Parade (1917)
L'originalité de Satie ne trouvera écho dans le public parisien qu'après le scandale triomphal provoqué par le ballet "Parade" (mai 1917). Cette oeuvre, de quinze minutes, composée à partir d'un argument de Cocteau, dans un décor cubiste de Picasso, emprunte sa thématique au spectacle du cirque et du music-hall. L'oeuvre faisait appel à des "instruments" industriels, tels que des cornes, des machines à écrire, un pistolet.
A partir de là, Satie exercera une certaine influence, mais toujours, pour lui, au dépens des intentions de ses compositions et plus pour le personnage qu'il s'est construit plus ou moins consciemment.
Socrate (1918)
Satie s'essaie à une musique à tel point dépouillée que la dernière étape de son oeuvre créatrice consistera à édifier une "musique d'ameublement". Telle une rengaine, la musique doit ainsi entourer, envelopper l'auditeur sans l'émouvoir. Cet art austère prend forme en "Socrate", drame symphonique d'après Platon. On retrouvera la même intention de dépouillement avec des compositeurs comme Prokofiev (Symphonie classique, 1917) et Ravel (Tombeau de Couperin, 1917). Dès 1893, Satie avait composé une pièce dont la partition ne tient que sur une page, "Vexations", avec un thème de basse, répété, qui couvre onze des douze tonalités du piano, et qui indiquait à l'interprète : "pour jouer huit cent quarante fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses".
Albert Roussel (1869-1937)
Après un passage dans la marine, Roussel décide de faire carrière dans la musique, à vingt-cinq ans et, en 1898, s'inscrit aux cours de composition et d'histoire de la musique de la Schola Cantorum où il y suit les cours d'orchestration de Vincent d'Indy. De 1902 à 1914, il y assure ensuite les cours de contrepoint, et a comme élèves Erik Satie, Edgar Varèse. Le point culminant de cette période fut sa Symphonie n°1., avec sa Suite pour piano op. 14 et son Prélude fantastique. Ses oeuvres, passées inaperçues à l'époque, sont considérées comme la musique française la plus fine de l'entre-deux-guerres.
En 1908 il épouse Blanche Preisach, et en 1909, voyage aux Indes et au Cambodge, qui lui inspirent les Évocations (1910-1911). En 1912-1913, il compose le ballet le Festin de l'Araignée, une de ses œuvres les plus célèbres. Ses oeuvres de maturité (1926-1936) sont qualifiées de néo-classiques, plus austères, avec des rythmes plus marqués. Sa Symphonie n°3 (1930) insuffle une nouvelle vie dans un genre qui semblait décliner. Le ballet "Bacchus et Ariane" (1931) possède une vitalité rythmique et une inspiration mélodique qui s'apparentent à l'inspiration d'un Debussy : le second acte étant devenu l'une de ses compositions les plus populaires.
Le Festin de l'araignée (1913), ballet
C'est l'une des oeuvre les plus jouée de Roussel et dont on a noté l'influence de Debussy. L'argument tourne autour d'une araignée qui se prépare à dévorer deux insectes prisonniers de sa toile, avant d'être à son tour tuée par une mante religieuse. Pour peindre les actes, les gestes, les danses de personnages censés être des insectes, , c'est-à-dire des êtres minuscules, la musique d'Albert Roussel se fait infiniment légère, subtile, frémissante. Le ballet débute par l'arrivée d'un groupe d'insectes, les fourmis, soutenues par des battements de tambour plat, puis les bousiers plus ternes, et enfin l'araignée elle-même, qui piège un papillon et exécute une danse pour célébrer sa victoire. Pour l’épisode de l’éphémère, Roussel, toujours subtil dans son orchestration, allie le célesta, la harpe et la danse du violon solo. Le tissu sonore de l'orchestre devient aussi diaphane que la toile même de l'araignée. La tombée du jour donne lieu aux poignantes funérailles du pauvre éphémère suivi par les insectes. Le ballet fut créé au Théâtre des Arts à Paris, le 3 avril 1913, et suite à son succès, et un peu agacé, dit-on, par cette popularité qui éclipsait selon lui des œuvres bien plus sérieuses, Roussel en extrait en 1913, des fragments symphoniques qui comprennent : Prélude , entrée des fourmis, entrée et danse du papillon , éclosion, danse et funérailles de l'éphémère , chute du soir.
Symphonie nº 3 en sol mineur opus 42 (1929-1930)
Cette Symphonie est la troisième qu'ait publiée Albert Roussel, qui l'a écrite pour l'orchestre de Boston où elle a été exécutée pour la première fois lors du cinquantenaire de cet orchestre. Par sa spontanéité tourmentée, par son instabilité thématique et harmonique, prodigue en caprices et en surprises, par le contraste d'un développement rigoureux appliqué à des éléments de pensée musicale qui, dans la juxtaposition de leurs notes, semblent au contraire relever du hasard, cette œuvre est une des plus caractéristiques de son auteur. Elle comprend quatre parties. La première vive et agitée; la seconde, d'abord calme dans son indécision, puis progressivement animée, avant de finir par un retour à l'apaisement. La troisième partie est un scherzo, d'allure presque funambulesque. Le finale, attaqué allègrement par la flûte, à laquelle tous les autres instruments viennent se joindre, est d'un mouvement décidé, auquel fait trêve un épisode lent où le violon solo apporte des souvenirs du second morceau. L'animation reprend ensuite, plus énergique et ramène, pour finir avec force, un thème emprunté au début du premier morceau.
Paul Dukas (1865-1935)
Paul Dukas vint à la composition à vingt-six ans avec une première pièce en 1891, "Polyeucte". Réputé pour être un perfectionniste absolu, il composa très lentement et ne produisit que très peu de pièces, pièces qui suscitèrent l'admiration, dit-on, de Debussy. Ses oeuvres, qui l'établirent comme un grand compositeur moderne, furent "L'Apprenti sorcier" (1897), fantaisie orchestrale inspirée d'une ballade de Goethe, l'opéra "Ariane et Barbe-Bleue" (1907), sur un livret du symboliste Maeterlinck, et le poème dansé "La Péri" (1912). Sa monumentale "Sonate pour piano en mi bémol mineur" et ses "Variations sur un thème de Rameau" (1903) sont toutes deux considérées comme d’une haute difficulté d’interprétation.
Considéré comme un orchestrateur hors du commun, Dukas fut aussi connu comme critique musical et comme le professeur de composition de Maurice Duruflé et Olivier Messiaen.
Symphonie en ut majeur (1895–1896)
Paul Dukas atteignait à peine alors sa trentième année lorsque cette Symphonie attira l'attention du public par la netteté de ses thèmes, la richesse et la clarté de ses développements, la puissance et la couleur de l'orchestre. Elle se compose de trois parties.
La première est construite sur un thème vigoureux, heurté,impatient, avec lequel contraste un motif plus souple et plus calme. La seconde partie est une longue méditation chantante qui, au milieu semble soulevée par l'inquiétude, pour s'apaiser par la suite. Le finale conclut par un mouvement rapide, entraînant, d'une fougue irrésistible et d'un éclat rayonnant.
L'Apprenti-sorcier, pour orchestre (1897)
En l'absence du Maître Sorcier, pour s'épargner la peine d'épousseter et de laver l'atelier, l'apprenti, ayant surpris une formule magique, commande au balai de se mettre en action, au seau d'arroser le parquet. Balai et seau se déchaînent tant et si bien qu'ils bousculent et inondent la pièce. L'apprenti veut les arrêter, en vain: s'il connaissait la formule qui les met en branle, il ignore celle qui peut les condamner au repos. Il appelle à son secours le Maître Sorcier qui revient et d'un mot, fait tout rentrer dans l'ordre. La musique brillante, spirituelle, éclatante de Paul Dukas traduit le mystère de la formule magique, le boitement, puis les gambades folles du balai et les nappes d'eau versées sans mesure par le seau déchaîné.
Le pianiste et virtuose Ricardo Viñes (1875, Lleida - 1943) créa à Paris quelques-uns des plus grands chefs-d'œuvre de Debussy et de Ravel, mais aussi des œuvres de Balakirev et de Borodine qu'il fit entendre pour la première fois (1902), et les fameuses "Quatre pièces espagnoles" (1909) de Manuel de Falla, dont il était très proche.
Maurice Ravel connut Vin͂es dès son arrivée à Paris en 1888 et découvrirent ensemble la peinture, la musique et la littérature de leur époque. Et c'est Ravel qui fit découvrir à Viñes les "Trois pièces pour piano" de Debussy : il se mit aussitôt à les travailler afin de les faire entendre, le 30 novembre 1900 à leur auteur. Enfin, c'est Viñes qui sera en 1905 l'un des premiers solistes à offrir, en quatre concerts parisiens, un panorama de la musique pour clavier du XVIème au XXème siècle, débutant par "De Cabezón à Haydn" et terminant par Franck, Chausson, V. d’Indy, Fauré, Pierné, Debussy, Séverac, Ravel, Chabrier.
« (...) Viñes savait communiquer aux sonorités du piano, au langage du piano, une coupe personnelle, une sorte de solidité fluide et lisible qui nous aurait permis de le reconnaître d'assez loin dans l'ombre, dans les franges, dans quelque retransmission, ou même caché dans une armée d'exécutants, comme on reconnaît un message. Il avait une façon d’accoucher le clavier qui faisait que Les Collines d’Anacapri par exemple, jaillies de ses mains, semblaient tomber des cimes d’un art magique, d’un art second. Il ajoutait ce quelque chose au jeu, qui transcendait les touches et se proposait en contact direct de son cœur au nôtre, établi sur une piste harmonique. Il avait la fougue, l’autorité, la précision, la souplesse des pianistes célèbres, mais il les dépassait par une équation personnelle féerique, une sorte de murmure». (Léon Paul Fargue : Un héros de la Musique, Le Figaro, Paris 10 mai 1947).
Ricardo Viñes a tenu pendant une vingtaine d'années un "journal", jusqu'en 1915, qui livre un extraordinaire témoignages de la vie artistique des salons parisiens qu'il fréquentait alors.
Maurice Ravel (1875-1937)
Né à Ciboure, village du Pays basque, Ravel étudia au Conservatoire de Paris où il eut Fauré pour professeur de composition (1898), et tenta désespérément de remporter le prix de Rome. Ce refus provoque scandale et démission du directeur du conservatoire, le jeune Ravel ayant été rejeté pour, dit-on, son admiration pour Emmanuel Chabrier et la fréquentation d'Erik Satie. C'est au cours de ces années qu'il se prit d'admiration pour Debussy, perceptible dans Quatuor à cordes de 1903. Marchant dans les traces de ce dernier, il créa un style musical typiquement français, la plupart de ses oeuvres jouant sur le contraste entre une technique "d'horloger suisse", écrira Stravinski, et une imagination portée sur le fantastique. . Lorsqu'il semble s'approcher, à l'instar de Debussy, de l'impressionnisme (Jeux d'eau, Miroirs), c'est moins en coloriste qu'en orfèvre.
C'est entre 1905 et 1913 que Maurice Ravel compose la part la plus importante de son œuvre : la Sonatine, les Miroirs, les Histoires naturelles, la Rhapsodie espagnole, l'Heure espagnole, Ma mère l'Oye, Gaspard de la nuit, les Valses nobles et sentimentales, dans lesquelles il marque sa volonté de dissonance, Daphnis et Chloé, les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé.
En 1917, il termine le Tombeau de Couperin, suite de six pièces pour piano dédiées à des amis morts au combat. A partir de 1920, son style évolue, s'orientant vers recherche un art plus dépouillé, marqué par la Sonate pour violon et violoncelle (1920-1922), suivie par l'Enfant et les Sortilèges (créé à Monte-Carlo en 1925) et les deux Concertos pour piano et orchestre (1929-1931). En 1939, Ravel est enfin reconnu et sa notoriété atteint tant l'Europe centrale que les Etats-Unis. Il meurt d'une affection cérébrale le 28 décembre 1937.
Pour la petite histoire, l'oeuvre de Ravel comporte 183 compositions et requiert treize heures d'écoute.
Miroirs (1905)
Ravel naquit treize ans après Debussy, et s'il semble marcher dans les traces de ce dernier, il suit un chemin qui lui est d'autant plus propre que, par exemple, ce sont les "Jeux d'eau" de Ravel qui permirent l'apparition de certaines des plus belles pièces pour piano de Debussy. Chacun des cinq mouvements est dédié à l'un des membres des "Apaches", terme inventé par le pianiste espagnol Ricardo Viñes pour désigné un petit groupe d'artistes qui, par exemple, défendit Claude Debussy après la création mouvementée de Pelléas et Mélisande en 1902. Chaque pièce renvoie un reflet musical à son dédicataire : "Une Barque sur L'Océan" (Ricardo Viñes), "Oiseaux Tristes" (Paul Sordes, peintre), "La Vallée des cloches" (Maurice Delage, le premier élève de Ravel), "Noctuelles" (Léon-Paul Fargue, poète et écrivain), enfin "Alborada del gracioso" (Michel Dimitri Calvocoressi). La plus populaire, "Alborada del gracioso" évoque l'Espagne, ses raclements de guitare, sa sensualité mélodique.
Rhapsodie espagnole (1908)
On a décrit cette Rhapsodie, qui est la première oeuvre orchestrale de Ravel, comme "un poème symphonique si vivant qu'il semble être physiquement palpable". L'Espagne, avec son flamenco et ses influences mauresques, était alors un sujet de prédilection pour nombre d'artistes de l'époque. Elle débute par un prélude nocturne, suivi d'une sorte de valse de parade ponctuée d'appels de trompettes, et se poursuit, vibrante et colorée, ondulante et sensuelle.
Daphnis et Chloé (1912)
Oeuvre commandée en 1909 par Serge Diaghilev pour ses célèbres ballets russes, Ravel semble avoir éprouvé quelques difficultés à composer une oeuvre dont la trame était particulièrement sensuelle. La création en 1912 se solda par un accueil des plus tièdes, mais l'oeuvre devint très rapidement l'un des sommets de la musique de ballet. Le rideau se lève au son du cor qui donne le thème que l’on retrouvera à plusieurs reprises dans l’œuvre. Les harpes donnent quelques notes qui arrivent par petite touche, le cor arrive, ensuite la flûte, et enfin le chœur et les chanteurs. Tout le caractère magique de cette œuvre est donné en quelques mesures. C’est le printemps et nous sommes dans les bois, tout près d’une grotte sacrée, la grotte des nymphes. Les amants Daphnis et Chloé sont séparés par une dans endiablée de nymphes et de pâtres, et Chloé est enlevée par des pirates. Dans la seconde partie, les pirates obligent Chloé à danser, mais Pan la délivre et disperse ses ravisseurs. La troisième et dernière partie s'ouvre sur l'un des passages les plus célèbres, le "Lever du jour", dont Ravel tirera une suite pour orchestre : "les bois tourbillonnent à l'image de la brume matinale tandis que les cordes scintillantes vont illuminer progressivement la scène".
Trio pour piano (1914)
Ce trio est connu pour sa complexité et sa perfection technique, mais Ravel semble avoir choisi cette forme si rigoureuse pour, semble-t-il, exprimé cette anxiété et cette instabilité qui régnait alors en l'année 1914. Le mouvement le plus émouvant de cette oeuvre est le passage intitulé "Passacaille", qui porte cette émotion via une série de variations sur une ligne de basse répétitive.
Le Tombeau de Couperin (1919)
Cette suite pour piano, composée à la mémoire de Couperin, est connue pour être un modèle de clarté et de précision. Chacun des six mouvements ressuscite une forme musicale ancienne et est dédié à un ami mort à la guerre 1914-1918. L'oeuvre exprime une tension entre un charme de surface, comportant parfois des rythmes enlevés, et une mélancolie sous-jacente exprimée par exemple dans les dissonances de la "Forlane" ou l'apogée du "Menuet".
La valse (1920)
Composée au lendemain de l'armistice, commandée à l'origine par Diaghilev, l'oeuvre est évocation assez satirique des valses viennoises. Ravel était un grand admirateur des valses de Strauss, mais, sous la musique tourbillonnante, Ravel semble en effet exprimer un message plus sombre. L'oeuvre débute par des grondements , évoquant un battement de coeur presque anxieux dans les basses, et se terminera par la destruction brutale du rythme ternaire constitutif de la valse.
Sonate pour violon et violoncelle (1922)
Debussy meurt en 1918 et un éditeur demande à Ravel un hommage à ce dernier. Cette sonate de vingt minutes demanda deux années de travail de composition : comme imitant les dernières oeuvres dépouillées de Debussy, la sonate renonce "au charme harmonique" pour des mélodies saccadées et des rythmes très élaborés. Elle est réputée pour être d'une extrême difficulté dans son interprétation.
L'Enfant et les sortilèges (1924)
Colette écrivit le livret de cet opéra, imaginant l'histoire d'un enfant méchant, qui met sa chambre sens dessus dessous, alors que sa mère l'a laissé, seul, s'enfuit pour échapper aux objets de sa chambre qui s'animent, et que la repentance et l'amour maternel vont remettre dans le droit chemin. Cette évocation de l'enfance est connue pour sa musique des plus magiques.
Boléro (1928)
C'est l'une des oeuvres musicales classiques les plus célèbres, mêlant deux thèmes mélodiques dans un inexorable crescendo. Ce qui n'était, semble-t-il, pour Ravel, qu'une expérience, une sorte de "tissu orchestral sans musique", devint un succès inégalé: sur un rythme répétitif , une longe mélodie revient sans cesse, accompagnée progressivement par de nouveaux instruments, pour finir dans un crescendo phénoménal. C'est la nature répétitive et obsédante de cette musique qui lui donne toute sa notoriété.
La danseuse et mécène russe Ida Rubinstein (1885–1960) fut l’inspiratrice et la dédicataire du Boléro. Serge Diaghilev l'engagea dans les Ballets russes dès 1909, mais si Ida Rubinstein n'était pas considérée comme une ballerine de premier plan, elle faisait preuve sur scène d'une grande sensualité et sut par sa présence et sa liberté s'imposer dans les salons du Tout-Paris. Son portrait réalisé par Romaine Brooks, son amante, en 1917 (Smithsonian American Art Museum), est saisissant.
Concerto pour la main gauche (1930)
Ce concerto fut écrit pour Paul Wittgenstein, frère du philosophe Ludwig Wittgenstein et pianiste autrichien qui avait perdu son bras droit durant la Première guerre mondiale. Le concerto démarre par le grondement sourd des cordes et se poursuit avec virulence, pour se terminer dans un finale douloureux.
Concerto pour piano en sol majeur (1931)
C'est la dernière composition majeure de Ravel. Alors que les premier et dernier mouvements font preuve d'exubérance, l'adagio au centre du Concerto compte, avec ses mouvements lents et mélancoliques, parmi les plus belles oeuvres connues pour piano et orchestre.