Dégel (Khrushchev's Thaw) & Dissidences - Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov (Mikhail Bulgakov, 1891-1940), "Coeur de chien" (1925), "La Garde blanche" (Belaja Gvardja, 1927), "L'île Pourpre" (1929), "Les Journées des Tourbine" (Dni Turbinyh, 1929), "Le Maître et Marguerite" (Master i Margarita, 1940) - ...
Last update: 12/12/2017
Ecrit de 1928 à 1940, publié en 1966-67, - presque trente ans après la mort de son auteur -, "Le Maître et Marguerite" est le chef-d`œuvre de Boulgakov et l`un des textes majeurs de la littérature mondiale du XXe siècle, et pour preuve certaines des phrases du livre devinrent des dictons célèbres, - "les manuscrits ne brûlent pas" (phrase iconique, prononcée par Woland, qui symbolise l’idée que la vérité et la créativité ne peuvent être détruites, même par la répression étatique), "la lâcheté est le plus terrible des vices", "Ce qui te tourmente, c'est que tu es un être humain médiocre et qu'il n'y a rien que tu puisses faire" (une réflexion sur la nature humaine et l’incapacité à échapper à certaines réalités) -, qui eurent une résonnance particulière pour des générations qui ont subi les pires excès du totalitarisme soviétique. Son influence s'étend jusqu'au réalisme magique latino-américain, mais aussi à Pynchon et aux Rolling Stones (Sympathy for the Devil)...
MIKHAIL AFANASIEVICH BULGAKOV est né à Kiev en 1891, fils d'un professeur de théologie. La médecine, la religion et l'éducation sont les carrières dominantes dans sa famille. Sur le plan politique, la famille semble avoir appartenu au camp libéral monarchiste. Malgré un intérêt précoce pour la littérature et le théâtre, Boulgakov choisit de devenir médecin. En 1914, alors qu'il est étudiant en médecine, il se porte volontaire pour la Croix-Rouge pendant la Première Guerre mondiale. Après avoir obtenu son diplôme de l'université de Kiev en 1916, il sert dans l'Armée blanche pendant la guerre civile, puis est enrôlé dans l'Armée nationaliste ukrainienne. Ces expériences vécues pendant le chaos de la guerre civile à Kiev et dans le Caucase ont profondément marqué l'écrivain et son œuvre. Ses deux jeunes frères disparaissent au cours des combats autour de Kiev et refont surface plus tard en Europe. En 1919, alors qu'il se trouve dans le Caucase, il prend la décision d'abandonner la médecine pour la littérature ; peu après, il manque d'émigrer, mais la maladie l'en empêche.
En 1921, il est à Moscou, où sa carrière littéraire commence véritablement. Le recueil "Diaboliad", publié en 1925, est sa principale publication de l'époque, puisque son chef-d'œuvre, « Cœur de chien », n'a pas pu passer la censure. C'est également à cette époque que paraît partiellement son roman sur Kiev pendant la guerre civile, « La Garde blanche » (White Guard). La publication a cessé lorsque la revue qui publiait le roman en série a été suspendue, mais avait entretemps suscité l'intérêt du Théâtre d'art de Moscou, qui a commandé une pièce de théâtre inspirée de l'oeuvre. Cette pièce, « Les Journées des Tourbine » (Days of the Turbins), a été la source de la célébrité de Boulgakov pour le reste de sa vie. Elle fit sensation à la fois en raison de la vivacité de ses personnages et de sa représentation d'une famille monarchiste sous un jour sympathique et non comme des monstres, ce qui était alors la norme à l'époque.
À la fin des années vingt, alors que plusieurs autres pièces sont en cours de production (L'appartement de Zoya, La Fuite et L'île Pourpre), Boulgakov s'attire les foudres de la critique, qui estime que tout ce qu'il écrit est essentiellement antisoviétique. C'est une période de polarisation politique extrême : on peut considérer que la carrière de Boulgakov est détruite en 1929. Une dernière pièce, originale, "Molière", sera montée de son vivant (mais elle sera rapidement retirée de la production à cause des critiques), mais toute publication de sa prose cessera après 1927...
En 1930, il écrit sa célèbre lettre à Staline, dans laquelle il défend son droit d'être un satiriste et demande à son pays de le laisser émigrer s'il ne peut y espérer un quelconque emploi de ses talents. Staline, qui avait vu « Les Journées des Tourbine » à de nombreuses reprises, répondit à cette lettre par un appel téléphonique et, peu après, Boulgakov trouva un emploi dans un petit théâtre (un privilège que l'on peut juger discutable, mais "Le Maître et Marguerite" n'avait pas encore été conçu). Le Théâtre d'art de Moscou lui trouve ensuite du travail, mais la plupart des projets sur lesquels il travaille n'aboutirent pas, et les huit dernières années de sa vie ne seront que stress et de déceptions. Après la débâcle de "Molière", il rompt avec Stanislavski et le Théâtre d'art et commence à écrire le "Roman théâtral" pour se défouler. À partir de 1928, Boulgakov ne travaille plus que sporadiquement sur son œuvre majeure, « Le Maître et Marguerite » (The Master and Margarita) ; en 1937, il abandonne le "Roman théâtral", qui restera inachevé, et se concentre sur ses personnages étranges et surnaturels dont Woland (Satan) et son entourage démonique à Moscou.
Lorsqu'il meurt en 1940 de la sclérose des reins (qui avait tué son père au même âge), il a terminé « Le Maître et Marguerite », mais n'a pas achevé les dernières corrections. Ce roman, qui sera considéré comme l'un des meilleurs romans russes du XXe siècle, n'a été publié qu'en 1966-1967 (et alors sous forme censurée), vingt-six ans après la mort de Boulgakov. "Cœur de chien" n'a toutefois été publié qu'en 1987, au plus fort de la glasnost sous Gorbatchev, soit plus de soixante ans après sa rédaction, ce qui montre bien à quel point une satire peut être toujours considérée comme menaçante pour un régime totalitaire....
Mikhaïl Boulgakov est un écrivain russe dont la réputation n'a cessé de croître au cours des dernières décennies, jusqu'à ce qu'il figure aujourd'hui parmi les géants - Akhmatova, Tsvétaïeva, Mandelstam, Pasternak, Soljenitsyne et Brodsky - de la période soviétique. L'histoire de Boulgakov est cependant particulièrement singulière : de son vivant, il n'a pratiquement pas été publié, ni à l'Est ni à l'Ouest, et ses pièces n'ont atteint la scène qu'avec beaucoup de difficultés. Il a été vaincu par l'étau imposé à la littérature soviétique pendant la période stalinienne, et pourtant il n'a jamais renoncé. On le voit sans cesse retrouver l'inspiration et s'atteler à l'écriture de nouvelles œuvres, dès qu'il a surmonté le choc d'une nouvelle interdiction d'une pièce ou d'un refus d'édition. Un esprit indomptable. Tout au long des années 1930, il a consacré ses nuits et autres moments libres, à la rédaction dans le plus grand secret d'un roman, "Le Maître et Marguerite", qui est généralement considéré comme son meilleur ouvrage et comme un précurseur de la tradition internationale du « réalisme magique » à laquelle Marquez, Kundera et Salman Rushdie ont tous apporté leur contribution. Le roman est un mélange extraordinaire de satire comique, qui se déroule dans le Moscou des années 1930, et de réécriture profonde et intense de la rencontre entre le Christ et Ponce Pilate. Le point de départ est la visite à Moscou d'un élégant diable, Woland, qui travaille pour les forces du bien ; mais le livre est aussi une histoire d'amour et un compte rendu de l'intégrité artistique de son écrivain-héros, le Maître. Bien que Boulgakov ait parfois succombé aux rêves de publication, il ne pouvait être question de publier "Le Maître et Marguerite" dans l'URSS des années 1930.
Pendant la période Brejnev, certaines œuvres de Boulgakov ont été publiées, mais d'autres ne l'ont pas été, même après que des éditions aient été disponibles à l'Ouest. Les obstacles dressés devant les chercheurs qui cherchaient à accéder à ses archives devinrent alors une cause célèbre. Au cours des années 1970 et au début des années 1980, les efforts combinés des experts soviétiques et occidentaux ont progressivement permis de découvrir davantage de faits sur la vie de Boulgakov, mais il est resté très difficile d'établir l'authenticité des textes et des documents biographiques. Avec l'avènement de la "glasnost", les choses évoluèrent, malgré les rivalités entre archivistes et chercheurs et la détermination persistante de certains historiens soviétiques de la littérature à présenter un portrait « autorisé » de Boulgakov à entraver tout progrès. Un certain accès aux archives a été accordé pour la première fois à un nombre limité d'universitaires en 1989 et il fallut attendre le centenaire de la naissance de Boulgakov en 1991 pour que les textes de ses quatre romans, de plusieurs nouvelles et de quelque quatorze pièces de théâtre soient enfin rendues accessibles au public soviétique : bien qu'un travail considérable reste à faire pour établir les versions correctes de certains textes particulièrement controversés...
L'écriture du premier roman de Boulgakov, "La Garde blanche", est un hommage reconnaissant à sa famille, à son enfance et à l'éducation heureuses vécues dans la capitale ukrainienne, Kiev. Le roman dépeint une famille de jeunes adultes - une sœur et deux frères, qui viennent de perdre leur mère - sur fond de Première Guerre mondiale et de révolution. Le point central de l'histoire est la maison où ils vivent, située sur une colline si escarpée que ce qui semble être le deuxième étage depuis le bas, dans la rue, devient le rez-de-chaussée une fois que l'on a fait le tour du bâtiment jusqu'à la cour et l'entrée principale à l'arrière. Derrière ses stores couleur crème, la chaleur de cette maison resplendit comme un havre de paix à l'abri de la violence et des incertitudes des coups d'État politiques successifs à l'extérieur, alors que les batailles se déroulent pour le contrôle de Kiev entre les Russes blancs pro-tsaristes, les armées allemandes d'occupation, les paysans nationalistes ukrainiens menés par Petlyura et les forces rouges soviétiques. "Les habitants de Kiev estiment qu'il y a eu dix-huit changements de pouvoir. Certains mémorialistes en ont compté jusqu'à douze, moi je peux vous dire qu'il y en a eu quatorze, et en plus, j'en ai vécu dix personnellement", commentera Boulgakov par la suite ...
"La Garde Blanche" (Belaja Gvardija, 1925)
Les treize premiers chapitres de ce roman paraissent en 1925 dans la revue Rossíja, un roman qui sera publié intégralement à Paris par les éditions Concorde, le premier tome en 1927, le second en 1929, sous le titre"Les Journées des Tourbine (La Garde blanche)" (Dní Turbínyh (Belaja Gvardija)).
« Ah, la vie est-elle donc aussi courte ? Oui, elle est courte, messieurs officiers, très courte. » - Premier grand roman de Boulgakov, "La Garde blanche" est largement autobiographique et montre tant la fin d’une époque que le désespoir des intellectuels face à la violence de la guerre civile. Boulgakov, avec une grande sensibilité, traite des pertes humaines et spirituelles causées par les révolutions. Ce texte a été censuré pendant des décennies en raison de son traitement plutôt sympathique des Blancs, qui étaient perçus comme des ennemis par le régime soviétique.
L`action se déroule à Kiev, ville natale de l'écrivain ; les événements décrits couvrent une période qui va du 12 décembre 1918 (les bandes anarchistes de Petlioura sont sur le point d`entrer à Kiev) au 3 février 1919 (les bolcheviks vont reprendre la ville). De fait, entre octobre 1917 et février 1919, de nombreux gouvernements devaient se succéder en Ukraine ; le rythme haletant du roman de Boulgakov donne une idée de ce qu`y fut la complexité de la guerre civile.
Le texte s`ouvre sur le départ précipité des Allemands et de leur "gauleiter", "l`Hetman de toute l'Ukraine", P. Skoropadski. Ils seront remplacés par Petlioura. Les bolcheviks occuperont Kiev le 5 février 1919. Au centre du roman nous trouvons la famille Tourbine, composée d`Alexis, médecin, de sa sœur Elena (son mari Tahlberg s'est enfuí avec les Allemands), et de son jeune frère Nikolka. Le prototype en est bien évidemment la famille Boulgakov (l`écrivain donne à ses héros sa propre adresse; Tourbine est le nom de sa grand-mère). Autour, leurs amis : Mychlaevski, La Carpe, Schtchervinskij. Les Tourbine sont des représentants typiques de l'inteIligentsia traditionnelle et de ses valeurs (sens de l'honneur, de la camaraderie, patriotisme, attachement à un certain humanisme, mépris de l'argent et de la mentalité petite-bourgeoise). Avec ses rideaux crème, son piano sur lequel traîne à tout jamais la partition de "Faust", son poêle de faïence couvert d'inscriptions facétieuses, leur maison hospitalière de la rue Alekseev incarne un esprit en voie de disparition. Monarchistes par patriotisme et tradition, les Tourbine sont du côté des Blancs. Abandonnés par les Alliés et les états-majors, ils ont conscience de vivre la fin d`un monde (les thèmes de l'Apocalypse apparaissent plusieurs fois dans le texte). Le romantique Nikolka a voulu être un héros : le colonel Naï Tours mourra dans ses bras, et cette rencontre concrète avec la mort fera de lui un autre homme. Blessé et malade, Alexis ne doit de rester en vie qu`à un miracle (les prières d'Elena sont exaucées).
La guerre, la mort, la trahison, et la nostalgie d’un monde révolu, l'amour de Boulgakov pour Kiev et son désespoir face à la brutalité de la guerre civile, tels sont les thèmes principaux du roman et quelques passages pour les souligner ...
« Le Grand hiver 1918 approchait. La première neige tomba fin novembre. Elle tomba soudain, en silence, par une nuit calme, d'un ciel opaque, laiteux. Kiev se réveilla sous une couverture blanche. » - Le roman s'ouvre sur une description lyrique du ciel de Kiev, marquant le début de l'hiver, un passage est souvent cité pour sa poésie et son symbolisme, beauté du monde naturel et menace imminente de la guerre. Il introduit la ville, qui joue un rôle central dans le roman, presque comme un personnage à part entière....
« Il y a quelque chose de terrible dans l'idée que la guerre est une énorme, stupide, aveugle machine... et il est impossible de comprendre quand elle s'arrêtera ou pourquoi elle est là. » - Les réflexions de Nikolaï Tourbine sur la guerre et la mort (chapitre 3) : Nikolaï (Nikolka), le frère cadet des Tourbine, réfléchit sur la guerre et la proximité de la mort alors qu'il se prépare à défendre Kiev contre les troupes bolcheviques. Ces réflexions touchent à des thèmes philosophiques universels, comme l'absurdité de la guerre et l'angoisse existentielle.
« Les cadets se mirent en rangs sous les arbres du boulevard, jeunes, maigres, portant des manteaux gris... Ils regardaient la ville en contrebas, attendant l'ennemi. » - Scène de la défense de la ville par les cadets (chapitres 6 et 7), un des moments les plus intenses du roman : la description des jeunes cadets, dont Nikolka, qui tentent de défendre Kiev contre les armées bolcheviques. Boulgakov dépeint ces scènes de bataille avec une précision brutale et une émotion déchirante, soulignant tout à la fois bravoure et fragilité de ces jeunes soldats face à une situation totalement désespérée...
« Nous avons été trahis, Elena. Le général nous a abandonnés, et maintenant, tout ce que nous avons, c'est nous-mêmes. » - Discussion entre Alexeï et Elena Tourbine, et perte de tout repère (chapitre 5) : Alexeï Tourbine, le personnage central du roman, est un médecin et officier qui se débat avec ses propres doutes et peurs au milieu du chaos de la guerre civile. Dans une conversation intime avec sa sœur Elena, il exprime son désespoir face à l'effondrement de leur monde et la trahison des autorités.
« Une musique divine résonnait dans ses oreilles, quelque part au-dessus de lui, dans les hauteurs du grand dôme. Il sentait qu'il ne pouvait pas se lever, et que même s'il le pouvait, il n'y aurait personne pour l'aider à sortir. » - Le rêve d’Alexeï Tourbine (chapitre 10) : Alexeï fait un rêve étrange où il se trouve dans une grande salle d'opéra désertée, où il entend de la musique magnifique et voit des fantômes du passé. Ce passage est à la fois onirique et prophétique, et il reflète l'état d'esprit d'Alexeï, déchiré entre la vie et la mort, le passé et le présent.
« L’obus a explosé avec un sifflement strident, quelque part à proximité. Alexeï se retourna, tomba à genoux, et sentit que quelque chose en lui se brisait. Puis tout s’éteignit. » - La mort d'Alexeï Tourbine (chapitre 14), victime d'une balle perdue, l'un des moments les plus poignants du roman. Boulgakov décrit cette scène avec une simplicité déchirante, accentuant l'absurdité et l'injustice de la guerre...
« Kiev était en paix. La neige continuait de tomber silencieusement sur les toits blancs de la ville, comme si rien n'avait jamais perturbé ce calme. Mais la paix était fragile, et tous ceux qui avaient survécu savaient que rien ne serait plus jamais pareil. » - Le dernier chapitre, la paix retrouvée (chapitre 16), la fin des combats, et la vie qui reprend doucement son cours à Kiev. Cependant, ce retour à la normalité est teinté de mélancolie, car les cicatrices de la guerre sont profondes, et le monde d’avant a irrémédiablement disparu.
Dans "La Garde blanche", Boulgakov, se plaçant dans la tradition tolstoïenne. montre les destinées individuelles prises dans le tourbillon grandiose, impersonnel et indéchiffrable de l'Histoire (le motif de la tempête de neige court à travers tout le roman); à la faveur de situations paroxystiques, les uns et les autres se trouvent dans l`obligation d'effectuer des choix cruciaux. Cette vision s`exprime dans des représentations unanimistes : scènes de foules parcourues de voix anonymes, représentation épique des flots de banquiers et d`affairistes, de commerçants et de prostituées qui déferlent sur l`Ukraine, fuyant les bolcheviks. Face aux convulsions humaines - "Les Possédés" de Dostoïevski sont plusieurs fois cités -, les étoiles et le ciel affirment la permanence du cosmos. l'existence d`un ordre supérieur et éternel du monde.
La critique émit quelques réserves quant à la position politique de l'auteur de "La Garde blanche", mais le débat sur le roman devait très vite être supplanté par les discussions passionnées que suscita sa pièce "Les Journées des Tourbine", adaptation de "La Garde blanche" écrite en 1925 pour le Théâtre d`Art (Ia première eut lieu le 5 octobre 1926, la pièce ne fut publiée en U.R.S.S. qu`en 1955). Boulgakov y reprend dans l`ensemble la trame événementielle de "La Garde blanche". Alexis Tourbine y devient un colonel. ll mourra d`une blessure. Quelques répliques de circonstance expriment la conviction des héros que le mouvement blanc est condamné. De fait, les Tourbine acceptent à la fin de la pièce l`idée de voir la Russie gouvernée par les bolcheviks, plus, il est vrai, par lassitude et souci de continuité nationale que par adhésion à leur idéologie. La critique ne voulut voir dans "Les Journées des Tourbine" qu`une pièce favorable aux Blancs. Reprise en 1932 après une interruption de cinq ans, elle devait rester l'un des plus grands succès du Théâtre d`Art (Trad. Robert Laffont, 1968).
Mikhaïl Boulgakov, "Master i Margarita" (Le Maître et Marguerite, The Master and Margarita, 1966)
Succédant à "La Garde Blanche" (The White Guard, Белая гвардия, 1925), qui raconte sur fond de guerre civile russe, la fin de l'Ukraine tsariste à travers la destinée de la famille Tourbine, inspirée de sa propre famille, Boulgakov (Михаил Афанасьевич Булгаков) commence à écrire "Le Maître et Marguerite" en 1928, pour le terminer en 1940, peu avant sa mort : c'est seulement en 1966 que la première partie du "Maître et Marguerite" fut publiée par le mensuel Moskova, jusque-là le livre avait circulé clandestinement. Le roman est composé de deux récits distincts, mais liés, le premier se situe à Moscou au XXe siècle, le second dans l'ancienne Jérusalem. Boulgakov y intègre des personnages étranges et surnaturels dont Woland (Satan) et son entourage démoniaque, un écrivain (le maître) et sa maîtresse adultère (Marguerite, Elena Chilovskaïa, son modèle). L'ensemble oscille entre satire mordante du régime soviétique, allégorie religieuse, voire fantaisie burlesque. Dans le Moscou des années trente, deux écrivains discutent sur un banc d'un jardin public. Jésus a-t-il réellement existé ? Tel est le thème de la discussion. Tout à coup, se produit un mouvement de l'air, et un personnage est là, assis sur le banc voisin, qui se mêle bientôt à leur conversation. Etranger? Espion? Ou intrus simplement? L'inconnu montre ses papiers : il est en règle, il est, dit-il, un professeur venu en consultation. Mais, curieusement, il a un don de vision et lit dans I'avenir. Peu après, l'un des écrivains meurt comme il I'avait prédit; le second devient fou - c'était aussi prédit. L'inconnu, c'est le Diable, en visite dans le monde socialiste...
"Ne parlez jamais à des inconnus - Au déclin d'une chaude journée de printemps, sur la promenade de l'Etang du Patriarche, apparurent deux citoyens. Le premier qui paraissait âgé d'une quarantaine d'années, était vêtu d'un léger complet d'été gris clair; il avait la taille petite mais bien prise, voire replète, le cheveu brun quoique rare, et son visage soigneusement rasé s'ornait d'une paire de lunettes de dimensions prodigieuses, à monture d'écaille noire. Quant à son chapeau, de qualité fort convenable, il le tenait froissé dans sa main, comme un de ces beignets qu'on achète au coin des rues. Son compagnon, un jeune homme de forte carrure dont les cheveux roux s'échappaient en broussaille d'une casquette à carreaux négligemment rejetée sur la nuque, portait une chemise de cow-boy, un pantalon blanc fripé et des espadrilles noires. Le premier n'était autre que Mikhaïl Alexandrovitch Berlioz, rédacteur en chef d'une épaisse revue littéraire et président de l'une des plus considérables associations littéraires de Moscou, appelée en abrégé M.A.S.S.O.L.I.T. Quant au jeune homme, c'était le poète Ivan Nikolaîevitch Ponyriev, plus connu sous le pseudonyme de Biezdomny. Ayant gagné les ombrages de tilleuls à peine verdissants, les deux écrivains eurent pour premier soin de se précipiter vers une baraque peinturlurée dont le fronton portait l'inscription : "Bière, Eaux minérales." C'est ici qu'il convient de noter la première étrangeté de cette terrible soirée de mai. Non seulement autour de la baraque, mais tout au long de l'allée parallèle à la rue Malaïa Bronnaïa, il n'y avait absolument personne. A une heure où, semble-t-il, l'air des rues de Moscou surchauffées était devenu irrespirable, où, quelque part au-delà de la Ceinture Sadovaïa, le soleil s'enfonçait dans une brume de fournaise, personne ne se promenait sous les tilleuls, personne n'était venu s'asseoir sur les bancs. L'allée était déserte. - Donnez-moi de l'eau de Narzan, demanda Berlioz à la tenancière du kiosque. - Y en a pas, répondit-elle en prenant, on ne sait pourquoi, un air offensé. - Vous avez de la bière ? s'informa Bíezdomny d'une voix sifiante. - On la livre ce soir, répondit la femme. - Qu'est-ce que vous avez, alors ? demanda Berlioz. - Du jus d'abricot, mais il est tiède, dit la femme. - Bon, donnez, donnez, donnez !... En coulant dans les verres, le jus d'abricot fournit une abondante mousse jaune, et l'air ambiant se mit à sentir le coiffeur. Dès qu'ils eurent bu, les deux hommes de lettres furent pris de hoquets. Ils payèrent et allèrent s'asseoir sur un banc, le dos toumé à la rue Bronnaïa. C'est alors que survint la seconde étrangeté, concernant d'ailleurs le seul Berlioz. Son hoquet s'arrêta net. Son cœur cogna un grand coup dans sa poitrine, puis, semble-t-il, disparut soudain, envolé on ne sait où. Il revint presque aussitôt, mais Berlioz eut l'impression qu'une aiguille émoussée y était plantée. En même temps, il fut envahi d'une véritable terreur, absolument sans raison, mais si forte qu'il eut envie de fuir à l'instant même, à toutes jambes et sans regarder derrière lui. Très peiné, Berlioz promena ses yeux alentour, ne comprenant pas ce qui avait pu l'effrayer ainsi. Il pâlit, s'épongea le front de son mouchoir et pensa : "Mais qu'ai-je donc ? C'est la première fois que pareille chose m'arrive. Ce doit être mon cœur qui me joue des tours... le surmenage... il faudrait peut-être que j'envoie tout au diable, et que j'aille faire une cure à Kislovodsk..." A peine achevait-il ces mots que l'air brûlant se condensa devant lui, et prit rapidement la consistance d'un citoyen, transparent et d'un aspect tout à fait singulier. Sa petite tête était coiffée d'une casquette de jockey, et son corps aérien était engoncé dans une mauvaise jaquette à carreaux, aérienne elle aussi. Ledit citoyen était d'une taille gigantesque - près de sept pieds - mais étroit d'épaules et incroyablement maigre. Je vous prie de noter, en outre, que sa physionomie était nettement sarcastique. La vie de Berlioz ne l`avait nullement préparé à des événements aussi extraordinaires. Il devint donc encore plus pâle, et, les yeux exorbités, il se dit avec effarement : "Ce n'est pas possible !..." C'était possible, hélas, puisque cela était. Sans toucher terre, le long personnage, toujours transparent, se balançait devant lui de droite et de gauche. Berlioz fut alors en proie à une telle épouvante qu'il ferma les yeux... Lorsqu'il les rouvrit, tout était fini : le fantôme s'était dissipé, la jaquette à carreaux avait disparu, et la pointe émoussée qui fouillait le cœur de Berlioz s'était, elle aussi, envolée. - "Pfff! Ça, alors! s'écria le rédacteur en chef. Figure-toi, Ivan, que j'ai cru mourir d'une insolation, là, à l'instant. J'ai eu une espèce d'hallucination, pfff !..." Il essaya de rire, mais des lueurs d'effroi traversaient encore ses yeux, et ses mains tremblaient. Peu à peu, cependant, il se calma. Il s'éventa avec son mouchoir, puis proféra d'un ton assez ferme : "Bon. Ainsi donc...", reprenant le fil de son discours que le jus d'abricot avait interrompu. Ce discours, comme on le sut par la suite, portait sur Jésus-Christ. Pour tout dire, le rédacteur en chef avait commandé au poète, pour le prochain numéro de la revue, un grand poème antireligieux. Ivan Nikolaîévitch avait donc composé ce poème, en un temps remarquablement bref d'ailleurs, mais malheureusement, le rédacteur en chef s'était montré fort peu satisfait du résultat. Biezdomny avait peint son personnage principal - Jésus-Christ - avec les couleurs les plus sombres, et pourtant, selon l'opinion du rédacteur en chef, tout le poème était à refaire. Berlioz avait donc entrepris, au bénéfice du poète, une sorte de conférence sur Jésus, afin, disait-il, de lui faire toucher du doigt son erreur fondamentale. Il est difficile de préciser si, en l'occurrence, Ivan Nikolaïévitch avait été victime de la puissance évocatrice de son talent, ou d'une complète ignorance de la question. Toujours est-il que son Jésus semblait, eh bien... parfaitement vivant. C'était un Jésus qui, incontestablement, avait existé, bien qu'il fût abondamment pourvu des traits les plus défavorables. Berlioz voulait donc montrer au poète que l'essentiel n'était pas de savoir comment était Jésus - bon, ou mauvais -, mais de comprendre que Jésus, en tant que personne, n'avait jamais existé, et que tout ce qu'on racontait sur lui était pure invention - un mythe de l'espèce la plus ordinaire...." (traduction Claude Ligny, Robert Laffont).
Ecrit de 1928 à 1940, publié en 1966-67, "Le Maître et Marguerite" est le chef-d`œuvre de Boulgakov et l`un des textes majeurs de la littérature mondiale du XXe siècle. Arrivé à Moscou dans les années trente, le Diable, sous les traits du professeur allemand Woland, spécialiste de magie noire, se manifeste à Berlioz et Biezdomny, hommes de lettres qui ne croient ni à Dieu ni au Diable. Au cours d`une conversation sur un banc, Satan-Woland leur affirme qu`ils se trompent : son accent étranger disparaît et par la magie du verbe et il transporte ses interlocuteurs devant Ponce Pilate, le cinquième procurateur de Judée, au moment où celui-ci va ratifier la condamnation à mort de Yeshoua, prédicateur errant, aux origines incertaines, accusé d`avoir prononcé des paroles subversives sur le pouvoir d'Etat et appelé le peuple à détruire le Temple. Yeshoua affirme que viendra le royaume de la vérité et de la justice où nul pouvoir ne sera nécessaire car le pouvoir est toujours une violence faite à l`homme. Aux écrivains désemparés, Woland administre alors la "septième preuve" de l`existence de Dieu : ses prédictions se réalisent. Effectivement, Berlioz glisse sur l'huile que vient de renverser une certaine Annouchka et a la tête tranchée par un tramway conduit par une jeune fille des jeunesses communistes. En proie à un accès de délire, Biezdomny se lance dans une folle poursuite. ll fera finalement irruption au M.A.S.S.O.L.I.T., l'organisation des écrivains moscovites, dans un étrange accoutrement, réclamant que l`on arrête un étranger "qui a partie liée avec les puissances des ténèbres et vient de tuer Berlioz". On le conduit alors à la clinique psychiatrique du docteur Stravinsky, où il aura en rêve la vision de l'exécution de Yeshoua.
Woland et sa troupe (il est escorté des démons Azazello, Koroviev-Fahoth et Béhémot, le chat) sèment le trouble à Moscou, arrachant les masques de tous les "bien-pensants" et révélant les vices cachés. Scandales, incendies, rixes, événements "inexplicables" se succèdent à un rythme effréné.
Cependant, à la clinique Stravinsky, Biezdomny a reçu fortuitement la visite d`un inconnu qui occupe la chambre voisine. Biezdomny lui révèle qu'il est interné «"à cause de Ponce Pilate" et, sous le choc de cette confidence, l'inconnu lui raconte sa propre histoire. Auteur d`un livre sur Ponce Pilate que personne n`a voulu éditer, il est devenu fou, a quitté sa maison pour se terrer à la clinique, laissant sans nouvelles la femme qu`il a toujours aimée, Marguerite. Celle-ci, mariée sans amour à un personnage en vue, est devenue secrètement sa femme. "Elle le pressait, lui prédisait la gloire et c`est ainsi qu`elle se mit à l`appeler "Maître"."
"... Avant toutes choses, dévoilons un secret que le Maître n’avait pas voulu révéler à Ivanouchka. Son amante s’appelait Marguerite Nikolaïevna. Par ailleurs, tout ce que le Maître avait dit d’elle au pauvre poète n’était que la stricte vérité. Il avait fait de sa bienaimée une description fidèle. Elle était, effectivement, belle et intelligente. À cela, il faut ajouter une chose : on peut affirmer, sans crainte, que bien des femmes auraient donné n’importe quoi pour échanger leur existence contre celle de Marguerite Nikolaïevna. Âgée de trente ans, Marguerite était mariée, sans enfant, à un très éminent spécialiste, auteur, par-dessus le marché, d’une découverte de la plus haute importance, une découverte d’intérêt national. Son mari était jeune, beau, bon, honnête, et il adorait sa femme. Tous deux occupaient entièrement l’étage supérieur d’un magnifique hôtel particulier entouré d’un jardin et situé dans l’une des petites rues qui avoisinent la place de l’Arbat. Séjour enchanteur ! Du reste, chacun peut s’en convaincre, s’il veut bien aller voir ce jardin. Qu’il s’adresse à moi, je lui donnerai l’adresse et je lui indiquerai le chemin, la propriété est encore intacte.
Marguerite Nikolaïevna avait tout l’argent qu’elle pouvait désirer. Marguerite Nikolaïevna pouvait acheter tout ce qui lui faisait envie. Parmi les relations de son mari, elle pouvait rencontrer des gens fort intéressants. Marguerite Nikolaïevna n’avait jamais touché un réchaud à pétrole. Marguerite Nikolaïevna ne connaissait rien des horreurs de l’existence dans un appartement communautaire. En un mot… elle était heureuse ? Eh bien, non, pas un instant ! Dès le moment où, âgée de dix-neuf ans, elle s’était mariée et était venue habiter dans cette propriété, elle n’avait plus connu le bonheur. Dieux, dieux ! Que fallait-il donc à cette femme ? Que fallait-il à cette femme, dans les yeux de qui brûlait constamment une petite flamme incompréhensible ? Que fallait-il à cette sorcière qui louchait très légèrement d’un œil et qui, ce fameux jour, s’était parée d’un bouquet printanier de mimosas ? je l’ignore, je n’en sais rien. Sans doute avait-elle dit la vérité : ce qu’il lui fallait, c’était lui – le Maître –, et pas du tout une maison gothique, pas du tout un jardin privé, pas du tout de l’argent. Elle l’aimait – elle avait dit la vérité.
Même moi – étranger à cette histoire, bien que j’en sois le narrateur véridique –, mon cœur se serre à la pensée de ce que dut éprouver Marguerite lorsque, le lendemain, elle revint à la petite maison du Maître (heureusement, elle n’avait pas eu l’occasion de tout dire à son mari, car celui-ci n’était pas rentré à l’heure prévue), et apprit que le Maître n’était plus là. Elle fit tout pour en savoir davantage, mais naturellement elle n’apprit rien de plus.
Alors, elle rentra à la propriété, et recommença à vivre comme par le passé.
Mais dès que la neige sale se fut effacée des rues et des trottoirs, dès que le printemps se mit à souffler par les vasistas des bouffées d’un vent chargé d’angoisse et d’une vague odeur de pourriture, la tristesse de Marguerite Nikolaïevna redoubla.
Souvent, en secret, elle pleurait, longuement et amèrement. Celui qu’elle aimait était-il vivant ou mort ? Elle l’ignorait. Et, à mesure que s’écoulaient ces lugubres journées, de plus en plus souvent, surtout à la tombée de la nuit, lui venait la pensée qu’elle était liée à un mort.
Donc, elle devait l’oublier, ou bien mourir elle aussi. Mais traîner plus longtemps cette morne existence, impossible. Impossible ! L’oublier, quoi qu’il en coûtât, l’oublier !
Seulement, il ne se laissait pas oublier, voilà le malheur.
– Oui, oui, oui, la même faute, exactement ! disait Marguerite, assise près du poêle et regardant le feu, qu’elle avait allumé en souvenir du feu qui brûlait à l’époque où il écrivait l’histoire de Ponce Pilate. Pourquoi l’ai-je quitté cette nuit-là ? Pourquoi ? C’était de la folie ! je suis revenue le lendemain, honnêtement, comme je le lui avais promis, mais il était déjà trop tard. Oui, je suis revenue, mais, comme le malheureux Matthieu Lévi, trop tard !
Toutes ces paroles, évidemment, étaient absurdes. Qu’est-ce que cela aurait changé, en effet, si, cette nuit-là, elle était restée chez le Maître ? Aurait-elle pu le sauver ? Ridicule !… pourrions-nous nous exclamer, mais, devant cette femme désespérée, nous nous en abstiendrons.
Le jour où se produisit tout ce remue-ménage insensé provoqué par la présence du magicien noir à Moscou, ce vendredi où l’oncle de Berlioz fut fermement renvoyé à Kiev, où le comptable fut arrêté et où se produisirent toutes sortes de choses excessivement bêtes et incompréhensibles, ce jour-là, vers midi, Marguerite s’éveilla dans sa chambre située en encorbellement dans la tour de la grande maison.
En s’éveillant, Marguerite ne pleura pas, contrairement à ce qui arrivait souvent, car elle eut aussitôt le pressentiment qu’aujourd’hui, enfin, il se passerait quelque chose. Elle s’empressa de réchauffer et de cultiver ce pressentiment dans le fond de son cœur, de peur qu’il ne s’en aille...."
Dans la deuxième partie du roman, le lecteur fait la connaissance de Marguerite; qui se morfond, sans nouvelles du Maître. Mais un rêve lui rend la confiance. Par la suite les événements ne feront que confirmer son pressentiment. Elle fait la connaissance d`AzaZello, qui lui propose de rencontrer Satan. Elle accepte, devient ainsi sorcière et reine au grand bal de la pleine lune de printemps, où chaque année Satan ressuscite les damnés pour une nuit.
Le matin venu, en guise de récompense, Woland lui rend son amant. qui réapparaît en même temps que le roman que l'on croyait brûlé. "Les manuscrits ne brûlent pas !" Plus tard, alors que l'orage se déchaîne sur Moscou, Marguerite lit deux chapitres du roman du Maître qui relatent l'assassinat de Judas par Pilate et l'enterrement de Yeshoua. Le disciple Matthieu Lévi apparaît à Woland pour lui demander de prendre avec lui le Maître et Marguerite pour leur donner le repos (car le Maître "n`a pas mérité la lumière"). Pendant ce temps, Azazello offre aux amants du vin de Falerne. le préféré du procurateur de Judée; ils boivent et tombent inanimés. Mais Azazello les réanimera avec le même vin, pour qu'ils puissent quitter Moscou en compagnie de la troupe diabolique rendue à son "vrai visage".
Devant Ponce Pilate condamné, le Maître peut enfin achever son livre sur cette phrase : "Il est libre! libre! Il t`attend" : à ces mots le supplice cesse et Pilate peut rejoindre Yeshoua. Le Maître et sa compagne voient alors s`avancer "leur maison éternelle", " quelqu'un rendait la liberté au Maître, comme lui-même venait de rendre la liberté au héros créé par lui".
Pourquoi le Maître n`a-t-il pas accédé à la lumière ? Sans doute n'a-t-il pas assez pleinement témoigné de celle qui lui a été révélée, peut-être n'a-t-il pas assez cru en lui-même par lâcheté, "le pire vice de l`âme", dit Boulgakov, et trop à la toute-puissance de Woland, ce curieux diable "qui éternellement veut le mal et qui, éternellement, accomplit le bien...".
En dépit d`une structure extrêmement sophistiquée, "Le Maître et Marguerite" est un roman qui a le don de parler directement à l'imagination et au cœur. Comme Hoffmann, l'un de ses écrivains préférés, Boulgakov gomme les frontières entre quotidien et surnaturel. Sorcières, démons et vampires venus des profondeurs du Moyen Age se promènent dans les rues de Moscou ; le heurt d`un univers bureaucratisé. rationalisé, avec le monde fantastique et impertinent de Satan et de ses sbires produit des effets décapants et loufoques d`une drôlerie irrésistible. Gags, quiproquos. poursuites, coups de feu, acrobaties, métamorphoses se succèdent à un rythme endiablé. Tout à la fois écrivain et clown de génie. Boulgakov nous entretient de philosophie. de religion et de politique, mais il le fait avec une liberté et une invention qui évoquent le cirque ou le théâtre. Et puis il y a l`histoire d'amour du Maître avec Marguerite, une histoire romantique pleine de lyrisme et de poésie, de tragique et de bonheur. "Il faut aimer ses héros", a écrit Boulgakov (Trad. Robert Laffont, 1968) ...
La diversité des thèmes et des registres marque particulièrement "Le Maître et Marguerite", le mysticisme, l'humour, la critique sociale, et la réflexion philosophique se côtoient dans un récit captivant et souvent déroutant ...
« Il n'y a pas de place pour la providence dans l'athéisme. Permettez-moi de vous le prouver... » - L'arrivée de Woland à Moscou (chapitre 1) - Le roman s'ouvre sur une conversation entre Berlioz, un directeur littéraire, et Ivan Bezdomny, un poète, dans un parc à Moscou. Ils discutent de l'existence de Jésus et des récits bibliques, quand un étranger (qui s'avère être Woland, une incarnation du diable) intervient dans la conversation. Woland fait une prédiction sur la mort de Berlioz, qui se réalisera peu après. Cette scène est célèbre pour son ton ironique et son ouverture mystique qui lance l'intrigue surnaturelle du roman.
(...)
– Excusez-moi, je vous prie, dit l’homme avec un accent étranger, mais sans écorcher les mots. Je vous suis inconnu, et je me permets de… mais le sujet de votre savante conversation m’intéresse tellement que…
En disant ces mots, il ôta poliment son béret, et les deux amis n’eurent d’autre ressource que de se lever et de saluer l’inconnu.
« Non, ce serait plutôt un Français… », pensa Berlioz.
« Un Polonais… », pensa Biezdomny.
Il est nécessaire d’ajouter que dès ses premières paroles, l’étranger éveilla chez le poète un sentiment de répulsion, tandis que Berlioz le trouva plutôt plaisant, enfin… pas tellement plaisant, mais… comment dire ?… intéressant, voilà.
– Me permettez-vous de m’asseoir ? demanda poliment l’étranger.
Non sans quelque mauvaise grâce, les amis s’écartèrent.
Avec beaucoup d’aisance, l’homme s’assit entre eux, et se mit aussitôt de la conversation.
– Si je ne me suis point mépris, vous avez jugé bon d’affirmer, n’est-ce pas, que Jésus n’avait jamais existé ? demanda-t-il en fixant son œil vert sur Berlioz.
– Vous ne vous êtes nullement mépris, répondit courtoisement Berlioz. C’est précisément ce que j’ai dit.
– Ah ! comme c’est intéressant ! s’écria l’étranger.
« En quoi diable est-ce que ça le regarde ! » songea Biezdomny en fronçant les sourcils.
– Et vous êtes d’accord avec votre interlocuteur ? demanda l’inconnu en tournant son œil droit vers Biezdomny.
– Cent fois pour une ! affirma celui-ci, qui aimait les formules ampoulées et le style allégorique.
– Étonnant ! (s’écria à nouveau l’indiscret personnage. Puis, sans qu’on sache pourquoi, il regarda autour de lui comme un voleur, et, étouffant sa voix de basse, il reprit :) Pardonnez-moi de vous importuner, mais si j’ai bien compris, et tout le reste mis à part, vous ne… croyez pas en Dieu ?
Il leur jeta un regard effrayé et ajouta vivement :
– Je ne le répéterai à personne, je vous le jure !
– Effectivement, nous ne croyons pas en Dieu, répondit Berlioz en se retenant de sourire de l’effroi du touriste, mais c’est une chose dont nous pouvons parler tout à fait librement.
L’étranger se renversa sur le dossier du banc et lança, d’une voix que la curiosité rendait presque glapissante :
– Vous êtes athées ?
– Mais oui, nous sommes athées, répondit Berlioz en souriant.
« Il s’incruste, ce pou d’importation ! » pensa Biezdomny avec colère.
– Mais cela est merveilleux ! s’exclama l’étranger stupéfait, et il se mit à tourner la tête en tous sens pour regarder tour à tour les deux hommes de lettres.
– Dans notre pays, l’athéisme n’étonne personne, fit remarquer Berlioz avec une politesse toute diplomatique. Depuis longtemps et en toute conscience, la majorité de notre population a cessé de croire à ces fables.
Une drôle de chose dut alors passer par la tête de l’étranger, car il se leva, prit la main du rédacteur en chef ébahi et la serra en proférant ces paroles :
– Permettez-moi de vous remercier de toute mon âme !
– Et de quoi, s’il vous plaît, le remerciez-vous ? s’enquit Biezdomny en battant des paupières.
– Pour une nouvelle de la plus haute importance, excessivement intéressante pour le voyageur que je suis, expliqua l’original, en levant le doigt d’un air qui en disait long.
Il est de fait que, visiblement, cette importante nouvelle avait produit sur le voyageur une forte impression, car il regarda les maisons d’un air effrayé, comme s’il craignait de voir surgir un athée à chaque fenêtre...."
La crucifixion de Jésus (Yeshoua Ha-Notsri) (chapitres 2 et suivants) - Tout au long du roman, des extraits de la « nouvelle » du Maître sur la vie de Ponce Pilate et la crucifixion de Yeshoua Ha-Notsri (Jésus) sont insérés. Ces passages, en particulier celui où Pilate condamne Yeshoua malgré ses doutes et ses hésitations, sont puissants et philosophiques, offrant une réflexion sur le pouvoir, la culpabilité et le libre arbitre. « L'instant est venu, Hégémon, dit calmement le prisonnier. […] Le moment est venu où vous allez me tuer. Vous le savez, et je le sais. »
Marguerite volant sur Moscou (chapitre 21) - « Marguerite se sentit alors totalement libre, légère, et surtout elle comprit que plus rien au monde ne pouvait l'effrayer... » - L'un des passages les plus emblématiques du roman est celui où Marguerite, si mystérieuse et d'un érotisme envoutant, transformée en sorcière par Woland, s'envole nue au-dessus de Moscou, chevauchant un balai. Ce vol fantastique symbolise à la fois sa liberté retrouvée et sa révolte contre la société ...
"En elle, partout, dans chaque cellule de son corps, bouillonnait la joie, comme des bulles dont elle éprouvait le picotement dans tout son être. Marguerite se sentait libre, libre de toute entrave. En outre, elle comprit, avec une évidence aveuglante, que venait de se produire, précisément, ce que lui avait annoncé son pressentiment du matin, et qu’elle allait quitter cette maison – et son ancienne vie – pour toujours. Mais une pensée surgit encore de cette ancienne vie, pour lui rappeler qu’elle avait encore un dernier devoir à accomplir, avant de commencer cette vie nouvelle, extraordinaire, qui l’appelait irrésistiblement là-haut, à l’air libre. Toujours nue, elle s’éleva dans les airs, quitta la chambre et, en quelques bonds légers, gagna le bureau de son mari. Elle fit de la lumière et s’élança vers la table. Sur une feuille arrachée à un bloc-notes, elle écrivit d’un seul jet, au crayon, d’une grande écriture rapide, le message suivant : "Pardonne-moi, et oublie-moi aussi vite que possible. Je te quitte pour toujours. Ne me cherche pas, ce serait peine perdue. Les malheurs qui m’ont frappée et le chagrin ont fait de moi une sorcière. Il est temps. Adieu. Marguerite."
L’âme parfaitement soulagée, Marguerite revint vivement dans sa chambre. Natacha, les bras chargés de vêtements, entra sur ses talons. D’un seul coup, tout ce qu’elle portait – cintres de bois garnis de robes, châles de dentelle, souliers de satin bleu sur leurs embauchoirs, ceintures –, tout cela se répandit sur le parquet, et Natacha joignit ses deux mains libres. – Alors, je suis belle ? s’écria d’une voix rauque Marguerite Nikolaïevna...."
Le bal de Satan (chapitres 22-23) - « Les couloirs baignaient dans un étrange crépuscule, pareil à celui qui précède l'orage... Le silence régnait autour, bien que Marguerite eût l'impression d'entendre une sorte de musique tout au fond de ses oreilles. » - Marguerite, l'amante du Maître, est choisie pour être la reine du bal de Satan, une cérémonie grotesque où elle rencontre des criminels et des âmes damnées. Cette scène est emblématique de l'atmosphère carnavalesque et surréaliste du roman. Le bal de Satan est une satire des élites soviétiques et une exploration des thèmes du bien, du mal, et de la rédemption.
La rencontre entre Marguerite et Woland (chapitre 24) - « Eh bien, Marguerite Nikolaïevna, acceptes-tu de devenir reine pour une soirée, de tenir compagnie à moi-même, à Satan ? »- Marguerite accepte un pacte avec Woland pour retrouver le Maître. Ce passage explore le thème du pacte faustien et montre Marguerite comme une héroïne déterminée, prête à tout pour retrouver son amour.
La conclusion (chapitre 32) - « — Ils ne méritent pas la lumière, ils ne méritent pas la paix, ils méritent le repos, dit Woland, et levant la main, il s’adressa au Maître : "Suivez-moi, Maître, suivez-moi !" » - La fin du roman, où Woland et son entourage emmènent le Maître et Marguerite dans une sorte de paradis, est célèbre pour sa beauté onirique et apaisante. Le Maître et Marguerite trouvent enfin la paix après leurs souffrances, dans une scène où le fantastique et le symbolisme se mêlent.
Les mésaventures de Behemoth (divers chapitres) - Behemoth, le chat géant et farceur qui fait partie de la suite de Woland, apporte une touche d'humour au roman. Ses aventures, telles que son combat avec la police ou ses interventions burlesques, sont mémorables pour leur absurdité et leur satire de la bureaucratie soviétique.
« Assis à une table, Behemoth, le chat noir aux proportions gigantesques, tenait dans ses pattes une fourchette et un couteau. »
"Le Roman théâtral" (Театральный роман)
« Je suis fatigué de la sottise humaine, de la médiocrité, de la lâcheté, et du mensonge. »- Écrit en 1936-1937 (publié en 1965), ce roman inachevé raconte l'histoire de Maxoudov, un écrivain qui tente de faire jouer sa pièce de théâtre dans un contexte marqué par la bureaucratie et l'absurdité du milieu artistique soviétique. Une satire mordante du monde du théâtre et, plus largement, de la censure et du contrôle étatique sur l’art, qui s’inspire des difficultés que rencontra Boulgakov lui-même à travailler en tant que dramaturge sous le régime soviétique. L’humour noir et le ton désespéré transforment cette satire en une véritable critique des conditions oppressantes dans lesquelles se trouvait l’art sous Staline. Il s'agit d'une réflexion amère sur les tensions entre l’art authentique et les exigences d'un État autoritaire : « J’ai compris qu’écrire des livres dans ce pays était une tâche mortelle. »
"... J'entrepris deux fois la lecture du roman de Lessossekov "Les Cygnes", deux fois je parvins jusqu'à la page quarante-cinq et repris le livre depuis le début parce que j'avais oublié ce qui s'était passé au commencement. Cela m'effraya pour de bon. Quelque chose ne fonctionnait pas bien dans ma tête: j'avais cessé de comprendre, ou alors j'étais encore incapable de comprendre les choses sérieuses. Et, laissant de côté Lessossekov, j'entrepris de lire Flavian et même Likospaštov; et chez ce dernier, je tombai sur une surprise de taille. En lisant un récit dans lequel était décrit un certain journaliste (le récit s'intitulait "Le Locataire au billet de logement"), je reconnus le divan crevé avec son ressort qui pointait, le papier buvard sur la table... Autrement dit, ce que le récit décrivait, c'était. .. moi !
Même pantalon, même tête rentrée dans les épaules et mêmes yeux de loup... En un mot, moi! Mais je jure par tout ce que j'ai de plus cher au monde que j'étais décrit d'une manière injuste. Je ne suis absolument pas rusé, ni avide, ni retors, ni menteur, ni carriériste, et je n'ai jamais débité les âneries qu'on me prête dans ce récit! Inexprimable fut ma tristesse après la lecture du récit de Likospastov, et je décidai malgré tout de me regarder avec du recul, d'un œil plus sévère, et je suis très reconnaissant à Likospastov de m'y avoir amené.
Cependant ma tristesse et mes réflexions sur mon imperfection n'étaient encore rien, a vrai dire, comparées à l'horrible sentiment que j'éprouvais de n'avoir rien retiré des bouquins des meilleurs écrivains, de n'y avoir découvert, si je puis dire, nulle voie, de n'avoir pas vu briller de lumière au-devant de moi - et tout me devint odieux. Et tel un ver rongeur, la pensée détestable qu'en fait je ne serais jamais un écrivain commença à me dévorer. Et sur-le-champ, une idée encore plus horrible surgit devant moi... et si je devenais quelqu'un dans le genre de Likospastov? Et poussons l'audace plus loin encore: si carrément je devenais quelqu'un comme Agapionov? "Frétillance" ? C'est quoi, une frétillance ? Et pourquoi des Cafres ? Tout ça, c'est du galimatias, jevous jure !
En dehors de la confection des papiers, je passais beaucoup de temps sur mon divan à lire différents bouquins que je posais au fur et à mesure de leur acquisition sur l'étagère branlante, sur la table et tout simplement dans un coin.
Quant a mon œuvre a moi, voici ce que j'en fis: je rangeai les neuf exemplaires restants et le manuscrit dans les tiroirs de ma table, les enfermai à clef et décidai de ne jamais, jamais y revenir de ma vie.
Je fus éveillé un jour par une tempête de neige. Mars se déchaînait avec ses bourrasques alors même qu'il touchait à sa fin. Et à nouveau, comme l'autre fois, je m'éveillai en larmes ! Quelle faiblesse, ah, quelle faiblesse! Et à nouveau les mêmes gens, et à nouveau la ville lointaine et le flanc du piano à queue et les coups de feu, et puis encore, un inconnu gisant, abattu, sur la neiges.
Ces gens étaient nés dans mes rêves, ils étaient sortis des rêves et s'étaient incrustés le plus solidement du monde dans ma cellule. Visiblement, j'aurais du mal à m'en débarrasser. Mais que faire d'eux ? Dans un premier temps, je me contentai de bavarder avec eux, et il me fallut quand même retirer le roman du tiroir. Alors l'impression me vint, le soir, que quelque chose de coloré ressortait sur la page blanche. Concentrant mon attention, clignant des yeux, je finis par me convaincre que c'était un petit tableau. Bien plus : ce tableau n'était pas plan mais à trois dimensions. C'était comme une petite boîte à l'intérieur de laquelle je voyais, entre les lignes, une lumière briller et des petites silhouettes bouger, les mêmes que celles qui étaient décrites dans le roman. Ah, que ce jeu était passionnant! Et plus d”une fois je regrettai que le chat ne fût plus de ce monde et de n'avoir personne à qui faire voir les gens qui bougeaient sur la page, dans la petite pièce. Je suis sûr que la bête aurait tendu la patte et se serait mise à gratter la page. J'imagine quelle curiosité aurait brillé dans son œil de chat, comme sa patte aurait griffé les lettres !
Au bout de quelque temps, la boîte du livre commença à émettre des bruits. J'entendais distinctement les sons d'un piano. Certes, si j'avais parlé de cela à quiconque, on m'aurait probablement conseillé d'aller voir un médecin. On m'aurait dit que le piano jouait en bas, sous mon plancher, on m'aurait peut-être même dit quel morceau exactement. Mais je n'aurais pas prêté attention à ces paroles. Non, non! c'était sur ma table qu'on jouait du piano, c'était ici que s'égrenait le doux tintement des touches. Mais ce n'était pas tout. Quand les bruits de l'immeuble s'éteignaient et que plus personne, en bas, ne jouait d'aucun instrument, j'entendais percer à travers la tempête des bribes d'accordéon nostalgiques et haineuses auxquelles venaient se joindre des voix tristes et coléreuses qui gémissaient, gémissaient. Oh! non, ce n'était pas sous le plancher! Et pourquoi la petite pièce s'éteignait-elle, pourquoi la nuit d'hiver surplombant le Dniepr s'étendait-elle sur les pages, pourquoi des têtes de cheval surgissaient-elles et, au-dessus d'elles, des têtes humaines coiffées de bonnets de mouton? Et je voyais des sabres acérés, et j'entendais un sifflement à vous déchirer le cœur.
Voici qu'un petit homme débouche en courant, hors d'haleine. A travers la fumée de cigarette, je suis sa course, je scrute et je vois: un éclair qui jaillit derrière le petit homme, un coup de feu... il laisse échapper un gémissement, tombe à la renverse, comme si on l'avait frappé au cœur, de face, avec un couteau effilé. Il gît immobile, et de sa tête coule, s'épanche une flaque noire. Et très haut dans le ciel, il y a la lune et, au loin, alignées, les tristes petites lumières rougeâtres du faubourg.
On pourrait jouer à ce jeu toute la vie, scruter la page...
Mais comment fixer ces silhouettes ? De manière à ce qu'elles ne s'en aillent plus nulle part? Et une nuit, je décidai de décrire cette boîte magique.
Mais comment la décrire ?
Très simplement. Ce que tu vois, écris-le, et ce que tu ne vois pas, inutile de l'écrire. Voici : le tableau s'éclaire, le tableau se colore. Il me plaît? Enormément. Donc j'écris: premier tableau. Je vois le soir, une lampe allumée. Un abat-jour à franges. Une partition ouverte sur le piano. On joue Faust. Soudain, Faust s'arrête mais une guitare se fait entendre. Qui en joue ? Lui, là ; la porte s'ouvre, il entre, tenant une guitare. Je l'entends qui chante. J'écris : "Il chante". Mais c'est délicieux, ce jeu, voyez-vous ! Nul besoin d'aller à des soirées, nul besoin d'aller au théâtre.
Pendant trois nuits, peut-être, je m'occupai à jouer avec le premier tableau ; et à la fin de cette nuit-là, je compris que j'étais en train d'écrire une pièce.
Au mois d'avril, quand au-dehors la neige eut disparu, le premier tableau était au point. Mes héros bougeaient, marchaient, parlaient.
Ce fut à la fin d'avril qu'arriva la lettre d'Iltchine. Et maintenant que l'histoire du roman est connue du lecteur, je peux reprendre mon récit à partir du moment où je rencontrai Iltchine."
(trad. Gallimard)
"Coeur de chien" (1925, Heart of a Dog, Собачье сердце)
La réalité soviétique des années 1922-1925 vécue par un chien. Dans cette nouvelle, le célèbre professeur Préobrajenski greffe sur un chien ramassé dans les rues de Moscou l'hypophyse d'un individu, Klim, qui vient de mourir : l'animal se métamorphose alors en un petit homme ivrogne, grossier et méchant, reflétant en fait la personnalité du donneur. Le professeur subit les poursuites des différents comités étatiques et prolétariens en tout genre, guidés et fanatisés par le chien, Boulle, devenu homme, mais aussi homme de parti et directeur pour l'épuration des chats errants de la ville. Comme toujours chez Boulgakov, l'irrationnel, la dérision et la folie rejoignent une réalité cauchemardesque, Boulle symbolise-t-il le futur homme soviétique, Préobrajenski n'ose répondre à la question et se voit dans l'obligation de ré-opérer le "monstre"... (traduction de Vladimir Volkoff).
"... Dans le cabinet, il y avait Schwonder, le président du comité d'immeuble, en veste de cuir, debout devant la table, et le docteur Bormenthal, assis dans un fauteuil. Et sur les joues rougies par le gel dudit Bormenthal (il venait tout juste de rentrer) se peignait un désarroi aussi complet que celui de Filipp Filippovitch.
"Alors, que dois-je écrire? demanda ce dernier avec impatience.
- Eh bien, ce n”es`t pas compliqué, dit Schwonder. Une attestation, citoyen professeur. Comme quoi le porteur de ce document est bien effectivement le citoyen Charikov Poligraf Poligrafovitch... hm... né à votre domicile... "
Bormenthal, embarrassé, remua dans son fauteuil. La moustache de Filipp Filippovitch frémit.
"Hm... diable, diable... jamais vu pareille idiotie. Né, né... il n'est as du tout né, simplement... enfin bref...
- Né ou pas né, c'est vous que ça regarde", dit calmement Schwonder avec une joie mauvaise... "En un mot comme en cent, c'est vous qui l'avez faite, l'expérience, professeur! C'est vous qui avez créé le citoyen Charikov !
- C'est aussi clair que ça", aboya Charikov depuis l'armoire à livres. Il était en train de contempler sa cravate dans l'abîme des miroirs.
"Je vous serais reconnaissant de ne pas vous mêler à la conversation! " lui lança Filipp Filippovitch, hargneux.
"Vous vous trompez quand vous dites: "C'est aussi clair que ça", ce n'est pas clair du tout.
- Et pourquoi je n'aurais pas le droit de m'en mêler ?" bougonna Charikov vexé, tandis que Schwonder volait à son secours:
"Je vous demande pardon, professeur, le citoyen Charikov a parfaitement raison. C'est son droit de participer à l'examen de son propre sort, spécialement dans la mesure où il est question de ses papiers. La carte d'identité est la chose la plus importante du monde."
A ce moment, le timbre assourdissant du téléphone interrompit la conversation. Filipp Filippovitch fit "Oui... " dans le combiné puis rougir et cria: "Je vous prie de ne pas me déranger pour des sottises! En quoi est-ce que cela vous regarde ?" Et il raccrocha le combiné avec un bruit sec.
Une joie céleste se répandit sur le visage de Schwonder.
Cramoisi, Filipp Filippovitch lui cria:
"En un mot, finissons-en."
Il arracha une feuille à son bloc-notes et griffonna dessus quelques mots qu'il lut ensuite nerveusement à haute voix:
"J'atteste par la présente..." Au diable, ce jargon... Hm... "Le porteur de cette lettre, un homme réalisé dans le cadre d”une expérience de laboratoire au moyen d'une opération au cerveau, doit être pourvu de papiers d'identité"... Sapristi! En fait je suis, par principe, contre l'attribution de ces idioties de papiers. Signé: “Professeur Preobrajenski”.
- Plutôt bizarre, professeur, commenta Schwonder d'un ton offensé, ainsi vous qualifiez ces papiers d'idioties? je ne peux tolérer la présence dans l'immeuble d'un locataire démuni de papiers, et qui plus est ne figurant pas sur les listes de conscription de la milice. Et si tout d'un coup nous avions une guerre contre les vautours de l'impérialisme?
- Je n'irai pas faire la guerre", jappa tout à coup Charikov en s'adressant à son armoire.
Schwonder accusa le coup mais se ressaisit aussitôt et fit poliment observer à Charikov:
"Vos propos dénotent un niveau de conscience extrêmement bas, citoyen Charikov. Il est obligatoire de satisfaire à la conscription.
- Pour ça je veux bien, mais pour aller à la guerre, des clous!" répondit agressivement Charikov en arrangeant son nœud de cravate.
Ce fut au tour de Schwonder de perdre contenance. Preobrajenski échangea avec Bormenthal un regard ou se mêlaient la rage et l'impuissance. "Vous avez vu cette moralité?" Bormenthal hocha la tête d'un air entendu.
«J'ai été grièvement blessé lors de mon opération", geignit Charikov d”un air morose, "regardez comment on m'a arrangé", et il porta la main à sa tête. Une cicatrice opératoire toute fraîche lui barrait le front.
"Vous étes un anarcho-individualiste ?" interrogea Schwonder en levant très haut les sourcils."
(trad. Gallimard)
« Qu'est-ce que c'est que ce Poligraf Poligrafovitch ? Ce n'est pas un homme, c'est une bête ! » - Texte satirique qui se moque des ambitions démesurées des scientifiques et des idéologues de l’époque, "Cœur de chien" est un conte grotesque dans lequel Boulgakov exprime ses doutes sur la capacité des révolutions politiques et scientifiques à changer véritablement la nature humaine. La nouvelle a été longtemps censurée en Union soviétique en raison de ses sous-entendus politiques critiques...
"Les Œufs fatidiques" (Роковые яйца, 1924)
« L'homme ne doit pas jouer avec ce qu'il ne comprend pas. » - Dans cette nouvelle fantastique, un scientifique découvre un rayon capable de stimuler la croissance des organismes. Lorsqu'une épidémie frappe l'Union soviétique, des fonctionnaires décident d’utiliser le rayon pour stimuler la croissance de reptiles pour résoudre une crise alimentaire. L’expérience échappe à tout contrôle, entraînant une catastrophe. Parabole éminemment satirique qui attaque les excès de la foi aveugle dans la science et la technologie, ainsi que l’arrogance du pouvoir. Boulgakov montre à travers cette fable grotesque les dangers des interventions humaines incontrôlées et l’absurdité des bureaucrates soviétiques. Le texte est souvent vu comme une allégorie de la révolution et des conséquences imprévues de la transformation radicale de la société...
" .. Le 16 avril 1928 au soir, Vladimir Ipatievitch Persikovl, professeur de zoologie à la IVe Université d'Etat et directeur de l'Institut de zoologie de Moscou, entra dans son cabinet de l'Institut de zoologie, rue Herzen. Il alluma le globe en verre dépoli du plafond, et regarda autour de lui.
C'est très précisément en ce soir néfaste qu'il faut situer le début de l'épouvantable catastrophe, tout comme c'est dans le professeur Vladimir Ipatievitch Persikov qu'il convient d'en voir la cause première.
L'homme avait cinquante-huit ans tout juste. Il avait une tête remarquable, en forme de pilon, chauve, avec des touffes de cheveux jaunâtres hérissées sur les côtés. Son visage était rasé de près, sa lèvre inférieure avançait. Cela donnait en permanence au visage de Persikov une expression quelque peu capricieuse. Des petites lunettes à l'ancienne mode, à monture d'argent, étaient posées sur son nez rouge, il avait de petits yeux brillants, il était grand, un peu voûté. Il parlait d'une voix grinçante, ténue, coassante, et, entre autres bizarreries, il avait celle de lever l'index de sa main droite en forme de crochet et de plisser les yeux chaque fois qu'il parlait avec autorité et assurance. Et comme il parlait toujours avec assurance, car son érudition, dans sa partie, était absolument phénoménale, le crochet apparaissait très souvent devant les yeux de ses interlocuteurs. Et en dehors de sa partie - à savoir la zoologie, l'embryologie, l'anatomie, la botanique et la géographie -, le professeur Persikov ne parlait presque pas.
Le professeur Persikov ne lisait pas les journaux, n'allait pas au théâtre, et sa femme s'était enfuie avec un ténor de l'opéra Zimine en 1913, lui laissant un billet ainsi conçu :
"Tes grenouilles provoquent en moi un insupportable frisson de dégoût. Toute ma vie, je serai malheureuse à cause d'elles".
Le professeur ne se remaria pas; il n'avait pas d'enfants. Il prenait la mouche très facilement, mais il était sans rancune, il aimait le thé à la mûre jaune, habitait rue Pretchistenka dans un appartement de cinq pièces dont l'une était occupée par une petite vieille toute desséchée, la gouvernante Maria Stepanovna, qui soignait le professeur comme une nounou.
En 1919, on enleva au professeur trois de ses cinq pièces. Alors, il déclara à Maria Stepanovna :
«S'ils n'arrêtent pas ces scandales, Maria Stepanovna, je m'en irai à l'étranger."
Nul doute que si le professeur avait réalisé ce plan, il aurait très facilement obtenu une chaire de zoologie dans n'importe quelle université du monde, car c'était un savant exceptionnel, et dans tous les domaines plus ou moins relatifs aux batraciens ou amphibiens, personne ne lui arrivait à la cheville, exception faite des professeurs William Wekkle de Cambridge et Giacomo Bartolomeo Beccari de Rome. Le professeur lisait quatre langues en plus du russe, et parlait le français et l'allemand aussi bien que le russe.
Le professeur ne donna pas suite à son projet de départ pour l'étranger, et l'année 20 fut encore pire que l'année 19. Des événements s'y produisirent, et sans discontinuer, qui plus est. La Grand-Rue-Nikitskaïa fut rebaptisée rue Herzen. Ensuite, l'horloge encastrée dans le mur de la maison qui fait l'angle de la rue Herzen et de la rue Mokhovaïa s'arrêta à 11 heures et quart; enfin, dans les terrariums de l'lnstitut de zoologie, suite à toutes les perturbations de cette année mémorable, on vit crever d'abord huit splendides spécimens de rainettes vertes, puis quinze crapauds ordinaires et enfin un spécimen absolument exceptionnel de crapaud du Surinam.
Immédiatement après que les crapauds eurent déserté cette première espèce d'amphibiens justement dénommée "classe des amphibiens anoures", ce fut le gardien inamovible de l'Institut, le vieux Vlas, non inclus dans la classe des amphibiens, qui émigra dans un monde meilleur. La cause de sa mort fut d'ailleurs la même que pour les pauvres amphibiens, et Persikov la diagnostiqua immédiatement : "Dénutrition!"
Le savant avait tout a fait raison: Vlas devait être nourri de farine, et les crapauds de vers de farine, mais dans la mesure où la première avait disparu, les deuxièmes disparurent aussi. Persikov essaya de mettre les vingt spécimens restants de rainettes au régime de cafards, mais les cafards aussi s'étaient volatilisés, montrant par là leur hostilité à l'encontre du communisme de guerre. C'est ainsi qu'on en fut réduit à jeter tous les spécimens jusqu'au dernier dans les fosses d'aisance de la cour de l'Institut.
L'effet de ces morts sur Persikov, en particulier celle du crapaud du Surinam, fut indescriptible. ll les imputa entièrement au commissaire du peuple à l'Education de l'époque.
Debout, en toque fourrée et caoutchoucs, dans le couloir gelé de l'Institut, Persikov disait à son assistant Ivanov, gentleman fort élégant au menton orné d'une barbiche blonde en pointe :
"Je vous le dis, Piotr Stepanovitch, pour une chose pareille, ils méritent pire que la mort! Mais que sont-ils en train de faire? Mais ils vont tuer l'Institut! N'est-ce pas? Un mâle incomparable, un spécimen exceptionnel de Pipa americana de treize centimètres de long..."
La situation ne fit qu'empirer. Après la mort de Vlas, les fenêtres de l'Institut gelèrent complètement, au point que des fleurs de givre garnissaient la surface intérieure des vitres. Les lapins, les renards, les loups, les poissons, tout creva, ainsi que les couleuvres jusqu'à la dernière. Persikov sombra dans un silence qui durait des journées entières, puis il attrapa une pneumonie mais ne mourut pas. Quand il fut rétabli, il vint deux fois par semaine à l'Institut, et dans la salle ronde où, Dieu sait pourquoi, il faisait invariablement 5 degrés au-dessous de zéro quelle que fût la température extérieure, en caoutchoucs, oreillettes abaissées et cache-nez, il donna, devant un auditoire de huit personnes et en soufflant de la vapeur blanche, un cycle de cours sur le sujet suivant: "Les Reptiles de la zone torride". Tout le reste du temps, Persikov restait chez lui, rue Pretchistenka, couché sur son divan dans sa pièce bourrée de livres jusquau plafond, couvert, d'un plaid; il toussait et contemplait la gueule du petit poêle incandescent que Maria Stepanovna alimentait avec des chaises dorées, et il pensait au crapaud du Surinam.
Mais tout a une fin en ce bas monde. L'année 20 et l'année 21 s'achevèrent, et en 22 commença quelque chose comme un mouvement inverse. Premièrement : à la place du défunt Vlas arriva Pancrace, un gardien zoologique jeune encore mais donnant de grandes espérances; on commença, parcimonieusement, à chauffer l'lnstitut. Et l'été venu, Persikov, aidé de Pancrace, attrapa sur le bord de la Kliazma quatorze crapauds ordinaires. Dans les terrariums, la vie se remit à bouíllonner ... En 192 5, Persikov donnait déjà huit cours par semaine, trois à l'Institut et cinq à l'Université; en 1924, treize cours par semaine, sans compter ceux qu'il donnait dans les facultés ouvrières, et au printemps 1925 il se fit remarquer en recalant aux examens soixante-seize étudiants, et tous, qui plus est, sur les amphibiens :
"Comment, vous ne savez pas ce qui distingue les amphibiens des reptiles? demandait Persikov. Cest tout simplement risible, jeune homme. Les amphibiens n'ont pas de reins pelviens. Absence de reins pelviens. Parfaitement, monsieur. Honte à vous. Vous êtes sans doute marxiste?
- Oui, répondait le recalé dans un souffle.
- Ainsi donc, s'il vous plaît, rendez-vous à l'automne", disait poliment Persikov, puis il criait à Pancrace d'une voix alerte: "Au suivant!"
De même que les amphibiens, après une longue sécheresse, revivent dès la première grosse pluie, le professeur Persikov revécut en 1926, quand une compagnie mixte américano-russe construisit dans le centre de Moscou, en partant de l'angle de la traversière Gazetny et de la Tverskaïa, quinze immeubles de quatorze étages, et dans la périphérie trois cents cottages ouvriers de huit appartements chacun, ce qui mit fin une fois pour toutes à cette crise du logement terrible et ridicule dont les Moscovites eurent tant à souffrir dans les années 1919-1925.
Au total, cet été fut particulièrement remarquable dans la vie de Persikov, et parfois il se frottait les mains avec un petit rire de contentement quand il se rappelait comme ils avaient été serrés dans deux pièces, Maria Stepanovna et lui. Maintenant, le professeur avait récupéré ses cinq pièces, y avait pris ses aises, disposé ses deux mille cinq cents livres, ses animaux empaillés, ses graphiques, ses préparations, avait allumé sa lampe verte sur le bureau de son cabinet.
L'Institut aussi était méconnaissable : il avait été peint en crème, l'eau était amenée dans la pièce des amphibiens par une canalisation spéciale, toutes les vitres avaient été remplacées par des glaces, on avait reçu cinq nouveaux microscopes, des tables de verre pour les préparations, des ampoules de 2000 Watts pour l'éclairage indirect, des projecteurs, des armoires pour le musée.
Persikov revécut, et le monde entier l'apprit du jour au lendemain, quand parut, en décembre 1926, une brochure intitulée: "Nouvelle contribution à l'étude de la reproduction des oscabrions ou chitons", 126 pages. Annales de l'Université IV.
Et en 1927, à l'automne, ce fut un ouvrage capital de 550 pages traduit en six langues y compris le japonais : "L'Embryologie des pipas, des pélobates et des grenouilles". Prix: 5 roubles. Ed. d'Etat.
Et l'été 1928, il se produisit cette chose incroyable, épouvantable ...
Ainsi donc le professeur alluma le globe et regarda autour de lui. Il alluma un projecteur sur la longue table à expériences, mit une blouse blanche, fit tinter des instruments sur la table...
Bon nombre des 30 000 voitures mécaniques qui circulaient en 1928 dans Moscou passaient à vive allure par la rue Herzen, avec un bruit léger sur ses pavés de bois lisse, et toutes les minutes un tramway 16, 22, 48 ou 53 dévalait avec force tapage et grincements la rue Herzen en direction de la rue Mokhovaïa. Il projetait, en passant, les reflets de ses feux multicolores dans les glaces du cabinet, et l'on voyait au loin, très haut, près de la calotte sombre et massive de l'église du Christ-Sauveur, le croissant brumeux et pâle de la lune ..."
(Trad. Gallimard)
"Manuscripts Don’t Burn : Mikhail Bulgakov A Life in Letters and Diaries", edited by J.A.E. Curtis (1991)
De son vivant, Mikhaïl Boulgakov n’a guère été publié. Un quart de siècle après sa mort, son chef-d’œuvre, "Le maître et Marguerite", est devenu un best-seller mondial. Dans "Manuscripts Don’t Burn", - le titre est tiré de son roman -, J.A. E. Curtis présente une chronique singulière de la vie de Bulgakov, en utilisant comme source, entre autres documents, une copie partielle d’un de ses journaux intimes, que l’on a présumé perdu et découvert des décennies plus tard dans les archives du KGB. Ce journal et ceux de sa troisième femme enregistrent la précaritérourmentée de sa vie durant les purges staliniennes. Sont également incluses des lettres à Staline, dans lesquelles Boulgakov demande l’autorisation d’émigrer; des lettres à ses frères et sœurs; des notes intimes à ses deuxièmes et troisièmes épouses; et des lettres à d’autres écrivains tels que Gorky et Zamyatin...