Surréalisme - André Breton (1896-1966), "le Surréalisme et la peinture" (1928) - Giorgio de Chirico (1888-1978) - Man Ray (1890-1976) - Max Ernst (1891-1976) - Yves Tanguy (1900-1955), "Maman, Papa est blessé! (1927, MoMA, New-York) - André Masson (1896-1987) - Joan Miro (1893-1983) - Marcel Duchamp (1887-1968) - Kurt Schwitters (1887-1948) - Salvador Dali (1904-1989) - René Magritte (1898-1967) - ..
Last Update: 11/11/2016
Max Ernst, "Le surréalisme et la peinture" (1942, Menil Collection) - C'est en peinture que le surréalisme va épuiser la créativité de cette "beauté convulsive" qu'est l'inconscient. En 1928, Breton publie « le Surréalisme et la peinture » : « Il m’est impossible de considérer un tableau autrement que comme une fenêtre dont mon premier souci est de savoir sur quoi elle donne… Et je n’aime rien tant que ce qui s’étend devant moi à perte de vue » . Cet horizon est bien celui de l'inconscient qu'une génération de peintres va, chacun à sa manière, et sur quelques années tenter d'exprimer : Miró, Ernst, Masson, Tanguy, Arp, Picabia, Dali, Duchamp, Magritte, Man Ray. .
La peinture devient alors une activité spirituelle qui s'en prend au monde extérieur dont l'artiste accepte l'existence pour la désorganiser, la disloquer et dégager, à partir des rapports insolites qu'il y établit, le vrai mystère du monde. Il faut déconcerter, en brisant la supposée cohérence du monde, pour éveiller l'esprit à sa "réalité supérieure", sa surréalité. Plus ces objets seront reproduits avec réalisme et précision, plus insolites paraîtront les combinaisons arbitraires qu'il en fera et ainsi plus décisif et plus destructeur sera le coup qu'il aura porté à ce monde extérieur. A côté de ces images réelles, il y en d'autres, surgies du monde irrationnel de l'inconscient, formes primitives de Miro, germes de vue de Tanguy, reliefs ronds et durs de Arp. Cette révolte donne à la peinture, par-delà ces apocalypses, une nouvelle dimension poétique. "La pensée scientifique et la pensée artistique modernes présentent bien à cet égard la même structure: le réel, trop ;longtemps confondu avec le donné, pour l'une comme pour l'autre s'étoile dans toutes les directions du possible et tend à ne faire qu'un avec lui." (A.Breton)
Et nombre de femmes, peintres ou photographes, ont côtoyé le surréalisme, André Breton et Paul Eluard, Max Ernst, - oubliées depuis -, Eileen Agar (1899-1991), "The Autobiography of an Embryo" (1934, Tate Modern), Dorothea Tanning (1910-2012), "A Little Night Music" (1946), Meret Elisabeth Oppenheim (1913-1985), "Object (Le Déjeuner en Fourrure)" (1936), et Valentine Hugo (1887-1968), qui eut une liaison avec Paul Éluard puis André Breton et illustra les œuvres de René Char, René Crevel, Lautréamont et Achim von Arnim...
" Le soi est à l’esprit humain ce que l’assise géologique est à la plante. C’est dans le soi que sont déposées les traces mnémoniques, résidus d’innombrables existences individuelles antérieures. L’automatisme n’est autre chose que le moyen de pénétration et de dissolution dont use l’esprit pour puiser dans ce sol..." (A.Breton) - La guerre de 1914-1918, aboutissement inévitable d'une corruption politique et sociale, incite, d'une façon extrêmement aiguë, les philosophes, les poètes, les artistes, à croire en l'absurdité de tout système humain, du monde, de l'existence même. Dada et sa deuxième forme, le surréalisme, naîtront bien de la guerre : comme dans tous les domaines de la pensée, cette explosion de révolte et de destruction systématiques, négation de toutes les valeurs considérées comme telles, va tout bouleverser dans le domaine des arts. "Qu'est-ce que c'est beau? Qu'est-ce que c'est laid? Qu'est-ce que c'est grand? fort, faible? Qu'est-ce que c'est Carpentier, Renan, Foch? Connais pas. Qu'est-ce que c'est moi? Connais pas. Connais pas. Connais pas." (Georges Ribemont-Dessaignes : Dadaphone, 14° 7.) Allant jusqu'à nier l'art en soi, le peintre, le sculpteur, qui mettent un point d'honneur à en ignorer les problèmes spécifiques, ne le considèrent plus comme une fin, mais comme un moyen de libérer leur subconscient, seule vraie puissance de l'esprit, de toutes les contraintes de la raison, afin de transformer le monde. De là, l'importance primordiale qui fut alors donnée au hasard, au rêve, à l'hallucination, à la folie. Oui, la peinture, expression plastique favorite des surréalistes, devient alors une activité spirituelle qui s'en prend au monde extérieur dont l'artiste accepte l'existence pour la désorganiser, la disloquer et dégager à travers cet éclatement, et à partir des rapports insolites qu'il y établit, le vrai mystère du monde. Oui, il faut déconcerter, en brisant la supposée cohérence du monde, pour éveiller l'esprit à sa "réalité supérieure", sa surréalité. Oui, le scandale et le sacrilège sont l'essence même du surréalisme. Marcel Duchamp et Picabia, anti-artistes d'une "époque mécaniste", donnent, l'un avec ses œuvres-sujets, "ready made", l"autre avec ses engins industriels qu'il appelle "machines inutiles", les premières expressions foncièrement subversives du surréalisme...
Le peintre surréaliste choisit comme point de départ de son acte de peindre les images du monde extérieur. Plus ces objets seront reproduits avec réalisme et précision, plus insolites encore paraîtront les combinaisons arbitraires qu'il en fera et ainsi plus décisif et plus destructeur sera le coup qu'il aura porté à ce monde extérieur. On comprend dès lors la minutie et l'exactitude photographique des toiles de Salvador Dalí, le choc hallucinatoire qu'elles provoquent et l'angoisse irrésistible qui en ressort. Cet agencement absurde, ces combinaisons d'images dont la gratuité est celle du rêve, donnent l'occasion à ces peintres d'épuiser toutes les ressources de leur imagination et nous en révèlent la prodigieuse richesse. Mais, à côté de ces images réelles, aux prolongements fantastiques, il y en a d'autres, surgies directement du monde irrationnel de l'inconscient. Ce sont les formes primitives et rudimentaires, aux couleurs prestigieuses, que Joan Miró lance dans des espaces imaginaires, ce sont ces inquiétants germes de vie, souples et ondulants, qui baignent dans l'irréelle et laiteuse clarté des toiles de Yves Tanguy, ce sont les reliefs ronds et durs de Hans Arp, les tragiques combats élémentaires d'André Masson. Les délires poétiques dépassent les limites du simple jeu ou de la farce; une lumière nouvelle éclaire ces apocalypses : lueur blafarde d'astres morts, cette anti-lumière de cauchemar constituera tout l'insolite des toiles de Max Ernst. L'angoisse surréaliste annonce le tragique de l'art contemporain...
Cette révolte nihiliste et sa politique de la terre brûlée auront ainsi bouleversé la peinture; mais au-delà de son action corrosive et de ses paradoxes, elle aura donné à la peinture une nouvelle dimension poétique, ce merveilleux dont parle Aragon dans une préface à une exposition de collages : "Le Merveilleux s'oppose à ce qui est machinalement, à ce qui est si bien que cela ne se remarque plus et c'est ainsi qu 'on croit communément que le merveilleux est la négation de la réalité. Cette vue un peu sommaire est conditionnellement acceptable. Il est certain que le merveilleux naît du refus d'UNE réalité, mais aussi du développement d'un nouveau rapport, d'une réalité nouvelle que ce refus a libéré... Ce qui caractérise le miracle, ce qui fait crier au miracle, cette qualité du merveilleux, est sans doute un peu la surprise, comme on a voulu faiblement le signaler. Mais c'est bien plus, dans tous les sens qu 'on peut donner à ce mot, un extraordinaire dépaysement." - Le 2 avril (1891) à 9 h 45 du matin, Max Ernst eut son premier contact avec le monde sensible lorsqu'il sortit de l'œuf que sa mère avait pondu dans un nid d'aigle et que l'oiseau avait couvé pendant sept ans....
Tous les peintres à venir seront plus ou moins tributaires de cette redécouverte, qui constitue l'apport le plus riche du surréalisme a la peinture et à l'art en général. Dans le Surréalisme et la Peinture, André Breton, qui fut et reste le maître du mouvement surréaliste, le considère comme une révolution totale de la pensée, poétique et scientifique : il en explique la démarche nouvelle : "..Au besoin impérieux de "déconcrétiser" les diverses géométries pour libérer en tous sens les recherches et permettre la coordination ultérieure des résultats obtenus, se superpose rigoureusement le besoin de rompre en art les barrières qui séparent le déjà vu du visible, le communément éprouvé de l'éprouvable, etc. La pensée scientifique et la pensée artistique modernes présentent bien à cet égard la même structure : le réel, trop longtemps confondu avec le donné, pour l'une comme pour l'autre s'étoile dans toutes les directions du possible et tend à ne faire qu 'un avec lui. Par application de l'adage hégélien : "Tout ce qui est réel est rationnel, et tout ce qui est rationnel est réel", on peut s'attendre à ce que le rationnel épouse en tous points la démarche du réel et, effectivement, la raison d'aujourd'hui ne se propose rien tant que l'assimilation continue de l'irrationnel, assimilation durant laquelle le rationnel est appelé à se réorganiser sans cesse, à la fois pour se raffermir et s 'accroître. C 'est en ce sens qu 'il faut admettre que le surréalisme s'accompagne nécessairement d'un surrationalísme qui le double et le mesure. De part et d 'autre, c 'est la même démarche d'une pensée en rupture avec la pensée millénaire, d'une pensée non plus réductive, mais indéfiniment inductive et extensive dont l'objet, au lieu de se situer une fois pour toutes en deçà d'elle-même, se recrée à perte de vue au-delà.
Cette pensée ne se découvrirait, en dernière analyse, de plus sûre génératrice que l'anxiété inhérente à un temps où la fraternité humaine fait de plus en plus défaut, cependant que les systèmes les mieux constitués - y compris les systèmes sociaux - paraissent frappés de pétrification. Elle est, cette pensée, déliée de tout attachement à tout ce qui a pu être tenu pour définitif avant elle, éprise de son seul mouvement.
Cette pensée se caractérise essentiellement par le fait qu 'y préside une volonté d'objectivation sans précédent. Que l'on comprenne bien, en effet, que les "objets" mathématiques au même titre que les objets poétiques se recommandent de tout autre chose, aux yeux de ceux qui les ont construits, que de leurs qualités plastiques et que si, d'aventure, ils satisfont à certaines exigences esthétiques, ce n'en serait pas moins une erreur que de chercher à les apprécier sous ce rapport. Lorsque, par exemple, en 1924, je proposais la fabrication et la mise en circulation d'objets apparus en rêve, l'accession à l'existence concrète de ces objets, en dépit de l'aspect insolite qu'ils pouvaient revêtir, était bien plutôt envisagée par moi comme un moyen que comme une fin.
Certes, j'étais prêt à attendre de la multiplication de tels objets une dépréciation de ceux dont l'utilité convenue (bien que souvent contestable) encombre le monde dit réel; cette dépréciation me semblait très particulièrement de nature à déchaîner les puissances d'invention qui, au terme de tout ce que nous pouvons savoir du rêve, se fussent exaltées au contact des objets d'origine onirique, véritables désirs solidifiés. Mais, par-delà la création de tels objets, la fin que je poursuivais n 'était rien moins que l 'objectivation de l'activité de rêve, son passage dans la réalité..." (Editions Gallimard)
Giorgio de Chirico (1888-1978)
Né en Grèce de parents italiens, il étudie d'abord à l'Académie d'Athènes ; mais c'est à Munich, entre 1906 et 1909, que s'effectue sa véritable formation artistique. La peinture d'Arnold Böcklin, le milieu symboliste de la capitale, mais aussi la pensée de Nietzsche vont avoir une influence déterminante sur son développement (l'Énigme de l'Oracle, 1910). Il trouve son style dès 1912. La peinture "métaphysique" de Giorgio De Chirico fut pour Breton une révélation : "Le mauvais génie d'un roi" (1914-19415, The Museum of Modern Art, New-York), "Le rêve de Tobie" (1917, Collection particulière), "L'énigme de la fatalité (ou L'angoissant voyage)" (Kunstmuseum, Bâle), "Mélancolie d'un après-midi (1913, Collection François Petit)...
De Chirico tente d'y exprimer des sentiments profonds et mystérieux qui trouvent leur forme dans la représentation d'objets rapprochés de façon incongrue et dans des décors architecturaux qui empruntent leurs espaces déserts aux places à arcades de Ferrare et de Turin. Tous les artistes surréalistes seront ensuite marqués par ses images, tels que René Magritte, Salvador Dalí et Yves Tanguy...
"Le Cerveau de l'enfant" (1914)
André Breton fait état, en 1941, lors d'un entretien, de l'état d'attraction fulgurant que lui inspira le tableau de Chirico intitulé "Le Cerveau de l'enfant" (1914, Moderna Museet, Stockholm) : "l'entrevoyant dans une vitrine de la rue La Boétie, une force irrésistible me poussa à descendre d'autobus pour venir le contempler". Pourquoi? est-ce, comme il le prétend, le fait du "rideau à demi tiré", exprimant "la nécessité en cette période de crise du passage d'une époque à une autre". Nous étions alors à une époque où la peinture surréaliste se cherchait encore en tant que telle, et Max Ernst entrera en possession de ce legs dans une oeuvre, "Pièta ou La Révolution de la nuit" (1923) ...
Max Ernst (1891-1976)
Ernst est le grand inspirateur de la diversité plastique du surréalisme, jouant avec le réel et avec l'abstraction. Il est un des pionniers de la Nouvelle Réalité, et ce par la grâce de sa seule imagination, dans ce qu'elle a d'irréductiblement singulier....
Dès son adolescence, la lecture des romantiques lui fait découvrir le trésor de l'imagination germanique, tandis que l'amitié de Macke, qu'il rencontre à Bonn, l'initie à l'Expressionnisme. Il découvre Van Gogh, Kandinsky, d'autres maîtres de l'art moderne, et ses premiers tableaux subissent à la fois toutes ces influences. Macke l’a présenté à Delaunay et Apollinaire en 1913 et il avait vu la première édition d’Alcools avec le portrait cubiste d’Apollinaire de Picasso. En 1914, Ernst rencontra Jean Arp, qui fuit l’Allemagne alors que Ernst, enrôlé dans l’armée allemande, sert comme ingénieur d’artillerie. Blessé deux fois, il réussit néanmoins à trouver le temps de peindre des huiles occasionnelles et des aquarelles qui furent exposées en 1916 à la galerie Der Sturm de Herwarth Walden. L’influence d’Arp domine des compositions semi-cubistes. En 1917, Ernst a publié dans le périodique Der Sturm un article intitulé "L’évolution de la couleur," en hommage à Chagall, Kandinsky et Delaunay. Bien qu’elle diffère sensiblement de la position esthétique ultérieure d’Ernst, elle offre un aperçu de sa pensée de ce temps, et il est remarquablement prophétique de son futur travail surréaliste dans la liaison de la couleur avec des images telles que la lune, la mer, le désert, le mariage de la mer et du ciel comme le symbole de l’esprit, et l’importance accordée à la vie végétale. Après la guerre, Ernst devient un ardent défenseur de Dada, un mouvement très divers : à Zurich en 1916, sévissent les membres fondateurs tels que Arp, Hugo Ball, Richard Huelsenbeck, Marcel Janco et Tristan Tzara dans une atmosphère remplie d' "événements rauques et souvent irrationnels." A Berlin, en 1918, s'exprime un groupe plus radical, totalement engagé dans l’action politique, comprenant George Grosz, John Heartfield, Raoul Hausmann, Johannes Baader. A Hanovre, Schwitters pratique sa propre forme de Dada. La succursale de Cologne, fondée en 1920, combine activités politiques et artistiques, avec Ernst et Alfred Grünewald. Puis, tandis que Dada se désagrège sous la poussée du Surréalisme, Ernst traverse lui-même une crise de conscience...
Très lié avec Breton, Eluard, Desnos, il évolue, en même temps que les autres membres du groupe, vers une exploration de l'inconscient plus méthodique que celle de Dada. Ses thèmes se précisent : un cosmos figé — astres, mer immobile, villes, forêts minérales dans lequel le thème de l'oiseau introduit un dynamisme significatif du désir de liberté et d'expansion de l'artiste. Sa technique, enrichie par le procédé du frottage mis au point en 1925 excelle à représenter cet univers massif, dans lequel Ernst ne se lasse pas de découvrir des associations analogiques...
Où rencontrer Max Enst ?
- "L'Éléphant de Célèbes", 1921 (Londres, Tate Gallery).
- "Pietà ou La révolution de la nuit", 1923 (Londres, Tate Gallery).
- "Ubu Imperator", 1923 (Musée national d'art moderne, Paris)
- "The Virgin Spanking the Christ Child before Three Witnesses: Andre Breton, Paul Eluard, and the Painter", 1926 (Museum Ludwig, Cologne)
- "The wavering woman", 1923 (Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf)
- "L’antipape", 1941 (Venise, Collection Peggy Guggenheim).
- "Au rendez-vous des amis", 1923-1924 (Cologne, Musée Ludwig).
- "At the first clear word", 1923 (Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf)
- "L'oeil du silence", 1943 (Mildred Lane Kemper Art Museum, Saint-Louis, Missouri)
Max Ernst, Les Hommes n'en sauront rien
(Men Shall Know Nothing of This, 1923, Tate Liverpool)
Ernst avait étudié la philosophie et la psychologie à l'Université de Bonn de 1909 à 1914, et lu en 1913 Freud, L'interprétation des rêves et de l'esprit et
sa relation avec l'inconscient. André Breton, qu'il rencontrera en 1921, s'intéresse aussi depuis longtemps à la psychanalyse. En 1914, Herbert Silberer, proche du premier cercle de Freud et
précurseur de Jung, a publié "Probleme der Mystik und ihrer Symbolik" (Problèmes du mysticisme et de ses symboles), offrant une structure de représentation qui sera souvent reprise. C'est
en 1923 qu'Ernst termine "Men Shall Know Nothing of This", connu comme le premier tableau surréaliste, peut-être inspiré par l'étude freudienne sur les délires d'un paranoïaque, Daniel Paul
Schreber : l'image centrale de deux paires de jambes fait référence aux désirs hermaphrodites de Schreber, la terre est couverte par une main désincarnée, un mixte croissant de lune / parachute
tourné vers le haut soutient un petit sifflet, tout en bas, un désert aride de viscères et de pierres où s'élèvent deux étranges protubérances...
Max Ernst, Deux enfants sont menacés par un Rossignol,
1924 (MoMA, New-York)
L'angoisse, l'inquiétude provoquées par l'intervention de l'imprévu dans la réalité ne sont pas toujours très explicitement décrites par Ernst, mais comme ici, suggérées par d'infimes signes, de brèves ruptures d'un schéma logique ..
Max Ernst, C'est le chapeau qui fait l'homme,
1920 (MoMA, New-York)
La reprise d'images et de phrases issues des situations les plus diverses extraites du quotidien, devient pour Ernst le lieu central de bouleversement des canons habituels du langage et de la communication. Le goût pour le catalogage va donner naissance à une véritable encyclopédie du non-sens, conduisant à l'effondrement du rapport entre mots et images.
Si l'on évoque le plus souvent parmi les tableaux emblématiques du mouvement surréaliste " Le champ labouré", de Joan Miro" (1924), "La persistance de la mémoire" (1931), de Savador Dali, "Le fils de l'homme", de René Magritte (1964), les œuvres de Max Ernst constituent les toutes premières tentatives d'expérimentation et de traduction des jeux de l'inconscient dans la démarche artistique, cette tentative, singulière, porte en elle ses propres limites, désespérantes sans doute...
L'image comme stupéfiant"
Les surréalistes voient dans l'image une fulgurance produite par le rapprochement aléatoire de deux réalités hétérogènes. Entre ces deux pôles, constitués par deux fragments de l'univers concret qu'un collage réunit fortuitement, passe le courant de l'imagination. Le surréalisme sait ainsi saluer la beauté dans ces manifestations improbables qui se présentent comme l'incarnation plastique des fameuses métaphores de Lautréamont : "Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l’ordre physique ou moral, l’esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu’il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l’orgueil, l’inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l’absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d’assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d’aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l’enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d’un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étouffements, les rages,-devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement..."
Max Ernst, "Le Grand Amoureux", 1926 (Scottisch National Gallery of Modern Art, Edinburgh) - "Vision provoquée par une ficelle que j'ai trouvée sur ma table", 1927 (Collection particulière) - "La Forêt", 1929 (Musée de peinture et de sculpture, Grenoble) - "Femme traversant la rivière en criant", 1927 (Collection particulière), "La chimère", 1928 (Centre Georges Pompidou, Paris) ....
Yves Tanguy (1900-1955)
Fils d'un capitaine, Tanguy fait son service militaire en même temps que Jacques Prévert. En 1922, ils sont à Montparnasse, vivent d'expédients et découvrent le surréalisme. En 1924, Tanguy se met à peindre. André Breton écrira de lui en 1941 : "c’est avec lui un horizon nouveau, celui sur lequel va s’ordonner en profondeur le paysage non plus physique mais mental. (...) Les êtres-objets strictement inventés qui peuplent ses toiles jouissent de leurs affinités propres qui traduisent de la seule heureuse manière - la manière non littérale - tout ce qui peut être objet d’émotion dans l’univers." Et Yves Tanguy fut non seulement le premier peintre surréaliste exposé aux Etats-Unis mais fut aussi l’inspirateur de Salvador Dali.
Où le rencontrer?
- "Jour de lenteur", 1937, Yves Tanguy, (Paris, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou).
Yves Tanguy, Maman, Papa est blessé!
1927 (MoMA, New-York)
L'oeuvre de Tanguy se situe en équilibre entre les différentes composantes du groupe surréaliste. Le privilège accordé à l'inconscient, le goût littéraire dans l'intitulé des oeuvres, la technique raffinée, la création d'un espace à la fois réaliste et métaphysique, sont parfaitement représentés dans cette oeuvre.
Yves Tanguy, "Rêveuse (Dormeuse)", 1927 (Collection particulière) - "Le Jardin sombre", 1928 (Künstsammlung Nordrhein Westfalen, Düsseldorf) - "Sans titre (Il vient), 1928 (Collection particulière), "Il faisait ce qu'il voulait", 1927 (Collection Richard S. Zeisler, New-York) - "Quand on me fusillera", 1927 (Musée des Beaux-Arts, Brest) - " I Await You", 1934 (Los Angeles County Museum Of Art) - ...
André Masson (1896-1987)
Après avoir rencontré Miro et Breton, Masson adhère en 1924 au groupe surréaliste, avec lequel il aura des rapports constants même s'il n'en approuve pas toujours l'évolution. Les "Peintures de sable" de 1927 et ses dessins automatiques l'imposent comme l'un des auteurs les plus importants du mouvement, en dépit d'un parcours inconstant. Dans "Les Poissons dessinés sur le sable" (1927, Kunstmuseum, Berne), Masson donne aux surfaces des couleurs et une matérialité inédites; la disposition des signes dans l'espace témoigne de l'adhésion de Masson aux théories de Breton sur l'automatisme psychique. Dans "Le fil d'Ariane" (1938, Paris), les couleurs à l'huile, sur fond de sable, vont dessiner des lignes qui cernent les silhouettes d'une femme et d'un taureau, évoquant le mythe du Minotaure. Cette manière de peindre est proche de la méthode d'écriture surréaliste défendue par André Breton, le sujet de la toile semble ici apparaître presque par hasard, comme s'il s'imposait de lui-même à la main du peintre...
André Masson, "Les quatre éléments", 1923-1924 (Musée national d'Art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris), "L'oiseau mort", 1924-1925 (Galerie H.Odermatt-Ph.Cazeau, Paris), "Les points cardinaux", 1924, Collection particulière), "Les Villageois", 1927 (Musée national d'Art moderne, Paris) - "L'Armure", 1925 (Peggy Guggenheim Collection) - "De retour de l'exécution", 1937, "Dans la tour du sommeil", 1938, "La Terre", 1939 ...
Joan Miro (1893-1983)
À dix-sept ans, Joan Miro devient employé aux écritures dans une droguerie jusqu'en 1911 où il contracte le typhus. Pour sa santé, il se voit contraint de s'installer dans une ferme de famille à Montroig. C'est à ce moment-là qu'il réalise son attachement pour la terre catalane où il retournera régulièrement tout au long de sa vie. Ce Catalan est d'abord influencé par les recherches des fauves qu'il découvre en visitant les expositions de l'avant-garde française à Barcelone en 1912 . Lors de son premier séjour à Paris, en 1919, il se lie avec Picasso et André Masson, ainsi qu'avec les représentants du dadaïsme. Dans "La Terre labourée" (1923-1924, Guggheim museum New-York), il transforme un genre traditionnel comme le paysage en une invention de formes et de couleurs dictées par l'inconscient. Il adhère au surréalisme en 1924, qui répond à sa tendance à l'onirisme, à son expérience de l'automatisme, générateur d'un humour exemplaire, et à sa quête du merveilleux (le Dialogue des insectes, 1924-1925, collection privée). Il passe l'été à Montroig, donnant alors dans une poétique dont "le Chien aboyant à la lune" (1926, Philadelphie) est l'expression accomplie. En 1925, il présente lors d'une exposition "Le carnaval d'Arlequin", œuvre purement surréaliste, et sera désormais mondialement connu. Lorsque le mouvement surréaliste prend trop de positions politiques, Miro se dégage du groupe et se consacre au collage, à la lithographie et à la sculpture. Lors de la guerre d'Espagne, Miro s'installe à Paris où il retourne vers une peinture plus réaliste.
Joan Miro, Personnage lançant une pierre à un oiseau,
1926 (MoMA, New-York)
Miro évolue sans idéologie préconçue, entre figuration et abstraction, saisissant des possibilités narratives contenues dans la libre disposition des formes dans l'espace. Sa palette éblouissante lui permet de rendre lyrique toute évocation du réel.
Joan Miro, "Le Piège", 1924 (Collection particulière), "Peinture (dite Figure rouge)", 1927 (Moderna Museet, Stockholm), "L'Homme à la pipe", 1925 ( Museo nacional, Centro de arte Reina Sofia, Madrid), 'Tête", 1927 (Collection particulière), "Sourire de ma blonde", 1934 (Collection particulière), "Le Gentleman", 1924 (Oeffentliche Kunstsammlung Basel) ...
Marcel Duchamp (1887-1968)
"..lorsqu'on veut montrer un avion en plein vol, on ne peint pas une nature morte. Le mouvement de la forme dans un temps donné nous fait entrer fatalement dans la géométrie et les mathématiques, c'est la même chose que lorsqu'on construit une machine.." (Entretiens, 1967) - D'abord peintre dans la mouvance cubo-futuriste, s'intéressant à la représentation du mouvement sur la toile, Marcel Duchamp (1187-1968) a lié son nom à l'invention du "ready-made", oeuvre d'art constituée simplement d'objets courants sans aucune intervention de l'artiste (Roue de bicyclette (1913-1964), Porte-bouteilles (1914), Séchoir à bouteilles (1914), Fontaine ou Urinoir (1917-1964), l’une des œuvres les plus controversées du XXe siècle..), des ready-mades qui ne sont, dit-il, jamais "dictés par quelque délectation esthétique" mais "fondés sur une réaction d'indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou de mauvais goût", accompagnés le plus souvent d'une courte phrase "destinée à emporter l'esprit du spectateur vers d'autres régions plus verbales". Au fond, "comme les tubes de peintures utilisés par l'artiste sont des produits manufacturés et tout faits, nous devons conclure que toutes les toiles du monde sont des ready-mades aidés et des travaux d'assemblage...".
Son dernier tableau "Tu m’" (1918, Yale University Art Gallery) est conçu comme un véritable inventaire de ses ready-mades et un résumé de ses travaux précédents. C'est sans doute l'un des premiers apports de Marcel Duchamp, l’objet en lui-même n’est pas le plus important, c’est bien l’idée qui prime, l’art est d’abord une création de l’esprit...
Bien que participant aux principales manifestations dada et surréalistes, il a toujours occupé une position isolée, - "il y a toujours eu chez moins le besoin de m'échapper", dira-t-il -, préférant à partir de 1928 son activité de joueur d'échecs à celle de membre d'une communauté artistique qu'il a pourtant contribué à modifier radicalement. "Dans la production de n'importe quel génie, dira-t-il (Entretiens avec Pierre Cabanne, éditions Sables), grand peintre ou grand artiste, il n'y a vraiment que quatre ou cinq choses qui comptent vraiment dans sa vie. Le reste, ce n'est que du remplissage de chaque jour. Généralement, ces quatre ou cinq choses ont choqué au moment de leur apparition". Et de plus, un artiste est totalement inconscient de la signification réelle de son oeuvre, ajoute-t-il : "l'artiste n'existe que si on le connaît. Par conséquent, on peut envisager l'existence de cent mille génies qui se suicident, qui se tuent, qui disparaissent, parce qu'ils n'ont pas su faire ce qu'il fallait pour se faire connaître, pour s'imposer et connaître la gloire. Je crois beaucoup au côté "médium" de l'artiste. L'artiste fait quelque chose, un jour, il est reconnu par l'intervention du public, l'intervention du spectateur; il passe ainsi plus tard à la postérité. On ne peut pas supprimer cela puisqu'en somme c'est un produit à deux pôles; il y a le pôle de celui qui fait une oeuvre et le pôle de celui qui regarde. Je donne à celui qui la regarde autant d'importance qu'à celui qui la fait.."
Duchamp commence à peindre en 1902 ("Chapelle de Blainville", Philadelphie, Museum of Art, coll. Arensberg), exécute des paysages et des
portraits influencés par le Néo-Impressionnisme les Nabis , et Cézanne : "Portrait d'Yvonne Duchamp" (1907, New York), "Maison rouge dans les pommiers" (1908, id.), "Deux nus" (1910, Centre
Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris), "Baptême" (1911, Philadelphia Museum of Art, Philadelphie), "Portrait de joueurs d’échecs (1910, Philadelphia Museum of
Art)....
Sous influence du cubisme, il exécute en 1911 des œuvres où, aux schématisations et aux perspectives multiples du Cubisme, s'ajoute une recherche
personnelle du mouvement : "Dulcinea" (1911, Philadelphia Museum of Art), "Sonata" (1911, Philadelphia Museum of Art), "Yvonne et Magdeleine déchiquetées" (1911, Philadelphie, Museum of
Art), "Portrait of Chess Players" (1911, Philadelphia Museum of Art), "À propos de jeune sœur" (octobre 1911, Solomon R. Guggenheim Museum, New York), "Nude (Study), Sad Young Man on a
Train" (décembre 1911, Collezione Peggy Guggenheim)…
Son premier "Nu descendant un escalier" (Nude Descending a Staircase, Philadelphie, Museum of Art, coll. Arensberg) sera suivi, en 1912,
d'une série d'œuvres capitales, consacrées à l'expression du mouvement : "The King and Queen Surrounded by Swift Nudes" (1912, Philadelphia Museum of Art), "The Passage from Virgin to
Bride" (1912, Museum of Modern Art - New York). "Feuille de vigne femelle" (Female Fig Leaf, 1950-1951), moulage du sexe féminin que Duchamp offrit à Man Ray comme cadeau d'adieu quand il quitta
les Etats-Unis pour Paris en 1951, montre à quel point l'érotisme tient une place quasi sous-jacente à toute l'oeuvre de l'artiste : "Je crois beaucoup à l'érotisme, parce que c'est
vraiment une chose assez générale dans le monde entier, une chose que les gens comprennent. Cela remplace, si vous voulez, ce que d'autres écoles de littérature appelaient symbolisme,
romantisme..." (Entretiens).
"La Mariée mise à nu par ses célibataires" (1912-1923, Museum of Art, Philadelphia), ou "Le Grand Verre", est une oeuvre, sans doute unique, conceptuelle et quasiment indéchiffrable, réalisée sur panneau de verre et donnée comme un aboutissement de sa recherche : parmi les nombreuses innovations formelles que propose Duchamp dans cette oeuvre, on retient le choix du support transparent qui permet ainsi à l'oeuvre de s'enrichir de façon fortuite et imprévisible de l'environnement où elle est présentée. À partir de 1915, installé à New York, Duchamp partage son temps entre les Etats-Unis et la France, et y recompose un cercle d’amis dont le couple Arensberg, Louise et Walter qui deviendront ses principaux mécènes et qui offriront leur collection d’œuvres au musée de Philadelphie.
Dans le prolongement de ses recherches des années 1911-1912 sur la décomposition du mouvement, Marcel Duchamp entame en 1920 une série d’œuvres optiques (Rotative demi-sphère, optique de précision, 1924) et cinématographiques ( Anémic Cinéma, 1926) qui ont pour objet de faire perdre à l’œil son pouvoir de contrôle et d’accéder à une autre expérience de la vision, anticipant l'art cinétique. Enfin, "La boîte-en-valise", achevée en 1941, qui se veut petit musée portatif, évoque la circularité parfaite de toute esthétique, c'est le musée qui fait l'art et l'art qui fait le musée, "ce sont les regardeurs qui font les tableaux", répètera-t-il... Et d'ajouter, lucide, "c'est quelque chose qu'on ne peut faire pendant quinze ans ou pendant dix ans. Au bout de quelque temps, c'est fini."
Rrose Sélavy, L’alter-égo féminin de Marcel Duchamp - Duchamp est le premier artiste à se réinventer en une femme ayant une production littéraire et artistique en soi : Rrose Sélavy ("Éros, c'est la vie") apparaît en 1919 (readymade "Air de Paris", nouvelle marque de parfum, distribué entre Paris et New-York, devenue en 1921 "Belle Haleine, eau de Voilette", photographiée par Man Ray) et en 1920, sur la tablette d'une sculpture intitulée "Fresh Widow". Elle sera tout à la fois une œuvre et à l'origine d'œuvres plus ou moins singulières pour ne pas dire loufoques (Why not sneeze, Rrose Sélavy ?, 1921), et ce de 1919 à 1965. Il s'agirait pour Duchamp de remettre en question le statut de l'oeuvre d'art et de l'artiste associé, que sait-on de l'oeuvre, que sait-on de l'artiste, qu'est-ce donc que cette supposée postérité de l'oeuvre, tout est au fond essentiellement manipulation, «acheter ou prendre des tableaux connus ou pas connus et les signer du nom d’un peintre connu ou pas connu — La différence entre «la facture » et le nom inattendu pour les «experts», — est l’œuvre authentique de Rrose Sélavy, et défie les contrefaçons».... "Dans un temple en stuc de pomme le pasteur distillait le suc des psaumes. Rrose Sélavy demande si les Fleurs du Mal ont modifié les mœurs du phalle : qu’en pense Omphale ? Voyageurs, portez des plumes de paon aux filles de Pampelune. La solution d’un sage est-elle la pollution d’un page ?", écrira Robert Desnos en 1922, reprenant le personnage lors de ses séances de sommeil hypnotique...
Kurt Schwitters (1887-1948)
Les détritus, les déchets du monde font leur entrée dans l'oeuvre d'art, placés au même niveau que les autres composantes du tableau. La surface devient alors le champ d'action de l'artiste, la réelle reconstruction d'un microcosme psychologique.
Né à Hanovre, issu d'une famille de commerçants, s'orientant très tôt vers les Arts appliqués, Kurt Schwitters feindra l'imbécillité pour échapper à l'incorporation en 1917. Il est le portrait type de l'intellectuel, se tournant vers toutes les formes d'expression à sa disposition, s'essayant à la peinture expressionniste, cubo-futuriste (Paysage d'Opherdicke, 1917), mais aussi au théâtre, à la poésie, à l'architecture, à la recherche perpétuelle de l'oeuvre totale, du "Gesamtkunstwerk". En 1918, il participe à la revue Der Sturm, fait la connaissance des dadaïstes de Berlin, Raoul Hausmann et de Hannah Höch, mais se voit refuser toute intégration dans le mouvement. Dès lors, il crée son propre mouvement, dont il est le chef et l'unique membre, sous le nom de Merz "Kommerz- und Privatbank". C'est à la même époque qu'il abandonne, pour ses collages, les matériaux "nobles" de la peinture traditionnelle (huile, couleurs, pigments, élément pictural) pour leur substituer les déchets de la vie urbaine (prospectus, tickets de tramway, morceaux de chiffons, lambeaux d'affiches, couvercles de boîtes de conserve, ficelles, carton ondulé). La première exposition de ses fameux "Merzbilder" est présentée en 1919 à Berlin: "Das Undbild" (1919, Staatsgalerie Stuttgart), "Revolving" (1919, New-York, MoMA), "Merz Picture 25A : The Star Picture" (1920, Dusseldorf, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen). Il reste le souvenir d'une oeuvre, détruite au cours de la guerre, le "Merzbau", sorte d'immense assemblage réalisée dans sa maison Hanovre. L'arrivée au pouvoir de Hitler le contraint à l'exil, en Norvège (1937) puis en Grande-Bretagne, reprenant ses Merzbilder et recommençant à chaque nouvelle étape la construction d'un Merzbau. Il mourra en exil, inconnu, oublié, mais acquerra une notoriété posthume.
René Magritte (1898-1967)
"Golconde", 1953 (Houston, The Menil Collection)
Magritte joue sur l'ironie, l'humour, les rapprochements inattendus, le trompe-l'oeil et l'absurde. Créant des liens illogiques entre les objets, les juxtaposant dans leur simplicité et sans aucune mystification, Magritte peut ainsi faire surgir le rire comme l'angoisse. Ici, utilisant une technique picturale extrêmement classique, sans aucune complexité formelle, il montre une pluie d'hommes en chapeau projetant leur ombre en passant devant la façade de l'immeuble.
Savador Dali (1904-1989)
"Persistance de la mémoire", 1931 (MoMA, New-York)
"Chaque matin, au réveil, j'expérimente un plaisir suprême qu'aujourd'hui je découvre pour la première fois: celui d'être Salvador Dali, et je me demande, émerveillé, ce que va encore faire de prodigieux aujourd'hui ce Salvador Dali. Et chaque jour, il m'est plus difficile de comprendre comment les autres peuvent vivre sans être Gala ou Salvador Dali" (Dali, septembre 1953).
Selon André Breton, la méthode mise en oeuvre par Dali est la "paranoïa critique" : il entend traduire dans sa peinture des visions oniriques totalement dominées par des métamorphoses monstrueuses. Aucun objet, aucun personnage ne restent indemnes, comme chez Magritte, qui a fait pourtant pleuvoir des hommes. Avec Dali, les objets se transforment et leurs formes s'hybrident, comme s'ils appartenaient à un autre univers…
La peinture de Salvador Dalí est successivement marquée par une inspiration futuriste (1920, Maison pour érotomane, 1922), métaphysique (1923) et cubiste (1925, Composition with Three Figures, Neo-Cubist Academy, 1926, Museu de Montserrat). Il a une grande admiration pour Meissonnier, jusqu’au moment où il découvre des reproductions d’œuvres d’Ernst, Miró et surtout d’Yves Tanguy…
En 1928, à Paris, il fait la connaissance de Picasso, de Miró, d’André Breton et de Paul Eluard qui l’orientent vers le surréalisme, auquel il adhère effectivement l’année suivante. Dalí plus qu’aucun autre surréaliste a converti en un postulat les facteurs de l’absurde et de la folie simulée. Les choses rebutantes et obscènes, le satanique, le monstrueux, se présentaient d’une forme théâtrale. L’essence de son art que Dalí a dénommé « paranoïque-critique », était une exagération hallucinatoire des idées sexuelles, sadiques, masochistes et névrotiques.
"Enigma of Desire, My Mother, My Mother, My Mother" (1929, Pinakothek der Moderne, München), "Illuminated Pleasures" (1929, Museum of Modern Art, New York), "Portrait of Paul Eluard" (1929, Private collection), "Partial Hallucination: Six Apparitions of Lenin on a Piano" (1931, Centre Pompidou, Musée National d'Art Moderne, Paris), "Birth of Liquid Desires" (1931-1932, Collezione Peggy Guggenheim, Venice), "Archaeological Reminiscence of Millet's Angelus" (1935, Private Collection), "Autumnal Cannibalism" (1936, Tate Modern, London), "Soft Construction with Boiled Beans. Premonition of the Civil War" (1936, Philadelphia Museum of Art), "Metamorphosis of Narcissus" (1937, Tate, London)....
"Je renverse du café sur ma chemise. La première réaction de ceux qui ne sont pas comme moi des génies, c'està-dire les autres, est de s'essuyer. Moi,
c'est tout le contraire. Dès mon enfance, j'avais déjà l'habitude d'épier l'instant où les bonnes et mes parents ne pouvaient pas me surprendre pour renverser lestement et furtivement, entre ma
chemise et ma peau, le reste le plus gluant de sucre de mon café au lait. Outre la volupté ineffable que me procurait ce liquide dégoulinant jusqu'au nombril, son séchage progressif puis le tissu
se collant à la peau m'offraient la possibilité de constatations périodiques persistantes. Tirant lentement, progressivement ou par secousses longtemps attendues avec délices, je provoquais de
nouvelles adhésions de la peau et de la chemise, fructueuses en émotions et pensées philosophiques qui duraient toute la journée... Pour me résumer, il faudrait ajouter qu'étant un génie, il se
pourrait très, très bien que de ce simple accident (qui pour beaucoup serait simplement un ennui insignifiant) Dali sache convertir toutes les possibilités en une machine cybernétique molle me
permettant d'atteindre ou plutôt de tendre vers la Foi qui, jusqu'à présent, n'était qu'une prérogative unique de l'omnipotente grâce de Dieu.
De tous les plaisirs hyper-sybaritiques de ma vie, l'un des plus aigus et des plus piquants est peut-être (et même sans peut-être) et sera de rester au
soleil couvert de mouches. Ainsi pourrais-je dire: - Laissez venir à moi les petites mouches! ..." (Dali, novembre 1962)
Salvador Dali, "Planche d'associations démentielles ou Deux d'artifice", 1920-1931, Collection particulière...