Generación del 36 - Max Aub (1903-1972), "EI laberinto mágíco", "Campo cerrado" (1940), "Campo abierto" (1941),"Campo de sangre" (1942), "Josep Torres Campalans" (1958), "Campo de los almendros" (1968) - Ramón J. Sender (1901-1982), "Requiem por un campesino español" (1953) - ....
Last update: 01/15/2017 


1936-1939, Espagne - La "Guerra civil" débute le 18 juillet 1936 - particulièrement meurtrière, cette guerre opposent près de 800 000 nationalistes et un nombre équivalent de républicains. Suivent l'assassinat le 19 août de Federico García Lorca par les milices franquistes, l'intervention des brigades internationales pour soutenir les Républicains en novembre, le bombardement de Guernica le 26 avril 1937, pour voir Franco s'imposer en 1939 avec la chute de Barcelone (26 janvier), l'internement de l'armée républicaine en France (5 février) et le blocage de la flotte à Bizerte (27 février). La dictature est instaurée le 1er avril 1939 dans un pays totalement ruiné : on dénombre plus d'un million de victimes (145 000 morts, 134 000 fusillés, des représailles inexpiables des deux côtés, 630 000 morts de maladie, plus de 400 000 exilés). Et de 1939 à 1944, plus de cent mille personnes seront exécutés et deux cent milles contraintes à l'exil...

(José García Narezo (1922-1994), Defensa de Madrid, 1937 . Arte y Guerra Civil Museu)


 

1939-1945 (posguerra) - L'autarcie et un alignement très partiel sur les puissances de l'Axe marquent cette période qui voit le régime franquiste écarter progressivement les phalangistes les plus radicaux au profit des conservateurs plus traditionnels...


La Retirada (janvier - février 1939) - l'émigration vers la France s'accélère après la bataille de l'Èbre et dans les mois suivants, devient massif après la chute de Barcelone le 26 janvier 1939 (jusqu'à 465 000 exilés). Mais cette émigration atteint aussi l'Afrique du Nord et l'instauration du régime de Vichy en 1940 accroît particulièrement les difficultés d'existences des républicains espagnols en France (12 000 républicains espagnols seront acheminés vers des camps de concentration ou de travail entre août 1940 et mai 1945). La Génération de 27 sera aussi dispersée non seulement en Europe mais aussi en Amérique, près de 20000 vers le Mexique, mais aussi l'Argentine, le Venezuela, la Colombie, Cuba et les Etats-Unis..  La police franquiste continuera à poursuivre après la guerre les opposants et la "posguerra" se poursuivra de 1945 au début des années soixante... 


Les exilés....

Ramón J. Sender (1901-1982),

né à Chalamera (Huesca), est un précurseur du réalisme social; auteur reconnu de "Mister Witt en el cantón" (1935), qui évoque les temps anarchiques de la Première République, il doit s'exiler en 1939 au Mexique et s'installer définitivement aux États-Unis en 1949 pour occuper une chaire de littérature espagnole. Il y écrit nombre d'œuvres dédiées à la guerre civile, comme "Contraataque" (1938), "El rey y la reina" (1947), "Los cinco libros de Ariadna" (1957) et "Réquiem por un campesino español" (1960).

 

"Requiem por un campesino español" (1953, Requiem pour un paysan espagnol)

D'abord publié à Mexico, en 1953, sous le titre "Mosén Millán", puis rééditée à New York sous ce second titre en 1960, c'est l'un des romans les plus significatifs sur le thème de la guerre civile et des années qui la précédèrent dans les campagnes d'Espagne. Mosén Millán, un curé de village aragonais, attend dans son église l'heure de dire une messe de requiem. Un poulain qui hennit du côté de la place fait resurgir dans sa mémoire le souvenir du défunt, Paco du Moulin, fils d'une famille de paysans, depuis le jour où il l'a baptisé jusqu'à celui où, vingt ans plus tard, ses ennemis politiques, les cacíques du pays, l'ont fusillé. Le prêtre revoit Paco enfant de chœur, puis l'adolescent qui s'éloigne de lui pour se consacrer aux affaires de sa ferme, son mariage, les élections et les déchirements que suscitent au village les luttes sociales, les premiers crimes de la guerre civile. Paco doit se cacher; découvert, il se défend à coups de fusil; ses assiégeants font venir Mosén Millán pour parlementer avec lui, il se rend, on l'arrête, puis on le sort de sa prison pour le conduire au cimetière, où on l'exécute, après que le curé l'a confessé dans la voiture de ses justiciers transformée en confessionnal et dit "Ego te absolvo...". C'est un garçon hébété mais conscient de sa pureté et de son innocence qui a interrogé quelques instants plus tôt Mosén Millán au cours d'un dialogue d'une exceptionnelle beauté dramatique. Ce roman est sans doute le chef-d'œuvre de Sender ...

 


 

Juan Gil-Albert (1906-1994),

né à Alcoy (Alicante) est un essayiste et un poète ("Misteriosa presencia", "Candente horror") contraint à l'exil en 1939, au Mexique. Il retourne en Espagne en 1947 pour y mener une existence totalement retirée de toute vie publique, ponctuée d'une célèbre lecture en 1953 de son poème "Elegia a una de campo" (Valence), et d'une anthologie poétique en 1972 qui l'impose bien tardivement au public espagnol ("Fuentes de la constancia").


Max Aub (1903-1972),

poète et écrivain, eut un parcours des plus atypiques, français et allemand, né à Paris, allemand par son père et français par sa mère, vit en Espagne dès 1913 et acquiert la nationalité espagnole, écrit en espagnol (Luis Álvarez Petrena, 1934), combat pour la République, est déporté puis s'exile au Mexique (1942) où il écrit une oeuvre abondante et exubérante : une tétralogie sur la guerre civile, restée une référence tant il brosse avec minutie ces luttes fratricides et sanglantes ("El laberinto mágico",1943-1963: Campo cerrado, Campo de sangre, Campo abierto, Campo del moro), un roman sur l'avant-guerre, "Las Buenas Intenciones" (1959), un récit des plus barroques ("Qui n'a pas un jour de sa vie envie de tuer l'autre"), "Crimenes ejemplares" (1956) et, surtout, "Jusep Torres Campalans" (1958), son chef-d'œuvre, biographie imaginaire d'un peintre, où l'on retrouve du Picasso et toute la problématique de l'art contemporain du début du siècle. Il a fait partie de la délégation espagnole républicaine qui entrera en contact avec Pablo Picasso et lui commandera pour le compte du gouvernement républicain le fameux "Guernica", exposé le 12 juillet 1937 à Paris, à côté de la célèbre sculpture "La Montserrat" de Julio Gonzalez (1876-1942).

 

"Campo cerrado" (1940, Champ clos)

Cette œuvre, première partie de l'ouvrage "Le Labyrinthe magique" (EI laberinto mágíco), ouvre la trilogie consacrée par Max Aub à la guerre civile : "Champ ouvert", "Champ sanglant". Le personnage principal, Rafaël Lopez Serrador, originaire d'une petite bourgade du Levant, Viver, évolue pendant les dix ans précédant la Guerre civile, de Castellón de la Plana, la capitale de sa province, à Barcelone où il assiste à la préparation du soulèvement franquiste du 18 juillet 1936. Autour de cette figure centrale gravitent les hommes plus ou moins célèbres que connut l'Espagne en crise de cette époque, les noms sont changés, mais ils composent toute une galerie à la fois vivante et typée : vivante car chaque individu pense, discute son problème, en termes directs, souvent prosaïques; typée, car tous semblent des documents pris sur le vif, représentatifs du fait politique des années 30. 

Max Aub est avant tout un romancier et non un historien. Mais l'intérêt politico-social qu'il éprouve à l`égard de ce moment de l`histoire de son pays se traduit à merveille dans chacune de ses créations proprement littéraires. À son service, un style dense, dru, percutant qui souligne la forte personnalité de ses héros. Ceux-ci n'hésitent pas à s'exprimer grossièrement. L`introduction du mot cru dans la langue écrite est défendue par l'écrivain espagnol dans la préface. Les mots sont très familiers à l'homme espagnol, et la guerre ne fait que multiplier la fréquence de leur usage. "Champ clos" ouvre ainsi une belle fresque où se mêlent avec une constante efficacité la réalité historique et la fiction romanesque...

 

"Campo abierto" (1941, Champ ouvert)

Ce second volume de la trilogie intitulée "Le Labyrinthe magique" (El laberinto mágico) a pour thème les événements de Valence et la défense de Madrid en 1936. Il s'agit de tranches de vie auxquelles la guerre sert de décor et d'explication. C'est elle qui conditionne les problèmes des divers personnages mis en scène, quotidiens ou exceptionnels, moraux, sentimentaux ou autres. Divisée en trois parties :  "Valence", "De l'autre côté", "Madrid", l'œuvre ne consacre que quelques pages à la deuxième, qui relate la capture d'un jeune "national" dans la Sierra de Guadanamo. Les autres comportent différents chapitres qui, en général, introduisent de nouveaux héros, cependant que ceux déjà évoqués réapparaissent dans la série "Valence" pour créer l'unité indispensable.

Ainsi Gabriel Rojas, après avoir vainement essayé de mettre au monde seul son enfant, car il n'a pu trouver de médecin à cause de l'état d'alerte, est abattu lorsqu`il sort pour en trouver un. Vicente Tamals, ébéniste valencien, dont les opinions sont à gauche, facilite la fuite d`un vieil ami qui, lui, est à droite. Un dialogue, qui retrace avec une incomparable habileté la vie de Vicente, son milieu familial, ses conceptions, l'oppose à un autre de ses amis, communiste, qui lui reproche son attitude. 

L'homme de théâtre qu`est Max Aub est ici parfaitement à son aise. Rythme et intensité caractérisent ces très belles pages. L' "Uruguayen" est un criminel qui profite de la situation pour commettre ses méfaits sous une étiquette politique avant d'être finalement exécuté. Relatés dans leur nudité, ces brefs récits apparaissent plongés avant tout dans la réalité de la guerre, et pourtant il n`en est rien, car elle n'est là que comme une trame, cependant que le caractère des personnages et l'atmosphère propre à Valence donnent tout son relief à la création purement littéraire de Aub. 

Odeurs, couleurs, rumeurs de la ville levantine affleurent constamment à la surface des dialogues. Dans "Madrid" surgissent des personnages de plus en plus nombreux, dont les histoires s'imbriquent les unes dans les autres et qui échangent des conversations animées, aux thèmes de toutes sortes. La plupart d'entre eux joueront un rôle important dans le troisième tome de la trilogie "Champ sanglant", comme Paulino Cuartero, Templado, Fajardo. Roman idéologique puissant, "Champ ouvert" reflète à merveille la réalité psychologique et descriptive de l'Espagne en guerre....

 

"Campo de sangre" (1942, Champ sanglant)

Cette œuvre est la dernière partie de la trilogie "Le Labyrinthe magique", de Max Aub. L'action se déroule essentiellement à Barcelone, au moment des bombardements de 1937, sauf un assez bref passage consacré à la prise de Teruel en 1938. L'orientation romanesque se fait ici plus nette que dans les deux premiers "Champs", et les événements politiques cèdent le pas à l'étude minutieuse des processus psychologiques. L`un des principaux personnages est Paulino Cuartero que le lecteur est amené à voir évoluer intérieurement à partir d`une situation donnée - l'infortune conjugale - qui n'a presque rien à voir avec le contexte historique. Cela va même jusqu`à donner des pages où Aub révèle ses conceptions du théâtre, pages magnifiques et très éloignées des préoccupations politiques. De la même façon, l`archiviste de Teruel, blessé lors du siège, se livre à un monologue à bâtons rompus sur une infinité de thèmes plus divers les uns que les autres. L`acteur Vicente Dalmases et l`actrice Asunción - déjà vus dans "Champ ouvert" - permettent aussi à Max Aub de décrire la vie du théâtre pendant les troubles. Ce dernier volet est donc une chronique de la guerre vue de l'intérieur, où s'affirme particulièrement la souveraine habileté de Aub pour faire apparaître la réalité matérielle à travers la réalité spirituelle de ses héros ...

 

"El laberinto mágico", comprend, outre "Campo cerrado" (1943), "Campo de sangre"(1945) et "Campo abierto" (1951), "Campo del Moro" (1963), "Campo francés" (1965) et "Campo de los almendros" (1967) ...

"En veintitrés días de travesía, de Casablanca a Veracruz, en septiembre de 1942, escribí este Campo francés. Había vivido todos sus cuadros todos sus encuadres; de ello saqué, en un momento de descorazonamiento, Morir por cerrar los ojos ..." - "Campo Frances" a été écrit en 1942 à bord du bateau (Serpa Pinto) qui transportait Max Aub au Mexique et vers la liberté. Ce quatrième livre constitue une rupture dans le cycle du "Le labyrinthe Magique" :  d’une part, il ne s’agit pas d’un roman proprement dit, mais d’un texte avec une structure de scénario cinématographique (Aub avait collaboré, pendant la Guerre Civile, avec Malraux, au tournage du célèbre film "Sierra de Teruel"), d’ailleurs, l’action ne se situe pas sur le champ de bataille espagnol, bien que la Guerre Civile reste en arrière-plan de l’œuvre. Le drame de la Seconde Guerre mondiale, face à la passivité des "Imbeciles", comme le dit Aub, face à l’impassibilité de ceux qui ne veulent rien savoir de politique."Campo Frances" se passe dans l’un des nombreux geôles français où sont détenus tous les étrangers "avec un casier", et parmi eux se trouvent de nombreux anciens républicains espagnols et beaucoup de ces "Imbéciles" qui, par leur seul accent ou nom de famille ont été arrêtés la plupart sans raison.

 

"Campo de los almendros" est considéré comme le roman le plus réussi du "Labyrinthe Magique", magnifique fresque de la guerre civile espagnole, longtemps ignoré dans l’histoire de la littérature espagnole d’après-guerre. Ecrit en 1968, "c’est l’histoire d’Alicante; les visions du célèbre passage qui finit par dire : 'la guerre est finie', et une date : 1er avril 1939", selon les propres mots de Max Aub. Mais ce n’est pas seulement, avec ses divagations, dialogues et événements, un roman "historique", mais surtout un "roman", avec sa multitude de personnages réels et imaginaires, dans des situations de tout genre, qui tend à dresser un tableau fidèle de quelques jours parfaitement déterminés del a guerre civile ...

 

"Jusep Torres Campalans" (1958)

Max Aub propose la biographie d'un peintre catalan, ami de Picasso, un peintre qu'il aurait connu au Mexique, oublié, menant une vie étrange parmi les Indiens, et devenu l'ennemi de la civilisation. Le personnage l'a tant passionné qu'à sa mort il a voulu l'éterniser dans un portrait pour la postérité qui a donné lieu au roman. C'est du moins ce que raconte l'écrivain espagnol dans sa préface en s`appuyant sur des photographies (Picasso et Torres Campalans par exemple), des reproductions, des témoignages et autres documents apparemment irréfutables. Pourtant il est fort probable que ce personnage fut créé de toutes pièces par Aub - qui n`a jamais rien voulu dire à ce sujet. Pour certains. Torres Campalans est une sorte de double de Picasso, pour d`autres, il s'agit d'une fiction totale. dans tous les cas, le personnage principal permet à l'auteur de brosser un extraordinaire tableau de l`évolution de la peinture, et des idées relatives à la peinture dans les années 30, à Paris. 

C`est à vrai dire une éblouissante anthologie où s'élabore le procès du réalisme et du naturalisme, tant sur le plan pictural que sur le plan littéraire. Aub réussit par ailleurs une magistrale création humaine. Torres Campalans, bohème anarchiste, atrabilaire, se dresse superbement au ponton de chaque chapitre. Les femmes qui l`entourent, les amis - pour la plupart des peintres connus - composent une étonnante fresque. Et la prose d'Aub n'a jamais été aussi précise et harmonieuse (Trad. Gallimard, 1961).

 

"Yo vivo" (1934-1936)

Écrit entre 1934 et 1936, ce livre relate en 21 Capitulos un jour dans la vie d’un homme. Une journée où la joie de vivre constitue, le plaisir même de ce qui l’entoure, constitue une épiphanie terrestre et vitaliste vraiment fascinante. Avec une attention minutieuse au détail et un usage extraordinaire du langage, Aub fait de cette œuvre indéfinissable un véritable hybride littéraire, un récit chargé d’un lyrisme exubérant, un poème en prose, un texte où la poésie se révèle comme un chant total à la vie. La fraîcheur, le désir de vivre, l’hédonisme naturel qui émane du texte prend une plus grande importance dans la trajectoire littéraire de Max Aub si l’on considère le contexte historique et personnel dans lequel il a été écrit. Ce livre, écourté par le début de la guerre civile, marque une première étape créatrice ...

 

"Es, de pronto. Ya. Surte, rompe las nieblas del blando sueño del amanecer ya tibio. Todo, como estaba; la noche pasó volando, sin huella.

Nada sorprende tras el repente del día ya hecho. Al despertar no hay quien lo coja: dándose cuenta ya fue.

Sí, está en la playa: en la casa de la playa.

Lo primero que percibe, es la presión de la sábana en el pulgar de su pie derecho: lo tumba, lo aparta hacia un lado, siente el frescor del lienzo limpio. Extraña la penumbra, hecho a la mayor oscuridad de su cuarto de la ciudad. Las fallebas se hinchan, pegajosas, rezumando resina. El sol, de poco nacido, embija los nudos de la madera de pino de las contraventanas. Sombra caliente. Ahora, despacio, separa la pierna izquierda hasta formar su mayor ángulo con la derecha. La suave temperie de lo inhollado asciende por las pantorrillas, como si atravesara un vado. Entonces, movimiento brusco, da media vuelta a la derecha, se vuelca sobre su costado. Siente su perfil en la almohada, una línea de hilo. Enrique todavía no ha pensado en nada. Cree que no ha pensado en nada. ¿Tiene sueño? Indaga y no se contesta. Cierra los ojos y piensa en lo que va a hacer. No tiene nada que hacer. Mullicie, Euritmia. Se encoge. Se desenrosca en seguida; alarga un brazo y toca el fresco encalado de la pared..."