Mervyn Peake (1911-1968), "The Titus Book" (1946-1959), "Gormenghast" (1950) - ...

Last update: 12/29/2016

 


L'un des plus imaginatifs écrivains de sa génération, Mervyn Peake reste pourtant tapi dans l'ombre de la littérature, tel un enchanteur oublié, masqué par l'action principale d'une séquence fantastique, la fameuse "Gormenghast Trilogy". Dans la royauté du genre, on pourrait même voir en lui le frère de J. R. R. Tolkien, régnant sur un royaume plus sauvage que celui commandé par le créateur de "The Lord of the Rings". La différence est évidente dans leur prose : l'écriture de Tolkien est robuste et parfois poétique, mais elle pâlit à côté du style idiosyncrasique et virtuose de Peake. Et là où le premier avait à cœur d'aimer les gens de la terre comme Bilbo Baggins, le second s'intéressait aux excentriques, aux artistes et aux rebelles. Tolkien a approuvé les systèmes, les hiérarchies et les loyautés dans les deux cas, tandis que Peake s'est insurgé non seulement contre les devoirs, mais aussi contre la gouvernance elle-même. Mais quiconque a un tempérament ou un goût expressif - admirant, par exemple, le génie caricatural de Dickens et la fatalité inhérente à Melville, ou ayant un penchant pour le gothique ou le baroque - s'aventurera avec émerveillement dans le royaume imaginatif de Peake, et y reviendra probablement encore et encore...

 

En liaison avec la science-fiction, avec une approche quasi similaire du surnaturel et de l'imaginaire, la "littérature de fantaisie" (fantasy) a connu un regain évident de popularité, d'autant que se prêtant quasi naturellement à l'interprétation cinématographique. La singularité du genre, s'il fallait l'évoquer, tient au fait qu'elle traite de l' " impossible", généralement en faisant appel a la magie et au supranaturel. L'immense importance d'un cadre de type médiéval dans la littérature de fantaisie remonte aux fantaisies gothiques des romantiques. Mais ce sont les ouvrages de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973), après la guerre, qui ont définitivement établi cet incontournable critère. Tolkien écrivit "The Hobbit" en 1937, et sa suite, "The Lord of Rings" (Le Seigneur des anneaux, 1954-1955), répondit a un besoin de l'après-guerre d'oublier les traumatismes des bombardements, du génocide et de la Guerre froide, en se plongeant soit dans un passé imaginaire, soit dans un monde héroïque de chevaliers et d'elfes, soit dans des histoires où le bien combat sans ambiguïté le mal. Les œuvres de Mervyn Peake (1911-1968) en constituaient un contrepoids moral ambigu. Sa vision gothique sombre du château vaste et anarchique de Gormenghast s'exprima dans trois romans: Titus Groan (Titus d'enfer,194ó), Gormenghast (Gormenghast, 1950) et Titus alone (Titus errant, 1959). L'oeuvre de C.S. Lewis (1898-1963) est plus proche de celle de Tolkien, avec les histoires de Narnia (The Chronicles of Narnia, 1950-1957), un monde fantastique peuplé de lions, de sorcières et de garde-robes magiques, qui épouse la conception chrétienne du monde. 

 

Ces deux genres, la science-fiction et la fantaisie développeront un grand nombre de sous-genres aux frontières communes parfois floues, avec d'une part des intrigues situées dans des villes dystopiques, et d'autre part des thèmes généralement associés a la fantaisie transplantés dans des planètes lointaines ou des mondes extraterrestres. Les auteurs explorant les thèmes féministes ont notamment utilisé la science-fiction pour explorer la construction des sexes et du pouvoir Les exemples les plus significatifs en sont "The Left Hand of Darkness" (La Main gauche de la nuit, 1969), d'Ursula K, Le Guin, et "The Handmaide's Tale" (La Servante écarlate, 1985), de Margaret Atwood. La fantaisie s'exprime aussi dans le royaume de l'horreur, un prolongement moderne de la tradition gothique d'écrivains comme Edgar Allan Poe et HP. Lovecraft, avec un grand nombre d'auteurs du XXe jouissant d'une immense popularité, dont l'écrivain américain Stephen King. Fantaisie et science-fiction furent tournées en dérision par Terry Pratchett dans la série "Discworld" (Les Annales du disque du monde) qui a su réunir un solide club de fans, Personne ne peut toutefois se targuer de jouir d'une aussi grande popularité que JK. Rowling (née en 1965), qui écrivit, entre 1990 et 2001 les sept tomes racontant le combat du jeune magicien Harry Potter contre Lord Voldemort, le méchant. Ces titres comptent parmi ceux guise sont le mieux et plus rapidement vendus au monde ...

 


Mervyn Peake (1911-1968)

Artiste aux dons multiples, Mervyn Peake est né et a vécu en Chine ("Box within a box, like a Chinese puzzle") jusque dans les années 1920. Une enfance passée dans une famille de religion protestante non conformiste, avec un père missionnaire et médecin, lui fournit un immense réservoir de formes, de couleurs, d'odeurs et de sons en même temps qu'elle aiguisa une sensibilité déjà vive. De retour en Angleterre à l'âge de douze ans, il fit ses études secondaires dans le Kent, ce fut sans doute le dessin qui lui fit supporter ses scolarités, puis rentra à Londres, à l'école de l'Académie royale. L'île de Sark, où il vécut ensuite pendant trois ans dans une communauté d”artistes et où il revint vivre après son mariage, sera sa deuxième grande source d'inspiration. Maeve Gilmore, l'artiste peintre qu'il épousa en 1937, lui donna amour et compréhension, et il poursuivit à partir de 1939 une activité d'illustrateur tant d'ouvrages qu'il rédige lui-même ("Captain Slaughterboard", "Rhymes without Reason", "The Glassblowers") que de classiques de la littérature (Les contes de Grimm, Alice au Pays des Merveilles, L’Île au trésor, La Ballade du vieux marin, de Coleridge). Puis ce fut la guerre et l'embrigadement dans l'armée, qu'il ne supporta pas au point de provoquer en lui des dépressions nerveuses. Sa démobilisation en 1943, un séjour en Allemagne en 1945 commandité par un journal en vue d'un reportage au cours duquel il visita en particulier le camp de concentration de Belsen, mirent ses nerfs à vif. Il a rapporté de nombreux dessins, dont certains ont été publiés dans le magazine Leader dans les numéros du 30 juin, du 14 juillet et du 4 août 1945. Beaucoup d’autres n’ont pas été utilisés et ont été conservés pour une éventuelle publication future.

 Cette dernière expérience devait avoir un effet plus profond sur lui que le reste de ses expériences de guerre réunies. Maeve remarqua un changement en lui, "il était plus calme, plus replié sur lui-même, comme s’il avait perdu, pendant ce mois en Allemagne, sa confiance dans la vie elle-même" (He was quieter, more inward-looking, as if he had lost, during that month in Germany, his confidence in life itself).

Et, malgré le succès d'estime de ses livres et de ses dessins, l'aísance financiére ne vint jamais. L'espoir, déçu, de gains rapides avec une comédie, "The Wit to Won" (1957) entraîna une nouvelle dépression nerveuse, bientôt suivie des premiers symptômes de la maladie de Parkinson qui devait l'emporter douze ans plus tard. 

Il débute véritablement en 1946  sa carrière d'écrivain et rejoint le courant littéraire de la "fantasy" dont J. R. R. Tolkien sera dans les années 1950 le représentant le plus connu (Le Seigneur des anneaux, archétype du roman médiéval-fantastique). Plus qu'une trilogie, son œuvre littéraire la plus célèbre, "Le Livre de Titus", publiée en trois parties avec "Titus d'enfer" en 1946, "Garmenghast" en 1950 et "Titus errant" en 1959 est en réalité une autobiographie transposée. A sa mort Maeve Gilmore put faire état de notes rédigées en vue d'un quatrième livre. 

La si grande tradition anglaise du récit d”imagination et d”aventures, héritée en partie du roman gothique et influencée par Stevenson dévoré dans l`enfance, est dans "Titus d'enfer" prétexte au déploiement d'une écriture fantasmatique jonglant avec l'angoisse et le macabre, l'humour et la grosse farce....

 

"THE HALL OF THE BRIGHT CARVINGS

Gormenghast, that is, the main massing of the original stone, taken by itself would have displayed a certain ponderous architectural quality were it possible to have ignored the circumfusion of those mean dwellings that swarmed like an epidemic around its outer walls. They sprawled over the sloping earth, each one halfway over its neighbour until, held back by the castle ramparts, the innermost of these hovels laid hold on the great walls, clamping themselves thereto like limpets to a rock. These dwellings, by ancient law, were granted this chill intimacy with the stronghold that loomed above them. Over their irregular roofs would fall throughout the seasons, the shadows of timeeaten buttresses, of broken and lofty turrets, and, most enormous of all, the shadow of the Tower of Flints. This tower, patched unevenly with black ivy, arose like a mutilated finger from among the fists of knuckled masonry and pointed blasphemously at heaven. At night the owls made of it an echoing throat; by day it stood voiceless and cast its long shadow.

 

Gormenghast, c'est-à-dire la masse principale de la pierre d'origine, prise isolément, aurait présenté une certaine qualité architecturale pesante si l'on n'avait pas ignoré la "circonfusion" de ces habitations mesquines qui pullulaient comme une épidémie autour de ses murs extérieurs. Elles s'étalaient sur la terre en pente, chacune à mi-chemin de sa voisine, jusqu'à ce que, retenues par les remparts du château, les plus internes de ces masures s'accrochent aux grandes murailles, s'y agrippant comme des patelles à un rocher. Ces habitations, en vertu d'une loi ancienne, bénéficiaient de cette intimité glaciale avec la forteresse qui les surplombait. Sur leurs toits irréguliers tombaient, au fil des saisons, les ombres des contreforts éteints par le temps, des tourelles brisées et altières, et, plus énorme encore, l'ombre de la Tour des Silex. Cette tour, couverte de lierre noir, se dressait comme un doigt mutilé parmi les poings de la maçonnerie et pointait vers le ciel en blasphémant. La nuit, les hiboux en faisaient un écho ; le jour, elle restait muette et projetait sa longue ombre.

 

 Very little communication passed between the denizens of these outer quarters and those who lived within the walls, save when, on the first June morning of each year, the entire population of the clay dwellings had sanction to enter the Grounds in order to display the wooden carvings on which they had been working during the year. These carvings, blazoned in strange colour, were generally of animals or figures and were treated in a highly stylized manner peculiar to themselves. The competition among them to display the finest object of the year was bitter and rabid. Their sole passion was directed, once their days of love had guttered, on the production of this wooden sculpture, and among the muddle of huts at the foot of the outer  wall, existed a score of creative craftsmen whose position as leading carvers gave them pride of place among the shadows ..."

 

Il y avait très peu de communication entre les habitants de ces quartiers extérieurs et ceux qui vivaient à l'intérieur des murs, sauf lorsque, le premier matin de juin de chaque année, toute la population des habitations d'argile était autorisée à pénétrer sur le terrain afin d'exposer les sculptures en bois sur lesquelles ils avaient travaillé pendant l'année. Ces sculptures, ornées de couleurs étranges, représentaient généralement des animaux ou des personnages et étaient traitées d'une manière très stylisée qui leur était propre. La compétition entre eux pour présenter le plus bel objet de l'année était âpre et enragée. Leur seule passion était dirigée, une fois leurs jours d'amour passés, vers la production de cette sculpture en bois, et parmi le fouillis de huttes au pied de la muraille extérieure, existait une vingtaine d'artisans créateurs dont la position de sculpteurs de premier plan leur donnait une place de choix parmi les ombres...

 


1946, The Gormenghast Trilogy / "Titus GroanGormenghast" (Titus d'Enfer)

Une trilogie de plus de 1200 pages à l'écriture superbe qui abonde en humour et intrigues et allégorie cinglante de la société britannique : on ne trouve ici ni potion magique ni créatures mythologiques. Les monstres nous sont familiers, c'est l'ennui de la routine, un égoïsme impitoyable, et une vanité ridicule...

Le gigantesque et sombre château de Gormenghast, demeuré de la lignée des comtes d'Enfer, constitue le personnage principal de Titus d'Enfer. Tombant en ruines, inquiétant, doté de couloirs, tours et ailes oubliées où vivent des habitants perdus, c'est un univers vivant et plein de rage. Ses habitants, prisonniers d'une routine ennuyeuse dont on a depuis longtemps oublié la signification, accomplissent dans la précipitation une série ininterrompue de rituels. Les personnages forment une quasi ménagerie d'archétypes et de caricatures. Lord Tombal, le 76e comte d'Enfer, est morose, épuisé par ses obligations permanentes. Sa femme, Gertrude, est de plus en plus détachée, heureuse seulement en compagnie des oiseaux qui nichent dans ses cheveux et de la multitude de chats qui I'entoure. Les deux bibliothécaires sont les gardiens du rituel et Lenflure,le démoniaque cuisinier porcin, règne en despote sur l'enfer fumant de la Grande Cuisine. Craclosse,le majordome de Lord Tombal, est prêt à défendre la tradition jusqu'à la mort tandis que Finelame, personnage opportuniste de basse extraction, ne recule devant rien dans son implacable désir d'ascension sociale. C'est dans cette maisonnée que naît Titus,77e comte d'Enfer ..

 

"...  One humid afternoon a visitor did arrive to disturb Rottcodd as he lay deeply hammocked, for his siesta was broken sharply by a rattling of the door handle which was apparently performed in lieu of the more popular practice of knocking at the panels. The sound echoed down the long room and then settled into the fine dust on the boarded floor. The sunlight squeezed itself between the thin cracks of the window blind. Even on a hot, stifling, unhealthy afternoon such as this, the blinds were down and the candlelight filled the room with an incongruous radiance. At the sound of the door handle being rattled Rottcodd sat up suddenly. The thin bands of moted light edging their way through the shutters barred his dark head with the brilliance of the outer world. As he lowered himself over the hammock, it wobbled on his shoulders, and his eyes darted up and down the door returning again and again after their rapid and precipitous journeys to the agitations of the door handle. Gripping his feather duster in his right hand,  Rottcodd began to advance down the bright avenue, his feet giving rise at each step to little clouds of dust. When he had at last reached the door the handle had ceased to vibrate. 

 

"...  Par un après-midi humide, un visiteur vint troubler Rottcodd, profondément endormi dans son hamac, car sa sieste fut brusquement interrompue par un cliquetis de la poignée de la porte, qui remplaçait apparemment la pratique plus populaire consistant à frapper aux panneaux. Le son se répercuta dans la longue pièce, puis se déposa dans la fine poussière du sol en planches. La lumière du soleil se faufilait entre les minces fissures du store de la fenêtre. Même par un après-midi aussi chaud, étouffant et malsain que celui-ci, les stores étaient baissés et la lumière des bougies emplissait la pièce d'un éclat incongru. Au bruit de la poignée de la porte, Rottcodd se redressa brusquement. Les minces bandes de lumière moirée qui se frayaient un chemin à travers les volets barraient sa tête sombre de l'éclat du monde extérieur. Lorsqu'il s'abaissa sur le hamac, celui-ci vacilla sur ses épaules, et ses yeux allèrent et vinrent sur la porte, revenant sans cesse, après des voyages rapides et précipités, sur les agitations de la poignée de la porte. Saisissant son plumeau de la main droite, Rottcodd se mit à avancer dans l'avenue lumineuse, ses pieds faisant naître à chaque pas de petits nuages de poussière. Lorsqu'il atteignit enfin la porte, la poignée avait cessé de vibrer. 

 

Lowering himself suddenly to his knees he placed his right eye at the keyhole, and controlling the oscillation of his head and the vagaries of his left eye (which was for ever trying to dash up and down the vertical surface of the door), he was able by dint of concentration to observe, within three inches of his keyholed eye, an eye which was not his, being not only a different colour to his own iron marble but being, which is more convincing, on the other side of the door. This third eye which was going through the same performance as the one belonging to Rottcodd, belonged to Flay, the taciturn servant of Sepulchrave, Earl of Gormenghast. For Flay to be four rooms horizontally or one floor vertically away from his lordship was a rare enough thing in the castle. For him to be absent at all from his master’s side was abnormal, yet here apparently on this stifling summer afternoon was the eye of Mr Flay at the outer keyhole of the Hall of the Bright Carvings, and presumably the rest of Mr Flay was joined on behind it. On mutual recognition the eyes withdrew simultaneously and the brass doorknob rattled again in the grip of the visitor’s hand. Rottcodd turned the key in the lock and the door opened slowly.

 

Se mettant brusquement à genoux, il plaça son œil droit au niveau du trou de la serrure et, contrôlant l'oscillation de sa tête et les caprices de son œil gauche (qui essayait sans cesse de monter et descendre la surface verticale de la porte), il parvint, à force de concentration, à observer, à moins de trois pouces de son œil troué par la serrure, un œil qui n'était pas le sien, étant non seulement d'une couleur différente de son propre marbre de fer, mais se trouvant, ce qui est plus convaincant encore, de l'autre côté de la porte. Ce troisième œil, qui subissait le même spectacle que celui de Rottcodd, appartenait à Flay, le serviteur taciturne de Sepulchrave, comte de Gormenghast. Que Flay se trouve à quatre pièces horizontalement ou à un étage verticalement de sa seigneurie était une chose assez rare dans le château. Pourtant, en cet après-midi d'été étouffant, l'œil de M. Flay se tenait devant le trou de serrure extérieur de la salle des sculptures lumineuses, et le reste de M. Flay se trouvait probablement derrière lui. Les deux yeux se sont retirés en même temps et la poignée de porte en laiton a de nouveau cliqueté dans la main du visiteur. Rottcodd tourna la clé dans la serrure et la porte s'ouvrit lentement.

(...)

Titus d 'enfer (Titus Groan) centré sur la naissance et l`enfance de Titus, héritier du royaume de Gormenghast, est peuplé de personnages dont toute une onomastique redouble le graphisme onirique, comme en ombres chinoises. Pour n'en citer que quelques-uns, parmi les plus connus : Prunesquallor, le médecin de famille, l`esthète célibataire dont le nom évoque le sordide et le raffiné ; Swelter, le cuisinier, l'outre avinée à la répugnante obésité; Flay (l'écorché), le serviteur fidèle tout en os et en longueur; Sourdust (amère poussière), ordonnateur squelettique du pesant rituel sous lequel étouffe Gormenghast ; Steerpike le marmiton, l`habile brochet prédateur, au corps anguleux, obliquement déformé...

 

REVERIE OF SEPULCHRAVE, 76th EARL OFGORMENGHAST

… and there will be a darkness always and no other colour and the lights will be stifled away and the noises of my mind strangled among the thick soft plumes which deaden all my thoughts in a shroud of numberless feathers for they have been there so long and so long in the cold hollow throat of the Tower and they will be there for ever for there can be no ending to the owls whose child I am to the great owls whose infant and disciple I shall be so that I am forgetting all things and will be taken into the immemorial darkness far away among the shadows of the Groans and my heartache will be no more and my dreams and thoughts no more and even memory will be no longer so that my volumes will die away from me and the poets be gone for I know the great tower stood above my cogitations day and night through all the hours and they will all go the great writers and all that lay between the fingered covers all that slept or walked between the vellum lids where for the centuries they haunted and no longer are and my remorse is over now and forever for desire and dream has gone and I am complete and longing only for the talons of the tower and suddenness and clangour among the plumes and an end and a death and the sweet oblivion for the last tides are mounting momently and my throat is growing taut and round round like the Tower of Flints and my fingers curl and I crave the dusk and sharpness like a needle in the velvet and I shall be claimed by the powers and the fretting ended … ended … and in my annihilation there shall be a consummation for he has come into the long line and is moving forward and the long dead branch of the Groans has broken into the bright leaf of Titus who is the fruit of me and there shall be no ending and the grey stones will stand for always and the high towers for always where the raindrifts weave and the laws of my own people will go on for ever while among my great dusk haunters in the tower my ghost will hover and my blood-stream ebb for ever and the striding fever over who are these and these so far from me and yet so vast and so remote and vast my Fuchsia dusky daughter bring me branches and a field mouse from an acre of grey pastures …

 

... et il y aura toujours une obscurité et aucune autre couleur et les lumières seront étouffées et les bruits de mon esprit étranglés parmi les plumes épaisses et douces qui étouffent toutes mes pensées dans un linceul de plumes innombrables car elles sont là depuis si longtemps et si longtemps dans la gorge froide et creuse de la Tour et elles seront là pour toujours car il ne peut y avoir de fin aux hiboux dont je suis l'enfant, aux grands hiboux dont je serai l'enfant et le disciple, de sorte que j'oublie toutes choses et que je serai emporté dans l'obscurité immémoriale loin parmi les ombres des gémissements. hiboux dont je suis l'enfant aux grands hiboux dont je serai l'enfant et le disciple si bien que j'oublie tout et que je serai emporté dans les ténèbres immémoriales, loin parmi les ombres des Groans et que mon chagrin d'amour n'existera plus, mes rêves et mes pensées non plus et que même la mémoire n'existera plus si bien que mes volumes s'éteindront loin de moi et que les poètes disparaîtront car je sais la grande tour se tenait au-dessus de mes cogitations jour et nuit à travers toutes les heures et ils partiront tous les grands écrivains et tous ceux qui se sont couchés entre les couvertures doigtées tous ceux qui ont dormi ou marché entre les couvercles de vélin où pendant des siècles ils ont hanté et ne sont plus et mon remords est terminé maintenant et pour toujours car le désir et le rêve ont disparu et je suis complet et je n'aspire qu'à les serres de la tour, la soudaineté et le fracas des plumes, la fin, la mort et le doux oubli, car les dernières marées montent à l'instant, ma gorge se tend et s'arrondit comme la tour de silex, mes doigts se recroquevillent et j'ai envie du crépuscule et de l'acuité d'une aiguille dans le velours, je serai réclamé par les puissances et l'agitation prendra fin... fin ... et dans mon anéantissement, il y aura une consommation car il est entré dans la longue lignée et va de l'avant et la longue branche morte des Groans s'est brisée en la feuille brillante de Titus qui est le fruit de moi et il n'y aura pas de fin et les pierres grises se dresseront pour toujours et les hautes tours pour toujours là où les courants de pluie se tissent et les lois de mon propre peuple continueront pour toujours tandis que parmi mes grands hanteurs du crépuscule dans la tour, mon fantôme planera et mon courant de sang s'étiolera pour toujours et les stries de mon sang s'étireront pour toujours et le courant de mon sang s'étiolera pour toujours et le courant de mon sang s'étiolera pour toujours. mon fantôme planera et mon flux sanguin s'écoulera pour toujours et la fièvre des foulées s'éteindra. Qui sont ces gens et ces gens si loin de moi et pourtant si vastes et si éloignés et si vastes ? ma fille Fuchsia crépusculaire m'apporte des branches et un mulot d'un acre de pâturages gris...

 

C'est sur le mode de la farce et de la satire sociale que se prépare puis se déroule le baptême de Titus. Swelter mène contre Flay un combat sans merci. Steerpike commence son ascension maléfique des cuisines souterraines jusqu'aux toitures vertigineuses du château, étend sournoisement son pouvoir occulte, et provoque enfin par l'incendie la folie et le suicide du père du jeune Titus. Plus qu'une allégorie du nazisme, la trilogie est dès ce premier livre la projection scénographique d'un psychodrame existentiel et familial ...


1950, The Gormenghast Trilogy / "Gormenghast"

 ”Deuxième volume de l'exraordinaire trilogie de Gormenghast et son apogée, c'est aussi un exploit littéraire. Gormehast reprend l'histoire là où elle s'était arrêtée à la fin de Titus d'Enfer. Peake reprend son allégorie cinglante cle la vie britannique et l'éIargit en attaquant avec son humour habituel de nouvelles cibles, en nous offrant par exemple une analyse hilarante de l'éducation de Titus au sein d'un système étonnamment familier ..

Lord Tombal est mort, Lenflure a été vaincu par Craclosse et Finelare,devenu  chauve dans l'incendie qu'il a volontairement allumé -les cicatrices qui le défigurent reflètent la pourriture progressive de son âme -, continue à s'élever dans la hiérarchie. C'est désormais une force avec laquelle il faut compter.Titus approche de la période de l'adolescence, et s'oppose en digne adversaire aux machinations de Finelame, de plus en plus puissant. L'immense et maléfique Gormenghast poursuit sa vie.

La galerie de personnages de Titus d'Enfer réapparaît avec vitalité. On retrouve leurs courses dans le labyrinthe que forment grandes salles et anti-chambres, caves poussiéreuses et bibliothèques. On redécouvre la triste Fuschia, les tantes jumelles qui ne cessent dejacasser et organisent des thés dans les rameaux sous leurs fenêtres, le docteur Salprune et sa sœur Irma dont la vanité complaisante n'est en aucun cas méritée. 

Le roman se termine par une inondation apocalyptique alors que Titus et Finelame luttent pour le cœur même de Gormenghast. Nouvellement conscient de l'existence du monde extérieur, Titus décide de quitter les créneaux escarpés de son château pour explorer ce qui se trouve au-delà ...

 

I- Titus is seven. His confines, Gormenghast. Suckled on shadows; weaned, as it were, on webs of ritual: for his ears, echoes, for his eyes, a labyrinth of stone: and yet within his body something other – other than this umbrageous legacy. For first and ever foremost he is child.

A ritual, more compelling than ever man devised, is fighting anchored darkness. A ritual of the blood; of the jumping blood. These quicks of sentience owe nothing to his forbears, but to those feckless hosts, a trillion deep, of the globe’s childhood.

The gift of the bright blood. Of blood that laughs when the tenets mutter ‘Weep’. Of blood that mourns when the sere laws croak ‘Rejoice!’ O little revolution in great shades!

Titus the seventy-seventh. Heir to a crumbling summit: to a sea of nettles: to an empire of red rust: to rituals’ footprints ankle-deep in stone.

Gormenghast.

Withdrawn and ruinous it broods in umbra: the immemorial masonry: the towers, the tracts. Is all corroding? No. Through an avenue of spires a zephyr floats; a bird whistles; a freshet bears away from a choked river. Deep in a fist of stone a doll’s hand wriggles, warm rebellious on the frozen palm. A shadow shifts its length. A spider stirs …

And darkness winds between the characters

 

Titus a sept ans. Ses limites, Gormenghast. Il a été nourri d'ombres, sevré, pour ainsi dire, de réseaux de rituels : pour ses oreilles, des échos, pour ses yeux, un labyrinthe de pierre, et pourtant, dans son corps, il y a quelque chose d'autre - d'autre que cet ombrageux héritage. Car il est d'abord et avant tout un enfant.

Un rituel, plus convaincant que tout ce que l'homme a pu concevoir, lutte contre les ténèbres ancrées. Un rituel du sang, du sang qui saute. Ces élans de sensibilité ne doivent rien à ses ancêtres, mais à ces hôtes incapables, à un trillion de profondeur, de l'enfance du globe.

Le don du sang vif. Un sang qui rit quand les principes murmurent "pleurez". Du sang qui pleure quand les lois sereines croassent "Réjouissez-vous". Ô petite révolution aux grandes nuances !

Titus le soixante-dix-septième. Héritier d'un sommet en ruine, d'une mer d'orties, d'un empire de rouille rouge, d'empreintes de rituels enfoncées jusqu'à la cheville dans la pierre.

Gormenghast.

Retiré et ruineux, il couve en ombres : la maçonnerie immémoriale : les tours, les tracts. Tout se corrode-t-il ? Non. À travers une allée de flèches, un zéphyr flotte, un oiseau siffle, une crue s'éloigne d'une rivière étouffée. Au fond d'un poing de pierre, une main de poupée s'agite, chaude et rebelle sur la paume gelée.

la paume gelée. Une ombre se déplace. Une araignée s'agite...

Et les ténèbres serpentent entre les personnages

 

 II

Who are the characters? And what has he learned of them and of his home since that far day when he was born to the Countess of Groan in a room alive with birds?

He has learned an alphabet of arch and aisle: the language of dim stairs and moth-hung rafters. Great halls are his dim playgrounds: his fields are quadrangles: his trees are pillars.

And he has learned that there are always eyes. Eyes that watch. Feet that follow, and hands to hold him when he struggles, to lift him when he falls. Upon his feet again he stares unsmiling. Tall figures bow. Some in jewellery; some in rags.

The characters.

The quick and the dead. The shapes, the voices that throng his mind, for there are days when the living have no substance and the dead are active.

Who are these dead – these victims of violence who no longer influence the tenor of Gormenghast save by a deathless repercussion? For ripples are still widening in dark rings and a movement runs over the gooseflesh waters though the drowned stones lie still. The characters who are but names to Titus, though one of them his father, and all of them alive when he was born. Who are they? For the child will hear of them.

 

Qui sont ces personnages ? Et qu'a-t-il appris d'eux et de sa maison depuis ce jour lointain où il est né de la comtesse de Groan dans une chambre peuplée d'oiseaux ?

Il a appris l'alphabet des arches et des allées, le langage des escaliers sombres et des chevrons mités. Les grandes salles sont ses terrains de jeu, ses champs sont des quadrilatères, ses arbres sont des piliers.

Et il a appris qu'il y a toujours des yeux. Des yeux qui regardent. Des pieds qui suivent, et des mains qui le tiennent quand il se débat, qui le soulèvent quand il tombe. De nouveau sur ses pieds, il regarde sans sourire. De grandes silhouettes s'inclinent. Certains portent des bijoux, d'autres des haillons.

Les personnages.

Les vivants et les morts. Les formes, les voix qui envahissent son esprit, car il y a des jours où les vivants n'ont pas de substance et où les morts sont actifs.

Qui sont ces morts, ces victimes de la violence qui n'influencent plus la teneur de Gormenghast que par une répercussion sans mort ? Car les ondulations s'élargissent encore dans les cercles sombres et un mouvement court sur les eaux de chair de poule, bien que les pierres noyées restent immobiles. Les personnages qui ne sont que des noms pour Titus, bien que l'un d'entre eux soit son père, et qu'ils soient tous en vie lorsqu'il est né. Qui sont-ils ? L'enfant en entendra parler.

 

Domaine lointain appartenant à une famille noble nommée Groan, Gormenghast est dominé par un vaste château en ruine, dont la présence est aussi inoubliable que celle de chacun des personnages. Le château de Gormenghast est un enchevêtrement immémorial de chambres et de tourelles, de sous-sols et de salles, de cuisines et de chambres à coucher, d'écuries et de cours, surplombé par l'énorme tour de Flints. "Cette tour", écrit Peake au début de son ouvrage, "parsemée de manière inégale de lierre noir, s'élevait comme un doigt mutilé parmi les poings de la maçonnerie et pointait de manière blasphématoire vers le ciel".

 

C'est dans ce domaine pierreux, tapissé et hanté, autosuffisant et autoperpétué, xénophobe et attaché aux traditions, dont les journées sont marquées par des rituels inutiles, que naît Titus Groan, héritier malheureux de la lignée ancestrale. Mais l'enfant est relégué à l'arrière-plan pendant un certain temps, car on nous présente d'autres personnes : le cuisinier ambitieux, sociopathe et incontrôlable Steerpike ; le fidèle factotum Flay ; le docteur Prunesquallor et ses sœurs volages ; Lady Fuchsia, la grande sœur de Titus ; et les parents étrangement égocentriques du garçon, Lord Sepulchrave, fou de hiboux, et la comtesse Gertrude, obsédée par les chats. Lorsque nous atteignons la fin du volume qui porte son nom, Titus est à peine un bambin, mais nous nous sommes complètement immergés dans les alliances et les rivalités de Gormenghast, et nous avons vu Steerpike évoluer d'un laquais inoffensif à un pouvoir derrière le trône, alimenté par une malice Shakespearienne dans sa caractérisation vivante.

 

III - Let them appear for a quick, earthless moment, as ghosts, separate, dissimilar and complete. They are even now moving, as before death, on their own ground. Is Time’s cold scroll recoiling on itself until the dead years speak, or is it in the throb of now that the spectres wake and wander through the walls?

There was a library and it is ashes. Let its long length assemble.

Than its stone walls its paper walls are thicker; armoured with learning, with philosophy, with poetry that drifts or dances clamped though it is in midnight. Shielded with flax and calfskin and a cold weight of ink, there broods the ghost of Sepulchrave, the melancholy Earl, seventy-sixth lord of half-light.

It is five years ago. Witless of how his death by owls approaches he mourns through each languid gesture, each fine-stoned feature, as though his body were glass and at its centre a converted heart like a pendant tear.

His every breath a kind of ebb that leaves him further from himself, he floats rather than steers to the island of the mad – beyond all traderoutes, in a doldrum sea, its high crags burning.

Of how he died Titus has no idea. For as yet he has not so much as seen, let alone spoken to the long Man of the Woods, Flay, who was his father’s servant and the only witness of Sepulchrave’s death when, climbing demented into the Tower of Flints, the Earl gave himself up to the hunger of the owls.

 

 III - Qu'ils apparaissent un instant, sans terre, comme des fantômes, séparés, dissemblables et complets. Ils se meuvent même maintenant, comme avant la mort, sur leur propre terrain. Le rouleau froid du Temps recule-t-il sur lui-même jusqu'à ce que les années mortes parlent, ou est-ce dans la pulsation de maintenant que les spectres s'éveillent et errent entre les murs ?

Il y avait une bibliothèque et elle est en cendres. Laissons sa longueur s'assembler.

Plus épais que ses murs de pierre, ses murs de papier sont blindés d'érudition, de philosophie, de poésie qui dérive ou danse, serrée qu'elle est dans la nuit. Protégé par le lin, la peau de veau et un poids froid d'encre, le fantôme de Sepulchrave, le comte mélancolique, soixante-seizième seigneur de la pénombre, y couve.

Il y a cinq ans de cela. Inconscient de l'approche de sa mort par les hiboux, il porte le deuil à travers chaque geste langoureux, chaque trait finement ciselé, comme si son corps était de verre et qu'en son centre un cœur converti était comme une larme suspendue.

Chaque respiration est une sorte de reflux qui l'éloigne de lui-même, il flotte plutôt qu'il ne se dirige vers l'île des fous - au-delà de toutes les traderoutes, dans une mer de morne, ses hautes falaises brûlantes.

Titus ne sait pas comment il est mort. Car il n'a pas encore vu, et encore moins parlé à Flay, le long homme des bois, qui était le serviteur de son père et le seul témoin de la mort de Sepulchrave lorsque, grimpant dément dans la Tour des silex, le comte s'est abandonné à la faim des hiboux.

 

Flay, the cadaverous and taciturn, his knee joints reporting his progress at every spider-like step, he alone among these marshalled ghosts is still alive, though banished from the castle. But so inextricably has Flay been woven into the skein of the castle’s central life, that if ever a man was destined to fill in the gap of his own absence with his own ghost it is he.

For excommunication is a kind of death, and it is a different man who moves in the woods from the Earl’s first servant of seven years ago.

Simultaneously, then, as ragged and bearded he lays his rabbit snares in a gully of ferns, his ghost is sitting in the high corridor, beardless, and long ago, outside his master’s door. How can he know that it will not be long before he adds, by his own hand, a name to the roll of the murdered? All that he knows is that his life is in immediate peril: that he is crying with every nerve in his long, tense, awkward body for an end to this insufferable rivalry, hatred and apprehension. And he knows that this cannot be unless either he or the gross and pendulous horror in question be destroyed.

 

Flay, le cadavérique et taciturne, dont les articulations des genoux signalent sa progression à chaque pas d'araignée, est le seul, parmi ces fantômes rassemblés, à être encore en vie, bien que banni du château. Mais Flay a été si inextricablement tissé dans l'écheveau de la vie centrale du château que si un homme a jamais été destiné à combler le vide de sa propre absence par son propre fantôme, c'est bien lui.

Car l'excommunication est une sorte de mort, et l'homme qui se déplace dans les bois n'est pas le même que le premier serviteur du comte il y a sept ans.

Simultanément, alors qu'il pose ses collets à lapin dans un ravin de fougères, son fantôme est assis dans le grand couloir, imberbe, et depuis longtemps, devant la porte de son maître. Comment peut-il savoir qu'il ne tardera pas à ajouter, de sa propre main, un nom à la liste des assassinés ? Tout ce qu'il sait, c'est que sa vie est en danger immédiat, qu'il réclame par tous les nerfs de son long corps tendu et maladroit la fin de cette insupportable rivalité, de cette haine et de cette appréhension. Et il sait que cela ne peut se faire que si lui ou l'horreur grossière et pendante en question sont détruits.

 

Titus, dont le patronyme signifie "gémissement", abandonné à la superbe et indifférente étrangeté de sa mère Gertrude et à l'impuissance de son père Sepulchrave au nom mortuaire, habite donc Gormenghast, dont les syllabes évoquent les hommes (men), l`horreur (ghast) et le sang répandu (gor) - et dont la prolifération labyrinthique figure le corps immense et monstrueux de la mère-nature. Dans le plus remarquable passage de Titus d enfer, Peake superpose l`interminable et mortel combat de Swelter et de Flay, empêtrés dans les toiles gluantes de la salle des Araignées, à la chute de Sepulchrave, dont le visage en gros plan se confond alors avec celui de la chouette pour laquelle, dans sa démence, il se prend. Sa bouche et ses yeux deviennent les cercles dilatés de l`horreur et du vide dans lequel il bascule du haut d`une tour. Son cri déchire alors la nuit comme une toile peinte ...

 

"And so it happened. The pendulous horror, the chef of Gormenghast, floating like a moon-bathed sea-cow, a long sword bristling like a mast from his huge breast, had been struck down but an hour before the death of the earl. And here he comes again in a province he has made peculiarly his own in soft and ruthless ways. Of all ponderous volumes, surely the most illusory, if there’s no weight or substance in a ghost, is Abiatha Swelter, who wades in a slug-like illness of fat through the humid ground mists of the Great Kitchen. From hazy progs and flesh-pots half afloat, from bowls as big as baths, there rises and drifts like a miasmic tide the all but palpable odour of the day’s belly-timber. Sailing, his canvas stretched and spread, through the hot mists the ghost of Swelter is still further rarefied by the veiling fumes; he has become the ghost of a ghost, only his swede-like head retaining the solidity of nature. The arrogance of this fat head exudes itself like an evil sweat.

 

 Et c'est ce qui arriva. L'horreur pendante, le chef de Gormenghast, flottant comme une vache marine baignée par la lune, une longue épée hérissée comme un mât sur son énorme poitrine, avait été abattu une heure avant la mort du comte. Et voici qu'il revient dans une province qu'il a fait sienne de manière douce et impitoyable. De tous les volumes pesants, le plus illusoire est sans doute Abiatha Swelter, qui se faufile dans les brumes humides de la Grande Cuisine, dans une maladie de graisse semblable à celle d'une limace. Des progs brumeux et des marmites de chair à moitié à flot, des bols aussi grands que des baignoires, monte et dérive comme une marée miasmique l'odeur presque palpable du bois du ventre de la journée. Naviguant, sa toile tendue et étalée, à travers les brumes chaudes, le fantôme de Swelter est encore plus raréfié par les fumées voilantes ; il est devenu le fantôme d'un fantôme, seule sa tête suédoise conservant la solidité de la nature. L'arrogance de cette grosse tête s'exhale comme une sueur maléfique.

 

 Vicious and vain as it is, the enormous ghost retreats a step to make way for the phantom Sourdust on a tour of inspection. Master of Ritual, perhaps the most indispensable figure of all, corner-stone and guardian of the Groan law, his weak and horny hands are working at the knots of his tangled beard. As he shambles forward, the red rags of his office fall about his bleak old body in dirty festoons. He is in the worst of health, even for a ghost, coughing incessantly in a dry, horrible manner, the black-and-white strands of his beard jerking to and fro. Theoretically he is rejoicing that in Titus an heir has been born to the House, but his responsibilities have become too heavy to allow him any lightness of heart, even supposing he could ever have lured into that stuttering organ so trivial a sensation. Shuffling from ceremony to ceremony, his sere head raised against its natural desire to drop forward on his chest and covered with as many pits and fissures as a cracked cheese, he personifies the ancientry of his high office.

It was for his real body to die in the same fated library  which now, in spectre form, is housing the wraith of Sepulchrave. As the old master of Ritual moves away and fades through the feverish air of Swelter’s kitchen, he cannot foresee or remember (for who can tell in which direction the minds of phantoms move?) that filled to his wrinkled mouth with acrid smoke he shall die, or has already died, by fire and suffocation, the great flames licking at his wrinkled hide with red and golden tongues.

 

 Vicieux et vaniteux, l'énorme fantôme recule d'un pas pour laisser la place au fantôme Sourdust en tournée d'inspection. Maître du Rituel, peut-être le personnage le plus indispensable de tous, pierre angulaire et gardien de la loi Groan, ses mains faibles et cornées travaillent sur les nœuds de sa barbe emmêlée. Alors qu'il avance en titubant, les haillons rouges de son bureau tombent en festons sales autour de son vieux corps morne. Il est en très mauvaise santé, même pour un fantôme, toussant sans cesse d'une manière sèche et horrible, les mèches noires et blanches de sa barbe s'agitant dans tous les sens. Théoriquement, il se réjouit de la naissance d'un héritier dans la Maison, mais ses responsabilités sont devenues trop lourdes pour lui permettre la moindre légèreté d'esprit, à supposer même qu'il ait jamais pu se laisser entraîner dans cet organe bégayant une sensation aussi insignifiante. Traînant les pieds d'une cérémonie à l'autre, sa tête sereine relevée contre son désir naturel de tomber en avant sur sa poitrine et couverte d'autant de creux et de fissures qu'un fromage fêlé, il personnifie l'ancienneté de sa haute fonction. 

C'était pour que son vrai corps meure dans cette même bibliothèque funeste qui abrite maintenant, sous forme de spectre, le spectre de Sepulchrave. Alors que le vieux maître du Rituel s'éloigne et s'évanouit dans l'air fiévreux de la cuisine de Swelter, il ne peut ni prévoir ni se souvenir (car qui peut dire dans quelle direction l'esprit des fantômes se déplace ?) que, rempli de fumée âcre jusqu'à sa bouche ridée, il mourra, ou est déjà mort, par le feu et la suffocation, les grandes flammes léchant sa peau ridée avec des langues rouges et dorées.

(...)

 

Garmenghast, le second volume, narre le suicide de Fuschia à la robe couleur de sang, la sœur de Titus, qui se laisse tomber du haut d'une fenêtre après ses amours malheureuses avec l`ignoble Steerpike. tandis qu`en un violent contraste baroque l'enfance scolaire du frère est traitée sur le mode de la farce, d`un énorme rire cathartique bafouant ces figures d'autorité, ces substituts paternels que sont les maîtres. Titus adolescent est ensuite déchiré entre sa fidélité à Gormenghast et le besoin de s'en libérer, d`en transgresser les limites.

Dehors dans la forêt, au-delà de ces villages de boue qu`habitent les parias à l`extérieur du château, il est à la fois attiré et repoussé par la "Chose", sa sœur de lait, la bâtarde de sa nourrice Keda qui s`est elle aussi suicidée en se jetant du haut d'une falaise. Après une longue traque dans les souterrains de Gormenghast, c`est sous les yeux de sa mère qui les observe de sa haute fenêtre que, dans le domaine inondé, isolé comme une île au milieu des eaux, il affronte et tue Steerpike, le rival illégitime, le double maléfique, en un combat initiatique ... 


1959, The Gormenghast Trilogy / "Titus alone" 

Dans "Titus errant", le héros explore l`univers pour lequel, à la dernière page du volume précédent, il avait abandonné le château maternel. L'exotisme y déploie ses séductions alanguies - qui contrastent avec l`horreur souterraine d'un monde de bannis - découvert par l`auteur à Belsen, dans les camps de concentration. Le substitut paternel n'y est plus Prunesquallor, ni le vieux maitre Bellgrove, ni Flay, le serviteur sacrifié, mais le rebelle Muzzlehatch dont le nez semble tailler le monde à coups de hache, l`ami des animaux, le viril amant de Junon qui plus tard sera elle-même la mère-amante de Titus avant qu'il ne l'abandonne. Le mal n'y est plus représenté par Steerpike mais par Cheeta - dont le nom évoque la traîtrise - avec son père, ingénieur dune moine mort. Au milieu d`une lutte confuse, Titus erre à la recherche de son identité perdue tandis que Cheeta tente de le faire basculer dans la folie en le confrontant à une sinistre mascarade de Gormenghast. De grossiers simulacres y reproduisent les figures parentales, ces demi-dieux, sources d`amour et de haine, de respect et de dérision. à travers une mise en scène qui relève à la fois du sacré et de la profanation et refléchit en miroir l'art de Peake, dans son inspiration la plus profonde. Cheeta et sonpère sont vaincus. Titus. lorsqu`il retrouve Gormenghast, a la force de s`en arracher définitivement pour devenir enfin adulte, mais Muzzlehatch. après l`incendie de son zoo, sombre dans la folie et la mort.


"Boy in Darkness" (Titus dans les ténèbres, 1956)  

Episode de la série Gormenghast où Titus Groan, surnommé « the boy» dans l’histoire, est un jeune adolescent, au centre de l'intrigue qui couvre le deuxième roman de la série. Aspirant à se libérer de l'infernal rituel auquel il doit se livrer en tant que 77e comte de Gormenghast, le voici parcourant le labyrinthe inquiétant du château pour se retrouver dans un paysage cauchemardesque. Hanté par des personnages ensorcelés, il est attiré et conduit par la faim et la fatigue à un autre labyrinthe de tunnels souterrains dans une mine désaffectée. Là, il commence à tomber sous le charme de quelque chose d’aveugle et de diabolique.

 



"Captain Slaughterboard Drops Anchor", Mervyn Peake

Captain Slaughterboard Drops Anchor est un livre d’images à l’humour sombre écrit et illustré par l’auteur britannique Mervyn Peake et publié par Country Life en 1939. C’était son premier ouvrage publié. L’histoire concerne les exploits nautiques du capitaine titulaire et de son équipage turbulent à bord de leur navire, le Tigre noir. Après quelques aventures épisodiques, ils capturent un petit humanoïde, appelé seulement la Créature Jaune, avec qui Slaughterboard développe un étrange engouement platonique. Son fidèle équipage s'abandonne progressivement à sa mésaventure et le livre se termine avec le capitaine et la créature jaune abandonnant la piraterie pour pêcher sur l’île rose de la créature. Le livre est remarquable pour le style poétique de Peake et ses belles illustrations des nombreuses bêtes fantastiques sur l’île.