Philosophie analytique - Willard van Orman Quine (1908-2000), "Two Dogmas of Empiricism" (1951), "Word and Object" (1960) - John Langshaw Austin (1911-1960), "How to do Things with Words" (1962) - John Roger Searle (1932), "Speech Acts" (1969) - ....

Last update: 11/11/2016


La philosophie qui s'est construit dans le monde grec poursuivait cette idée d'une pensée claire, de formaliser un langage en capacité de dire le réel et de produire de la vérité. Mais ce langage génère, comme par nécessité interne, et sans doute parce qu'il n'existe que proférer par un être humain, équivoque, non-sens, ambiguïté: Jean Hyppolite évoquait la grande part dans notre vie d'être humain de parole des "sous-entendus", des "malentendus", voire de "l'inentendu". D'où le projet quelque peu radical, mais nécessaire à la construction de la science et de la pratique informatique et cognitive, de constituer des langues artificielles à partir du paradigme mathématique. La linguistique, le positivisme logique, mais aussi les théories modernes de la communication (le sujet est émetteur ou récepteur, codant et décodant des messages dans un processus de transformation d'information) privilégient d'emblée, pour développer leurs hypothèses, le rejet du sujet, de l'être humain que nous sommes, parlant. Et supprimer le sujet parlant humain, social, incarné, existant, supprime d'emblée effectivement toute opacité. Nous ne sommes donc jamais dans la transparence de ce que nous disons ou de ce que nous entendons. D'autres axes de réflexions doivent être poursuivis...

(from Michael D’Antuono, "The Talk")

 

Entre la philosophie du monde anglo-saxon et la philosophie de l'Europe occidentale, la scission, depuis 1945, a atteint son maximum. Elles ne communiquent guère entre elles, et l'on peut même dire que les deux écoles se trouvent engagées dans des entreprises totalement différentes: il s'agit, d'une part, d'une investigation logique de la connaissance et du langage dans lequel elle s'exprime; de l'autre, d'une recherche, de caractère moins discipliné et plus imaginatif, sur la nature de l'existence. Au sein de la philosophie de langue anglaise, il existe une autre division, moins profonde, qui intéresse les sphères d'intérêt et non la doctrine. En Grande-Bretagne, à partir de 1945 et au moins jusque dans les années soixante, le mouvement prédominant a été celui de la philosophie linguistique de Wittgenstein, Ryle et Austin; elle procède de Moore plus que de Russell et se concentre sur l'étude de la pensée et du langage ordinaires. Aux États-Unis, sous l'influence du positivisme logique, dont les principaux représentants se sont établis dans le pays, l'accent est mis sur la logique formelle en tant qu'instrument d'investigation des mathématiques et de la connaissance scientifique.

Willard van Orman Quine 1908-2000) et Nelson Goodman (1906-1998) sont les continuateurs critiques de l'œuvre de Carnap, et, malgré les modifications qu'ils apportent à son enseignement, ils pensent avec lui que, selon l'expression de Quine, "la philosophie de la science, pour nous, est une philosophie suffisante". Mais aussi bien la philosophie britannique du langage ordinaire que la philosophie américaine de la science sont étudiées dans l'un et l'autre pays: il existe, aux États-Unis, de nombreux disciples de Wittgenstein, et il est impossible de parler de la philosophie de la science sans mentionner Popper, qui travaille en Grande-Bretagne depuis 1945. Karl Popper énoncera une définition féconde de la proposition scientifique: elle est, non pas vérifiable, mais réfutable. En philosophie politique, il se signale par ses attaques contre les prétendues "sociétés fermées" de Platon, de Hegel et de Marx....

Si la philosophie des pays de langue anglaise se montre particulièrement active, elle prêtera à une certaine critique par son désintérêt apparent des grands problèmes humains, éthiques et politiques et se voir reprocher son grand souci de technicité raffinée, loin des préoccupations de la philosophie européenne ...

 

Gilbert Ryle (1900-1976), "The Concept of Mind" (1949)

Pour Wittgenstein, le langage dans lequel nous parlons de la vie mentale - la nôtre ou celle des autres - est et ne peut être que public. Une conception similaire s'exprime avec beaucoup de force et moins de restrictions dans le "Concept of Mind" de Ryle, qui répudie totalement le dualisme du physique et du mental. Pour Ryle, parler de la vie mentale, c'est parler des dispositions de comportement d'organismes humains, qu'il s'agisse de soi-même ou de quelqu'un d'autre. Il n'existe qu'un seul monde, celui des choses - y compris les êtres humains - dans l'espace et le temps, et accessible aux sens.

Un grand argument en faveur du dualisme avait toujours été la théorie - jamais abandonnée par Russell ni par Moore - soutenant que les objets immédiats de la perception sont ressentis comme des impressions privées dans l'esprit de celui qui les perçoit. Austin consacre son incomparable délicatesse dans le maniement des nuances à la critique détaillée des arguments sur lesquels se fonde cette persistante conviction; il appuie aussi l'importance donnée par Wittgenstein aux nombreux usages non assertifs et non descriptifs du langage, grâce à une théorie générale qui place l'assertion dans un système de différentes espèces d'actes de communication. 

 

John Langshaw Austin (1911-1960), "How to do Things with Words" (1962)

Wittgenstein et Austin sont tous deux hostiles aux principes généraux en philosophie: Wittgenstein, parce qu'il les juge soit évidents, soit tout simplement faux; Austin, parce qu'il pense que ces principes se fondent pour la plupart sur une conception exagérément simplifiée de leur champ d'application. Sous leur influence, la philosophie linguistique se concentre sur des problèmes hautement spécifiques. 

Plus récemment, en particulier avec Strawson, elle est devenue plus ambitieuse en cherchant à donner une explication de la primauté de caractère très général qui est donnée, dans tout langage ou mode conceptuel connu ou imaginable, à la référence aux choses et aux personnes.

Alors que les philosophes linguistes répudient la rigueur formelle du positivisme comme illégitime et sa systématisation du langage et de la connaissance comme irréaliste, comme une déformation essentiellement métaphysique de la réalité linguistique, les philosophes de la science poursuivent, mais de façon critique, l'œuvre des positivistes. 

 

Karl Popper (1902-1994)

Quine aux États-Unis et Popper en Grande-Bretagne rejettent tous deux la thèse centrale du positivisme: Quine, la nette distinction faite entre les propositions analytiques et les propositions empiriques; Popper, la conception qui fait dériver la science de l'observation par un processus de généralisation inductive. Quine soutient que la convention linguistique et l'expérience des sens, que le positivisme assigne séparément à un mode spécifique d'énoncé, sont impliquées dans l'acceptation de toute espèce d'opinion. Aucune proposition n'est exempte de révision, et toutes nos opinions constituent un seul et même système logiquement structuré. Nous devrions être aussi pragmatiques à l'égard des vérités de la logique et de l'expérience immédiate qu'il est généralement admis de l'être à l'égard de nos hypothèses théoriques. 

Pour Popper, la connaissance scientifique n'est jamais absolue ni définitive ; elle se développe par la conjecture imaginative et se contrôle par la réfutation. Ce n'est pas tant que nous accumulions la vérité: nous éliminons progressivement l'erreur. Ce qui distingue la science de la métaphysique, c'est que ses théories peuvent se démentir, et l'essentiel du travail scientifique tient dans cet effort actif fait en vue de les démentir  et de les améliorer. Pour commencer, elles ne peuvent s'élaborer que grâce à l'imagination créatrice; toute observation doit être guidée par une anticipation théorique, elle n'engendre pas mécaniquement ses propres théories comme le supposent les tenants de l'induction.

 

Willard van Orman Quine (1908-2000)

Le philosophe américain Willard van Orman Quine (1908-2000) put rencontrer les membres du Cercle de Vienne en 1932, dont Rudolf Carnap puis, après la Guerre, se fit connaître par son travail sur la logique philosophique. Dans un article de 1951, "Les deux dogmes de l'empirisme", il établit une critique assez radicale des thèses de l'empirisme logique et conteste l'idée que l'on puisse faire une distinction tranchée entre énoncés synthétiques, portant sur des faits, et énoncés analytiques, vrais en vertu des seules règles logiques. Pour lui, la notion d'analytique est très mal définie. Il laisse même entendre que la logique peut, elle aussi dans une certaine mesure, et en dernière instance, être révisée, comme n'importe quel énoncé de fait. Car le deuxième dogme, celui du réductionnisme de tout énoncé à des énoncés portant sur des sensations (les énoncés protocolaires) n'est pas tenable. Quine défend une approche holiste : nos énoncés affrontent l'expérience en bloc, et non pas un par un. Lorsqu'un énoncé est contredit par les faits, ce n'est donc pas nécessairement cet énoncé qui est fautif, il faudra peut être remettre en cause un énoncé qui lui était lié logiquement, ou bien plusieurs énoncés en même temps. "En tant qu'empiriste, je persiste à croire au concept qui fait de la science un outil, dont le but ultime est de prédire l'expérience future à la lumière de l'expérience passée. Les objets physiques sont conceptuellement importés dans une situation en tant qu'intermédiaires appropriés - non par définition en termes d'expérience, mais simplement comme des postulats irréductibles comparables, épistémologiquement, aux dieux d'Homère.". Par la suite, Quine passa d'un "holisme radical" à un "holisme modéré" dans lequel il acceptait que des sous-ensembles significatifs de propositions scientifiques puissent être vérifiés sans sans remettre en question l'ensemble de la théorie à laquelle ils appartenaient. En bref, nous ne devrions accepter comme existantes que les choses qui sont nécessaires à la validité de nos explications. Pour Quine, notre connaissance n'est que le résultat du traitement de l'expérience et de la nature de nos croyances. Au fond, toute signification réside essentiellement dans le comportement de celui qui l'exprime.

Il a publié "D'un point de vue logique" (1953), "Le mot et la chose" (1960), "La Théorie et sa logique" (Set Theory and its Logic, 1963), "Les chemins du paradoxe" (The Ways of Paradox, 1962).

 

John Roger Searle, "Speech Acts" (1969)

Dans "Les Actes de langage, Essais de philosophie du langage" (Speech Acts, an essay in the Philosophy of Language), John Roger Searle (1932) illustre la seconde période de la philosophie analytique qui entre en rupture avec le logicisme de Russell et du premier Wittgenstein. Les facteurs pragmatiques interdisent toutes retraduction des langues naturelles en une langue formelle....

L'ouvrage (trad. H. Pauchard, Hermann, 1972) se situe dans la ligne des travaux de la philosophie analytique anglaise, en particulier des recherches de John L. Austin, dont J.R. Searle est le disciple, concernant les énoncés performatifs ; il s'agit de la première étape dans le rapprochement de la langue et de l'activité d'énonciation, en rupture avec Saussure qui croyait pouvoir définir le sens des énoncés indépendamment de la valeur que peut prendre leur énonciation. Austin maintenait une certaine correspondance entre langage et réalité et restait fidèle à la vérité comme accord entre la proposition et le fait. 

Searle élimine, quant à lui, toute signification préalable à l'acte de langage - littéralement de discours - qui signifie: l'action qu'on accomplit au moyen d'une émission linguistique. Cet "acte" illocutoire est l'unité primordiale à la base de toute communication.

Dans chaque acte de langage, Searle va distinguer son "contenu propositionnel" et sa "force illocutoire": des phrases différentes (ou la même phrase prononcée dans des situations différentes) peuvent avoir en commun la même «proposition» (même sujet, même prédicat), par exemple: «j'ordonne que», «Je vous demande si», «J'affirme que». Mais elles ont, en revanche, une force illocutoire différente, selon la manière de les proférer, ou leur «performatif» explicite (c`est-à-dire l'action constituée par l'émission linguistique en elle-même; par exemple: le locuteur fait l'action qu`il dit quand il dit «J'ordonne»). 

Il existe des «marqueurs» de force illocutoire différents, et ici Searle va formuler les règles des actes de langage qu'il est possible d`effectuer au moyen de tels «marqueurs». Il en distingue quatre: 

1. les règles de contenu propositionnel :  un marqueur de promesse ne peut s`appliquer qu'à un énoncé dans lequel un prédicat attribue un acte futur à un sujet désignant le locuteur lui-même;

2. les règles préliminaires, spécifiant les conditions pour que l'acte puisse être accompli (par exemple dans le cas «J'ordonne», que l'auditeur soit capable d`exécuter l'acte illocutoire ordonné);

3. les règles de sincérité: celui qui dit «J'affirme» doit y croire;

4. enfin, les règles essentielles: parler une langue, c'est accomplir des actes de langage en se conformant à des règles véritablement constitutives, à l'instar de celles du jeu d'échecs : elles ne régissent pas une forme de comportement préexistante et qui existerait sans elles, elles constituent cette forme de comportement. 

Ainsi, il existerait un comportement langagier, une activité langagière recevant son sens de l'observation de certaines règles. Par exemple «Je promets» tire son sens de la règle de liaison entre le fait brut de l'émission de l'énoncé et le fait institutionnel de l'obligation contractée. S'il est donc impossible de séparer l'activité langagière de son contexte interhumain, il devient par contre possible de dégager des comportements cohérents en matière d'usage de la langue, qui relèvent de règles pragmatiques et non de logique pure....