Flannery O'Connor (1925-1964), "Wise Blood" (1952), "A Good Man is Hard to Find" (1955), "The Violent bear it away" (1960) - ....

Last Update: 31/12/2016


Le paysage de la littérature américaine changea quelque peu lorsque Flannery O’Connor entra en scène avec son premier livre publié, "Wise Blood", en 1952. Ses romans et histoires, parfois drôles, reflétaient la femme sombre, drôle, vibrante et théologiquement sophistiquée qui les avait écrits. Des oeuvres situées dans le sud rural des États-Unis, d’abord mal comprise compte tenu de ses thèmes religieux et de la violence qui les marquait parfois, puis furent largement lues et relues. Mais Flannery O’Connor pensait l'écrivain comme un véritable provocateur spirituel et l'écriture une forme d’engagement qui pousse les lecteurs à regarder au-delà des apparences et à chercher un sens plus profond à la vie...


Flannery O'Connor (1925-1964)

Née à Savannah (Géorgie), Flannery O'Connor compte parmi ces écrivains américains appartenant à la "littérature du Sud de style gothique" (Southern Gothic), littérature singulière ancrée dans une histoire et une région hantée par la précarité et l'angoisse, littérature enchaînée à un passé marqué par sa douloureuse ambivalence, peur de la désagrégation, peur et déni de la modernité, honte refoulée d'une histoire traversée dès les années 1830 par la rébellion de l’esclave Nat Turner puis la Guerre de Sécession : William Faulkner est de ceux qui qui mettent en scène avec le plus d'acuité cette peur intérieure qui assaille "génétiquement" la raison, avec par exemple sa nouvelle, "A Rose for Emily" (1930), dans laquelle une femme conserve pendant des années, et à l'insu de toute sa communauté, le cadavre de son amant.

Née à Savannah (Géorgie) le 25 mars 1925, morte le 3 août 1964 à Milledgeville (Géorgie), hormis quelques séjours à l'Université de l`Iowa, dans le Nord-Est et, plus tard, à Lourdes, Flannery O'Connor ne put pratiquement jamais quitter la ferme familiale d'Andalusia, à quatre miles de Milledgeville (Géorgie), l'ancienne capitale de l'Etat, souffrant d'un lupus érythématheux qui l'emporta à quarante ans, comme il avait son père alors qu'elle n'avait que quinze ans. Profondément ancrée dans cette humidité intense du vieux Sud, animée par une intense ferveur religieuse qui l'incite à reconnaître une omniprésence du mal, elle observe cette société rurale délirante et grotesque, faite de miracles et de meurtres, de chaire lascive et de spiritualité, de violence et de rédemption.

 

“Writing a novel is a terrible experience, during which the hair often falls out and the teeth decay. I'm always irritated by people who imply that writing fiction is an escape from reality. It is a plunge into reality and it's very shocking to the system.”

 

Ses ouvrages et leur importance ne furent véritablement reconnus qu'après sa mort : deux romans, "La Sagesse dans le sang" (1952) et "Et ce sont les violents qui l'emportent" (1960), deux recueils de nouvelles, "Les Braves Gens ne courent pas les rues" (1955) et "Mon mal vient de plus loin" (1965, posth., "Everything that rises must converge"), auxquels il faut ajouter un recueil de nouvelles inédites intitulé dans la traduction française "Pourquoi ces nations en tumulte", et un remarquable recueil d'essais, "Le Mystère et les moeurs" (1969, posth., "Mystery and manners").

Il y a un véritable «petit monde» de Flannery O'Connor, mémorable et coloré, fait de faux prophètes et d'évangélistes miteux, de mères stupidement protectrices et de filles ou de fils uniques coupés de la vie (et de la grâce) par leur intellect, d'escrocs séduisants et de fous échappés de l`asile, qui justifie qu'on puisse parler à son sujet de "gothique", dans cette tradition sudiste qui va d'Edgar Poe à Carson Mc Cullers, en passant par Faulkner. Mais cela ne saurait suffire à mesurer les profondeurs qu`elle sait atteindre avec une admirable économie de moyens. Catholique en plein Sud Baptiste, et ainsi doublement inspirée de la lettre comme de l'esprit des Ecritures, Flannery O'Connor doit presque être considérée, pour certains critiques, comme un écrivain théologique, telle est la rectitude des tensions spirituelles et symboliques sur laquelle elle construit ses fictions, qui n'en ont pas moins d'étonnantes qualités comiques; elle partage en effet aussi avec un Samuel Beckett cet humour si moderne d'être noir, et qui vous touche à l'estomac. La fiction de Flannery O'Connor n'est certes pas une fiction confortable et il est d'autant plus rare qu'une œuvre si restreinte atteigne à une telle puissance, n'est-elle pas sans doute le plus grand écrivain du Sud depuis Faulkner ... 


La Sagesse dans le sang (Wise Blood, 1952)

"Petit-fils d'un évangéliste qui parcourait le Tennessee «portant Jésus dans la cervelle comme un aiguillon», Hazel Motes a résolu de devenir, comme son grand-père, un prêcheur ambulant, mais ce sera pour fonder une secte nouvelle : l'église sans Christ. Refusant de croire au péché, il n'a que faire d'un Rédempteur. Son fanatisme d'illuminé fournit de faciles excuses à la libre satisfaction de ses pires instincts. Il finit, après avoir assassiné un faux prophète qui lui fait concurrence, par se brûler les yeux avec de la chaux vive, espérant apercevoir ainsi, dans les ténèbres, les vérités que lui cache son hérésie. Un jour d'hiver, la police le retrouve agonisant dans un fossé, les souliers pleins de pierres et de verre pilé et le torse ceint de fils de fer barbelés. Les agents ramènent son cadavre chez sa logeuse, Mrs Flood. Persuadée qu'il avait quelque argent, celui-ci avait rêvé de l'épouser. Flannery O'Connor, fervente catholique, estime que les évangélistes, qui foisonnent aux États-Unis, font de la religion une indécente caricature. Elle stigmatise, en les concrétisant, les déformations sacrilèges que l'hérésie produit dans l'âme de quiconque s'écarte de l'orthodoxie catholique. Mais la pitié n'est pas absente de sa condamnation. Le sort tragique des évangélistes l'émeut, autant que leur pittoresque absurdité l'amuse. D'où la profondeur et la puissante originalité de La sagesse dans le sang." (trad. Gallimard) 


Et ce sont les violents qui l'emportent (The Violent bear it away, 1960)

"Le jeune Francis Marion Tarwater habite avec son grand-oncle dans une clairière au fond des bois : le vieillard, atteint de folie mystique, entend faire de l'enfant un prophète. Il a tenté la même expérience avec son neveu George F. Rayber, mais sans succès. Il n'a pas réussi non plus à baptiser Bishop, un petit idiot, fils de Rayber. Avant de mourir (aux premières pages du livre) il demande à Francis Tarwater de baptiser son cousin à sa place. Tarwater obéira-t-il et, après la mort du vieillard, restera-t-il prisonnier de ce fou dangereux, ou finira-t-il par secouer le joug et oublier les enseignements pernicieux de son grand-oncle? Tel est le sujet de ce roman où Flannery O'Connor, avec plus de férocité encore que dans La sagesse dans le sang part en guerre contre les évangélistes, faux prophètes et illuminés qui infestent non seulement sa Georgie natale mais l'Amérique entière, particulièrement le Sud et la Californie. Flannery O'Connor nous fait suivre le chemin de croix du jeune garçon qui, malgré son désir de libération, ne peut se détacher de l'emprise néfaste du grand-oncle fou. Elle traite son lecteur sans la moindre pitié, accumulant les crimes et les horreurs, présentant les scènes les plus sinistres avec cet humour noir impitoyable qui n'appartient qu'à elle. Sa mort, au début d'août 1964, a enlevé à la littérature américaine un de ses écrivains les plus puissants et les plus originaux." (trad. Gallimard) 


Les Braves gens ne courent pas les rues (A Good Man is Hard to Find, 1955) 

"Dix nouvelles de la grande romancière américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose à nous : tueurs évadés du bagne, un général de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan, les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds. Les braves gens ne courent pas les rues, telle est la morale assez pessimiste qui se dégage de ces récits. Flannery O'Connor possède, comme Dickens, le don de la caricature mais aussi un humour implacable, une fantaisie grinçante jusque dans le tragique et l'horreur." (trad. Gallimard)

 

"THE GRANDMOTHER didn't want to go to Florida. She wanted to visit some of her connections in east Tennessee and she was seizing at every chance to change Bailey's mind. Bailey was the son she lived with, her only boy. He was sitting on the edge of his chair at the table, bent over the orange sports section of the Journal. "Now look here, Bailey," she said, "see here, read this," and she stood with one hand on her thin hip and the other rattling the newspaper at his bald head. "Here this fellow that calls himself The Misfit is aloose from the Federal Pen and headed toward Florida and you read here what it says he did to these people. Just you read it. I wouldn't take my children in any direction with a criminal like that aloose in it. I couldn't answer to my conscience if I did."

Bailey didn't look up from his reading so she wheeled around then and faced the children's mother, a young woman in slacks, whose face was as broad and innocent as a cabbage and was tied around with a green head-kerchief that had two points on the top like rabbit's ears. She was sitting on the sofa, feeding the baby his apricots out of a jar. "The children have been to Florida before," the old lady said. "You all ought to take them somewhere else for a change so they would see different parts of the world and be broad. They never have been to east Tennessee."

The children's mother didn't seem to hear her but the eight-year-old boy, John Wesley, a stocky child with glasses, said, "If you don't want to go to Florida, why dontcha stay at home?" He and the little girl, June Star, were reading the funny papers on the floor.

"She wouldn't stay at home to be queen for a day," June Star said without raising her yellow head.

"Yes and what would you do if this fellow, The Misfit, caught you?" the grandmother asked.

"I'd smack his face," John Wesley said.

"She wouldn't stay at home for a million bucks," June Star said. "Afraid she'd miss something. She has to go everywhere we go."

"All right, Miss," the grandmother said. "Just remember that the next time you want me to curl your hair."

June Star said her hair was naturally curly.

The next morning the grandmother was the first one in the car, ready to go. She had her big black valise that looked like the head of a hippopotamus in one corner, and underneath it she was hiding a basket with Pitty Sing, the cat, in it. She didn't intend for the cat to be left alone in the house for three days because he would miss her too much and she was afraid he might brush against one of the gas burners and accidentally asphyxiate himself. Her son, Bailey, didn't like to arrive at a motel with a cat.

She sat in the middle of the back seat with John Wesley and June Star on either side of her. Bailey and the children's mother and the baby sat in front and they left Atlanta at eight forty-five with the mileage on the car at 55890. The grandmother wrote this down because she thought it would be interesting to say how many miles they had been when they got back. It took them twenty minutes to reach the outskirts of the city.

The old lady settled herself comfortably, removing her white cotton gloves and putting them up with her purse on the shelf in front of the back window. The children's mother still had on slacks and still had her head tied up in a green kerchief, but the grandmother had on a navy blue straw sailor hat with a bunch of white violets on the brim and a navy blue dress with a small white dot in the print. Her collars and cuffs were white organdy trimmed with lace and at her neckline she had pinned a purple spray of cloth violets containing a sachet. In case of an accident, anyone seeing her dead on the highway would know at once that she was a lady.

She said she thought it was going to be a good day for driving, neither too hot nor too cold, and she cautioned Bailey that the speed limit was fifty-five miles an hour and that the patrolmen hid themselves behind billboards and small clumps of trees and sped out after you before you had a chance to slow down. She pointed out interesting details of the scenery: Stone Mountain; the blue granite that in some places came up to both sides of the highway; the brilliant red clay banks slightly streaked with purple; and the various crops that made rows of green lace-work on the ground. The trees were full of silver-white sunlight and the meanest of them sparkled. The children were reading comic magazines and their mother had gone back to sleep.

"Let's go through Georgia fast so we won't have to look at it much," John Wesley said.

"If I were a little boy," said the grandmother, "I wouldn't talk about my native state that way. Tennessee has the mountains and Georgia has the hills."

"Tennessee is just a hillbilly dumping ground," John Wesley said, "and Georgia is a lousy state too."

"You said it," June Star said.

"In my time," said the grandmother, folding her thin veined fingers, "children were more respectful of their native states and their parents and everything else. People did right then. Oh look at the cute little pickaninny!" she said and pointed to a Negro child standing in the door of a shack. "Wouldn't that make a picture, now?" she asked and they all turned and looked at the little Negro out of the back window. He waved.

"He didn't have any britches on," June Star said.

"He probably didn't have any," the grandmother explained. "Little niggers in the country don't have things like we do. If I could paint, I'd paint that picture," she said.

The children exchanged comic books...."

 

Une horrible famille de petits bourgeois est anéantie par des tueurs évadés d'un bagne ("Les braves gens ne courent pas les rues"); un enfant ne parvient à échapper à des adultes oppressants qu'en mettant fin à ses jours ("Le Fleuve"); un vagabond manchot épouse une idiote pour s'emparer de la voiture de la belle-mère ("C'est peut-être votre vie que vous sauvez") ; une jeune femme est tourmentée par la peur de la maternité '"Un heureux événement"); une jeune intellectuelle à la jambe de bois découvre l'amour de façon sordide ("Braves gens de la campagne") ; un général de cent quatre ans, gâteux, est obsédé par les jolies filles ("Tardive rencontre avec l'ennemi"), etc. 

Nous ne trouvons dans ces dix nouvelles que des idiots, des infirmes, des désaxés : une humanité malade dans son esprit, dans son cœur et dans son corps. Ce recueil, comme les romans de l'auteur - "La Sagesse dans le sang", "Et ce sont les violents qui l'emportent"-, est l'expression d'un catholicisme aussi sombre qu'exacerbé....

 

Le petit monde de Flannery O'Connor s'est détourné de Dieu et voit fondre sur lui les dix plaies d'Égypte. "Pour moi, a écrit la romancière, le sens de la vie repose dans la Rédemption du Christ, et ce que je vois dans le monde, je le vois en relation avec cette conviction [...] À mon avis, les écrivains qui voient le monde à la lumière de leur foi chrétienne seront, à notre époque, ceux qui auront les meilleurs yeux pour saisir le grotesque, le pervers et l'inacceptable [...] La Rédemption n'a pas de sens pour qui n'en voit pas la raison et, depuis quelques siècles, s'est infiltrée dans notre culture la croyance séculière qu'une telle raison n'existe pas [...] Le romancier chrétien trouvera donc dans notre vie moderne des distorsions qui lui seront odieuses, et le problème qu'il aura à résoudre est celui de savoir comment faire apparaître ces distorsions à des lecteurs accoutumés à les trouver très naturelles. Il pourra être amené à forcer la violence de ses procédés afin de communiquer sa vision à un public hostile. L'écrivain qui peut espérer que son public partage les mêmes idées que lui peut se détendre et employer, pour s'adresser à lui, des moyens plus normaux; mais, dans le cas contraire, il faut user de la méthode de choc, crier pour que les sourds vous entendent, et dessiner, pour ceux qui sont atteints de quasi-cécité, de grandes figures surprenantes." (Trad. Gallimard, 1963).


"Everything that rises must converge" (1965)

Un recueil de neuf nouvelles, le deuxième de Flannery O`Connor, préparé par elle mais publié en 1965, soit un an après sa mort, et quarante ans après sa naissance. Le beau titre français, "Mon Mal vient de plus loin" traduit "An Enduring Chill" : c`est le titre de l`une des nouvelles, placée en tête de la version française du recueil. Les ultimes révisions de la dernière de ces nouvelles, 

"Le Jour du Jugement", ont été faites par l'auteur dans les tout derniers jours de sa vie. Il s`agit de Tanner, "un petit maigrichon d'homme blanc au teint terreux, et dont les mains tremblaient". Vieilli, il a dû quitter la cabane qu'il habitait, dans le Sud, sur la propriété d'un Noir, lorsque celui-ci lui a laissé le choix entre s'occuper d'un alambic clandestin à son profit, ou déguerpir. Lui dont la vie entière a reposé sur le dogme de la supériorité raciale (les Noirs sont toujours perçus par lui en termes animaux, généralement singes ou ours) se retrouve donc chez sa fille, dans un immeuble-clapier de New York où emménagent un élégant acteur noir et sa sémillante compagne. Tanner déclenche immédiatement le conflit qui lui sera fatal :  ayant appelé le Noir "Prêcheur" (comme il le faisait pour leur faire plaisir dans le Sud) et lui ayant conseillé de retourner dans l`Alabama du Sud (pays dont le Noir n'est nullement originaire), celui-ci, furieux, l'assomme, ce qui provoque une attaque et bientôt la mort dans l'escalier de l`immeuble que Tanner essayait de fuir pour retourner au pays. Malgré un premier enterrement à New York, sa fille y expédie finalement sa dépouille. Le titre s'explique par le fait que, comme tous les protagonistes de l'auteur, Tanner est hanté par "la mort, l`enfer, le Jugement dernier".

L'ironie réside évidemment dans le fait qu`il n`y a pas d'autre artisan de la défaite de Tanner que lui-même - ce qui n'empêche nullement que l`auteur ne penche pas plus du côté du baptiste obscurantiste que de celui de l'élégant acteur totalement incroyant. Symbole presque parfait du cercle accompli, cette dernière nouvelle de Flannery O`Connor est une nouvelle version de la toute première, "Le Géranium", laquelle donnait son titre au petit recueil qui constituait son mémoire de fin d'études à l'université d'Iowa, en juin 1947.

 

Ce recueil comportait cinq autres titres, dont quatre figurent aussi dans le recueil intitulé en français "Pourquoi ces nations en tumulte ?", le cinquième ("Le Train") constituant, sous forme révisée, le premier chapitre du premier roman, "La Sagesse dans le sang". Quant aux deux derniers textes de ce troisième et dernier recueil de nouvelles en français, ils méritent d'être reconnus parce que l'un, "La Fête des azalées" (nouvelle parue en 196l et non reprise en volume), est incontestablement l`une des plus belles que l`auteur ait écrites, et l`autre, l'éponyme "Pourquoi ces nations en tumulte ?", n`est autre que le début d'un troisième roman qu'à l'évidence Flannery O' Connor n`a jamais écrit. 

Le recueil contient aussi "Tout ce qui monte converge", "Greenleaf", "Vue sur les toits", "Le Confort du foyer", "Les boiteux entreront les premiers", "La Révélation" et "Le Dos de Parker" (Trad. Gallimard. 1969).

 


"Mystery and Manners" (1969)

Recueil des essais de Flannery O'Connor, publié après sa mort, par les soins de Sally et Robert Fitzgerald. Il est composé de six parties. La première consiste en l'essai désormais célèbre sur le paon, "Le Roi des oiseaux" : on sait que l`auteur et sa mère élevaient plusieurs paons dans leur ferme de Milledgeville (Géorgie). Les deux parties suivantes sont les plus importantes du recueil ...

 

- 1) Il y a d`abord trois essais ou conférences sur la littérature du Sud.

C'est là (dans le texte de conférences sur "Le Grotesque dans le roman du Sud") qu`elle écrit que "tout ce qui vient du Sud est appelé grotesque par le lecteur du Nord, sauf ce qui est grotesque, auquel cas on parlera de réalisme"...

(The Fiction Writer & His Country, 1957) - Un éditorial du magazine Life demandait avec grandiloquence : « Qui parle pour l'Amérique aujourd'hui ? », apparemment pas le romancier américain moderne. Au cours des dix dernières années, nous dit-on, ce pays avait joui d'une prospérité sans pareille, qu'il s'était rapproché plus que tout autre pays d'une société sans classes et qu'il était le pays le plus puissant du monde, mais que nos romanciers écrivaient comme s'ils vivaient dans des cartons d'emballage au bord de la décharge en attendant d'être admis à l'hospice des pauvres (The gist of the editorial was that in the last ten years this country had enjoyed an unparalleled prosperity, that it had come nearer to producing a classless society than any other nation, and that it was the most powerful country in the world, but that our novelists were writing as if they lived in packing boxes on the edge of the dump while they awaited admission to the poorhouse)? et ce qui manque le plus à notre "littérature de serre" (hothouse literature), concluait l'éditorial, c'est « la joie de la vie elle-même » (the joy of life itself). 

Quelle peut être donc la place de la littérature dans une culture en mutation rapide et sur les défis auxquels les écrivains doivent faire face pour tenter de représenter la vérité humaine? Le réalisme grotesque est cet outil qui permet à l'écrivain de représenter toute la complexité et, parfois, la laideur de la condition humaine. O’Connor critique au passage la tendance des lecteurs à rechercher des récits rassurants et conformistes, qui ne remettent pas en question leurs croyances ou leurs préjugés.

Cette Amérique du XXe siècle est de plus en plus marquée par le matérialisme et le rejet des vérités spirituelles, et dans ce contexte, l’écrivain a la tâche ardue de réintroduire ces préoccupations dans la conscience collective: l'écrivain ne peut pas perdre de vue les vérités universelles et spirituelles, même lorsqu’ils décrivent des personnages moralement faillibles ou des situations sombres. L’écrivain est décrit comme un provocateur spirituel qui va utiliser ses récits pour les confrontent aux propres failles morales ou aux vérités parfois difficiles de ses lecteurs.

Enfin O’Connor en revient à la riche tradition culturelle et religieuse du Sud des États-Unis, qu’elle considère comme un terreau fertile pour la fiction, tout en reconnaissant les défauts et contradictions de cette culture. Mais les écrivains du Sud sont particulièrement bien placés pour explorer les tensions entre la foi religieuse et les réalités sociales, telles que le racisme et les inégalités...

 

- 2) Viennent ensuite trois textes extrêmement précieux consacrés à son activité d'écrivain ...

Dans le premier, "Nature et visée de la fiction" (The Nature and Aim of Fiction), elle rappelle la distinction établie par les commentateurs de La Bible au Moyen Age entre les trois niveaux de signification à distinguer dans le sens littéral des textes sacrés : le niveau allégorique. où "un fait correspond à un autre", le niveau tropologique ou moral, qui a trait à ce qu'il convient de faire. et le niveau anagogique, qui implique la vie divine et la participation que nous pouvons y avoir. Quoique cette méthode ait été à l'origine limitée à l`étude des textes sacrés, elle peut servir, dit-elle, pour parler du travail d'un écrivain. 

Deux essais sont ensuite consacrés au sujet de l'enseignement de la littérature (The Teaching of Literature). La cinquième partie est consacrée aux rapports entre littérature et religion (The Church and the Fiction Writer). O’Connor rejette l’idée que la littérature catholique doive être édifiante ou moralement irréprochable. Elle défend une fiction honnête, enracinée dans la vérité de la condition humaine. Loin de limiter la portée de son art aux seuls croyants, O’Connor cherche à toucher un public universel, utilisant la grâce et le mystère comme points de convergence entre les lecteurs croyants et non-croyants ...

Dans le passé, l’imagination catholique de ce pays s’est consacrée presque exclusivement aux affaires pratiques. Nos énergies ont été consacrées à ce qui a été nécessaire pour soutenir l’existence, et maintenant que notre existence n’est plus en doute, nous commençons à réaliser qu’un appauvrissement de l’imagination signifie un appauvrissement de la vie religieuse aussi ("In the past, Catholic imagination in this country has been devoted almost exclusively to practical affairs. Our energies have gone into what has been necessary to sustain existence, and now that our existence is no longer in doubt, we are beginning to realize that an impoverishment of the imagination means an impoverishment of the religious life as well"). Le dernier essai, intitulé "Le Romancier catholique dans le Sud protestant" (The Catholic Novelist in the Protestant South), contient cette importante déclaration : "Les deux circonstances qui ont donné du caractère à ce que j'écris ont été le fait d'être sudiste et le fait d`être catholique". 

La sixième et dernière partie du recueil "A la mémoire de Mary Ann" (Introduction to A Memoir of Mary Ann) relate ses démêlés avec la sœur qui voulait qu`elle écrivit une biographie d'une petite malade extraordinaire, morte à l'âge de douze ans d`une tumeur au visage. Flannery O`Connor y parle longuement de Nathaniel Hawthorne et de sa nouvelle "La Marque sur le visage" (Trad. Gallimard, 1975) ...