James Joyce (1882-1941), "Portrait de l'artiste en jeune homme" (A portrait of the artist as a young man, 1904), "Les Gens de Dublin" (Dubliners, 1914), "Ulysse" (Ulysses, 1922) - ...

Last Update : 12/31/2016


Le "cosmopolitisme", dans un monde que traverse la montée des consciences nationales et des sentiments patriotiques, traduit en littérature l'irruption d'un nouveau genre d'écrivain, certes déraciné, mais entendant acquérir et jouer verbalement avec tous les langages, tous les spectacles du monde.

"Le cosmopolitisme est un mouvement de totalisation culturelle qui réunit mais relativise les visions du monde et les habitudes d'expression. Au coeur de ce mouvement, il y a, pour les écrivains, l'épreuve du voyage, voire de l'exil, qui introduit à la recherche d'une langue capable de résumer la diversité des visions quotidiennes et des pratiques créatrices".

James Joyce (1882-1941) prend ses distances avec son pays et sa religion et tente d'échapper au monde d'après-guerre en s'adonnant corps et âme aux jeux physiques de la conscience, Valéry Larbaud (1881-1957), à distance de ce même monde, le parcourt et l'effleure pour en restituer les ambiances littéraires,  Jorge Luis Borges (1899-1886) vit et pense le monde à travers ses langages, ses cultures et ses littératures, Ezra Pound (1885-1972) a quitté l'Amérique pour reconstruire un langage qu'il espère redonner vie à son existence... 

"Cosmopolitanism", in a world marked by rising national consciences and patriotic feelings, translates into literature the arrival of a new kind of writer, certainly uprooted, but intending to acquire and play verbally with all the languages and performances of the world. "Cosmopolitanism is a movement of cultural totalization that brings together but relativizes worldviews and habits of expression. At the heart of this movement is, for writers, the trial of travel, even exile, which introduces them to the search for a language capable of summarizing the diversity of everyday visions and creative practices. James Joyce (1882-1941) distanced himself from his country and religion and attempted to escape the post-war world by devoting body and soul to the physical games of conscience, Valéry Larbaud (1881-1957), at a distance from the same world, Jorge Luis Borges (1899-1886) lives and thinks about the world through his languages, cultures and literature. Ezra Pound (1885-1972) left America to rebuild a language he hopes to revive his existence...

"Cosmopolitanismo", en un mundo caracterizado por el aumento de las conciencias nacionales y los sentimientos patrióticos, traduce a la literatura la llegada de un nuevo tipo de escritor, ciertamente desarraigado, pero con la intención de adquirir y jugar verbalmente con todos los idiomas y espectáculos del mundo. "El cosmopolitismo es un movimiento de totalización cultural que reúne pero relativiza las visiones del mundo y los hábitos de expresión. En el corazón de este movimiento está, para los escritores, la prueba del viaje, incluso el exilio, que les introduce en la búsqueda de un lenguaje capaz de resumir la diversidad de visiones cotidianas y prácticas creativas. James Joyce (1882-1941) se distanció de su país y religión e intentó escapar del mundo de la posguerra dedicando cuerpo y alma a los juegos físicos de la conciencia, Valéry Larbaud (1881-1957), a una distancia del mismo mundo, Jorge Luis Borges (1899-1886) vive y piensa en el mundo a través de sus lenguas, culturas y literatura; Ezra Pound (1885-1972) dejó América para reconstruir un idioma que espera revivir...



James Joyce (1882-1941)

L'un des apports essentiels de James Joyce est la prise de conscience que les mots existent indépendamment des choses, et, il entend au bout du compte échapper "au cauchemar de l'histoire" pour s'absorber entièrement dans la réalité du langage. L'écriture est mise en oeuvre pour reproduire le caractère apparemment aléatoire des pensées, valoriser un instant d'émotion ou de compréhension, un geste, une attitude, une parole, en l'état : il est en effet impossible de tenir un raisonnement clair de la réalité, nous sommes constamment à la merci de rencontres et d'accidents, de détours de l'espritJoyce a mis 17 ans à écrire chacun de ses deux principaux livres (Ulysse, 1914-1922; Finnegans Wake, 1922-1939) et ne voyait pas pourquoi tout lecteur ne consacrerait pas le même temps à les lire.

"Chaque vie, c'est beaucoup de jours, jour après jour. Nous marchons à travers nous-mêmes, rencontrant voleurs, fantômes, géants, vieillards, jeunes gens, épouses, veuves, frères d'amour. Mais toujours nous rencontrant nous-mêmes..."


Des décombres de la Première guerre mondiale, naît un procédé littéraire dont Joyce assumera pleinement toutes les potentialités : le "stream of consciousness". Henry James et Marcel Proust avaient, chacun à leur manière, développé une subjectivité accrue de leur point de vue, tant par le choix de leur sujet que par le traitement formel qu'ils en faisaient. En 1887, un Edouard Dujardin, dans "Les lauriers sont coupés", dont Joyce se procurera un exemplaire à Paris, utilise pleinement le monologue intérieur. Le psychologue et philosophe William James développe le terme de "flux de conscience" et Dorothy Richardson acclimate ce terme en littérature avec "Pointed Roofs" (1915). Mais c'est Joyce qui, avec "Ulysse", rompt définitivement avec toutes les techniques d'écriture traditionnelles : il va ainsi livrer au lecteur tel quel le flux de pensée de ses personnages, sans filtre aucun. La cohérence éventuelle du texte est sacrifiée, livrée à la complexité et à la subtilité du processus psychologique de notre activité cérébrale, pensée consciente et presque inconsciente : s'expriment en l'état des associations décousues, souvent métaphoriques, des formes non grammaticales, s'exposent le magma des pensées, des émotions, des actions, des fonctions corporelles qu'oriente à l'état brut le point de vue du personnage, à l'instant présent.. 

"Remember, Erin, thy generations and thy days of old, how thou settedst little by me and by my word and broughtest in a stranger to my gates to commit fornication in my sight and to wax fat and kick like Jeshurum. Therefore hast thou linked against the light and has, made me, thy lord, to be the slave of servants. Return, return, Clan Milly : forget me not, O Milesian. Why hast thou done this abomination before me that thou didst spurn me for a merchant of jalaps and didst deny me to the Roman and the Indian of dark speech with whom thy daughters did lie luxuriously? Look forth now my people, upon the land of behest, even from Horeb and from Nebo and from Pisgah and from the Horns of Hatten unto a land flowing with milk and money. But thou hast suckled me w-ith a bitter milk: my moon and my sun thou hast quenched for ever. And thou hast left me alone for ever in the dark ways of my bitter- ness: and with a kiss of ashes hast thou kissed my mouth..."

"Te souvienne, Erin, tes générations et tes anciens jours, et comment tu as fait fi de moi et de ma parole et ouvris mon huis à l'étranger pour qu'il forniquât à ma vue, et pour grasse devenir  et folâtre à l'instar de Jeshurum. C'est pourquoi tu as péché contre  la lumière et moi, ton seigneur, tu m'as faít l'esclave des serviteurs. Retourne, retourne, Clan Milly : point ne m'oublie, ô Milésíenne ! Pourquoi as-tu commis à ma vue cette abomination de me préférer un marchand de jalap et pourquoi m'as-tu renoncé devant le Romain et l'Indien au parler de ténèbres avec lesquels tes filles ont partagé leur touche luxurieuse ?  Maintenant regarde devant toi ô mon peuple la terre de la promesse, - de l'Horeb et du Nébo et du Pisgah et des Cornes de Hatten regarde vers une terre où coulent à flots le lait et le miel. Mais tu m'as allaité d'un lait amer ; mon soleil et ma lune, tu les as éteints à toujours! Et tu m'as laissé seul pour jamais dans mes voies d'amertume ; et n'as-tu point d'un baiser de cendres baisé ma bouche ?...." (Ulysse)

 


Le MONOLOGUE INTERIEUR est le premier principe d'organisation de la matière verbale mis en oeuvre par Joyce. Et cette idée de monologues intérieurs, terme que l'on doit à Valéry Larbaud, un des premiers traducteurs en français d’ «Ulysse», va constituer la principale innovation stylistique de l'auteur. C’est elle qui a frappé de nombreux écrivains français, anglais, américains à l’époque. Loin de toute action, allongée dans son lit, sans ponctuation, sans pauses narratives, les souvenirs se bousculent, dans le dernier chapitre d'Ulysse, dans un langage naturel qui est celui de la sensibilité romantique et sensuelle d'une Molly à l'état pur. Libéré des syntaxes traditionnelles, apte à traduire la vie mobile et secrète du moi, expression directe de l'existence, le monologue s'affirme comme un moyen, pour reprendre J.Cazaux, de poser hors de la conscience, comme un objet, un moment humain dans sa totalité (cf. Joyce par lui-même, Seuil)...

 

 Et voici M. Bloom qui poursuit son chemin avec désinvolture, devant lui sous le soleil la calotte stricte, et la canne, le parapluie, le cache-poussière ballants, sur son trente et un, une façon de faire son chemin en ce monde, le voici arrivant au "Temps" ...

 

"... Best paper by long chalks for a small ad. Got the provinces now. Cook and general, exc cuisine, housemaid kept. Wanted live man for spirit counter. Resp. girl (R. C.) wishes to hear of post in fruit or pork shop. James Carlisle made that. Six and a half per cent dividend. Made a big deal on Coates’s shares. Ca’ canny. Cunning old Scotch hunks. All the toady news. Our gracious and popular vicereine. Bought the Irish Field now. Lady Mountcashel has quite recovered after her confinement and rode out with the Ward Union staghounds at the enlargement yesterday at Rathoath. Uneatable fox. Pothunters too. Fear injects juices make it tender enough for them. Riding astride. Sit her horse like a man, Weightcarrying huntress. No sidesaddle or pillion for her, not for Joe. First to the meet and in at the death. Strong as a brood mare some of those horsey women. Swagger around livery stables. Toss off a glass of brandy neat while you'd say knife. That one at the Grosvenor this morning. Up with her on the car : wishswish. Stonewall or fivebarred gate put her mount to it. Think that pugnosed driver did it out of spite. Who is this she was like? O yes! Mrs Miriam Dandrade that sold me her old wraps and black underclothes in the Shelbourne hotel. Divorced Spanish American. Didn’t take a feather out of her my handling them. As if I was her clotheshorse. Saw her in the viceregal party when Stubbs the park ranger got me in with Whelan of the Express. Scavening what the quality left. High tea. Mayonnaise I poured:on the plums thinking it was custard. Her ears ought to have tingled for a few weeks after. Want to be a bull for her. Born courtesan. No nursery work for her, thanks...."

 

"..  Le meilleur journal, de beaucoup, pour les petites annonces. Prend en province maintenant. Cuisinière bonne à tout faire, exc. cuisine, avec femme de chambre. On demande un homme très actif pour débit de boissons. Jeune fille hon. (Catho.) désire situation dans fruiterie ou charcuterie. C’est James Carlisle qui l’a lancé. Six et demi pour cent de dividende. A fait la grosse affaire avec les actions Coates. Sans se fouler. Vieux grippe-sous écossais plein d’astuce. Échos flagorneurs. Notre gracieuse et populaire vice-reine. A maintenant annexé Le Chasseur Irlandais. Lady Mountcashel tout à fait remise de ses couches a chassé à courre avec l’équipage du Ward Union hier à Rathoath. Renard immangeable. Ils chassent pour le pot aussi. La peur injecte au lièvre des jus, ça le rend assez tendre pour eux. Monte à califourchon. Autant d’assiette qu’un homme. Chasseresse émérite. Pas de selle de dame ni de coussinet pour elle, vous voulez rire. Première au rendez-vous de chasse, idem à l’hallali. Solides comme des juments poulinières certaines de ces femmes à cheval. Elles plastronnent dans les manèges. Vous sifflent un verre de brandy qu’on n’a pas le temps de dire ouf. Celle du Grosvenor ce matin. Hop ! dans le cab : vli, vlan. Enlève son cheval par-dessus le mur et la barrière de cinq. Je crois que ce conducteur camard l’a fait exprès. De qui donc est-ce qu’elle avait un air ? Ah oui ! Mme Miriam Dandrade qui m’a vendu ses vieux vêtements et ses dessous de soie noire à l’Hôtel Shelbourne. Une divorcée de l’Amérique Latine. Me voyait les manipuler sans sourciller. Comme si je n’étais qu’un portemanteau. L’ai revu à la fête du vice-roi quand Stubbs le garde forestier m’y a fait entrer avec Whelan de L’Express. Pour liquider les restes du beau monde. Thé-repas. La mayonnaise que j’ai mélangée à de la compote de prunes, croyant que c’était de la crème cuite. Ses oreilles ont dû en  tinter pendant des semaines. C’est un taureau qu’il lui faudrait. Née folle de son corps. Pas d’enfants à torcher, merci bien.

Pauvre Mme Purefoy ! Mari méthodiste. Méthode dans son insanité. Déjeuner avec bun au safran et lait à l’eau de Seltz dans la laiterie familiale. Mangent avec un chronomètre, trente-deux mastications à la minute. Pourtant ses favoris en côtelettes se portent bien. On le croyait bien apparenté. Le cousin de Théodore au Dublin Castle. Un membre décoratif dans chaque famille. Chaque année il lui en donne de sa graine sélectionnée. L’ai vu devant les Trois Joyeux Pochards aller nu-tête et son fils aîné portant un petit frère dans un filet à provisions. Les braillards. Pauvre créature ! Et d’avoir à donner le sein à toute heure de la nuit une année après l’autre. Égoïstes tous ces abstinents. Le chien du jardinier. Un seul morceau de sucre dans mon thé, je vous prie.

Il fit halte au croisement de Fleet Street. L’heure du déjeuner à prix fixe à six-pence chez Rowe ? Faut que je cherche pour cette annonce à la Bibliothèque chemin. Il dépassa Bolton’s Westmoreland House. Du thé. Du thé. Du thé. J’ai oublié de taper Tom Kernan. Du thé. Du thé. J’ai oublié de taper Tom Kernan.

Sss. Tth, Trh, Tth ! Se l’imaginer trois jours à gémir dans son lit avec un mouchoir trempé dans du vinaigre sur le front, et un ballon de ventre prêt à crever ! Pouah ! À donner la chair de poule ! Tête de l’enfant trop grosse ; forceps.

Recroquevillé au-dedans d’elle, cognant de la tête en aveugle pour sortir, tâtonnant pour trouver la sortie. Ça me tuerait, moi. Heureusement Molly s’en est tirée facilement. On devrait inventer quelque chose pour empêcher ça. La vie par  les travaux forcés...."

"... il n'y a rien de tel qu'un baiser long et chaud qui vous coule jusqu'à l'âme on en est comme paralysée et je déteste ce machin la confession quand j'allais trouver le Père Corrigan il m'a touchée mon Père et il n'y avait pas de mal à ça.. " - Le monologue intérieur pour traquer jusqu'aux ténèbres le fameux "esprit du souterrain", une technique qui procédait d'un siècle qui avait vu psychologues, sociologues, ethnologues et mythologues explorer un univers irrationnel, pré-logique, onirique, non-euclidien, dont les travaux de James, de Bergson, de Janet, de Freud, de Jung, de Frazer, de Lévy-Bruhl et de tant d'autres spécifiaient les propriétés. Mais de cet univers il restait à former une image qui montrât, sous sa confusion, la cohérence de ses lois. Fondé sur l'association des idées et des sentiments, le monologue bénéficiait, dans Ulysse, d'un autre apport : celui des obsessions, des angoisses, des tendances névrotiques inventoriées par la psychanalyse....

Ainsi tous les éléments du paysage mental, leurs conflits, leurs nuances, leurs variations indéfinies vont s'organiser autour de thèmes enracinés dans l'inconscient ....

"...  Oui puisque avant il n’a jamais fait une chose pareille de demander son petit déjeuner au lit avec deux œufs depuis l’hôtel des Armes de la Cité quand ça lui arrivait de faire semblant d’être souffrant au lit avec sa voix geignarde jouant le grand jeu pour se rendre intéressant près de cette vieille tourte de Mme Riordan qu’il pensait être dans ses petits papiers et qu’elle ne nous a pas laissé un sou tout en messes pour elle et son âme ce qu’elle pouvait être pingre embêtée d’allonger huit sous pour son alcool à brûler me racontant toutes ses maladies elle en faisait des discours sur la politique et les tremblements de terre et la fin du monde payons nous un peu de bon temps d’abord et quel Enfer serait le monde si toutes les femmes étaient de cette espèce-là à déblatérer contre les maillots de bain et les décolletés que bien sûr personne n’aurait voulu la voir avec je suppose qu’elle était pieuse parce qu’aucun homme n’aurait voulu la regarder deux fois j’espère bien que je ne serai jamais comme ça  c’est étonnant qu’elle ne nous ait pas demandé de nous couvrir la figure mais tout de même c’était une femme bien élevée et ses radotages sur M. Riordan par ci et M. Riordan par là je pense qu’il a été content d’en être débarrassé et son chien qui sentait ma fourrure et se faufilait pour se fourrer sous mes jupes surtout quand d’ailleurs j’aime assez ça chez lui malgré tout qu’il soit poli avec les vieilles dames comme ça et les domestiques et les mendiants aussi il n’est pas fier parti de rien mais quelquefois si jamais il attrapait quelque chose de grave c’est bien mieux qu’ils aillent à l’hôpital où tout est si propre mais je suppose qu’il me faudrait bien un mois pour arriver à le persuader oui et tout de suite une infirmière entrerait en scène et il s’incrusterait là jusqu’à ce qu’on le mette à la porte ou encore une religieuse comme cette photo cochonne qu’il a qui n’est pas plus religieuse que moi oui parce qu’ils sont si faibles et si pleurnicheurs quand ils sont malades ils ont besoin d’une femme pour aller mieux si son nez saigne vous croiriez que c’est Ô quel drame et cet air de moribond en descendant du South Circular quand il s’était foulé le pied à la fête de la chorale du mont Pain de Sucre le jour que j’avais mis cette robe Miss Stack qui lui apportait les fleurs les plus fanées qu’elle pouvait trouver au rabais elle ferait n’importe quoi pour entrer dans la chambre à coucher d’un homme avec sa voix de vieille fille elle essayait de s’imaginer qu’il était en train de mourir pour l’amour d’elle ne jamais te revoir mais il avait plutôt l’air d’un homme qui a laissé pousser sa barbe au lit papa c’était la même chose et puis je déteste faire des bandages et donner des potions quand il avait coupé son doigt de pied avec le rasoir en grattant ses cors il avait peur d’avoir un empoisonnement du sang mais si c’était moi par exemple qui tombais malade alors on verrait comme je serais soignée seulement la femme ne se plaint pas pour ne pas donner tout le mal qu’ils donnent eux oui il a fait ça quelque part je connais  ça à l’appétit qu’il avait en tout cas il n’en est pas amoureux sans quoi penser à elle lui couperait l’appétit peut-être avec une de ces belles de nuit si c’est vraiment là-bas qu’il a été et l’histoire de l’hôtel c’était un ramassis de mensonges pour cacher ce qu’il a fait Hynes m’a retenu qui ai-je rencontré ah oui j’ai rencontré vous rappelez-vous Menton et qui donc d’autre voyons cette grosse face de poupon je l’ai vu qu’il était à peine marié fleureter avec une jeune fille au Pooles Myriorama et je lui ai tourné le dos quand il s’est défilé l'air tout penaud pas de mal à ça mais il a eu le toupet de me faire la cour une fois bien fait pour lui quelle gueule conquérante et ses yeux de poisson bouilli de tous les gros imbéciles que j’ai jamais et on appelle ça un homme de loi mais je déteste avoir une longue chamaillerie au lit ou bien si ça n’est pas ça c’est une petite poule quelconque qu’il a levée dieu sait où ou ramassée en cachette si seulement elles le connaissaient aussi bien que moi oui puisque avant-hier il était en train de griffonner quelque chose une lettre quand je suis entrée dans le salon chercher les allumettes pour lui montrer la mort de Dignam dans le journal comme si quelque chose m’avait poussée et il l’a couverte avec le buvard en faisant semblant de réfléchir à ses affaires aussi c’est bien probablement c’était ça à une qui croit qu’elle a trouvé en lui une bonne poire parce que tous les hommes deviennent un peu comme ça à son âge surtout à l’approche de la quarantaine ce qu’il a maintenant de façon à lui soutirer tout l’argent qu’elle pourra il n’y a pas plus fou qu’un vieux fou et alors son baiser habituel sur mon derrière était pour me donner le change au fond je m’en fiche avec qui il le fait et qui il a eu avant tout de même j’aimerais savoir du moment que je ne les ai pas tous les deux sous mon nez tout le temps comme avec cette souillon de Mary que nous avions à Ontario Terrace qui rembourrait son faux derrière pour l’exciter ça n’est déjà pas drôle de renifler sur lui l’odeur de toutes ces grues-là une fois ou deux je me suis douté de quelque chose en le faisant venir près de moi quand j’avais trouvé un cheveu long sur son veston sans compter la fois que je suis arrivée dans la cuisine et qu’il prétendait qu’il venait boire de l’eau 1 femme ça ne leur suffit pas c’était sa faute à lui il débauchait les bonnes et puis il a proposé qu’elle vienne manger à table le jour de Noël ma parole non merci pas de ça chez moi elle volait mes pommes de terre et les huîtres à 2 shillings 6 la douzaine elle sortait pour aller chez sa tante ma parole ce n’était ni plus ni moins qu’une voleuse mais je savais qu’il y avait quelque chose avec celle-là je m’y entends pour découvrir ces choses-là il disait vous n’avez aucune preuve que c’était elle une preuve Ô oui sa tante aimait beaucoup les huîtres mais je ne lui ai pas mâché à elle ce que j’en pensais il me trouvait des raisons de sortir pour rester seul avec elle je ne voulais tout de même pas m’abaisser à les espionner les jarretières que j’ai trouvées dans sa chambre le vendredi qu’elle était sortie c’était suffisant pour moi trop même il a fallu que je m’en mêle je voyais bien que sa figure se décomposait de colère quand je lui ai donné ses huit jours si seulement on pouvait se passer d’elles les chambres je les fais plus vite s’il n’y avait pas la sacrée cuisine et les ordures à vider en tout cas je lui ai donné à choisir ça serait elle ou moi qui quitterait la maison je ne pourrais même plus le toucher si je savais qu’il allait avec une souillon effrontée une menteuse un torchon pareil qui osait me le nier en face chantant partout dans les WC aussi parce qu’elle savait qu’elle était trop bien tombée oui il ne peut pas se passer si longtemps de faire ça il doit le faire ailleurs et la dernière fois qu’il a déchargé entre mes fesses quand était-ce la nuit que Boylan m’a tant serré la main en marchant le long de la Tokla mets ta main dans la mienne je n’ai fait que presser le dos de la sienne comme ça avec mon pouce pour répondre en chantant Ô réponds à mes caresses il se doute de quelque chose entre nous deux il n’est pas si bête que ça il a dit je dînerai en ville et j’irai à la Gaieté mais je ne vais pas lui donner cette satisfaction de toute façon Dieu sait qu’il m’apporte un certain changement ne pas être toujours et toujours à porter le même vieux chapeau à moins que je paie un joli garçon pour faire ça puisque je ne peux pas faire ça moi-même je plairais bien à un très jeune je lui ferais un peu perdre contenance si j’étais seule avec lui je lui laisserais voir mes jarretières les neuves je le ferais devenir tout rouge en le regardant je le séduirais je sais ce qu’ils sentent les garçons avec ce duvet sur leurs joues toujours en train de faire joujou avec leur bout questions et réponses feriez-vous ceci et cela etcetera avec le charbonnier du coin oui avec un évêque oui je le ferais parce que je lui avais parlé de ce Chanoine ou cet Évêque qui s’était assis à côté de moi dans le jardin de la Synagogue pendant que je tricotais cette affaire en laine il ne connaissait pas Dublin quel endroit est ce et ainsi de suite pour tous les monuments et il m’a fatiguée avec les statues l'encourager le faire pire qu’il m’est dites-moi à qui vous pensez en ce moment qui vous passe par la tête qui est-ce dites-moi son nom qui dites-moi qui est ce l’empereur d'Allemagne oui imaginez que je suis lui pensez à lui le sentez-vous bien ..."

... can you feel him trying to make a whore of me what he never will he ought to give it up now at this age of his life simply ruination for any woman and no satisfaction in it pretending to like it till he comes and then finish it off myself anyway and it makes your lips pale anyhow its done now once and for all with all the talk of the world about it people make its only the first time after that its just the ordinary do it and think no more about it why cant you kiss a man without going and marrying him first you sometimes love to wildly when you feel that way so nice all over you you cant help yourself I wish some man or other would take me sometime when hes there and kiss me in his arms theres nothing like a kiss long and hot down to your soul almost paralyses you then I hate that confession when I used to go to Father Corrigan he touched me father and what harm if he did where and I said on the canal bank like a fool but whereabouts on your person my child on the leg behind high up was it yes rather high up was it where you sit down yes O Lord couldnt he say bottom right out and have done with it what has that- got to do with it and did you whatever way he put it I forget no father and I always think of the real father what did he want to know for when I already confessed it to God he had a nice fat hand the palm moist always I wouldnt mind feeling it neither would he Id say by the bullneck in his horsecollar I wonder did he know me in the box I could see his face he couldnt see mine of course hed never turn or let on still his eyes were red when his father died theyre lost for a woman of course must be terrible when a man cries let alone them Id like to be embraced by one in his vestments and the smell of incense off him like the pope besides theres no danger with a priest if youre married hes too careful about himself then give something to H H the pope for a penance I wonder was he satisfied with me one thing I didnt like his slapping me behind going away so familiarly in the hall though I laughed Im not a horse or an ass am I I suppose he was thinking of his father I wonder is he awake thinking of me ...

... il cherche à faire de moi une putain ce que je ne serai jamais il ne devrait plus faire tout ça à l’âge qu’il a ça vous démolit une femme et il n’y a pas de plaisir prétendant qu’il aime ça jusqu’à ce qu’il jouisse et alors moi de mon côté je me finis comme je peux et ça vous fait les lèvres pâles en tout cas c’est fini maintenant une fois pour toutes malgré tout ce qu’on raconte il n’y a que la première fois qui compte et après ça devient l’ordinaire faisons le et n’en parlons plus pourquoi ne peut on pas embrasser un homme sans l’épouser au début on aime quelquefois ça éperdument quand on se sent comme ça si ravie partout on n’y résiste pas je voudrais quelquefois qu’un homme vienne me prendre quand il est là et m’embrasse dans ses bras il n’y a rien de tel qu’un baiser long et chaud qui vous coule jusqu’à l’âme on en est comme paralysée et je déteste ce machin la confession quand j’allais trouver le Père Corrigan il m’a touchée mon Père et il n’y avait pas de mal à ça où je t’ai dit sur le bord du canal comme une sotte mais où sur votre personne ma fille sur la jambe par derrière était-ce haut oui c’était assez haut était-ce où vous vous asseyez oui grand dieu est-ce qu’il n’aurait pas eu plus tôt fait de dire tout de suite derrière et qu’est-ce que tout ça venait faire dans l’affaire et avez-vous j’oublie quel mot il a dit non mon Père et je pense toujours au véritable père quel besoin avait celui-là de savoir quand j’avais déjà confessé ça à Dieu il avait une jolie main grasse la paume toujours moite ça ne me serait pas désagréable de la sentir et à lui non plus je crois à cause de son cou de taureau dans son col droit je me demande s’il m’a reconnue dans le  confessionnal je pouvais voir sa figure il ne pouvait pas voir la mienne naturellement il ne s’est pas retourné n’a rien laissé voir pourtant quand son père est mort il avait les yeux rouges autant d’hommes de moins pour les femmes en somme ça doit être terrible quand un homme pleure et eux donc j’aimerais être prise dans les bras par un de ceux-là couvert de ses robes et son odeur d’encens comme le pape et puis il n’y a aucun danger avec un prêtre si on est mariée il est trop prudent à cause de lui alors on donne quelque chose à notre S P le pape comme pénitence je me demande s’il a été content de moi une chose que je n’ai pas aimée c’est quand il m’a donné une claque par derrière en partant quel manque de respect dans le corridor j’ai ri je ne suis pas un cheval ni un âne je pense je suppose qu’il pensait à son père je me demande s’il est réveillé..."


Le monologue, qui ne servait chez les prédécesseurs qu'à des fins stylistiques, apparaît donc à Joyce comme la trame ininterrompue de l'existence...

C'est à ses rythmes, à ses images qu'incombera le soin de différencier les personnages, selon leurs tics, leurs soucis, leurs projets familiers. Le sexe pour Molly, l'inquiétude pour Stephen, l'onction pour le Père Conmee vont définir autant de grammaires de la pensée, qui s'accorderont sur les règles et différeront sur leurs emplois. Ainsi s'harmonisent l'un et le divers; si de ce verbe "Ulysse" tire sa substance, son unité, les caractères en recevront, eux, leurs distinctions irréductibles : chacun devient ici son propre labyrinthe. 

A l'opposé des romans classiques où l'action observe une échelle fixe de valeurs, "Ulysse" se morcellera en une myriade de systèmes temporels et psychologiques. L'insignifiance de ses situations n'a donc rien qui doive surprendre : l'important, pour Joyce, ce sera moins le monde extérieur que la façon dont les êtres l'interprètent et réagissent. Voilà pourquoi, comme chez Proust, la durée subira les plus curieuses distorsions, le même fait prenant pour l'un des proportions himalayennes et se réduisant pour l'autre à celles d'une puce, et par exemple le naufrage d'un navire américain se trouvant expédié en une ligne, alors qu'une tournée des bordels exigera presque deux cents pages.

Si subjectif soit-il, le monologue se règle pourtant sur les lieux et les heures. Le temps le jalonne de ses sonneries, de ses horloges, de ses cadences mécaniques ...

 

" Sllt. Le cylindre inférieur de la première machine vient de projeter son plateau mobile avec sllt la première fournée de feuilles pliées format main. Sllt. Presque humaine dans sa manière sllt de se rappeler à votre souvenir. Fait exactement tout son possible pour parler. Cette porte aussi qui sllt pour demander qu’on la ferme. Chaque chose parle à sa façon. Sllt."

 

 "Un peloton d’agents débouchait de Collège Street, à la file indienne ..." - Mais si le monde s'impose sans cesse à l'attention, dérange nos pensées, en rectifie le cours, chaque événement, rencontrant nos tendances profondes, subit la même déformation. Ainsi vous voici errant affamé en quête d'un restaurant et voici passer un peloton de gendarmes ; 

voyez comment ces phénomènes étrangers vont mutuellement s'influencer, se pénétrer, se confondre ...

"Before the huge high door of the Irish house of parliament a flock of pigeons flew. Their little frolic after meals. Who will we do it on? I pick the fellow in black. Here goes. Here’s good luck. Must be thrilling from the air. Apjohn, myself and Owen Goldberg up in the trees near Goose green playing the monkeys. Mackerel they called me.

A squad of constables debouched from College street, marching in Indian file. Goose step. Foodheated faces, sweating helmets, patting their truncheons. After their feed with a good load of fat soup under their belts. Policeman’s lot is oft a happy one. They split up into groups and scattered, saluting towards their beats. Let out to graze. Best moment to attack one in pudding time. A punch in his dinner. A squad of others, marching irregularly, rounded Trinity railings, making for the station. Bound for their troughs. Prepare to receive cavalry. Prepare to receive soup.

He crossed under Tommy Moore’s roguish finger. They did right to put him up over a urinal: meeting of the waters. Ought to be places for women. Running into cakeshops. Settle my hat straight. There is not in this loide -world a vallee. Great song of Julia Morkan’s. Kept her voice up to the very last. Pupil of Michael Balfe’s wasn’t she?

He gazed after the last broad tunic. Nasty customers to tackle. Jack Power could a talc unfold: father a G man. If a fellow gave them trouble being lagged they let him have it hot and heavy in the bride- well. Can’t blame them after all with the job they have especially the young hornies. That horse policeman the day Joe Chamberlain was given his degree in Trinity he got a run for his money. My word he didi His horse’s hoofs clattering after us down Abbey street. Luck I had the presence of mind to dive into Manning’s or I was souped. He did come a wallop, by George. Must have cracked his skull on the cobblestones. I oughtn’t to have got myself swept along with those medicals. And the Trinity jibs in their mortarboards. Looking for trouble. Still I got to know that young Dixon who dressed that sting for me in the Mater and now he’s in Holies street where Mrs Purefoy. Wheels within wheels. Police whistle in my cars still. All skedaddled. Why he fixed on me. Give me in charge. Right here it began...."

 

"Devant la porte monumentale du Parlement une bande de pigeons prit son vol. Leurs petites parties de plaisir d’après les repas. Sur qui allons-nous laisser tomber ? Je choisis le type en noir. Attrape ça. À ta santé. Doit être excitant à faire en l’air. Apjohn, moi et Owen Goldberg perchés dans les arbres près de Goose Green jouant aux singes. Ils m’appelaient maquereau. Un peloton d’agents débouchait de Collège Street, à la file indienne. Pas de l’oie. Faces congestionnées par la boustifaille, casques suants, ils tapotent leurs bâtons. Ils sortent de prendre une bonne charge de soupe grasse à plein ceinturon. Les agents sont de braves gens qui ne s’ baladent pas tout le temps. Ils se partagèrent en petits paquets et après saluts s’éparpillèrent vers leurs postes. À chacun son pâturage. Meilleur moment pour en attaquer un, tout de suite après le pudding. Un direct dans son dîner. Un nouveau détachement, en ordre dispersé, au pas de route, tourna les grilles de Trinity Collège, allant relayer. Le cap sur la mangeoire. Prêts à soutenir le choc. Prêts à s’envoyer le rata. Il traversa sous le doigt fripon de Tommy Moore. Ils ont bien fait de lui faire dominer un urinoir : Conjonction des Eaux. Il devrait y avoir des endroits pour les femmes. Elles se précipitent dans les pâtisseries. Remettre mon chapeau droit. Pas une vallée en ce vaste monde. Grand air de Julia Morkan. A conservé toute sa voix jusqu’au dernier moment. Élève de Michael Balfe, il me semble ? Il suivait des yeux la tunique bien rembourrée qui fermait la marche. Clients pas commodes, faut pas s’y frotter. Jack Power pourrait en dire long là-dessus : son père un cogne. Si un type qu’ils viennent de pincer fait de la rouspétance, quel passage à tabac une fois au violon. On ne  peut guère les chicaner après tout, leur besogne n’est pas drôle surtout avec les jeunes énergumènes. Ce policeman à cheval le jour que Joe Chamberlain a reçu son titre au Trinity Collège, nous l’avons fait marcher. Pas du chiqué pour sûr ! Le piaffement des sabots sur nos talons dans Abbey Street. Veine que j’aie eu assez de présence d’esprit pour faire un plongeon chez Manning, sans quoi j’étais frit. Sapristi, il a ramassé une de ces bûches. A dû se fendre le crâne sur les pavés. J’aurais mieux fait de ne pas me laisser envelopper avec ces carabins. Et les binettes de Trinity Collège sous leurs bonnets carrés. Cherchant le boucan. Pourtant c’est comme ça que j’ai connu le jeune Dixon qui a pansé ma piqûre à la Mater et maintenant il est à Holles Street où Mme Purefoy. L’engrenage. Encore le sifflet des policiers dans l’oreille. Tous se tirant des pattes. C’est pourquoi il en avait après moi. Me mettre au bloc. Juste ici que ça avait commencé...."



"The Cambridge Centenary Ulysses: The 1922 Text with Essays and Notes written by James Joyce which was published in July 1, 2022 ...

Ulysse de James Joyce est considéré comme l'un des plus grands romans du XXe siècle. Cette nouvelle édition - publiée pour célébrer la première publication du livre - aide les lecteurs à comprendre les plaisirs de cette œuvre monumentale et à relever les défis qu'elle pose. Abondamment pourvue de cartes, de photographies et de notes de bas de page explicatives, elle fournit un contexte vivant et éclairant pour les expériences vécues par Leopold Bloom, Stephen Dedalus et Molly Bloom, ainsi que par les nombreux autres personnages dublinois de Joyce, le 16 juin 1904. Cette version comprend un fac-similé du texte historique de 1922 de Shakespeare and Company, ainsi que les errata de Joyce et les références aux amendements apportés dans les éditions ultérieures. Chacun des dix-huit chapitres d'Ulysse est introduit par un éminent spécialiste de Joyce. Ces textes riches en informations abordent l'intrigue et les allusions du roman, tout en explorant des questions cruciales qui ont intrigué et séduit les lecteurs au cours des cent dernières années ....


James Joyce (1882-1941)

Né à Dublin, l'enfance de James Joyce se déroule au sein d’une famille nombreuse, composée de 11 enfants et de 2 parents catholiques, comptant un père alcoolique. Sa jeunesse est profondément marquée par la littérature : Joyce aime très tôt la lecture et dévore de nombreuses œuvres :  Erckmann-Chatrian, Thomas Hardy, Meredith et surtout Ibsen. À l'entrée à l'University College de Dublin, la rupture avec le catholicisme est consommée. Joyce pénètre dans le monde littéraire à l'occasion de la lecture, en 1900, devant la Société de littérature et d'histoire, d'un essai intitulé le Drame et la vie. Le jeune homme dissocie le drame, avec ses intrigues prétextes à disserter, de la littérature comme pratique renvoyant aux cadres immuables de la nature humaine. Il lit et étudie en profondeur Dante, D'Annunzio, Giordano Bruno, mais aussi Thomas Mann, Tolstoï, Dostoïevski, Flaubert, Nietzsche. En 1902, il obtient son diplôme de Bachelor of Arts (licence de lettres). Désirant s'assurer une situation qui lui permettrait de s'exprimer librement, Joyce décide d'entreprendre des études de médecine, qu'il choisit de poursuivre à Paris. Il y est accueilli par le poète William Butler Yeats. Il revient à Dublin en 1903, pour la mort de sa mère, et sombre dans une existence décousue, se met à boire. Joyce fait la connaissance de Nora Barnacle, et tous deux décident alors de quitter l’Irlande, pour gagner Zurich, Pola puis Trieste. Joyce y enseigne l’anglais pendant 11 ans, voit naître un fils et une fille et, pour faire vivre sa famille, doit user d'expédients en tous genres. . C’est durant cette période que Joyce rencontre alors des problèmes de santé se traduisant par de forts troubles oculaires.

En 1914, Joyce écrit le roman « Les Gens de Dublin« , l’une des œuvres majeures qui le consacrera en tant qu’écrivain. En 1915, les troubles de la Première Guerre Mondiale le forcent à fuir Tieste pour gagner Zurich, ville où il rencontre l’éditrice Harriet Shaw Weaver, qui devint par la suite son mécène. Après plusieurs années marquées par de forts problèmes oculaires, et par la schizophrénie destructrice de sa fille, Joyce est invité à Paris par Ezra Pound, pour une durée d’une semaine. À Paris, Joyce se confronte à toute l'Europe et à l'Amérique littéraires  et y restera 20 ans : Proust, Larbaud, Wyndham Lewis, Sherwood Anderson, Hemingway, Pound et Eliot, mais aucun de ces écrivains ne semble influencer son projet. Débute sa grande période de production :  si Gens de Dublin (1914) est terminé, Stephen le héros (parution posthume en 1944) a pris la forme définitive de Dedalus (1916), sont publiés  successivement « Ulysse » (1922), et « Finnegans Wake » (1939). La renommée de son auteur grandit. Valery Larbaud, son traducteur en français, annonce un nouveau Rabelais. Julien Green, T.S. Eliot et Hemingway partagent son enthousiasme. Mais Virginia Woolf et Gertrude Stein sont réticentes, comme Paul Claudel ou André Gide. Mais entre-temps, Nora a, à la suite d'une querelle, regagné Dublin avec les enfants. La Seconde Guerre mondiale éclate, et, non sans difficultés, la famille Joyce rejoint Zurich, où James Joyce meurt, le 13 janvier 1941, à la suite de l'opération d'un ulcère duodénal perforé.


"Stephen Hero" (1901-1906)

Vers 1901, Joyce commença à écrire un vaste roman autobiographique et, en 1906, il en avait déjà écrit un millier de pages, qui représentaient "environ la moitié du livre". Herbert Gorman, biographe de Joyce, déclare que l`écrivain "brûla une partie de Stephen Hero (titre que le livre portait à cette époque), dans un accès de désespoir passager, puis il recommença le roman sous une forme plus condensée". Ce nouveau roman devait voir le jour sous le titre de "Portrait de l'artiste en jeune homme". Cependant une partie de la première rédaction de Joyce (p. 519 à 902 du manuscrit) avait échappé à la destruction et fut publiée, posthume, en 1944, sous le titre de "Stephen le Héros".

 

"[The Manuscript begins here] anyone spoke to him mingled a too polite disbelief with its expectancy. « His [stiff] coarse brownish hair was combed high off his forehead but there was little order in its arrangement. [The face] A girl might or might not have called him handsome: the face was regular in feature and its pose was almost softened into [positive distinct] beauty by a small feminine mouth. In [the] a general survey of the face the eyes were not prominent: they were small light blue eyes which checked advances. They were quite fresh and fearless but in spite of this the face was to a certain extent the face of a debauchee. » 

The president of the college was a sequestrated person who took the chair at reunions and inaugural meetings of societies. His visible lieutenants were a dean and a bursar. The bursar, Stephen thought, fitted his title: a heavy, florid man with a « black-grey cap of hair. » He performed his duties with great unction and was often to be seen looming in the hall watching the coming and going of the students. He insisted on punctuality: a minute or so late once or twice — he would not mind that so much; he would clap his hands and make some cheery reproof. But what made him severe was a few minutes lost every day: it disturbed the proper working of the classes. Stephen was nearly always more than a quarter of an hour late and [so] when he arrived the bursar had usually gone back to his office. One morning, however, he arrived at the school earlier than usual. Walking up the stone steps before him was a fat [young] student, a very hard-working, timorous young man with a bread-andjam complexion. The bursar was standing in the hall with his arms folded across [the] his chest and when he caught sight of the fat young man he looked significantly at the clock. It was eight minutes past eleven. 

— Now then, Moloney, you know this won’t do. Eight minutes late! Disturbing your class like that — we can’t have that, you know. Must be in sharp for lecture every morning in future.

The jam overspread the bread in Moloney’s face as he stumbled over some excuses about a clock being wrong and then scurried upstairs to his class...."

 

Tel qu`il nous est parvenu le roman embrasse environ deux années de la vie de Stephen Dedalus (prête-nom de Joyce lui-même); il commence peu après l`entrée du héros à l'université nationale de Dublin et s'arrête lorsque le jeune homme rompt avec l'Université et tout ce qu`elle représente pour lui de conformisme et d'hypocrisie jésuitique. Stephen le Héros est donc le récit de la découverte de l'affirmation et de la libération d`une personnalité; la description aussi de la croissance d'un esprit, puis de son "absorption intense en soi-même" (Gorman). Au sein d'une société sclérosée et mesquine, Stephen affirme avec un orgueil et une arrogance juvéniles les droits de l'artiste et la gravité extrême que peut prendre pour un être la recherche du beau. Le conflit qui oppose le jeune homme à sa famille, au milieu universitaire et à toutes les "puissances" qui paralysent la vie dublínoise est d'autant plus aigu que Stephen ne veut pas d`un art qui soit coupé des autres secteurs de l'activitè humaine. Il ne se réfugie pas dans un monde irréel, maisappelle au contraire à une "libération" qui dépasse largement le domaine esthétique. On ne sera donc pas étonné que Stephen se heurte constamment à l`Eglise catholique, base et "garde-fou" de la société irlandaise. Aussi sa rupture définitive avec les jésuites de l`Université, à la fin du volume, est-elle l'aboutissement logique de la crise qui a secoué son adolescence. Avec les dernières pages de "Stephen le Héros" nous sentons que "Dedalus" - et Joyce - sont au bord de l'exil.

Stephen le Héros est à bien des points de vue une œuvre très différente du "Portrait de l'artiste en jeune homme", ne serait-ce que par le fait que la période de la vie de Stephen relatée dans les 383 pages du premier manuscrit de Joyce n'occupe plus que 90 pages de la deuxième version. De nombreux personnages ou incidents qui apparaissent dans "Stephen" sont absents du "Portrait". De plus la technique romanesque de l'écrivain s'est considérablement modifiée d'une version à l'autre. Alors que dans le "Portrait" le centre d'action tend à se situer dans la conscience même du héros, l'auteur de "Stephen" a encore le souci de présenter objectivement, l'un après l'autre, avec maints détails caractéristiques, épisodes et personnages. L`admírable concentration à laquelle Joyce parvient dans "Dedalus" ne pouvait être atteinte qu`en sacrifiant une bonne part de la richesse, de la luxuriance qui se manifestent dans "Stephen le Héros", où chacun des personnages possède une vie et un relief remarquables. Le livre est écrit avec une vivacité, une fougue, une alacrité corrosives à travers lesquelles on sent le grand écrivain en pleine jeunesse, non encore discipliné et tout au plaisir d`écrire. Par ailleurs, "Stephen le Héros" constitue un document essentiel pour la connaissance des années de formation de Joyce (- Trad. Gallimard. 1948).


Les Gens de Dublin (Dubliners, 1914)

(Trad. par Jacques Aubert, Gallimard)

Ce n'est pas encore «le flux de la conscience» mais l'exploration intérieure de thèmes et de personnages résumant les stades de la vie individuelle et collective de la cité de Dublin. Les quinze nouvelles qui composent ce livre illustrent, chacune à sa manièr l'enfance, l'adolescence, la maturité et la vie publique.

Les Sœurs (The Sisters) - Une rencontre (An Encounter) - Arabie (Araby) - Eveline (Eveline) - Après la course (After the Race) - Deux galants (Two Galants) - La Pension de famille (The Boarding House) - Un petit nuage (A Little Cloud) - Contreparties / Correspondances (Counterparts) - Cendres / Argile (Clay) - Pénible Incident / Un cas douloureux (A Painful Case) - On se réunira le 6 octobre / Ivy Day dans la salle des Commissions (Ivy Day in the Committee Room) - Une mère (A Mother) - La Grâce / De par la grâce (Grace) - Le Mort / Les Morts (The Dead)

 

(A Painful Case)  "Mr Duffy abhorred anything which betokened physical or mental disorder. A mediæval doctor would have called him saturnine. His face, which carried the entire tale of his years, was of the brown tint of Dublin streets. On his long and rather large head grew dry black hair and a tawny moustache did not quite cover an unamiable mouth. His cheekbones also gave his face a harsh character; but there was no harshness in the eyes which, looking at the world from under their tawny eyebrows, gave the impression of a man ever alert to greet a redeeming instinct in others but often disappointed. He lived at a little distance from his body, regarding his own acts with doubtful side-glances. He had an odd autobiographical habit which led him to compose in his mind from time to time a short sentence about himself containing a subject in the third person and a predicate in the past tense. He never gave alms to beggars and walked firmly, carrying a stout hazel.

He had been for many years cashier of a private bank in Baggot Street. Every morning he came in from Chapelizod by tram. At midday he went to Dan Burke’s and took his lunch—a bottle of lager beer and a small trayful of arrowroot biscuits. At four o’clock he was set free. He dined in an eating-house in George’s Street where he felt himself safe from the society of Dublin’s gilded youth and where there was a certain plain honesty in the bill of fare. His evenings were spent either before his landlady’s piano or roaming about the outskirts of the city. His liking for Mozart’s music brought him sometimes to an opera or a concert: these were the only dissipations of his life.

He had neither companions nor friends, church nor creed. He lived his spiritual life without any communion with others, visiting his relatives at Christmas and escorting them to the cemetery when they died. He performed these two social duties for old dignity’s sake but conceded nothing further to the conventions which regulate the civic life. He allowed himself to think that in certain circumstances he would rob his bank but, as these circumstances never arose, his life rolled out evenly—an adventureless tale."

 

(Un cas douloureux) "..M. Duffy abhorrait tout indice extérieur de désordre mental ou physique. Un docteur du moyen âge l’aurait qualifié de saturnien. Son visage, sur lequel se lisait la somme des années qu’il avait vécues, était de la coloration brune des rues de Dublin. Sur sa tête longue et plutôt forte poussaient des cheveux noirs et secs et une moustache fauve dissimulait mal une bouche sans aménité. Ses pommettes donnaient également à son visage un air dur ; mais il n’y avait pas de dureté dans ses yeux qui, regardant le monde de dessous leurs sourcils fauves, dégageaient l’impression d’un homme toujours à l’affût chez les autres des qualités qui pouvaient compenser leurs défauts, mais souvent déçu à cet égard. Il vivait un peu à distance de son propre corps, et les regards qu’il jetait sur ses propres actes étaient furtifs et soupçonneux. Il avait une bizarre manie autobiographique qui l’amenait de temps à autre à composer mentalement

sur lui-même quelques brèves phrases renfermant un sujet à la troisième personne et un verbe toujours d’un temps passé. Il ne

faisait jamais l’aumône et marchait d’un pas ferme, une grosse canne de coudrier à la main.

Pendant de longues années, il avait été le caissier d’une banque privée dans Baggot Street. Tous les matins, il partait de Chapelizod en tramway. À midi, il allait prendre son déjeuner chez Dan Burke : une bouteille de bière et une petite assiette de biscuits à l’avoine. À quatre heures, il était libéré. Il dînait dans un restaurant de George’s Street où il se tenait à l’abri de la jeunesse dorée de Dublin et dont le menu lui agréait par sa frugalité de bon aloi. Ses soirées se passaient soit devant le piano de sa propriétaire, soit à errer dans les faubourgs de la ville. Son goût pour la musique de Mozart l’entraînait parfois à l’Opéra ou dans un concert : telles étaient les seules dissipations de sa vie. 

Il n’avait ni compagnons, ni amis, ni église, ni foi. Il vivait sa vie spirituelle sans communion aucune avec autrui, rendant visite aux membres de sa famille à la Noël et les escortant au cimetière quand ils mouraient. Il accomplissait ces devoirs sociaux pour la sauvegarde de la traditionnelle dignité, mais n’accordait rien de plus aux conventions qui régissent la vie du citoyen. Il se permettait la pensée qu’en certaines circonstances il volerait sa banque, mais comme ces circonstances ne se présentaient jamais, sa vie s’écoulait uniforme, un récit sans aventures."

 


"One evening he found himself sitting beside two ladies in the Rotunda. The house, thinly peopled and silent, gave distressing prophecy of failure. The lady who sat next him looked round at the deserted house once or twice and then said:

“What a pity there is such a poor house tonight! It’s so hard on people to have to sing to empty benches.”

He took the remark as an invitation to talk. He was surprised that she seemed so little awkward. While they talked he tried to fix her permanently in his memory. When he learned that the young girl beside her was her daughter he judged her to be a year or so younger than himself. Her face, which must have been handsome, had remained intelligent. It was an oval face with strongly marked features. The eyes were very dark blue and steady. Their gaze began with a defiant note but was confused by what seemed a deliberate swoon of the pupil into the iris, revealing for an instant a temperament of great sensibility. The pupil reasserted itself quickly, this half-disclosed nature fell again under the reign of prudence, and her astrakhan jacket, moulding a bosom of a certain fullness, struck the note of defiance more definitely.

He met her again a few weeks afterwards at a concert in Earlsfort Terrace and seized the moments when her daughter’s attention was diverted to become intimate. She alluded once or twice to her husband but her tone was not such as to make the allusion a warning. Her name was Mrs Sinico. Her husband’s great-great-grandfather had come from Leghorn. Her husband was captain of a mercantile boat plying between Dublin and Holland; and they had one child.

Meeting her a third time by accident he found courage to make an appointment. She came. This was the first of many meetings; they met always in the evening and chose the most quiet quarters for their walks together. Mr Duffy, however, had a distaste for underhand ways and, finding that they were compelled to meet stealthily, he forced her to ask him to her house. Captain Sinico encouraged his visits, thinking that his daughter’s hand was in question. He had dismissed his wife so sincerely from his gallery of pleasures that he did not suspect that anyone else would take an interest in her. As the husband was often away and the daughter out giving music lessons Mr Duffy had many opportunities of enjoying the lady’s society. Neither he nor she had had any such adventure before and neither was conscious of any incongruity. Little by little he entangled his thoughts with hers. He lent her books, provided her with ideas, shared his intellectual life with her. She listened to all..."

 

"Un soir, il se trouva assis à côté de deux dames dans la «Rotunda». La salle silencieuse et presque vide présageait lamentablement un insuccès. La dame assise à côté de lui jeta un ou deux coups d’oeil sur la salle déserte, puis dit :

– Quel dommage que la salle soit si peu remplie ce soir ! C’est si pénible pour les artistes de chanter devant des places vides.

Il prit cette remarque comme un encouragement à la conversation. Il fut surpris de ce que cette dame parût si peu embarrassée. Tandis qu’ils causaient, il tâchait de graver pour toujours son image dans son esprit. Quand il apprit que la jeune fille assise à côté d’elle était sa fille, il lui donna au jugé un ou deux ans de moins que lui. Son visage qui avait dû être beau restait intelligent. C’était un visage ovale aux traits fortement accusés. Les yeux d’un bleu très foncé étaient fixes. Leur regard au premier abord avait un air de défi qui paraissait se perdre en une fusion de l’iris et de la pupille, révélant, l’espace d’un instant, un tempérament d’une extrême sensibilité. Mais la pupille reprenait tout de suite sa forme première, cette nature entr’aperçue retombait sous le joug de la prudence et sa jaquette

d’astrakan qui moulait une poitrine d’une certaine ampleur accentuait le ton de défi d’une façon encore plus nette.

Il la rencontra de nouveau quelques semaines plus tard dans un concert à Earlsfort Terrace et il saisit le moment où l’attention de la jeune fille était engagée ailleurs pour devenir plus intime. Elle fit une ou deux fois allusion à son mari, mais le ton de ses paroles n’avait rien d’alarmant. Elle s’appelait Mme Sinico. Le bisaïeul de son mari était originaire de Livourne. Son mari était capitaine d’un bateau marchand faisant le service entre Dublin et la Hollande ; ils n’avaient qu’un enfant.

Dans une troisième rencontre due au hasard, il eut le courage de lui fixer un rendez-vous. Elle s’y rendit. Ce fut le premier de beaucoup d’autres. Ils se retrouvaient toujours le soir et choisissaient les quartiers les plus tranquilles pour s’y promener. Toutefois, ces façons clandestines répugnaient à M. Duffy, et voyant qu’ils étaient contraints de se rencontrer en cachette, il obligea Mme Sinico à l’inviter chez elle. Le capitaine Sinico encouragea ses visites, voyant en lui un prétendant à la main de sa fille. Il avait pour son compte si sincèrement banni sa femme de la galerie de ses plaisirs qu’il ne pouvait soupçonner qu’un autre pût lui porter un intérêt quelconque.

Comme le mari s’absentait souvent et que la jeune fille sortait pour donner des leçons de musique, M. Duffy eut maintes fois occasion d’apprécier la compagnie de Mme Sinico. Pas plus que lui, elle n’avait encore eu semblable aventure et aucun des deux n’y voyait rien d’inconvenant. Petit à petit, il mêla ses pensées aux siennes. Il lui prêta des livres, lui fournit des idées, lui fit partager sa vie intellectuelle. Elle prêtait oreille à tout...."

 



Portrait de l'artiste en jeune homme

(A portrait of the artist as a young man, 1904)

(traduction Philippe Lavergne, Gallimard) 

Dédalus, publié à titre posthume en 1944, Stephen le héros était à l'origine une vaste entreprise autobiographique, commencée en 1901 et détruite en partie en 1906. Elle sera reprise sous la forme, plus concentrée, de Portrait de l'artiste jeune par lui-même. Joyce s'invente un double, Stephen Dedalus, par allusion au père d'Icare, architecte du labyrinthe. Le jeune écrivain échappe au labyrinthe de la pesanteur charnelle et spirituelle. C'est le récit d'une prise de conscience, s'opposant à la famille et à sa mesquinerie, à l'Église et au piège de l'éducation jésuite, à l'absurde politique irlandaise qui piétine ses grands hommes, et qui se libère en assumant sa vocation artistique. La réalité de la vie est placée dans une prose la plus lucide et la plus souple possible, d'un réalisme brutal ou plus poétique, pour traduire les émotions individuelles et capter toutes les voix et tous les bruits en provenance du monde extérieur.

 

"..How foolish his aim had been ! He had tried to build a breakwater of order and elegance against the sordid tide of life without him and to dam up, by rules of conduct and active interests and new filial relations, the powerful recurrence of the tide within him. Useless. Prom without as from within the water had flowed over his barriers : their tides began once more to jostle fiercely- above the crumbled mole. 

He saw clearly, too, his own futile isolation. He had not gone one step nearer the lives he had sought to approach nor bridged the restless shame and rancour that had divided him from mother and brother and sister. He felt that he was hardly of the one blood with them but stood to them rather in the mystical kinship of fosterage, foster child and foster brother. 

He turned to appease the fierce longings of his heart before which everything else was idle and alien. He cared little that he was in mortal sin, that his life had grown to be a tissue of subterfuge and falsehood. Beside the savage desire within him to realise the enormities which he brooded on nothing was sacred. He bore cynicially with the shameful details of his secret riots in which he exulted to defile with patience whatever image had attracted his eyes. By day and by night he moved among distorted images of the outer world. A figure that had seemed to him by day demure and innocent came towards him by night through the winding darkness of sleep, her face transfigured by a lecherous cunning, her eyes bright with brutish joy. Only the morning pained him with its dim memory of dark orgiastic riot, its keen and humiliating sense of transgression..."

.."Quel but insensé il avait poursuivi! Il avait essayé de bâtir une digue d'ordre et d'élégance contre le flux sordide de la vie extérieure et d'arrêter par des règles de conduite, des intérêts actifs, de nouveaux rapports familiaux, la puissante poussée des vagues au-dedans de lui-même. En vain. Du dehors comme du dedans, l'eau débordait par-dessus les barrages; les vagues reprenaient leur ruée sauvage sur le mur effondré.

Il vit nettement aussi la futilité de son isolement. Il n'avait pas fait un pas de plus vers les existences dont il avait tenté de se rapprocher, il n'avait pu jeter un pont par-dessus la honte et la rancune incessante qui le séparaient  de sa mère, de ses frères et soeurs. Il ne se sentait point du même sang qu'eux, mais plutôt lié à eux par quelque mystique parenté d'adoption: fils et frère adoptif.

Il s'efforça d'apaiser les désirs effrénés de son coeur, devant lesquels tout le reste lui était indifférent et étranger. Peu lui importait d'être en état de péché mortel, d'avoir laissé sa vie devenir un tissu de subterfuges et d'hypocrisie. Auprès de ce sauvage désir de réaliser les rêves formidables qu'il nourrissait, rien n'était sacré. Il accueillait avec une cynique indulgence les péripéties honteuses de ses secrètes orgies, pendant lesquelles il se complaisait à souiller patiemment toute image qui avait attiré ses regards. Jour et nuit, il vivait parmi les visions déformées du monde extérieur. Telle figure qui, au jour, lui avait paru modeste et innocente, revenait vers lui, la nuit, dans les ténèbres tournoyantes du sommeil, le visage transfiguré par une expression de ruse lascive, les yeux étincelants de joie bestiale. Le matin seul l'affectait par le trouble souvenir des ténébreux festins orgiaques, par l'âpre et humiliante sensation de faute..."



1915, Joyce, prisonnier sur parole à Trieste, obtient l'autorisation d'entrer en Suisse et se fixe à Zurich. En 1916, le lundi de Pâques, les Volontaires Irlandais se soulèvent, sous le commandement de Patrick Pearse. Ils capitulent, apres une semaine de furieux combats. Exécutions. Un certain Arthur Schnitzler publie "Le lieutenant Gustel".

1917, Publication de "Portrait of the Artist as a young man". Parallèlement, entrée en guerre des U. S. A. Révolution russe. Et aux élections dublinoises, triomphe du Sinn Fein. Lénine publie "L'État et la Révolution", Valéry, "La Jeune Parque". 

1918 voit la publication des" Exílés" et "Ulysse" paraît dans The Little Review. Armistice. Les Irlandais proclament la République, avec De Valera pour président. Lutte ouverte entre l'I. R. A. et la police anglaise, Auxiliaires et Black-and-Tan.

1919 : Joyce regagne Trieste. Traité de Versailles. Création de la S. D. N. Révolution et répression en Allemagne... Proust publie "A l`Ombre des jeunes filles en fleurs" et Kafka, "La Colonie pénitentiaire" ....

1920, Joyce s`installe à Paris, rencontre Ezra Pound, Valery Larbaud, Aragon, Eluard. etc.

Guerre russo-polonaise. Home Rule : l'lrlande est constituée en dominion. O'Neill publie "Emperor Jones" et Tzara son "Manifeste dada".

1921, Joyce achève "Ulysse". Fin de la guerre civile en Russie. Traité de Riga. En Irlande, De Valera refuse les accords anglais et réclame l'indépendance totale. Pirandello publie "Six Personnages en quête d'auteur", André Breton et Philippe Soupault, "Les Champs magnétiques".

1922, "Ulysse" parait à Paris chez Shakespeare and Co (Sylvia Beach). Joyce séjourne dans Ie Sussex, première idée de "Finnegans Wake". Mussolini marche sur Rome et prend le pouvoir. A Dublin, De Valera est remplacé par Griffith, puis par Cosgrave. Guerre civile. T. S. Eliot publie "The Waste Land", Virginia Woolf, "Jacob's Room", Katherine Mansfield, "La Garden-Party", et Kafka termine "Le Château".

1923, à Nice, Joyce commence "Finnegans Wake". Dictature de Primo de Rivera. Conflit italo-grec. Occupation de la Ruhr. Putsch de Munich. Fin dela guerre civile en Irlande. Rilke publie "Elégies de Duino" et "Sonnets à Orphée".


"Stately, plump Buck Mulligan came from the stairhead, bearing a bowl of lather on which a mirror and a razor lay crossed. A yellow dressinggown, ungirdled, was sustained gently behind him by the mild morning air. He held the bowl aloft and intoned :

— Introibo ad altare Dei.

Halted, he peered down the dark winding stairs and called up coarsely :

— Come up, Kinch. Come up, you fearful Jesuit.

Solemnly he came forward and mounted the round gunrest. He faced about and blessed gravely thrice the tower, the surrounding country and the awaking mountains. Then, catching sight of Stephen Dedalus, he bent towards him and made rapid crosses in the air, gurgling in his throat and shaking his head. Stephen Dedalus, displeased and sleepy, leaned his arms on the top of the staircase and looked coldly at the shaking gurgling face that blessed him, equine in its length, and at the light untonsured hair, grained and hued like pale oak...."

"Majestueux et dodu, Buck Mulligan parut en haut des marches, porteur d'un bol mousseux sur lequel reposaient en croix rasoir et glace à main. L'air suave du matin gonflait doucement derrière lui sa robe de chambre jaune, sans ceinture. Il éleva le bol et psalmodia:

- Introïbo ad altare Dei.

Puis arrêté, scrutant l'ombre de l'escalier en colimaçon, il jeta grossièrement:

- Montez, Kinch. Montez, abominable jésuite.

Et d'un pas solennel il gagna la plate-forme de tir. Avec gravité, se tournant vers elles, il bénit par trois fois la tour, la campagne environnante et les montagnes qui s'éveillaient. Apercevant alors Stephen Dedalus, il s'inclina dans sa direction, en traçant de rapides croix en l'air, avec des hochements de tête et des glouglotements. Accoudé sur la dernière marche, somnolent et contrarié, Stephen Dedalus considérait avec froideur le visage remuant et glouglotant qui le bénissait, tête chevaline aux cheveux sans tonsure, grenus et de la teinte du chêne clair..."

 



Ulysse (Ulysses, 1922)

(traduction Auguste Morel, revue par Valery Larbaud, Gallimard)

Composé entre 1914 et 1921, dans trois villes, Trieste, Zurich, et Paris,  "Ulysses" fut publié pour la première fois par Shakespeare and Company, 12, rue de l'Odéon, en février 1922. A l'exemple de "Dublínors", les tirages suivants subirent les feux de la censure anglo-saxonne, saisis et brûlés, les obscénités qui truffent ce gros livre alimentant cette malveillance. Mais de la première à la dernière page, cent styles se succèdent, apparaissent et disparaissent, s'entrecroisent, se répondent et se confondent, et toutes sortes de langages, du sublime à l'argotique, du scientifique au judiciaire, du descriptif au démentiel, du théâtral au religieux. C'est finalement en 1929, après avoir décourage une dizaine de traducteurs, que ce roman vit le jour en version française par les soins de MM. Auguste Morel, Stuart Gilbert et Valery Larbaud...

L'action d'Ulysse se passe en un jour, à Dublin, le 16 juin 1904. Le personnage d'Ulysse est un petit employé juif, Léopold Bloom. Stephen Dedalus, jeune irlandais poète, est Télémaque. Marion, femme de Bloom et qui le trompe, est Pénélope. Rien n'arrive d'extraordinaire au cours de cette journée. Bloom et Dedalus errent dans la ville, vaquant à leurs affaires, et se retrouvent le soir dans un bordel. Chaque épisode correspond pourtant à un épisode de L'Odyssée d'Homère. Mais la parodie débouche sur une mise en cause du monde moderne. Joyce exprime l'universel par le particulier. Bloom, Dedalus, Marion sont des archétypes. Toute la vie, la naissance et la mort, la recherche du père, celle du fils (Bloom a perdu un fils jeune), tout est contenu en un seul jour.

Dans ce roman se révèle un humour d'autant plus insondable qu'il n'est qu'allusions. C'est sous un jour implacable qu'est livrée la civilisation bourgeoise de ce temps, Joyce la montre totalement incapable de soutenir sa grandeur passée, de renouveler ses valeurs et de survivre sans trahir ses idéaux. Reprendre ainsi l'Odyssée à l'aune de la parodie, traduire Ulysse par un cocu, Pénélope par une coureuse, Circé par une maquerelle, Nausicaa par une boiteuse, c'est tout simplement laisser entendre que notre monde n'a plus la force d'en enfanter une autre, et que sa culture est déjà condamnée à ne se repaître que de ses reliefs. Nul ne s'étonnera plus que l'action se déroule en un seul jour (le jeudi 16 juin 1904), en une seule ville (Dublin), ni que les personnages ressuscitent les héros d'Homère, Ulysse (Leopold Bloom), Pénélope (Marion Tweedy, femme Bloom), Télémaque (Stephen Dedalus), Calypso (Martha Cliiïorcl), Nestor (Mr Deasy), Nausicaa (Gertie Mac Dowell), Elpénor (Paddy Dignam), Polyphème (le Citoyen), Ajax (M'Intosh), Circe (Bella Cohen), Antinoüs (Dache Boylan), ou les divinités : Athéna (la laitière), Hermès (Buck Mulligan), Eole (le patron du journal), les Sirènes (Miss Douce et Miss Kennedy)....

Dans la première partie d'Ulysse, nous suivons Stephen Dedalus de huit heures du matin à midi. La deuxième partie est centrée sur la journée de Leopold Bloom. Elle commence avec Bloom qui prépare le petit-déjeuner pour sa femme, Molly, puis le lui apporte au lit. Après cela, Bloom sort et fait, lui aussi, diverses rencontres. Ce n’est que dans la troisième partie que Bloom et Dedalus arrivent enfin à se rencontrer.

Dans la quatrième partie et dernière partie, c’est Molly, la femme de Bloom qui entre en scène. C’est maintenant la nuit. Molly est au lit. Son amant est reparti. Bloom n’est pas encore rentré. Le livre se termine avec le fameux monologue intérieur de Molly qui occupe soixante pages avec seulement huit phrases au total. C’est Molly, sur le point de s'endormir, qui rumine sur son sort, ses relations avec Bloom, le fait d’être femme, etc.. Jusque-là, Molly était décrite à travers les yeux de son mari jaloux. Cette idée de monologues intérieurs, comme les appellera Valéry Larbaud, un des premiers traducteurs en français d’ « Ulysse », est la principale innovation stylistique de Joyce. C’est elle qui a frappé de nombreux écrivains français, anglais, américains à l’époque. Loin de toute action, allongée dans son lit, sans ponctuation, sans pauses narratives, les souvenirs se bousculent dans un langage naturel qui est celui de la sensibilité romantique et sensuelle d'une Molly à l'état pur... 

Episode 18 - Penelope

YES BECAUSE HE NEVER DID A THING LIKE THAT BEFORE AS ASK TO get his breakfast in bed with a couple of eggs since the City arms hotel when he used to be pretending to be laid up with a sick voice doing his highness to make himself interesting to that old faggot Mrs Riordan that he thought he had a great leg of and she never left us a farthing all for masses for herself and her soul greatest miser ever was actually afraid to lay out 4d for her methylated spirit telling me all her ailments she had too much old chat in her about politics and earthquakes and the end of the world let us have a bit of fun first God help the world if all the women were her sort down on bathing-suits and lownecks of course nobody wanted her to wear I suppose she was pious because no man would look at her twice I hope I'll never be like her a wonder she didnt want us to cover our faces but she was a welleducated woman certainly and her gabby talk about Mr Riordan here and Mr Riordan there I suppose he was glad to get shut of her and her dog smelling my fur and always edging to get up under my petticoats especially then still I like that in him polite to old women like that and waiters and beggars too hes not proud out of nothing but not always if ever he got anything really serious the matter with him its much better for them go into a hospital where everything is clean but I suppose Id have to dring it into him for a month yes and then wed have a hospital nurse next thing on the carpet have him staying there till they throw him out or a nun maybe like the smutty photo he has shes as much a nun as Im not yes because theyre so weak and puling when theyre sick they want a woman to get well if his nose bleeds youd think it was O tragic and that dyinglooking one off the south circular .."

 

.."Oui puisque avant il n'a jamais fait une chose pareille de demander son petit déjeuner au lit avec deux oeufs depuis l'hôtel des Armes de la Cité quand ça lui arrivait de faire semblant d'être souffrant au lit avec sa voix geignarde jouant le grand jeu pour se rendre intéressant près de cette vieille tourte de Mme Riordan qu'il pensait être dans ses petits papiers et qu'elle ne nous a pas laissé un sou tout en messes pour elle et son âme ce qu'elle pouvait être pingre embêtée d'allonger huit sous pour son alcool à brûler me racontant toutes ses maladies elle en faisait des discours sur la politique et les tremblements de terre et la fin du monde payons-nous un peu de bon temps d'abord et quel Enfer serait le monde si toutes les femmes étaient de cette espèce-là à déblatérer contre les maillots de bain et les décolletés  que bien sûr personne n'aurait voulu la voir avec je suppose qu'elle était pieuse parce qu'aucun homme n'aurait voulu la regarder deux fois j'espère bien que je ne serai jamais comme ça c'est étonnant qu'elle ne nous ait pas demandé de nous couvrir la figure mais tout de même c'était une femme bien élevée et ses radotages sur M. Riordan par ci et M. Riordan par là je pense qu'il a été content d'en être débarrassé et son chien qui sentait ma fourrure et se faufilait pour se fourrer sous mes jupes surtout quand d'ailleurs j'aime assez ça chez lui malgré tout qu'il soit poli avec les vieilles dames comme ça et les domestiques et les mendiants aussi il n'est pas fier parti de rien mais quelquefois si jamais il attrapait quelque chose de grave c'est bien mieux qu'ils aillent à l'hôpital où tout est si propre mais je suppose qu'il me faudrait bien un mois pour arriver à le persuader oui et tout de suite une infirmière entrerait en scène  et il s'incrusterait là jusqu'à ce qu'on le mette à la porte ou encore une religieuse comme cette photo cochonne qu'il a qui n'est pas plus religieuse que moi oui parce qu'ils sont si faibles et si pleurnicheurs quand ils sont malades ils ont besoin d'une femme pour aller mieux si son nez saigne vous croiriez que c'est O quel drame et cet air de moribond en descendant du south circular ..."

 

"... I couldnt even touch him if I thought he was with a dirty barefaced liar and sloven like that one denying it up to my face and singing about the place in the WC too because she knew she was too well off yes because he couldnt possibly do without it that long so he must do it somewhere and the last time he came on my bottom when was it the night Boylan gave my hand a great squeeze going along by the Tolka in my hand there steals another I just pressed the back of his like that with my thumb to squeeze back singing the young May moon shes beaming love because he has an idea about him and me hes not such a fool he said Im dining out and going to the Gaiety though Im not going to give him the satisfaction in any case God knows hes a change in a way not to be always and ever wearing the same old hat unless I paid some nicelooking boy to do it since I cant do it myself a young boy would like me Id confuse him a little alone with him if we were Id let him see my garters the new ones and make him turn red looking at him seduce him I know what boys feel with that down on their cheek doing that frigging drawing out the thing by the hour question and answer would you do this that and the other with the coalman yes with a bishop yes I would because I told him about some dean or bishop was sitting beside me in the jews temples gardens when I was knitting that woollen thing a stranger to Dublin what place was it and so on about the monuments and he tired me out with statues encouraging him making him worse than he is who is in your mind now tell me who are you thinking of who is it tell me his name who tell me who the german Emperor is it yes imagine Im him think of him can you feel him trying to make a whore of me what he never will he ought to give it up now at this age of his life simply ruination for any woman and no satisfaction in it pretending to like it till he comes and then finish it off myself anyway and it makes your lips pale anyhow its done now once and for all with all the talk of the world about it people make its only the first time after that its just the ordinary do it and think no more about it why cant you kiss a man without going and marrying him first you sometimes love to wildly when you feel that way so nice all over you you cant help yourself I wish some man or other would take me sometime when hes there and kiss me in his arms theres nothing like a kiss long and hot down to your soul almost paralyses you then I hate that confession when I used to go to Father Corrigan he touched me father and what harm if he did where and I said on the canal bank like a fool but whereabouts on your person my child on the leg behind high up was it yes rather high up was it where you sit down yes O Lord couldnt he say bottom right out and have done with it what has that got to do with it..."

 

".... je ne pourrais même plus le toucher si je savais qu’il allait avec une souillon effrontée une menteuse un torchon pareil qui osait me le nier en face chantant partout dans les W C aussi parce qu’elle savait qu’elle était trop bien tombée oui il ne peut pas se passer si longtemps de faire ça il doit le faire ailleurs et la dernière fois qu’il a déchargé entre mes fesses quand était-ce la nuit que Boylan m’a tant serré la main en marchant le long de la Tokla mets ta main dans la mienne je n’ai fait que presser le dos de la sienne comme ça avec mon pouce pour répondre en chantant O réponds à mes caresses il se doute de quelque chose entre nous deux il n’est pas si bête que ça il a dit je dînerai en ville et j’irai à la Gaieté mais je ne vais pas lui donner cette satisfaction de toute façon Dieu sait qu’il m’apporte un certain changement ne pas être toujours et toujours à porter le même vieux chapeau à moins que je paie un joli garçon pour faire ça puisque je ne peux pas faire ça moi-même je plairais bien à un très jeune je lui ferais un peu perdre contenance si j’étais seule avec lui je lui laisserais voir mes jarretières les neuves je le ferais devenir tout rouge en le regardant je le séduirais je sais ce qu’ils sentent les garçons avec ce duvet sur leurs joues toujours en train de faire joujou avec leur bout questions et réponses feriez-vous ceci et cela etcetera avec le charbonnier du coin oui avec un évêque oui je le ferais parce que je lui avais parlé de ce Chanoine ou cet Évêque qui s’était assis à côté de moi dans le jardin de la Synagogue pendant que je tricotais cette affaire en laine il ne connaissait pas Dublin quel endroit est-ce et ainsi de suite pour tous les monuments et il m’a fatiguée avec les statues l’encourager le faire pire qu’il m’est dites-moi à qui vous pensez en ce moment qui vous passe par la tête qui est-ce dites-moi son nom qui dites-moi qui est-ce l’empereur d’Allemagne oui imagi­nez que je suis lui pensez à lui le sentez-vous bien il cherche à faire de moi une putain ce que je ne serai jamais il ne devrait plus faire tout ça à l’âge qu’il a ça vous démolit une femme et il n’y a pas de plaisir pré­tendant qu’il aime ça jusqu’à ce qu’il jouisse et alors moi de mon côté je me finis comme je peux et ça vous fait les lèvres pâles en tout cas c’est fini maintenant une fois pour toutes malgré tout ce qu’on raconte il n’y a que la première fois qui compte et après ça devient l’or­dinaire faisons-le et n’en parlons plus pourquoi ne peut on pas embrasser un homme sans l’épouser au début on aime quelquefois ça éperdument quand on se sent comme ça si ravie partout on n’y résiste pas je voudrais quelquefois qu’un homme vienne me prendre quand il est là et m’embrasse dans ses bras il n’y a rien de tel qu’un baiser long et chaud qui vous coule jusqu’à l’âme on en est comme paralysée et je déteste ce machin la confession quand j’allais trouver le Père Corrigan il m’a touchée mon Père et il n’y avait pas de mal à ça où je t’ai dit sur le bord du canal comme une sotte mais où sur votre personne ma fille sur la jambe par derrière était-ce haut oui c’était assez haut était-ce où vous vous asseyez oui grand dieu est-ce qu’il n’aurait pas eu plus tôt fait de dire tout de suite derrière et qu’est-ce que tout ça venait faire dans l’affaire..."

 


"Ulysses"  by James Joyce tells the story of events involving Stephen Dedalus, Leopold Bloom, and Molly Bloom on June 16, 1904...

The story of ‘Ulysses’ begins on June 16, 1904, in Dublin, Ireland, and concludes at some point after 2 a.m. on June 17, in the Blooms’ home at 7 Eccles Street. L'histoire d'"Ulysse" commence le 16 juin 1904 à Dublin, en Irlande, et se termine le 17 juin, après 2 heures du matin, au domicile des Bloom, au 7 Eccles Street. 

L'oeuvre de Joyce s`apparente étroitement à celle d'Homère par son plan (cf. la conférence de Valery Larbaud, N.R.F., 1922).Elle comprend un prélude en trois parties correspondant à la Télémachie. douze chapitres centraux concordant avec les aventures d`Ulysse, et un finale, le Nostos, répétant les trois divisions du prélude. Ainsi construit suivant une parfaite symétrie, ce livre évoque encore l`image d`un temple grec, d`une cathédrale, d`une loge maçonnique où, à mesure que nous progressons vers Popisthodome, l`autel, le siège du vénérable, nous pénétrons un monde de plus en plus ésotérique. En dehors de son contenu homérique, chaque section de ce livre s`ordonne en fonction d`un lieu, d`un organe du corps, d`une discipline, d`une couleur, d`un thème et d`une technique d`écriture. 

Le roman s`ouvre par une prière du matin reprenant celle qu`Homère adresse aux Muses, et Télémaque à sa bienfaitrice Athéna. Dans une tour à Sandymount, au sud de la baie de Dublin, Stephen et son ami Mulligan contemplent le soleil se levant sur la mer, se rasent et déjeunent en compagnie d`un Anglais....

 

Episode One: “Telemachus”

Les trois premiers épisodes d'Ulysse sont centrés sur Stephen Dedalus, le protagoniste autobiographique d'Un portrait de l'artiste en jeune homme de Joyce. Nous avons quitté Stephen à la fin de Portrait, un jeune poète ambitieux et légèrement arrogant qui venait de terminer ses études et quittait Dublin pour Paris au printemps 1902. Ulysse reprend un peu plus de deux ans plus tard. À Paris, Stephen mène un style de vie bohème-intellectuel après avoir abandonné ses études de médecine. Stephen est rappelé de Paris par la maladie de sa mère, probablement au cours de l'été 1903. Près d'un an plus tard, le 16 juin 1904, nous retrouvons Stephen dans "Télémaque", non résigné à la vie en Irlande et toujours vêtu d'une tenue de deuil pour sa mère. Il n'a pas encore réalisé son rêve d'artiste. L'ouverture épique du roman in medias res ("au milieu des choses") ne commence cependant pas avec Stephen, mais avec Buck Mulligan, qui apparaît comme un contraste avec Stephen. La relation entre Buck et Stephen est tendue : Buck cherche à établir sa supériorité sur Stephen en se moquant de lui, mais il met aussi en avant ses connaissances culturelles et intellectuelles pour l'impressionner..

Il est environ 8 heures du matin, et Buck Mulligan, effectuant un simulacre de messe avec son bol de rasage, appelle Stephen Dedalus sur le toit de la tour Martello qui domine la baie de Dublin. Stephen ne réagit pas aux plaisanteries agressives de Buck. Il est agacé par Haines, l'Anglais que Buck a invité à rester dans la tour. Stephen a été réveillé pendant la nuit par les gémissements de Haines, qui parle d'un cauchemar impliquant une panthère noire. Mulligan et Stephen regardent la mer, que Buck qualifie de grande mère. Cela rappelle à Mulligan la rancune de sa tante envers Stephen pour le refus de ce dernier de prier sur le lit de mort de sa propre mère. Stephen, toujours vêtu d'une tenue de deuil, regarde la mer et pense à la mort de sa mère, tandis que Buck se moque de Stephen pour ses vêtements de seconde main et son apparence sale. Buck lui tend un miroir fêlé pour qu'il puisse se voir. Stephen repousse la condescendance de Buck en suggérant qu'un tel "miroir fêlé de domestique" pourrait servir de symbole à l'art irlandais. Buck entoure Stephen d'un bras conciliant et suggère qu'ensemble, ils pourraient rendre l'Irlande aussi cultivée que la Grèce l'était autrefois. Buck propose de terroriser Haines s'il continue à ennuyer Stephen et ce dernier se souvient de la façon dont Buck s'est moqué d'un de leurs camarades de classe, Clive Kempthorpe. Buck demande à Stephen pourquoi il broie du noir, et Stephen finit par admettre qu'il en veut à Buck. Il y a quelques mois, Stephen a entendu Buck dire de sa mère qu'elle était "morte comme une bête". Buck tente de se défendre, puis abandonne et exhorte Stephen à cesser de ruminer sa propre fierté...

 

" Stephen, un coude appuyé au granit rugueux, et le front dans sa paume, contemplait le bord effrangé de sa manche noire, luisante. Une souffrance qui n’était pas encore de la tendresse agitait son cœur. Depuis sa mort elle lui était apparue en rêve : son corps dévasté, flottant dans la robe brune avec laquelle on l’avait enterrée, exhalait une odeur de cire et de bois de rose ; son souffle, que muette et pleine de reproche elle exhalait vers lui, fleurait faiblement les cendres mouillées. À travers le parement élimé de sa manche, il voyait cette mer qu’à son côté une voix bien nourrie saluait comme une mère grande et douce. Le rond de la baie et de l’horizon encerclait une masse liquide d’un vert terne. Un bol  de porcelaine blanche à côté de son lit de mort avait contenu la bile verte et visqueuse qu’elle avait arrachée à son foie gangrené dans des accès de vomissements qui la faisaient hurler...."

 

Buck descend dans la tour en chantant, sans le savoir, la chanson que Stephen chantait à sa mère mourante. Stephen a l'impression d'être hanté par sa mère morte ou par son souvenir. Buck appelle Stephen en bas pour le petit-déjeuner. Il encourage Stephen à demander de l'argent à Haines, qui est impressionné par l'esprit irlandais de Stephen, mais Stephen refuse. Stephen descend à la cuisine et aide Buck à servir le petit-déjeuner. Haines annonce que la laitière arrive. Buck fait une blague sur la "vieille mère Grogan" qui fait du thé et de l'eau (urine), et encourage Haines à l'utiliser pour un livre sur la vie populaire irlandaise.

La laitière entre, et Stephen l'imagine comme un symbole de l'Irlande. Stephen est silencieusement amer que la laitière respecte Buck, un étudiant en médecine, plus que lui. Haines lui parle en irlandais, mais elle ne comprend pas et pense qu'il parle français. Buck la paie et elle part. Haines annonce son désir de faire un livre des dictons de Stephen, mais ce dernier lui demande s'il en tirerait de l'argent. Buck s'habille et les trois hommes descendent vers l'eau. Haines interroge Stephen sur sa théorie d'Hamlet, mais Buck insiste pour qu'il attende de boire un verre plus tard. Haines explique que leur tour Martello lui rappelle l'El-sinore d'Hamlet. Buck interrompt Haines pour courir devant, danser et chanter "The Ballad of Joking Jesus". Haines et Stephen marchent ensemble. Pendant que Haines parle, Stephen anticipe que Buck va lui demander la clé de la tour - la tour dont Stephen paie le loyer. Haines interroge Stephen sur ses croyances religieuses. Stephen explique que deux maîtres, l'Angleterre et l'Église catholique, font obstacle à sa liberté de pensée, et qu'un troisième maître, l'Irlande, veut de lui pour des "petits boulots". Essayant d'être conciliant au sujet de la servitude irlandaise envers les Britanniques, Haines propose faiblement : "Il semble que l'histoire soit à blâmer." Haines et Stephen surplombent la baie et Stephen se souvient d'un homme qui s'est récemment noyé. Haines et Stephen se dirigent vers l'eau où Buck se déshabille et où deux autres personnes, dont un ami de Buck, sont déjà en train de nager. Buck parle à son ami de leur ami commun, Bannon, qui se trouve à Westmeath - Bannon a apparemment une petite amie (nous apprendrons plus tard qu'il s'agit de Milly Bloom). Buck se met à l'eau, tandis que Haines fume. Stephen annonce qu'il part, et Buck exige la clé de la tour et deux pence pour une pinte. Buck dit à Stephen de le retrouver dans un pub - le Ship - à 12h30. Stephen s'en va, jurant qu'il ne retournera pas à la tour ce soir, car Buck, "l'Usurpateur", s'en est emparé.

 

Episode Two: “Nestor”

Stephen enseigne un cours d'histoire sur la victoire de Pyrrhus - la classe n'est pas très disciplinée. Il fait travailler les élèves, et un garçon nommé Armstrong devine phonétiquement que Pyrrhus était "une jetée". Stephen se montre indulgent envers lui et développe la réponse d'Armstrong, qualifiant une jetée de "pont déçu". Il s'imagine en train de lâcher ce mot d'esprit plus tard pour le plaisir de Haines. En pensant aux meurtres de Phyrrus et de César, Stephen s'interroge sur l'inévitabilité philosophique de certains événements historiques - l'histoire est-elle l'accomplissement du seul cours possible des événements, ou un parmi d'autres ?

Stephen emmène la classe à travers le Lycidas de Milton tout en continuant à réfléchir à ses propres questions sur l'histoire, questions auxquelles il a pensé en lisant Aristote dans une bibliothèque parisienne. Une image du poème de Milton fait penser à Stephen à l'effet de Dieu sur tous les hommes. Stephen pense aux lignes d'une énigme commune puis décide de raconter sa propre énigme aux élèves alors qu'ils rassemblent leurs affaires et se préparent à partir jouer au hockey sur gazon. Stephen est le seul à rire de son impénétrable devinette sur un renard qui enterre sa grand-mère sous un buisson.

Les élèves partent, sauf Sargent, qui a besoin d'aide pour son arithmétique. Stephen regarde l'affreux Sargent et imagine l'amour de sa mère pour lui. Stephen montre les sommes à Sargent, pensant brièvement à la blague de Buck selon laquelle la théorie d'Hamlet de Stephen est prouvée par l'algèbre. En repensant à l'amor matris, l'amour de la mère, Stephen se rappelle de lui-même lorsqu'il était enfant, maladroit comme Sargent. Sargent sort pour rejoindre la partie de hockey. Stephen sort, puis va attendre dans le bureau de Deasy pendant que ce dernier, le maître d'école, règle une dispute de hockey.

M. Deasy verse son salaire à Stephen et lui montre sa caisse d'épargne. Deasy fait la leçon à Stephen sur la satisfaction de l'argent gagné et sur l'importance de garder l'argent soigneusement et de l'économiser. Deasy remarque que la plus grande fierté d'un Anglais est de pouvoir affirmer qu'il a payé sa part et qu'il ne doit rien. Stephen fait mentalement le compte de ses abondantes dettes.

Deasy imagine que Stephen, qu'il suppose être un Fenian, ou un nationaliste catholique irlandais, manque de respect à Deasy en tant que Tory, un protestant fidèle aux Anglais. Deasy fait valoir ses références irlandaises - il a été témoin de beaucoup d'histoire irlandaise. Deasy demande alors à Stephen d'user de son influence pour faire imprimer une lettre de Deasy dans le journal. Pendant qu'il termine de la taper, Stephen regarde dans son bureau les portraits de chevaux de course et se souvient d'une sortie à l'hippodrome avec son vieil ami Cranly.

 

Troisième et dernier chant de cette Télémuchíe : à midi, Stephen s`en revient vers la ville. longeant la mer, plongé dans une méditation dont les flux et reflux ressemblent aux métamorphoses de Protée...

 

Episode Three: “Proteus”

Il y a très peu d'action dans l'épisode trois et une seule ligne de dialogue - le chapitre est presque entièrement constitué des pensées de Stephen. Le peu de ponctuation utilisée par Joyce rend quelque peu difficile, dans les épisodes un et deux, la distinction entre le récit à la troisième personne, le monologue intérieur et le dialogue. Dans le troisième épisode, le problème n'est pas de distinguer le monologue intérieur de Stephen de tout le reste, mais de suivre les méandres de ce monologue. Stephen est un jeune homme extrêmement cultivé - ses pensées oscillent donc entre une multitude de textes savants et plusieurs langues différentes. Stephen marche sur la plage, contemplant la différence entre le monde matériel tel qu'il existe et tel qu'il est enregistré par ses yeux. Stephen ferme les yeux et laisse son ouïe prendre le relais - des rythmes apparaissent. 

En ouvrant les yeux, Stephen remarque deux sages-femmes, Mme Florence MacCabe et une autre femme. Stephen imagine que l'une d'elles a un fœtus avorté dans son sac. Il imagine un cordon ombilical comme une ligne téléphonique remontant le cours de l'histoire et par laquelle il pourrait passer un appel à "Edenville". Stephen imagine le ventre sans nombril d'Eve. Il considère le péché originel de la femme, puis sa propre conception. Stephen oppose sa propre conception à celle du Christ. Selon le Credo de Nicée, qui fait partie de la messe catholique, le Christ a été "engendré et non créé", ce qui signifie qu'il fait partie de la même essence que Dieu le Père et qu'il n'a pas été créé par Dieu le Père à partir de rien. Étienne, en revanche, a été "créé et non engendré", en ce sens que, bien qu'il ait des parents biologiques, son âme a été créée à partir de rien et n'a aucun lien avec celle de son père. Étienne aimerait débattre des spécificités de la conception divine (le Père et le Fils sont-ils le même être ou non ?) avec les hérétiques du passé.

L'air marin souffle sur lui, et Stephen se rappelle qu'il doit apporter la lettre de Deasy au journal, puis retrouver Buck au pub The Ship à 12h30. Il envisage de quitter la plage pour rendre visite à sa tante Sara. Il imagine la réaction moqueuse de son père à une telle visite (son père est dégoûté par son beau-frère, Richie, qui est le mari de Sara). Stephen imagine la scène s'il venait à lui rendre visite : Walter, le fils de Richie, le ferait entrer et l'oncle Richie, qui a des problèmes de dos, accueillerait Stephen depuis son lit.

 

Episode Four: “Calypso”

C'est bien le même nuage qui se déplace brièvement au-dessus du soleil tant pour Stephen que pour Bloom. Les épisodes un, deux et trois constituaient un prologue centré sur Stephen en tant que personnage de Télémaque. Au chapitre IV entre en scène le protagoniste. dont nous allons suivre jusqu'à la fin les pérégrinations : Léopold Bloom, alias Ulysse, alias le Juif errant, etc. L`histoire, qui recommence ici à huit heures du matin, ce chapitre se déroule en même temps que l'épisode un, alors que nous commençons les aventures d'"Ulysse", Leopold Bloom. Il nous le révèle d`abord dans la situation du roi d`lthaque chez la nymphe Calypso. Leopold Bloom prépare le petit déjeuner pour sa femme, Molly, et nourrit son chat. Se penchant, les mains sur les genoux, il se demande à quoi il ressemble pour le chat et comment fonctionnent ses moustaches lorsqu'il boit du lait. Bloom réfléchit à ce qu'il va aller chercher chez le boucher pour son propre petit-déjeuner. Il se glisse à l'étage pour demander à Molly si elle veut quelque chose de l'extérieur. Molly marmonne que non et le lit cliquette sous elle. Bloom pense au lit, que Molly a apporté avec elle de Gibraltar, où elle a été élevée par son père, le Major Tweedy.

Bloom vérifie la présence d'un bout de papier dans son chapeau et de sa pomme de terre porte-bonheur, et il prend note de récupérer ses clés de maison à l'étage avant de partir pour la journée. Bloom sort et s'attend à avoir chaud dans les vêtements noirs qu'il portera pour les funérailles de Paddy Dignam aujourd'hui. Il s'imagine marcher sur un chemin autour de la partie centrale du globe devant la trajectoire du soleil pour rester au même âge et il imagine les paysages de l'Est. Mais non, raisonne-t-il, ses images mentales sont du matériel de fiction, pas exactes. Bloom passe devant le pub de Larry O'Rourke et se demande s'il ne devrait pas s'arrêter et mentionner les funérailles de Dignam, mais il se contente plutôt de souhaiter une bonne journée à O'Rourke. Bloom essaie de comprendre comment tous les petits propriétaires de pubs comme O'Rourke gagnent de l'argent, étant donné le nombre de pubs qu'il y a à Dublin. Bloom passe devant une école et écoute les élèves réciter leur alphabet et les noms de lieux irlandais. Bloom imagine son propre nom de lieu irlandais, "Slieve Bloom". Bloom arrive chez Dlugacz, la boucherie. Il voit qu'il reste un rein et espère que la femme devant lui ne l'achètera pas. Bloom prend une feuille du journal d'emballage et lit les annonces. La femme paie sa commande et Bloom lui montre du doigt le rein, espérant remplir rapidement sa commande afin de pouvoir la suivre chez elle et regarder ses hanches bouger. Trop tard pour la rattraper, il continue à lire sa feuille de journal sur le chemin du retour. Elle annonce des plantations de fruits pour la spéculation en Palestine et Bloom pense aux fruits de la Méditerranée et du Moyen-Orient. Bloom croise un homme qu'il connaît et qui ne le voit pas.

 

Episode Five: “The Lotus Eaters”Episode Five: “The Lotus Eaters”

A dix heures, après s'être soulagé les entrailles en méditant sur la littérature, Bloom se dirige, au fil de rues dont pas une vitrine, pas un passant. pas une rumeur ne nous est épargné, vers une poste où il doit retirer, sous le nom d`Henry Flower, la missive d`une mystérieuse Martha. En lisant les étiquettes des paquets dans la vitrine de la Belfast and Oriental Tea Company, et inspiré par les étiquettes de thé, Bloom imagine l'atmosphère grisante de l'Orient. À l'extérieur du bureau de poste, Bloom ouvre sa lettre, mais avant de pouvoir la lire, il est accosté par McCoy. Bloom fait la conversation avec McCoy tout en essayant de déterminer ce qui est épinglé sur la lettre, maintenant dans sa poche. Pendant que Bloom observe une femme sexy de la classe supérieure de l'autre côté de la rue, McCoy discute de la mort de Paddy Dignam, dont il a entendu parler par Bantam Lyons. Bloom s'attend à voir la jambe de la femme lorsqu'elle monte dans son taxi, mais un tramway lui bloque la vue. Toujours en train de discuter avec McCoy, Bloom ouvre son journal et lit une annonce : "Qu'est-ce qu'une maison sans / La viande en pot de Plumtree ? / Incomplet. / Avec elle, une demeure de félicité." McCoy et Bloom parlent de la prochaine tournée de concerts de Molly (la femme de McCoy est une chanteuse en herbe). Bloom pense à la lettre de Boylan de ce matin et évite d'aborder le sujet de la gestion de la tournée de Molly par Boylan. Bloom voit une publicité pour la pièce Leah. Il se souvient de l'histoire, qui met en scène Abraham, aveugle et mourant, reconnaissant la voix de son fils Nathan, perdu de vue depuis longtemps. Cela rappelle à Bloom la mort de son propre père. Bloom sort finalement sa lettre - elle contient une fleur. La lettre est de sa correspondante érotique, Martha Clifford. Elle y demande à rencontrer son correspondant en personne, le traite de "coquin" pour avoir utilisé un certain mot dans sa dernière lettre et, enfin, lui demande quel parfum utilise sa femme. Bloom remet la lettre dans sa poche. Il n'acceptera jamais de la rencontrer, mais il ira plus loin dans la formulation de sa prochaine lettre. Bloom retire l'épingle de la fleur qu'il renferme et contemple les nombreuses épingles des vêtements féminins. Une chanson lui vient à l'esprit : "O, Mairy a perdu l'épingle de ses tiroirs. . . ." Il pense aux noms de Marthe et de Marie, ainsi qu'à un tableau de la Bible représentant Marthe et Marie.

Sous un arc de chemin de fer, Bloom déchire l'enveloppe de Martha. Bloom entre par la porte arrière d'une église, lit l'avis des missionnaires et réfléchit aux tactiques à adopter pour apporter la religion aux indigènes. À l'intérieur de l'église, une cérémonie est en cours. Bloom considère que les églises offrent la possibilité de s'asseoir près de femmes séduisantes. Il pense au pouvoir de stupéfaction du latin. S'asseyant sur un banc, Bloom réfléchit au sentiment de communauté que doit procurer la communion.

Il pense à Martha qui, une minute, se montre indignement respectable à propos de sa diction, mais qui, la minute suivante, demande à le rencontrer (un homme marié). Ce décalage rappelle à Bloom le renégat Carey, qui menait une vie religieuse respectable, mais était également impliqué dans les "Invincibles" qui ont commis les meurtres de Phoenix Park. Bloom regarde le prêtre rincer le calice à vin et se demande pourquoi ils n'utilisent pas de la Guinness ou une autre boisson. En regardant la tribune du choeur, Bloom pense à l'interprétation du Stabat Mater par Molly. Alors que le prêtre termine la cérémonie, Bloom admire l'efficacité de l'institution de la confession et l'idée de réforme. La messe terminée, Bloom se lève pour partir avant que des dons ne soient demandés. Bloom vérifie l'heure et se dirige vers Sweny's pour commander la lotion de Molly, bien qu'il ait laissé la recette (ainsi que sa clé) à la maison dans son pantalon habituel.

 

Episode Six: “Hades”

Le premier voyage de l'épisode précédant se prolonge, au chapitre VI, par une traversée de la ville, du sud au nord, en direction du cimetière de Glasnevin. Bloom, entouré de Simon Dedalus, Martin Cunningham, John Henry Menton, Ned Lambert et autres Achéens, assiste aux convoi, service et inhumation d`un certain Dignam ou. pour mieux dire, d`Elpénor. L`enterrement figure, en effet, la célèbre descente à l'Hadès du chant Xl de l`Odyssée : les canaux et la Liffey représentent les quatre fleuves des Enfers, un mendiant Tirésias, un croque-mort Cerbère, un inconnu Ajax, le conservateur Pluton, etc.  Une grande partie de cet épisode semble consacrée à mettre en évidence l'isolement relatif de Bloom au sein du groupe social dans lequel il se trouve...

Bloom monte dans une calèche à la suite de Martin Cunningham, Jack Power et Simon Dedalus - ils se rendent aux funérailles de Dignam. Alors que la voiture commence à avancer, Bloom montre du doigt Stephen dans la rue. Simon, désapprobateur, demande si Mulligan est avec lui. Bloom pense que Simon est trop véhément, mais il estime que Simon a raison de veiller sur Stephen, comme Bloom l'aurait fait pour Rudy, s'il avait vécu.

Cunningham commence à décrire sa soirée au pub, puis demande à Dedalus s'il a lu le discours de Dan Dawson dans le journal de ce matin. Bloom s'apprête à sortir le journal pour Dedalus, mais ce dernier lui signale qu'il serait inapproprié de le lire maintenant. Bloom parcourt la rubrique nécrologique et vérifie qu'il a toujours la lettre de Martha. Les pensées de Bloom s'égarent rapidement vers Boylan et sa prochaine visite de l'après-midi. À ce moment-là, la voiture passe devant Boylan dans la rue et les autres hommes le saluent depuis la voiture. Bloom est troublé par cette coïncidence. Il ne comprend pas ce que Molly et les autres voient en Boylan. Power interroge Bloom sur le concert de Molly en l'appelant Madame, ce qui le met mal à l'aise.

La calèche passe devant Reuben J. Dodd, un prêteur sur gages, et les hommes le maudissent. Cunningham remarque qu'ils ont tous dû de l'argent à Dodd, sauf Bloom, comme le laisse entendre son regard. Bloom commence à raconter une histoire humoristique sur la façon dont le fils de Dodd a failli se noyer, mais Cunningham prend impoliment le relais. Les hommes cessent bientôt de rire et se souviennent tristement de Dignam. Bloom remarque qu'il est mort de la meilleure façon, rapidement et sans douleur, mais les autres hommes ne sont pas d'accord en silence - les catholiques craignent une mort soudaine car ils n'ont aucune chance de se repentir. Power déclare que la pire mort est un suicide et Dedalus est d'accord. Cunningham, sachant que le père de Bloom s'est suicidé, plaide pour une attitude charitable à son égard. Bloom apprécie la sympathie de Cunningham.

 

Episode Seven: “Aeolus”

L'épisode sept, "Aeolus", est le premier épisode dans lequel le texte semble conscient de lui-même en tant que texte. Les titres, semblables à ceux d'un journal induisent des ruptures dans la continuité littéraire du texte  et suggèrent au lecteur qu'un éditeur, un auteur ou un arrangeur extérieur en est responsable. Nous ne sommes plus impliqués dans une relation individuelle avec l'intrigue d'Ulysse - quelqu'un filtre ces informations pour nous. Cet épisode est parallèle aux conséquences de la visite d'Ulysse à Éole, le dieu des vents dans l'Odyssée. L'un des hommes d'Ulysse lui désobéit et ouvre un sac de vents qui les fait dévier de leur route. Dans l'épisode "Éole" d'Ulysse, le vent est représenté par la rhétorique venteuse utilisée dans le journalisme et l'art oratoire. Le cadre de la salle de presse du chapitre (journal Freeman), les titres de l'épisode et le discours ronflant des hommes, ainsi que la conversation sur les triomphes rhétoriques et journalistiques, soutiennent tous le thème de l'épisode. De plus, dans les titres et dans le texte général de l'épisode, plus de soixante figures rhétoriques différentes (telles que l'hyperbole, la métonymie, le chiasme) sont démontrées.

L'épisode sept rappelle également l'une des premières œuvres de Joyce, le recueil de nouvelles  "Dubliners". Plusieurs personnages de cette oeuvre apparaissent ici (Lenehan, Ignatius Gallaher), et le sentiment de futilité et de paralysie de Dubliners se retrouve dans cet épisode qui dépeint l'oisiveté, la déception et la frustration de la mi-journée. Tout comme le navire d'Ulysse a été détourné de sa route par les vents libérés du sac, plusieurs personnages sont contrariés dans leurs quêtes individuelles. Bloom ne fait pas paraître l'annonce de Keyes dans le journal, O'Molloy n'obtient pas de prêt de Crawford, Stephen n'arrive jamais à rencontrer Buck au Ship pub à midi. Si la rhétorique est un moyen d'argumenter et de convaincre les auditeurs, elle n'est pas mise à contribution ici. Peu de connexions complètes sont faites dans cet épisode - les points et les arguments s'éloignent ou sont avalés dans le bruit des salles de presse des journaux. Au lieu de cela, le langage s'efforce d'obscurcir et de diviser : les blagues internes, les remarques cryptiques et les commentaires murmurés sur scène abondent.

Ainsi, dans le centre-ville de Dublin, les tramways, les chariots postaux et les barils des porteurs roulent simultanément vers leurs destinations. Bloom se trouve dans l'arrière-boutique du Freeman pour obtenir une copie de sa publicité pour Keyes. Bloom traverse les salles d'impression jusqu'aux bureaux du Telegraph, qui appartiennent au même propriétaire que le Freeman. Il s'approche du contremaître, le conseiller municipal Nanetti, qui est italien de naissance et irlandais par choix. Nanetti parle à Hynes de son rapport sur les funérailles de Dignam. Hynes doit à Bloom trois shillings, et Bloom tente de le lui rappeler avec tact, mais Hynes ne comprend pas. Dans le bruit des presses, Bloom décrit le nouveau design de l'annonce Keyes : deux clés croisées, pour évoquer le parlement indépendant de l'île de Man et donc le rêve d'une autonomie irlandaise. Nanetti dit à Bloom de se procurer une copie de la maquette et d'obtenir de Keyes trois mois de publicité. Bloom écoute un moment le bruit des papiers qui passent dans l'imprimante, puis se dirige vers les bureaux du personnel. Bloom observe les hommes qui tapent à l'envers et pense à son père qui lisait l'hébreu, de droite à gauche. Bloom entre dans le bureau de l'Evening Telegraph, où le professeur MacHugh et Simon Dedalus écoutent Ned Lambert, qui se moque du discours patriotique exagéré de Dan Dawson, reproduit dans le journal du matin. J.J. O'Molloy entre et la poignée de la porte heurte Bloom. Bloom se souvient du passé d'O'Molloy en tant qu'avocat prometteur - O'Molloy a maintenant des problèmes d'argent. Lambert continue de se moquer du discours de Dawson-Bloom est d'accord avec les critiques mais se rappelle que de tels discours sont bien accueillis en personne. Crawford entre, saluant MacHugh avec un dégoût simulé. Dedalus et Lambert partent prendre un verre. Bloom utilise le téléphone de Crawford pour appeler Keyes. Lenehan entre avec l'édition sportive et proclame que Sceptre va gagner la course de chevaux d'aujourd'hui. Nous entendons Bloom au téléphone - il semble avoir manqué Keyes à son bureau. En rentrant dans la pièce, Bloom tombe sur Lenehan. Bloom dit à Crawford qu'il se dirige vers l'extérieur pour régler l'annonce de Keyes - Crawford n'en a cure. Une minute plus tard, MacHugh remarque par la fenêtre que les vendeurs de journaux suivent Bloom en imitant sa démarche saccadée. Lenehan l'imite aussi.

Cet épisode est aussi le premier  dans lequel Stephen et Bloom se croisent (à la toute fin de l'épisode). Stephen ignore Bloom, tandis que Bloom, à la manière d'un père, remarque les nouvelles bottes de Stephen et, avec désapprobation, le fait que Stephen a de la boue sur ses chaussures et qu'il se dirige vers le pub...

Mais une heure sonne. Bloom, en quête d`un restaurant, erre à nouveau dans les rues, y croise une dame Breen, nourrit des mouettes, et finit, au comptoir d'un café, par se sustenter d'un sandwich et d`un verre de bourgogne. Les métaphores alimentaires qui pullulent en ces pages font songer au cannibalisme féroce des Lestrygons. 

 

Episode Eight: “Lestrygonians”

Bloom est principalement seul dans l'épisode 8, "Les Lestrygoniens". Il n'a pas encore de courses à faire ; il se promène simplement dans les rues de la ville et cherche à déjeuner. Dans l'épisode quatre, Bloom nous a d'abord été présenté comme un préparateur et un mangeur de nourriture et, notamment dans les premières lignes, comme un amateur de viande. Pourtant, maintenant, en dehors de sa propre maison, la perspective d'obtenir et de manger de la nourriture est plus accablante et problématique. L'épisode huit correspond à la visite d'Ulysse sur l'île des cannibales dans l'Odyssée. Sous cette menace thématique, Bloom, qui aime la viande, choisit de ne pas manger au Burton, où les hommes s'enfoncent de la viande dans la bouche, et se rend plutôt chez Davy Byrne pour un déjeuner végétarien.

L'épisode s'ouvre à l'extérieur d'un magasin de bonbons, et la nourriture envahit les pensées de Bloom et sert de lien avec de nombreux autres sujets disparates. Les pensées relatives à la nourriture sont liées à celles des femmes enceintes, qu'il s'agisse de la faim de Molly pour certains aliments pendant sa grossesse ou de Mina Purefoy, qui est en train d'accoucher et qui a de nombreuses autres bouches à nourrir à la maison. La nourriture est liée au sexe : Bloom se souvient d'avoir fait l'amour avec Molly, il y a des années, sur une colline, alors qu'elle lui donnait un gâteau de graines dans la bouche, et il pense à la nourriture aphrodisiaque. La nourriture est liée à la politique lorsque Bloom pense aux dîners somptueux utilisés pour convertir les politiciens et à l'horreur de manger dans une société communautaire. La nourriture est liée à la créativité, Bloom se demandant si ce que A.E. et d'autres poètes mangent a une incidence sur leur poésie. Enfin, la nourriture est liée à la conception qu'a Bloom des types de "foyer". Bloom se répète la publicité pour Plumtree's qu'il a vue ce matin dans le sixième épisode ("Qu'est-ce qu'un foyer sans la viande en pot de Plumtree's ? Incomplet. Avec elle, une demeure de félicité"), reliant ainsi ce produit carné à l'aspect sinistre au bonheur conjugal.

Ainsi Bloom passe devant un magasin de bonbons. Un homme lui tend un prospectus jetable, annonçant la visite d'un évangéliste américain. Bloom pense d'abord que son propre nom figure sur le prospectus, mais il se rend compte qu'on peut y lire "Le sang de l'agneau".

Bloom croise Dilly Dedalus. Bloom a pitié des Dedalus désormais orphelins de mère. Dilly semble maigre et Bloom pense à l'inhumanité de l'Église catholique, qui oblige les parents à avoir plus d'enfants qu'ils ne peuvent en nourrir. Bloom traverse le pont O'Connell et jette la poubelle par-dessus bord. Il achète deux gâteaux Banbury pour nourrir les mouettes. Il remarque une publicité sur une barque dans le port. Il pense à d'autres endroits efficaces pour les publicités, comme placer un dépliant sur les maladies sexuellement transmissibles dans une salle de bains. Bloom se demande soudain si Boylan a une MST.

Bloom pense à un concept d'astronomie qu'il n'a jamais vraiment compris : la "parallaxe". Bloom se souvient de la conversation de ce matin sur la "métempsycose". Une file d'hommes portant des panneaux sandwichs publicitaires pour Wisdom Hely's passe. Lorsque Bloom travaillait chez Hely's, ses employeurs ont rejeté son idée publicitaire consistant à faire écrire des femmes dans un chariot transparent sur du papier à lettres Hely's. Bloom essaie de se souvenir de l'endroit où Molly et lui vivaient à l'époque.

Bloom rencontre Josie Breen, qu'il a déjà courtisée. Elle est maintenant mariée à Denis Breen, qui est mentalement déséquilibré. M. Breen a reçu une carte postale anonyme ce matin, sur laquelle on pouvait lire de façon cryptique : "u.p. : up". Aujourd'hui, il tente d'intenter une action en justice contre cette blague. Bloom s'enquiert d'une amie commune, Mina Purefoy, qui est en travail à la maternité depuis trois jours. Tandis que Bloom et Mme Breen discutent, un autre fou de Dublin passe en trombe - Cashel Boyle O'Connor Fitzmaurice Tisdall Farrell.

Bloom poursuit sa route, passe devant les bureaux de l'Irish Times et se souvient de l'annonce qu'il avait passée pour trouver une dactylo qui avait attiré Martha. Il a reçu une autre candidature - Lizzie Twigg - mais elle a offert A.E. comme référence et semblait donc trop littéraire, voire laide. Ses pensées se tournent vers Mina Purefoy et ses grossesses perpétuelles.

En passant devant un groupe de policiers, Bloom se souvient avoir vu un policier à cheval poursuivre un groupe d'étudiants en médecine qui criaient des sentiments anti-britanniques. Bloom devine que ces étudiants en médecine font probablement maintenant partie des institutions qu'ils critiquaient. Il pense à d'autres renégats, comme Carrey des Invincibles et les domestiques qui dénoncent leurs employeurs.

 

Episode Nine: “Scylla and Charybdis”

Et voici que les ragoûts dont le fumet inspirait le récit du précédent épisode se changent, au chapitre suivant, en nourritures spirituelles. A trois heures, dans une bibliothèque, Stephen expose à quelques intellectuels sa conception d`Hamlet et du drame shakespearien. Une discussion s'ensuit, ponctuée d'un discret passage de Bloom entre deux portes, la dialectique qui régit les propos va louvoyant entre Platon et Aristote, le conformisme et l`avant-garde, le vice et la vertu, comme Ulysse entre Charybde et Scylla.

Dans le bureau du directeur de la Bibliothèque nationale, peu après 13 h, Stephen présente avec désinvolture sa " théorie d'Hamlet " à John Eglinton, critique et essayiste, A.E., poète, et Lyster, bibliothécaire et quaker. Stephen soutient que Shakespeare s'est associé au père d'Hamlet, et non à Hamlet lui-même. Au début de l'épisode, Stephen est impatient de voir les hommes plus âgés répéter des idées reçues sans originalité sur Shakespeare. John Eglinton remet Stephen à sa place en lui posant des questions moqueuses sur ses propres réalisations littéraires ou son absence de réalisations. Dans son coin, A.E. exprime son dédain pour la théorie d'Hamlet de Stephen, soutenant que la critique biographique est inutile car il faut se concentrer uniquement sur la profondeur exprimée par l'art. Stephen répond aux moqueries d'Eglinton sur sa jeunesse en rappelant qu'Aristote a été l'élève de Platon. Stephen montre sa connaissance des travaux des philosophes.

M. Best, le bibliothécaire, entre - il a montré à Haines les Lovesongs of Connacht de Douglas Hyde. A.E. exprime sa préférence pour les poèmes pastoraux de Hyde. Stephen poursuit sa théorie en esquissant une scène du Londres de Shakespeare : Shakespeare marche le long de la rivière jusqu'à sa propre représentation d'Hamlet où il joue non pas Hamlet mais le fantôme du père d'Hamlet. Stephen soutient qu'Hamlet correspond ainsi au fils mort de Shakespeare, Hamnet, et que l'infidèle Gertrude représente la femme adultère de Shakespeare, Ann Hathaway. A.E. répète qu'un critique doit se concentrer sur l'œuvre elle-même, et non sur les détails de la vie personnelle du poète, comme ses habitudes de consommation ou ses dettes. Stephen rappelle qu'il doit lui-même de l'argent à A.E..

Eglinton soutient qu'Ann Hathaway n'a pas d'importance historique et il cite des biographes qui décrivent le mariage précoce de Shakespeare avec Ann Hathaway comme une erreur - une erreur qu'il a rectifiée en allant à Londres. Stephen rétorque que les génies ne font pas d'erreurs. Lyster revient dans la pièce. Stephen, s'appuyant sur les intrigues et l'imagerie des premières pièces, démontre que la vieille Ann a séduit le jeune Shakespeare à Stratford.

 

Episode Ten: “The Wandering Rocks”

L'épisode dix, "The Wandering Rocks", sert d'interlude entre les neuf premiers et les derniers épisodes. La technique de l'épisode est quelque peu cinématographique. L'épisode dans son ensemble donne l'impression d'une vue large de toute la ville de Dublin, avec des personnages qui se déplacent partout, tandis que les dix-neuf sous-sections, et les coupures à l'intérieur de celles-ci, fonctionnent comme des gros plans qui changent rapidement. En conséquence, la majeure partie de l'épisode est centrée sur les extérieurs, les apparitions et les mouvements. Peu de personnages ont droit à plus d'une ligne ou deux de monologue intérieur. Les "rochers errants" de l'Odyssée étaient apparemment des rochers qui changeaient de position dans la brume et pouvaient faire chavirer un navire (Ulysse ne les a jamais traversés). Les "rochers errants" de Joyce dans le dixième épisode sont représentés par des pièges textuels pour le lecteur. Le type de piège le plus courant est l'interpolation d'une ou deux lignes qui décrit soudainement une action se déroulant ailleurs. Ces pièges textuels font paraître le narrateur particulièrement habile ou obtus. L'épisode est encadré à chaque extrémité par une progression étendue - le voyage du père Conmee vers une école de banlieue au début, et la progression de la cavalcade vice-royale de Phoenix Park au bazar de Mirus à la fin.

Le père John Conmee se rend de son presbytère de Dublin à une école de banlieue pour essayer de faire admettre gratuitement le fils de Patrick Dignam. Conmee marche jusqu'à la station de tramway, croisant en chemin un marin unijambiste, trois écoliers et d'autres personnes. Conmee monte dans un tramway en partance, remarque une affiche d'Eugene Stratton, un ménestrel noir, et pense au travail des missionnaires. Conmee descend à Howth road, sort son bréviaire (livre de prières) et lit pour lui-même en marchant. Devant lui, un jeune couple sort de la haie avec un air coupable. Conmee les bénit. Le marin unijambiste remonte Eccles street en béquilles, chantant une chanson anglaise patriotique et demandant l'aumône. Il passe devant Katey et Boody Dedalus. Le bras d'une femme (Molly) jette une pièce par la fenêtre pour le marin. Katey et Boody Dedalus entrent dans leur cuisine, où leur sœur Maggy fait la lessive. Les sœurs Dedalus discutent du manque d'argent et de nourriture de la famille - sœur Mary Patrick leur a fait don d'une soupe aux pois. Maggy explique que Dilly est parti voir leur père, Simon Dedalus. Le jetable que Bloom a jeté dans la rivière dans l'épisode 8 flotte sur la rivière.

Une vendeuse prépare un panier de nourriture pour Blazes Boylan. Boylan écrit l'adresse de livraison et regarde la chemise de la fille. Il prend une fleur rouge pour son revers et demande à utiliser son téléphone. Stephen rencontre son professeur de chant, Almidano Artifoni, dans la rue devant le Trinity College. Artifoni tente de persuader Stephen de poursuivre une carrière musicale à Dublin. Stephen est flatté. Artifoni court pour attraper un tram. Miss Dunne, la secrétaire de Blazes Boylan, range le roman qu'elle lit. Elle rêve de sortir ce soir. Boylan appelle. Miss Dunne dit à Boylan que Lenehan sera à l'hôtel Ormond à quatre heures. Ned Lambert rencontre J.J. O'Molloy et le révérend Hugh C. Love pour faire visiter au révérend l'abbaye de Sainte-Marie (maintenant l'entrepôt de Lambert). Lambert discute de l'histoire de l'abbaye avec Love, qui écrit un livre d'histoire. Lambert et O'Molloy discutent des problèmes d'argent d'O'Molloy.

Tom Rochford montre son invention, un mécanisme permettant de suivre les courses de paris, à Nosey Flynn, McCoy et Lenehan. Lenehan promet de parler à Boylan cet après-midi au sujet de l'invention de Rochford. McCoy et Lenehan partent ensemble. Lenehan se réfugie dans un bureau de paris pour vérifier le prix de Sceptre, son choix pour la course de la Gold Cup. Lenehan réapparaît et signale à McCoy que Bantam Lyons est à l'intérieur en train de parier sur un cheval peu probable (le cheval que Lyons pense que Bloom lui a conseillé dans le cinquième épisode). Les deux hommes aperçoivent Bloom en train de fouiller dans le chariot d'un libraire situé à proximité. Lenehan prétend avoir tripoté une Molly consentante. McCoy prend la défense de Bloom, qui, selon lui, a un côté artistique.

Bloom regarde les livres dans le chariot d'un libraire et se décide pour Sweets of Sin pour Molly.

Dans la salle des ventes de Dillon, le laqueur sonne la cloche. Dilly Dedalus attend son père à l'extérieur. Simon sort et Dilly lui demande de l'argent. Il lui remet un shilling qu'il a emprunté à Jack Power. Dilly soupçonne qu'il a plus d'argent, mais Simon s'éloigne d'elle.

La cavalcade vice-royale a commencé son voyage à travers la ville.

Tom Kernan passe devant l'endroit où le patriote Robert Emmet a été pendu, et pense à Ben Dollard qui chante "The Croppy Boy". Kernan aperçoit la cavalcade vice-royale, mais fait signe trop tard. Stephen regarde des bijoux dans une vitrine, puis parcourt le chariot d'un libraire. Sa sœur Dilly l'aborde et demande à Stephen si un abécédaire français qu'elle vient d'acheter est bon. Stephen pense à Dilly, qui a ses yeux et son esprit vif, mais qui est prise dans la situation désespérée de la maison familiale. Stephen est pris entre l'envie de sauver Dilly et les autres et l'envie de leur échapper complètement. Bob Cowley accueille Simon Dedalus et ils discutent de la dette de Cowley envers Reuben J. Dodd, l'usurier. Ben Dollard arrive avec des conseils sur la dette de Cowley. Martin Cunningham, ainsi que Jack Power et John Wyse Nolan, organisent une collecte pour les enfants Dignam. Nolan note ironiquement le généreux don de cinq shillings de Bloom. Cunningham, Power et Nolan rencontrent John Henry, le secrétaire de mairie adjoint, et John Fanning, le shérif adjoint. Buck Mulligan et Haines sont assis dans un café, où le frère de Parnell joue aux échecs dans un coin. Haines et Mulligan discutent de Stephen - Haines pense que Stephen est mentalement déséquilibré. Mulligan est d'avis que Stephen ne sera jamais un vrai poète, car il a été endommagé par les visions catholiques de l'enfer. Tisdall Farrell marche derrière Almidano Artifoni en zigzag et percute l'aveugle que Bloom a aidé à la fin du huitième épisode. Le fils de Dignam, Patrick junior, rentre chez lui en portant des porkteaks. Il croise d'autres écoliers et se demande s'ils sont au courant de la mort de son père. Il pense à la sortie du cercueil de son père et à la dernière fois qu'il a vu son père, qui était ivre et sortait au pub. La progression de la cavalcade vice-royale (contenant entre autres William Humble, comte de Dudley et Lady Dudley) est suivie, de la loge vice-royale dans le parc Phoenix au bazar Mirus. Il passe devant un grand nombre des personnes que nous avons vues jusqu'à présent dans le chapitre. La plupart d'entre eux remarquent, et certains saluent la cavalcade.

 

Episode Eleven: “Sirens”

Dans l'Odyssée, Ulysse ordonne à ses hommes de l'attacher au mât de son navire et de se boucher les oreilles afin qu'ils ne succombent pas au beau chant des sirènes et ne soient pas détournés vers la mort. Ulysse choisit d'être attaché et de garder ses oreilles débouchées car il ne peut supporter l'idée de ne pas entendre la musique des sirènes. Le onzième épisode d'Ulysse se concentre donc sur la musique. L'épisode se déroule vers quatre heures et plus de l'après-midi, au bar-restaurant Ormond où Simon Dedalus, Ben Dollard et Bob Cowley divertissent la petite foule du dîner de l'après-midi avec des chansons d'amour d'opéra et une ballade nationaliste. Le style narratif renforce l'accent mis sur la musique. La première section de phrases disjointes fonctionne comme une sorte d'ouverture musicale ou d'échauffement. Le "jingle" entrecoupé de la voiture de Boylan, combiné au son récurrent du "tap" de la canne de l'accordeur de piano aveugle, fournit une sorte de section rythmique sous-jacente à l'épisode proprement dit. Les sirènes elles-mêmes sont en partie représentées par les belles et séduisantes serveuses. Bloom est attiré par leurs charmes, surtout vers la fin de l'épisode, lorsqu'il reste plus longtemps que prévu à observer Mlle Douce. Les sirènes sont également représentées par Simon Dedalus, Ben Dollard et Bob Cowley dans le saloon. Leurs interprétations de chansons d'amour nostalgiques tiennent en haleine tout le bar et la salle à manger. 

Les barmaids de l'hôtel Ormond, Lydia Douce et Mina Kennedy, s'efforcent de voir la cavalcade vice-royale par la fenêtre, puis bavardent et ricanent en prenant leur thé. Pendant ce temps, Bloom passe devant les vitrines des magasins voisins. Simon Dedalus entre dans le bar Ormond, suivi de Lenehan, à la recherche de Boylan. Les barmaids leur servent des boissons et discutent de l'accordeur de piano aveugle qui a accordé le piano de l'Ormond plus tôt dans la journée. Dedalus teste le piano dans le saloon. Boylan arrive et flirte avec Miss Kennedy pendant que lui et Lenehan attendent les résultats de la course de la Gold Cup. Entre-temps, alors qu'il achète du papier pour écrire à Martha, Bloom a remarqué la voiture de Boylan sur Essex Bridge. Conscient que le rendez-vous de Boylan avec Molly approche à grands pas, Bloom décide de suivre la voiture jusqu'à l'hôtel Ormond. À l'extérieur de l'hôtel, Bloom rencontre Richie Goulding et accepte de dîner avec lui à l'intérieur - Bloom a l'intention d'interroger Boylan. Ils s'assoient dans la salle à manger.

Boylan et Lenehan, en sortant, croisent Bob Cowley et Ben Dollard en entrant. Dans la salle à manger, Pat le serveur prend les commandes de boissons de Goulding et de Bloom. Bloom entend le tintement de la voiture de Boylan qui s'éloigne et manque de sangloter d'angoisse. Dans le saloon, Dedalus et Dollard se souviennent de concerts vocaux passés et de la fois où Dollard a dû emprunter des vêtements de soirée à la friperie des Bloom pour une représentation. Les hommes discutent de Molly de manière appréciative. Dans la salle à manger, Bloom pense lui aussi à Molly, tandis que Pat sert le dîner. Ben Dollard chante "Love and War", et Bloom le reconnaît depuis la salle à manger. Il pense à la nuit où Dollard a emprunté une tenue de soirée dans la boutique de Molly. Dans le saloon, Dedalus est encouragé à chanter "M'appari", la chanson du ténor de Martha. Goulding se souvient des représentations d'opéra. Bloom pense avec sympathie au mal de dos chronique de Goulding et sans empathie à sa tendance à mentir. Dans le saloon, Dedalus commence à chanter "M'appari". Goulding reconnaît Dedalus en train de chanter. Bloom pense au talent vocal de Dedalus, gâché par la boisson. Bloom réalise que la chanson est de Martha - une coïncidence, car il était sur le point d'écrire à Martha Clifford. Touché par la musique, Bloom se souvient de sa première rencontre fatidique avec Molly. La chanson se termine sous les applaudissements. Tom Kernan entre dans le bar. Bloom médite sur la brouille entre Dedalus et Goulding. En ruminant les paroles mélancoliques de "M'appari", Bloom pense à la mort et à l'enterrement de Dignam ce matin. Bloom réfléchit aux mathématiques de la musique et au fait que Milly n'a aucun goût en matière de musique. Bloom commence à écrire une lettre à Martha. Il recouvre la page de son journal et dit à Goulding qu'il répond à une annonce. Bloom écrit des lignes coquettes et joint une demi-couronne. Bloom s'ennuie dans cette correspondance. Bloom regarde Mlle Douce flirter au bar. Cowley joue le menuet de Don Giovanni. Bloom pense à l'omniprésence de la musique dans le monde, aux voix chantées des femmes et à l'érotisme de la musique acoustique. Il s'imagine que Boylan est en train d'arriver pour rencontrer Molly. En effet, Boylan est en train de frapper à la porte des Blooms. Tom Kernan demande "The Croppy Boy" (une chanson nationaliste sur un jeune membre de la rébellion de 1798 piégé et pendu par un Britannique déguisé en prêtre de sa confession). Bloom se prépare à partir - Goulding est déçu. Tous sont silencieux pendant la chanson. Bloom observe Mlle Douce et se demande si elle remarque qu'il la regarde. Bloom entend la réplique selon laquelle le Croppy Boy est le dernier de sa race et pense à sa propre lignée familiale rabougrie. Bloom continue de regarder Mlle Douce, qui passe sa main autour de la tireuse à bière phallique. Bloom se réveille enfin. Il dit au revoir à Goulding, vérifie ses affaires et s'esquive dans le couloir avant que les acclamations n'éclatent à la fin de la chanson. Bloom marche vers le bureau de poste, se sentant gazeux à cause du cidre. Il regrette d'avoir pris rendez-vous à 17 heures avec Cunningham pour discuter de l'assurance des Dignam. Bloom pense avec scepticisme que le Croppy Boy aurait dû remarquer que le prêtre était un soldat britannique déguisé. De retour à l'Ormond, quelqu'un mentionne à Dedalus que Bloom était là et qu'il vient de partir - ils discutent du talent vocal de Bloom et de Molly. L'accordeur de piano aveugle arrive enfin pour récupérer son diapason. Bloom aperçoit Bridie Kelly, une prostituée locale avec laquelle il a déjà eu une rencontre. Il l'évite en regardant dans une vitrine une photo du patriote irlandais Robert Emmet et ses célèbres derniers mots. Bloom lit le discours pour lui-même, tout en pétant sous le couvert d'un tramway qui approche bruyamment.

 

Episode Twelve: “Cyclops”

L'épisode douze, "Cyclope", représente un point culminant, toutes les tensions qui se sont accumulées autour de Bloom dans les autres épisodes  atteignent leur paroxysme. Ici aussi, pour la première fois, nous n'avons pas de monologue intérieur de Stephen ou de Bloom. Au lieu de notre habituel narrateur à la troisième personne, c'est un narrateur à la première personne, sans nom, qui donne une vue biaisée des événements chez Barney Kiernan, avec son propre commentaire satirique. En plus des commentaires du narrateur à la première personne, trente-deux passages intercalés de prose expriment une diversité de styles. Ces interpolations sont uniques jusqu'à présent dans Ulysse car elles semblent changer le cadre de l'épisode - elles s'éloignent de celles de Barney Kiernan pour décrire des scènes aussi diverses qu'un procès, une session parlementaire et une pendaison publique. Ils nous donnent un aperçu de ce qui est à venir dans le roman, en particulier la séquence onirique de l'épisode quinze. Bien que les styles et les contextes des trente-deux passages diffèrent, ils sont similaires dans leur qualité hyperbolique. Aucune des scènes n'est réaliste - toutes sont exagérées, certaines contenant des listes qui s'étendent sur plus d'une demi-page.  

Le citoyen, qui n`est autre que le Cyclope Polyphème, représente ici un type particulier de nationalisme irlandais qui se fonde sur une idée de pureté raciale. La logique du "nous-contre-eux" du citoyen lui permet de soutenir sa mission personnelle et nationale à l'esprit unique. Le citoyen est capable de reconnaître la brutalité et la faillite morale qui sous-tendent l'Empire britannique, mais il ne peut reconnaître ces mêmes qualités dans la société irlandaise. Ici, les passages hyperboliques interviennent pour renforcer la satire, comme lorsque la prose ressemblant à celle de la page mondaine d'un journal décrit la jubilation et la sentimentalité d'une foule dublinoise lors d'une pendaison publique.  

Le narrateur rencontre ainsi Joe Hynes dans la rue, et accepte de prendre un verre au pub de Barney Kiernan pour que Hynes puisse parler au citoyen de la réunion sur le bétail atteint de la fièvre aphteuse. Un passage dans le style des anciennes sagas celtiques décrit le marché qu'ils traversent comme un pays d'abondance. Arrivés au pub, ils saluent le citoyen et son chien, Garryowen. Le citoyen est décrit en long et en large, de façon simulée et héroïque. Alf Bergan entre, se moquant de Denis Breen, qui se promène dehors avec sa femme. Bergan raconte l'histoire de la carte postale "U.p : up" de Breen et commande une Guinness au barman. Le breuvage est décrit avec amour. Le citoyen remarque que Bloom fait les cent pas dehors et se demande avec hostilité ce qu'il fait - il qualifie Bloom de franc-maçon. La conversation passe à Paddy Dignam. Une séance de spiritisme au cours de laquelle l'âme de Dignam apparaît est décrite. Bob Doran (un personnage de Dubliners) s'insurge contre la cruauté de Dieu qui a emporté Dignam. Le narrateur note avec dégoût que Doran est en train de faire sa beuverie annuelle.

Bloom entre - il est censé rencontrer Martin Cunningham. Hynes tente d'offrir un verre à Bloom, mais ce dernier refuse poliment. Le sujet des pendaisons est abordé, et Bloom parle avec pédanterie de la peine capitale. Le citoyen domine la conversation, rappelant les nationalistes irlandais pendus. Le narrateur observe Bloom et pense avec mépris à Molly - le narrateur en sait assez long sur les Bloom, grâce à Pisser Burke, qui a un lien avec eux. Bloom essaie de faire une remarque sur les pendaisons, mais le citoyen l'interrompt avec des sentiments nationalistes étroits. Un passage de prose journalistique décrit le spectacle public de la pendaison d'un martyr.

 

Episode Thirteen: “Nausicaa”

Un récit mièvre et cliché à la troisième personne décrit une soirée d'été sur Sandymount Strand, près de l'église Mary, Star of the Sea.  Gerty MacDowell correspond à la princesse Nausicaa, qui, dans L'Odyssée, découvre Ulysse endormi sur la plage et le soigne. Gerty, associée au bleu et au blanc, semble également correspondre à la Vierge Marie. Bloom se tient face à la plage avec trois amies - Cissy Caffrey, Edy Boardman et Gerty MacDowell - et leurs enfants : les petits frères jumeaux de Cissy et le petit frère d'Edy. Cissy et Edy s'occupent des bébés et taquinent de temps en temps Gerty, qui est assise à une certaine distance. Le récit décrit avec sympathie la beauté de Gerty et décrit les produits commerciaux qu'elle utilise pour conserver son apparence. L'amoureux de Gerty, le garçon qui passe devant chez elle à bicyclette, s'est montré distant ces derniers temps. Gerty rêve de mariage et de vie domestique avec un homme fort et silencieux. Pendant ce temps, Edy et Cissy s'occupent bruyamment des disputes des enfants. Gerty est mortifiée par les obscénités de ses amies, surtout devant le gentleman (Bloom). Tout près de là, à l'église Star of the Sea, une retraite de tempérance pour hommes commence par une supplique à la Vierge.

Les enfants frappent trop loin dans leur ballon. Bloom le ramasse et le renvoie - le ballon roule et s'arrête sous la jupe de Gerty. Gerty tente d'envoyer le ballon à Cissy, mais elle le rate. Gerty sent le regard de Bloom sur elle et remarque son visage triste. Elle imagine qu'il s'agit d'un étranger en deuil qui a besoin de son réconfort. Gerty montre ses chevilles et ses cheveux à Bloom, sachant qu'elle l'excite.

Gerty s'interroge à haute voix sur l'heure qu'il est, espérant que Cissy et Edy ramèneront les enfants à la maison. Cissy s'approche de Bloom et lui demande l'heure. La montre de Bloom s'est arrêtée. Gerty regarde Bloom remettre ses mains dans ses poches et sent le début de son cycle menstruel. Elle souhaite ardemment connaître l'histoire de Bloom - est-il marié ? Veuf ? Lié par devoir à une folle ?

Cissy et les autres se préparent à partir quand le feu d'artifice du bazar de Mirus commence. Ils courent sur la plage pour regarder, mais Gerty reste. Gerty se penche en arrière, tenant son genou dans ses mains, dévoilant sciemment ses jambes, tandis qu'elle regarde un feu d'artifice de type "longue chandelle romaine" s'élever dans le ciel. Au point culminant de l'épisode et des émotions de Gerty (et du propre orgasme de Bloom, nous le réalisons bientôt), la chandelle romaine éclate dans les airs, aux cris de "O ! O !" sur le sol.

Alors que Gerty se lève et commence à marcher vers les autres, Bloom se rend compte qu'elle est boiteuse d'un pied. Il est choqué et apitoyé, puis soulagé de ne pas l'avoir su lorsqu'elle l'excitait. Bloom réfléchit à l'attrait sexuel des anomalies, puis aux pulsions sexuelles des femmes, exacerbées par leurs cycles menstruels. Se souvenant des deux amies de Gerty, il considère la compétitivité des amitiés féminines, comme celle de Molly avec Josie Breen. Bloom se souvient que sa montre était arrêtée à 4 h 30 et se demande si c'est à ce moment-là que Molly et Boylan ont eu des rapports sexuels.

Bloom réarrange sa chemise tachée de sperme et réfléchit à des stratégies pour séduire les femmes. Bloom se demande si Gerty a remarqué qu'il se masturbe - il suppose que oui, car les femmes sont très conscientes. Il se demande brièvement si Gerty est Martha Clifford. Bloom pense à la rapidité avec laquelle les filles deviennent mères, puis à Mme Purefoy à la maternité voisine. Bloom réfléchit au " magnétisme " qui pourrait expliquer que sa montre se soit arrêtée lorsque Boylan et Molly étaient ensemble, peut-être le même magnétisme qui attire les hommes et les femmes ensemble.

Bloom sent le parfum de Gerty dans l'air - une odeur bon marché, qui n'a rien à voir avec le parfum complexe de Molly, l'opoponax. Bloom sent l'intérieur de son gilet, se demandant ce que serait l'odeur d'un homme. L'odeur du savon au citron lui rappelle qu'il a oublié de prendre la lotion de Molly.

Un "noble" passe devant Bloom. Bloom s'interroge sur cet homme et envisage d'écrire une histoire intitulée "L'homme mystérieux sur la plage". Cette pensée lui rappelle l'homme au macintosh à l'enterrement de Dignam. En regardant le phare de Howth, Bloom pense à la science de la lumière et des couleurs, puis à la journée qu'il y a passée avec Molly. Maintenant, Boylan est avec elle. Bloom se sent vidé. Il remarque que la messe semble être terminée. Le facteur fait sa tournée de neuf heures avec une lampe. Un vendeur de journaux crie les résultats de la course de la Gold Cup.

Bloom décide de ne pas rentrer chez lui tout de suite. Il reconsidère l'incident survenu chez Barney Kiernan - peut-être le citoyen ne voulait-il pas faire de mal. Bloom pense à sa visite du soir chez Mme Dignam. Bloom essaie de se souvenir de son rêve de la nuit dernière. Molly était vêtue d'une culotte turque et de pantoufles rouges.

Bloom ramasse un morceau de papier égaré, puis un bâton. Se demandant si Gerty reviendra demain, il commence à lui écrire un message dans le sable - "I AM A" - mais s'arrête faute de place. Il efface les lettres et jette le bâton, qui atterrit tout droit dans le sable. Il décide de faire une courte sieste, et ses pensées sont embrouillées par le sommeil. Bloom s'assoupit alors qu'un coucou sonne dans la maison du prêtre, non loin de là...

 

Ulysses from 10 PM – 2 AM

Bloom se rend à la maternité à 22 heures pour voir comment Mina Purefoy se porte. Stephen et plusieurs de ses amis de l'école de médecine sont également à l'hôpital, où ils boivent et plaisantent sur des sujets liés au travail et à l'accouchement. Bien qu'il désapprouve en privé le fait qu'ils fassent la fête en raison des problèmes de Mme Purefoy à l'étage, Bloom accepte de se joindre à eux. Lorsque Buck se présente, les hommes se rendent au pub de Burke. À la fermeture, Bloom, se sentant protégé, suit Stephen et son compagnon Lynch dans le quartier des bordels de la ville.

Dans le bordel, Stephen et Bloom affrontent leurs démons intérieurs et vivent des expériences cathartiques. Certains soldats britanniques sont offensés par Stephen ; Bloom fait office de médiateur et ils sont relâchés. Ils font une sieste dans un refuge tenu par un chauffeur de taxi pour les vagabonds de fin de soirée comme les cochers de fiacre, avant de se rendre à la résidence de Bloom. En buvant du cacao dans la cuisine, Stephen décide de ne pas passer la nuit. 

Le dernier épisode est raconté par Molly, qui parle d'amour, de mariage et de sa relation avec Bloom. Lorsque Bloom s'endort enfin, Molly ne s'endort pas car elle a été surprise par son offre de petit-déjeuner au lit. Ses pensées s'égarent vers Stephen Dedalus, sa carrière de chanteuse, le temps passé à faire l'amour avec Boylan l'après-midi et sa jeunesse à Gibraltar. Tout au long du monologue, elle a un large éventail d'opinions sur Bloom, mais il se termine par un souvenir de leur échange privé à Howth et une déclaration de soutien.

 

Bloom wanders over to the maternity facility at 10:00 PM to see how Mina Purefoy is doing. Stephen and several of his medical school friends are also at the hospital, drinking and joking about labor and delivery-related topics. Despite privately disapproving of their partying in light of Mrs. Purefoy’s problems upstairs, Bloom agrees to join them. When Buck shows up, the men head to Burke’s pub. At closure, Bloom, feeling protective, follows Stephen and his companion Lynch to the brothel district of the city.

In the brothel, Stephen and Bloom confront their inner demons and have cathartic experiences. Some British soldiers are offended by Stephen; Bloom mediates the situation, and they are released. They take a nap in a shelter run by a cab driver for late-night wanderers like carriage drivers before heading to Bloom’s residence. While drinking cocoa in the kitchen, Stephen decides not to spend the night. The final episode is narrated by Molly, who discusses love, marriage, and her relationship with Bloom. When Bloom finally nods off, Molly doesn’t go to sleep since she was taken aback by his offer for breakfast in bed. Her thoughts stray to Stephen Dedalus, her singing career, her time spent having sex with Boylan in the afternoon, and her youth in Gibraltar. Throughout the monologue, she has a wide range of opinions about Bloom, but it concludes with a memory of their private exchange at Howth and a supportive statement.

 


Episode Fourteen: “Oxen of the Sun”

L'épisode quatorze, "Les bœufs du soleil", correspond à la visite d'Ulysse sur l'île d'Hélios dans l'Odyssée. Ulysse avertit ses hommes de ne pas toucher au bétail qui est sacré pour Hélios, mais les hommes abattent le bétail pour se nourrir pendant qu'Ulysse dort. Zeus venge Hélios - seul Ulysse vit, et son voyage de retour à Ithaque est encore retardé. Joyce met en évidence la correspondance en partie grâce à une multitude d'images de bétail et principalement grâce au thème de la profanation du sacré. L'épisode quatorze de Joyce, qui se déroule dans une maternité lors de la naissance du fils de Mina Purefoy, se concentre sur la fertilité. Le thème de la profanation du sacré est donc représenté par la discussion blasphématoire de la grossesse et de la naissance. Dans le cadre plus large de la maternité, ainsi que dans le cadre plus restreint de la réunion festive d'étudiants en médecine et d'amis, les aspects personnels, privés et féminins de la grossesse et de la naissance sont occultés, tandis que les aspects sociaux, cliniques, politiques, juridiques et économiques sont mis en avant. Bien que leur conversation soit centrée sur les mères et l'accouchement, les jeunes hommes ignorent les efforts hors scène de Mina Purefoy. Seul Bloom respecte le caractère sacré de l'heure de l'accouchement et reste à l'écart des réjouissances. Le thème des crimes contre la fertilité sacrée est mis en évidence dans le sujet controversé du contrôle des naissances.

Le style de l'épisode quatorze, l'un des plus difficiles du roman, consiste à imiter les étapes chronologiques de la croissance de la langue anglaise, en commençant par la prose en latin et en moyen anglais jusqu'au chaos de l'argot du vingtième siècle. La progression de la langue est, à son tour, censée correspondre à la période de gestation de neuf mois qui mène à la naissance humaine. Les imitations des styles de différentes époques et d'écrivains éminents semblent parodiques car les styles sont quelque peu exagérés (certains plus que d'autres), mais il n'est pas une image, pas un accord, pas une nuance de cette composition qui ne réponde à des règles précises, des rapports bien calculés, et de très savantes intentions. L'effet final est d'enfoncer le clou de ce qui a été dit plus subtilement dans les épisodes douze et treize : le style narratif contient une idéologie intégrée qui affecte ce qui est rapporté et comment cela est rapporté. Joyce le montre en permettant à chaque style différent de graviter vers son sujet normal. Ainsi, le style moral-allégorique de John Bunyan explore l'éloignement de Stephen de la piété de sa jeunesse ; le passage de Defoe est consacré à la description des bons à rien Lenehan et Costello ; et le style sentimental de Charles Dickens raconte les pensées maternelles louables de Mina Purefoy. Les différents jugements moraux exprimés par les divers styles sont également mis en évidence - la compassion de Bloom est vénérée dans la section en prose moyen-anglaise, tandis que l'hypocrisie de la désapprobation de Bloom (à l'égard des jeunes hommes) est sévèrement révélée dans le style de prose satirique de Junius.

La prose latine, puis l'anglo-saxonne allitérative, nous situent à la maternité de Holles Street, dirigée par Sir Andrew Horne. Bloom arrive aux portes de l'hôpital, venu prendre des nouvelles de Mme Purefoy. L'infirmière Callan, une connaissance de Bloom, lui ouvre la porte et le fait entrer. Leur conversation sur Mme Purefoy, en travail depuis trois jours, est décrite dans une prose médiévale moralisatrice. L'apparition de Dixon, un étudiant en médecine, dans une pièce bruyante au bout du couloir, est décrite dans un style médiéval-romantique. Dixon, qui a déjà soigné Bloom pour une piqûre d'abeille, l'invite à entrer dans la pièce où Lenehan, Crotthers, Stephen, Punch Costello et les étudiants en médecine Lynch et Madden sont réunis autour d'un plat de sardines et de bière. Dixon verse à Bloom une bière, que Bloom dépose discrètement dans la coupe de son voisin. Une religieuse se présente à la porte et demande le calme.

Les hommes discutent de cas médicaux dans lesquels le médecin doit choisir entre sauver la mère ou le bébé - Stephen évoque l'aspect religieux de cette question tandis que les autres plaisantent sur la contraception et le sexe. Bloom est sombre, il pense à Mme Purefoy et à l'accouchement de Molly avec Rudy. Bloom pense à Stephen, imaginant qu'il perd son temps avec ces hommes.

Stephen verse de la bière et réfléchit aux problèmes de la grossesse de Marie et de Jésus, dans une prose élisabéthaine. Punch Costello l'interrompt avec une chanson paillarde sur une femme enceinte. L'infirmière Quigley vient à la porte et les fait taire. Les taquineries des hommes à l'égard de Stephen sur la piété de sa jeunesse sont décrites dans une prose du début du XVIIe siècle. Un coup de tonnerre éclate. Bloom remarque que Stephen est vraiment effrayé par cette preuve de la colère de Dieu, et il tente de le calmer en lui expliquant la science du tonnerre.

La rencontre de Buck Mulligan avec Alec Bannon dans la rue voisine est décrite dans le style d'un journal du XVIIe siècle. Alec parle à Buck d'une fille qu'il fréquente à Mullingar (Milly Bloom). Les deux hommes marchent ensemble jusqu'à l'hôpital de la rue Holles.

Les personnages bons à rien de Lenehan et Costello sont décrits dans le style prose de Daniel Defoe. Le sujet de la lettre de Deasy et de la santé du bétail est abordé. Il s'ensuit une longue blague allégorique sur les bulles papales, Henry VIII et les relations entre l'Angleterre et l'Irlande. L'arrivée de Buck est décrite dans le style des essais d'Addison et de Steele. Buck plaisante sur sa nouvelle profession de "fertilisant" pour toutes les femmes qui viennent. Une conversation secondaire entre Crotthers et Bannon au sujet de Milly et de l'intention de Bannon d'acheter un contraceptif à Dublin est décrite dans le style de Lawrence Sterne. Les hommes discutent par euphémisme de différentes méthodes contraceptives.

Le style du XVIIIe siècle d'Oliver Goldsmith suit. L'infirmière Callan convoque Dixon : Mme Purefoy a donné naissance à un fils. Les hommes discutent licencieusement de l'infirmière Callan. Le style de la prose politique du XVIIIe siècle est utilisé pour décrire le soulagement de Bloom à la nouvelle du bébé de Mme Purefoy, et son dégoût pour les manières des jeunes hommes. Le style satirique de Junius remet en question l'attitude hypocrite et bien-pensante de Bloom envers les étudiants en médecine.

Le style d'Edward Gibbon est utilisé pour décrire la conversation des hommes sur divers sujets liés à la naissance : Les césariennes, les pères qui meurent avant que leur femme n'accouche, les cas de fratricide (dont le meurtre de Childs, mentionné dans le sixième épisode), l'insémination artificielle, la ménopause, la fécondation par viol, les taches de naissance, les jumeaux siamois. La prose gothique est employée pour décrire Buck racontant une histoire de fantômes.

Le style sentimental de Charles Lamb est utilisé pour décrire Bloom se remémorant sa jeunesse, puis se sentant paternel envers les jeunes hommes. Le style brumeux et hallucinatoire de Thomas DeQuincey illustre la tournure pessimiste que prennent soudainement les pensées de Bloom. Le style en prose de Walter Savage Landor est utilisé pour décrire comment Lenehan et Lynch parviennent à offenser Stephen en abordant les sujets de sa carrière poétique infructueuse et de la mort de sa mère. La conversation passe à la course de la Gold Cup, puis à Kitty, la petite amie de Lynch ; nous apprenons que Lynch et Kitty étaient le couple attrapé par le Père Conmee cet après-midi (dans le dixième épisode).

Suivent les styles historique et naturaliste du XIXe siècle. La conversation s'oriente vers les causes mystérieuses de la mortalité infantile. Le style sentimental de Charles Dickens est utilisé pour décrire Mme Purefoy, mère joyeuse.

Le style de prose religieuse du cardinal Newman est utilisé pour décrire comment les péchés passés peuvent hanter un homme. Le style esthétisant de Walter Pater suit. Bloom réfléchit aux propos agressifs de Stephen sur les mères et les bébés. Bloom se souvient avoir vu Stephen, enfant, échanger des regards réprobateurs avec sa mère. Le style de John Ruskin est utilisé pour décrire la suggestion spontanée de Stephen de se rendre au pub de Burke. Dixon les rejoint. Bloom reste à la traîne, demandant à l'infirmière Callan de dire un mot gentil à Mme Purefoy. Le style de prose de Thomas Carlyle salue la virilité de M. Purefoy.

Le récit se transforme en une interprétation chaotique de divers dialectes et argot du 20ème siècle alors que les hommes se dépêchent d'aller chez Burke. Stephen achète la première tournée. La course de la Gold Cup est discutée, Stephen achète une autre tournée d'absinthe, et Alec Bannon réalise finalement que Bloom est le père de Milly et s'éclipse nerveusement. Le barman annonce l'heure, et quelqu'un fait des commérages sur l'homme au macintosh dans le coin. Le barman les met à la porte alors que la brigade des pompiers passe en se rendant sur un feu. Quelqu'un vomit. Stephen convainc Lynch de l'accompagner dans le quartier des maisons closes. Une affiche voisine annonçant la visite d'un pasteur (la même que celle que Bloom a reçue dans l'épisode 8) inspire un dernier passage au style de l'évangélisme commercial américain.

 

Episode Fifteen: “Circe”

Il ne se passe pas grand-chose de "réel" dans l'épisode 15, même si c'est le plus long, une sorte de cauchemar et d`apothéose, avec, en final, un formidable déploiement de symboles qui, présenté sous forme de tragi-comédie, tient de la messe noire, du sabbat, de la kermesse, de l`orgie, du meeting, du "Songe d'une nuit d'été", de la "Walpurgisnacht" et de la "Tentation de saint Antoine". Au terme de cette fantasmagorie, réglée par la magicienne Circé, les deux acteurs essentiels, Bloom et Stephen, se retrouvent, se reconnaissent comme Ulysse et Télémaque, et désormais unis s`acheminent vers le palais d`lthaque, vers la patrie reconquise, 8 Eccle`s Street.

Près de l'entrée de Nighttown, le quartier chaud de Dublin, Stephen et Lynch marchent vers une maison close familière. L'attention se porte sur Bloom, qui se trouve à proximité. Bloom a tenté de suivre Stephen et Lynch dans Nighttown, mais il les a perdus. Il se réfugie dans une charcuterie pour acheter un en-cas pour la nuit. Bloom se sent immédiatement coupable de cette dépense, et une hallucination commence dans laquelle les parents de Bloom, Molly et Gerty MacDowell, confrontent Bloom pour diverses infractions. Ensuite, Mme Breen apparaît - elle et Bloom renouvellent brièvement leur ancien flirt.

Dans un coin sombre, Bloom donne ses achats de viande à un chien affamé. Cet acte suspect engendre une autre hallucination dans laquelle deux gardiens de nuit interrogent Bloom, qui répond de façon coupable. Bientôt, Bloom fait l'objet d'un procès public, accusé d'être un cocu, un anarchiste, un faussaire, un bigame et une prostituée. Des témoins tels que Myles Crawford, Philip Beaufoy et Paddy Dignam sous forme de chien apparaissent. Mary Driscoll, l'ancienne femme de chambre des Bloom, témoigne que Bloom l'a un jour approchée pour avoir des relations sexuelles.

La scène cauchemardesque se termine lorsque Bloom est abordé par la prostituée Zoe Higgins. Zoe devine que Bloom et Stephen, tous deux en deuil, sont ensemble. Elle lui dit que Stephen est à l'intérieur. Zoe s'amuse à voler la pomme de terre porte-bonheur de Bloom dans sa poche, puis se moque de Bloom pour l'avoir sermonnée sur les méfaits du tabac. Une autre fantaisie s'ensuit, dans laquelle la conférence de Bloom sur le tabagisme se transforme en un discours de campagne. Bientôt, Bloom, soutenu par les Irlandais et les sionistes, est couronné comme leader du nouveau "Bloomusalem". L'hallucination nationaliste tourne court lorsque Bloom est accusé d'être un libertin - Buck Mulligan se présente et témoigne des anomalies sexuelles de Bloom, puis déclare Bloom femme. Bloom donne naissance à huit enfants.

L'hallucination se termine par la réapparition de Zoé. Une seconde seulement de "temps réel" s'est écoulée depuis sa dernière intervention. Zoé conduit Bloom à l'intérieur de la maison close de Bella Cohen, où Stephen et Lynch font la connaissance des prostituées Kitty et Florry. Stephen pontifie et joue du piano. Florry ne comprend pas Stephen et pense qu'il fait une prophétie apocalyptique. Une hallucination apocalyptique, celle de Stephen, s'ensuit. Une autre séquence hallucinatoire, celle de Bloom, commence par l'arrivée de Lipoti Virag, le grand-père de Bloom, qui fait la leçon à Bloom sur le sexe.

Lorsque Bella Cohen elle-même entre dans la pièce, une longue hallucination commence - Bella devient "Bello", maîtrisant et violant un Bloom féminisé, tout en le raillant sur ses péchés passés et la virilité de Boylan. Bello suggère que le ménage de Bloom serait mieux servi sans lui, et Bloom meurt. L'hallucination se poursuit - peut-être dans " l'au-delà " de Bloom - avec la nymphe immaculée (celle du tableau de la chambre de Bloom) humiliant Bloom pour avoir été un sale mortel. Le charme ne prend fin que lorsque Bloom confronte la nymphe à sa propre sexualité.

Bloom trouve Bella Cohen devant lui - là encore, seules quelques secondes semblent s'être "réellement" écoulées depuis son entrée. Bloom récupère sa pomme de terre porte-bonheur auprès de Zoé. Bella exige un paiement de la part des hommes, et Stephen lui donne plus qu'assez d'argent pour les trois. Bloom dépose un peu de son propre argent et rend à Stephen le trop-perçu, puis prend le contrôle de tout l'argent de Stephen pour la soirée, puisque ce dernier est ivre.

Zoé lit les lignes de la main de Bloom et le déclare "mari dominateur". Une autre hallucination s'ensuit, dans laquelle Bloom regarde Boy-lan et Molly faire l'amour. La conversation se tourne vers les aventures parisiennes de Stephen, qui décrit de manière colorée sa fuite de ses ennemis et de son père.

Zoé met le pianola en marche, et tout le monde, sauf Bloom, danse. Stephen tourne de plus en plus vite, manquant de tomber. Le fantôme en décomposition de sa mère s'élève du sol. Stephen, horrifié et pris de remords, demande à ce qu'on lui confirme qu'il n'a pas causé sa mort. Le fantôme ne répond pas, parlant de la miséricorde et de la colère de Dieu. Les autres remarquent que Stephen semble pétrifié, et Bloom ouvre une fenêtre. Stephen tente avec défi de chasser le fantôme et ses propres remords, en proclamant qu'il résistera seul à ceux qui tentent de briser son esprit. Stephen écrase sa canne sur le lustre. Bella appelle la police, et Stephen s'enfuit par la porte. Bloom s'arrange rapidement avec Bella, puis court après Stephen. Bloom rattrape Stephen, qui est entouré d'une foule et harangue le soldat de l'armée britannique Carr au sujet de la présence militaire britannique indésirable en Irlande. Stephen annonce son intention personnelle de subvertir mentalement le prêtre et le roi. Bloom tente d'intervenir. Carr, estimant que son roi a été insulté, menace de frapper Stephen. Édouard VII, le citoyen, le Croppy Boy et "Old Gummy Granny", la personnification de l'Irlande, semblent encourager le combat, bien que Stephen continue de répugner à la violence.

 

Reproduisant la disposition des trois premiers chapitres, les trois derniers nous content ce retour du héros, sa victoire sur Ies prétendants et son entrée chez Pénélope. Comme dans la cabane d'Eumée, à l' "Abri du Cocher", père et fils devisent, écoutent Ies vantardises d'un marin débarqué de Chine et du Pérou, lisent le journal, grignotent des gaufrettes et se disposent à gagner le lit hospitalier. 

 

Episode Sixteen: “Eumaeus”

L'épisode seize, "Eumée", est la première partie du postlude en trois épisodes d'Ulysse, appelé le "Nostos", qui compare implicitement la nuit de Bloom au retour d'Ulysse à Ithaque. Ulysse se déguise en vieil homme pour surprendre et vaincre les usurpateurs réunis à Ithaque. Avant d'entrer dans la cour, Ulysse se révèle à son fils, Télémaque, dans la cabane d'Eumée, un porcher. Parce qu'Ulysse revient déguisé, l'épisode seize est thématiquement concerné par le déguisement et les fausses identités. Les deux personnages principaux, outre Stephen et Bloom, de l'épisode seize - le gardien de l'abri du chauffeur de taxi et le marin D.B. Murphy - sont des personnages louches dont les véritables identités sont en question. Les méditations de Bloom sur le thème du retour d'un être perdu depuis longtemps, ou d'un imposteur revenu à sa place, réunissent le thème odysséen du retour du vagabond et celui du déguisement et de l'imposture. En lien avec sa préoccupation pour les fausses identités, l'épisode seize poursuit également la méditation sur la rumeur et le commérage tout au long d'Ulysse : nous voyons ainsi la capacité des ragots à exclure des gens et à créer une communauté, alors que Bloom - jusqu'à présent sujet de rumeurs - participe aux ragots, en partie dans le but de fraterniser avec Stephen. La rumeur croise également l'histoire dans "Eumaeus". Enfin, la narration à la troisième personne d'"Eumée" est pleine d'expressions étrangères, de clichés et d'expressions bâclées. Il dépeint l'écriture d'un bourgeois qui tente de transmettre un sentiment de "culture" et qui échoue par manque de talent littéraire ou peut-être par fatigue nocturne...

Bloom réveille Stephen et commence à l'accompagner jusqu'au refuge d'un chauffeur de taxi voisin pour y trouver de la nourriture. En chemin, Bloom fait la leçon à Stephen sur les dangers de Nighttown et sur le fait de boire avec des "amis" qui en désertent un. Stephen reste silencieux. Les hommes passent à côté de Gumley, un ami du père de Stephen. Plus loin, Stephen est accosté par une connaissance sans le sou, Corley. Stephen conseille à moitié sérieusement à Corley de postuler pour le poste bientôt vacant de Stephen à l'école de Deasy, puis lui donne une demi-couronne. Bloom est consterné par la générosité de Stephen. Alors qu'ils poursuivent leur route, Bloom rappelle à Stephen qu'il n'a plus d'endroit où dormir ce soir, maintenant que Buck et Haines l'ont abandonné. Bloom suggère la maison du père de Stephen et rassure ce dernier sur la fierté de Simon à son égard. Stephen reste silencieux, se souvenant d'une scène de ménage déprimante. Bloom se demande s'il ne s'est pas mal exprimé dans sa critique de Buck.

Bloom et Stephen entrent dans le refuge des taxis, dont le gardien est, selon la rumeur, Skin-the-Goat Fitzharris, le conducteur de la voiture en fuite lors des meurtres du parc Phoenix. Bloom commande du café et un petit pain pour Stephen. Un marin aux cheveux roux demande à Stephen comment il s'appelle, puis s'il connaît Simon Dedalus. Bloom est déconcerté par la réponse évasive de Stephen. Lorsque le marin commence à raconter des histoires à dormir debout sur Simon Dedalus, Bloom pense qu'il s'agit d'une coïncidence.

Le marin se présente comme D.B. Murphy et commence à raconter des histoires de voyage. Il fait circuler une carte postale représentant des femmes de tribus. Bloom remarque avec méfiance que le nom du destinataire n'est pas Murphy. Les récits du marin rappellent à Bloom ses propres projets de voyage peu ambitieux et le marché inexploité des voyages abordables pour l'homme moyen.

Le marin décrit avoir vu un Italien poignarder un homme dans le dos. À la mention des couteaux, quelqu'un évoque les meurtres de Phoenix Park. Le silence s'installe alors que la clientèle pense aux meurtres du Park et jette des regards furtifs au gardien. Murphy montre ses tatouages : une ancre, le chiffre 16 et le profil d'Antonio, un ami qui sera plus tard dévoré par des requins.

Bloom remarque que Bridie Kelly se tient à l'extérieur et baisse la tête en signe d'embarras. En la voyant partir, Bloom fait la leçon à Stephen sur les prostituées atteintes de maladies. Stephen fait passer la conversation du trafic de sexe au trafic d'âmes. Une discussion confuse s'ensuit - Bloom parle de la simple matière grise, et Stephen parle des débats théologiques sur les âmes.

Bloom incite Stephen à manger et ramène leur conversation à l'histoire du marin sur le bûcheron italien. Bloom convient que les Méditerranéens ont le tempérament chaud et mentionne que sa femme est à moitié espagnole. Pendant ce temps, les autres hommes discutent du transport maritime irlandais - le gardien insiste sur le fait que l'Angleterre draine les richesses de l'Irlande. Bloom pense qu'une rupture avec l'Angleterre serait insensée, mais il garde sagement le silence. Il décrit à Stephen la scène similaire avec le citoyen, ainsi que son propre retour sur le fait que le Christ est également juif, bien que Bloom rassure Stephen sur le fait qu'il (Bloom) n'est pas réellement juif. Bloom expose son propre antidote au patriotisme combatif du citoyen : une société dans laquelle tous les hommes travaillent et sont récompensés par un revenu confortable. Stephen n'est pas enthousiaste et Bloom précise que le travail dans l'Irlande de Bloom comprendrait le travail littéraire. Stephen se moque du plan de Bloom, qui fait preuve de condescendance à l'égard de Stephen - Stephen inverse cette idée avec arrogance en insistant sur le fait que l'Irlande est importante parce qu'elle lui appartient.

Bloom excuse silencieusement le comportement impoli et peut-être instable de Stephen en invoquant son ivresse ou sa vie familiale difficile. Bloom pense à nouveau à la providence de leur rencontre et s'imagine écrire un article pour Titbits intitulé "Mes expériences dans un refuge pour taxis". Les yeux de Bloom se promènent dans le Telegraph du soir, où l'on peut lire un article sur la victoire de Throwaway à la Gold Cup et un autre sur les funérailles de Dignam, dans lequel le nom de Stephen et celui de " M'Intosh " figurent parmi les participants et où son propre nom est mal orthographié : L. Boom. Stephen cherche la lettre de Deasy.

La conversation dans le refuge dévie sur Parnell et la possibilité qu'il ne soit pas mort mais simplement exilé. Bloom pense à la fois où il a rendu à Parnell son chapeau tombé dans la foule. Bloom médite sur le thème du retour d'un disparu depuis longtemps ou d'un imitateur prétendant être un disparu depuis longtemps. Pendant ce temps, le gardien blâme agressivement Kitty O'Shea - la maîtresse mariée de Parnell - pour la chute de Parnell. Bloom a de la sympathie pour O'Shea et Parnell - le mari de Kitty O'Shea était manifestement inadéquat.

Bloom montre à Stephen une photo de Molly. Bloom espère silencieusement que Stephen abandonnera ses habitudes de prostitué et se rangera. Bloom se considère comme semblable à Stephen, se souvenant de ses propres idéaux socialistes de jeunesse. Bloom, la tête pleine de projets pour eux deux, invite Stephen chez lui pour une tasse de cacao. Bloom paie l'addition pour le repas non consommé de Stephen et prend le bras de ce dernier, qui semble encore faible. Ils commencent à marcher vers la maison et discutent de musique, puis d'usurpateurs et de sirènes. Stephen chante une chanson obscure pour Bloom, qui pense au succès commercial que pourrait avoir Stephen avec son talent vocal. L'épisode s'achève sur une vue d'un balayeur de rue montrant les deux hommes marchant bras dessus bras dessous dans la nuit.

 

Episode Seventeen: “Ithaca”

L'épisode dix-sept est raconté à la troisième personne à travers une série de 309 questions et leurs réponses détaillées et méthodiques, dans le style d'un catéchisme ou d'un dialogue socratique. 

Bloom et Stephen rentrent chez eux en discutant de musique et de politique. En arrivant chez lui, Bloom est frustré de constater qu'il a oublié sa clé. Il saute par-dessus la clôture, entre par la cuisine et réapparaît à la porte d'entrée pour laisser entrer Stephen. Dans la cuisine, Bloom met la bouilloire à chauffer. Stephen décline l'offre de Bloom de se laver, car il est hydrophobe. Le contenu de la cuisine de Bloom est passé en revue, y compris celui qui trahit la présence de Boylan plus tôt dans la journée - un panier cadeau et des tickets de pari. Ces derniers rappellent à Bloom la Gold Cup, et le malentendu entre lui et Bantam Lyons (dans le cinquième épisode) lui revient en mémoire.

Bloom sert du cacao pour les deux, et ils boivent en silence. Bloom, qui regarde Stephen réfléchir, pense à ses propres incursions de jeunesse dans la poésie. Le récit révèle que Bloom et Stephen se sont rencontrés deux fois auparavant - une fois lorsque Stephen avait cinq ans, et une autre fois lorsqu'il avait dix ans. À cette dernière occasion, Stephen a invité Bloom à dîner chez les Dedalus, mais Bloom a poliment refusé. Leurs histoires personnelles sont comparées, ainsi que leurs tempéraments - celui de Stephen est artistique, tandis que celui de Bloom tend vers les sciences appliquées par son intérêt pour l'invention et la publicité.

Les deux hommes échangent des anecdotes, et Bloom envisage la possibilité de publier un recueil des histoires de Stephen. Ils se récitent et s'écrivent mutuellement de l'irlandais et de l'hébreu. Stephen sent le passé en Bloom, et Bloom sent l'avenir en Stephen. Stephen chante ensuite l'histoire médiévale antisémite du "Petit Harry Hughes", dans laquelle un garçon chrétien est décapité par la fille d'un Juif. L'exposé de l'histoire par Stephen suggère qu'il pourrait se voir et voir Bloom comme l'enfant chrétien de l'histoire. Mais Bloom éprouve des sentiments mitigés et pense immédiatement à sa propre "fille de juif", Millicent. Bloom se souvient de moments de l'enfance de Milly et, pensant à une union potentielle entre Stephen et Milly (ou Molly), invite Stephen à passer la nuit chez lui. Stephen refuse avec gratitude. Bloom rend à Stephen son argent, arrondi à un penny, et lui suggère diverses interactions futures. Stephen ne semble pas s'engager, et Bloom devient pessimiste. Stephen semble partager le sentiment de découragement de Bloom.

Bloom fait sortir Stephen, et ils urinent ensemble dans la cour tout en regardant le ciel nocturne, où une étoile filante apparaît soudainement. Bloom laisse Stephen sortir, et les deux se serrent la main tandis que les cloches de l'église sonnent. Bloom entend les pas de Stephen et se sent seul.

Bloom retourne à l'intérieur. En entrant dans le salon, il se cogne la tête contre un meuble qui a été déplacé. Il s'assoit et commence à se déshabiller. Il répertorie le contenu de la pièce et le budget de Bloom pour la journée (en omettant l'argent versé à Bella Cohen). L'ambition de Bloom de posséder un simple bungalow en banlieue est décrite. Bloom dépose la lettre de Martha dans le tiroir fermé de son armoire et pense agréablement à ses interactions favorables de la journée avec Mme Breen, l'infirmière Callan et Gerty MacDowell. Le contenu du second tiroir comprend plusieurs documents familiaux, dont la lettre de suicide du père de Bloom. Bloom éprouve des remords, principalement parce qu'il n'a pas respecté les croyances et les pratiques de son père, comme le fait de garder le kascher. Il est reconnaissant à son père pour l'argent qu'il lui a légué, qui l'a sauvé de la pauvreté. Ici, Bloom rêve de son moi vagabond irréalisé, voyageant à travers le monde et se guidant sur les étoiles.

La rêverie de Bloom prend fin et il se dirige vers sa chambre, en pensant à ce qu'il a accompli ou non aujourd'hui. En entrant dans la chambre, Bloom remarque d'autres preuves de la présence de Boylan. L'esprit de Bloom parcourt le catalogue supposé des vingt-cinq anciens prétendants de Molly, dont Boylan n'est que le dernier. Bloom réfléchit à Boylan, se sentant d'abord jaloux, puis résigné.

Bloom embrasse le derrière de Molly, qui se trouve près de son visage, alors qu'il dort la tête au pied du lit. Molly se réveille, et Bloom lui raconte sa journée avec plusieurs omissions et mensonges. Il parle à Molly de Stephen, qu'il décrit comme un professeur et un auteur. Molly est silencieusement consciente que cela fait plus de dix ans qu'elle et Bloom n'ont pas eu de rapports sexuels. Bloom est silencieusement conscient de la tension de leurs relations depuis le début de la puberté de Milly. À la fin de l'épisode, Molly est décrite comme "Gea-Tellus", la Terre-Mère, tandis que Bloom est à la fois un nourrisson dans le ventre de sa mère et le marin revenu se reposer de ses voyages. Un point typographique termine l'épisode et indique le lieu de repos de Bloom.

La seconde moitié de l'épisode dix-sept détaille le retour de Bloom dans sa maison et sa préparation au coucher. Cela correspond au retour d'Ulysse à sa cour, où il tue les prétendants de Pénélope puis se révèle à Pénélope, qui a dormi pendant le massacre. Pourtant, comme toujours, cette dimension héroïque est bouleversée par le prosaïsme - dans l'épisode 17, Bloom est montré comme le plus pathétique des bourgeois. Le fantasme de Bloom en tant que sombre vagabond est tempéré par la description détaillée de l'ambition ultime de Bloom de posséder un bungalow de banlieue bien meublé. Ces perspectives concurrentes se tiennent mutuellement en échec, et si Bloom apparaît comme un héros dans le contexte bourgeois, c'est parce qu'il est capable de reproduire la technique narrative du changement de perspective. Bloom peut se voir de façon pragmatique dans le contexte d'une seule nuit de sommeil, du travail d'une vie ou de la vie d'un univers. Bloom surpasse Boylan grâce à une démonstration tout aussi impressionnante de changement de perspective : Bloom replace Boylan dans son contexte, non pas comme un rival égal et immédiat, mais comme un parmi d'autres, ni le premier ni le dernier. Ulysse s'attarde sur l'idée que le changement de perspective oblige à remettre en question son propre jugement moral. Dans la mesure où Bloom reproduit cette pratique en lui-même, il apparaît comme le héros du livre. Comme vous pouvez l'imaginer, il existe un autre point de vue sur cette question, et c'est celui de Molly, dans l'épisode 18, qui permet de débusquer les visions biaisées d'elle qui ont prévalu jusqu'à présent....

 

Cette odyssée, qui trouve ici ses dimensions cosmiques, commence à se dissoudre dans l`espace, le rêve, et n`a plus qu`à s`achever sur un immense monologue de Mme Bloom, réveillée par la rentrée tardive de son mari et qui, ne pouvant retrouver le sommeil, voit défiler en sa tête des myriades d`images peu à peu se perdant dans les astres, la nuit, les âges de la Terre...

"O et la mer la mer écarlate quelquefois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuiers dans les jardins de l`Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus et Gibraltar quand j`étais jeune fille et une fleur de la montagne oui quand j`ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m`a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu`un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m`a demande si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d`abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l`ai attiré sur moi pour qu`il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j`ai dit oui je veux bien Oui."

(Trieste-Zurich-Paris 1914-1921)

 

Episode Eighteen: “Penelope”

L'épisode dix-huit, qui constitue le dernier tiers du "Nostos", voit Molly soumise à la même épreuve que Bloom dans l'épisode dix-sept, à savoir rencontrer les prétendants-opposants, puis, Molly les écartant un par un pour Bloom, semble confirmer le triomphe de Bloom-Odysseus par son "oui" final. Le monologue de Molly contient des faits et des émotions qui  obligeront nombre de lecteurs à réviser leur point de vue sur elle et son mariage.  

La première des huit " phrases " géantes qui composent le monologue intérieur de Molly commence par son agacement et sa surprise de voir Bloom lui demander de lui servir le petit-déjeuner au lit. Molly devine que Bloom a eu un orgasme aujourd'hui, et elle pense à ses anciens badinages avec d'autres femmes. Elle pense à son après-midi de sexe avec Boylan, un homme agressif et bien doté, un changement rafraîchissant après les étranges techniques amoureuses de Bloom. D'un autre côté, Molly devine que Bloom est plus viril que Boylan et se souvient de la beauté de Bloom lorsqu'ils se courtisaient. En pensant au mariage de Josie et de Denis Breen, Molly pense qu'elle et Bloom sont peut-être mutuellement chanceux.

Dans la deuxième phrase de Molly, elle pense à ses différents admirateurs : Boylan, qui aime ses pieds ; le ténor Bartell D'Arcy, qui l'a embrassée à l'église ; le lieutenant Gardner, qui est mort de la fièvre pendant la guerre des Boers. Molly réfléchit au fétichisme des sous-vêtements de Bloom. Excitée, Molly s'attend à voir Boylan lundi et à leur prochain voyage à Belfast, seuls. Les pensées de Molly se tournent brièvement vers le monde du chant de concert, vers les chanteuses de Dublin, fâcheusement féminines, et vers l'aide de Bloom pour sa carrière. Molly se souvient de la colère de Boylan concernant le mauvais tuyau de Lenehan sur la Gold Cup. Molly pense que Lenehan est effrayant. En pensant à ses futures rencontres avec Boylan, Molly décide de perdre du poids et souhaite avoir plus d'argent pour s'habiller avec style. Bloom devrait quitter le Freeman et trouver un travail lucratif dans un bureau. Molly se souvient être allée voir M. Cuffe pour plaider en faveur du retour de Bloom après son licenciement - M. Cuffe a fixé ses seins et a poliment refusé.

Dans sa troisième phrase, Molly réfléchit à la beauté des seins féminins et à la stupidité des organes génitaux masculins. Elle pense à la fois à Bloom qui lui a suggéré de poser nue pour un photographe afin de gagner de l'argent. Elle associe les images pornographiques à l'image de la nymphe que Bloom a utilisée pour expliquer de manière inepte la métempsycose ce matin. Pour en revenir aux seins, elle se souvient que Bloom lui a suggéré un jour de transformer son lait maternel excédentaire en thé. Molly s'imagine rassembler toutes les idées scandaleuses de Bloom dans un livre, avant que ses pensées ne reviennent à Boylan et à la puissante libération de son orgasme de cet après-midi.

La quatrième phrase de Molly commence par le sifflement d'un train. Les pensées de la locomotive chaude l'amènent à penser à son enfance à Gibraltar, à son amitié avec Hester Stanhope et le mari d'Hester, "Wogger", et à l'ennui de sa vie après leur départ - elle a dû s'écrire des lettres. Molly pense au fait que Milly ne lui a envoyé qu'une carte ce matin et Bloom une lettre entière. Molly se demande si Boylan va lui envoyer une lettre d'amour.

La cinquième phrase de Molly commence par le souvenir de sa première lettre d'amour - celle du lieutenant Mulvey, qu'elle a embrassé sous le mur maure à Gibraltar. Elle se demande comment il est maintenant. Un autre train siffle, rappelant à Molly Love's Old Sweet Song et sa prochaine représentation. Elle dédaigne à nouveau les chanteuses idiotes. Molly se considère comme beaucoup plus mondaine. Vu son allure sombre et espagnole héritée de sa mère, Molly devine qu'elle aurait pu être une star de la scène si elle n'avait pas épousé Bloom. Molly se déplace dans son lit pour évacuer tranquillement les gaz accumulés, ce qui correspond au sifflement d'un autre train.

Dans sa sixième phrase, l'esprit de Molly vagabonde de son enfance à Gibraltar à Milly. Molly n'aime plus être seule dans la maison la nuit - c'est Bloom qui a eu l'idée d'envoyer Milly à Mullingar pour apprendre la photographie, car il pressentait la liaison imminente de Molly et Boylan. Molly réfléchit à sa relation étroite mais tendue avec Milly, qui est devenue sauvage et belle comme Molly l'était auparavant. Molly réalise avec frustration que ses règles commencent et se lève pour utiliser le pot de chambre. Elle se rend compte que Boylan ne l'a pas mise enceinte. Des scènes de l'après-midi défilent dans sa tête.

Dans sa septième phrase, Molly se recouche tranquillement dans son lit et repense à leurs fréquents déménagements, conséquence de la situation financière précaire de Bloom. Molly s'inquiète du fait qu'il ait dépensé de l'argent pour une femme aujourd'hui, ainsi que pour la famille Dignam. Molly pense aux hommes présents aux funérailles de Dignam - ils sont gentils, mais Molly n'apprécie pas leur condescendance envers Bloom. Molly se souvient du talent vocal de Simon Dedalus et s'interroge sur le fils de Simon. Molly se souvient d'avoir rencontré Stephen lorsqu'elle était enfant et se dit que Stephen n'est probablement pas coincé, juste assez jeune et d'une propreté séduisante. Molly prévoit de lire et d'étudier avant qu'il ne revienne afin qu'il ne la trouve pas stupide.

Dans sa huitième phrase, Molly pense au fait que Bloom ne l'embrasse jamais, lui embrassant bizarrement les fesses à la place. Molly se dit que le monde serait bien meilleur s'il était gouverné par des femmes. Considérant l'importance des mères, elle pense encore à Stephen, dont la mère vient de mourir, et à la mort de Rudy, puis arrête ce raisonnement, de peur de devenir déprimée. Molly s'imagine réveiller Bloom demain matin, puis lui raconter froidement sa liaison avec Boylan pour lui faire prendre conscience de sa culpabilité. Molly prévoit d'acheter des fleurs demain, au cas où Stephen viendrait. Méditant sur les fleurs et la nature, produits de Dieu, elle pense avec amour à la journée qu'elle a passée avec Bloom en plein air à Howth, à sa demande en mariage et à sa réponse positive.


Finnegans Wake (1939)

(traduction Philippe Lavergne, Gallimard) 

Joyce a travaillé sur ce livre depuis 1922, par à coup. C’était une période très difficile,  Joyce souffre de troubles oculaires graves, il est affecté par la maladie mentale de sa fille et les dettes le poursuivent.

Livre d'une nuit, le rêve d'un tavernier de Dublin. Finnegan, artisan couvreur, en prise avec l’alcool, sa libido et ses déboires conjugaux, glisse soudain de l’échelle et meurt.  Réunis autour de sa dépouille, famille et amis ingurgitent des litres de Guinness et de whisky, et chantent la légende du héros du jour. C’est toute l’Irlande et toute l’histoire de l’humanité, depuis Adam jusqu’au jugement dernier, qui s’invitent au chevet de Finnegan… lequel s’envole dans les airs et va planer au-dessus de Dublin !…

Joyce crée ici son propre langage, un amalgame polyglotte composé de sons et de mots tirés de l'anglais et de pas moins de soixante-cinq autres langues. Le résultat est particulièrement difficile à lire et semble devoir être plus entendu que lu. Joyce était alors presque aveugle....

"..riverrun, past Eve and Adam’s, from swerve of shore to bend of bay, brings us by a commodius vicus of recirculation back to Howth Castle and Environs.

Sir Tristram, violer d’amores, fr’over the short sea, had passen-core rearrived from North Armorica on this side the scraggy isthmus of Europe Minor to wielderfight his penisolate war: nor had topsawyer’s rocks by the stream Oconee exaggerated themselse to Laurens County’s gorgios while they went doublin their mumper all the time: nor avoice from afire bellowsed mishe mishe to tauftauf thuartpeatrick not yet, though venissoon after, had a kidscad buttended a bland old isaac: not yet, though all’s fair in vanessy, were sosie sesthers wroth with twone nathandjoe. Rot a peck of pa’s malt had Jhem or Shen brewed by arclight and rory end to the regginbrow was to be seen ringsome on the aquaface.

The fall (bababadalgharaghtakamminarronnkonnbronntonner-ronntuonnthunntrovarrhounawnskawntoohoohoordenenthur — nuk!) of a once wallstrait oldparr is retaled early in bed and later on life down through all christian minstrelsy. The great fall of the offwall entailed at such short notice the pftjschute of Finnegan, erse solid man, that the humptyhillhead of humself prumptly sends an unquiring one well to the west in quest of his tumptytumtoes: and their upturnpikepointandplace is at the knock out in the park where oranges have been laid to rust upon the green since dev-linsfirst loved livvy.

What clashes here of wills gen wonts, oystrygods gaggin fishy-gods! Brékkek Kékkek Kékkek Kékkek! Kóax Kóax Kóax! Ualu Ualu Ualu! Quaouauh! Where the Baddelaries partisans are still out to mathmaster Malachus Micgranes and the Verdons cata-pelting the camibalistics out of the Whoyteboyce of Hoodie Head. Assiegates and boomeringstroms. Sod’s brood, be me fear! Sanglorians, save! Arms apeal with larms, appalling. Killykill-killy: a toll, a toll. What chance cuddleys, what cashels aired and ventilated! What bidimetoloves sinduced by what tegotetab-solvers! What true feeling for their’s hayair with what strawng voice of false jiccup! O here here how hoth sprowled met the duskt the father of fornicationists but, (O my shining stars and body!) how hath fanespanned most high heaven the skysign of soft advertisement! But was iz? Iseut? Ere were sewers? The oaks of ald now they lie in peat yet elms leap where askes lay. Phall if you but will, rise you must: and none so soon either shall the pharce for the nunce come to a setdown secular phoenish..."

 

"N'avait-il nulle connaissance de cet autre pays qui est appelé Croyez-en-Moi, qui est la terre promise qui sied au roi Délicieux et sera éternellement là où ne sont plus ni mort ni naissance, épousailles ni maternité et où tous tant qu'ils sont entreront qui ont cru en elle ? Oui, Pieux lui avait parlé de cette terre et Chaste lui en avait indiqué la route mais le fait est que sur cette route il était tombé sur une certaine courtisane fort plaisante à l'oeil et qui lui dit se nommer Un-Bon-Tiens et le détourna par ruse de la bonne voie avec des flatteries qu'elle lui prodiguait, comme : Oh mon joli coeur viens-t'en un peu par ici et je te ferai voir un endroit charmant, et elle le flatta de tant d'expertes façons qu'elle l'attira en sa grotte qui a nom Deux-Tu-l'Auras, ou selon quelques doctes personnes, Concupiscence Charnelle.

Ceci était ce que tous les membres de cette compagnie attablée là dans le Manoir des Mères convoitaient le plus chaudement et s'ils avaient fait rencontre de cette courtisane Un-Bon-Tiens (qui était dedans soi toutes les ordres infections, tous les monstres, et possédée d'un malin esprit), ils eussent fait feu de tout bois pour lui donner assaut et la posséder. Touchant Croyez-en-Moi, ils dirent que ce n'était chose autre qu'une imagination et qu'ils ne s'en pouvaient faire représentation aucune, que premier, Deux-Tu-l'Auras où elle les entraînait était par excellence une bienheureuse grotte et s'y voyaient quatre oreillers portant pancartes dessus lesquelles étaient ces mots écrits, En Levrette et Tête-Bêche et Langue-Fourrée et Flanc-à-Flanc, et second, que de cet ordre infection, Omnivérole, et des monstres, ils n'avaient souci car Préservatif leur avait fait don d'un puissant bouclier de boyau de boeuf, et en troisième lieu, qu'ils n'avaient non plus à craindre Progéniture qui était cet esprit malin, par la vertu de ce même bouclier qui s'appelait Mortogosse. Ainsi tous s'ébattaient en leur aveuglement, M. Lergoteur et M. Dévot-par-Occasion, M. Chimpanzé-de-la-Chope, M. Faux-Franc-Homme, M. Disert-Dixon, le jeune Grand-Vantard et M. Prudent-Bonace. En quoi, ô misérables humains, vous vous abusiez là, alors que c'était la voix du dieu qui retentissait en sa male rage et que son bras était prêt de se lever pour réduire en poudre vos âmes à cause de tant de blasphèmes et de ce que vous avez jeté hors à mépris de sa parole qui d'engendrer grandement vous enjoint."

Ulysse (1922), James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard 

"Les voix se marient et se fondent en un silence nébuleux : un silence, qui est l'infini de l'espace ; et vite, en silence, l'âme aspirée plane au-dessus de régions de cycles des cycles de générations qui furent. Une région où le gris crépuscule descend toujours sans jamais tomber sur de vastes pâturages vert amande, versant sa cendre, éparpillant sa perpétuelle rosée d'étoiles. Elle suit sa mère à pas empruntés, une jument qui guide sa pouliche. Fantômes crépusculaires cependant pétris d'une grâce prophétique, svelte, croupe en amphore, col souple et tendineux, douce tête craintive. Ils s'évanouissent, tristes fantômes : plus rien. Agendath est une terre inculte, la demeure de l'orfraie et du myope upupa. Netaïm la splendide n'est plus. Et sur la route des nuées ils s'en viennent, tonnerre grondant de la rébellion, les fantômes des bêtes. Houhou ! Héla ! Houhou ! Parallaxe piaffe par-derrière et les aiguillonne, les éclairs lancinants de son front sont des scorpions. L'élan et le yak, les taureaux de Bashan et de Babylone, le mammouth et le mastodonte en rangs serrés s'avancent vers la mer affaissée, Lacus Mortis. Troupe zodiacale de mauvais augure et qui crie vengeance ! Ils gémissent en foulant les nuages, cornes et capricornes, trompes et défenses, crinières léonines, andouillers géants, mufles et groins, ceux qui rampent, rongent, ruminent, et les pachydermes, multitude mouvante et mugissante, meurtriers du soleil."

Ulysse (1922), James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard

"VIRAG (Un chaud rire féminin dans sa face impassible.) : Merveilleux ! Une cantharide dans sa braguette ou bien un cataplasme de farine de moutarde sur son plantoir. (Il glousse gloutonnement en agitant des fanons.) Dindoni ! Dindono ! Où en sommes-nous ? Sésame ouvre-toi ! Il ressuscite ! (Déroulant très vite son parchemin, il lit ; son nez lampyre frôle en sens contraire les lignes qu'il égratigne de sa griffe.) Une minute mon bon ami. Je t'apporte le message souhaité. L'heure des huîtres côterouges sonnera bientôt pour nous. Je suis le maître des maîtres-queux. Ces succulents bivalves peuvent nous être d'un grand secours et les truffes du Périgord, tubercules délogés par les soins de Son Excellence omnivore, sont sans rivales dans les cas de débilité nerveuse ou de viragite. Elles fouettent mais elles vous donnent un coup de fouet. (Il balance la tête et gouaille en caquetant.) Rigolo. Avec mon carreau dans mon oculo.

BLOOM (Distrait.) : Ab oculo, le cas bivalve de la femme est pire. Sésame toujours ouvert. Le sexe fendu. D'où leur terreur de la vermine, des choses qui rampent. Pourtant Eve et le serpent c'est contradictoire. Ca n'est pas historique. Mais j'y pense il y a une certaine analogie. Et les serpents sont assoiffés de lait de femme. Ils font des kilomètres à travers les forêts omnivores pour sucsucculer ses soins jusqu'au sang. Comme ces dindonnières commères de Rome Elephantuliasus."

Ulysse (1922), James Joyce (trad. Auguste Morel), éd. Gallimard


Où rencontrer James Joyce?

Tenter de retrouver James Joyce à Dublin est sans doute vain. Mais citons le James Joyce Centre, un musée de Dublin entièrement dédié au célèbre écrivain James Joyce, installé dans un vieux quartier de Dublin, au sein d’un bâtiment géorgien du 18ème siècle en briques rouges. Le musée présente une exposition permanente du mobilier qui meublait autrefois la chambre de Joyce lorsqu’il était à Paris (dans le quartier Paul Léon), avec son célèbre bureau, de nombreux objets personnels ayant appartenu à l’écrivain.

 

Ces lettres (une douzaine) ont été échangées par Joyce et Nora entre août et décembre 1909, lors de deux brèves périodes de séparation. Joyce a vingt-sept ans, Nora vingt-cinq, Giorgio et Lucia, leurs deux enfants, respectivement quatre et deux ans. Ils vivent, pauvrement, à Trieste. Joyce effectue à deux reprises un voyage à Dublin pour s’occuper de l’ouverture d’un cinéma destinée à lui procurer quelque argent. C’est à l’occasion de ces séjours qu’aura lieu cette correspondance extraordinaire qui ne sera connue qu’en 1957 et ne sera publiée intégralement qu’en 1975 par Richard Ellmann et dont Philippe Sollers relaiera la publication en France. Elle s’appelait Nora Barnacle, belle Irlandaise de vingt ans, cheveux brun-roux, yeux bleus, voix grave et sonore, serveuse dans un hôtel de Dublin; elle fera non seulement découvrir le plaisir physique à Joyce, mais contribuera sans doute aux débordements outranciers de son expression.

"La scène la plus extraordinaire de ce roman privé se situe en 1909 : c’est la correspondance obscène entre Nora et James publiée seulement en 1975. Ces lettres vont violemment troubler et choquer les spécialistes, la famille et les amis de la famille, notamment Samuel Beckett. Nous sommes dans le coeur de la centrale nucléaire d’Ulysse : « Mon petit oiseau fouteur »... « Ma douce petite pute »... Et voici : « Dis-moi les plus petites choses sur toi, pour autant qu’elles sont obscènes et secrètes et dégoûtantes. N’écris rien d’autre. Que chaque phrase soit pleine de sons et de mots sales. Ils sont tous également charmants à entendre et à voir sur le papier, mais les plus sales sont les plus beaux. » Le plus étonnant n’est pas que Joyce ait écrit ces lettres à Nora, mais qu’elle lui ait répondu sur le même ton, "en pire". Les lettres de Nora sont perdues ou dissimulées. Une bombe. Mais leur reflet permet de saisir sur le vif le projet de Joyce d’inventer un nouvel alliage entre langage ininterrompu trivial (le fameux manque apparent de ponctuation) et l’épopée lyrique. « L’oiseau fouteur » est aussi « ma splendide fleur sauvage des haies, ma fleur bleu nuit inondée de pluie. »  C’est Nora, indubitablement, qui permet à Joyce un renversement du Faust de Goethe (et de toute la tradition démoniaque en théologie). Quand Molly est définie comme « la chair qui dit toujours oui » (au lieu de « l’esprit qui toujours nie »), il s’agit d’une découverte sans prix. Lorsqu’il épousera Nora, en 1931, par convenance juridique, Joyce, pour définir sa profession d’époux, n’écrira pas " écrivain ", mais " rentier ". Sa découverte ? La chair dit toujours oui en surface pour mieux dire non en profondeur. Et en effet Nora pouvait, à la rigueur, accepter le langage d’Ulysse en privé, mais pas en public. Elle ne lira pas le livre, et Joyce le lui reprochera (à tort) : elle sait trop bien d’où il vient."  (Cf. Philippe Sollers, La guerre du goût, Gallimard, 1994).