Modernism - Thomas Stearns Eliot (1888-1965), "The Waste Land" (La Terre vaine, 1922), "Ash Wednesday" (1930),"Murder in the Cathedral" (1935), "Four Quartets" (1943) - ...

Last update: 12/27/2022


Avec "Cantos" d'Ezra Pound, "The Waste Land" de T.S.Eliot est une oeuvre de référence de la poésie moderniste. Le "modernisme" en tant que phénomène et mouvement culturels, fut la réponse des artistes et des écrivains aux nouvelles conditions d'existence de ce début du XXe siècle, une période qui verra une augmenation de la production littéraire comme jamais auparavant dans l'histoire. Le modernisme peut se comprendre comme une réaction à la contestation de toutes les anciennes certitudes religieuses, ethiques ou sociales, des réactions différentes selon le tempérament des écrivains, mais qui trouvait un terrain de diffusion favorable auprès de cette société fragmentée qui émergeait de toutes les couches sociales déstabilisées par l'urbanisation croissante et populeuse. L'idée de l'avant-garde devint le trait dominant de l'approche artistique pendant cette période moderniste. 

Eliot est né États-Unis où il avait grandi et avait suivi sa scolarité, mais, comme Pound, il était davantage attiré par la culture européenne que par celle de son pays.

En 1914, il émigra en Grande-Bretagne, prit la nationalité britannique, en 1927, et considéra que sa poésie était entièrement en phase avec les traditions culturelles européennes. Publié en 1922, "The Waste Land" fut immédiatement applaudi pour avoir saisi l'esprit de l'époque. Comme les poètes de la Premiere Guerre mondiale, Eliot rejeta les idiomes poétiques désuets du passé au profit de styles et de formes plus appropriés au monde moderne. C'est encore dans l'un de ses premiers poèmes "The Love Song of J.Alfred Prufrock" (1915) que s'exprime le mieux le contraste entre le passé et le présent, le romantisme et la modernité: "Let us go then, you and I, / When the evening is spread out against the sky / Like a patient etherised upon a table" (Allons-nous en donc, toi et moi, / Lorsque le soir est étendu contre le ciel / Comme un patient anesthésié sur une table). 

"The Waste Land" pousse plus loin les thèmes et les techniques de "Prufrock". Écrite sous la forme d'un monologue dramatique en cinq parties, cette oeuvre présente la vision d'un monde stérile où les valeurs culturelles et spirituelles ont été dissoutes, laissant uniquement derrière elles les formalités vaines d'une vie en pilote automatique. Le poème met en scène un grand nombre de voix différentes, assemblées pratiquement comme dans une pièce radiophonique.

Certaines voix semblent désincarnées et gnomiques, d'autre jacassent familièrement. Aucune de ces voix n'est en prise avec une autre. Parfois, il semble que quelqu'un parle à la première personne, puis, de façon déconcertante, la parole passe à quelqu'un d'autre. La fragmentation des voix, des récits et des formes, et l'utilisation d'images discordantes créent un collage que l'on perçoit au début comme aléatoire. Eliot n'autorise délibérément aucune relation directe entre les éléments du poème, il n'y a ni logique ni métarécit apaisants. ll incombe au contraire au lecteur de tenter de reconstituer une forme quelconque de civilisation à partir de ces fragments et de les relier avec des valeurs spirituelles. La poésie qu'Eliot écrira vers la fin de sa carrière - et notamment "Four Ouartets" poursuivra uniquement cette quête d'une vie spirituelle....

 

Thomas Stearns Eliot (1888-1965) 

T.S. Eliot est né à Saint-Louis, dans le Missouri, d'une vieille famille de Nouvelle-Angleterre. Il a fait ses études à Harvard et a fait des études supérieures de philosophie à la Sorbonne, Harvard, et au Merton College, Oxford. Il s'est installé en Angleterre, où il a été pendant un temps maître d'école et employé de banque, puis éditeur littéraire pour la maison d'édition Faber & Faber, dont il est ensuite devenu directeur. Il fonde et, pendant les dix-sept années de sa publication (1922-1939), édite la revue littéraire exclusive et influente Criterion, - Eliot était presque aussi célèbre comme critique littéraire que comme poète...

Plusieurs des premiers poèmes d'Eliot ont d'abord été publiés en association avec le magazine littéraire universitaire The Harvard Advocate. C'est dans cette pépinière d'écrivains et de poètes que s'est nouée au moins une des amitiés de toute une vie d'Eliot, celle du poète Conrad Aiken.

La carrière de poète d'Eliot peut être raisonnablement organisée en trois périodes...

La première période de la vie de TS Eliot coïncide avec ses études à Boston et à Paris, et culmine avec "The Love Song of J. Alfred Prufrock" en 1911. Les poèmes de la première période n'ont été précédés que de quelques essais publiés dans des magazines scolaires, mais en 1910 et 1911, il a écrit quatre poèmes qui ont introduit des thèmes auxquels, avec des variations et des développements, il est revenu à maintes reprises, "Portrait of a Lady", "Preludes", "Rhapsody on a Windy Night", et "The Love Song of J. Alfred Prufrock". C'est Pound qui organisa en 1915 la publication de "Prufrock" dans le magazine Poetry, puis en 1917. Celui-ci continua à jouer un rôle central dans la vie et le travail d'Eliot jusqu'au début des années 1920. Pound a influencé la forme et le contenu du groupe de poèmes suivant d'Eliot, les quatrains de Poems (1919). Plus célèbre encore, il modifiera la forme de "The Waste Land" en incitant Eliot à couper plusieurs longs passages.

La deuxième période de la vie de TS Eliot coïncide avec la Première Guerre mondiale et le stress financier et conjugal de ses premières années à Londres, et culmine avec "The Waste Land" en 1922. En 1915, il épouse sa première femme, Vivienne Haigh-Wood. On a pensé que ce mariage a influencé "The Waste Land" - après 1933, Vivienne souffrira de maladies mentales, et les deux époux vivront séparément jusqu'à sa mort en 1947; en 1957, à l'âge de 68 ans, Eliot épousera Esmé Valerie Fletcher, sa secrétaire chez Faber & Faber depuis 1950, près de 40 ans sa cadette - ...

En 1927, Eliot devient citoyen britannique et, à peu près au même moment, entre dans l'Église anglicane...

La troisième période de la vie de TS Eliot coïncide avec son angoisse face à la dépression économique et à la montée du nazisme, avec pour point culminant les "Four Quartets" en 1943, écrits en temps de guerre. 

Eliot a été l'un des innovateurs les plus audacieux de la poésie du vingtième siècle, nous dit sa biographie de Prix Nobel. "Ne transigeant jamais ni avec le public ni avec le langage lui-même, il a suivi sa conviction que la poésie devait viser à représenter les complexités de la civilisation moderne dans le langage et que cette représentation conduisait nécessairement à une poésie difficile. Malgré cette difficulté, son influence sur la diction poétique moderne a été immense". La poésie d'Eliot, de "The Love Song of J. Alfred Prufrock" (1917) aux "Four Quartets" (1943), reflète l'évolution d'un écrivain chrétien : les premières œuvres, en particulier "The Waste Land" (1922), sont essentiellement négatives, l'expression de cette horreur d'où découle la recherche d'un monde supérieur. 

Dans Ash Wednesday (1930) et les Four Quartets (1943), ce monde supérieur devient plus visible ; cependant, Eliot a toujours veillé à ne pas devenir un "poète religieux" et a souvent déprécié le pouvoir de la poésie en tant que force religieuse. 

Cependant, ses drames "Murder in the Cathedral" (1935) et "The Family Reunion" (1939) sont des apologies plus ouvertement chrétiennes. Dans ses essais, surtout les plus récents, Eliot prône un traditionalisme en matière de religion, de société et de littérature qui semble en contradiction avec son activité pionnière de poète. "Mais bien que l'Eliot de "Notes towards the Definition of Culture" (1948) soit un homme plus âgé que le poète de "The Waste Land", il ne faut pas oublier que pour Eliot la tradition est un organisme vivant comprenant le passé et le présent en constante interaction mutuelle"...

 

PRUFROCK ET AUTRES OBSERVATIONS (Prufrock and Other 0bservatíons, 1917)

Ce premier recueil de poèmes de jeunesse, composés par Thomas Stearns Eliot, de 1909 à 1915, et publié en 1917, montre déjà son originalité profonde dans le choix de ses thèmes, sa maîtrise de la technique du vers libre, et l'influence des symbolistes français et de Jules Laforgue dans l'exploration d`états d'esprit complexes. Le plus important, "La Chanson d'amour de J. Alfred Prufrock" (The Love Song of J. Alfred Prufrock], fut écrit en 1912 et parut pour la première fois en juin 1915 dans la revue américaine Poetry. Faisant suite à l'épigraphe tirée de Dante, un monologue dans un style familier aux antipodes de la diction victorienne présente une situation à la fois mystérieuse et précise : "Allons donc, vous et moi /Quand le soir s'allongera contre le ciel / Comme un malade sous l'éther sur une table / Allons par certaines rues à demi désertes / Retraites murmurantes / De nuits sans repos dans de sordides hôtels d`une nuit / De restaurants jonchés de sciure avec les écailles d'huîtres / Rues qui s`enchaînent comme une argumentation oiseuse / A l`íntention insidieuse / Oh, ne demandez pas : “Qu'est-ce donc ?” / Allons rendre notre visite." ...

 

Let us go then, you and I,

When the evening is spread out against the sky

Like a patient etherized upon a table;

Let us go, through certain half-deserted streets,

The muttering retreats

Of restless nights in one-night cheap hotels

And sawdust restaurants with oyster-shells:

Streets that follow like a tedious argument

Of insidious intent

To lead you to an overwhelming question ...

Oh, do not ask, “What is it?”

Let us go and make our visit.

 

In the room the women come and go

Talking of Michelangelo.

 

The yellow fog that rubs its back upon the window-panes,

The yellow smoke that rubs its muzzle on the window-panes,

Licked its tongue into the corners of the evening,

Lingered upon the pools that stand in drains,

Let fall upon its back the soot that falls from chimneys,

Slipped by the terrace, made a sudden leap,

And seeing that it was a soft October night,

Curled once about the house, and fell asleep.

 

And indeed there will be time

For the yellow smoke that slides along the street,

Rubbing its back upon the window-panes;

There will be time, there will be time

To prepare a face to meet the faces that you meet;

There will be time to murder and create,

And time for all the works and days of hands

That lift and drop a question on your plate;

Time for you and time for me,

And time yet for a hundred indecisions,

And for a hundred visions and revisions,

Before the taking of a toast and tea.

 

In the room the women come and go

Talking of Michelangelo.

 

And indeed there will be time

To wonder, “Do I dare?” and, “Do I dare?”

Time to turn back and descend the stair,

With a bald spot in the middle of my hair —

(They will say: “How his hair is growing thin!”)

My morning coat, my collar mounting firmly to the chin,

My necktie rich and modest, but asserted by a simple pin —

(They will say: “But how his arms and legs are thin!”)

Do I dare

Disturb the universe?

In a minute there is time

For decisions and revisions which a minute will reverse.

 

For I have known them all already, known them all:

Have known the evenings, mornings, afternoons,

I have measured out my life with coffee spoons;

I know the voices dying with a dying fall

Beneath the music from a farther room.

               So how should I presume?

 

(...)

 

L'identité de Prufrock demeure dans le vague tandis que les images sont précises et claires, et que le mouvement hésitant du vers traduit ses sentiments. Il ne voit d`abord autour de lui que bassesse et corruption. La concupiscence et la vulgarité quotidiennes l'écœurent : odeurs de lessive, relents de vaisselle, regard hébété des filles, crasse des rues louches. Bourgeois blasé, il demeure stérile malgré son bon goût car il n`agit pas. Tout le poème repose ainsi sur une hésitation : celle de la question ultime qui ne sera jamais posée, celle aussi de la forme qui oscille entre le flux et la stabilité. Le décor est dur et anguleux tandis que les sensations restent évasives, les pensées à demi formulées. Une échelle des valeurs nobles (Michel-Ange. les huîtres, le thé aristocratique) est dévalorisée par la routine et rabaissée au niveau des valeurs populaires (hôtels de passe, fumeurs en bras de chemise, ruelles bruyantes). La peur d'une existence pétrie d'ennui et d'inanité envahit le monologue. Cependant, au-delà des tergiversations du personnage vieillissant, nous avons l'intuition d'un univers spirituel, suggéré plus que perçu. 

Au dépaysement et à la frustration succède l`émerveillement du chant des sirènes, et la constatation pessimiste : "Je ne puis croire qu'elles chanteront pour moi / Je les vis chevaucher les vagues vers le large / Peignant les blanches crinières ébouriffées, / Lorsque le vent souffle les eaux blanches et noires. / Nous avons tardé dans les chambres de la mer / Près des sirènes ceintes d'algue rouge et brune / Jusqu'à ce que des voix humaines nous éveillent  - et nous sombrons."

Comme Sweeney (cf. Sweeney agonistes), "Prufrock" est l`un des masques du poète et son ironie se retourne contre lui-même. Elle souligne sa peur de vieillir sans saisir la signification de la vie et reflète la condition de chacun comme l'indique le passage du "je" au "nous". Dans son refus d'une prise de conscience claire, Prufrock joue ici le même rôle que Hugh Selwyn Mauberley dans les premiers poèmes de Pound. On y retrouve des influences de Jules Laforgue, de Baudelaire, des Amours jaunes de Corbière et des symbolistes. Eliot n'imite pas, mais recrée, sans doute avec un goût artistique supérieur. Ces premières œuvres laissent tant une impression de netteté, de clarté, de justesse. Fourmillant d`influences autant que d'intuitions, ce recueil surprend et choque encore de nombreuses années après sa parution.  L'auteur utilise des comparaisons crues, des relations voilées, une économie sévère qui purifient la diction de toute rhétorique romantique. Ayant écarté l'écho de la rime, il place la réussite dans le choix des termes et la structure des phrases. Après ce coup d`essai, l'écriture de la poésie moderne sera irrémédiablement changée ...


"The Waste Land" (La Terre vaine, 1922)

La poésie anglaise moderne a été profondément marquée par ce poème de l`écrivain anglais Thomas Stearns Eliot publié en 1922. Ce poème représentait en effet tout l'inquiétude et l`amertume d'une génération. le sentiment de l`échec et de l'hystérie des relations sexuelles que l`on retrouve chez F. S. Fitzgerald ou Hemingway. Mais plus encore, c'est un poème qui innove sur le plan formel : rupture soudaine d`une scène à l`autre, changements de ton, contraste entre le langage vulgaire contemporain et la poésie étherée de la tradition classique ou médiévale, construction d`une émotion ou d`une idée par une suite d`allusions indirectes, modulation symphonique des thèmes. etc. Dédié à Ezra Pound, "il miglior fabbro" qui modifia la forme de The Waste Land en incitant Eliot à couper plusieurs longs passages,  le poème ressemble aux "Cantos" de ce dernier en ce qu'il est rempli d`allusions et de citations littéraires et se compose de fragments. Cette tendance des premiers poèmes d'Eliot se trouve ici à son point extrême. Comme le remarquera Edmund Wilson, nous trouvons en quatre cent trois vers des références directes ou indirectes à plus de trente-cinq auteurs et des citations en six langues étrangères. Or, au lieu de disparaître sous tant d'érudition, le poème vit intensément, marqué du sceau original de l`imagination unificatrice du poète (c'est Ezra Pound qui l'a persuadé que ses cinq parties devaient apparaître comme une seule séquence). Même s'il peut ne pas comprendre toujours les allusions savantes et mystérieuses,  le lecteur est entraîné et partage les émotions, saisissant l`intention générale de l`auteur. 

En fait "La Terre vaine" contient une seule métaphore développée de façon dramatique sur des registres variés. Dans sept pages de notes constituant une clé précieuse, Eliot reconnaît sa dette envers Jessie Weston (From Ritual to Romance, 1920) et J. G. Frazer (The Golden Bough, 1900) dont les études sur le symbolisme anthropologique fournissent au poème son substrat mythique, sa progression rituelle ou la fertilité de la terre s'associe à la fécondité de l`amour sexuel et à la régénération de l'amour divin. Les images principales de ces concepts d'extension variable sont l`eau et le feu...

En effet, "The Waste Land" et Eliot présente plusieurs friches symboliques des temps modernes:  la friche de la religion, où il n'y a pas d'eau (la foi) ; la friche de l'esprit, où toutes les sources morales sont taries ; et la friche de l'instinct de reproduction, où la perversion sexuelle a conduit à la mort spirituelle des habitants de cette friche en raison de la commercialisation du sexe. Le poète communique au lecteur son propre sentiment d'anarchie, de déchéance morale et de stérilité spirituelle qu'il trouve partout dans le monde contemporain. 

Basé sur la légende arthurienne du Roi Pêcheur dont le royaume a été dévasté par sa propre perversion sexuelle et celle de ses soldats, le poème présente la vision poétique de la scène désolante de l'Europe immédiatement après la Première Guerre mondiale, où toutes les valeurs normales de la société ont été bouleversées, et où il y a peu d'espoir de rédemption. Ce que Tirésias, la voix centrale prophétique de The Waste Land, découvre et commente, c'est la vision du poète de la futilité de l'effort humain dans un contexte social. La "ville irréelle" du poète symbolise n'importe quelle ville d'Europe, d'Amérique ou d'Asie où les hommes et les femmes sont des figures fantomatiques sans vie sociale vitale, et où les foules qui affluent sur le pont de Londres ne sont pas des êtres humains indépendants mais les victimes serviles d'un mode de vie mécanique. 

À la fin du poème, le poète fait preuve d'optimisme en affirmant qu'au milieu de la sécheresse spirituelle, il y a de l'espoir dans le sacrifice du Christ et les enseignements des Upanishads selon lesquels les gens devraient, par charité, sympathiser avec leurs semblables et contrôler leurs désirs de rédemption. The Waste Land se termine sur une note de paix avec la répétition du mot sanskrit signifiant "paix" : "Shantih, Shantih, Shantih". 

Le poème est en cinq mouvements, "The Burial of the Dead", "A Game or Chess", "The Fire Sermon", "Death by Water", "What the Thunder Said"...

 

"The Burial of the Dead" 

Le premier mouvement, "L`Enterrement des morts" développe le thème de l'attirance de cette "mort vivante" monde contemporain. Avril est "le mois le plus cruel" parce qu`il oblige à renaître l`homme réfugié dans l`oubli ou dans ses souvenirs d`enfance. Sur un chaos de rocs et "d'images brisées" un soleil torride suscite "la peur dans une poignée de poussière". Si le chant du matelot du Tristan et Iseult évoque l`extase jadis possible de la "fille aux jacinthes", la mer demeure déserte et vide. Alors que les mages annonçaient les desseins sacrés, Mme Sosostris n`est qu`une voyante de foire. Pourtant le sens du jeu de tarots demeure. qui nous révèle l'identité des narrateurs et laisse prévoir l`avenir des habitants de la terre vaine. La "cité irréelle" évoquant la "fourmillante cité" de Baudelaire nous amène dans les limbes où le "Je" qui observe les morts sous le pont de Londres se trouve lui-même. Il s`identifie à Stetson, qui est chacun d'entre nous et sa question, "Ce cadavre que tu plantas l'an dernier dans ton jardin / A-t-il commencé à germer?", s`adresse aussi à "l'hypocrite lecteur". L`enterrement des morts est une plantation stérile, mais la menace d`une résurrection crée la peur. Le dieu enfoui de la fécondité n`a-t-il pas encouragé la terre à produire? Sur cette note de terreur, le passage se termine, ayant placé au cœur d`un individu la crainte exprimée impersonnellement au premier vers....

 

The Burial of the Dead

 

April is the cruellest month, breeding

Lilacs out of the dead land, mixing

Memory and desire, stirring

Dull roots with spring rain.

Winter kept us warm, covering

Earth in forgetful snow, feeding

A little life with dried tubers.

Summer surprised us, coming over the Starnbergersee

With a shower of rain; we stopped in the colonnade,

And went on in sunlight, into the Hofgarten,

And drank coffee, and talked for an hour.

Bin gar keine Russin, stamm’ aus Litauen, echt deutsch.

And when we were children, staying at the archduke’s,

My cousin’s, he took me out on a sled,

And I was frightened. He said, Marie,

Marie, hold on tight. And down we went.

In the mountains, there you feel free.

I read, much of the night, and go south in the winter.

 

What are the roots that clutch, what branches grow

Out of this stony rubbish? Son of man,

You cannot say, or guess, for you know only

A heap of broken images, where the sun beats,

And the dead tree gives no shelter, the cricket no relief,

And the dry stone no sound of water. Only

There is shadow under this red rock,

(Come in under the shadow of this red rock),

And I will show you something different from either

Your shadow at morning striding behind you

Or your shadow at evening rising to meet you;

I will show you fear in a handful of dust.

                      Frisch weht der Wind

                      Der Heimat zu

                      Mein Irisch Kind,

                      Wo weilest du?

'You gave me hyacinths first a year ago;

'They called me the hyacinth girl.'

—Yet when we came back, late, from the Hyacinth garden,

Your arms full, and your hair wet, I could not

Speak, and my eyes failed, I was neither

Living nor dead, and I knew nothing,

Looking into the heart of light, the silence.

Oed’ und leer das Meer.

 

Madame Sosostris, famous clairvoyante,

Had a bad cold, nevertheless

Is known to be the wisest woman in Europe,

With a wicked pack of cards. Here, said she,

Is your card, the drowned Phoenician Sailor,

(Those are pearls that were his eyes. Look!)

Here is Belladonna, the Lady of the Rocks,

The lady of situations.

Here is the man with three staves, and here the Wheel,

And here is the one-eyed merchant, and this card,

Which is blank, is something he carries on his back,

Which I am forbidden to see. I do not find

The Hanged Man. Fear death by water.

I see crowds of people, walking round in a ring.

Thank you. If you see dear Mrs. Equitone,

Tell her I bring the horoscope myself:

One must be so careful these days.

Unreal City,

Under the brown fog of a winter dawn,

A crowd flowed over London Bridge, so many,

I had not thought death had undone so many.

Sighs, short and infrequent, were exhaled,

And each man fixed his eyes before his feet.

Flowed up the hill and down King William Street,

To where Saint Mary Woolnoth kept the hours

With a dead sound on the final stroke of nine.

There I saw one I knew, and stopped him, crying: 'Stetson!

'You who were with me in the ships at Mylae!

'That corpse you planted last year in your garden,

'Has it begun to sprout? Will it bloom this year?

'Or has the sudden frost disturbed its bed?

'Oh keep the Dog far hence, that’s friend to men,

'Or with his nails he’ll dig it up again!

'You! hypocrite lecteur!—mon semblable,—mon frère!”

 

"A Game or Chess"

Le second mouvement, "Un jeu d'échecs", a pour thème le déclin de l`amour esquissé dans l`ouverture.  Cléopâtre qui en fit un dieu, Didon qui succomba à la passion sont subtilement évoquées comme incarnations de l`Amour. Mais le luxe sensuel du palais de la reine d'Egypte, s'il se retrouve dans le somptueux intérieur d`une grande dame. évoque un sentiment de claustration et de décadence "synthétique" où l`objet précieux accapare l`attention. La scène sculptée du viol de Philomèle est une clé. Elle unit la dignité de la poésie éternelle à la brutalité passée et présente dans : "le rossignol/ Emplissait le désert de sa voie inviolable / Elle criait encore, et poursuit encore le monde". Les rapports sexuels sont devenus. sous l`euphémisme d`une "partie d`échecs", un passe-temps après la promenade en voiture, pour l`aristocrate effrayée du néant où elle se meut. Dans le monde vulgaire de Sweeney, parmi les basses classes, l'amour conduit aussi à l`avortement. C'est le message de cette conversation dans un pub, à l`heure de la fermeture, où Lil avoue avoir dépensé en pilules, pour éviter une autre grossesse, l'argent de son dentier. Parce que la foi est absente, l`amour ne peut se réaliser en une union significative ou féconde...

 

A Game of Chess

 

The Chair she sat in, like a burnished throne,

Glowed on the marble, where the glass

Held up by standards wrought with fruited vines

From which a golden Cupidon peeped out

(Another hid his eyes behind his wing)

Doubled the flames of sevenbranched candelabra

Reflecting light upon the table as

The glitter of her jewels rose to meet it,

From satin cases poured in rich profusion;

In vials of ivory and coloured glass

Unstoppered, lurked her strange synthetic perfumes,

Unguent, powdered, or liquid—troubled, confused

And drowned the sense in odours; stirred by the air

That freshened from the window, these ascended

In fattening the prolonged candle-flames,

Flung their smoke into the laquearia,

Stirring the pattern on the coffered ceiling.

Huge sea-wood fed with copper

Burned green and orange, framed by the coloured stone,

In which sad light a carvéd dolphin swam.

Above the antique mantel was displayed

As though a window gave upon the sylvan scene

The change of Philomel, by the barbarous king

So rudely forced; yet there the nightingale

Filled all the desert with inviolable voice

And still she cried, and still the world pursues,

'Jug Jug' to dirty ears.

And other withered stumps of time

Were told upon the walls; staring forms

Leaned out, leaning, hushing the room enclosed.

Footsteps shuffled on the stair.

Under the firelight, under the brush, her hair

Spread out in fiery points

Glowed into words, then would be savagely still.

'My nerves are bad tonight. Yes, bad. Stay with me.

Speak to me. Why do you never speak. Speak.

What are you thinking of? What thinking? What?

I never know what you are thinking. Think.'

  I think we are in rats’ alley

Where the dead men lost their bones.

  'What is that noise?'

                          The wind under the door.

'What is that noise now? What is the wind doing?'

                           Nothing again nothing.

                                                        'Do

'You know nothing? Do you see nothing? Do you remember

'Nothing?'

       I remember

Those are pearls that were his eyes.

'Are you alive, or not? Is there nothing in your head?'   

                                                                           But

O O O O that Shakespeherian Rag—

It’s so elegant

So intelligent

'What shall I do now? What shall I do?'

'I shall rush out as I am, and walk the street

'With my hair down, so. What shall we do tomorrow?

'What shall we ever do?'

                                               The hot water at ten.

And if it rains, a closed car at four.

And we shall play a game of chess,

Pressing lidless eyes and waiting for a knock upon the door.

 

  When Lil’s husband got demobbed, I said—

I didn’t mince my words, I said to her myself,

HURRY UP PLEASE ITS TIME

Now Albert’s coming back, make yourself a bit smart.

He’ll want to know what you done with that money he gave you

To get yourself some teeth. He did, I was there.

You have them all out, Lil, and get a nice set,

He said, I swear, I can’t bear to look at you.

And no more can’t I, I said, and think of poor Albert,

He’s been in the army four years, he wants a good time,

And if you don’t give it him, there’s others will, I said.

Oh is there, she said. Something o’ that, I said.

Then I’ll know who to thank, she said, and give me a straight look.

HURRY UP PLEASE ITS TIME

If you don’t like it you can get on with it, I said.

Others can pick and choose if you can’t.

But if Albert makes off, it won’t be for lack of telling.

You ought to be ashamed, I said, to look so antique.

(And her only thirty-one.)

I can’t help it, she said, pulling a long face,

It’s them pills I took, to bring it off, she said.

(She’s had five already, and nearly died of young George.)

The chemist said it would be all right, but I’ve never been the same.

You are a proper fool, I said.

Well, if Albert won’t leave you alone, there it is, I said,

What you get married for if you don’t want children?

HURRY UP PLEASE ITS TIME

Well, that Sunday Albert was home, they had a hot gammon,

And they asked me in to dinner, to get the beauty of it hot—

HURRY UP PLEASE ITS TIME

HURRY UP PLEASE ITS TIME

Goonight Bill. Goonight Lou. Goonight May. Goonight.

Ta ta. Goonight. Goonight.

Good night, ladies, good night, sweet ladies, good night, good night.

 

"The Fire Sermon"

L'horreur de cette situation. présentée dans un contexte social et concret, est reprise dans "Le Sermon du feu", qui illustre ce thème d`exemples multiples : les nymphes de la Tamise, présentes dans le "Prothalamion" de Spenser, ont fui; le fleuve source de vie est jonché d`immondices "vestiges des nuits d`été"; des rats visqueux hantent les rives où pèche en vain le Roi Pêcheur; tandis que se mêle au chant du rossignol un chant comique parodiant le lavement des pieds d`Amfortas et du Christ, et qu`un triple niveau d`allusions ramène la passion à une liaison banale ..

 

The Fire Sermon

 

The river’s tent is broken: the last fingers of leaf

Clutch and sink into the wet bank. The wind

Crosses the brown land, unheard. The nymphs are departed.

Sweet Thames, run softly, till I end my song.

The river bears no empty bottles, sandwich papers,

Silk handkerchiefs, cardboard boxes, cigarette ends

Or other testimony of summer nights. The nymphs are departed.

And their friends, the loitering heirs of City directors;

Departed, have left no addresses.

By the waters of Leman I sat down and wept . . .

Sweet Thames, run softly till I end my song,

Sweet Thames, run softly, for I speak not loud or long.

But at my back in a cold blast I hear

The rattle of the bones, and chuckle spread from ear to ear.

 

A rat crept softly through the vegetation

Dragging its slimy belly on the bank

While I was fishing in the dull canal

On a winter evening round behind the gashouse

Musing upon the king my brother’s wreck

And on the king my father’s death before him.

White bodies naked on the low damp ground

And bones cast in a little low dry garret,

Rattled by the rat’s foot only, year to year.

But at my back from time to time I hear

The sound of horns and motors, which shall bring

Sweeney to Mrs. Porter in the spring.

O the moon shone bright on Mrs. Porter

And on her daughter

They wash their feet in soda water

Et O ces voix d’enfants, chantant dans la coupole!

 

Twit twit twit

Jug jug jug jug jug jug

So rudely forc’d.

Tereu

 

Unreal City

Under the brown fog of a winter noon

Mr. Eugenides, the Smyrna merchant

Unshaven, with a pocket full of currants

C.i.f. London: documents at sight,

Asked me in demotic French

To luncheon at the Cannon Street Hotel

Followed by a weekend at the Metropole.

 

At the violet hour, when the eyes and back

Turn upward from the desk, when the human engine waits

Like a taxi throbbing waiting,

I Tiresias, though blind, throbbing between two lives,

Old man with wrinkled female breasts, can see

At the violet hour, the evening hour that strives

Homeward, and brings the sailor home from sea,

The typist home at teatime, clears her breakfast, lights

Her stove, and lays out food in tins.

Out of the window perilously spread

Her drying combinations touched by the sun’s last rays,

On the divan are piled (at night her bed)

Stockings, slippers, camisoles, and stays.

I Tiresias, old man with wrinkled dugs

Perceived the scene, and foretold the rest—

I too awaited the expected guest.

He, the young man carbuncular, arrives,

A small house agent’s clerk, with one bold stare,

One of the low on whom assurance sits

As a silk hat on a Bradford millionaire.

The time is now propitious, as he guesses,

The meal is ended, she is bored and tired,

Endeavours to engage her in caresses

Which still are unreproved, if undesired.

Flushed and decided, he assaults at once;

Exploring hands encounter no defence;

His vanity requires no response,

And makes a welcome of indifference.

(And I Tiresias have foresuffered all

Enacted on this same divan or bed;

I who have sat by Thebes below the wall

And walked among the lowest of the dead.)

Bestows one final patronising kiss,

And gropes his way, finding the stairs unlit . . .

 

She turns and looks a moment in the glass,

Hardly aware of her departed lover;

Her brain allows one half-formed thought to pass:

'Well now that’s done: and I’m glad it’s over.'

When lovely woman stoops to folly and

Paces about her room again, alone,

She smooths her hair with automatic hand,

 

And puts a record on the gramophone.

 

This music crept by me upon the waters'

And along the Strand, up Queen Victoria Street.

O City city, I can sometimes hear

Beside a public bar in Lower Thames Street,

The pleasant whining of a mandoline

And a clatter and a chatter from within

Where fishmen lounge at noon: where the walls

Of Magnus Martyr hold

Inexplicable splendour of Ionian white and gold.

 

               The river sweats

               Oil and tar

               The barges drift

               With the turning tide

               Red sails

               Wide

               To leeward, swing on the heavy spar.

               The barges wash

               Drifting logs

               Down Greenwich reach

               Past the Isle of Dogs.

                                 Weialala leia

                                 Wallala leialala

 

               Elizabeth and Leicester

               Beating oars

               The stern was formed

               A gilded shell

               Red and gold

               The brisk swell

               Rippled both shores

               Southwest wind

               Carried down stream

               The peal of bells

               White towers

                                Weialala leia

                                Wallala leialala

 

'Trams and dusty trees.

Highbury bore me. Richmond and Kew

Undid me. By Richmond I raised my knees

Supine on the floor of a narrow canoe.'

'My feet are at Moorgate, and my heart

Under my feet. After the event

He wept. He promised a ‘new start.’

I made no comment. What should I resent?'

 

'On Margate Sands.

I can connect

Nothing with nothing.

The broken fingernails of dirty hands.

My people humble people who expect

Nothing.'

                       la la

To Carthage then I came

Burning burning burning burning

O Lord Thou pluckest me out

O Lord Thou pluckest

burning

 


Le "Marchand de Smyrne", jadis porteur des légendes du Graal, propose une débauche homosexuelle à l`hôtel Métropole. Le sommet du sermon se trouve dans la scène de séduction de la dactylo, orchestrée par Tirésias, à "l`heure violette/ ... / où la machine humaine attend / Comme un taxi au ralenti". Sur le divan bon marché. la conquête, "ni désirée, ni repoussée", est un assaut rapide, sans signification ni sentiment, de sexualité automatique. Après quoi la femme "rajuste sa coiffure d`une main automatique / Et met un disque sur le phonographe". Le chant que nous entendons, se mêlant à l`air de mandoline de pêcheurs (la seule note positive), est la plainte des Filles du Fleuve : rivière violée par "mazout et goudron", amours irresponsables d`Elizabeth Ier et Leicester. désespoir de la jeune fille moderne sur un canot à la dérive. Le sermon se termine sur le double sens du feu : flammes de la luxure chez Bouddha, chaudron de la chair de saint Augustin - l`allusion à l`arrivée de Carthage amène en filigrane le titre du poème tiré de la "terre vaine" de l`auteur des "Confessions", mais aussi embrasement "brûlant, brûlant, brûlant" de la régénération divine.

 

"Death by Water"

L`échec du sacrifice, cette fois d`après le symbolisme de l`eau, éclate de manière moins nette dans le quatrième fragment, "La Mort par l`eau". Phlebas le Phénicien, le dieu noyé des rites de fécondité, s`abîme comme le naufrage de "La Tempête", mais sa mort n`est pas héroïque.... 

 

Death by Water

Phlebas the Phoenician, a fortnight dead,

Forgot the cry of gulls, and the deep sea swell

And the profit and loss.

                                   A current under sea

Picked his bones in whispers. As he rose and fell

He passed the stages of his age and youth

Entering the whirlpool.

                                   Gentile or Jew

O you who turn the wheel and look to windward,

 

Consider Phlebas, who was once handsome and tall as you.

 

"What the Thunder Said"

... Accidentelle, elle sert de sinistre présage plus que d`exemple. "Ce que dit le tonnerre" (What the Thunder Said) doit être considéré comme une suite d`expériences et de méditations intenses. Le chevalier errant a traversé un chaos torride de rocs et parvient en vue de la "chapelle périlleuse" sans entrer dans ses ruines, Un mystérieux personnage encapuchonné rend impossible la solitude, le déferlement de hordes infinies préfigure l`écroulement du monde occidental, la Cité ("Jérusalem Athènes Alexandrie Vienne Londres") s`écroule dans un monde d`apocalypse. Alors retentit le message du tonnerre, exprimé en sanscrit. - Donne : "Qu`as-tu donné ? (what have we given?) / ...  / L`audace terrible de la reddition d`un instant (The awful daring of a moment’s surrender) / Qu`un siècle de prudence ne saurait reprendre / Par cela, et seulement cela, nous avons existé," - Compatis : mais la clé a tourné "une fois et seulement une fois" pour libérer chacun de sa prison. - Dirige : mais le cœur aurait seulement pu répondre comme le bateau à la main experte. Seule la passion, stade passager sur la route de l`amour divin, pourrait "rédimer le temps", racheter une époque où la vie est morte, le Roi Pêcheur se retrouve seul. Mais il a entendu le message du tonnerre et son impuissance cède au moins au désir de se préparer à la mort : bien qu`il doive, comme le Hieronimo de Webster, paraître fou aux yeux du monde, il rassemble pour "étayer ses ruines" trois fragments de poésie offrant un minimum d`espoir, de pénitence, de régénération et de résignation. Les derniers mots du poème sont en sanscrit et apportent la bénédiction de la paix qui dépasse l'entendement".

 

What the Thunder Said

 

After the torchlight red on sweaty faces

After the frosty silence in the gardens

After the agony in stony places

The shouting and the crying

Prison and palace and reverberation

Of thunder of spring over distant mountains

He who was living is now dead

We who were living are now dying

With a little patience

 

Here is no water but only rock

Rock and no water and the sandy road

The road winding above among the mountains

Which are mountains of rock without water

If there were water we should stop and drink

Amongst the rock one cannot stop or think

Sweat is dry and feet are in the sand

If there were only water amongst the rock

Dead mountain mouth of carious teeth that cannot spit

Here one can neither stand nor lie nor sit

There is not even silence in the mountains

But dry sterile thunder without rain

There is not even solitude in the mountains

But red sullen faces sneer and snarl

From doors of mudcracked houses

                                      If there were water

   And no rock

   If there were rock

   And also water

   And water

   A spring

   A pool among the rock

   If there were the sound of water only

   Not the cicada

   And dry grass singing

   But sound of water over a rock

   Where the hermit-thrush sings in the pine trees

   Drip drop drip drop drop drop drop

   But there is no water

 

Who is the third who walks always beside you?

When I count, there are only you and I together

But when I look ahead up the white road

There is always another one walking beside you

Gliding wrapt in a brown mantle, hooded

I do not know whether a man or a woman

—But who is that on the other side of you?

 

What is that sound high in the air

Murmur of maternal lamentation

Who are those hooded hordes swarming

Over endless plains, stumbling in cracked earth

Ringed by the flat horizon only

What is the city over the mountains

Cracks and reforms and bursts in the violet air

Falling towers

Jerusalem Athens Alexandria

Vienna London

Unreal

 

A woman drew her long black hair out tight

And fiddled whisper music on those strings

And bats with baby faces in the violet light

Whistled, and beat their wings

And crawled head downward down a blackened wall

And upside down in air were towers

Tolling reminiscent bells, that kept the hours

And voices singing out of empty cisterns and exhausted wells.

 

In this decayed hole among the mountains

In the faint moonlight, the grass is singing

Over the tumbled graves, about the chapel

There is the empty chapel, only the wind’s home.

It has no windows, and the door swings,

Dry bones can harm no one.

Only a cock stood on the rooftree

Co co rico co co rico

In a flash of lightning. Then a damp gust

Bringing rain

 

Ganga was sunken, and the limp leaves

Waited for rain, while the black clouds

Gathered far distant, over Himavant.

The jungle crouched, humped in silence.

Then spoke the thunder

DA

Datta: what have we given?

My friend, blood shaking my heart

The awful daring of a moment’s surrender

Which an age of prudence can never retract

By this, and this only, we have existed

Which is not to be found in our obituaries

Or in memories draped by the beneficent spider

Or under seals broken by the lean solicitor

In our empty rooms

DA

Dayadhvam: I have heard the key

Turn in the door once and turn once only

We think of the key, each in his prison

Thinking of the key, each confirms a prison

Only at nightfall, aethereal rumours

Revive for a moment a broken Coriolanus

DA

Damyata: The boat responded

Gaily, to the hand expert with sail and oar

The sea was calm, your heart would have responded

Gaily, when invited, beating obedient

To controlling hands

 

                                    I sat upon the shore

Fishing, with the arid plain behind me

Shall I at least set my lands in order?

London Bridge is falling down falling down falling down

Poi s’ascose nel foco che gli affina

Quando fiam uti chelidon—O swallow swallow

Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie

These fragments I have shored against my ruins

Why then Ile fit you. Hieronymo’s mad againe.

Datta. Dayadhvam. Damyata.

                  Shantih     shantih     shantih

 



"The Hollow Men" (1925)

"Les Hommes creux" est un poème de quatre-vingt-dix-huit lignes, divisé en cinq parties. Il a été conçu à l'origine pour former l'épilogue de The Waste Land, mais il a ensuite été revu et modifié et publié séparément en 1925 dans Eliot's Poems : 1909-1925. Le poème est pourvu de deux épigraphes qui indiquent son thème principal.

Dans la première épigraphe, " Mistah-Kurtz-he dead ", tirée du roman de Joseph Conrad, "Le cœur des ténèbres" (1899), la mort de Mistah Kurtz, l'homme blanc qui avait tyrannisé les pauvres et infortunés indigènes, est rapportée par son serviteur, Marlow. Mistah Kurtz, un homme blanc, est l'agent d'une société commerciale dans une région reculée de l'Afrique où vivent des indigènes sauvages. Mistah Kurtz se met à boire, devient plus sauvage que les indigènes eux-mêmes et meurt en connaissance de cause, car il fait partie des "âmes violentes perdues" dont il est question à la ligne 16 de la première section du poème. Ce qu'Eliot veut faire comprendre, c'est que Mistah Kurtz est différent des hommes creux victimes de l'inaction et de l'indécision car, dans sa philosophie, il vaut mieux être mort que d'être assommé comme les hommes creux de la mort morale et spirituelle du poème. 

La deuxième épigraphe, "a penny for the old guy", est une allusion à Guy Fawkes qui, lors du célèbre complot de la poudre à canon de 1605 des catholiques anglais extrémistes, a tenté de faire sauter le parlement pour assassiner le roi Jacques Ier et rétablir un monarque catholique sur le trône. Le roi a eu vent du complot avant son exécution et Guy Fawkes fut arrêté dans les caves de la Chambre des Lords où il avait été chargé de la poudre à canon qui y avait été stockée et fut ensuite pendu. Il était donc lui aussi l'une des "âmes violentes perdues". 

Pour comprendre le sens de ce poème, il faut connaître l'histoire du roman de Conrad "Le cœur des ténèbres", du "Gunpowder Plot" de 1605 et de l'histoire de la "Divine Comédie" de Dante. Ce poème d'Eliot est une exposition terrifiante de l'insignifiance de la vie sans croyance, spiritualité et moralité - les forces motrices de la vie....

 

I

We are the hollow men

We are the stuffed men

Leaning together

Headpiece filled with straw. Alas!

Our dried voices, when

We whisper together

Are quiet and meaningless

As wind in dry grass

Or rats' feet over broken glass

In our dry cellar

 

Shape without form, shade without colour,

Paralysed force, gesture without motion;

 

Those who have crossed

With direct eyes, to death's other Kingdom

Remember us -- if at all -- not as lost

Violent souls, but only

As the hollow men

The stuffed men.

 

II

Eyes I dare not meet in dreams

In death's dream kingdom

These do not appear:

There, the eyes are

Sunlight on a broken column

There, is a tree swinging

And voices are

In the wind's singing

More distant and more solemn

Than a fading star.

 

Let me be no nearer

In death's dream kingdom

Let me also wear

Such deliberate disguises

Rat's coat, crowskin, crossed staves

In a field

Behaving as the wind behaves

No nearer --

 

Not that final meeting

In the twilight kingdom

 



"Ash Wednesday" (1930)

"Mercredi des cendres", à dominante lyrique ,divisé en six parties et publié en 1930. C'est premier des longs poèmes religieux d'Eliot après sa conversion à l'anglicanisme en 1927 : il puise dans la littérature liturgique chrétienne. Les symboles catholiques et les poètes catholiques tels que Dante fournissent le modèle sous-jacent de référence symbolique. Il marque une nouvelle phase dans la vie d'Eliot, alors que son sentiment accablant du besoin de rédemption le transforme en un poète religieux. Selon le calendrier chrétien. Le mercredi des cendres est le premier jour du mois de carême, une période de prière, de jeûne et de pénitence, au cours de laquelle le chrétien se repent de ses péchés passés et se détourne du monde pour se tourner vers Dieu. Lors de la cérémonie religieuse de ce jour, le prêtre frotte des cendres sur le front de l'assemblée et lui rappelle ainsi qu'elle est de la poussière et qu'elle retournera à la poussière. Le poème d'Eliot portant ce titre décrit la lutte de l'âme humaine qui tente de trouver son propre salut. Ses six parties sont six impressions de l'état mental et émotionnel d'une personne qui tente d'atteindre le salut. Dans Mercredi des cendres, l'élément dramatique est fourni par la tension au sein de l'âme du poète entre les attraits de ce monde et son désir de discipline spirituelle. Le poète trouve finalement une consolation dans le fait que les plaisirs de ce monde sont transitoires, momentanés et fugaces et décide d'y renoncer pour atteindre la grâce de Dieu. Le poème se termine par le souhait du poète de ne jamais être séparé du Divin...

 

II

Lady, three white leopards sat under a juniper-tree

In the cool of the day, having fed to sateity

On my legs my heart my liver and that which had been

contained

In the hollow round of my skull. And God said

Shall these bones live? shall these

Bones live? And that which had been contained

In the bones (which were already dry) said chirping:

Because of the goodness of this Lady

And because of her loveliness, and because

She honours the Virgin in meditation,

We shine with brightness. And I who am here dissembled

Proffer my deeds to oblivion, and my love

To the posterity of the desert and the fruit of the gourd.

It is this which recovers

My guts the strings of my eyes and the indigestible portions

Which the leopards reject. The Lady is withdrawn

In a white gown, to contemplation, in a white gown.

Let the whiteness of bones atone to forgetfulness.

There is no life in them. As I am forgotten

And would be forgotten, so I would forget

Thus devoted, concentrated in purpose. And God said

Prophesy to the wind, to the wind only for only

The wind will listen. And the bones sang chirping

With the burden of the grasshopper, saying

Lady of silences

Calm and distressed

Torn and most whole

Rose of memory

Rose of forgetfulness

Exhausted and life-giving

Worried reposeful

The single Rose

Is now the Garden

Where all loves end

Terminate torment

Of love unsatisfied

The greater torment

Of love satisfied

End of the endless

Journey to no end

Conclusion of all that

Is inconclusible

Speech without word and

Word of no speech

Grace to the Mother

For the Garden

Where all love ends.

 

Under a juniper-tree the bones sang, scattered and shining

We are glad to be scattered, we did little good to each other,

Under a tree in the cool of day, with the blessing of sand,

Forgetting themselves and each other, united

In the quiet of the desert. This is the land which ye

Shall divide by lot. And neither division nor unity

Matters. This is the land. We have our inheritance.

 

Madame, trois léopards blancs assis sous un genévrier

Goûtaient le frais du jour, repus à satiété

De ma chair de mon cœur de mon foie de cela qui avait empli

La calotte évidée de mon crâne. Et Dieu dit

Ces os revivront-ils ? Ces os

Revivront-ils ? Et cela qui avait empli

Les os (déjà séchés) se mit à gazouiller :

Parce que cette Dame est bonne et parce qu'elle

Est belle, et parce qu'elle

Honoré la Vierge en méditation,

Notre blancheur éclate. Et moi qui suis ici celé

J'offre mes actes à l'oubli et mon amour

Aux enfants du désert et du fruit de la gourde.

Ce pour quoi je recouvre

Mes viscères mes yeux et les parts indigestes

Que rejettent les léopards. Et la Dame s'est retirée

De blanc vêtue, en oraison, de blanc vêtue.

Que la blancheur des os rachète l'oubliance.

Ils sont vidés de vie. Et tout de même

Que je suis oublié et voudrais l'être, ainsi voudrais-je

Oublier, concentré dans ma dévotion.

Et Dieu dit Prophétise

Au vent et au vent seul car seul le vent écoutera

Et les os gazouillèrent

Entonnant le refrain du grillon et disant :

Ma Dame des silences

Tranquille, désolée

Déchirée, entière

Rose réminiscente

Rose d'oubli

Epuisée, vivifiante

Tourmentée, reposante

La Rose unique

Dès lors est le Jardin

Où tout amour s'achève

Terminez le tourment

D'amour insatisfait

Et celui, plus cruel,

De l'amour satisfait

Fin du voyage sans fin,

Vers le sans terme

Conclusion de tout

L'inconclusible

Discours sans parole et

Parole sans discours

Rendons grâce à la Mère

Pour le Jardin

Où tout amour prend fin.

Sous un genévrier les os chantaient, épars, brillants,

Nous sommes contents d'être épars, nous ne nous faisions guère de bien

Les uns aux autres. Sous un arbre

Dans le frais du jour et nantis de la bénédiction du sable,

S'oubliant eux-mêmes, s'oubliant les uns les autres, réunis

Dans la quiétude du désert. Et voici la terre que vous

Diviserez selon le sort. La division ni l'unité

N'importent. Mais voici la terre. Nous détenons notre héritage.

(Trad.Pierre Leyris. T.S. Eliot, Poèmes.Ed. du Seuil.)

 



"Murder in the Cathedral" (1935)

Ce drame en vers, en deux parties et un intermède. du poète anglais Thomas Stearns Eliot, évoque les derniers événements de la vie de Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry. tels que les rapporte une Vie de saint Thomas le martyr. écrite en 1173, trois ans après l'assassinat du primat d`Angleterre par les chevaliers du roi. Après sept ans d`exil en France, Becket, fort de l`autorité spirituelle qu`il tient de Rome, décide de retourner en Angleterre. malgré la fragilité du pacte qu`il a conclu avec Henri ll Plantagenêt. La pièce d`Eliot s`ouvre sur les lamentations du chœur de femmes de Cantorbéry appréhendant que le retour de leur archevêque ne les arrache à l`obscurité rassurante de leur condition, au confort de leur misère. Trois tentateurs assaillent Becket, conformément à son attente, le premier lui offrant les plaisirs sensuels, le deuxième le pouvoir temporel avec le roi, le troisième le pouvoir temporel avec les barons contre le roi : tentations grossières dont Becket a facilement raison. 

Survient un quatrième personnage. inattendu celui-là et dont le seul conseil est de suivre la voie que Becket a déjà choisie : celle de l`intransigeance absolue à l`égard de tous les pouvoirs. celle qui mène à la sainteté et au martyre, à la gloire en Dieu de l`Elu. Arrière-pensée qui, sans en modifier le contenu, va pervertir les intentions profondes de Becket, le choix du sacrifice de soi s`identifiant à la ruse du suprême orgueil. Thomas s`interroge : "Qui êtes-vous, à me tenter ainsi de mes propres désirs?" 

Mais au cours du sermon qu`il est censé prononcer devant ses ouailles (et qui forme l`intermède central de la pièce d`Eliot), Becket parait animé de la tranquille conviction que la science de son propre salut et la part de responsabilité qu'il assume dans sa marche délibérée au supplice ne compromettent pas la spontanéité de son sacrifice, la pureté de l`œuvre de Dieu en lui.

Dès lors, il ne fait rien pour dissiper devant les hommes l`ambiguïté d`une conduite dont il ne doit compte qu`à Dieu seul. Aux envoyés du roi qui l`accusent de trahison, Becket oppose le langage de la dignité souveraine dont il est investi. ll refusera de leur fermer les portes de la cathédrale et tombera sous leurs coups, au pied de l`autel, laissant à chacun la liberté de voir dans son obstination la sublimation d`un égoïsme préjudiciable aux hommes et à lui-même ou l`éternité d'une exigence inconditionnelle un avènement de l`Esprit.

 


"Four Quartets" (1943)

Sous le titre de Quatre Quatuors sont réunis quatre poèmes intitulés "Burnt Norton" (1935), - le dernier poème des Collected Poems : 1909-35 publiés en 1936 -, "East Coker" ( 1940), "The Dry Salvages" (1941) et "Little Gidding" (1941), - trois parties , publiées pour la première fois dans le New English Weekly en 1940, 1941 et 1942 respectivement, puis publiées séparément sous forme de pamphlets par Faber and Faber. Ils ont tous un thème commun, à savoir la relation de l'homme avec le temps, l'univers et Dieu et, au fur et à mesure que les poèmes se succèdent, nous voyons le poète tâtonner vers la vérité. Les titres sont des noms de lieux et portent une méditation suscitée par chacun d'eux, méditation qui recrée en termes dramatiques, sous la forme d`un monologue, une expérience contemplative et définit une réalité métaphysique. Là se trouve, pour beaucoup, l'aboutissement de l'œuvre d`Eliot : la résolution des tensions et l`obtention du détachement, qui a lieu dans la poésie même, dans la conscience de valeurs mouvantes et irréconciliables appréhendées simultanément, dans la recherche de l`immuable dans et à travers le flux du temps. L'œuvre qu'il considérait lui-même comme son chef-d'œuvre lui a valu le prix Nobel de littérature en 1948..

Si "La Terre vaine" avait paru la même année que l` "Ulysse" de Joyce, leur effort commun de cerner les terreurs et les responsabilités de l'existence sécularisée a conduit toutefois les deux auteurs dans des directions opposées. Joyce aboutit, avec "Fínnegans Wake", à remplacer des dogmes par une philosophie sans religion, alors que "Les Quatre quatuors" réaffirme la religion traditionnelle : le coeur de la démarche de T.S.Eliot, évoqué depuis "La Terre vaine", reste l`irréalité du temps et d'une existence humaine en devenir, dont le présent se dissout en souvenirs du passé et en désirs tournés vers l'avenir. 

L`organisation et la structure des Quatuors reprennent de même une structure esquissée dans La Terre vaine, soit un équivalent poétique de la sonate qui se compose de cinq mouvements, possédant chacun sa nécessité interne, et dont la réunion  constitue les cinq actes d`un drame et prend les résonances d`une symphonie. Selon l`analyse d`Helen Gardner (The Art of T.S. Eliot, 1949), le premier mouvement se compose d`affirmations et de leurs antithèses et chaque poème va ainsi réconcilier les contradictions de ces ouvertures en vers blancs. Le second mouvement débute par un passage intensément lyrique, immédiatement suivi d'un langage très familier qui développe, sur le ton de la conversation, l`idée précédemment exprimée par la métaphore ou le symbole. Le troisième mouvement constitue le nœud de chaque poème, poussant jusqu`au bout l'exploration des pensées précédentes, souvent sur un mode différent, afin d`en faire jaillir une synthèse. Après une quatrième section lyrique. le dernier mouvement reprend le second en l`inversant : l`on passe d`un ton familier à un rythme plus régulier, plus dense, qui amène une sorte de conclusion noble et grave. Ce mouvement récapitule l`ensemble du poème sur un sujet particulier (généralement la nature du langage et de la poésie) et résout les antithèses du premier.

Ces poèmes ont été les premiers d'Eliot à toucher un grand nombre de chrétiens, car ils ont été considérés comme une force unificatrice pendant les années de guerre et ils ont réussi à communiquer dans un langage moderne les fondements de la foi et de l'expérience chrétiennes ...

Dans ces poèmes, nous prenons conscience de l'intensité de la quête de vérité religieuse d'Eliot, qui le conduit à un nouvel espoir dans l'idée chrétienne de renaissance et de renouveau. Les quatre quatuors représentent les quatre saisons et les quatre éléments...

 

BURNT NORTON - I

Time present and time past

Are both perhaps present in time future,

And time future contained in time past.

If all time is eternally present

All time is unredeemable.

What might have been is an abstraction

Remaining a perpetual possibility

Only in a world of speculation.

What might have been and what has been

Point to one end, which is always present.

Footfalls echo in the memory

Down the passage which we did not take

Towards the door we never opened

Into the rose-garden. My words echo

Thus, in your mind.

                              But to what purpose

Disturbing the dust on a bowl of rose-leaves

I do not know.

                        Other echoes

Inhabit the garden. Shall we follow?

Quick, said the bird, find them, find them,

Round the corner. Through the first gate,

Into our first world, shall we follow

The deception of the thrush? Into our first world.

There they were, dignified, invisible,

Moving without pressure, over the dead leaves,

In the autumn heat, through the vibrant air,

And the bird called, in response to

The unheard music hidden in the shrubbery,

And the unseen eyebeam crossed, for the roses

Had the look of flowers that are looked at.

There they were as our guests, accepted and accepting.

So we moved, and they, in a formal pattern,

Along the empty alley, into the box circle,

To look down into the drained pool.

Dry the pool, dry concrete, brown edged,

And the pool was filled with water out of sunlight,

And the lotos rose, quietly, quietly,

The surface glittered out of heart of light,

And they were behind us, reflected in the pool.

Then a cloud passed, and the pool was empty.

Go, said the bird, for the leaves were full of children,

Hidden excitedly, containing laughter.

Go, go, go, said the bird: human kind

Cannot bear very much reality.

Time past and time future

What might have been and what has been

Point to one end, which is always present.

 

BURNT NORTON - II.

Garlic and sapphires in the mud

Clot the bedded axle-tree.

The trilling wire in the blood

Sings below inveterate scars

Appeasing long forgotten wars.

The dance along the artery

The circulation of the lymph

Are figured in the drift of stars

Ascend to summer in the tree

We move above the moving tree

In light upon the figured leaf

And hear upon the sodden floor

Below, the boarhound and the boar

Pursue their pattern as before

But reconciled among the stars.

 

At the still point of the turning world. Neither flesh nor fleshless;

Neither from nor towards; at the still point, there the dance is,

But neither arrest nor movement. And do not call it fixity,

Where past and future are gathered. Neither movement from nor towards,

Neither ascent nor decline. Except for the point, the still point,

There would be no dance, and there is only the dance.

I can only say, there we have been: but I cannot say where.

And I cannot say, how long, for that is to place it in time.

The inner freedom from the practical desire,

The release from action and suffering, release from the inner

And the outer compulsion, yet surrounded

By a grace of sense, a white light still and moving,

Erhebung without motion, concentration

Without elimination, both a new world

And the old made explicit, understood

In the completion of its partial ecstasy,

The resolution of its partial horror.

Yet the enchainment of past and future

Woven in the weakness of the changing body,

Protects mankind from heaven and damnation

Which flesh cannot endure.

                                          Time past and time future

Allow but a little consciousness.

To be conscious is not to be in time

But only in time can the moment in the rose-garden,

The moment in the arbour where the rain beat,

The moment in the draughty church at smokefall

Be remembered; involved with past and future.

Only through time time is conquered.

 


- "Burnt Norton" (1935) : son imagerie est centrée ici  sur un jardin des Cotswolds, un  jardin semi-historique, semi-imaginaire, qui ressuscite l`Eden et le paradis de l'enfance. Burnt Norton est un manoir du Gloucestershire que le poète a visité un jour. Monde mystérieux et enclos, la demeure, son jardin à la française et sa roseraie suggèrent un univers chargé d`histoire et de culture. Tout ici est civilisé, humain, ainsi de cette image du réel qu`est "l`éclat de rire des enfants cachés dans le feuillage". Le jardin d`automne, plein d`échos de pas, appelle les échos "dignes. intacts, invisibles" du passé. Une expérience privilégiée conduit "au point fixe du monde tourbillonnant". L'appréhension immédiate d`une réalité intemporelle est perçue et remémorée dans le temps. Ce moment d'incarnation offre une vision extatique qui illumine l'histoire, comme au chant lll les bombardiers de la "Blitzkrieg" suscitent une Pentecôte moderne. Tout est toujours présent. Le temps consolateur se trouve "dans la pensée purifiée, dans la lumière, dans le chemin qui monte", et non dans l'action. Certains instants prolongent la simplicité de l'enfance, si intensément présente dans le feuillage de "la maison brûlée". Le lotus au centre du bassin symbolise une éternité de lumière "Quand l'aile du martin-pêcheur / Ayant rendu le jour au jour. se tait, le jour s'arrête / Sur l'immobile essieu du monde tourbillonnant". Dans une "coupe de Chine se mouvant perpétuelle en l'immobilité", le poète trouve le modèle d`une œuvre qui reflétera l'univers...

BURNT NORTON - III.

Here is a place of disaffection

Time before and time after

In a dim light: neither daylight

Investing form with lucid stillness

Turning shadow into transient beauty

With slow rotation suggesting permanence

Nor darkness to purify the soul

Emptying the sensual with deprivation

Cleansing affection from the temporal.

Neither plenitude nor vacancy. Only a flicker

Over the strained time-ridden faces

Distracted from distraction by distraction

Filled with fancies and empty of meaning

Tumid apathy with no concentration

Men and bits of paper, whirled by the cold wind

That blows before and after time,

Wind in and out of unwholesome lungs

Time before and time after.

Eructation of unhealthy souls

Into the faded air, the torpid

Driven on the wind that sweeps the gloomy hills of London,

Hampstead and Clerkenwell, Campden and Putney,

Highgate, Primrose and Ludgate. Not here

Not here the darkness, in this twittering world.

 

    Descend lower, descend only

Into the world of perpetual solitude,

World not world, but that which is not world,

Internal darkness, deprivation

And destitution of all property,

Desiccation of the world of sense,

Evacuation of the world of fancy,

Inoperancy of the world of spirit;

This is the one way, and the other

Is the same, not in movement

But abstention from movement; while the world moves

In appetency, on its metalled ways

Of time past and time future.

 

BURNT NORTON - IV.

Words move, music moves

Only in time; but that which is only living

Can only die. Words, after speech, reach

Into the silence. Only by the form, the pattern,

Can words or music reach

The stillness, as a Chinese jar still

Moves perpetually in its stillness.

Not the stillness of the violin, while the note lasts,

Not that only, but the co-existence,

Or say that the end precedes the beginning,

And the end and the beginning were always there

Before the beginning and after the end.

And all is always now. Words strain,

Crack and sometimes break, under the burden,

Under the tension, slip, slide, perish,

Decay with imprecision, will not stay in place,

Will not stay still. Shrieking voices

Scolding, mocking, or merely chattering,

Always assail them. The Word in the desert

Is most attacked by voices of temptation,

The crying shadow in the funeral dance,

The loud lament of the disconsolate chimera.

 

    The detail of the pattern is movement,

As in the figure of the ten stairs.

Desire itself is movement

Not in itself desirable;

Love is itself unmoving,

Only the cause and end of movement,

Timeless, and undesiring

Except in the aspect of time

Caught in the form of limitation

Between un-being and being.

Sudden in a shaft of sunlight

Even while the dust moves

There rises the hidden laughter

Of children in the foliage

Quick now, here, now, always—

Ridiculous the waste sad time

Stretching before and after.

 


- "East Coker" ( 1940) : l'imagerie est centrée autour d'un village du Somerset, d'où le propre ancêtre d'Eliot, Andrew Eliot, était parti en 1667 pour le Nouveau Monde. Le poète accomplit un pèlerinage. Composée à l'occasion du vendredi saint 1940, cette visite nostalgique est une intuition mystique de la mort et du devenir. La mer omniprésente fournit des images de désolation, mais aussi l'impulsion finale de délivrance dans "les eaux immenses du pétrel et du dauphin". Le contexte de la nature remplace le monde humain : les saisons reviennent, mais dans le chaos, et les constellations se heurtent en des visions d'apocalypse...

 

EAST COKER - I

In my beginning is my end. In succession

Houses rise and fall, crumble, are extended,

Are removed, destroyed, restored, or in their place

Is an open field, or a factory, or a by-pass.

Old stone to new building, old timber to new fires,

Old fires to ashes, and ashes to the earth

Which is already flesh, fur and faeces,

Bone of man and beast, cornstalk and leaf.

Houses live and die: there is a time for building

And a time for living and for generation

And a time for the wind to break the loosened pane

And to shake the wainscot where the field-mouse trots

And to shake the tattered arras woven with a silent motto.

 

    In my beginning is my end. Now the light falls

Across the open field, leaving the deep lane

Shuttered with branches, dark in the afternoon,

Where you lean against a bank while a van passes,

And the deep lane insists on the direction

Into the village, in the electric heat

Hypnotised. In a warm haze the sultry light

Is absorbed, not refracted, by grey stone.

The dahlias sleep in the empty silence.

Wait for the early owl.

 

                                    In that open field

If you do not come too close, if you do not come too close,

On a summer midnight, you can hear the music

Of the weak pipe and the little drum

And see them dancing around the bonfire

The association of man and woman

In daunsinge, signifying matrimonie—

A dignified and commodiois sacrament.

Two and two, necessarye coniunction,

Holding eche other by the hand or the arm

Whiche betokeneth concorde. Round and round the fire

Leaping through the flames, or joined in circles,

Rustically solemn or in rustic laughter

Lifting heavy feet in clumsy shoes,

Earth feet, loam feet, lifted in country mirth

Mirth of those long since under earth

Nourishing the corn. Keeping time,

Keeping the rhythm in their dancing

As in their living in the living seasons

The time of the seasons and the constellations

The time of milking and the time of harvest

The time of the coupling of man and woman

And that of beasts. Feet rising and falling.

Eating and drinking. Dung and death.

    Dawn points, and another day

Prepares for heat and silence. Out at sea the dawn wind

Wrinkles and slides. I am here

Or there, or elsewhere. In my beginning.

 

EAST COKER - II

What is the late November doing

With the disturbance of the spring

And creatures of the summer heat,

And snowdrops writhing under feet

And hollyhocks that aim too high

Red into grey and tumble down

Late roses filled with early snow?

Thunder rolled by the rolling stars

Simulates triumphal cars

Deployed in constellated wars

Scorpion fights against the Sun

Until the Sun and Moon go down

Comets weep and Leonids fly

Hunt the heavens and the plains

Whirled in a vortex that shall bring

The world to that destructive fire

Which burns before the ice-cap reigns.

 

    That was a way of putting it—not very satisfactory:

A periphrastic study in a worn-out poetical fashion,

Leaving one still with the intolerable wrestle

With words and meanings. The poetry does not matter.

It was not (to start again) what one had expected.

What was to be the value of the long looked forward to,

Long hoped for calm, the autumnal serenity

And the wisdom of age? Had they deceived us

Or deceived themselves, the quiet-voiced elders,

Bequeathing us merely a receipt for deceit?

The serenity only a deliberate hebetude,

The wisdom only the knowledge of dead secrets

Useless in the darkness into which they peered

Or from which they turned their eyes. There is, it seems to us,

At best, only a limited value

In the knowledge derived from experience.

The knowledge imposes a pattern, and falsifies,

For the pattern is new in every moment

And every moment is a new and shocking

Valuation of all we have been. We are only undeceived

Of that which, deceiving, could no longer harm.

In the middle, not only in the middle of the way

But all the way, in a dark wood, in a bramble,

On the edge of a grimpen, where is no secure foothold,

And menaced by monsters, fancy lights,

Risking enchantment. Do not let me hear

Of the wisdom of old men, but rather of their folly,

Their fear of fear and frenzy, their fear of possession,

Of belonging to another, or to others, or to God.

The only wisdom we can hope to acquire

Is the wisdom of humility: humility is endless.

    The houses are all gone under the sea.

    The dancers are all gone under the hill.

 

Pourtant les ténèbres contiennent la lumière, et le silence, le Verbe. Ces paradoxes sont empruntés à la tradition de saint Jean de la Croix et le mouvement lyrique les enracine dans l'expèrience et la souffrance humaines : si pour savoir il faut ignorer, pour vivre il faut mourir. La réponse de l`âme à la privation et au désespoir conduit au dernier mouvement : chaque instant contient le passé qui le modifie, mais il le modifie à son tour. A travers "les froides ténèbres et la désolation vide", l'âme peut aller à la mer et à l'éternité, "We must be still and still moving Into another intensity / For a further union, a deeper communion / Through the dark cold and the empty desolation, / The wave cry, the wind cry, the vast waters / Of the petrel and the porpoise. In my end is my beginning"....

 

EAST COKER - III

O dark dark dark. They all go into the dark,

The vacant interstellar spaces, the vacant into the vacant,

The captains, merchant bankers, eminent men of letters,

The generous patrons of art, the statesmen and the rulers,

Distinguished civil servants, chairmen of many committees,

Industrial lords and petty contractors, all go into the dark,

And dark the Sun and Moon, and the Almanach de Gotha

And the Stock Exchange Gazette, the Directory of Directors,

And cold the sense and lost the motive of action.

And we all go with them, into the silent funeral,

Nobody's funeral, for there is no one to bury.

I said to my soul, be still, and let the dark come upon you

Which shall be the darkness of God. As, in a theatre,

The lights are extinguished, for the scene to be changed

With a hollow rumble of wings, with a movement of darkness on darkness,

And we know that the hills and the trees, the distant panorama

And the bold imposing facade are all being rolled away—

Or as, when an underground train, in the tube, stops too long between stations

And the conversation rises and slowly fades into silence

And you see behind every face the mental emptiness deepen

Leaving only the growing terror of nothing to think about;

Or when, under ether, the mind is conscious but conscious of nothing—

I said to my soul, be still, and wait without hope

For hope would be hope for the wrong thing; wait without love,

For love would be love of the wrong thing; there is yet faith

But the faith and the love and the hope are all in the waiting.

Wait without thought, for you are not ready for thought:

So the darkness shall be the light, and the stillness the dancing.

Whisper of running streams, and winter lightning.

The wild thyme unseen and the wild strawberry,

The laughter in the garden, echoed ecstasy

Not lost, but requiring, pointing to the agony

Of death and birth.

                                    You say I am repeating

Something I have said before. I shall say it again.

Shall I say it again? In order to arrive there,

To arrive where you are, to get from where you are not,

    You must go by a way wherein there is no ecstasy.

In order to arrive at what you do not know

    You must go by a way which is the way of ignorance.

In order to possess what you do not possess

    You must go by the way of dispossession.

In order to arrive at what you are not

    You must go through the way in which you are not.

And what you do not know is the only thing you know

And what you own is what you do not own

And where you are is where you are not.

 

- "The Dry Salvages" (1941) : l'imagerie mélange ici les paysages du Missouri et de la Nouvelle-Angleterre, les paysages de la jeunesse d'Eliot. The Dry Salvages, - dont le nom anglais est une déformation phonétique du français "Les Trois Sauvages" -, sont des récifs de la côte nord du Massachusetts, et le poème intègre parfaitement les métaphores du roc et de la mer au contenu philosophique. Le fleuve qui est en nous s`oppose à la mer qui nous entoure. Le fieuve du temps individuel est aussi le dieu brun et intraitable de l`enfance d'Eliot. De même la mer de l'histoire est celle de sa jeunesse, avec "sa houle qui était dès le commencement", ses îlots de granit et ses épaves. D'où l`intensité sensuelle présente dans cette description de la grève sauvage, symbole de la mort. Le chant est tourné vers le futur, vers les religions orientales, et Krishna révèle : "L`avenir est une chanson évanouie, une Rose royale ou un brin de lavande/ De regret nostalgique pour ceux qui ne sont pas encore là pour regretter,/ Enfermé entre les feuillets jaunes d`un livre jamais ouvert." Alors que la curiosité humaine s`attache au passé ou à l'avenir, "appréhendé le point d'intersection de l`intemporel / Et du temps, est une occupation digne du saint". La poésie, dédaignant l'analogie, affirme dans une mélodie humaine cette assurance libératrice : nous sommes contents si "notre retour temporel nourrit/ (Pas trop loin de l`lf) / La vie d'un sol qui a un sens" - "For most of us, this is the aim / Never here to be realised; / Who are only undefeated / Because we have gone on trying; / We, content at the last / If our temporal reversion nourish / (Not too far from the yew-tree) / The life of significant soil."...

 

THE DRY SALVAGES - I

I do not know much about gods; but I think that the river

Is a strong brown god—sullen, untamed and intractable,

Patient to some degree, at first recognised as a frontier;

Useful, untrustworthy, as a conveyor of commerce;

Then only a problem confronting the builder of bridges.

The problem once solved, the brown god is almost forgotten

By the dwellers in cities—ever, however, implacable.

Keeping his seasons and rages, destroyer, reminder

Of what men choose to forget. Unhonoured, unpropitiated

By worshippers of the machine, but waiting, watching and waiting.

His rhythm was present in the nursery bedroom,

In the rank ailanthus of the April dooryard,

In the smell of grapes on the autumn table,

And the evening circle in the winter gaslight.

 

    The river is within us, the sea is all about us;

The sea is the land's edge also, the granite

Into which it reaches, the beaches where it tosses

Its hints of earlier and other creation:

The starfish, the horseshoe crab, the whale's backbone;

The pools where it offers to our curiosity

The more delicate algae and the sea anemone.

It tosses up our losses, the torn seine,

The shattered lobsterpot, the broken oar

And the gear of foreign dead men. The sea has many voices,

Many gods and many voices.

                                              The salt is on the briar rose,

The fog is in the fir trees.

                                        The sea howl

And the sea yelp, are different voices

Often together heard: the whine in the rigging,

The menace and caress of wave that breaks on water,

The distant rote in the granite teeth,

And the wailing warning from the approaching headland

Are all sea voices, and the heaving groaner

Rounded homewards, and the seagull:

And under the oppression of the silent fog

The tolling bell

Measures time not our time, rung by the unhurried

Ground swell, a time

Older than the time of chronometers, older

Than time counted by anxious worried women

Lying awake, calculating the future,

Trying to unweave, unwind, unravel

And piece together the past and the future,

Between midnight and dawn, when the past is all deception,

The future futureless, before the morning watch

When time stops and time is never ending;

And the ground swell, that is and was from the beginning,

Clangs

The bell.

 

THE DRY SALVAGES - II

Where is there an end of it, the soundless wailing,

The silent withering of autumn flowers

Dropping their petals and remaining motionless;

Where is there an end to the drifting wreckage,

The prayer of the bone on the beach, the unprayable

Prayer at the calamitous annunciation?

 

    There is no end, but addition: the trailing

Consequence of further days and hours,

While emotion takes to itself the emotionless

Years of living among the breakage

Of what was believed in as the most reliable—

And therefore the fittest for renunciation.

 

    There is the final addition, the failing

Pride or resentment at failing powers,

The unattached devotion which might pass for devotionless,

In a drifting boat with a slow leakage,

The silent listening to the undeniable

Clamour of the bell of the last annunciation.

 

    Where is the end of them, the fishermen sailing

Into the wind's tail, where the fog cowers?

We cannot think of a time that is oceanless

Or of an ocean not littered with wastage

Or of a future that is not liable

Like the past, to have no destination.

 

    We have to think of them as forever bailing,

Setting and hauling, while the North East lowers

Over shallow banks unchanging and erosionless

Or drawing their money, drying sails at dockage;

Not as making a trip that will be unpayable

For a haul that will not bear examination.

 

    There is no end of it, the voiceless wailing,

No end to the withering of withered flowers,

To the movement of pain that is painless and motionless,

To the drift of the sea and the drifting wreckage,

The bone's prayer to Death its God. Only the hardly, barely prayable

Prayer of the one Annunciation.

 

    It seems, as one becomes older,

That the past has another pattern, and ceases to be a mere sequence—

Or even development: the latter a partial fallacy

Encouraged by superficial notions of evolution,

Which becomes, in the popular mind, a means of disowning the past.

The moments of happiness—not the sense of well-being,

Fruition, fulfilment, security or affection,

Or even a very good dinner, but the sudden illumination—

We had the experience but missed the meaning,

And approach to the meaning restores the experience

In a different form, beyond any meaning

We can assign to happiness. I have said before

That the past experience revived in the meaning

Is not the experience of one life only

But of many generations—not forgetting

Something that is probably quite ineffable:

The backward look behind the assurance

Of recorded history, the backward half-look

Over the shoulder, towards the primitive terror.

Now, we come to discover that the moments of agony

(Whether, or not, due to misunderstanding,

Having hoped for the wrong things or dreaded the wrong things,

Is not in question) are likewise permanent

With such permanence as time has. We appreciate this better

In the agony of others, nearly experienced,

Involving ourselves, than in our own.

For our own past is covered by the currents of action,

But the torment of others remains an experience

Unqualified, unworn by subsequent attrition.

People change, and smile: but the agony abides.

Time the destroyer is time the preserver,

Like the river with its cargo of dead negroes, cows and chicken coops,

The bitter apple, and the bite in the apple.

And the ragged rock in the restless waters,

Waves wash over it, fogs conceal it;

On a halcyon day it is merely a monument,

In navigable weather it is always a seamark

To lay a course by: but in the sombre season

Or the sudden fury, is what it always was.

 

- "Little Gidding" (1941) : une imagerie inspirée par le paysage et l'histoire de l'église de St John, Little Gidding, Cambridgeshire. Le retour temporel. Ce port d'attache spirituel, cet obscur hameau des environs de Cambridge, fut le refuge du poète mystique Nicholas Ferrar et l'asile d'une nuit de Charles Ier poursuivi par Cromwell. Le vent de la résurrection remplace celui de la mort. Ou plutôt ils coexistent. Le désespoir atteint son paroxysme dans le passage le plus intense d'émotion négative, la rencontre avec le fantôme de la section ayant pour thème la littérature qui, dans ce poème, se trouve déplacée jusqu'au second chant. Mais aussi, les symboles positifs et les affirmations de la  tétralogie se trouvent incarnés ici avec le maximum de densité. Le premier mouvement se place sous le signe de la Pentecôte, soutient l`existence d'un temps de la destinée et la nécessité de la communication avec les morts. Le passage lyrique sur la désintégration reprend les éléments des trois premiers poèmes, "Roses brûlées", "Le Mur, la boiserie et la souris", "L`Eau morte et le sable mort", et réunit le symbolisme des quatre éléments dont l`union mystérieuse crée la vie. 

Le thème de la "mort de l'espoir", situé dans une rue de Londres à l`aube après une alerte, est traversé par des souvenirs de Dante et de Milton. Sa grave mélancolie fait place à un lyrisme lorsque le changement est perçu comme un ordre naturel des choses qui débouche dans la justification de la poésie : "Chaque expression et chaque phrase est une fin et un commencement / Chaque poème une épitaphe. Et chaque acte / Un pas vers le billot, le feu, le gosier de la mer / Ou une pierre indéchiffrable : et c`est de là que nous partons."

Ce quatrième quatuor marque ainsi le couronnement de l'œuvre d'Eliot, où le temps est retrouvé sous la forme qui mettait en branle la méditation de Burnt Norton : "Un peuple sans histoire / N`est pas racheté du temps, car l`histoire est une figure / De moments intemporels. Donc quand le jour défaille / Par un après-midi d`hiver, dans une chapelle solitaire, / L`histoire c`est maintenant et c`est l`Angleterre.". Est-ce une réponse au désespoir de "La Terre vaine" et la découverte d`une trame dans l`existence, après une longue saison de doute et de négation? 

 

LITTLE GIDDING - I

Midwinter spring is its own season

Sempiternal though sodden towards sundown,

Suspended in time, between pole and tropic.

When the short day is brightest, with frost and fire,

The brief sun flames the ice, on pond and ditches,

In windless cold that is the heart's heat,

Reflecting in a watery mirror

A glare that is blindness in the early afternoon.

And glow more intense than blaze of branch, or brazier,

Stirs the dumb spirit: no wind, but pentecostal fire

In the dark time of the year. Between melting and freezing

The soul's sap quivers. There is no earth smell

Or smell of living thing. This is the spring time

But not in time's covenant. Now the hedgerow

Is blanched for an hour with transitory blossom

Of snow, a bloom more sudden

Than that of summer, neither budding nor fading,

Not in the scheme of generation.

Where is the summer, the unimaginable

Zero summer?

 

              If you came this way,

Taking the route you would be likely to take

From the place you would be likely to come from,

If you came this way in may time, you would find the hedges

White again, in May, with voluptuary sweetness.

It would be the same at the end of the journey,

If you came at night like a broken king,

If you came by day not knowing what you came for,

It would be the same, when you leave the rough road

And turn behind the pig-sty to the dull facade

And the tombstone. And what you thought you came for

Is only a shell, a husk of meaning

From which the purpose breaks only when it is fulfilled

If at all. Either you had no purpose

Or the purpose is beyond the end you figured

And is altered in fulfilment. There are other places

Which also are the world's end, some at the sea jaws,

Or over a dark lake, in a desert or a city—

But this is the nearest, in place and time,

Now and in England.

 

              If you came this way,

Taking any route, starting from anywhere,

At any time or at any season,

It would always be the same: you would have to put off

Sense and notion. You are not here to verify,

Instruct yourself, or inform curiosity

Or carry report. You are here to kneel

Where prayer has been valid. And prayer is more

Than an order of words, the conscious occupation

Of the praying mind, or the sound of the voice praying.

And what the dead had no speech for, when living,

They can tell you, being dead: the communication

Of the dead is tongued with fire beyond the language of the living.

Here, the intersection of the timeless moment

Is England and nowhere. Never and always.

 

LITTLE GIDDING - III

There are three conditions which often look alike

Yet differ completely, flourish in the same hedgerow:

Attachment to self and to things and to persons, detachment

From self and from things and from persons; and, growing between them, indifference

Which resembles the others as death resembles life,

Being between two lives—unflowering, between

The live and the dead nettle. This is the use of memory:

For liberation—not less of love but expanding

Of love beyond desire, and so liberation

From the future as well as the past. Thus, love of a country

Begins as attachment to our own field of action

And comes to find that action of little importance

Though never indifferent. History may be servitude,

History may be freedom. See, now they vanish,

The faces and places, with the self which, as it could, loved them,

To become renewed, transfigured, in another pattern.

 

Sin is Behovely, but

All shall be well, and

All manner of thing shall be well.

If I think, again, of this place,

And of people, not wholly commendable,

Of no immediate kin or kindness,

But of some peculiar genius,

All touched by a common genius,

United in the strife which divided them;

If I think of a king at nightfall,

Of three men, and more, on the scaffold

And a few who died forgotten

In other places, here and abroad,

And of one who died blind and quiet

Why should we celebrate

These dead men more than the dying?

It is not to ring the bell backward

Nor is it an incantation

To summon the spectre of a Rose.

We cannot revive old factions

We cannot restore old policies

Or follow an antique drum.

These men, and those who opposed them

And those whom they opposed

Accept the constitution of silence

And are folded in a single party.

Whatever we inherit from the fortunate

We have taken from the defeated

What they had to leave us—a symbol:

A symbol perfected in death.

And all shall be well and

All manner of thing shall be well

By the purification of the motive

In the ground of our beseeching.

 

LITTLE GIDDING - V

What we call the beginning is often the end

And to make an end is to make a beginning.

The end is where we start from. And every phrase

And sentence that is right (where every word is at home,

Taking its place to support the others,

The word neither diffident nor ostentatious,

An easy commerce of the old and the new,

The common word exact without vulgarity,

The formal word precise but not pedantic,

The complete consort dancing together)

Every phrase and every sentence is an end and a beginning,

Every poem an epitaph. And any action

Is a step to the block, to the fire, down the sea's throat

Or to an illegible stone: and that is where we start.

We die with the dying:

See, they depart, and we go with them.

We are born with the dead:

See, they return, and bring us with them.

The moment of the rose and the moment of the yew-tree

Are of equal duration. A people without history

Is not redeemed from time, for history is a pattern

Of timeless moments. So, while the light fails

On a winter's afternoon, in a secluded chapel

History is now and England.

 

With the drawing of this Love and the voice of this

     Calling

 

We shall not cease from exploration

And the end of all our exploring

Will be to arrive where we started

And know the place for the first time.

Through the unknown, remembered gate

When the last of earth left to discover

Is that which was the beginning;

At the source of the longest river

The voice of the hidden waterfall

And the children in the apple-tree

Not known, because not looked for

But heard, half-heard, in the stillness

Between two waves of the sea.

Quick now, here, now, always—

A condition of complete simplicity

(Costing not less than everything)

And all shall be well and

All manner of thing shall be well

When the tongues of flame are in-folded

Into the crowned knot of fire

And the fire and the rose are one.


"GERONTION" (1920)

"Thou hast nor youth nor age But as it were an after dinner sleep Dreaming of both", Tu n'es ni jeune ni vieux, c'est comme si Tu sommeillais après le déjeuner Rêvant de ces deux âges" (Mesure pour mesure). - Une ode de 1920 - "Gerontion" est le terme grec ancien pour "petit vieux" - qu'Eliot voulait mettre en tête de The Waste Land : Ezra Pound sut le convaincre de ne pas le faire. Une référence symbolique à la voix épuisée et desséchée de l'Europe de l'après-guerre? 

 

HERE I am, an old man in a dry month,

Being read to by a boy, waiting for rain.

I was neither at the hot gates

Nor fought in the warm rain

Nor knee deep in the salt marsh, heaving a cutlass,

Bitten by flies, fought.

My house is a decayed house,

And the jew squats on the window sill, the owner,

Spawned in some estaminet of Antwerp,

Blistered in Brussels, patched and peeled in London.

The goat coughs at night in the field overhead;

Rocks, moss, stonecrop, iron, merds.

The woman keeps the kitchen, makes tea,

Sneezes at evening, poking the peevish gutter.

I an old man,

A dull head among windy spaces.

 

Signs are taken for wonders. “We would see a sign!”

The word within a word, unable to speak a word,

Swaddled with darkness. In the juvescence of the year

Came Christ the tiger

In depraved May, dogwood and chestnut, flowering judas,

To be eaten, to be divided, to be drunk

Among whispers; by Mr. Silvero

With caressing hands, at Limoges

Who walked all night in the next room;

 

By Hakagawa, bowing among the Titians;

By Madame de Tornquist, in the dark room

Shifting the candles; Fräulein von Kulp

Who turned in the hall, one hand on the door. Vacant shuttles

Weave the wind. I have no ghosts,

An old man in a draughty house

Under a windy knob.

 

After such knowledge, what forgiveness? Think now

History has many cunning passages, contrived corridors

And issues, deceives with whispering ambitions,

Guides us by vanities. Think now

She gives when our attention is distracted

And what she gives, gives with such supple confusions

That the giving famishes the craving. Gives too late

What’s not believed in, or if still believed,

In memory only, reconsidered passion. Gives too soon

Into weak hands, what’s thought can be dispensed with

Till the refusal propagates a fear. Think

Neither fear nor courage saves us. Unnatural vices

Are fathered by our heroism. Virtues

Are forced upon us by our impudent crimes.

These tears are shaken from the wrath-bearing tree.

 

The tiger springs in the new year. Us he devours. Think at last

We have not reached conclusion, when I

Stiffen in a rented house. Think at last

I have not made this show purposelessly

And it is not by any concitation

Of the backward devils

I would meet you upon this honestly.

I that was near your heart was removed therefrom

To lose beauty in terror, terror in inquisition.

I have lost my passion: why should I need to keep it

Since what is kept must be adulterated?

I have lost my sight, smell, hearing, taste and touch:

How should I use them for your closer contact?

These with a thousand small deliberations

Protract the profit of their chilled delirium,

Excite the membrane, when the sense has cooled,

With pungent sauces, multiply variety

In a wilderness of mirrors. What will the spider do,

Suspend its operations, will the weevil

Delay? De Bailhache, Fresca, Mrs. Cammel, whirled

Beyond the circuit of the shuddering Bear

In fractured atoms. Gull against the wind, in the windy straits

Of Belle Isle, or running on the Horn,

White feathers in the snow, the Gulf claims,

And an old man driven by the Trades

To a sleepy corner.

Tenants of the house,

Thoughts of a dry brain in a dry season.

 

Me voici, vieillard dans un mois de sécheresse,

Ecoutant ce garçon me lire, attendant la pluie,

Je n'étais pas au brûlant défilé

Je n'ai pas combattu dans la pluie chaude

Ni, embourbé dans la saline jusqu'au genou,

Levant un glaive, mordu par les mouches, combattu.

Ma maison est une maison délabrée ;

Dans l'encoignure de la fenêtre est accroupi

Le Juif, son locataire, qui fut mis bas 

Dans quelque estaminet d'Anvers, empustulé

A Bruxelles, rapiécé et desquamé à Londres.

Le bouc grinche la nuit dans le pré d'au-dessus :

Rocaille, lichens, chiendent, ferraille et excréments.

La femme vaque à la cuisine, fait le thé,

Eternue à la fraîche, fourgonne du tisonnier

La vidange quinteuse.

Me voici donc, vieillard

Tête vide parmi les espaces venteux.

Les signes sont tenus pour des prodiges. "Un signe,

Nous voulons voir un signe ! "

La Parole dans la parole, incapable de dire une parole,

Emmaillotté de ténèbres. Dans la jouvence de l'année

Vint Christ le tigre.

En mai dépravé - cornouilles et châtaignes, faînes de Judée -

A manger, boire et partager

En chuchotant; par Monsieur Silvero

Aux mains flatteuses, qui à Limoges

Marcha toute la nuit dans la chambre à côté ;

Par Hakagawa, saluant parmi les Titiens ;

Par Madame de Tornquist qui, dans la chambre obscure,

Remuait les bougies ; par Fraülein von Kulp

Qui, la main sur la porte, se retourna. Les navettes vides

Tissent le vent. Je n'ai pas de fantômes,

Vieillard en ce logis battu de courants d'air

Sous un morne venteux.

Après un tel savoir, quel pardon ? Dis-toi bien

Que l'Histoire a maints passages subtils, maints corridors

Et issues dérobées, qu'elle nous égare

D'ambitions murmurantes, nous leurre de vanités. Oui, dis-toi bien

Qu'elle donne lorsque notre attention se trouve distraite

Et ce qu'elle donne, le donne en confusions si souples

Que le don affame l'affamé. Qu'elle donne trop tard

Ce à quoi l'on ne croyait plus, ou bien si l'on y croit encore

Ce n'est qu'en souvenir, en passion ruminée. Qu'elle donne trop tôt

A des mains sans vigueur, ce dont on imagine

Pouvoir se dispenser peut-être, mais l'heure vient

Où le refus engendre la frayeur. Dis-toi

Que frayeur ni courage ne sauraient nous sauver.

Nos vices monstrueux sont fruits de l'héroïsme.

Nos crimes sans pudeur nous dictent des vertus.

Ces pleurs, c'est l'arbre des colères qui les secoue.

Bondit le tigre au nouvel an. Et nous dévore. Dis-toi enfin

Qu'on ne peut se flatter d'avoir atteint la conclusion

Quand mon corps se raidit dans un logis à bail. Dis-toi enfin

Que ceci n'est pas de ma part parade vaine.

Ni conjuration des diables du rebours.

Je voudrais là-dessus être au clair avec toi

Moi qui fus proche de ton cœur, j'en fus chassé

Perdant la beauté dans l'effroi, perdant l'effroi dans la recherche.

J'ai perdu ma passion : pourquoi la garderais-je ?

Tout ce qui est gardé forcément s'adultère.

Vue, ouïe, goût, odorat, toucher, j'ai tout perdu :

Comment donc, pour mieux t'approcher, en userais-je ?

Ces considérations et mille autres pareilles

Prolongent le profit de leur délire glacé,

Excitent la muqueuse, le sens ayant froidi,

De leurs sauces poivrées, multiplient les aspects

Dans une jungle de miroirs. Mais l'araignée

Dès lors, que fera-t-elle ? Suspendre son ouvrage ?

Le charançon, temporiser ?

Mme Cammel, Fresca, De Bailhache projetés

Par delà le circuit de l'Ourse grisonnante

En poussière d'atomes. Mouette contre le vent

Dans les goulets venteux de Belle-Isle ou courant

Droit sur le Horn, duvet blanc dans la neige,

Le Gulf réclame, et puis

Un vieillard balayé par les vents alizés

Dans son recoin d'oubli.

Habitants du logis

Pensers d'un cerveau sec en temps de sécheresse.

(Trad.Pierre Leyris. T.S. Eliot, Poèmes.Ed. du Seuil.)