"The civil rights movement" - Rosa Parks (1955) - Pilgrimage for Freedom on May 17, 1957 - "The Defiant Ones", Stanley Kramer (1958) - Gwendolyn Brooks (1917-2000), “We Real Cool” (1959) - Norman Rockwell (1894-1978) - "The Problem We All Live With" (1964) - James Baldwin, "The Fire Next Time" (1963) - Martin Luther King (1929-1968), "I Have A Dream" (August 28, 1963) - Eldridge Cleaver (1935-1998), "Soul on Ice" (1968) - ....
Last update: 12/12/2020
"The civil rights movement"
Le mouvement des droits civils a été lancé par les Noirs du Sud dans les années 50 et 60 pour briser le modèle dominant de ségrégation raciale. Si l'esclavage fut aboli, on n'avait pas mis fin à la discrimination à l'égard des Noirs - ceux-ci ont continué à subir les effets dévastateurs du racisme, en particulier dans le Sud. Au milieu du XXe siècle, les Noirs américains en avaient plus qu'assez des préjugés et de la violence à leur égard. Avec de nombreux Blancs américains, ils se sont mobilisés et ont entamé un combat sans précédent pour l'égalité, qui s'est étendu sur deux décennies. Les six principaux leaders de ce mouvement sont : John Lewis John Lewis (1940–2020), Whitney Young Jr. (1921–1971), A. Philip Randolph (1889–1979), Martin Luther King, Jr. (1929–1968), James Farmer Jr. (1920–1999), et Roy Wilkins Roy Wilkins (1901–1981). Le mouvement des droits civils donnera lieu à l'adoption de la loi sur les droits civils de 1964, qui contenait de solides dispositions contre la discrimination et la ségrégation dans le vote, l'éducation et l'utilisation des équipements publics. Déclarant que "tout art est en fin de compte social" (all art is ultimately social), des écrivains afro-américains comme Lorraine Hansberry, James Baldwin et Alice Walker, ou des poètes telles que Margaret Esse Danner et Naomi Long Madgett, vont prendre une part active au mouvement des droits civils..
Le 17 mai 1954, "Brown v. Board of Education of Topeka",
la Cour suprême met fin, "officiellement" à la ségrégation raciale dans les écoles publiques : la ségrégation raciale dans les écoles publiques viole le quatorzième amendement de la Constitution, qui interdit aux États de refuser une protection égale des lois à toute personne relevant de leur juridiction. "The Man Who Killed Jim Crow", Charles Hamilton Houston (1895-1950), un éminent avocat afro-américain, doyen de la faculté de droit de l'université Howard et directeur du contentieux de la NAACP, fut l''architecte de la stratégie des droits civils qui conduisit à la décision de la Cour suprême américaine. Mais de nombreuses écoles vont continuer à appliquer une ségrégation raciale qui va progressivement alimenter un mouvement des droits civiques qui ne va cesser de prendre de l'ampleur... "in September of 1934, Negro and white children sat together in the same classrooms and teachers of both races worked together for the first time. This broke a tradrtional pattern of racial segregation within the capital’s school system. A complex chain of events brought about this change in pattern: years of work by citizens who sought school integration; the Supreme Court decision which outlaw school segregation..." ("The Right of Every Child": The Story of the Washington) D.C. Program of School Integration)...
Le 28 août 1955, Emmett Till, un jeune homme de 14 ans de Chicago, est brutalement assassiné dans le Mississippi pour avoir prétendument flirté avec une femme blanche. Ses meurtriers sont acquittés, et l'affaire attire l'attention internationale sur le mouvement des droits civiques après que le magazine Jet ait publié une photo du corps battu de Till lors de ses funérailles à cercueil ouvert. C'est dans ce contexte que Gwendolyn Brooks composa "The Last Quatrain of the Ballad of Emmett Till"... "Emmett's mother is a pretty-faced thing; / the tint of pulled taffy. / She sits in a red room, / drinking black coffee. / She kisses her killed boy. / And she is sorry. / Chaos in windy grays / through a red prairie..."
1955, Rosa Parks - Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, 42 ans, refuse de céder sa place à un blanc dans un bus de Montgomery, Alabama. Les lois sur la ségrégation de l'époque stipulaient en effet que les passagers noirs devaient s'asseoir dans des sièges désignés à l'arrière du bus, et Rosa Parks s'y était conformée. Mais lorsqu'un homme blanc est monté dans le bus et n'a pas trouvé de siège dans la section blanche à l'avant du bus, le chauffeur a demandé à Parks et à trois autres passagers noirs de renoncer à leur siège. Parks a refusé et a été arrêté. La nouvelle de son arrestation suscitant l'indignation et le soutien, Parks est devenu sans le vouloir la "mère du mouvement moderne des droits civils". Les leaders de la communauté noire ont formé la Montgomery Improvement Association (MIA) dirigée par le ministre baptiste Martin Luther King, Jr, un rôle qui le placerait au premier plan de la lutte pour les droits civils. Le courage de Parks a incité la MIA à organiser un boycott du système de bus de Montgomery. Le boycott des bus de Montgomery a duré 381 jours. Le 14 novembre 1956, la Cour suprême a jugé que la ségrégation des sièges était inconstitutionnelle....
Avril 1955, Conférence de Bandung, en Indonésie, vingt-neuf nations libres et indépendantes d'Asie et d'Afrique représentant 57% de la population mondiale (mais 11,2% du revenu mondial) se réunissent pour discuter du "racisme et du colonialisme" : Richard Wright, alors à Paris, y voit "a meeting of almost all of the human race living in the main geopolitical center of gravity of the earth". Wright se rend aussitôt en Indonésie du 18 au 24 avril et y rencontre divers écrivains et intellectuels indonésiens, et rédige à son retour "The Color Curtain", cinq chapitres ou conférences, "Bandung: Beyond Left and Right", "Race and Religion at Bandung", "Communism at Bandung", "Racial Shame at Bandung", and "The Western World at Bandung" : comment faire face à un sentiment d'infériorité face au monde occidental blanc, mais Asiatiques et Africains partagent-ils ce même sentiment...
James Baldwin, "Notes of a Native Son" (1955)
Natif de Harlem qui osa s’établir dès sa majorité à Greenwich Village et embrassa la carrière de romancier sous la tutelle de Richard Wright, James Baldwin (1924-1987) fut durant vingt années le prophète inspiré du mouvement pour les droits civiques, analysant les frustrations de ses congénères et les préjugés raciaux des Blancs, faisant appel à la conscience morale de son pays tout en le menaçant de la révolution. Intégrationniste avant d’être tenté par le nationalisme, il est passé du statut de témoin de son temps à celui de porte-drapeau d’une révolte. Désespérant de s’affirmer aux États-Unis à cause du racisme, il était parti pour Paris en 1948 . C’est là, dans une extrême pauvreté, qu’il écrivit les essais de "Notes of a Native Son" (1955 ; Chronique d’un pays natal) et de "Nobody Knows My Name" (1961 ; Personne ne sait mon nom), traitant de sa quête d’identité, des rapports entre littérature et engagement, des relations entre les races et entre l’Amérique et l’Europe. À Paris, il termine également "Go Tell It on the Mountain" (1953, Les Élus du Seigneur), commencé dix ans auparavant.
Deux ans après, Baldwin a rassemblé ses essais dans "Notes of a Native Son", un mélange d'autobiographie et de commentaire politique sur la race en Amérique qui identifie Baldwin comme la nouvelle conscience de la nation en matière raciale. Les volumes d'essais suivants, "Nobody Knows My Name" (1961) et "The Fire Next Time" (1963), ont souligné la renommée de Baldwin comme l'essayiste le plus incisif et le plus passionné jamais produit par l'Amérique noire. Ses romans des années 1950 et 1960, en particulier "La chambre de Giovanni" (1956), premier roman afro-américain à traiter ouvertement de l'homosexualité, et "Another Country" (1962), un best-seller qui traite de la bisexualité et des relations sexuelles interraciales, ont confirmé le leadership de Baldwin parmi les écrivains noirs américains du milieu du siècle.
"Beginning A Major Life series - Segregation", couverture du 3 septembre 1956,
le magazine Life publie un article de couverture sur l'esclavage et la ségrégation. Le 18 février 1957, le magazine Time met en vedette Martin Luther King sur sa couverture, un King reconnu pour son leadership dans le boycott des bus de Montgomery, en Alabama...
1957, Central High School in Little Rock
Les 10 et 11 janvier 1957, soixante pasteurs noirs et leaders des droits civils de plusieurs états du sud, dont Martin Luther King, Jr., se réunissent à Atlanta, en Géorgie, pour coordonner les protestations non violentes contre la discrimination raciale et la ségrégation. Le 4 septembre 1957 , neuf étudiants noirs, connus sous le nom de "Little Rock Nine", sont empêchés d'entrer dans la High School de Little Rock, Arkansas, par la Garde nationale et une foule menaçante. L'Arkansas, comme d'autres états du Sud, refuse en effet d'appliquer l'arrêt de la Cour suprême. C'est dans ce contexte que Daisy Bates (1914-1999) va s'imposer comme figure majeure du mouvement des droits civiques pour faire aboutir l'égalité des droits civiques dans les écoles publiques de Little Rock (The Long Shadow of Little Rock, 1962). Le président Dwight D. Eisenhower finira par envoyer des troupes fédérales pour escorter les étudiants, mais ceux-ci continueront d'être harcelés.
Le 7 octobre 1957, Time et Life ont tous deux présenté le conflit de l'intégration scolaire à Little Rock, Arkansas, avec les troupes de la Garde nationale en couverture...
Civil Rights Act of 1957
Même si tous les Américains ont obtenu le droit de vote, de nombreux États du Sud rendent la situation difficile pour les citoyens noirs, exigeant souvent des candidats de couleur qu'ils passent des tests d'alphabétisation. Voulant montrer son engagement envers le mouvement des droits civils et minimiser les tensions raciales dans le Sud, l'administration Eisenhower a fait pression sur le Congrès pour qu'il envisage une nouvelle législation sur les droits civils, et le 9 septembre 1957, le président Eisenhower signa la Civil Rights Act of 1957, la première grande législation sur les droits civils depuis la Reconstruction. Cette loi permettait de poursuivre au niveau fédéral toute personne qui tentait d'empêcher quelqu'un de voter...
Pilgrimage for Freedom on May 17, 1957
Lors du Pèlerinage de prière pour la liberté le 17 mai 1957, à Washington DC, devant une foule estimée entre 15 000 et 30 000 personnes, King prononce son premier discours national sur le thème du droit de vote, il n'a que 28 ans. Son discours, dans lequel il exhorte l'Amérique à "nous donner le droit de vote" (give us the ballot), suscite de vives critiques et le place au premier rang des dirigeants des droits civils...
1957, at 15, Dorothy Counts desegregated an all-white School...
Le 4 septembre 1957, Dorothy Counts, 15 ans, est l'une des premières étudiantes noires admises au lycée Harry Harding de Charlotte, en Caroline du Nord, dans le cadre d'une déségrégation volontaire du Conseil scolaire de la ville qui voulait éviter les mandats ordonnés par le gouvernement fédéral, en réponse à la décision de la Cour suprême des États-Unis qui a jugé la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans l'affaire Brown v. Board of Education. Depuis le début du XXe siècle, la ségrégation s'étendait à toutes les écoles publiques, les logements publics et les quartiers de Charlotte. Le premier jour où Dorothy Counts se rendit au lycée, le harcèlement a commencé, orchestré par les dirigeants du Conseil des Citoyens Blancs ségrégationnistes qui ont exhorté les garçons de l'école à bloquer son entrée et les filles de l'école à lui cracher dessus. Après quatre jours de harcèlement, ses parents la retirèrent de l'école...
James Baldwin, à Paris, décide de regagner les Etats-Unis : il a vu la photo de Dorothy, la foule l'injuriant, "une fierté, une tension et une angoisse indicibles se lisaient sue le visage de cette fille tandis qu'elle approchait du temple du savoir, les sarcasmes de l'Histoire dans dos. Cela m'a rendu furieux, cela m'a rempli à la fois de haine et pitié. Et j'ai eu honte. L'un d'entre nous aurait dû être là avec elle..."
"The Defiant Ones", Stanley Kramer (1958)
Sur un scénario de Harold Jacob Smith d'après l'histoire de Nedrick Young, Stanley Kramer réalise "The Defiant Ones" (La Chaîne) qui relate l'histoire de deux prisonniers, l'un Blanc (John Jackson, joué par Tony Curtis) et l'autre Noir (Noah Cullen, joué par Sidney Poitier), qui s'évadent ensemble enchaînés et obligés de coopérer pour s'en sortir malgré leur haine raciale de l'un pour l'autre. James Baldwin, commentera ce film assez manière, notamment lorsque les deux hommes luttent pour monter dans un train en marche : les prémisses reposent un profond malentendu américain quant à la nature de la haine entre Noirs et Blancs : "L'homme noir tire sa haine de la rage. Ce n'est pas tant qu'il déteste l'homme blanc, mais qu'il ne veut plus l'avoir sur son chemin, et surtout, sur le chemin de ses enfants. L'homme blanc tire sa haine de la terreur, une terreur sans fond ni nom qui se focalise sur le Noir comme figure d'effroi, sur une entité qui n'existe que dans son esprit..." (Notes Toward Remember This House)
Lorraine Vivian Hansberry, "A Raisin in the Sun" (1959)
Lorraine Vivian Hansberry (1930-1965), dramaturge et écrivain, fut la première femme afro-américaine à faire jouer une pièce de théâtre à Broadway, l'Ethel Barrymore Theatre de Broadway en mars 1959. Son œuvre la plus connue, la pièce "A Raisin in the Sun", met en lumière la vie d'une famille afro-américaine, les Youngers, confrontée aux problèmes de l'ascension sociale sous la ségrégation raciale à Chicago. Alors que les Youngers sont sur le point de recevoir un chèque d'assurance de 10 000 dollars provenant de la police d'assurance vie du défunt M. Younger, chacun des membres adultes de la famille va échafauder ses rêves quant à l'emploi de cet argent, déchirés entre le désir de rejoindre le monde des blancs et la quête de leur identité, de leurs racines, de l'Afrique. Et lorsqu'à la fin de la pièce, la famille peut enfin emménager dans la nouvelle maison dans un meilleur quartier, l'avenir reste incertain: "Qu'arrive-t-il à un rêve différé ? Est-ce qu'il sèche comme un raisin sec au soleil ?", pour reprendre le poème "Harlem" de Langston Hughes dont est tiré la pièce : "What happens to a dream deferred? / Does it dry up / like a raisin in the sun? / Or fester like a sore / And then run? / Does it stink like rotten meat? / Or crust and sugar over / like a syrupy sweet? / Maybe it just sags / like a heavy load. / Or does it explode?..."
Gwendolyn Brooks, “We Real Cool”, 1959 : ""We die soon"...
Née dans une famille qui s'est installée à Chicago dans le cadre de la grande migration des Noirs vers le nord du pays, et suivi son cursus scolaire en pleine Grande Dépression, Gwendolyn Brooks (1917-2000) connaît un énorme succès critique en 1945 avec son premier recueil de poèmes, "A Street in Bronzeville", suivi de "Annie Allen" (1949) puis "Maud Martha", séquence novatrice de poèmes décrivant la vie d'une femme noire à Chicago. Son oeuvre évolue au fur et à mesure de son engagement politique : "In the Mecca" (1968), une femme à la recherche de son enfant perdu, une biographie en deux volumes, "Report From Part One" (1972) et "Report From Part Two" (1996).
We real cool. We
Left school. We
Lurk late. We
Strike straight. We
Sing sin. We
Thin gin. We
Jazz June. We
Die soon.
Ecrit en 1959 et publié pour la première fois en 1960 dans le recueil The Bean Eaters, "We Real Cool " est devenu très rapidement un poème classique d'une révolte intérieure, simple d'apparence, mais soulevant à fleur de peau nombre de questions : une introduction, "The pool players, Seven at the Golden Shovel", un groupe d'adolescents, noirs, jouent au billard, qui sont-ils, que ressentent-ils, parlent-ils à tour de rôle? Faiblement argumentatif, trois mots par ligne, le poème implose au final, mais comme une comète s'évanouissant dans l'espace, ne laissant qu'un infime mais si profonde blessure, sans réponse...
Les "Blacks of the 1960s", malgré la victoire de Brown contre Board of Education au cours de la décennie précédente, vivent toujours comme des citoyens de seconde zone, non seulement dans les écoles mais aussi dans les hôpitaux, le logement, les arts, l'emploi. L'approche si pacifique du vénéré Booker T. Washington ne semble plus appropriée, celle du Dr King va prendre des allures plus militantes, plus efficaces, plus visibles...
En 1960, John F. Kennedy bat de justesse à l'élection présidentielle son adversaire républicain Richard Nixon, un président qui, pour gérer les problèmes internationaux et ceux de l'économie américaine qui se posent en urgence, a besoin, au Congrès, de l'appui des démocrates du Sud. Par ailleurs, l'administration Kennedy décide de porter un effort conséquent pour améliorer la situation économique des Noirs et mettre en place une protection fédérale efficace pour leur inscription sur les listes électorales : si depuis 1870 le 15e amendement garantit le droit de vote aux Afro-américains, il faudra attendre en fait 1965, l'année des marches de de Selma à Montgomery, dans l’Alabama, mais plus encore l’année de l’adoption de la Loi sur le droit de vote, pour que tous les électeurs noirs puissent enfin exercer leurs droits démocratiques. Deux ans et demi après son arrivée à la Maison-Blanche, Kennedy doit reconnaître que la situation appelle une intervention fédérale directe, et qu'il faut tenter d'en accélérer l'évolution. Entretemps, les protestations des Noirs commencent à s'amplifier : les sit-in de Greensboro, en Caroline du Nord, inaugurent une série de manifestations non violentes qui vont se dérouler de février à juillet 1960...
"Greensboro sit-ins" & "Woolworth’s Lunch Counter", February 1, 1960
Quatre étudiants afro-américains de Greensboro, en Caroline du Nord, refusent de quitter un comptoir de Woolworth's "réservé aux blancs" (whites only) sans être servis. Les quatre de Greensboro - Ezell Blair Jr, David Richmond, Franklin McCain et Joseph McNeil - ont été inspirés par la protestation non violente de Gandhi, il s'agit de s'asseoir sur le sol en attendant que la police vienne vous déloger et de montrer que toute violence est uniquement le fait des Blancs. Le Greensboro Sit-In, comme on l'a appelé, suscite des "sit-ins" similaires dans d'autres villes, dont Winston-Salem, Durham, Raleigh, Charlotte, Richmond, en Virginie, et Lexington, au Kentucky. C'est ainsi qu'est créé le Comité de coordination des étudiants non violents, qui encourage tous les étudiants à s'engager dans le mouvement des droits civils (SNCC, the Student Nonviolent Coordinating Committee). Un certain Stokely Carmichael rejoindra le SNCC pendant l'été de la liberté 1964 et en deviendra le président en 1966, prononçant son célèbre discours dans lequel il a créé l'expression "Black power"...
Le 14 novembre 1960, Ruby Bridges, six ans, est escortée par quatre maréchaux fédéraux armés et devient la première élève noire à intégrer l'école primaire William Frantz à la Nouvelle-Orléans. Les officiers de police locaux et de l'État avaient refusé de la protéger et de fait fut accueillie par une foule hurlante de parents blancs racistes. C'est que si la Cour suprême avait en effet déclaré en 1954 que chaque enfant avait un droit constitutionnel à une scolarisation sans ségrégation raciale, ni les législatures des États du Sud ni le Congrès ne prirent de mesures pour faire respecter ce droit constitutionnel...
Un jeune pédopsychiatre, Robert Coles, soutenu par Erik Erikson, psychanalyste au Riggs Center de Stockbridge, Massachusetts, écrivit à quel point la ségrégation avait porté atteinte à l'estime de soi de ces petites filles noires, comme Ruby Bridge, rejetées pour des raisons qu'elles ne comprenaient pas (Coles, R. (1963), The desegregation of Southern schools: A psychiatric study)....
“How We Live: Up in the city, Down on the farm, Out in the suburbs. In homes packed with pride, prejudice and love.” - Norman Rockwell s'inspirera de ces évènements pour composer "The Problem We All Live With" (1964), une huile sur toile qui représente Ruby Bridges se rendant à l'école, escortée par quatre adjoints du marshal chargés de sa protection, des représentants de l'autorité dont on ne voit pas le visage, alors que sur le mur en arrière-plan apparaît le mot « Nigger » et l’inscription « KKK », sigle du Ku Klux Klan. La foule qui assiste à la scène n'est pas représentée... L'illustration est publiée dans le magazine Look du 14 janvier 1964, au milieu du magazine sous la forme d'une double page complète sans texte d'accompagnement. Dans la table des matières, elle figurait au milieu d'une série d'articles portant des titres tels que "Their First Home", "Down On The Farm" et "Their Dream House Is On Wheels". L'un des articles portait sur Theodore et Beverly Mason, une famille noire vivant dans une communauté mixte à Ludlow, Ohio. Rockwell était alors un artiste particulièrement estimé de nombreux conservateurs pour ses représentations des valeurs américaines...
Norman Rockwell (1894-1978) est un illustrateur américain, célèbre pour avoir illustré de 1916 à 1963 les couvertures du magazine The Saturday Evening Post, où il représenta dans un style réaliste, la vie quotidienne aux États-Unis dans l'entre-deux-guerres et l'après-guerre. Vers la dernière partie de sa carrière il pourra enfin illustrer pour la revue Look des articles sur la ségrégation raciale aux États-Unis et les droits civils. Jusque-là, il s'en était tenu à la règle, bien entendu non écrite, établie par son rédacteur en chef au Post, "un homme très libéral", par ailleurs : "ne jamais montrer des gens de couleur sauf en tant que serviteurs" (never to show colored people except as servants). Nombre de couvertures de Rockwell témoignent sur deux à trois décennies de cette morale sociale implicite particulièrement ségrégationniste : "Thataway" (Saturday Evening Post cover, march 1934), an example of early "rule" on African American depiction; "Love Ouanga", une illustration de juin 1936 pour une nouvelle de l'American Magazine représentant une belle jeune Afro-Américaine habillée avec style dans une scène d'église, mise en contraste avec une famille Afro-Américaines; "Boy in Dining Car" (Saturday Evening Post du 7 décembre 1946 ) montre un jeune garçon dans un wagon-restaurant de chemin de fer étudiant le menu avec un sac à main, essayant de déterminer le paiement et le pourboire appropriés pour le serveur noir; "Roadblock" (Saturday Evening Post du 9 juillet 1949) montre un fourgon de déménagement bloqué par un petit chien dans une ruelle urbaine, avec parmi les spectateurs, des enfants noirs à peine esquissés. Et pour le numéro du 13 février 1960, alors que la couverture du Post titre, "Beginning in this issue: America’s Best Loved Artist Finally Tells His Own Story… My Adventures As An Illustrator", Norman Rockwell se prépare à quitter le journal...
Rockwell lui-même écrira plus tard à propos de son évolution en pleine expansion du mouvement des droits civils : “For 47 years, I portrayed the best of all possible worlds – grandfathers, puppy dogs – things like that. That kind of stuff is dead now, and I think it’s about time.” (Pendant 47 ans, j'ai représenté le meilleur de tous les mondes possibles - grands-pères, chiots, chiens - des choses comme ça. Ce genre de choses est mort maintenant, et je pense qu'il est temps)...
"Two, Four, Six, Eight, we don’t want to integrate" - La peinture de Rockwell ne rend pas compte du climat d'hostilité particulièrement profond, pour ne pas dire de haine, de communautés blanches à l'égard de ces tentatives d'intégration. Le nombre de membres du Ku Klux Klan avait atteint un sommet d'environ 4 millions de membres dans les années 1920, puis s'est à nouveau développé dans les années 1960. Plus globalement on voit ainsi en ce début des années 1960 nombre de parents blancs établir un boycott des écoles levant les mesures ségrégationnistes : emblématiques, le 15 novembre 1960 (New York Times), ou le 2 décembre 1960, quelques 150 blancs, des femmes au foyer pour la plupart, manifestant à l'école William Frantz, l'école de Ruby Bridges, et l'une d'entre elles se tenant debout avec une pancarte sur laquelle était écrit "L'intégration est un péché mortel" (Integration is a Mortal Sin). De son côté, avec la couverture du 1er avril 1961 du Saturday Evening Post, sous le titre "The Golden Rule", Rockwell marque une prise de conscience qui n'est pas sans importance, compte tenu de sa renommée : "Do Unto Others As You Would Have Them Do Unto You"...
John Steinbeck, "Travels with Charley : In Search of America" (1962)
Publié au milieu de l'été 1962, "Travels with Charley" devient le numéro 1 de la liste des best-sellers de non-fiction du New York Times le 21 octobre 1962. Âgé de cinquante-huit ans, John Steinbeck se met en route avec Charley, son chien comme compagnon de voyage, pour redécouvrir le pays sur lequel il avait écrit pendant tant d'années, plus de 16000 km de la pointe la plus septentrionale du Maine jusqu'à la péninsule de Monterey en Californie ; à quoi ressemble cette nouvelle Amérique? Durant son périple, il atteint la Nouvelle-Orléans, qu'il avait jadis tant apprécié, mais une communauté désormais marquée alors entièrement marquée par sa brutale controverse sur l'intégration scolaire. Il y découvre des "cheerleaders" vociférant leur rejet de toute intégration et leur racisme primitif : "but now I heard the words, bestial and filthy and degenerate. In a long and unprotected life I have seen and heard the vomitings of demoniac humans before. Why then did these screams fill me with a shocked and sickened sorrow?…" Un sentiment d'impuissance le traverse de part en part....
1961, The "Freedom Riders"
En 1960, la Cour suprême dans l'affaire Boynton contre Virginie, avait déclaré inconstitutionnelle la ségrégation dans les terminaux de transit inter-États. Pour expérimenter la mise en oeuvre sur le terrain de cette décision, tout au long de l'année 1961, des militants noirs et blancs, les "Freedom Riders", effectuent des voyages en bus à travers le Sud américain, se rendent dans les gares routières et tentent d'utiliser toilettes et comptoirs réservés aux Blancs. Les réactions violentes qu'ils provoquent parfois vont attirer l'attention internationale sur leur cause : ainsi, des Freedom Riders échappent à un bus en feu à Anniston, en Alabama, en mai 1961, et c'est le procureur général américain Robert F. Kennedy qui doit négocier avec le gouverneur de l'Alabama pour trouver un chauffeur approprié et leur permettre de reprendre leur voyage sous escorte policière. Un article de couverture de Newsweek de 1961 présente des photos et des citations de trois acteurs clés de la controverse, le procureur général des États-Unis, Robert F. Kennedy, Martin Luther King et le gouverneur du Mississippi, John Patterson....
"To Kill a Mockingbird", Robert Mulligan (1962)
En 1960, la romancière Harper Lee (1926-2016) publie "To Kill a Mockingbird" (Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur), chronique d'une petite ville du Sud ségrégationniste, la ville fictive de Maycomb en Alabama, pendant les années 1930, en pleine Grande Dépression, dans laquelle deux enfants, Scout , la narratrice, et Jem, la fille et le fils d'un avocat, Atticus Finch, qui accepte de défendre un jeune homme noir, Tom Robinson, accusé d'avoir violé une femme blanche, affrontent le monde adulte, la haine, les préjugés et l'ignorance. Le personnage de Tom Robinson est inspiré d'Emmett Till, un jeune noir de quatorze ans assassiné alors qu'il aurait flirté avec une femme blanche en 1955 dans le Mississippi. La petite ville elle-même est traversée de contradictions sociales rigides et incompréhensibles aux yeux de ces enfants, parfois caricaturales, des blancs éduqués et moralement corrects face à des blancs ignorants, sales et vicieux, des contradictions que vient exacerber la question du racisme, une question qui permet alors de délimiter la fameuse frontière entre le bien et le mal qui taraude tant nos jeunes protagonistes. Atticus, qui incarne la morale et la justice, risque sa réputation, sa position dans la communauté, mais plus encore la sécurité même de ses enfants. Scout et Jem, confrontés à l'hostilité meurtrière, apprennent comment la résistance de leur famille aux préjugés raciaux les oppose progressivement à la communauté dans son ensemble : c'est par d'autres enfants que Scout apprendra que son père défend un homme noir.
Lors du procès lui-même, les enfants sont assis parmi avec les citoyens noirs de la ville, et lorsque Atticus apporte la preuve évidente que les accusateurs, Mayella Ewell et son père, Bob Ewell, mentent, que les marques sur le visage de Mayella proviennent de blessures que son père lui a infligées en la découvrant avec Tom, le jury entièrement blanc condamne ce dernier. Innocent, mais noir, Tom tentera de de s'échapper de la prison mais sera abattu. Et malgré le verdict, Bob Ewell cherche encore vengeance et finit par s'en prendre à Jem et Scout. La logique dramatique s'enchaîne inexorablement, un de leur ami, le taciturne et mystérieux Boo Radley, s'interpose mais poignarde mortellement Ewell... Ni Tom Robinson ni Boo Radley n'étaient préparés au mal qu'ils ont rencontré et, par conséquent, sombrent totalement ...
Le roman sera adapté par Robert Mulligan en 1962, avec Gregory Peck (Atticus), Mary Badham (Scout), Robert Duvall (Boo Radley), et Brock Peters (Tom Robinson), son premier grand rôle....
1963 - James Baldwin, "The Fire Next Time"
"Color is not a human or personal reality" - En mai 1963, la couverture de Time met en vedette l'auteur et militant James Baldwin, dont le roman, "The Fire Next Time", deux "lettres" puissantes et provocatrices, écrites à l'occasion du centenaire de la Proclamation d'émancipation, qui exhortent les Américains, noirs et blancs, à s'attaquer au terrible héritage du racisme. Des extraits seront également publiés dans le magazine The New Yorker. "My Dungeon Shook: Letter to My Nephew on the One Hundredth Anniversary of the Emancipation" est une lettre de Baldwin à son neveu où il exprime tout son désarroi face à un contexte racial dramatiquement clivant, et encourage les Noirs à rechercher un changement durable plutôt que d'accroître leurs ressentiments. "Down at the Cross" : Letter from a Region in My Mind" explore les interrogations religieuses de Baldwin, sa désillusion envers le christianisme et son scepticisme concernant les croyances séparatistes de la Nation of Islam. Selon lui, les Blancs et les Noirs doivent être prêts à élargir leurs façons de penser et de vivre le monde...
On June 12, 1963, Civil rights leader Medgar Evers is assassinated
Membre de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) oeuvrant à renverser la ségrégation mise en place à l'université du Mississippi, Medgar Wiley Evers (1925-1963) est abattu d'une balle dans le dos dans l'allée de sa maison à Jackson, Mississippi.
assassiné par un suprémaciste blanc membre du Ku Klux Klan. Le même jour, le président américain John F. Kennedy, qui sera assassiné quelques mois plus tard, qualifiait la résistance blanche aux droits civils des Noirs de "crise morale" et s'était engagé à soutenir l'action fédérale en matière d'intégration. Enrôlé dans l'armée américaine en 1943, Medgar Evers avait combattu en France et en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale puis, à son retour (1946), se verra refuser en 1954 l'accès à la faculté de droit de l'université du Mississipi. Militant des droits civils particulièrement actif dans son Etat, il constituait une cible idéale pour les ségrégationnistes d'un des Etats les plus durs en la matière. Son meurtrier ne sera définitivement condamné qu'en 1994, plus de 30 ans plus tard...
En 11 juin 1963, le gouverneur George C. Wallace pose à l'entrée de l'université d'Alabama (Tuscaloosa), entièrement blanche, pour empêcher deux étudiants noirs de s'inscrire. Vivian Malone est l'une de ces deux étudiantes et fait la couverture de Newsweek, avec une citation du président John F. Kennedy ("We owe them – and we owe ourselves – a better country….")...
Dans le même Etat, la ville de Birmingham était connue comme l'une des villes les plus ségrégationnistes des Etats-Unis : Martin Luther King Jr, James Bevel, et Fred Shuttlesworth menèrent au début de 1963 la "Birmingham confrontation" menant à des confrontations largement médiatisées entre de jeunes étudiants noirs et les autorités blanches, et conduire le gouvernement municipal à modifier les lois de la ville sur la discrimination.
Dans son édition du 28 juin 1963, Life présente en couverture, lors de ses funérailles au cimetière national d'Arlington, une photographie de la femme et de l'enfant du militant des droits civils Medgar Evers, abattu d'une balle dans le dos par un membre du Ku Klux Klan. En juillet 1963, Newsweek publie un numéro spécial sur "The Negro in America", avec en couverture un homme noir non identifié, proposant “The first definitive national survey – who he is, what he wants, what he fears, what he hates, how he lives, how he votes, why he is fighting … and why now?” ....
August 28, 1963, The March on Washington for Jobs and Freedom
L'un des événements les plus célèbres du mouvement des droits civils s'est déroulé 28 août 1963 , la Marche sur Washington, organisée par des leaders des droits civiques tels que A. Philip Randolph, Bayard Rustin et Martin Luther King, Jr. , plus de 200 000 personnes de toutes les races rassemblées pacifiquement à Washington, D.C. pour soutenir la législation sur les droits civils et établir l'égalité des emplois pour tous....
August 28, 1963, Martin Luther King gives his “I Have A Dream” in front of the Lincoln Memorial
Martin Luther King y prononce son célèbre discours "J'ai fait un rêve" en guise de clôture devant le Lincoln Memorial. Il déclare, reprenant les textes fondateurs des États-Unis d’Amérique (Constitution et Déclaration d'indépendance) : Je rêve qu'un jour cette nation se lève et vive le vrai sens de son credo : nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont créés égaux.... Le discours qui va galvaniser le mouvement des droits civils et devenir le slogan des futures campagnes pour l'égalité, la liberté et plus de fraternité au-delà de toutes les divergences...
"I say to you today, my friends, even though we face the difficulties of today and tomorrow, I still have a dream. It is a dream deeply rooted in the American Dream.
I have a dream that one day this nation will rise up and live out the true meaning of its creed: "We hold these truths to be self-evident; thal all men are created equal".
I have a dream that one day even the state of Mississippi, a state sweltering with the heat of injustice, sweltering with the heat of oppression, will be transformed into an oasis of freedom and justice.
I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character.
I have a dream today.
I have a dream that one day down in Alabama with its vicious racists, with its governor having his lips dripping with the words of interposition and nullification one day right there in Alabama little black boys and black girls will be able to join hands with little white boys and little white girls as sisters and brothers.
I have a dream today.
I have a dream that one day every valley shall be exalted, every hill and mountain shall be made low, the rough places will be made plains, and the crooked places will be made straight, and the glory of the Lord shall be revealed, and all the flesh shall see it together.
This is our hope. This is the faith that I go back to the South with.
With this faith we will be able to hew out of the mountain of despair a stone of hope.
With this faith we will be able to transform the jangling discords of our nation into a beautiful symphony of brotherhood.
With this faith we will be able to work together, to pray together, to struggle together, to go to jail together, to stand up for freedom together, knowing that we will be free one day.
This will be the day when all of God's children will be able to sing with new meaning, "My country 'tis of thee, sweet land of liberty, of thee I sing. Land where my father died, land of pilgrims' pride, from every mountainside, let freedom ring".
And if America is to be a great nation this must become true. So let freedom ring from the prodigious hilltops of New Hampshire. Let freedom ring from the mighty mountains of New York. Let freedom ring from the heightening Alleghenies of Pennsylvania!
Let freedom ring from the snowcapped Rockies of Colorado! Let freedom ring from the curvacious slopes of California!
But not only that; let freedom ring from the Stone Mountain of Georgia! Let freedom ring from Lookout Mountain of Tennessee. Let freedom ring from every hill and mole hill of Mississippi. From every mountainside, let freedom ring, and when this happens,
When we let freedom ring, when we let it ring from every village and every hamlet, from every state and every city, we will be able to speed up that day when all of God's children, black men and white men, Jews and Gentiles, Protestants and Catholics, will be able to join hands and sing in the words of the old Negro spiritual, "Free at last! Free at last! Thank God almighty, we are free at last"!
June 11, 1963, President Kennedy spoke to the nation in a televised address to ask for support of the civil rights bill.
En septembre 1962, le Président Kennedy met la Garde nationale du Mississippi sous l'autorité fédérale et envoie l'armée protéger un étudiant (James Meredith) qui s'était inscrit à l'université de cet Etat. La brutalité des milieux blancs les plus réactionnaires atteignit son paroxysme en 1963, lorsque Kennedy, le 11 juin, s'adresse à la nation pour poser enfin le problème en termes moraux et idéologiques, - “We are confronted primarily with a moral issue. It is as old as the scriptures and is as clear as the American Constitution. The heart of the question is whether all Americans are to be afforded equal rights and equal opportunities” -, reçoit Martin Luther King à la Maison Blanche, utilise les forces fédérales pour contrer la ségrégation raciale dans les écoles du Mississippi et de l’Alabama, et surtout lance son fameux projet de Loi sur les Droits civiques que reprendra son successeur. Il est assassiné le 22 novembre 1963, au Texas, un Etat du Sud : la version officielle, selon laquelle l'assassinat fut l'oeuvre d'un individu isolé, en révolte contre la société, ne convainquit personne....
June 1964, “Murder in Mississippi” - Michael Schwerner, James Chaney et Andrew Goodman, trois travailleurs des droits civiques, venus enquêter sur des exactions du Klan, sont assassinés dans le Mississippi, en juin 1964. Le magazine Look s'insurge contre cette violence avec un article intitulé "Southern Justice", avec en illustration une peinture de Norman Rockwell qui reflète toute la révolte horrifiée d'un crime perpétré par des ombres pourtant bien identifiées : le crime est celui d'une société dans son entier... Les autorités locales du Mississippi refusèrent de poursuivre les meurtriers présumés et ce fut le ministère américain de la justice qui poursuivit quelque dix-huit personnes au motif de conspiration visant à priver les trois travailleurs de leurs droits civils, par le meurtre...
Pendant ce temps, En 1964, trois jours d'émeutes à Rochester (dans l'État de New York) font quatre morts, puis près de 4 000 personnes participent à des émeutes à Harlem et Bedford-Stuyvesant (deux quartiers de la ville de New York) après le meurtre d'un jeune homme noir par la police....
LeRoi Jones/Amiri Baraka (1934-2014), "The Dead Lecturer" (1964)
Installé à Greenwich Village, LeRoi Jones (1934-2014) était un poète Beat dont le recueil "Preface to a Twenty Volume Suicide Note" (1961) critiquait le matérialisme des années 1950, et s'imposait jusque-là comme critique reconnu du Blues et du Jazz (Blues People: Negro Music in White America, 1963). En 1964, Jones remporte un grand succès avec sa pièce de théâtre "Dutchman", mais, à la suite de l'assassinat de Malcolm X en 1965, Jones rompt avec les poètes Beat (The Dead Lecturer), quitte sa femme, part vivre dans le quartier noir new-yorkais de Harlem, se rebaptise en 1968 Amiri Baraka et fonde le Black Arts Movement. Il devient la voix littéraire véhémente d'une nouvelle conscience sociale noire, déclamant sa liberté dans des vers originaux. Dans le poème "Rhythm & Blues", il utilise les structures du jazz et du blues pour forger une nouvelle voix typiquement afro-américaine. Dans "Black Dada Nihilismus" et "An Agony. As Now" il clame la colère et le désespoir d'un homme noir piégé dans une société de classe moyenne blanche, le désespoir et la révolte d'être condamné pour la couleur de sa peau, de son corps, de son apparence physique : "Je suis à l'intérieur / quelqu'un qui me déteste" (I am inside someone who hates me), un corps qui "déteste" la personne emprisonnée en lui, un corps dont on ne peut espérer s'échapper, un corps déconnecté de la véritable identité des âmes qui les habitent, une séparation de l'âme du corps dont il prend subitement conscience qu'il n'en est en rien responsable ....
I am inside someone
who hates me. I look
out from his eyes. Smell
what fouled tunes come in
to his breath. Love his
wretched women.
Slits in the metal, for sun. Where
my eyes sit turning, at the cool air
the glance of light, or hard flesh
rubbed against me, a woman, a man,
without shadow, or voice, or meaning.
This is the enclosure (flesh,
where innocence is a weapon. An
abstraction. Touch. (Not mine.
Or yours, if you are the soul I had
and abandoned when I was blind and had
my enemies carry me as a dead man
(if he is beautiful, or pitied.
It can be pain. (As now, as all his
flesh hurts me.) It can be that. Or
pain. As when she ran from me into
that forest.
Or pain, the mind
silver spiraled whirled against the
sun, higher than even old men thought
God would be. Or pain. And the other. The
yes. (Inside his books, his fingers. They
are withered yellow flowers and were never
beautiful.) The yes. You will, lost soul, say
‘beauty.’ Beauty, practiced, as the tree. The
slow river. A white sun in its wet sentences.
Or, the cold men in their gale. Ecstasy. Flesh
or soul. The yes. (Their robes blown. Their bowls
empty. They chant at my heels, not at yours.) Flesh
or soul, as corrupt. Where the answer moves too quickly.
Where the God is a self, after all.)
Cold air blown through narrow blind eyes. Flesh,
white hot metal. Glows as the day with its sun.
It is a human love, I live inside. A bony skeleton
you recognize as words or simple feeling.
But it has no feeling. As the metal, is hot, it is not,
given to love.
It burns the thing
inside it. And that thing
screams.
"July 2, Civil Rights Act of 1964"
Aux élections présidentielles de 1964, utilisant le langage forgé sous son administration, Johnson apparaissait comme une colombe timide et sans défense face au faucon Goldwater, fier et agressif. Pourtant, Johnson devait réaliser le programme proposé par Goldwater au cours de sa campagne électorale, en embourbant le prestige des Etats-Unis dans les terres marécageuses du Viet-Nam et en y envoyant plusieurs centaines de milliers de boys américains. Mais il reprenait aussi la loi de 1960 sur les droits civils initiée sous Kennedy. La commission des droits civils avait constaté que 57 % des logements des Afro-Américains étaient jugés inacceptables, que l'espérance de vie était inférieure de sept ans pour les Afro-Américains et que la mortalité infantile était deux fois plus importante. Le racisme hantait les États-Unis depuis la fin de la guerre civile en 1865, comment que l'Amérique pouvait-elle se qualifiait elle-même de "terre de liberté" au sortir de la Guerre froide.
Le 2 juillet 1964, le président Lyndon B. Johnson promulgue donc le "Civil Rights Act", décrite souvent comme la législation la plus révolutionnaire concernant les Afro-Américains depuis la Proclamation d'émancipation de 1863, qui a libéré les esclaves de la servitude. Le Civil Rights Act interdisait en effet la ségrégation dans les lieux publics, rendait illégale la discrimination en matière d'emploi et intégrait toutes les écoles et autres installations publiques. Cette loi a rendu inconstitutionnelle toute discrimination fondée sur la race, le sexe, la nationalité, la religion. Mais, de portée universelle, la loi limitait certes l'utilisation des tests d'alphabétisation des électeurs, mais ne résolvait pas la problématique des discriminations qui s'imposait à l'expression démocratique de l'électorat noir...
1964 - Réalisé à partir d'entretiens, "The New World of Negro Americans" de Harold Isaacs (1910–1986), auteur par ailleurs d'une "The Tragedy of the Chinese Revolution" portant sur la Révolution chinoise de 1925-27, et publiée pour la première fois en 1938 avec une préface de Léon Trotsky et de nombreuses interviews (Robinson, Bunche, Baldwin, Ellison)? L'auteur considère que colonialisme et le racisme américain sont les résultats d'un même processus qu'il faut désormais surmonter : "“all Western white men have to get rid of the habits of mastery, and all non-whites the habits of subjection” (tous les hommes blancs occidentaux doivent se débarrasser de leurs habitudes de maîtrise, et tous les non-blancs de leurs habitudes de sujétion). Harold Isaacs montre comment la fin de la suprématie blanche, à la fois comme idéologie occidentale et comme impérialisme économique, et l'émergence d'une Afrique autonome, remodèlent la rencontre socio-psychologique du Noir avec lui-même et fournissent de nouvelles bases aux problèmes non résolus du racisme et de la démocratie, de l'aliénation et de l'assimilation....
1965, "Who Speaks for the Negro ?", Robert Penn Warren
“I have written this book because I wanted to find out something, first hand, about the people, some of them anyway, who are making the Negro Revolution what it is—one of the dramatic events of the American Story. This book is not a history, a sociological analysis, an anthropological study, or a Who’s Who of the Negro Revolution. It is a record of my attempt to find out what I could find out. It is primarily a transcript of conversation, with settings and commentaries.” - Livre d'entretiens particulièrement vivants réalisés en 1964-1965 par Robert Penn Warren avec des militants du mouvement des droits civils, qui fut largement commenté par les journaux et le grand public, une histoire orale du mouvement des droits civils que l'on peut comparer à "My Soul is Rested : Movement Days in the Deep South Remembered", du journaliste Howell Raines (1977), ou à "My Soul Looks Back in Wonder : Voices of the Civil Rights Experience" de Juan Williams , auteur renommé par ailleurs pour "Eyes on the Prize : America's Civil Rights Years (1954-1965)" en 1987....
En 1961, Robert Penn Warren (1905-1989) avait publié "Wilderness" (La Grande Forêt), une tragédie qui prenait pour pretexte l'un des thèmes de prédilection du roman américain, la guerre de Sécession: Adam Rosenzweig, un jeune Juif allemand part pour l'Amérique pour racheter son père et combattre pour la liberté des Noirs, il rencontrera dans son périple déceptions et épreuves mais poursuivra malgré tout son idéal...
1965, the Black religious leader Malcolm X ....
"Quand Malcom X parle, ou quand les autres prédicateurs du mouvement musulman parlent, ils mettent des mots sur la souffrance de tous les Noirs qui les entendent et les écoutent. Cette souffrance qu'on nie depuis si longtemps dans ce pays. De là vient la grande autorité de Malcom sur ses publics. Il confirme leur réalité. Il leur dit qu'ils existent vraiment..." (James Baldwin)
Martin Luther King Jr. (1929-1968) et Malcolm X (1925-1965) furent tous deux des ministres respectés et des leaders reconnus du peuple afro-américain, un Malcolm issu des ghettos du nord et porte-parole des plus pauvres noirs, un Martin Luther King, élevé dans une famille de classe moyenne du Sud, ayant fréquenté et ministre baptiste prônant la non-violence et la résistance passive, loin des discours de Malcom mettant en garde l'Amérique blanche contre d'éventuelles explosions de violence : "Any Negro trying to integrate is actually admitting his inferiority, because he is admitting that he wants to become a part of a 'superior' society". Il est vrai que le mouvement des droits civils était soutenu et financé par de nombreux Blancs. Mais tous deux partageaient au bout de compte le constat que rien ne changerait dans la mentalité des Blancs, et que c'était à eux de reprendre en main leur destin et de cesser de s'humilier en vain...
"... à l'époque où je travaillais pour lui, j'avais eu la faiblesse, écrit Maya Angelou, de croire comment le révérend King que l'amour guérirait l'Amérique de ses maux pathologiques, que notre lutte pour l'égalité des droits purgerait le pays de sa sinistre histoire. Mais les prières, les sit-in, les sacrifices, les peines d'emprisonnement, l'humiliation, les insultes et les railleries n'avaient pas permis à la vision du révérend King de se concrétiser. Lorsque, fous de rage, des citoyens et des leaders politiques de race blanche jurèrent de mourir plutôt que de permettre la fin de la ségrégation, je rejetai avec plus de fermeté la non-violence et le révérend King" (Un billet d'avion pour l'Afrique, All God's Children Need Traveling Shoes, 1986).
"Gandhy was a big dark elephant sitting on a little white mouse. King was a little black mouse sitting on top of a big white elephant" - Malcolm a réalisé avant Martin que la première étape pour atteindre ces objectifs d'émancipation était que le peuple afro-américain développe sa conscience de soi et sa fierté, afin qu'il puisse enfin s'unir et travailler ensemble avec les personnes non blanches du monde entier, un Martin apprécié en Europe, un Malcom particulièrement renommé en Afrique. Pour beaucoup de jeunes afro-américain, Malcolm a été le premier dirigeant noir à dire aux Noirs qu'ils avaient le droit de défendre leur propre vie....
Le 21 février 1965, Malcolm X est assassiné lors d'un rassemblement de membres de la Nation Islamique à New York.
Malcom X (Malcolm Little, 1925-1965) incarne au début des années 1960 un alliage particulièrement subversif, fierté raciale et nationalisme noir, exprimé médiatiquement par l'adoption du "Black Power". Son assassinat, son autobiographie largement diffusée (The Autobiography of Malcolm X, 1965) lui assurent un statut hors norme dans la jeunesse afro-américaine: un grand-père écossais, une mère au teint clair dont il hérita malgré lui, un père a été assassiné en 1931 par le KKK, la prison à 21 ans pour cambriolage, et la rencontre avec la "Nation of Islam" qui rejette toute culture blanche et préconise un retour à un Islam africain. Son charisme, son dynamisme et sa conviction feront le reste à tel point que le FBI infiltre l'organisation, jusqu'à ce fameux voyage à à la Mecque, en Arabie Saoudite, en 1964, qui accentue son prosélytisme (les "diables blancs" sont devenus ses "frères blancs"), puis son assassinat. Mais le mouvement est lancé : le manifeste "Black Fire", une sélection de 178 sélections poèmes, d'essais, de nouvelles et de pièces de théâtre de critiques culturels, d'artistes littéraires et de dirigeants politiques, à l'initiative d' Amiri Baraka et de Larry Neal, entend provoquer un changement dans la pensée et l'action de toute une génération....
March 7, 1965, "Bloody Sunday, a Turning Point in the Civil Rights Movement"
Le pays est en pleine effervescence, alors que la guerre du Viêt Nam s'intensifie, des États du Sud refusent l'adoption du Civil Rights Act du 2 juillet 1964. Le 18 février, des ségrégationnistes blancs attaquent un groupe de manifestants pacifiques dans la ville de Marion, en Alabama. Dans le chaos qui s'ensuit, un soldat de l'État d'Alabama abat Jimmie Lee Jackson, un jeune manifestant afro-américain. En réaction, environ 600 manifestants pour les droits civiques se rendent de Selma, en Alabama, à Montgomery, la capitale de l'État, pour protester contre le meurtre de Jimmie Lee Jackson et pour encourager les autorités à appliquer le 15e amendement. Alors que les manifestants s'approchent du pont Edmund Pettus, ils sont bloqués par la police puis violemment réprimés sous l'objectif des caméras des chaînes de télévision. C'est un tournant pour le mouvement des droits civiques qui, tout au long des années 1960, s'ouvre la couverture des magazines grand public. Ainsi, en mars 1965, Life publie un article de couverture sur la marche pour les droits civils à Selma, en Alabama. Mais plus encore, Martin Luther King et les siens rappellent à la nation tout entière, de manière pacifique, toute leur détermination à obtenir l'exercice de leurs droits démocratiques en dépit de la ségrégation et des lois racistes de certains États....
August 6, 1965, the "National Civil Rights Act "
Le Congrès et le président Johnson ratifie le 6 août 1965 le National Civil Rights Act qui bannit toute restriction au droit de vote des noirs sur tout le territoire, interdit notamment tous les tests d'alphabétisation des électeurs et prévoit la présence d'examinateurs fédéraux dans certaines juridictions. Cette seconde loi marque l'égalité définitive des droits entre les citoyens américains....
August 11, 1965, "The Watts Rebellion"
C'est pourtant au mois d'août 1965, qu'éclatent à Los Angeles, dans le quartier à prédominance noire de Watts, cinq jours d'émeutes mobilisant plus de 34 000 personnes, des émeutes qui feront plus de trente morts, plus de 1 000 blessés, 4 000 arrestations, et se terminant par la destruction de 1 000 bâtiments. Martin Luther King distingue alors deux causes différentes dans le nouveau combat des Noirs, dans le Sud, les Noirs se battent encore et toujours pour leurs droits, tandis que dans le Nord, leurs luttes concernent «la dignité et le travail». Bayard Rustin, conseiller de Martin Luther King Jr., quant à lui, ajoute que la crise de Watts constitue "la première rébellion majeure de Noirs contre leur propre masochisme, et qu'elle a été menée avec le but assumé de faire comprendre qu'ils ne se soumettraient plus en silence aux privations de la vie des taudis ( that they would no longer quietly submit to the deprivation of slum life)..." (The Last Days of the Late, Great State of California, Curt Gentry, 1968). Les reportages télévisés marqueront notablement les esprits (Charles Bukowski, Who in the Hell is Tom Jones?, 1975, James Ellroy, Blood on the Moon, 1984, Richard Fleischer, The New Centurions, 1972)...
A partir de 1965 et de Watts, les émeutes raciales ne cesseront de hanter régulièrement l'histoire américaine, 1967, le ghetto de Newark, dans le New-Jersey, 1980, les émeutes de Miami, débutent après l'acquittement de 4 policiers impliqués dans la mort du vétéran afro-américain, 1992, un jury, composé de dix blancs, un asiatique et un latino acquitte 4 officiers de police accusés d'avoir roué de coups un automobiliste noir arrêté pour excès de vitesse, 2001, Cincinnati, un délinquant multirécidiviste est abattu par la police au terme d'une course poursuite, 2009, à Oakland, près de San Francisco un officier de police abat un jeune afro-américain de 22 ans, 2012, dans les rues de Sanford, en Floride, un latino qui effectuait des patrouilles de surveillance dans le quartier dans le cadre de la milice locale abat un jeune noir de 17 ans....
1966, Stokely Carmichael, The "Black Power"
Stokely Carmichael (1942-1998), né à Port of Spain (Trinité-et-Tobago), s'établit à New York en 1952, fait partie en 1961 des Freedom Riders qui voyagent à travers les États du Sud afin de défier la ségrégation dans les transports publics, et rejoint en 1964 le Student Nonviolent Coordinating Committee, soutenant la stratégie de déségrégation menée par Martin Luther King. Mais, après avoir assisté à des meurtres de militants, Carmichael se radicalise et crée le mouvement Black Power en 1966, qui prône l'auto-défense, l'auto-détermination, l'accès aux pouvoirs économique et politique, ainsi que la fierté de l'appartenance à la communauté noire, en rupture avec les idéaux de non-violence et d'intégration prônés par Martin Luther King.
C'est qu'entretemps, la lutte des Noirs pour leurs droits s'est durcie, d'autant qu'il semble désormais évident que ce ne sont pas les lois qui séparent les hommes en fonction de leur couleur, mais les structures sociales des Blancs. Dans sa biographie bien connue," Stokely : A Life", Peniel Joseph raconte le parcours politique d'une icône devenue mondiale....
A cela s'ajoute la décolonisation et le mouvement d'indépendance des Etats africains qui atteint son point culminant en 1960, près de 45 millions d'hommes, plus du quart de la population totale de l'Afrique, accèdent à la liberté et à la souveraineté, tandis que l'Afrique du Sud sous apartheid vit le 21 mars 1960 le massacre de Sharpeville...
Et dans les quartiers noirs, on prêche alors le retour à l'Afrique ancestrale, à la religion musulmane, l'assassinat de l'activiste noir MalcolmX en 1965 ne fait qu'accroître l'opposition entre pacifisme et séparatisme violent. En 1966 , à Oakland, Californie, Huey P. Newton et Bobby Seale fondent le "Black Panther Party for Self-Defense", un parti révolutionnaire afro-américain dont l'objectif initial est de protéger les habitants des quartiers afro-américains contre les actes de brutalité policière...
June 1966, "The March Against Fear", "We want Black Power!
La Marche contre la peur fut initialement une marche pour le droit de vote dans le Mississippi en juin 1966, lancée par James Meredith, le premier Afro-Américain à fréquenter l'Université du Mississipi : mais celui-ci ayant blessé par les tirs d'un sniper blanc, trois grands leaders des droits civils, Martin Luther King, Jr. (Southern Christian Leadership Conference), Stokely Carmichael (Student Nonviolent Coordinating Committee) et Floyd McKissick (Congress of Racial Equality) décident de poursuivre la Marche contre la peur en son nom. Harcelés tant par des groupes de blancs que par la police locale, la marche change de nature et voit l'émergence du Black Power en tant que force parallèle au mouvement principal des droits civils : à Greenwood, dans le Mississippi, le 16 juin, Carmichael, à peine libéré de prison, harangue la foule en chantant "We want Black Power !", un slogan auquel s'opposa Martin Luther King, Jr tant lui paraissait évidente la connotation de violence et de séparatisme. Mais un degré est franchi : “When you talk about black power you talk about bringing this country to its knees any time it messes with the black man … any white man in this country knows about power. He knows what white power is and he ought to know what black power is”, répond Carmichael... À la fin des années 1960 et au début des années 1970, le Black Power est devenu l'appel de ralliement des nationalistes noirs et des mouvements armés révolutionnaires comme le Black Panther Party...
La guerre du Vietnam, le mouvement des droits civiques et les émeutes urbaines constituent à elles trois une gigantesque vague sociale qui va submerger l'Amérique du milieu des années 1960 de sa haine raciale et générationnelle...
July 23, 1967, the Great Rebellion, the Detroit Riot, Michigan
Le "Long, hot summer of 1967" connaît plus de 159 émeutes raciales à travers tout le pays, de juin à juillet, à Atlanta, Boston, Cincinnati, Buffalo, New York, Tampa, Birmingham, Chicago, New York, Milwaukee, Minneapolis, New Britain, Rochester, Plainfield, Newark, et Détroit. La commission Kerner diligentée par Lyndon B. Johnson attribuera la responsabilité globale de cette violence urbaine au racisme de la population blanche qui entretient une ségrégation raciale de fait en accentuant la ghettoïsation de la population afro-américaine, en fuyant les centres-villes au profit des banlieues et en la privant de toute perspective économique. A Détroit, en pleine tension liée à l'intégration et en proie à un activisme croissant, l’événement déclencheur fut une descente de police effectuée dans un bar clandestin, exclusivement fréquenté par des Afro-Américains au nord de l'angle d'un angle de la 12th Street, l'un des points les plus denses de la ville et les plus criminogènes. Ce fut l'une des émeutes les plus meurtrières et les plus destructrices de l'histoire des États-Unis, cinq longues journées qui fit quarante-trois morts, des centaines de blessés, près de dix-sept cents incendies et plus de sept mille arrestations. Coleman Young, le premier Afro-Américain à être élu maire de Détroit en 1974, ne cessera de répéter, "People who are hungry and unemployed commit crimes. People who have jobs and pride do not."
La même année se tenait à Newark, dans la banlieue de New York, l'un des plus grands rassemblements de dirigeants du Black Power, qui comprenait non seulement des représentants américains, mais aussi des personnes des Bermudes et du Nigeria : fut publié le Manifeste du pouvoir noir qui demandait la fin du "contrôle néocolonialiste" (neo-colonialist control) des populations noires sur le globe et qui voulait unir les Afro-Américains en promouvant une "philosophie du noir" (philosophy of Blackness)...
"In the Heat of the Night" (1967), Norman Jewison
C'est avec "Dans la chaleur de la nuit", et le fameux "Appelez moi monsieur Tibbs", que le racisme encore peu exploré à l'écran fait sa véritable entrée dans le monde cinématographique. Il faut pour cela un producteur indépendant, Walter Mirisch et le metteur en scène Norman Jewison qui font adapter spécialement pour Sidney Poitier le roman de John Ball (Stirling Silliphant). Un Sidney Poitier (1927), qui naît lors d'un voyage de sa mère à Miami en Floride, dans le quartier de Coconut Grove,et qui se formera dans le prestigieux Actors Studio : s'il n'est pas représentatif de la réalité afro-américaine de l'époque, l'acteur incarne à l'écran un homme noir totalement présentable aux yeux de la société blanche. C'est en 1955 avec "No Way Out" (La porte s'ouvre), réalisé par Joseph L. Mankiewicz, que Sidney Poitier fait ses premières armes face à Richard Widmark, Linda Darnell et Stephen McNally. Ici, Virgil Tibbs (Poitier) est arrêté uniquement parce qu'il est noir quand il passe par la petite ville ségrégationniste de Sparta, Mississipi, le soir où un industriel du Nord est assassiné. Au grand dam d'un chef raciste de la police (Rod Steiger), Tibbs est un inspecteur de Philadelphie et les deux hommes sont contraints de coopérer pour l'enquête. L'intrigue criminelle et l'atmosphère sont prenantes, avec une musique de Quincy Jones, mais l'impact durable du film provient des rapports entre les deux hommes. Poitier joue son rôle avec un dédain princier pour la racaille blanche qui le harcèle, tandis qu'il démêle l'énigme...
"Guess who's coming to dinner" (1967), Stanley Kramer
Au milieu des années 1960, Joey Drayton (Katharine Houghton), une jeune femme de 23 ans, vient à San Francisco présenter son futur époux, le docteur John Prentice (Sidney Poitier), à ses parents, un brillant médecin et professeur de médecine de 37 ans. Les parents de Joey, Matt et Christina Drayton (Spencer Tracy et Katharine Hepburn), ont des convictions libérales très affirmées et ont élevé leur fille dans le refus du racisme, mais ils n'en éprouvent pas moins un certain embarras à la vue du fiancé...
"Devine qui vient dîner..." aborde avec audace la question des relations entre une femme blanche et un homme noir au plus fort des changements culturels en Amérique, mais c'est un film conçu au fond pour rassurer les blancs dans l'idée du mariage interracial et qui débouche sur l'acceptation par les Blancs de ces nouveaux codes sociaux, des codes relatifs tant aux hiérarchies raciales qu'aux relations entre générations ou entre hommes-femmes : c'est bien la capacité des parents à s'adapter à ces changements qui va déterminer en fin de compte leur approbation et leur inclusion au sein des jeunes générations. Petite note de James Baldwin à propos du film, "les Noirs ont détesté en particulier "Devine Qui vient dîner" car ils ont l'impression qu'en fait on utilisait Sidney contre eux. Etrangement, "Devine Qui vient dîner" peut se révéler être un jalon important, car il est vraiment impossible d'aller plus loin dans cette direction-là. La prochaine fois , il va falloir s'embrasser..."
"Dr. Martin Luther King, Jr. is assassinated Just after 6 p.m. on April 4, 1968"...
Le 4 avril 1968, un franc-tireur blanc, James Earl Ray, tue le leader des droits civiques et prix Nobel de la paix, l'apôtre de la non-violence, Martin Luther King, sur le balcon de sa chambre d'hôtel à Memphis, Tennessee. Il était âgé de 39 ans et avait prononcé ces quelques paroles prémonitoires: “We’ve got some difficult days ahead. But it really doesn’t matter with me now, because I’ve been to the mountaintop … And He’s allowed me to go up to the mountain. And I’ve looked over, and I’ve seen the Promised Land. I may not get there with you. But I want you to know tonight that we, as a people, will get to the promised land.”...
"Blood Brothers"
Norman Rockwell espère encore montrer la superficialité des différences raciales, que le sang de tous les hommes est le même, dans son tableau "Blood Brothers", qui fait suite à l'assassinat du Dr Martin Luther King en avril et des émeutes qui s'en sont suivies dans plus de 100 villes américaines, faisant de nombreux morts et blessés....
April 11, The Civil Rights Act of 1968, the Fair Housing Act, banning discrimination in housing sales and rentals...
Si la ségrégation, désormais interdite et condamnée, semblait avoir été surmonté et le droit de vote des minorités définitivement acquis, la réelle intégration de la communauté noire n'était toujours pas acquise : politiques discriminatoires en matière de logement, disparités des revenus, concentration des communautés afro-américaines dans des zones urbaines délaissées, appauvries, sous-employées, harcelés par la police locale. De fait, la commission Kerner créée en juillet 1967 à l'instigation du président des États-Unis Lyndon B. Johnson, dans le but d'enquêter sur les origines des émeutes raciales de 1967 à Detroit (Michigan), établissait que le pays « se dirige vers une société à deux faces, l'une blanche, l'autre noire – séparées et inégales. » Mais l'administration Johnson est par trop préoccupée par le coût du conflit vietnamien et l'impact politique de la guerre aux États-Unis, aucune action ne sera mise en oeuvre....
Jusqu'à ce que l'ampleur inédite d'une semaine d'émeutes raciales, à Washington, Chicago, Boston, Newark, Cincinnati, Baltimore, n'oblige le 11 avril, le président Johnson à signer une nouvelle loi sur les droits civiques, qui renforce les lois de 1964 et de 1965, et y ajoute le Fair Housing Act, qui interdit la discrimination en matière de logement fondée sur la race, le sexe, l'origine nationale et la religion. C'est la dernière législation adoptée à l'époque des droits civils...
Il semble alors que le mouvement des droits civiques et ces innombrables militants ont permis d'adopter une législation visant à mettre fin à la ségrégation et aux pratiques discriminatoires en de droits démocratiques, d'emploi et de logement....
"Soul on Ice", Eldridge Cleaver (1968)
"If you are not part of the solution you are part of the problem" - À la fin des années 1960, après la disparition de l'apôtre de la résistance armée, Stokely Carmichael restait l'une des figures les plus polarisantes de la culture américaine, portant la critique de la suprématie blanche, du racisme institutionnel et de l'impérialisme. Mais il renonce à penser et à agir au sein d'une démocratie américaine qui ne peut, de son point de vue, évoluer vers une intégration correspondant aux attentes afro-américaines : le voici en fin de parcours prônant un panafricanisme révolutionnaire sous la direction des révolutionnaires africains Kwame Nkrumah du Ghana et Sékou Touré de Guinée.
"I'm perfectly aware that I'm in prison, that I'm a Negro, that I've been a rapist, and that I have a Higher Uneducation." - A la même époque, Eldridge Cleaver (1935-1998) écrit dans la prison d'État de Folsom en 1965 "Soul on Ice" qui décrit, sans fard et en terme parfois crus, son réveil politique à la lecture de Thomas Paine, Karl Marx, W.E.B. DuBois, Malcolm X, James Baldwin, sa transformation de trafiquant de marijuana et de délinquant sexuel en un adepte convaincu de Malcolm X et un révolutionnaire marxiste. Il discute de ses opinions sur la sexualité et la masculinité noire et représente le fossé racial en Amérique comme un fossé entre le corps (les Noirs, après des siècles de travail d'esclave) et l'esprit (les Blancs, après des siècles de possession d'esclaves et de positions de pouvoir intellectuel), exprime l'idée que les Noirs sont relégués dans une totale impuissance mentale, incapables d'utiliser leur esprit après avoir été si longtemps exploités uniquement pour leur corps et leur force physique. Quant aux femmes, elles apparaissent comme des monnaie d'échange dans la guerre raciale en cours : les hommes blancs ont le sentiment que les femmes blanches leur appartiennent, et les hommes noirs sont tout aussi possessifs à l'égard des femmes noires. Au fond, pour lui, chaque camp cherche à obtenir le contrôle et le pouvoir sexuel sur les femmes...
Après sa libération de prison, Cleaver est devenu un membre éminent des Black Panthers, prônant la guérilla urbaine contre une force de police corrompue. Mais peu après l'assassinat de Martin Luther King, Cleaver tendait une embuscade à des policiers d'Oakland, et, accusé de tentative de meurtre, doit fuir, d'abord à Cuba puis en Algérie, pour une période d'exil politique. En 1977, Cleaver retournait aux États-Unis et se rendait au FBI. Cependant, l'étonnant virage tardif de Cleaver de la gauche radicale vers la politique conservatrice le place, lui et ses mémoires, sous un autre jour...
Même après le déclin du mouvement Black Power à la fin des années 1970, son impact continuera à se faire sentir pendant des générations, à propos de l'identité raciale noire, de la fierté, de l'autodétermination....
Et James Baldwin de conclure, "Je peux certifier que le monde n'est pas blanc. Il ne l'a jamais été, ne peut pas l'être. Le blanc est une métaphore du pouvoir, juste une manière de décrire la Chase Manhattan Bank..." (James Baldwin, Notes Toward Remember This House)