Anthony Burgess (1917-1993), "One Hand Clapping" (1961), "The Wanting Seed" (1962), "A Clockwork Orange" (1962, L'Orange mécanique), "Inside Mr. Enderby" (1963), "Earthly Powers" (1980, La Puissance des Ténèbres), "1985" (1978) - ...

Last update: 12/29/2016


"There was me, that is Alex, and my three droogs, that is Pete, Georgie, and Dim, Dim being really dim, and we sat in the Korova Milkbar making up our rassoodocks what to do with the evening, a flip dark chill winter bastard though dry" (Il y avait moi, c’est Alex, et mes trois droogs, c’est-à-dire Pete, Georgie et Dim, Dim étant très faible, et nous nous sommes assis dans le Korova Milkbar pour préparer nos rassoodocks ce qu’il faut faire avec la soirée, un enfoiré d’hiver froid et sombre bien que sec.)  - "Clockwork Orange" , œuvre la plus célèbre d'Anthony Burgess, s'est imposée instantanément  en 1971 dans le monde entier grâce à l'adaptation cinématographique de Stanley Kubrick. Inspiré par un groupe de blousons noirs brutaux que Burgess avait rencontré à Saint-Pétersbourg, Alex, le narrateur effrayant de ce roman brutal et brillant, est un chef de gang amoureux de Beethoven dans une Grande-Bretagne dystopique dans un proche avenir.

La langue qu’il crache est un argot de rue fabriqué par l’auteur multilingue à partir d’un mélange d’éléments (vocabulaire russe et argot cockney) ainsi que des inventions antiques inspirées par tout le spectre de la littérature anglaise, du vers élisabéthain à la poésie Beat. Ce qu’Alex et sa compagnie feront de la soirée, c’est ce qu’ils font toujours : commettre des actes de violence au hasard. Qu’il s’agisse d’adolescentes ou d’une institutrice revenant de la bibliothèque, leurs victimes sont traitées avec un mépris vicieux et exubérant. La bravoure linguistique du livre et la rébellion sans bornes qui est décrite ne cachent pas longtemps l’enquête philosophique sur le bien et le mal au cœur de "A Clockwork Orange". Le tournant est le séjour en prison d’Alex, au cours duquel il se soumet à une thérapie d’aversion en échange d’une libération anticipée. Bien que cela ne dure pas, la modification comportementale est « réussie », ce qui rend Alex "non violent" — ce qui, précise Burgess, n’est pas exactement la même chose que "bon". Son retour à la forme brutale précède le point culminant inattendu et déconcertant, dans lequel une vision de relations humaines affectueuses tourne les pensées d’Alex vers la tendresse. Bien qu’il soit souvent comparé à "1984" et à "Brave New World", le livre de Burgess - en partie une vision, à la fois prémonitoire et exagérée, du traumatisme à venir de la culture des jeunes - comporte une couche supplémentaire de surréalisme et de menace ....  

 

Anthony Burgess a écrit mille mots par jour – journalisme, critiques, autobiographies, vers, nouvelles, romans - et il ne s’est jamais répété. Il a écrit de la science-fiction et un thriller, il a écrit "A Clockwork Orange" (1962), des romans sur Shakespeare, Christopher Marlowe et Beethoven, et beaucoup de romans humoristiques et ironiques. Son roman le plus ambitieux et l’œuvre dans laquelle il combine son talent comique, son sens de l’histoire et son flair pour une bonne histoire est "Earthly Powers". Il est raconté par un certain Kenneth Toomey, écrivain célèbre octogénaire, croisement entre Burgess lui-même, Somerset Maugham et Graham Greene, homme capable de produire la première phrase suivante : « It was the afternoon of my eighty-first birthday, and I was in bed with my catamite when Ali announced that the archbishop had come to see me. » L’archevêque veut parler de Carlo, le beau-frère de Toomey qui est devenu pape et pouvait faire des miracles. Au centre de ces plus de 600 pages, riche en digressions et en références historiques, religieuses, et philosophiques, se trouvent deux hommes du XXe siècle qui représentent différents types de pouvoir, Kenneth Toomey, éminent romancier, un homme qui a survécu à ses contemporains pour survivre dans une vieillesse honorée, amère et luxueuse en tant que célébrité de notoriété douteuse, et Don Carlo Campanati, un homme de Dieu, finalement bien-aimé Pape, qui se révèle un habile manipulateur pour devenir l’architecte de la révolution de l’église et un candidat pour la sainteté. À travers la vie de ces deux hommes modernes, Burgess explore l’essence même du pouvoir, explore la cruauté du siècle à travers les yeux décadents et fatigués du monde de Toomey. C’est un scénario saisissant, un livre exaltant et souvent mélodramatique qui joue avec les idées du bien et du mal, et combine des moments de l’histoire – l’Holocauste, la mort des disciples de Jim Jones, les changements dans l’Église catholique – avec des personnages forts et des moments de pur théâtre. Anthony Burgess était le pseudonyme de John Anthony Burgess Wilson. Il est né à Manchester d’une famille catholique et a vécu pendant de nombreuses années à Monaco. Il était aussi compositeur. En 1984, il a publié un livre dans lequel il énumère ses quatre-vingt-dix neuf romans préférés. On soupçonnait que c’était le centième. Il avait soixante-trois ans ...

 


Anthony Burgess (1917-1993)
Burgess, comme Graham Greene et  Evelyn Waugh, est un écrivain catholique anglais hanté par le péché originel et convaincu de la dépravation humaine : il y répond par une véritable comédie de la cruauté (A Clockwork Orange) dans laquelle les villes sont devenues informes, la langue infiltrée de mots argotiques et étrangers, et la culture vécue comme esthétique de la violence.
Né dans une famille catholique de la banlieue de Manchester, Burgess perd sa mère un an après et vit une enfance triste et pauvre avec un père pianiste mais alcoolique. Licencié en littérature, il entend devenir compositeur, est mobilisé de 1940 à 1946, et poursuit une carrière d'enseignant en Angleterre puis en Malaisie jusqu'en 1954.  Burgess vient tard à la carrière d'écrivain et c'est en 1949, qu'il écrit son premier roman, "A Vision of Battlements" (publié en 1965). De 1958 à 1961, il travaille au Sultanat de Brunei. C'est à son retour en Angleterre qu'il publie romans sur romans : "The Long Day Wanes" (Trilogie malaise, 1956-1959),  "A Clockwork Orange" (1962, Orange mécanique), "The Wanting Seed" (1962, La Folle Semence), Beard's Roman Women (1976, Rome sous la pluie), "Earthly Powers" (1980, Les Puissances des ténèbres), "The Kingdom of the Wicked" (1985, Le Royaume des mécréants). Pour des raisons fiscales, il quitte l'Angleterre en 1968 pour Malte, la France, les Etats-Unis, puis Monaco en 1984.


"Time for a Tiger", Anthony Burgess (1956)

L’Empire britannique se désintègre et les dirigeants coloniaux s’éclipsent. Premier livre de la trilogie d’Anthony Burgess sur la Malaisie d’après-guerre (The Long Day Wanes) au moment où les gens et les gouvernements sont perplexes ou éblouis par la tourmente de l’indépendance. Riche en humour et tranchant en observation, le protagoniste de l’œuvre est Victor Crabbe, un enseignant dans une école multiraciale. Suivront "The Enemy in the Blank", publié en 1957,  dans lequel Victor Crabbe devient directeur d’une école dans le sultanat imaginaire de Dahaga dans les années et les mois précédant l’indépendance malaisienne, puis en 1959 "Beds in the East". Avec cette "trilogie Malaisienne", Anthony Burgess reprend la tradtion d'une Greene et d'un Durrel... 


"The Doctor is Sick" (1960)

Un roman sous-estimé aux jeux de langage exubérants qui puise dans une expérience personnelle marquante de Burgess : en 1959, il fut hospitalisé à Londres après un malaise sérieux, durant lequel les médecins ont suspecté une tumeur au cerveau. Un diagnostic qui s’est avéré incorrect (une déshydratation alcoolique), mais cette hospitalisation a été l’un des événements déclencheurs de sa prolifique carrière. Se croyant atteint d'une maladie terminale, il se lança dans l’écriture frénétique de plusieurs romans pour garantir un héritage à sa famille. Comme son personnage Edwin Spindrift, Burgess fut plongé dans un monde médical kafkaïen, confronté à des médecins et des spécialistes incapables de lui donner des réponses claires. Cette période d’incertitude médicale et de frustration face aux structures hospitalières britanniques l’a inspiré pour le personnage de Spindrift, lui-même linguiste, perdu dans un environnement où il ne peut plus faire confiance ni aux mots ni aux diagnostics. Une satire intellectuelle emportée par des éléments autobiographiques et des réflexions sur la condition humaine, le tout avec l’humour mordant et l'érudition caractéristique de Burgess.

Le roman s'intéresse donc au Dr. Edwin Spindrift, un linguiste britannique hospitalisé après une crise neurologique, et qui se trouve bloqué dans un hôpital de Londres. Ce séjour devient pour lui une expérience surréaliste tant il fait face à des médecins incompétents, à des patients excentriques, et à une bureaucratie étouffante. L’ironie s'alimente au fait que Spindrift, linguiste de profession, perd temporairement sa capacité à comprendre et à utiliser les mots, ce qui l’amène à un point de rupture où sa perception de la réalité est distordue. Une perte qui interroge sur notre dépendance à la langue et la manière dont elle structure notre perception. Et nous ne savons pas à la fin du roman si Edwin Spindrift est vivant, en état de totale hallucination ou mort quelque part en enfer. Le fait qu’il rencontre M. Thanatos est un indice ...


"One Hand Clapping", Anthony Burgess (1961)

Une satire incisive de la société anglaise des années 1950 et 1960, abordant des thèmes tels que la superficialité de la culture de masse, le matérialisme et la perte de valeurs intellectuelles. L’intrigue met en scène un couple ordinaire, Howard et Janet Shirley, et tourne autour de leur désillusion face à la société moderne, ainsi que du cynisme de Burgess envers la culture de masse et l’aliénation de la société de consommation.

L’histoire est racontée du point de vue de Janet Shirley, une femme simple et naïve. Elle est mariée à Howard Shirley, un vendeur de voitures d’occasion, qui a un talent exceptionnel : une mémoire photographique parfaite. Howard, homme intelligent mais désabusé, déteste le vide intellectuel de la société anglaise et méprise la culture populaire qui l’entoure. Un jour, Howard décide d'utiliser son don pour participer à un jeu télévisé de questions-réponses. Grâce à sa mémoire, il gagne une somme d'argent conséquente, ce qui lui permet de réaliser un vieux rêve : voyager à travers le monde avec Janet. Cependant, plus ils gagnent de l'argent et voyagent, plus Howard devient cynique et perturbé par la superficialité de la culture moderne.

Howard développe des pensées de plus en plus radicales sur la société et finit par faire des choix extrêmes pour fuir ce qu'il perçoit comme un monde absurde et déshumanisé. La relation entre Howard et Janet devient de plus en plus tendue, jusqu'à ce que Howard prenne une décision choquante qui bouleverse l’intrigue et laisse Janet désorientée face à un monde qu'elle ne comprend plus.

La culture moderne, notamment la télévision, les jeux d’argent et la consommation effrénée, comme autant d'outils de manipulation sociale, une réalité contre laquelle va s'opposer Howard mais auquel s'abandonne Janet, mélange d’innocence et de résignation...

La critique de la culture de masse est omniprésente, « The world’s full of people who all think they’re bloody entitled to their piece of bloody heaven on earth just because they can buy it on the telly», oui le monde est rempli de gens qui pensent tous qu'ils ont droit à leur coin de paradis sur terre juste parce qu'ils peuvent l'acheter à la télévision...

 

(Chapter 10)

"... We got woken up the next morning by the telephone ringing, and when Howard answered it he found it was somebody from the Daily Window who was downstairs in the entrance hall and would be glad if Howard could spare a few minutes for an interview. I suppose what had happened was that the commissionaire or the girls at the reception desk or somebody had earned an honest bob, which was perhaps what they did regularly, by letting the Daily Window know when there were people of interest or fame or something staying at the hotel. Of course, it would never be the really big people at this hotel, they always staying at places where you pay fifty pounds daily or more for a suite, only the small people, like those who’d won the pools and the telly quizzes and so on. Howard was a bit tired and a bit confused, I suppose, for he said, very meek, ‘We’ll be right down.’ Actually, it was time we got up, for it was after ten, and we’d just slept like logs. It didn’t take Howard as long to dress as it did me, so when he was ready he said, ‘I’ll be downstairs in that big lounge and I’ll have coffee waiting for you.’ That was sweet of him, always considerate.

 

Le lendemain matin, nous avons été réveillés par la sonnerie du téléphone et lorsque Howard a répondu, il a trouvé quelqu’un du Daily Window qui se trouvait en bas dans le hall d’entrée et qui disait êtreheureux si Howard pouvait consacrer quelques minutes à une entrevue. Je suppose que ce qui s’est passé, c’est que le commissionnaire ou les filles à la réception ou quelqu’un d’autre avait gagné une honnête somme, ce qu’ils faisaient peut-être régulièrement, en faisant savoir au Daily Window quand il y avait des gens intéressants ou célèbres ou quelque chose comme ça séjournant à l’hôtel. Bien sûr, il n’y aurait jamais les gens vraiment célèbres dans cet hôtel, ils restent toujours à des endroits où vous payez cinquante livres par jour ou plus pour une suite, seulement les petites célébrités, comme ceux qui ont gagné des quiz télévisés et ainsi de suite. Howard était un peu fatigué et un peu confus, je suppose, car il a répondu, très docile, “Nous allons descendre.” En fait, il était temps de se lever, car il était dix heures déjà, et nous avions dormi comme des rondins. Il ne lui a pas fallu autant de temps pour s’habiller que moi, alors quand il était prêt, il a dit : « Je serai en bas dans ce grand salon et j’aurai un café pour toi. » C’est gentil de sa part, toujours attentionné.

 

My mouth felt awfully sour, and of course I had no toothbrush, but I rubbed some soap round my teeth and was nearly sick, then swilled my mouth round and felt awful. But I was a brave girl and I dressed and made up and combed my hair carefully, put my coat on my arm and got the lift down. I was the only one in the lift going down from our floor, and the liftman was a foreigner and smelt like it, all garlicky, and he kept looking at me with eyes of Great Admiration, he even moaned a bit and went tlick tlick with his tongue just before stopping at a floor lower down and letting a fat rich couple in. I could tell now that I had a bit of a headache.

I walked into the lounge and could see Howard arguing away with a young man in a raincoat, and there were two silverish pots on the table, coffee and hot milk, and I was very glad to see that. The two stood up when I came and then sat down again and Howard was going for this young chap hammer and tongs. He seemed a nice young chap with wavy black hair thinning at the temples and sort of haunted eyes. He had an unhealthy look, what I can only call a London look, very pale and wan and as though he lived on sausage rolls from a canteen. I poured out coffee and drank some and felt tons better.

 

Ma bouche était terriblement aigre, et bien sûr je n’avais pas de brosse à dents, mais j’ai frotté du savon autour de mes dents et j’étais presque malade, puis j’ai bougé ma bouche et je me suis senti horrible. Mais j’étais une fille courageuse et je me suis habillée, coiffée et peignée avec soin, mis mon manteau sur le bras et ai descendu l’ascenseur. J’étais la seule dans l’ascenseur qui descendait à notre étage, le liftier était un étranger et sentait comme ça, comme de l'ail, et à me regarder avec des yeux ronds, il gémissait même un peu et claquait de sa langue juste avant de s’arrêter à un étage plus bas et laisser un couple riche et gras monter dedans. Je pouvais dire maintenant que j’avais un peu de mal de tête.

Je suis entré dans le salon et j’ai vu Howard discuter avec un jeune homme en imperméable, et il y avait deux pots argentés sur la table, du café et du lait chaud, et j’étais très heureuse de voir cela. Les deux se sont levés dès qu'ils m'ont aperçue et puis ils se sont assis de nouveau et Howard allait pour ce jeune gars marteau et pinces. Il semblait être un gentil jeune homme avec des cheveux noirs ondulés qui s’éclaircissaient aux tempes et une sorte de regard hanté. Il avait un regard malsain, ce que je ne peux qu’appeler un regard de Londres, très pâle et pâle et comme s’il vivait sur des rouleaux de saucisses d’une cantine. J’ai versé du café et en ai bu et je me suis senti beaucoup mieux.

 

Howard was saying: ‘Our standards have gone all to hell, and it’s newspapers like yours that are responsible. Pandering, that’s all it is. Just appealing to the basest elements in all your readers.’ - ‘Including yourself,’said the young man. -‘Yes,’said Howard, ‘I read it. Have you any objection?’

The young man smiled. You could see that Howard was all confused this morning and was contradicting himself. ‘None at all,’said the young man. - ‘Only too pleased. Has it ever struck you that some people might buy it because they hate it? We don’t mind why they buy it. I mean, our job is to sell it.’

‘Debasement,’said Howard. ‘Of the Queen’s English, I mean. Full of “I guess” and “right now” and pandering to teenagers.’ - ‘Teenagers have money,’said the young man. ‘We give them what they want.’ - ‘How do they know what they want? How does anybody know?’said Howard. ‘If you just appeal to sex and easy sort of music and lyrics that’d make you want to puke and these kids clicking their fingers in a sort of stupid ecstasy, well then – What I mean is that you get so low it stands to reason you’ll be appealing to the majority, the majority being stupid for the most part and just like animals.’

 

Howard disait : « Nous n'avons plus rien à quoi nous raccrocher, et ce sont des journaux comme le vôtre qui en sont responsables. C'est tout simplement de la propagande. Vous faites appel aux éléments les plus bas de tous vos lecteurs. - Y compris vous-même, dit le jeune homme. - Oui, dit Howard, je l'ai lu. Avez-vous une objection ?

Le jeune homme sourit. On voyait bien que Howard était tout confus ce matin et qu'il se contredisait. Aucune, dit le jeune homme. - J'en suis très heureux. N'avez-vous jamais pensé que certaines personnes pourraient l'acheter parce qu'elles le détestent ? Nous ne nous soucions pas de la raison pour laquelle ils l'achètent. Je veux dire que notre travail consiste à le vendre. 

De l'avilissement, dit Howard. De l'anglais "royalement respecteux", je veux dire. Plein de « je suppose » et de « oui, tout à fait », et d'une complaisance sans borne pour les adolescents. - Les adolescents ont de l'argent, dit le jeune homme. Nous leur donnons ce qu'ils veulent. - Comment savent-ils ce qu'ils veulent ? Comment quelqu'un peut-il le savoir ? Si vous ne faites appel qu'au sexe, à la musique facile et à des paroles qui vous donneraient envie de vomir et à ces enfants qui claquent des doigts dans une sorte d'extase stupide, eh bien... Ce que je veux dire, c'est que vous tombez si bas qu'il est logique que vous fassiez appel à la majorité, la majorité étant stupide pour la plupart et du niveau le plus bestial».

 

‘This is a democracy,’said the young man. ‘Sort of, that is. People are entitled to have what they want. What would be better, do you think? Us educating them and telling them how to behave and what to think and all that, which is communist or fascist?’ - ‘I should have thought you’d have had a duty,’said Howard, in his very stubborn way. - ‘We have a duty,’said the young man, ‘and that is to give our readers what they want, that is to say what they pay for.’ - ‘It’s a lot of rubbish,’said Howard, mumbling. ‘I only wish to God I could make myself clear.’ - ‘You’ve made yourself clear,’said the young man. ‘Now, what I really want to know is what you’re going to do with the thousand pounds you’ve won.’

- ‘I’m going to try to turn it into a hundred thousand,’said Howard. ‘That’s what I’m going to try and do.’ - ‘Stock Exchange?’said the young man. - ‘No,’said Howard. ‘Horses.’ I didn’t say anything, nor did the young man. - ‘It’s the November Handicap on Saturday,’said Howard.

- ‘Have you some special system?’ asked the young man.

‘Well,’said Howard, ‘in a way. It’s a question of using my photographic memory, if you see what I mean.’

 

- Nous sommes une démocratie, dit le jeune homme. En quelque sorte. Les gens ont le droit d'avoir ce qu'ils veulent. Qu'est-ce qui serait mieux, à votre avis ? Que nous les éduquions et que nous leur disions comment se comporter, ce qu'il faut penser et tout le reste, ce qui est communiste ou fasciste ? - J'aurais pensé que vous pourriez vous référer à quelque devoir, dit Howard, insistant encore. - Nous avons une obligation, dit le jeune homme, c'est de donner à nos lecteurs ce qu'ils veulent, c'est-à-dire ce pour quoi ils paient. - C'est un tas de stupidités, dit Howard en marmonnant. J'aimerais seulement pouvoir me faire comprendre. - Mais vous avez été clair, dit le jeune homme. Maintenant, ce que je veux vraiment savoir, c'est ce que vous allez faire des mille livres que vous avez gagnées.

- Je vais essayer de les transformer en cent mille livres, dit Howard. C'est ce que je vais essayer de faire. - La bourse ? dit le jeune homme. - Non, dit Howard. - Des chevaux. - Je n'ai rien dit, et pas plus le jeune homme. - C'est le "Handicap de Novembre" samedi, dit Howard.

- Avez-vous un système spécial ? demande le jeune homme. - Eh bien, dit Howard, d'une certaine façon. Il s'agit d'utiliser ma mémoire photographique, si vous voyez ce que je veux dire. 

 

- ‘I don’t quite,’said the young man. So Howard explained about his brain being able to take photographs and the young man listened with some interest, I thought. The young man said: ‘I see. That explains a lot. I thought you were a student of literature. Somebody who loves books. I see now that you’re not. Just a knack, that’s all. A sort of trick. A kind of deformity, I suppose you could call it.’ 

It looked as though he was now ready to attack Howard, Howard already having attacked him, or rather his newspaper. I poured out more coffee and then the pots were empty, so I smiled towards a waiter and he came like a shot to get more coffee. The young man was writing in his notebook. 

Howard said: ‘I know, I know, I know,’ getting louder each time. ‘Don’t you think I feel sick of the whole business? I’m just part of the whole rotten stinking nastiness. And last night, when I was answering those questions and getting them all right, I sort of had this feeling of being looked at from the grave. All those men looking at me, sort of sadly, sort of in sadness and pity. With their beards and their old-time costumes.’ I nearly dropped my cup when Howard said that, because of course, as I mentioned, that sort of feeling came over me at the same time. That was telly-something (not television) I think you could call it, when two people are very close and can think the same thing at the same time. 

 

- Je ne sais pas trop, dit le jeune homme. Howard a donc expliqué que son cerveau était capable de prendre des photos et le jeune homme l'a écouté avec un certain intérêt. Le jeune homme a dit : « Je vois : Je vois. Cela explique beaucoup de choses. Je pensais que vous étiez un étudiant en littérature. Quelqu'un qui aime les livres. Je vois maintenant que ce n'est pas le cas. C'est juste un don, c'est tout. Une sorte d'astuce. Une sorte de déformation, je suppose qu'on peut l'appeler ainsi ». 

On aurait dit qu'il était prêt à malmener Howard, Howard l'ayant déjà asticoté, ou plutôt son journal. Je me suis resservi du café et comme les pots étaient vides, j'ai souri à un serveur qui est venu comme une flèche chercher du café. Le jeune homme écrivait dans son carnet. 

Howard dit : « Je sais, je sais, je sais », de plus en plus fort. Ne pensez-vous pas que j'en ai assez de toute cette affaire ? Je ne suis qu'un tout petit bout de toute cette horreur pourrie et puante. Et hier soir, quand j'ai répondu à ces questions et que je les ai toutes réussies, j'ai eu l'impression d'être regardé comme une bête curieuse. Tous ces hommes qui ne me quittaient pas des yeux, presque avec incrédulité, pitié et tristesse. Avec leurs barbes et leurs costumes d'antan ». J'ai failli laisser tomber ma tasse quand Howard a dit cela, parce que bien sûr, comme je l'ai mentionné, ce genre de sentiment m'a envahi au même moment. C'est ce qu'on appelle le "telly-something", je crois, quand deux personnes sont très proches et peuvent penser la même chose en même temps. 

 

- ‘Humiliation,’said Howard. ‘Humiliated at school when we had to do them, The Mill on the Floss and A Shorter Boswell and Henry IV Part I were our set books, and we drew dirty drawings all over them. And the teachers were no better than we were. And now humiliated by just being used to win a thousand pounds. And humiliated by you, too.’ That didn’t seem fair to me, for the young man had said nothing about these writers and poets. I noticed that he had a small blackhead over his lip, and perhaps he had nobody at home to see that he looked respectable before he came out in the morning.

 

- Humiliation », continuait Howard. Humilié à l'école quand nous devions les lire, "The Mill on the Floss" et "A Shorter Boswell" et "Henry IV partie I" étaient nos livres de référence, et que nous faisions des dessins cochons sur leurs pages. Et les professeurs n'étaient pas meilleurs que nous. Et maintenant, nous sommes humiliés parce qu'on nous a tout simplement utilisés en nous faisant  gagner mille livres. Et humiliés tout autant par vous aussi ». Cela ne me semblait pas juste, car le jeune homme n'avait rien dit au sujet de ces écrivains et poètes. J'ai remarqué qu'il avait un petit point noir sur la lèvre, et peut-être n'avait-il personne chez lui pour veiller à ce qu'il ait l'air respectable avant de sortir le matin.

Je lui ai donc demandé s'ilétait marié - « Non, madame », a-t-il répondu. Se tournat vers Howrd, il ajouta : « Si c'est ce que vous pensez, pourquoi ne donnez-vous pas l'argent ? Pourquoi ne pas le donner à un jeune poète affamé ou à quelqu'un d'autre ? - « Je n'en connais pas », dit Howard, devenu grognon. - 'J'en connais plusieurs', dit le jeune homme. - D'ailleurs, dit Howard, mon intention est de donner plus que de l'argent. Bien plus que de l'argent. Je vais arranger les choses pour tout le monde. Il suffit d'attendre et de voir. (I’ll put things right for everybody. You just wait and see). 

Le jeune homme partit bientôt, disant qu'il devait se rendre à l'aéroport de Londres pour rencontrer quelqu'un qui venait d'arriver, et Howard me dit alors : « Nous ferions mieux de retourner à Bradcaster. Demain, c'est le November Handicap et il y a beaucoup à faire. Je n'ai rien dit à ce sujet, car Howard faisait toujours ce qu'il voulait, mais j'ai dit que j'avais faim. Howard a donc téléphoné à la gare et a découvert qu'il y avait un train à une heure et demie, puis nous sommes allés manger une sorte de grillade mixte, qui ferait à la fois office de petit-déjeuner et de déjeuner. J'ai mangé de bon appétit, mais Howard n'a pas mangé grand-chose. Il était plongé dans ses pensées, le pauvre Howard, et je l'ai laissé faire. Mais j'ai réussi à manger mon propre repas, qui consistait en un peu de steak et deux saucisses, un œuf au plat, des tomates et des pommes de terre frites, et j'ai aussi mangé une saucisse de Howard...."

 

Voici donc Howard Shirley, gagnant une somme d’argent conséquente lors d'un jeu télévisé et grâce, non pas à sa culture, - il n'en est jamais question ni dans le jeu,  ni pour ses organisateurs ou ses concurrents -, mais à ses talents de mémoire (et de prédiction dans le domaine des paris). Burgess utilise le point de vue de Janet, la femme de Howard, pour laisser s'exprimer progressivement un sentiment de vide ("existentiel") qui accompagne leur si soudaine richesse. Et le désarroi de Janet face à la transformation de Howard n'ira que grandissant : « Howard had always been strange, but now he was something else, something darker. He looked at the world and saw nothing worth saving», Howard avait toujours été plus ou moins étrange, mais il était maintenant quelque chose d’autre, plus sombre, et semblait regarder le monde comme si tout était perdu et que rien ne valait plus la peine d’être sauvé. Pourquoi l’argent ne comble-t-il pas le vide existentiel ressenti par ses personnages, pourquoi, l'excitation passée, iront-ils, au moins l'un d'entre eux, jusqu'à perdre peu à peu toute capacité à éprouver le moindre plaisir ou la plus petite satisfaction. « Money was supposed to buy happiness, wasn’t it? But here we were, richer than ever and emptier than ever?» - C'est que, plutôt que d'apporter ce qu'on appelle communément le "bonheur", cet argent met subitement en lumière toutes les fissures de leur relation et le manque de sens total de leur vie qui rien ne semble en fin de compte pouvoir combler. Un sentiment de vide qui va s’intensifier jusqu’au dénouement, où la richesse accumulée et le matérialisme sont présentés comme incapables de combler les besoins émotionnels et existentiels des personnages, quoiqu'on dise ...

 

Dans les derniers chapitres, Burgess nous montre Howard tentant de verbaliser le plus clairement possible son malaise et son cynisme envers la société de consommation, - ce n'est pas lui qu'il remet en question, et à quoi bon, mais le monde qui l'entoure -. Il en viendra comme naturellement à des conclusions particulièrement sombres sur la nature humaine et la futilité du matérialisme : l'accumulation de biens et d'argent n'a rien résolu et ne résoudra rien de ses angoisses existentielles. On peut alors effectivement dénoncer ce grand mensonge de la société de consommation, qui promet le bonheur par la richesse matérielle, sachant déjà que celle-ci échouera, de toute manière, à combler les besoins humains plus profonds.

Dans le chapitre 12 (One Hand Clapping), le couple Howard et Janet Shirley commence à ressentir les effets sombres de leur richesse soudaine. Après avoir accumulé une fortune grâce aux talents de mémoire et de prédiction de Howard, leur vie ne s’est pas améliorée en termes de bonheur ou de satisfaction. Ce chapitre marque un tournant dans le récit où l'on observe la désillusion grandissante de Howard vis-à-vis de la société et de la nature humaine.

C'est au chapitre 12 que le fossé se creuse entre Howard et Janet, et s'amplifie au chapitre 14, un Howard gagné par un cynisme exacerbé tandis que Janet, bien qu’elle partage certaines de ses inquiétudes, n'est pas prête cette vision du monde complètement désabusée. Un chapitre dans lequel s'exprime toute la critique acerbe de Burgess envers le matérialisme et la déshumanisation de la société de consommation : "les gens sont des machines" ("People are machines, Janet"),  les gens ne font, au fond que fonctionner de manière prévisible et sans véritable autonomie, guidés par des instincts consuméristes et des habitudes imposées par la société moderne. La richesse agit comme le révélateur qui met à nu, au plus profond de chacun d'entre nous, une totale superficialité; et que l'on dissimule aussitôt dans cette véritable automatisation des comportements humains que nous mettons en oeuvre sans plus véritablement y penser. Janet va, quant à elle, ressentir un malaise croissant vis-à-vis des changements de comportement de son mari, et cette distance émotionnelle entre eux annonce la suite tragique de leur histoire ...

On ne peut omettre la présence dans" One Hand Clapping", d'un personnage excentrique et quelque peu mystérieux qui va jouer un rôle clé dans l’intrigue, Redvers Glass. Il est critique littéraire et journaliste, et apparaît dans l’histoire comme une figure qui partage une certaine philosophie cynique et détachée du monde, bien qu’il soit aussi souvent ironique et provocateur. Redvers est le présentateur du quiz télévisé auquel participe Howard Shirley, et il va devenir le catalyseur de la réussite de Howard dans l’émission et de sa fortune soudaine. Son personnage incarne une vision satirique de l’intellectuel moderne, car il est à la fois intellectuel et manipulateur, utilisant son intelligence pour ridiculiser les autres et pour analyser froidement la société et ses travers. Sa personnalité cynique résonne avec celle de Howard, qui, après sa rencontre avec Redvers, adopte une vision encore plus sombre et nihiliste de la vie. Dans l’univers de Burgess, Redvers Glass symbolise en quelque sorte la façade sophistiquée et intellectuelle de la culture populaire qui, sous des apparences cultivées, cache un profond mépris pour l’authenticité humaine et la véritable quête de sens ...

 

( Chapter 14)

"It was quite a bit of a job getting rid of this Redvers Glass, though it was more Howard wanting to get rid of him than me. I’d often heard about poets, though not much at school, and it was a really new experience for me to have one there in our living-room. He was not very well-dressed, as I’ve already said, but you could see he had something about him, especially when he talked, and he had a nice voice, all fruity. He kept on talking and telling us how he’d been at Oxford with this Reeves man of the Daily Window and how Reeves had been poor in those days and Redvers Glass’s family had been very rich, though now they had thrown him out or something for being a poet and not wanting to go into the family business or something. Anyway, at Oxford College or University or whatever it’s called, Redvers Glass had helped Albert Reeves with money and Reeves had never been able to pay him back but had always sworn that he would some day and here he’d done it, in a way.

 

"Ça a été un peu de travail de se débarrasser de ce Redvers Glass, même si c’était plus Howard qui voulait se débarrasser de lui que moi. J’avais souvent entendu parler de poètes, même si ce n’était pas très courant à l’école, et c’était une expérience vraiment nouvelle pour moi d’en avoir un dans notre salon. Il n’était pas très bien habillé, comme je l’ai déjà dit, mais on pouvait voir qu’il avait quelque chose en lui, surtout quand il parlait, et il avait une belle voix, toute fruitée. Il a continué à nous parler et nous dire comment il avait été à Oxford avec cet homme Reeves du Daily Window et comment Reeves avait été pauvre à cette époque et la famille de Redvers Glass avait été très riche, Maintenant, ils l’avaient mis à la porte pour avoir été poète et ne pas vouloir s’engager dans les affaires de famille. Quoi qu’il en soit, au collège d’Oxford ou à l’université, peu importe le nom que vous lui donnez, Redvers Glass avait aidé Albert Reeves avec de l’argent et Reeves n’avait jamais été capable de le rembourser mais il avait toujours juré qu’il allait le faire un jour et ici, il l’avait fait, d’une certaine façon.

 

(...)

Anthony Burgess, chapitre 18, évoque New York , parfaite illustration pour lui des dangers du matérialisme et de la société de consommation, dans laquelle les individus sont piégés dans un cycle sans fin de désir et d'insatisfaction ...

"...Now we’ve all seen America on the films and on television, but there’s one thing you can’t get, and that’s the smell. It was a different sort of smell from London. There was a very icy sharp smell in the air and also there was less of a smell of people being dead, somehow. I can’t say exactly what I mean, but when you’re in any English town you can’t help feeling that millions of people are dead and gone there, all through the ages, and their sort of ghosts are floating about and making the place seem a bit depressing and heavy somehow, but here in New York you didn’t have that same feeling. Another thing about the difference between films and the real thing is the people themselves. I saw one man on the street clear his throat in a very loud repulsive way, and you don’t see that on the films. But the way the people speak is pretty much what you’d expect, though all the people in New York, taxi-drivers and people in shops and so on, are far more familiar than I expected, never saying sir, but always bud and mac and so on ... "

 

L'employé dans une boutique de voitures d'occasion Howard Shirley en viendra tant à se persuader que le seul moyen de ne pas être consumé par le vide de la société est de quitter ce monde, qu'il poussera Janet à l’aider à se suicider : elle le tuera donc à sa demande et dépensera leur fortune au profit de causes les plus diverses, mais restera hantée par cette fin déséspérée et les motivations qui l'y ont conduites ...

 

"The best first thing to do, when you’ve got a dead body and it’s your husband’s on the kitchen floor and you don’t know what to do about it, is to make yourself a good strong cup of tea. So I put the kettle on and got the teathings down from the shelf, having to step round Howard to do it. I made myself a really strong pot of tea and I opened a tin of evaporated milk to have with it, more like cream than milk. I don’t know why I wanted that instead of milk, normally we just had it with tinned fruit salad, but I felt that I deserved a special cup of tea somehow. Then I sat down in the living-room, sipping this tea and wondering what was best to do. I should really get dressed and go for the police, but was daft again and saw this sort of picture of the police in the

station with the wireless on listening for the football results and checking their coupons and I saw their faces when the telephone rang or I just walked in saying it was urgent. They wouldn’t be pleased at all. Then I thought perhaps I’d better get through to London, Scotland Yard, Whitehall 1212, this being more their line, a dead body in the kitchen, and they were sure not to be checking their coupons. And then I thought that I needed help and somebody to talk this over with, because I could be in a very funny position, I saw that.

 

« La meilleure chose à faire, quand on a un cadavre et que son mari est sur le sol de la cuisine et qu'on ne sait pas quoi faire, c'est de se préparer une bonne tasse de thé bien fort. J'ai donc fait chauffer la bouilloire et j'ai descendu les théières de l'étagère, ce qui m'a obligée à contourner Howard. Je me suis fait une tasse de thé très fort et j'ai ouvert une boîte de lait évaporé pour l'accompagner, qui ressemble plus à de la crème qu'à du lait. Je ne sais pas pourquoi j'ai voulu cela au lieu du lait, normalement nous le prenions avec la salade de fruits en boîte, mais j'ai senti que je méritais une tasse de thé spéciale d'une manière ou d'une autre. Je me suis assise dans le salon, en sirotant ce thé et en me demandant ce qu'il y avait de mieux à faire. Je devais vraiment m'habiller et aller chercher la police, mais j'ai encore été stupide et j'ai vu cette sorte d'image de la police au poste, avec la radio allumée, écoutant les résultats du football et vérifiant leurs coupons, et j'ai vu leurs visages lorsque le téléphone sonnait ou que j'entrais simplement en disant que c'était urgent. Ils ne seraient pas du tout contents. Je me suis alors dit que je ferais peut-être mieux d'appeler Londres, Scotland Yard, Whitehall 1212, car c'était plus leur ligne, un cadavre dans la cuisine, et ils étaient sûrs de ne pas être en train de vérifier leurs coupons. J'ai alors pensé que j'avais besoin d'aide et de quelqu'un avec qui en parler, car je risquais de me retrouver dans une situation très drôle, je l'ai vu.

 

The thought of this very funny position made my legs go very weak. I only just saw this very funny position now for the first time as I was pouring myself a second cup and I made the cup rattle against the saucer. Murder. Murder. Murder. But he’d been going to murder me and it was only selfdefence what I’d done. You only murder your husband when you hate him and I loved Howard, everybody knew that. Or you murder him when you want his money for yourself or else you want to go off with another man. And none of that was true about me. And then I felt really sick when I remembered about Red, Redvers Glass, and me going off in my mink that time to see him in the hotel and saying I was his sister, and that bitch behind the desk having a

good long look at my mink and remembering it. Oh dear oh dear oh dear. And yet it was Red who could help me if anybody could. But where would he be now? Would he be in that hotel? He might even be back in London. The police station would know his address perhaps, but it seemed a bit queer going to the police station to ask for that and saying nothing about me having killed Howard and him lying there on the kitchen floor.

 

L'idée de cette situation des plus marrantes m'a fait perdre mes jambes. Je viens de me rendre compte de cette situation totalement loufoque pour la première fois alors que je me versais une deuxième tasse et que je faisais tinter la tasse contre la soucoupe. Meurtre. Meurtre. Meurtre. Mais il allait me tuer et je n'ai fait que me défendre. On ne tue son mari que lorsqu'on le déteste et j'aimais Howard, tout le monde le savait. Ou bien on le tue quand on veut son argent pour soi ou bien quand on veut partir avec un autre homme. Et rien de tout cela n'était vrai en ce qui me concerne. Et puis je me suis sentie vraiment mal quand je me suis souvenue de Red, Redvers Glass, et du fait que j'étais allée avec mon vison le voir à l'hôtel et que j'avais dit que j'étais sa sœur, et que cette salope derrière le bureau avait bien regardé mon vison et s'en souvenait. Oh, mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu. Et pourtant, c'était Red qui pouvait m'aider, si quelqu'un pouvait le faire. Mais où serait-il maintenant ? Serait-il dans cet hôtel ? Il pourrait même être de retour à Londres. Le poste de police connaîtrait peut-être son adresse, mais il me semblait un peu bizarre d'aller au poste de police pour demander cela et de ne rien dire sur le fait que j'avais tué Howard et qu'il gisait là, sur le sol de la cuisine....."

 

"One Hand Clapping" (1961), ne connut aucune adaptation cinématographique, ce qui peut ne pas surprendre lorsque l'on sait que Burgess, particulièrement connu pour sa passion du langage, s'était astreint dans ce roman à ne pas dépasser un vocabulaire de plus de 800 mots, un choix qui devait refléter l'éducation relativement limitée de sa narratrice, Janet Shirley, renforcer le portrait satirique de la culture de consommation britannique des années 1960 et, s'attaquer avec virulence à certains grands symboles de la culture télévisuelle de masse alors en pleine expansion, on pense à Hughie Green dont, par exemple, l'émission "Opportunity Knocks" mettait en scènes des personnes les plus ordinaires venant démontrer leurs talents dans des domaines divers devant un public venu les soutenir avec un enthousiasme débordant ...

 

" ... I’ve finished writing my story now, and that’s my story, and whether you believe it or not is your business and not mine. Some people have been saying unkind things about Red and me, about murder and robbery and so on, I don’t know where the stories started, perhaps even in the Hastings Road Supermarket, the world being a small place nowadays, but the story I’ve told you is the story I stick to. And my final words are to those who worry about the modern world and about life and so on. They’re not my words really but Pop’s words (my father, that is) and they’re not so much his words as words he was always quoting from a corporal who said them to him during the Second World War. This corporal was giving them a lesson on the rifle or something, and somebody said, ‘How long do you think this war’s going to last, Corporal?’ And the corporal said, ‘What does it matter how long it lasts so long as there’s still plenty of beer and fags?’ Well, I don’t go much for either of those two things, but I see his point. And Howard, by the way, when he was doing his national service, was said by everybody not to be much of a soldier. Let me like a soldier fall. That’s just what he didn’t say, did he? Poor silly Howard."

 

... J'ai fini d'écrire mon histoire, et c'est mon histoire, et que vous la croyiez ou non, c'est votre affaire et non la mienne. Je ne sais pas où ces histoires ont commencé, peut-être même au supermarché de Hastings Road, car le monde est petit de nos jours, mais l'histoire que je vous ai racontée est celle à laquelle je m'en tiens. Mes derniers mots s'adressent à ceux qui s'inquiètent du monde moderne, de la vie, etc. Ce ne sont pas vraiment mes mots, mais ceux de papa (mon père, donc), et ce ne sont pas tant ses mots que ceux qu'il citait toujours d'un caporal qui les lui avait dits pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce caporal leur donnait une leçon sur le fusil ou quelque chose comme ça, et quelqu'un a dit : « Combien de temps pensez-vous que cette guerre va durer, caporal ? » Et le caporal a répondu : « Quelle est la durée de la guerre ? Le caporal a répondu : « Qu'importe la durée de la guerre tant qu'il y a de la bière et des clopes en abondance ». Je n'aime ni l'une ni l'autre de ces deux choses, mais je vois ce qu'il veut dire. Et Howard, d'ailleurs, lorsqu'il faisait son service national, tout le monde disait qu'il n'était pas un grand soldat. Laissez-moi tomber comme un soldat. C'est justement ce qu'il n'a pas dit, n'est-ce pas ? Pauvre Howard."


"The Wanting Seed" (1962, La Folle Semence)

On dit ce roman dystopique l'un des romans les plus sombres et provocateurs d'Anthony Burgess, et il y explore les thèmes de la surpopulation, de la répression sociale, et du cycle infini de l’histoire humaine entre autoritarisme et libéralisme. L'auteur imagine que l’histoire humaine alterne inévitablement entre des phases “pelagiennes” (de libéralisme moral et de permissivité) et “augustiniennes” (de répression morale et de discipline). La société dépeinte ici passe donc d’une permissivité débridée à une répression brutale, ce qui finit par conduire à une militarisation extrême et même au cannibalisme institutionnalisé, le gouvernement utilisant les morts pour nourrir la population. ..

L’intrigue chemine donc dans un monde futur où la surpopulation a conduit à une pénurie extrême de ressources. Pour lutter contre cette crise, le gouvernement impose des mesures strictes de contrôle de la natalité et favorise l'homosexualité pour réduire les naissances, tout en stigmatisant les relations hétérosexuelles. Le protagoniste, Tristram Foxe, est un enseignant d’histoire malheureux, coincé dans un mariage en crise avec sa femme Beatrice-Joanna. Celle-ci, frustrée par les restrictions gouvernementales, finit par avoir une liaison avec le frère de Tristram, Derek, et tombe enceinte, un acte d’une rébellion bien dangereuse dans cette société.

Que retenir, si ce n'est  que les tentatives d’ingénierie sociale (qui n'ont guère cessé depuis), même lorsqu'elles sont bien intentionnées, mènent souvent à des absurdités ou à des extrêmes totalitaires. En promouvant l'homosexualité pour contrôler la population, le gouvernement semble plus intéressé à la manipulation des comportements qu'au respect des libertés individuelles. Hypocrisie donc permanente des détenteurs du pouvoir et vision pessimiste de la nature et du progrès qu'on lui prête : chaque avancée libérale semble appeler une réaction autoritaire, et vice versa, enfermant l'humanité dans un cycle sans fin de crise et de répression. Cette structure cyclique donne au roman une profondeur inhabituelle pour une dystopie, car elle suggère que les sociétés sont incapables d’évoluer linéairement vers un idéal de progrès, le tout dominé par l'humour noir et corrosif d'un auteur qui ne recule pas devant parfois les scènes grotesques  : des scènes qui, malgré leur exagération, capturent parfaitement les absurdités de certaines utopies modernes (trad. Robert Laffont) ...

Ainsi, outre la promotion de l'homosexualité par l'État; la relation entre Beatrice-Joanna, l'épouse de Tristram, et Derek, son frère; la métamorphose de la société en une phase autoritaire appelée “augustinienne” (selon le cycle historique pelagien-augustinien imaginé par Burgess),  phase d’extrême répression, avec ses slogans et ses interdictions absurdes, qui rappelle les régimes totalitaires de l’histoire réelle et fait partie des critiques de Burgess envers les cycles oppressifs qui se répètent dans l’histoire humaine ; l'évolution d'un Etat qui bascule dans un cannibalisme institutionnalisé pour nourrir la population, métaphore puissante du sacrifice de l’humanité et de la morale dans un système gouverné par le pragmatisme absolu; et la confrontation finale de Tristram, devenu à moitié fou et désillusionné, avec l’absurdité du système, autant de scènes qui tendent à montrer que l’histoire humaine est condamnée à répéter les mêmes erreurs, balançant sans fin, sans raison particulière et fortes idées, entre permissivité et répression....


"A Clockwork Orange" (1962, Orange mécanique)

Le livre a été initialement publié aux États-Unis sans le dernier chapitre de la version britannique, qui détaille le revirement d’Alex; les éditions les plus récentes contiennent le texte original complet de Burgess. 

Chacune des trois parties du roman débute par une énigmatique question posée par le personnage principal, Alex : "What's it going to be, then, eh?" (Qu'est-ce qu'on va faire maintenant, hein?"...

Dans une Angleterre qui est devenue une vaste banlieue aux contours indéfinis, où la dégénérescence a atteint tant la culture que la langue (le roman compte une langue parfois argotique, anglais, américain, russe), Alex, d'une intelligence supérieure, passionné de musique classique et chef d'une bande de voyous, arpente la nuit pour satisfaire ses pulsions les plus sadiques. Après des viols de jeunes filles et de l'épouse d'un célèbre écrivain, rapportés avec un lyrisme jubilatoire et semblant justifié comme un acte de liberté spirituelle dans un monde programmé pour le progrès social et le bonheur, Alex est arrêté et condamné à quatorze ans de prison. Pour bénéficier d'une libération anticipée, il accepte de participer à un programme de réhabilitation basée sur l'aversion : sur une musique de Beethoven, il doit regarder des scènes de violence et ingurgiter une drogue qui lui donne la nausée. Considéré comme guéri, il se retrouve confronté à ses anciennes victimes, sans défense. Incapable de se défendre, il est battu et laissé pour mort dans un champ jusqu'à ce que l'homme qu'il avait roué de coups au début du roman vienne à son secours. À la suite d'une tentative de suicide, les psychologues du gouvernement inversent le traitement Ludovico. Alex retrouve un moment la violence mais, à la fin du livre, il paraît avoir décidé de se maitriser. Le dernier chapitre a été supprimé de l'édition américaine - contre la volonté de l'auteur - parce qu'il a été jugé trop sentimental....

 

 (I, Chapter 1) - "‘What’s it going to be then, eh?’

There was me, that is Alex, and my three droogs, that is Pete, Georgie, and Dim, Dim being really dim, and we sat in the Korova Milkbar making up our rassoodocks what to do with the evening, a flip dark chill winter bastard though dry. The Korova Milkbar was a milk-plus mesto, and you may, O my brothers, have forgotten what these mestos were like, things changing so skorry these days and everybody very quick to forget, newspapers not being much read neither. Well, what they sold there was milk plus something else.

They had no licence for selling liquor, but there was no law yet against prodding some of the new veshches which they used to put into the old moloko, so you could peet it with vellocet or synthemesc or drencrom or one or two other veshches which would give you a nice quiet horrorshow fifteen minutes admiring Bog And All His Holy Angels And Saints in your left shoe with lights bursting all over your mozg. Or you could peet milk with knives in it, as we used to say, and this would sharpen you up and make you ready for a bit of dirty twenty-to-one, and that was what we were peeting this evening I’m starting off the story with.

Our pockets were full of deng, so there was no real need from the point of view of crasting any more pretty polly to tolchock some old veck in an alley and viddy him swim in his blood while we counted the takings and divided by four, nor to do the ultra-violent on some shivering starry grey-haired ptitsa in a shop and go smecking off with the till’s guts. But, as they say, money isn’t everything.

 

Il y avait moi, c'est-à-dire Alex, et mes trois droogs, c'est-à-dire Pete, Georgie et Dim, Dim étant vraiment dim, et nous étions assis au Korova Milkbar pour décider de ce que nous allions faire de la soirée, une soirée d'hiver sombre et froide, bien que sèche. Le Korova Milkbar était un mesto de lait et vous avez peut-être oublié, ô mes frères, à quoi ressemblaient ces mestos, les choses changeant si rapidement de nos jours et tout le monde oubliant très vite, les journaux n'étant pas non plus très lus. Eh bien, ce qu'on y vendait, c'était du lait et quelque chose d'autre.

Ils n'avaient pas de licence pour vendre de l'alcool, mais il n'y avait pas encore de loi contre l'utilisation de certains des nouveaux médicaments qu'ils avaient l'habitude de mettre dans le vieux moloko, alors vous pouviez le boire avec du vellocet ou du synthemesc ou du drencrom ou un ou deux autres médicaments qui vous donnaient un bon quart d'heure d'horreur tranquille en admirant Bog et tous ses saints et anges dans votre chaussure gauche avec des lumières qui éclataient partout dans votre mozg. Ou bien vous pouviez boire du lait avec des couteaux dedans, comme nous avions l'habitude de dire, et cela vous aiguisait et vous rendait prêt pour un peu de sale vingt-et-un, et c'est ce que nous étions en train de boire ce soir avec lequel j'ai commencé l'histoire.

 

Nos poches étaient pleines de deng, il n'était donc pas vraiment nécessaire, du point de vue de l'écrasement d'une jolie polly, d'assommer un vieux veck dans une ruelle et de le regarder nager dans son sang pendant que nous comptions les recettes et les divisions par quatre, ni de faire l'ultra-violent sur une ptitsa aux cheveux gris tremblants et étoilés dans un magasin et de s'en aller avec les tripes de la caisse. Mais, comme on dit, l'argent ne fait pas tout.

 

The four of us were dressed in the heighth of fashion, which in those days was a pair of black very tight tights with the old jelly mould, as we called it, fitting on the crutch underneath the tights, this being to protect and also a sort of a design you could viddy clear enough in a certain light, so that I had one in the shape of a spider, Pete had a rooker (a hand, that is), Georgie had a very fancy one of a flower, and poor old Dim had a very hound-and-horny one of a clown’s litso (face, that is), Dim not ever having much of an idea of things  and being, beyond all shadow of a doubting thomas, the dimmest of we four.

Then we wore waisty jackets without lapels but with these very big built-up shoulders (‘pletchoes’ we called them) which were a kind of mockery of having real shoulders like that. Then, my brothers, we had these off-white cravats which looked like whipped-up kartoffel or spud with a sort of a design made on it with a fork. We wore our hair not too long and we had flip horrorshow boots for kicking.

 

‘What’s it going to be then, eh?’

There were three devotchkas sitting at the counter all together, but there were four of us malchicks and it was usually like one for all and all for one. 

These sharps were dressed in the heighth of fashion too, with purple and green and orange wigs on their gullivers, each one not costing less than three or four weeks of those sharps’ wages, I should reckon, and make-up to match (rainbows round the glazzies, that is, and the rot painted very wide). Then they had long black very straight dresses, and on the groody part of them they had little badges of like silver with different malchicks’ names on them – Joe and Mike and suchlike. These were supposed to be the names of the different malchicks they’d spatted with before they were fourteen. They kept looking our way and I nearly felt like saying the three of us (out of the corner of my rot, that is) should go off for a bit of pol and leave poor old Dim behind, because it would be just a matter of kupetting Dim a demi-litre of white but this time with a dollop of synthemesc in it, but that wouldn’t really have been playing like the game. Dim was very very ugly and like his name, but he was a horrorshow filthy fighter and very handy with the boot.

 

Ces types étaient aussi habillés à la mode, avec des perruques violettes, vertes et orange sur leurs gullivers, chacune ne coûtant pas moins de trois ou quatre semaines de salaire de ces types, je pense, et un maquillage assorti (des arcs-en-ciel autour des glaces, c'est-à-dire, et la pourriture peinte très largement). Elles portaient ensuite de longues robes noires très droites et, sur la partie la plus large, de petits badges en argent portant les noms de différents malchicks - Joe, Mike, etc. C'était censé être les noms des différents malchicks avec lesquels elles avaient craché avant d'avoir quatorze ans. Ils n'arrêtaient pas de nous regarder et j'avais presque envie de dire que nous devrions tous les trois (du coin de l'œil, bien sûr) aller faire un tour et laisser ce pauvre vieux Dim derrière nous, parce qu'il ne s'agirait que de lui offrir un demi-litre de blanc, mais cette fois avec une cuillerée de synthémesc, mais cela n'aurait pas vraiment été jouer le jeu. Dim était très très laid et comme son nom, mais c'était un combattant horriblement sale et très habile avec la botte.

 

‘What’s it going to be then, eh?’

The chelloveck sitting next to me, there being this long big plushy seat that ran round three walls, was well away with his glazzies glazed and sort of burbling slovos like ‘Aristotle wishy washy works outing cyclamen get forficulate smartish.’ He was in the land all right, well away, in orbit, and I knew what it was like, having tried it like everybody else had done, but at this time I’d got to thinking it was a cowardly sort of a veshch, O my brothers. You’d lay there after you’d drunk the old moloko and then you got the messel that everything all round you was sort of in the past. You could viddy it all right, all of it, very clear – tables, the stereo, the lights, the sharps and the malchicks – but it was like some veshch that used to be there but was not there not no more. And you were sort of hypnotised by your boot or shoe or a finger-nail as it might be, and at the same time you were sort of picked up by  the old scruff and shook like it might be a cat. You got shook and shook till there was nothing left. You lost your name and your body and your self and you just didn’t care, and you waited till your boot or your finger-nail got yellow, then yellower and yellower all the time. Then the lights started cracking like atomics and the boot or finger-nail or, as it might be, a bit of dirt on your trouser-bottom turned into a big big big mesto, bigger than the whole world, and you were just going to get introduced to old Bog or God when it was all over. You came back to here and now whimpering sort of, with your rot all squaring up for a boohoohoo. Now, that’s very nice but very cowardly.

You were not put on this earth just to get in touch with God. That sort of thing could sap all the strength and the goodness out of a chelloveck.

 

Le chelloveck assis à côté de moi, sur ce long et grand siège en peluche qui faisait le tour des trois murs, était bien loin, avec ses glaces et des slovos comme « Aristote, qui travaille à l'extérieur, cyclamen, qui se fortifie, qui est intelligent ». Il était dans le pays, bien loin, en orbite, et je savais ce que c'était, ayant essayé comme tout le monde l'avait fait, mais à ce moment-là, j'en étais venu à penser que c'était une sorte de veshch lâche, ô mes frères. On s'allongeait là après avoir bu le vieux moloko et on avait l'impression que tout ce qui nous entourait appartenait en quelque sorte au passé. Vous pouviez tout voir, tout, très clairement - les tables, la stéréo, les lumières, les aiguilles et les malchicks - mais c'était comme un veshch qui était là avant mais qui n'était plus là. On était en quelque sorte hypnotisé par sa botte, sa chaussure ou l'ongle de son doigt, et en même temps, on était en quelque sorte pris par la vieille carapace et secoué comme s'il s'agissait d'un chat. Vous avez été secoué et secoué jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. On a perdu son nom, son corps et son moi, et on s'en est fichu, et on a attendu que sa botte ou son ongle jaunisse, puis qu'il devienne de plus en plus jaune. Puis les lumières se sont mises à craquer comme des atomes et la botte ou l'ongle du doigt ou, selon le cas, un peu de terre sur le bas de votre pantalon s'est transformé en un énorme mesto, plus grand que le monde entier, et vous alliez juste être présenté à la vieille tourbe ou à Dieu quand tout serait fini. Vous êtes revenu ici et maintenant en gémissant, en quelque sorte, avec votre pourriture en place pour un boohoohoo. C'est très gentil, mais très lâche. Vous n'avez pas été mis sur cette terre pour entrer en 

 

‘What’s it going to be then, eh?’

The stereo was on and you got the idea that the singer’s goloss was moving from one part of the bar to another, flying up to the ceiling and then swooping down again and whizzing from wall to wall. It was Berti Laski rasping a real starry oldie called ‘You Blister My Paint.’ One of the three ptitsas at the counter, the one with the green wig, kept pushing her belly out and pulling it in in time to what they called the music. I could feel the knives in the old moloko starting to prick, and now I was ready for a bit of twenty-to-one. So I yelped, ‘Out out out out!’ like a doggie, and then I cracked this veck who was sitting next to me and well away and burbling a horrorshow crack on the ooko or earhole, but he didn’t feel it and went on with his ‘Telephonic hardware and when the farfarculule gets rubadubdub.’ He’d feel it all right when he came to, out of the land.

‘Where out?’ said Georgie.

‘Oh, just to keep walking,’ I said, ‘and viddy what turns up, O my little brothers.’..." 


A Clockwork Orange (1962) d’Anthony Burgess est donc bien un roman culte qui explore la violence, le libre arbitre et la condition humaine dans une société futuriste. Alex, un jeune délinquant ultra-violent, évolue dans un monde dystopique où répression gouvernementale et contrôle social assurent une domination sans partage. Connu pour son langage inventé, le "nadsat", et pour son exploration de thèmes philosophiques, le roman se veut / est une satire puissante s'interrogeant sur la liberté individuelle, la morale au nom de laquelle on agit et réprime, et le rôle de l’État dans la fameuse "réhabilitation" des individus dits déviants ...

Le roman est divisé en trois parties, retraçant le parcours d'Alex à travers la délinquance, la répression et la rédemption forcée. Alex est à la tête d’un gang qui commet des crimes gratuits pour le plaisir de la violence. Après avoir été trahi par ses compagnons, il est arrêté et se retrouve impliqué dans une expérience gouvernementale visant à réhabiliter les criminels par un procédé de conditionnement appelé "méthode Ludovico". Cette méthode prive Alex de son libre arbitre en le rendant physiquement incapable de commettre des actes violents, même s'il le désire. Par cette démarche, Burgess soulève des questions profondes : est-il préférable de forcer la bonté à travers le conditionnement, ou la vraie moralité requiert-elle le libre choix, même si cela inclut le mal ? La question n'a toujours pas de réponse évidente à ce jour. Burgess semble montrer qu’une société cherchant à supprimer la violence sans traiter ses causes profondes finit par créer des individus “mécaniques” dépourvus d’âme....

 

Les scènes qui peuvent constituer référence sont les suivantes : 

- L’ultraviolence et le langage “nadsat” -  Dès le début, Burgess introduit le "nadsat", un argot inventé mélangeant l’anglais et des influences russes, qui accentue l’atmosphère dystopique et l'aliénation des jeunes délinquants. La scène où Alex et son gang attaquent un clochard en utilisant cette langue est emblématique. Elle montre l'immense déshumanisation qu'Alex ressent par rapport à ses victimes et une fascination pour la violence gratuite : mais en plaçant le lecteur dans la tête d'Alex, les lignes entre répulsion et immersion deviennent relatives ...

- L’agression de la femme aux chats. Alex et son gang s'introduisent chez une femme riche, propriétaire de plusieurs chats, et l’attaquent brutalement, jusqu’à ce que l'agression tourne au meurtre. Cette scène de violence extrême marque le point de non-retour pour Alex et conduit à sa trahison par son propre gang, qui finit par le livrer à la police. Dernier acte de la liberté d'Alex qui renforce l’idée que sa violence est une force incontrôlée qui le consume autant qu'elle détruit ceux qui l’entourent.

- La méthode Ludovico - Cette expérience de conditionnement est l’une des scènes les plus frappantes et symboliques du roman. Alex est attaché, les yeux ouverts mécaniquement, et soumis à des images de violence, accompagnées de la musique classique qu’il aime tant, pour susciter leurs rejets. Si ce procédé le rend physiquement malade à l’idée de commettre un acte violent, elle le prive également de sa capacité d’apprécier la musique, symbolisant la destruction de son individualité. Cette scène questionne la notion de réhabilitation : en supprimant le libre arbitre, la société transforme Alex en "orange mécanique", une entité mécanique et sans âme ...

- La confrontation avec les anciens membres de son gang - Après son traitement, Alex se retrouve face à d’anciens camarades qui, ironiquement, sont devenus policiers. Désormais incapable de se défendre en raison de son conditionnement, il est brutalement battu par eux, une scène qui révèle l'hypocrisie du système de justice. Cette séquence montre que la violence, autrefois associée aux jeunes marginaux, est désormais institutionnalisée, les autorités utilisant les mêmes tactiques brutales qu'elles sont censées éradiquer.

- Le retour chez Mr. Alexander et la tentative de suicide - Dans un moment de cruauté ironique, Alex se retrouve chez Mr. Alexander, un écrivain dont il avait agressé la femme. Lorsque Mr. Alexander réalise qu’Alex est son agresseur, il le torture psychologiquement en utilisant la musique pour raviver son conditionnement, poussant Alex au désespoir et au suicide. Ce retournement de situation souligne la perversion de la réhabilitation forcée et le cycle infernal de vengeance et de violence.

- Le 21e chapitre (fin britannique) - Dans cette fin, qui est souvent omise, Alex, désabusé par sa vie de violence et de dépravation, envisage de mener une vie rangée et aspire à fonder une famille. Ce chapitre final introduit l'idée que la véritable rédemption doit venir de l’intérieur et qu’un changement moral qui serait imposé est dénué de sens. Cette fin nuance la vision pessimiste du roman, en suggérant que la maturité et le changement personnel sont possibles, bien que l'édition américaine et le film de Kubrick aient préféré l'ambiguïté du 20e chapitre.


En 1971, Anthony Burgess connut pour la première fois la grande notoriété lorsque fut porté à l'écran (par Stanley Kubrick, avec Malcolm McDowell, Patrick Magee) le roman (The Clockwork Orange) : il semblait alors constituer un parfait témoignage de cette violence omniprésente et gratuite qui commençait à gangréner les sociétés anglaise et américaine. Mais on peut y voir aussi une critique de l'essor de la culture populaire qui, au début des années 60, produit un nouveau conformisme faussement rebelle. Burgess, quant à lui,  proteste contre les techniques de conditionnement psychologique de |'époque qu'il jugeait odieuses...

L'énorme succès du film peut être attribué aux éléments suivants : Kubrick a imprégné le film d’une esthétique futuriste et baroque, jouant sur des décors stylisés, une palette de couleurs vives, et des scènes visuellement frappantes :  chaque image est ainsi soigneusement composée pour produire un sentiment de malaise et de fascination; la performance iconique de Malcolm McDowell, dans le rôle d'Alex, est indéniable, à la fois repoussant et étrangement séduisant, avec son chapeau melon, ses faux cils, et son sourire menaçant, symbole visuel de l’anti-héros dans la culture populaire; Kubrick utilise la musique classique, notamment des morceaux de Beethoven, pour accompagner des scènes de violence extrême, un usage paradoxal de la musique, que l'on songe à la scène de l’agression accompagnée de "Singin’ in the Rain" et devenue emblématique pour son contraste entre la gaieté de la chanson et horreur de la scène; le film a choqué le public de l’époque avec sa représentation crue et explicite de la violence et de la sexualité, d'autant que Kubrick ne cherche pas à atténuer les actes choquants d'Alex et de son gang, une représentation brutale qui a suscité de nombreuses controverses, voire des interdictions dans certains pays; en adaptant le roman de Burgess, Kubrick a mis l'accent sur la question philosophique centrale du libre arbitre et de l'action de la puissance morale de l’État, en conditionnant Alex pour l'empêcher de commettre des actes violents, le privant de son humanité et de sa capacité de choisir entre le bien et le mal, à une époque où l'on commençait à s'interroger à propos de la technologie et des interventions de l’État sur les comportements individuels...

 

 En 1971, le film du roman de Stanley Kubrick est sorti aux États-Unis. Interdit pour son extrême violence dans certaines parties des États-Unis, et par un certain nombre de conseils en Grande-Bretagne quand il est sorti là-bas, le film a soudainement attiré l’attention sur le roman. Il y a eu des tentatives infructueuses pour le retirer de certaines bibliothèques américaines, et un libraire de l’Utah a été brièvement arrêté pour l’avoir vendu. Ironiquement, l’interdiction la plus efficace du film a été de Kubrick, qui en est venu à croire qu’il a inspiré la violence et l’a retiré de la circulation au Royaume-Uni en 1973. Le film n’a été réédité qu’en 2019...


"Tremor of Intent : An Eschatological Spy Novel" (1966, Un agent qui vous veut du bien)

La première et l'unique incursion d'Anthony Burgess dans le genre du roman d'espionnage. Plutôt que de s’en tenir aux conventions typiques de ce genre populaire durant la Guerre froide, un récit d'action et de suspense, Burgess crée un récit intellectuel et satirique, explorant les concepts de foi, de libre arbitre, et du rôle de l’individu face aux systèmes idéologiques.

Le roman oppose deux figures principales : Hillier et Roper, représentant respectivement la fidélité au monde occidental et le reniement de celui-ci pour l’Est soviétique. Pourtant, les deux hommes sont aussi moralement ambigus, chacun ayant des doutes sur les idéologies qu’ils sont censés représenter. Denis Hillier, est un agent des services secrets britanniques chargé de récupérer Roper, un scientifique qui a fait défection en Union soviétique. Au fil de sa mission, Hillier se retrouve impliqué dans une série d'aventures improbables et souvent grotesques, en mer et en territoire soviétique. L'histoire oscille entre des rencontres étranges, des dialogues philosophiques et des réflexions existentielles, le tout ancré dans une ambiance d'espionnage. Hillier, qui doute des idéaux de son pays tout autant que de ceux de ses ennemis, est une figure complexe, plus préoccupée par des questionnements sur la moralité et le destin de l'âme humaine que par le patriotisme ou le devoir. Le roman est audacieux, un contre-pied aux œuvres de son temps, offrant une réflexion mordante sur les absurdités du monde bipolaire de la Guerre froide...


"Inside Mr. Enderby",  Anthony Burgess, 1963

Anthony Burgess se révèle être le plus grand auteur comique des années 1960 et 1970 avec sa trilogie relative à Mr Enderby, poète en déroute dont il retrace les malheurs littéraires, amoureux et digestifs et les triomphes d’Enderby en Angleterre, Rome, Tanger et New York. Après "Inside Mr. Enderby",  en 1963, suivent "Enderby Outside" en 1968, ...

 

Part One - Chapter One

fffrrrummmp.

And a very happy New Year to you too, Mr Enderby!

The wish is, however, wasted on both sides, for this, to your night visitors, is a very old year. We, whispering, fingering, rustling, creaking about your bedroom, are that posterity to which you hopefully addressed yourself.

Congratulations, Mr Enderby: you have already hit your ball smack over the pavilion clock. If you awaken now with one of the duodenal or pyloric twinges which are, to us, as gruesome a literature-lesson spicer as Johnson's scrofula, Swift's scatophobia, or Keats's gallop of death-warrant blood, do not fancy it is ghosts you hear sibilant and crepitant about the bed. To be a ghost one has first to die or, at least, be born.

Perrrrrp.

A posterior riposte from Mr Enderby. Do not touch, Priscilla. Mr Enderby is not a thing to be prodded; he is a great poet sleeping. Your grubby finger out of his mouth, please, Alberta. His mouth is open for no amateur dental inspection but to the end that he may breathe. That nose is, at fortyfive, past its best as an organ, the black twitching caverns—each with its miniature armpit—stuffed and obtuse. The world of smell is visited by his early poems, remember (pages 1 to 17 of the Harvard University Press selection which is your set book). There we have washed hair, pickles, gorse, bath-salts, skin, pencil-shavings, tinned peaches, post offices, Mrs Lazenby at the corner-shop in his native slum, cloves, diabetes. But it has no existence in his maturer work; the twin ports are closed for ever. That gentle noise,

Harold, is snoring. That is so, Christine; his teeth, both upper and lower, are removable: they have been removed to that plastic night-jar there. Child, child, you have spilt denture-fluid on to Mr Enderby's landlady's carpet. No, Robin, the carpet is neither beautiful nor rare, but it is Mrs Meldrum's property. Yes, Mr Enderby himself is our property, the world's property, but his carpet is his landlady's. Mrs Meldrum's.

 

... puis en 1974, "The Clockwork Testament, Or, Enderby’s End".  Le caractère choquant et provocateur du film Orange mécanique de Stanley Kubrick ne manqua pas de susciter des réactions hostiles lors de sa sortie, même si par ailleurs beaucoup de critiques en saluaient la richesse visuelle et musicale. Anthony Burgess, qui avait participé à la campagne de promotion du film dans les médias, fut lui aussi mis en accusation en tant qu’auteur du roman original. Il se défendit d’avoir fait l’apologie de la violence et présenta son roman comme un “sermon chrétien”, mais la campagne de presse se poursuivit en 1972 et 1973, années au cours desquelles plusieurs faits divers atroces furent attribués à l’influence néfaste du film et du roman. Anthony Burgess transposa cette expérience pénible dans son dernier roman de la série des Enderby, "Le Testament de l’orange", publié en 1973. Le roman raconte les mésaventures d’Enderby, obscur écrivain qui a adapté pour le cinéma un poème de G.M. Hopkins, "Le Naufrage du Deutschland". Le cinéaste qui a utilisé son script en a fait une scabreuse histoire de jeunes nazis violant des religieuses, et le pauvre Enderby est sans cesse sommé de s’expliquer et de se justifier....


"Nothing Like the Sun" (1964)

Ce roman historique raconte la vie de William Shakespeare de manière romancée, en mettant l'accent sur ses relations amoureuses et sur les inspirations littéraires qui ont nourri ses pièces. En utilisant un style lyrique et en mêlant réalité et fiction, Burgess offre une lecture créative de la vie de Shakespeare. C'est un hommage vibrant à la puissance de la langue et un régal pour les amateurs de littérature élisabéthaine....

 


"1985", Anthony Burgess (1978)

Dans un style typiquement audacieux, Anthony Burgess combine deux réponses à "1984" d’Orwell dans un seul livre. Ensemble, ces deux œuvres forment un guide unique vers l’un des écrivains les plus talentueux, imaginatifs et visionnaires du XXe siècle. 

- La première est une analyse pointue, un essai critiquant la sous-estimation par Orwell du pouvoir des masses, de la manipulation économique, d'une part, et du rôle de la culture populaire et des syndicats dans la domination sociale :  à travers des dialogues, des parodies et des essais, Burgess jette un nouvel éclairage sur ce qu’il a appelé « un codex apocalyptique de nos pires craintes », créant une critique qui est la littérature à part entière. Là où 1984" dénonçait l'oppression de l'État et le contrôle de la pensée par le Parti, "1985" abordera la menace posée par la tyrannie des masses et les abus de pouvoir des syndicats, une critique plus proche de la société occidentale des années 1970, une société où le consumérisme et la massification culturelle, plus que l'État autoritaire, semblent menacer l’autonomie...

- La deuxième partie est la vision dystopique de Burgess, écrite en 1978, se déroulant en 1985, dans un monde où les syndicats ont pris un pouvoir extrême, dictant pratiquement chaque aspect de la vie quotidienne. Les services publics sont désorganisés et corrompus, le travail est obligatoire et imposé de manière coercitive, et la créativité individuelle est étouffée. Le protagoniste, Bev Jones, est un professeur qui, à la suite de la mort de sa femme dans un hôpital surchargé et négligent, se retrouve en opposition avec le système. Il tente de survivre dans une société déchirée par des règles syndicales absurdes et une culture qui dérive vers le consumérisme vide de sens. Les médias, la musique populaire et la culture sont utilisés pour pacifier les masses, vidant le langage et la culture de toute signification profonde. Burgess, préoccupé par la simplification du langage et la dégradation de la culture populaire, dépeint une société où les gens consomment des divertissements sans profondeur, conçus pour les abrutir plutôt que les éduquer. Il anticipe une dévalorisation de la littérature, de la pensée critique, et de l’éducation. Burgess embrouille ici le présent et l’avenir, décrivant un état où les conflits du travail et les troubles sociaux rivalisent avec la surveillance écrasante, les préoccupations de sécurité et la domination de la technologie pour faire de la vie une chose à souffrir plutôt qu'à vivre.  La décision de Bev de résister malgré l’emprise du système est un moment marquant. S'il prend effectivement conscience qu’il ne pourra jamais rétablir le monde tel qu'il se le représente, il persistera dans sa quête pour défendre l’autonomie individuelle. Ce dernier acte illustre la thématique essentielle du roman : malgré l’oppression, la véritable liberté réside dans la résistance intérieure....

 

Dans 1985, "His Majesty's Pleasure désigne la période où Bev est incarcéré et subit les tentatives de "rééducation" de la part de l’État. Avant cela, dans les chapitres qui mènent à son arrestation, s'impose le monologue de Bev portant sur le déclin de la culture et le rétrécissement de l'esprit humain : entendu dans une société sous emprise d'une culture de masse qui réduit le langage et élimine toute pensée critique, est en 1978 annonciateur d'un mouvement de fond qui n'a cessé de progresser, pressentant cette relative, mais plus profonde qu'on ne pense, perte de liberté intellectuelle que l'on sent en nous et autour de nous, confusément ...

 

‘How old fashioned you are, me old Bev,’ beamed Mr Fowler. ‘Capital isn’t money. Capital is resources, energy, the will to create. Money is nothing.’ - ‘Interesting,’ Bev beamed back. ‘Money is nothing, and yet it’s the only thing that the workers care about.’ - ‘Substitute the word consumption,’said Pettigrew, ‘and you’ve said all that has to be said about the Outer Life. Yes, the workers want to consume, they have a right to consume, and the Syndicalist State uses power to fulfil that right. They had little enough chance to consume during those glorious historical epochs you were prevented from stuffing the heads of the kids with, and sulked because you were stopped.’ - ‘Consumption,’ said Bev bitterly. ‘And what consumption. Colour television and food without taste or nutriment, workers’ rags that call themselves newspapers and substitute nudes for news, low comedians in working men’s clubs, gimcrack furniture and refrigerators that break down because nobody cares about doing a decent job of work any more. Consumption, consumption and no pride in work, no creative ecstasy, no desire to make, build, improve. No art, no thought, no faith, no patriotism –’ ‘Me old Bev,’ said Mr Fowler, ‘you forget a very simple truth. That the techniques of modern manufacture do not allow for pleasure or pride in work.

 

Comme tu es démodée, ma vieux Bev », rétorqua M. Fowler. Le capital n'est pas de l'argent. Le capital, ce sont les ressources, l'énergie, la volonté de créer. L'argent n'est rien. - Intéressant », répond Bev. L'argent n'est rien, et pourtant c'est la seule chose qui intéresse les travailleurs. - Remplacez le mot consommation, dit Pettigrew, et vous aurez dit tout ce qu'il y a à dire sur la Vie extérieure. Oui, les travailleurs veulent consommer, ils ont le droit de consommer, et l'État Syndicaliste utilise le pouvoir pour satisfaire ce droit. Ils n'ont guère eu l'occasion de consommer pendant ces glorieuses époques historiques qu'on vous a empêché de bourrer la tête des enfants et que vous avez boudé parce qu'on vous en a empêché ». - Consommation », dit Bev avec amertume. Et quelle consommation ! La télévision en couleur et la nourriture sans goût ni nutriments, les torchons ouvriers qui s'appellent journaux et remplacent les nouvelles par des nus, les comédiens de bas étage dans les clubs d'ouvriers, les meubles de fortune et les réfrigérateurs qui tombent en panne parce que plus personne ne se préoccupe de faire un travail décent. Consommation, consommation et pas de fierté du travail, pas d'extase créative, pas de désir de faire, de construire, d'améliorer. Pas d'art, pas de pensée, pas de foi, pas de patriotisme... » - Mon vieux Bev, dit M. Fowler, vous oubliez une vérité très simple. Les techniques de fabrication modernes ne permettent ni le plaisir ni la fierté du travail.

 

The working day is a purgatory you must be paid well for submitting to, paid well in money and amenity. The true day begins when the working day is over. Work is an evil necessity.’ - ‘It was not that to me,’ said Bev. ‘I enjoyed my work. My work as a teacher, I mean. My work as a rather better paid dropper of nuts on chocolate creams was a mere nothing, a sequence of simple bodily movements above which my mind soared in speculation, meditation, dream. But to educate young minds, to feed them –’ 

‘To feed them rubbish,’ said Pettigrew. ‘Force-feed them with innutritious fibre or downright poison. Your chocolate creams were a more honest fodder, Mr Jones. Listen to me, sir.’ That sir was like a promise of steel whips. ‘You were wrong to enjoy your work. Even the Bible says that work is hell: “In the sweat of thy brow shalt thou earn bread.” You are at your old business of

confusing two worlds.’

‘There’s only one world,’ cried Bev.

 

La journée de travail est un purgatoire auquel il faut être bien payé pour se soumettre, bien payé en argent et en confort. La vraie journée commence lorsque la journée de travail est terminée. Le travail est une nécessité néfaste. - Ce n'était pas le cas pour moi, dit Bev. J'aimais mon travail. Mon travail d'enseignante, je veux dire. Mon travail de goutteuse de noix sur des crèmes au chocolat, mieux payé, n'était rien, une suite de simples mouvements corporels au-dessus desquels mon esprit s'élevait dans la spéculation, la méditation, le rêve. Mais éduquer de jeunes esprits, les nourrir - 

Pour les nourrir de déchets », dit Pettigrew. Les gaver de fibres inoffensives ou de poison pur et simple. Vos crèmes au chocolat étaient un fourrage plus honnête, M. Jones. Écoutez-moi, monsieur ». Ce monsieur était comme une promesse de fouet en acier. Vous avez eu tort d'aimer votre travail. Même la Bible dit que le travail est un enfer : « C'est à la sueur de ton front que tu gagneras ton pain. » Vous avez repris votre vieille habitude de confondre deux mondes.

Il n'y a qu'un seul monde, s'écrie Bev.

 

‘One world is coming,’ nodded Pettigrew, ‘but not the one world you mean. Holistic syndicalism, the fulfilment of the ancient battle cry about workers of the world uniting. You mentioned patriotism, which means what it always meant – defending the property of a sector of the international bourgeoisie against an imagined enemy, for the only enemy of the worker was the ruling class that sent him off to fight against other workers. This is old stuff, Mr Jones. The age of war is over, along with the age of the blown-up national leaders. The age of the imposed mystical vision, the madness, the cynicism. Done, finished.’

‘And now we have the age of dullness,’ said Bev. ‘I wonder how long it can last? Because it can’t last for ever. There’s something in man that craves the great vision, change, uncertainty, pain, excitement, colour. It’s in Dante, isn’t it? “Consider your origins. You were not made to live like beasts, but to follow virtue and knowledge.” You’ve read Dante, I don’t doubt. Read him and rejected him because he’s nothing to say to the workers. Homo laborans replaces Homo sapiens. Caliban casts out Ariel.’

 

Un seul monde est en train de naître, acquiesça Pettigrew, mais pas celui dont vous parlez. Le syndicalisme holistique, l'accomplissement de l'ancien cri de guerre sur l'union des travailleurs du monde. Vous avez mentionné le patriotisme, qui signifie ce qu'il a toujours signifié - défendre la propriété d'un secteur de la bourgeoisie internationale contre un ennemi imaginaire, car le seul ennemi du travailleur était la classe dirigeante qui l'envoyait se battre contre d'autres travailleurs. C'est de l'histoire ancienne, Monsieur Jones. L'ère de la guerre est révolue, tout comme l'ère des dirigeants nationaux explosés. L'âge de la vision mystique imposée, de la folie, du cynisme. C'est fait, c'est fini ».

Et maintenant, nous avons l'âge de l'ennui », a déclaré Bev. Je me demande combien de temps cela va durer. Parce que ça ne peut pas durer éternellement. Il y a quelque chose dans l'homme qui a besoin de la grande vision, du changement, de l'incertitude, de la douleur, de l'excitation, de la couleur. C'est dans Dante, n'est-ce pas ? « Considérez vos origines. Vous n'êtes pas faits pour vivre comme des bêtes, mais pour suivre la vertu et la connaissance. » Vous avez lu Dante, je n'en doute pas. Vous l'avez lu et vous l'avez rejeté parce qu'il n'a rien à dire aux travailleurs. L'homo laborans remplace l'homo sapiens. Caliban chasse Ariel ».

 

‘Gentlemen,’ said Pettigrew to the group, for there were no ladies in it, ‘I’m glad you’ve had this chance to listen to the arguments of one kind of dissident. Conceivably, some of these arguments were once your own. We’re coming to the end of this rehabilitation course. Next week, after a four-day break for the staff, the next one starts. During these last few days, I have the task of visiting your discussion groups or syndicates and putting straight questions: how are things with you now? Simple things are required of you before you effect your re-entry into the world of work. First, a choice of job. Our Employment Officer, Miss Lorenz, is at your disposal with a list of vacancies. Second, the issue of a new union card, meaning a reinstatement, a resumed citizenship of Tucland. Third and last, a formal recantation of heresy – chiefly, I may say, for our own propaganda purposes. A whole-hearted acceptance of the closed shop principle and a rejection of the delusion of right to unilateral action.’

 

Messieurs, dit Pettigrew au groupe, car il n'y avait pas de femmes, je suis heureux que vous ayez eu l'occasion d'écouter les arguments d'un type de dissident. Il est possible que certains de ces arguments aient été les vôtres à un moment donné. Nous arrivons à la fin de ce cours de réadaptation. La semaine prochaine, après une pause de quatre jours pour le personnel, le prochain commencera. Au cours de ces derniers jours, j'ai pour tâche de visiter vos groupes de discussion ou vos syndicats et de poser des questions directes : comment cela se passe-t-il pour vous maintenant ? Des choses simples vous sont demandées avant d'effectuer votre retour dans le monde du travail. Tout d'abord, le choix d'un emploi. Notre responsable de l'emploi, Mlle Lorenz, est à votre disposition avec une liste de postes vacants. Deuxièmement, l'émission d'une nouvelle carte syndicale, ce qui signifie une réintégration, une reprise de la citoyenneté de Tucland. Troisièmement et enfin, une abjuration formelle de l'hérésie - principalement, je dois le dire, à des fins de propagande. Une acceptation totale du principe de l'atelier fermé et un rejet de l'illusion du droit à l'action unilatérale ».

 

‘So,’ said Bev, ‘in effect you ask us to set up a new morality in our hearts. A hospital burns down and the firemen stand by waiting for their £20 rise. We hear the dying screams and we say: This is right, this is in order, first things first.’ - ‘No,’ cried Pettigrew with such force that the word struck the opposed wall and came bouncing back. ‘No and again no,’ more softly. ‘You see the breakdown of a public service and you regret that this should be so. You regret the stupidity of the public employer that has allowed things to get so far, that has refused to listen to the just demands of the workers and has now forced them to use the ultimate terrible weapon. You look beyond your immediate vision to the reality.’ - ‘To a man whose wife has perished in a burning building,’ said Bev bitterly, ‘such a mystical vision is hard to attain.’ - ‘And yet,’ said Pettigrew, ‘there have been moments, and very recent moments too, when you have said to yourself: I cannot altogether regret what happened.’ - ‘What do you mean?’ Bev felt his heart tumbling into his belly and blood pumping up to his throat. - ‘You know what I mean.’ Pettigrew looked at him steelily. ‘We here are entitled to know what inner worlds you enter. After all, you are in our charge.’

He turned to the rest of the group. He said: ‘Do any of you still have misgivings? If so, speak honestly.’ Nobody answered because they were preoccupied with the shock of seeing Bev leap on to the great Mr Pettigrew and belabour him with his fists. Pettigrew’s glasses flew off and were heard to tinkle tinily on the floor. He tried to get up from the chair where Bev had him pinned, blinking and gasping. Fowler, not now beaming, was on to Bev’s back, disclosing a strength none of the normally beamed at would have suspected. Nobody came to assist Bev. Two men, metalworkers, once very bloody-minded, came to assist Fowler.

 

Alors, dit Bev, vous nous demandez en fait d'instaurer une nouvelle morale dans nos cœurs. Un hôpital brûle et les pompiers attendent leur augmentation de 20 livres sterling. Nous entendons les cris des mourants et nous disons : C'est juste, c'est en ordre, chaque chose en son temps ». - Non », s'écria Pettigrew avec une telle force que le mot heurta le mur opposé et revint en rebondissant. Non et encore non, plus doucement. Vous voyez l'effondrement d'un service public et vous regrettez qu'il en soit ainsi. Vous regrettez la stupidité de l'employeur public qui a laissé les choses aller si loin, qui a refusé d'écouter les justes revendications des travailleurs et qui les a maintenant forcés à utiliser l'arme ultime et terrible. Vous regardez la réalité au-delà de votre vision immédiate ». - Pour un homme dont la femme a péri dans un immeuble en flammes, dit Bev avec amertume, une telle vision mystique est difficile à atteindre. - Et pourtant, dit Pettigrew, il y a eu des moments, et des moments très récents, où vous vous êtes dit : « Je ne peux pas regretter ce qui s'est passé : Je ne peux pas regretter ce qui s'est passé. - Que voulez-vous dire ? Bev sentit son cœur s'affaisser dans son ventre et son sang remonter jusqu'à sa gorge. - Vous savez ce que je veux dire. Pettigrew le regarda d'un air impassible. Nous avons le droit de savoir dans quels mondes intérieurs tu entres. Après tout, vous êtes sous notre responsabilité.

Il se tourna vers le reste du groupe. Il dit : « Certains d'entre vous ont-ils encore des doutes ? Si c'est le cas, dites-le franchement. Personne ne répondit, préoccupé qu'il était par le choc de voir Bev sauter sur le grand M. Pettigrew et l'assaillir de reproches.


"Earthly Powers" (1980, Les Puissances des ténèbres)
"Tout le XXe siècle passe dans ces Puissances des ténèbres, emportant le lecteur dans sa chevauchée fantastique. Le génie de Burgess est d'avoir concentré l'écho du gigantesque fracas en deux personnages : un écrivain curieux et voyageur et un prêtre qui, devenu son parent par alliance, finira pape. Truculent, la tête dans le ciel, l'homme de foi mène sans répit la bataille contre le Malin. « Sacrée bataille », dit-il, mais sans douter un instant de la victoire finale du bien. A-t-il raison ? A-t-il tort ? Autour de lui, le monde étend ses ravages. L'odeur de Buchenwald imprègne encore l'air. Un fou de Dieu, enfant miraculé, provoque un carnage au nom de l'Amour, car le Malin peut aussi prendre la forme de l'amour. Cynisme et drôlerie, courage et veulerie, complaisance et exigence... Les Puissances des ténèbres est le livre de tous les contrastes et nous renvoie à un temps ou la littérature était colossale, effarante, bref sublime." (Editions Robert Laffont) 

"It was the afternoon of my eighty-first birthday, and I was in bed with my catamite when Ali announced that the archbishop had come to see me.

“Very good, Ali,” I quavered in Spanish through the closed door of the master bedroom. “Take him into the bar. Give him a drink.”

“Hay dos. Su capellán también.”

“Very good, Ali. Give his chaplain a drink also.”

I retired twelve years ago from the profession of novelist. Nevertheless you will be constrained to consider, if you know my work at all and take the trouble now to reread that first sentence, that I have lost none of my old cunning in the contrivance of what is known as an arresting opening. But there is really nothing of contrivance about it. Actuality sometimes plays into the hands of art. That I was eighty-one I could hardly doubt : congratulatory cables had been rubbing it in all through the forenoon.

 

Geoffrey, who was already pulling on his overtight summer slacks, was, I supposed, my Ganymede or male lover as well as my secretary. The Spanish word ‘arzobispo’ certainly means archbishop. The time was something after four o’clock on a Maltese June day - the twenty-third, to be exact - and to spare the truly interested the trouble of consulting Who’s Who. Geoffrey sweated too much and was running to fat (why does one say running? Geoffrey never ran). 

 

"C'était l'après-midi de mon quatre-vingt-unième anniversaire, et j'étais au lit avec mon giton, lorsque Ali vint m'annoncer la visite de l'archevêque.

- Très bien, Ali, chevrotai-je (je m'exprimais en espagnol, de la chambre de maître dont la porte était close). Conduis-le au bar et sers-lui à boire.

- Hay dos. Su capellan también.

Il y a douze ans que j'ai pris ma retraite de la profession de romancier. Cependant, quiconque ayant une petite idée de mon œuvre et se donnant la peine de relire ma première phrase devra bien reconnaître que je n'ai pas perdu une miette de ma vieille habileté à tourner ingénieusement ce qu'il est convenu d'appeler une entrée saisissante dans le vif du sujet. Pourtant il n'y a là au fond nulle ingéniosité. Parfois l'actualité se prête aux jeux de l'art. Que j'eusse quatre-vingts ans, je ne pouvais guère en douter: toute la matinée les télégrammes de félicitations n'avaient cessé de m'en pénétrer. Geoffrey, qui enfilait déjà son pantalon de toile trop collant était en effet, selon toute hypothèse, mon Ganymède ou mon amant autant que mon secrétaire. Et le mot espagnol arzobispo signifie sans conteste archevêque. L'heure ? Peu après 4 heures, un après-midi de juin à Malte - le 23 juin pour être exact et pour épargner à ceux que cela intéresse vraiment l'ennui d'avoir à consulter le Who's Who. Geoffrey transpirait trop et courait droit à l'embonpoint (paradoxe, car Geoffrey ne courait jamais).

 

The living, I supposed, was too easy for a boy of thirty-five. Well, the time for our separation could not, in the nature of things, be much longer delayed. Geoffrey would not be pleased when he attended the reading of my will. “The old bitch, my dear, and all I did for him.” I would do for him too, though posthumously, posthumously.

I lay a little while, naked, mottled, sallow, emaciated, smoking a cigarette that should have been postcoital but was not. Geoffrey put on his sandals puffing, creasing his stomach into three bunches of fat, and then his flowery coatshirt. Finally he hid himself behind his sunglasses, which were of the insolent kind whose convexities flash metallic mirrors at the world. I

observed my eighty-one-year-old face and neck quite clearly in them: the famous ancient grimness of one who had experienced life very keenly, the unfleshed tendons like cables, the anatomy of the jaws, the Fribourg and Treyer cigarette in its Dunhill holder relating me to an era when smoking had been an act to be performed with elegance. I looked without rancor on

the double image while Geoffrey said: “I wonder what his archbishship is after. Perhaps he’s delivering a bull of excommunication. In a gaudy gift wrapper, of course.”

“Sixty years too late,” I said....."

 

L'existence, imaginais-je, était trop facile pour ce garçon de trente-cinq ans. Bah, l'heure de notre séparation ne pouvait plus guère tarder; Ia nature s'en chargerait, Geoffrey n'éprouverait aucun plaisir à assister à la lecture de mon testament: « Mon cher, quelle vieille garce! Quand on pense à tout ce que j'ai fait pour lui. » Et moi, donc - mais à ma manière, c'était vrai, posthume, oui, posthume.

Je demeurai encore étendu un court moment, nu. tavelé. Jaum, émacié, à fumer une cigarette qui eût dû être postcoïtale, mais ne l'était pas. Geoffrey chaussa ses sandales en soufflant, l'estomac cassé en trois bourrelets de graisse, puis il mit sa saharienne à fleurs. Pour finir, il se dissimula derrière ses lunettes de soleil, qui étaient de cette espèce insolente dont les convexités renvoient au monde des éclairs de miroir métallique. J'y distinguai avec une netteté incroyable mon visage et mon cou de quatre-vingt-un ans : la fameuse sévérité rassise de qui a vécu avec une rare intensité sa vie, les tendons décharnés pareils à des câbles, l'anatomie des mâchoires, la cigarette "Fribourg and Treyer" au bout de son porte-cigarette Dunhill, me reliant à un âge où fumer était un acte qui se piquait d'élégance. Je considérai sans rancœur la double image, pendant que Geoffrey disait:

- Je me demande ce que Son Archevêcherie peut bien vouloir. Peut-être te remettre en mains propres une bulle d'excommunication. Sous emballage cadeau, naturellement.

- Avec soixante ans de retard, dis-je.

Je tendis à Geoffrey la cigarette à demi fumée pour qu'il l'éteignît dans un des cendriers d'onyx, et je remarquai combien il rechignait même à ce petit service. Je sortis du lit, nu, tavelé, jauni, émacié. Mon pantalon de toile était, selon les principes de la décence, loin de l'étroitesse. Et si les bégonias et les orchidées de la chemise étaient ridicules sur un homme de mon âge, il y avait beau temps que je m'étais immunisé contre les ricanements venimeux de Geoffrey en lui rétorquant: "Cher enfant, je dois bien m'habituer à la perspective de floralies révérentielles." La formule datait de 1915. Je l'avais entendue au Lamb House, à Rye; mais c'était moins du pur (echt) Henry James que du Henry James parodiant du pur (echt) Meredith - en mémoire de 1909 et d'une certaine dame qui avait envoyé à ce dernier trop de fleurs. "Floralies révérentielles, ho, ho, ho", avait raillé James, se complaisant dans un pastiche de gaieté.

- Les félicitations des fidèles, alors, dit Geoffrey.

Je ne trouvai pas du tout à mon goût sa façon d'aspirer le mot et l'accent qu'il lui avait imprimé de ce fait. J 'y reniflais un parfum de sexualité en même temps que l'odeur impudique de ses propres infidélités; c'était un terme dont je m'étais servi moi-même à son endroit, un jour, en pleurant, et il restait chargé pour moi de tout le sérieux d'une morale traditionnelle digne tout au plus d'une plaisanterie au sous-entendu obscène pour la génération de Geofrey.

- Les fidèles, lui retournai-je sur le même ton, ne sont pas censés lire mes livres. Pas ici, sur l'ile sainte de saint Paul. Ici, je suis un immoraliste, un anarchiste, un agnostique et un rationaliste. Je crois deviner ce que veut l'archevêque. Et son désir vient justement de ce que je suis tout cela.

- Plus malin qu'un vieux diable, hein ?

Ses verres réfléchissants captèrent des reflets de pierre dorée provenant de la Triq Il-Kbira, c'est-à-dire Rue la Grande ou Grand-Rue, par l'embrasure de la fenêtre. Je dis:

- Il y a en bas, dans ce que tu appelles ton bureau, beaucoup de correspondance négligée. Ècœuré par ta fainéantise, j'ai pris sur moi d'ouvrir une lettre ou deux, encore chaudes des mains du facteur. L'une d'elles portait le timbre du Vatican.

- Ah, va te faire foutre, dit-il en souriant (du moins me semblat-il : bien évidemment, je ne pouvais voir ses yeux).

Puis, singeant mon léger zézaiement, il reprit en écho:

- Écœuré par ta fainéantise... Va te faire foutre! répéta-t-il ensuite, cette fois d'un ton boudeur.

- Je crois, dis-je, entendant mon chevrotement frêle et sénile et le détestant. Je crois, oui, que je ferais mieux de dormir seul à l'avenir. Cela siérait mieux à mon âge.

- Tiens donc, enfin l'on regarde les choses en face, très cher ?

- Pourquoi, dis-je tremblant de me voir dans le grand miroir mural bleu et rabattant en arrière mes mèches clairsemées, oui, pourquoi t'arranges-tu pour que les choses prennent cet accent sale et mesquin dans ta bouche ? Chaleur. Confort. Amour. Tu trouves que ce sont des mots sales ? Amour, amour. C'est sale ?

- Le cœur, très cher, dit Geoffrey, cette fois encore avec un sourire, me parut-il. La pompe n'est plus toute jeune, il faut la surveiller, n'est-ce pas ? Très bien, chacun de nous dormira dans son lit séparé. Et si tu appelles, la nuit, qui t'entendra ?

Wer, wenn ich schrie... Qui donc avait dit ou écrit cela ? Mais le grand Rilke, lui-même, bien sûr, le pauvre. Mort aujourd'hui. Il avait pleuré en ma présence dans une méchante brasserie de Trieste, non loin de l'Aquarium. Les larmes lui ruisselaient du nez, qu'il essuyait à sa manche.

- Tu as toujours réussi à dormir assez profondément près de mon sommeil laborieux, dis-je. Assez profondément pour rester insensible même au doigt que je t'enfonçais dans les côtes. (Et puis, avec un trémolo honteux :) Fidèle, fidèle... !

Je sentais revenir les larmes, sous le poids douloureux de ce mot. Je me souvins du malheureux Winston Churchill qui, vers ce même âge, se prenait à pleurer à des mots tels que grandeur. Je crois que l'on appelle cela instabilité émotive. Maladie de vieux. La bouche de Geoffrey ne forma même pas un sourire, cette fois, pas plus que sa mâchoire ne se crispa pour signifier une hargne molle. Le bas de son visage témoigna d'une sorte de compassion tandis que le haut me renvoyait mon image jumelle : j'étais deux fois brisé. Pauvre vieux bougre, se dirait-il à lui-même et dirait-il peut-être plus tard à un ami ou à un de ses lèche-cul, au bar du Corinthia Palace Hotel. Pauvre vieille lope. Tout seul avec son impuissance, sa décrépitude et sa sénilité. Pour l'instant, c'était, avec un aimable entrain:

- Allons, très cher. Ta braguette est-elle bien fermée ? Bravo !

- Pour ce que l'on en verrait, sous tant de fleurs.

- Superbe ! Or çà donc, mettons le masque de l'auteur et de l'immoraliste distingués. Son Archevêcherie attend. 

Là-dessus, il ouvrit la lourde porte donnant droit sur le vaste salon de l'étage. A mon âge, je pouvais, je peux supporter toutes les brutalités de la lumière et de la chaleur, et l'une comme l'autre, avec cette férocité particulière aux régions méridionales, déferlaient, tel un finale de Rossini en stéréophonie, par les fenêtres grandes ouvertes et sans volets. A droite, les toits et les lessives hautes en couleurs de Lija, un autobus qui passait, des enfants querelleurs ; à gauche, par-delà les cristaux, la statuaire et la terrasse supérieure, montant du jardin, le sifflement et le ronronnement de la pompe qui irriguait mes orangers et mes citronniers.

En d'autres termes, j'entendais la vie poursuivre son cours ; c'était un réconfort. Nous foulâmes du marbre frais, une épaisse peau d'ours blanc, du marbre encore, de la fourrure, du marbre. Là-bas au fond, le clavecin William Foster, que j'avais acheté pour mon précédent ami et secrétaire, Ralph, infidèle, avec ses quelques cordes médianes brisées par Geoffrey lors d'une nuit d'orage. Aux murs, des peintures, œuvres de grands, mes contemporains, tous - aujourd'hui fabuleusement précieuses, mais acquises pour des bouchées de pain à l'époque où, pourtant jeune encore, j'étais, moi, enfin sorti de la mêlée. Et aussi des vitrines exposant des jades, des ivoires, des verreries, des métaux: bibelots ou objets d 'art. Ah ! comme ces mots de la langue française, tout en avouant leur trivialité, les en purifiaient en quelque sorte. Fruits tangibles de la réussite, le vrai combat, où l'on se collette avec la forme et l'expression, restant, lui, éternellement douteux. Oh, mon Dieu... le vrai combat ? Je pensais en écrivain, non pas en être humain, même sénile. Comme si la conquête du langage avait de l'importance ! Comme si, à la fin des fins, il existait autre chose de plus important que des clichés. Fidèle. Tu as manqué à la fidélité. Tu t'es laissé glisser, tomber dans l'infidélité. Ma conviction est que l'on doit être fidèle à ses croyances. Adeste fideles. A Noël, cela pouvait encore éveiller une nostalgie mouillée de larmes. La reproduction, dans le cabinet chirurgical de mon père, de cette horreur - mais de quel droit la qualifiais-je d'horreur ? - illustrant l'anecdote de la sentinelle morte à son poste, les yeux grands ouverts sur l'écroulement de Pompéi. Fidèle jusqu'à la mort. Les félicitations des fidèles, soit. Le monde de l'homosexualité a son langage complexe, délicat et pourtant parfois d'une acuité atroce dans sa précision, façonné d'après des clichés appartenant à l'autre monde. Ainsi donc, cher maître, ce sont là les fruits tangibles de votre réussite.

Geoffrey traînait les pieds à mon pas, par dérision, comme pour mieux souligner son, très cher, rôle d'aide pédonculaire. Côte à côte, pied à pied, avec une régularité comique, nous descendîmes la première volée de marbre. Nous arrivâmes à un palier spacieux orné d'une armoire XVIIe anglais dissimulant d'exquis cristaux - desquels on use, mon cher, couramment, pour les exhiber, s'imbiber, abreuver- et une table de tric-trac XVIIIe, dont l'échiquier était constamment garni de figurines humaines en obsidienne du Mexique (pour la parade uniquement, mon cher: il y a beau temps qu'il a passé l'âge des jeux), puis primes à droite pour nous engager dans l'ultime cataracte de marbre. Je jetai un regard sur la pendule maltaise dorée, au mur de l'escalier: elle indiquait près de 3 heures.

- Personne n'est venu la remettre en ordre, dis-je, conscient de l'irritation de ma voix. Cela fait maintenant trois jours. Oh, je sais, je sais, nous n'en mourrons pas...

Nous étions à trois degrés du bas. Geoffrey tapota du doigt la pendule comme s'il s'était agi d'un baromètre. puis, méchamment, fit mine de lui décocher un coup de poing.

- Quel sale endroit ! Je déteste cette saleté d'endroit, je l'abhorre.

- Il y faut le temps, Geoffrey.

- Nous aurions pu aller ailleurs. Il y a d'autres îles, puisque tu tiens à une saleté d'île.

- Pas maintenant, dis-je. Nous avons des visiteurs.

- Vacherie ! Nous aurions très bien pu rester à Tanger. Nous aurions eu le dernier mot avec ces salauds.

- Nous ? C'est toi, Geoffrey, qui avais les ennuis ; pas moi. 

- Qui diable t'empêchait de faire quelque chose ? Fidèle! Tu peux toujours me la jeter à la figure, ta fidélité.

- Mais j'ai fait quelque chose: je t'ai sorti de Tanger.

- Pourquoi m'avoir traîné ici, dans cette saleté d'endroit ?

Avec ces saletés de prêtres et de flics qui sont comme cul et chemise.

- Il y a deux saletés de prêtres qui nous attendent. Un peu de modération, je te prie.

- Tu as peut-être envie de crever ici, moi foutrement pas.

- Il faut bien mourir quelque part, Geoffrey. Malte me semble une sorte de compromis raisonnable.

- Pourquoi -refuses-tu de mourir dans cette saloperie de Londres ?

- Les impôts, Geoffrey. Les droits de succession. Le climat. 

- Bordel de Dieu de merde, au diable cette putain de saloperie !

Je descendis à petits pas comptés les trois dernières marches menant au grand vestibule ; il suivit, se contentant maintenant de jurer et de pester sous cape. A deux mètres de là, sur un plateau d'argent qu'embellissait une coupe chinoise pleine de fleurs de saison, s'amoncelait un arrivage tout frais de félicitations, apporté par les petits télégraphistes motorisés sur deux roues. Le bar était à l'autre bout du vestibule, sur la droite, entre la pétaudière du bureau où Geoffrey négligeait son secrétariat et mon propre cabinet de travail, maniaquement rangé. Au mur qui séparait du bar cette dernière pièce, le Georges Rouault - une ballerine laide et comme gribouillée à gros traits noirs impatients, lavés de couleurs cruelles. A Paris, à l'époque, Maynard Keynes m'avait ardemment recommandé de l'acheter Il connaissait le marché comme sa poche...." (traduction G.Belmont et H.Chabrier)

 

Le narrateur de ce roman-fleuve est un certain Toomey, homme de lettres homosexuel et octogénaire, qui vit retiré dans l'île de Malte et nous livre le récit, par potins et ragots interposés, de sa traversée du siècle. Vaste fresque, mêlant le fait divers sordide et le tragique de l`histoire, le roman embrasse la totalité des fréquentations de son personnage,

pour le meilleur et pour le pire. Défile, mais vue par le petit bout de la lorgnette, une ahurissante galerie de célébrités mondaines et littéraires, à la faveur du procédé (trop systématiquement appliqué ici) consistant à mêler faits historiques avérés et histoires imaginées de manière à authentifier le texte de fiction. Davantage qu`au roman, la méthode

s'apparente à l'autobiographie : d'ailleurs Toomey. aux opinions très arrêtées sur l'art moderne, qu`il dénigre systématiquement et avec une mauvaise foi confondante, n'est pas sans rappeler la figure de Burgess lui-même qui trouve ici un masque à sa dimension, ainsi qu'une tribune depuis laquelle il peut régler ses comptes en public. Dans un esprit de compétition avec les plus grands, T. S. Eliot, Joyce, mais aussi Shakespeare, il revendique un statut d`héritier majeur ou, à défaut, la condition de l'usurpateur sans scrupule, qui s'insère dans la trame d' "Ulysse" ou se glisse dans la peau du Tirésias de "La Terre vaine". Récitant génial autant que faussaire hors pair, il fait défiler toute l'histoire de la littérature anglaise de Chaucer à Henry James en vertu des pouvoirs particuliers qui sont les siens : les puissances des ténèbres qu'évoque le titre français, qui sont en fait les forces terrestres, par opposition sans doute aux forces célestes auxquelles commande son alter ego, le prélat Carlo Campanati, figure transparente du pape Jean XXIII. Mais l'opposition n'en est pas une : les pouvoirs surnaturels (d`exorcisme entre autres) de l`homme d'Eglise trouvent un évident corolaire dans l'écriture romanesque de Toomey, passionnément épris de l'humaine comédie et aspirant à rehausser le mondain et le séculier. En contrepoint de cette grande parade hollywoodienne, résonnent les accents plus graves d`une conscience hantée par la malédiction homosexuelle et rongée par l'éternelle question (chez Burgess) du libre arbitre et du caractère mêlé du mal et du bien. De rage de n'avoir pu être le premier à écrire la Genèse (parce qu'elle décrit la "naissance du langage"), Toomey la réécrit en tant qu'hérésie homosexuelle. Démiurge, car c`est bien ainsi qu`il se rêve, habité par le don des langues, à croire qu'il le tient de l'Esprit-Saint, il se complaît dans le trivial bouffon et obscène pour mieux se masquer sa déception d'être passé à côté du sublime. (Trad. Acropole, 1988). 


"The End of the World News" (1982)

Cette œuvre atypique est un roman expérimental qui combine trois histoires en parallèle : la biographie fictive de Sigmund Freud, une comédie musicale sur Trotski et un récit de science-fiction. Bien que moins accessible que ses autres œuvres, "The End of the World News" est une oeuvre parfaitement révélatrice de la créativité audacieuse de Burgess, pour ses jeux narratifs et ses réflexions sur l’apocalypse, l’inconscient et l’histoire. De la faillite des idéaux humains et de la vulnérabilité des constructions intellectuelles ...

On y rencontre un Sigmund Freud imaginé par Burgess qui revisite des moments clés de sa vie, en particulier ses premières expériences de psychanalyse et son exil face à la montée du nazisme. Burgess présente Freud comme un homme déterminé, visionnaire mais tourmenté. Ce récit permet d'explorer les thèmes de la psychanalyse, du conflit interne et du déclin personnel face aux crises sociales. Freud, ici, symbolise une quête de vérité psychologique dans un monde au bord de la désintégration. Mais plus encore, l’humanité est-elle capable de donner un sens à sa propre fin ? 

La comédie musicale sur Trotsky est résolument satirique, Trotsky, révolutionnaire exilé, est présenté comme un personnage burlesque dont les idéaux marxistes apparaissent dérisoires dans un monde en pleine déliquescence. Les passages de ce récit, à la fois chantés et dialogués, montrent une ironie cinglante face aux idéaux de la révolution et de la lutte des classes. Burgess y critique l’instrumentalisation des idéologies et explore comment les rêves de révolution peuvent se heurter à une réalité chaotique. Les grands récits de l’histoire (la psychanalyse, le marxisme, le progrès scientifique) ont échoué à empêcher la destruction, ou à y donner un sens...

La science-fiction et l’apocalypse nous projette dans une Amérique moderne où les scientifiques prédisent un cataclysme imminent. Ce segment est l'occasion pour Burgess d'explorer les réponses individuelles et collectives à l'annonce d'une fin inévitable. En effet, ce contexte apocalyptique souligne l’impuissance de l’humanité face à sa propre fin, posant la question : que reste-t-il des valeurs et des idéaux humains lorsque la survie elle-même est compromise ?


"The Kingdom of the Wicked" (Le Royaume des mécréants, 1985)

Dans ce roman historique, Burgess s’attaque aux débuts du christianisme, en retraçant les voyages et les écrits de Paul de Tarse et des premiers chrétiens. C’est une œuvre singulière pour sa capacité à mêler ironie, érudition et réflexion sur les origines de la foi chrétienne. Avec sa vision désenchantée et souvent ironique de la religion, Burgess nous propose une relecture audacieuse de l’histoire religieuse...


"Any Old Iron", Anthony Burgess (1990)

Pour les amateurs du style unique de Burgess, pour les amateurs de sa prose de Burgess, pour son humour noir et son langage si riche qui ajoutent cette si fine couche de divertissement à ces moments intellectuellement si sombres qu'il tire de notre histoire. Le roman retrace l'histoire de deux familles - une juive, les Morgenstern, et une galloise, les Jones - qui sont mêlées à des événements cruciaux du siècle dernier. L’histoire s’articule autour de la quête d'une épée mythique, Excalibur, symbolisant le pouvoir et la violence humaine. En exploitant ce motif arthurien, Burgess mêle des éléments fantastiques à des événements réels comme la Seconde Guerre mondiale, le conflit israélo-palestinien et l’après-guerre. Comme dans d’autres de ses œuvres, Burgess explore comment la quête de pouvoir et la violence façonnent les sociétés et les individus. À travers l'épée Excalibur, il montre comment la fascination pour le pouvoir peut mener à la tragédie, tout en s’intéressant aux cicatrices que la guerre laisse sur les individus et les familles. "Any Old Iron" pose également des questions sur la manière dont l’histoire est racontée et mémorisée. Burgess utilise la quête de l'épée comme une métaphore pour la recherche de sens dans le chaos historique du 20e siècle. À travers ses personnages, il interroge la façon dont histoire individuelle et histoire collective s’entremêlent, façonnées, embellies ou tragédifiées au gré des circonstances uniquement humaines ...


"A Dead Man in Deptford" (1993)

Dernier roman de Burgess, ce récit imaginaire de la vie de Christopher Marlowe est souvent considéré comme une suite spirituelle de Nothing Like the Sun. Avec son regard sur l’Angleterre élisabéthaine et son atmosphère mystérieuse, Burgess y rend hommage au dramaturge de manière captivante et poétique...