Boom latinoamericano - Ernesto Sábato (1911-2011, Arg.), "El Túnel" (1948), "Sobre héroes y tumbas" (1961) - Juan Carlos Onetti (1909-1994, Urug.),  ""Los adioses" (1954), "El astillero" (1961, Le Chantier), "Juntacadáveres" (1964, Ramasse-Vioques) - Carlos Fuentes (1928-2012, Mex.), "La Muerte de Artemio Cruz" (1962), "La región más transparente" (1958), "Zona sagrada" (1967), "Terra Nostra" (1975), " La cabeza de la hidra "(1978) - ...

Last update: 03/11/2017


Les années 1960 voient pour la première fois la publication et la diffusion dans le monde entier d'un grand nombre d'oeuvres hispaniques d'Amérique du Sud : tous ces auteurs n’appartiennent pas à la même génération ni n’empruntent les mêmes styles ou inspirations, mais tous, intégrés et identifiés sous une même dénomination, le fameux "boom latinoamericano", envahissent la scène culturelle, les ateliers de traduction nord-américains et européens, et déferlent sur un public espagnol alors sevré de littérature. La littérature hispano-sudaméricaine semble soudainement se libérer de toute entrave, repositionnée par la révolution cubaine de 1959, portée par le modernisme européen, libérée par le "realismo mágico" de ses grandes figures qui débrident l'imagination et cette substance irrationnelle qui peuple la moindre parcelle d'un continent labouré par la rationalité occidentale. Sont ainsi successivement publiés "La muerte de Artemio Cruz" (1962), du mexicain Carlos Fuentes, "La ciudad y los perros" (1962) et "La casa verde" (1965), du péruvien Mario Vargas Llosa, "El astillero" (1961), de l'uruguayen Juan Carlos Onetti, "Paradiso" (1966), du cubain José Lezama Lima, "Rayuela" (1963), de l'argentin Julio Cortázar, "Sobre héroes y tumbas" (1961), de l'argentin Ernesto Sábato, "Cien años de soledad" (1967), du colombien Gabriel García Márquez, "El siglo de las luces" (1962), du cubain Alejo Carpentier... Tous ces écrivains vivent ou ont vécu en Europe, chassés souvent par les dictatures militaires, au moment où les milieux universitaires européens et nord-américains s'ouvrent à l'Amérique latine. Tous sont unis par les mêmes affinités "politiques" et bénéficient d'un environnement promotionnel d'autant plus important que la production romanesque espagnole ne parvient encore à trouver les termes de sa singularité...

David Alfaro Siqueiros - Nuestra imagen actual (1947, Museo de Arte Moderno, México)


Ernesto Sábato (1911-2011)
Natif de Rojas, province de Buenos Aires, marqué, a-t-on dit par l'amour possessif d'une mère, Ernesto Sábato incarne la conscience tourmentée de l'Argentine tout au long de ce XXe siècle et pense un temps pouvoir se réfugier dans la clarté des sciences exactes. Il est passé par le Parti communiste en 1930, qu'il quitte en 1934, épouse Matilde Kusminsky Richter qui soutiendra cette âme pessimiste et torturée en toutes occasions. Docteur en physique en 1937, il est à Buenos Aires en 1940, et commence à écrire, hanté par les rapports de la science, qu'il abandonne définitivement peu après - "Uno y el Universo" (1945) critique le rôle déshumanisant de la science et de la technique -,  à l'éthique et à Dieu. C'est avec "El tunel", en 1948, qu'il acquiert une notoriété internationale (Albert Camus le fera traduire en français par Gallimard) : un romancier, disait-il, à la différence d'un fou, peut aller jusqu'à la folie et en revenir, ici  Juan Pablo Castel est un héros torturé qui ne pourra se soustraire à son désir d'absolu et à cet exorcisme de la solitude que peut être l'amour, Castel met fin à ses amours tumultueuses en tuant Maria, la femme qu'il aime. Sábato poursuit alors ses interrogations r sur la situation métaphysique de l'homme en ce monde et l'apport défaillant de la civilisation occidentale, - "Hombres y engranajes" (1951), "Heteroxia" (1953), puis explore le passé historique de l'Argentine ("Romance de la muerte de Juan Lavalle"; "Abbadon, el exterminador", 1974), jusqu'à l'épisode ambigu et surprenant de la rencontre de de ces deux si prestigieux écrivains argentins que sont Ernesto Sabato et Jorge Luis Borges avec le dictateur et général Videla en mai 1976...

 

"El Túnel" (Le Tunnel, 1948)

Breve e intensa novela publicada en 1948, este logrado fruto de la denominada “literatura existencial” le dio a su autor un reconocimiento que traspaso las fronteras nacionales. Para quien todavia no la leyo, El tunel es la mejor introduccion al universo prodigioso de Ernesto Sabato; para quien la conoce, un clasico de las letras del continente, una historia sobre el drama del hombre arrojado en el sinsentido mas doloroso: la conciencia de la nada. El narrador describe una historia de amor y muerte en la que muestra la soledad del individuo contemporaneo. No estan ausentes de esta trama policial y de suspenso, la locura y la increible reflexion del protagonista, el pintor Juan Pablo Castel, debatiendose por comprender las causas que lo arrastraron a matar a la mujer que amaba, Maria Iribarne, y que era su unica via de salvacion. En este alucinante drama de la vida interior, seres intrincados en la bestial busqueda de comprension ceden a la mentira, la hipocresia y los celos desmedidos hasta el crimen mas inexplicable. Aventura amorosa, aventura onirica, aventura del ser que dan testimonio de un asesinato, de cierta memoria culpable y de una valiente introspeccion. Tecnicamente perfecta y de lectura apasionante, "El tunel" excede el negativismo acido de Sartre y la frenetica huida hacia el vacio que plantea El extranjero de Camus, pero tiene de esos dos maestros literarios la impronta genial que hace de la escritura una radiografia del alma atormentada...

 

Bref et intense roman publié en 1948, fruit de la "littérature existentielle" (literatura existencial) et salué dès parution comme un chef-d`œuvre par Albert Camus, Graham Greene et Thomas Mann. "LE TUNNEL" (El túnel), de l'écrívain argentin Ernesto Sábato, conte l'histoire d'un crime passionnel à travers laquelle l'auteur exprime toutes ses idées à propos de l`angoisse, de l`aliénatíon et de la folie de l`homme contemporain. Le peintre Juan Pablo Castel raconte comment il a tué par jalousie sa maîtresse María lribarne. Castel s`était épris de María en voyant cette inconnue arrêter longuement les yeux sur un détail du tableau (une Maternité) qu`il exposait au Salon de printemps de Buenos Aires en 1946. Ce détail était une petite fenêtre par laquelle on apercevait une plage solitaire et une femme en train de regarder la mer. ll avait pour lui une immense importance car il suggérait une "solitude anxieuse et absolue", la sienne. Croyant être compris par la visiteuse, Castel, après son départ et pendant des jours, se met à rêver, à imaginer qu`ils se retrouvent, dialoguent sur son art, s'accordent ou s`affrontent. Amoureux, il ne peint plus que pour elle. Quand il la rencontre effectivement, quelques mois plus tard, dans une rue de Buenos Aires, après l`avoir désespérément cherchée, le contact a lieu, assez proche des rêves de Castel, et María accepte bientôt de devenir sa maîtresse. Oui, María est une jeune femme fascinante et mystérieuse, à la fois attentive et lointaine, mais les relations qui s'établissent sont difficiles et orageuses. Sans cesse María semble fuir, elle conserve des silences inexplicables qui ont des allures de secrets, et la jalousie s`empare de Juan Pablo, notamment lorsqu`il découvre qu`elle est mariée à un aveugle, Allende. lncapable de dominer la confusion de ses sentiments adverses, il va s`enfoncer dans le "tunnel" de cette jalousie, renforcée à partir de l`instant où il soupçonne María d'être aussi la maîtresse d'un des cousins de son mari, I'architecte Hunter. Et le crime met fin à cette liaison toute d`amour fou, de haine et de démons : Juan Pablo assassine María à coups de couteau. (Trad. Gallimard. 1956; Le Seuil. 1978).

 

"Alejandra - Sobre héroes y tumbas" (1961, Héros et tombes)

Esta es la segunda novela de Ernesto Sabato, que profundiza la senda iniciada por El tunel. Una obra, considerada uno de los mejores libros del siglo, que indaga en las zonas mas oscuras del espiritu. Elément d'un tryptique qui comprend "Le Tunnel" et "L'Ange des ténèbres", considéré comme l’un des meilleurs romans argentins du XXème siècle, ce récit intimiste s'enracine dans une troublante Buenos Aires de six millions d'habitants et entend rendre toute la complexité d'un monde en crise en s'organisant autour du personnage d'Alejandra Vidal Olmos, une jeune femme étrange, épileptique, à la fois ange et démon, qui vit entourée d'un vieillard qui conserve dans un carton la tête du commandant Acevedo, d'une vieille Indienne plus ou moins sourde, et de l'oncle Bebe, un fou qui se promène constamment avec sa clarinette. Surgit un jeune homme, Martin, qui découvre l'amour avec Alejandra, mais surtout une expérience sans fin de cette sorte de folie qui se joue d'elle ("La Formación de Martín"). Dans une seconde partie ("La decadencia de los Vidal Olmos"), surgit Fernando Vidal Olmos, le père d'Alejandra, qui nous offre l'un des chapitres les plus connus de cette oeuvre, "Informe sobre ciegos" (le "Rapport sur les aveugles") : Fernando est en effet persuadé que les aveugles sont au cœur d'une société secrète qui serait à l'origine de tous les complots,  et élabore ainsi une théorie qui va le mener au bord de la folie. L'histoire de Martín et d'Alejandra resurgit à nouveau pour se clôturer en tragédie : Alejandra tue son père et périt dans l'incendie de leur maison. Reste Martín abandonné à son chagrin et une fresque sociale de l'Argentine de Perón qui semble sombrer à jamais et que symbolise cette fameuse équipée qu'accomplissent des fidèles du général Lavalle, s'acharnant au péril de leur vie à transporter vers le nord du pays son cadavre pourrissant afin de lui épargner les outrages de l'ennemi...

"Abaddon el exterminador" (L’Ange des ténèbres, 1974) se présente comme une suite et met en scène l’auteur lui-même, pathétique dans ses interrogations et ses contradictions...

 

"Un sábado de mayo de 1953, dos años antes de los acontecimientos de Barracas, un muchacho alto y encorvado caminaba por uno de los senderos del parque Lezama.

Se sentó en un banco, cerca de la estatua de Ceres, y permaneció sin hacer nada, abandonado a sus pensamientos. “Como un bote a la deriva en un gran lago aparentemente tranquilo pero agitado por corrientes profundas”, pensó Bruno, cuando, después de la muerte de Alejandra, Martín le contó, confusa y fragmentariamente, algunos de los episodios vinculados a aquella relación. Y no sólo lo pensaba sino que lo comprendía ¡y de qué manera!, ya que aquel Martín de diecisiete años le recordaba a su propio antepasado, al remoto Bruno que a veces vislumbraba a través de un territorio neblinoso de treinta años; territorio enriquecido y devastado por el amor, la desilusión y la muerte.

Melancólicamente lo imaginaba en aquel viejo parque, con la luz crepuscular demorándose sobre las modestas estatuas, sobre los pensativos leones de bronce, sobre los senderos cubiertos de hojas blandamente muertas. A esa hora en que comienzan a oírse los pequeños murmullos, en que los grandes ruidos se van retirando, como se apagan las conversaciones demasiado fuertes en la habitación de un moribundo; y entonces, el rumor de la fuente, los pasos de un hombre que se aleja, el gorjeo de los pájaros que no terminan de acomodarse en sus nidos, el lejano grito de un niño, comienzan a notarse con extraña gravedad. Un misterioso acontecimiento se produce en esos momentos: anochece. Y todo es diferente: los árboles, los bancos, los jubilados que encienden alguna fogata con hojas secas, la sirena de un barco en la Dársena Sur, el distante eco de la ciudad. Esa hora en que todo entra en una existencia más profunda y enigmática. Y también más temible, para los seres solitarios que a esa hora permanecen callados y pensativos en los bancos de las plazas y parques de Buenos Aires.

 

"Un samedi de mai 1953, deux ans avant les événements de Barracas, un garçon grand et courbé marchait sur l’un des sentiers du parc Lezama. Il s’assit sur un banc, près de la statue de Cérès, et resta sans rien faire, abandonné à ses pensées. "Comme un bateau à la dérive dans un grand lac apparemment calme mais agité par des courants profonds", pensa Bruno quand, après la mort d’Alexandra, Martin lui raconta, confusément et fragmentairement, certains des épisodes liés à cette relation. Et non seulement je le pensais, mais je le comprenais, et comment ! car ce Martin de dix-sept ans lui rappelait son propre ancêtre, le lointain Bruno qui entrevoyait parfois à travers un territoire brumeux de trente ans; territoire enrichi et dévasté par l’amour, la désillusion et la mort.

Mélancoliquement, je l’imaginais dans ce vieux parc, la lumière crépusculaire s’arrêtant sur les modestes statues, sur les pensifs lions de bronze, sur les sentiers couverts de feuilles tendrement mortes. A cette heure où les petits murmures commencent à se faire entendre, où les grands bruits se retirent, comme s’éteignent les conversations trop fortes dans la chambre d’un mourant; et alors, la rumeur de la fontaine, les pas d’un homme qui s’éloigne, le gazouillis des oiseaux qui ne finissent pas de s’installer dans leurs nids, le cri lointain d’un enfant, commencent à se remarquer avec une étrange gravité. Un événement mystérieux se produit à ces moments-là : le crépuscule. Et tout est différent : les arbres, les bancs, les retraités qui allument un feu avec des feuilles sèches, la sirène d’un bateau dans la Darse Sud, l’écho lointain de la ville. Cette heure où tout entre dans une existence plus profonde et plus énigmatique. Et encore plus redoutable, pour les êtres solitaires qui à cette heure-là restent silencieux et pensifs sur les bancs des places et parcs de Buenos Aires.

(...)

Les "Sobre héroes y tumbas" sont ceux de la famille Olmos, pionniers excentriques qui ont participé au XIXe siècle à la création de l'Argentine et dont le destin s'entrecroise avec celui de leurs descendants non moins étranges. Le thème du roman a bien l'allure dramatique d`un fait divers. A Buenos Aires, le 24 juin 1955, un père de famille, Femando Olmos, a été assassiné au revolver par sa fille Alejandra, qui a ensuite mis le feu à la chambre du crime avant de se suicider en se laissant carboniser. Le mobile, apprend-on, aura été les relations incestueuses du père avec sa fille et le sentiment de culpabilité qu`elles ont entraîné chez celle-ci. 

Tous les personnages du livre, qu'ils appartiennent au présent ou au passé, vivent une "solitude métaphysique" morbide, dans l'ombre sinistre d'une capitale oppressante et maléfique comme une ville de cauchemar. Ainsi le lien entre l'hier et l'aujourd'hui est-il assuré par une tante d`Alejandra, morte très âgée en 1932, et qui a gardé durant toute son existence, auprès d`elle, comme témoignage d'une tragédie de sa jeunesse, la tête tranchée de son père. Le narrateur, Bruno, a lui-même vécu un horrible amour frustré avec la mère d'Alejandra. Il écoute un étudiant pauvre et naïf, Martin Carrillo, lui raconter comment il s'est épris d'Alejandra après l'avoir rencontrée dans un parc, et comment celle-ci, démon tentateur ou fascinante sorcière, l'a envoûté au point de le contraindre à la rechercher même après sa mort. 

Au centre de cette quête figure, avec Alejandra, le véritable protagoniste du roman, Femando Olmos, qui incarne l'homme en "crise" d'une société paranoïaque et décadente, monstrueux acteur libérant ses instincts et concrétisant ses fantasmes dans un monde sans croyances religieuses, morales ou politiques.

Dans une longue confession qu'il écrit peu avant de mourir et qu'il intitule "Rapport sur les aveugles" (Informe sobre ciegos), Fernando Olmos nous entraîne dans les cloaques d'un Buenos Aires où s'abritent des forces obscures aux pouvoirs extraordinaires. Là où il a une interminable et hallucinante union avec une "femme aveugle", une secte d'aveugles prépare et exerce hargneusement sur ses victimes des vengeances terrifiantes. Avec une très grande force suggestíve, cette descente aux enfers éclaire plus cruellement et douloureusement encore que les autres pages le mal de vivre d'une capitale argentine déchirée par la violence, hantée par les dictatures militaires, livrée aux conflits sociaux nés d'un accroissement bariolé et chaotique, et emprisonnant chacun dans la solitude et une introversion débouchant le plus souvent sur le désespoir et même la folie. (Trad. Le Seuil, 1967)

 

(Informe sobre ciegos)

 ¿Cuándo empezó esto que ahora va a terminar con mi asesinato? Esta feroz lucidez que ahora tengo es como un faro y puedo aprovechar un intensísimo haz hacia vastas regiones de mi memoria: veo caras, ratas en un granero, calles de Buenos Aires o Argel, prostitutas y marineros; muevo el haz y veo cosas más lejanas: una fuente en la estancia, una bochornosa siesta, pájaros y ojos que pincho con un clavo. Tal vez ahí, pero quién sabe: puede ser mucho más atrás, en épocas que ahora no recuerdo, en períodos remotísimos de mi primera infancia. No sé. ¿Qué importa, además?

Recuerdo perfectamente, en cambio, los comienzos de mi investigación sistemática (la otra, la inconsciente, acaso la más profunda, ¿cómo puedo saberlo?). Fue un día de verano del año 1947, al pasar frente a la Plaza Mayo, por la calle San Martín, en la vereda de la Municipalidad. Yo venía abstraído, cuando de pronto oí una campanilla, una campanilla como de alguien que quisiera despertarme de un sueño milenario. Yo caminaba, mientras oía la campanilla que intentaba penetrar en los estratos más profundos de mi conciencia: la oía pero no la escuchaba. Hasta que de pronto aquel sonido tenue pero penetrante y obsesivo pareció tocar alguna zona sensible de mi yo, algunos de esos lugares en que la piel del yo es finísima y de sensibilidad anormal: y desperté sobresaltado, como ante un peligro repentino y perverso, como si en la oscuridad hubiese tocado con mis manos la piel helada de un reptil. 

Delante de mí, enigmática y dura, observándome con toda su cara, vi a la ciega que allí vende baratijas. Había cesado de tocar su campanilla; como si sólo la hubiese movido para mí, para despertarme de mi insensato sueño, para advertir que mi existencia anterior había terminado como una estúpida etapa preparatoria, y que ahora debía enfrentarme con la realidad. Inmóvil, con su rostro abstracto dirigido hacia raí, y yo paralizado como por una aparición infernal pero frígida, quedamos así durante esos instantes que no forman parte del tiempo sino que dan acceso a la eternidad. Y luego, cuando mi conciencia volvió a entrar en el torrente del tiempo, salí huyendo.

De ese modo empezó la etapa final de mi existencia. Comprendí a partir de aquel día que no era posible dejar transcurrir un solo instante más y que debía iniciar ya mismo la exploración de aquel universo tenebroso.

 

 Quand a commencé ce qui va se terminer par mon assassinat ? Cette lucidité féroce que j'ai maintenant est comme un phare et je peux harnacher un faisceau très intense vers de vastes régions de ma mémoire : je vois des visages, des rats dans une grange, des rues de Buenos Aires ou d'Alger, des prostituées et des marins ; je déplace le faisceau et je vois des choses plus lointaines : une fontaine dans l'estancia, une sieste étouffante, des oiseaux et des yeux que je pique avec un ongle. Peut-être là, mais qui sait : c'est peut-être beaucoup plus loin, à des époques dont je ne me souviens plus, dans les périodes les plus reculées de ma petite enfance, je ne sais pas. Je ne sais pas, qu'est-ce que ça peut faire ?

Je me souviens parfaitement, cependant, des débuts de ma recherche systématique (l'autre, l'inconsciente, peut-être la plus profonde, comment le saurais-je). C'était un jour d'été 1947, je passais devant la Plaza Mayo, dans la rue San Martín, sur le trottoir de l'Hôtel de Ville. Je marchais, abstrait, quand soudain j'ai entendu une petite cloche, une petite cloche comme quelqu'un qui voulait me réveiller d'un rêve millénaire. Je marchais, tandis que j'entendais la cloche essayer de pénétrer dans les strates les plus profondes de ma conscience : je l'entendais mais je ne l'entendais pas. Jusqu'à ce que, soudain, ce son faible mais pénétrant et obsédant semble toucher une zone sensible de mon moi, un de ces endroits où la peau du moi est très fine et anormalement sensible : et je me suis réveillé en sursaut, comme face à un danger soudain et pervers, comme si, dans l'obscurité, j'avais touché de mes mains la peau glacée d'un reptile. 

Devant moi, énigmatique et dure, m'observant de tout son visage, je vis la femme aveugle qui vend des bibelots là-bas. Elle avait cessé de sonner sa cloche ; comme si elle ne l'avait fait que pour moi, pour me réveiller de mon rêve insensé, pour m'avertir que mon existence passée était terminée comme une stupide étape préparatoire, et que je devais maintenant affronter la réalité. Immobiles, son visage abstrait tourné vers la rambarde, et moi paralysé comme par une apparition infernale mais glaciale, nous restâmes ainsi pendant ces instants qui ne font pas partie du temps mais donnent accès à l'éternité. Puis, lorsque ma conscience a réintégré le courant du temps, je me suis enfui.

Ainsi commença la dernière étape de mon existence. À partir de ce jour, j'ai compris que je ne pouvais pas laisser passer un autre instant et que je devais commencer à explorer cet univers sombre dès maintenant.

 

Pasaron varios meses, hasta que en un día de aquel otoño se produjo el segundo encuentro decisivo. Yo estaba en plena investigación, pero mi trabajo estaba retrasado por una inexplicable abulia, que ahora pienso era seguramente una forma falaz del pavor a lo desconocido.

Vigilaba y estudiaba los ciegos, sin embargo. Me había preocupado siempre y en varias ocasiones tuve discusiones sobre su origen, jerarquía, manera de vivir y  condición zoológica. Apenas comenzaba por aquel entonces a esbozar mi hipótesis de la piel fría y ya había sido insultado por carta y de viva voz por miembros de las sociedades vinculadas con el mundo de los ciegos. Y con esa eficacia, rapidez y misteriosa información que siempre tienen las logias y sectas secretas; esas logias y sectas que están invisiblemente difundidas entre los hombres y que, sin que uno lo sepa y ni siquiera llegue a sospecharlo, nos vigilan permanentemente, nos persiguen, deciden nuestro destino, nuestro fracaso y hasta nuestra muerte. Cosa que en grado sumo pasa con la secta de los ciegos, que, para mayor desgracia de los inadvertidos tienen a su servicio hombres y mujeres normales: en parte engañados por la Organización; en parte, como consecuencia de una propaganda sensiblera y demagógica; y, en fin, en buena medida, por temor a los castigos físicos y metafísicos que se murmura reciben los que se atreven a indagar en sus secretos. Castigos que, dicho sea de paso, tuve por aquel entonces la impresión de haber recibido ya parcialmente y la convicción de que los seguiría recibiendo, en forma cada vez más espantosa y sutil; lo que, sin duda a causa de mi orgullo, no tuvo otro resultado que acentuar mi indignación y mi propósito de llevar mis investigaciones hasta las últimas instancias.

 

Plusieurs mois se sont écoulés, jusqu'à ce qu'un jour d'automne, la deuxième rencontre décisive ait lieu. J'étais en pleine recherche, mais mon travail était ralenti par une aboulie inexplicable, dont je pense aujourd'hui qu'elle était sûrement une forme fallacieuse de la peur de l'inconnu.

Cependant, j'ai observé et étudié les aveugles. Je m'en suis toujours préoccupé et j'ai eu à plusieurs reprises des discussions sur leur origine, leur hiérarchie, leur mode de vie et leur statut zoologique. A cette époque, j'avais à peine ébauché mon hypothèse de la peau froide et j'avais déjà été insulté par lettre et par le bouche à oreille par des membres des sociétés liées au monde des aveugles. Et avec cette efficacité, cette rapidité et cette information mystérieuse que possèdent toujours les loges et les sectes secrètes, ces loges et ces sectes invisiblement répandues parmi les hommes et qui, sans que nous le sachions ni même le soupçonnions, nous observent constamment, nous persécutent, décident de notre sort, de notre échec et même de notre mort. C'est ce qui se passe en grande partie avec la secte des aveugles qui, pour le plus grand malheur des inconscients, a à son service des hommes et des femmes normaux : en partie trompés par l'Organisation, en partie par suite d'une propagande sentimentale et démagogique, et enfin, en grande partie, par crainte des châtiments physiques et métaphysiques que l'on dit infliger à ceux qui osent sonder leurs secrets. Des châtiments que j'avais d'ailleurs à l'époque l'impression d'avoir déjà partiellement reçus, et la conviction que je continuerais à les recevoir, sous une forme de plus en plus redoutable et subtile ; ce qui, sans doute à cause de mon orgueil, n'a eu d'autre résultat que d'accentuer mon indignation et ma détermination à mener mes investigations jusqu'aux derniers retranchements.

 

Si fuera un poco más necio podría acaso jactarme de haber confirmado con esas investigaciones la hipótesis que desde muchacho imaginé sobre el mundo de los ciegos, ya que fueron las pesadillas y alucinaciones de mi infancia las que me trajeron la primera revelación. Luego, a medida que fui creciendo, fue acentuándose mi prevención contra esos usurpadores, especie de chantajistas morales que, cosa natural, abundan en los subterráneos, por esa condición que los emparentó con los animales de sangre fría y piel resbaladiza que habitan en cuevas, cavernas, sótanos, viejos pasadizos, caños de desagües, alcantarillas, pozos ciegos, grietas profundas, minas abandonadas con silenciosas filtraciones de agua; y algunos, los más poderosos, en enormes cuevas subterráneas, a veces a centenares de metros de profundidad, como se puede deducir de informes equívocos y reticentes de espeleólogos y buscadores de tesoros, lo suficiente claros, sin embargo, para quienes conocen las amenazas que pesan sobre los que intentan violar el gran secreto.

 

Si j'étais un peu plus fou, je pourrais peut-être me vanter d'avoir confirmé par ces recherches l'hypothèse que j'avais imaginée dès mon enfance sur le monde des aveugles, puisque ce sont les cauchemars et les hallucinations de mon enfance qui m'en ont apporté la première révélation. Puis, en grandissant, je me suis de plus en plus méfié de ces usurpateurs, sortes de maîtres chanteurs moraux qui, naturellement, pullulent dans les souterrains, en raison de cette condition qui les apparente aux animaux à sang froid et à peau glissante qui habitent les grottes, les cavernes, les caves, les vieux passages, les tuyaux d'évacuation, les égouts, les fosses septiques, les crevasses profondes, les mines abandonnées avec des infiltrations d'eau silencieuses ; et d'autres, les plus puissants, dans d'immenses grottes souterraines, parfois à des centaines de mètres de profondeur, comme on peut le déduire des rapports équivoques et réticents des spéléologues et des chasseurs de trésors, suffisamment clairs cependant pour ceux qui connaissent les menaces qui pèsent sur ceux qui tentent de violer le grand secret.

(..)

 


Juan Carlos Onetti (1909-1994)
Natif de Montivedeo, l'existence d'Onetti, à l'instar de son oeuvre, est fait d'errances, de rencontres, de séparations, nourrie d'auteurs comme Dash Hammett, Knut Hamsum, William Faulkner, hanté par le retour des mêmes impasses, quelles soient de l'ordre de son existence ou de celui de ses créations fictionnelles. Il enchaîne alors de puissantes oeuvres qui vont marquées la littérature urugayenne mais plus encore latino-américaine du XXe siècle - "El pozo" (1939),  "Para esta noche," (1943), "La vida breve" (1950), premier volume du fameux "cycle de Santa María", ville mythique du Rio de la Plata où l'homme ne peut guère espérer s'enraciner - mais le monde qu'il nous donne, des vies engluées dans l'opacité d'une désespérance sans rémission possible, peut expliquer la relative discrétion littéraire de cet auteur, par ailleurs d'une grande pudeur... Il regagne l'Uruguay en 1955, se remarie une quatrième fois, connait une relation tumultueuse avec Idea Vilarino, mais doit s'exiler à Madrid en 1975 suite au coup d'Etat qui enserre dans sa répression l'Uruguay pendant dix années.

 

"La vida breve" (La vie brève, 1950)

Con la La vida breve Onetti inauguro su territorio propio de ficcion: Santa Maria, la ciudad a orillas de un rio barroso. Mientras el ‘asceta’ Brausen trabaja en un guion cinematografico encargado por su jefe en la agencia de publicidad, oye una conversacion entre los nuevos inquilinos del apartamento vecino. Poco a poco, los elementos de su vida se desplazaran a su obra de ficcion, recurso que le sirve para escapar de su existencia real, gris y ademas empeorada por la delicada salud de Gertrudis, su esposa. En Santa Maria aparece todo aquello que el oculta en su existencia cotidiana y se desdobla en diversos personajes: el medico Diaz Grey, en Arce; en Santa Maria tambien se materializan sus fantasias y deseos. No bastara con imaginarlo: tambien habra que vivirlo.

L'ablation d'un sein de Gertrudis, remémorée d`une façon obsessionnelle par son mari et le narrateur, Brausen, constitue le point de départ de ce roman, le premier de la saga de Santa María, les deux autres étant "Le Chantier" et "Ramasse-Vioques". Tout commence à Buenos Aires, où Brausen, la quarantaine, un être médiocre, rédacteur publicitaire menacé de licenciement, escompte se refaire en écrivant un scénario que des amis bienveillants lui ont commandé. Couché dans son lit, il entend les cris de plaisir, vrais ou feints, d`une voisine de palier, la Queca, une prostituée à domicile. ll traîne de la sorte son existence jusqu'au moment où il est bien obligé de concevoir son scénario. Obsédé par les cris de sa voisine, hanté par la cicatrice de sa femme, Brausen imagine un personnage, Díaz Grey "un petit  docteur pusillanime". Ce médecin, Diaz Grey - alter ego d`Onetti -, Brausen l'ínstalle d`abord dans un cabinet médical. y adjoint un laboratoire et pour finir situe le tout dans une ville-fiction peuplée de passants solitaires, de jobards, de schizophrènes, toute une populace orpheline titubant sur les décombres de rêves à jamais gâchés. ll invente aussi une sombre affaire de drogue, volontairement (et exagérément) pathétique. Alors Brausen cesse d`être le personnage falot qu`il était et devient Dieu, le créateur, présent nulle part et partout. Il aura même une statue équestre sur la place principale de sa cité mythique baptisée Santa Maria, comme d'autres s'appellent Yoknapatawpha ou Macondo. et qui servira de cadre à Onetti pour ses futurs romans. Tout peut arriver à Santa María : quand Brausen passe de l`autre côté de la cloison pour annexer la vie de l`assassin de la Queca, le roman bascule dans la rêverie la plus démentielle : le faux Diaz Grey devient si vivant, si proche, que le vrai (faux) Brausen en vient à douter de sa propre existence, repart vers une nouvelle "vie brève" sous les masques d'un autre personnage et partage son bureau avec un certain Onetti. Rêvant qu`il est lui-même rêvé, comme s`il s`acharnait à éteindre les guirlandes qu'il vient d`allumer, comme s'il mettait en scène sa propre disparition, Onetti nous plonge dans un mirage hallucinant qui pourrait bien être la métaphore de toute entreprise romanesque.

L`auteur entame avec ce roman une réflexion sur la création qui donnera quatre ans plus tard la plus parfaite de ses œuvres. le laconique et ambigu roman "Les Adíeux" : l`écriture romanesque, toujours pétrie de réalité, devient une planche de salut pour les personnages, mais s`avère mortelle pour l'auteur. (Trad. Gallimard, 1984).

 


"Los adioses" (Les Adieux, 1954)

Un hombre llega a una localidad de montana a la que acuden a curarse los tuberculosos. De manera firme se niega a asumir esa vida de sanatorio que impregna de esperanza toda la ciudad… Su unica ocupacion son las dos cartas que recibe con regularidad y que le sirven de contacto con el mundo exterior...

 

Chef-d`œuvre de Juan Carlos Onetti en ce qui concerne l'ambiguïté du langage, "Les Adieux" content  la vie d'un ancien champion de basket-ball dans un sanatorium pour tuberculeux, un homme taciturne qui n'accepte pas de se mêler aux autres malades et rejette la vie toute vie communautaire. ll ne vit que pour écrire et recevoir des lettres - les unes dans des  enveloppes écrites à la main, d`autres dactylographiées sur une vieille machine. Un jour, l'une des correspondantes, la "femme aux lunettes noires", arrive et s'installe avec lui dans le vieil hôtel où il vit. La veille du jour de l`an, il reçoit la visite d'une jeune fille pleine de vitalité. Tous les trois vivront alors dans un chalet adossé à la montagne que l'homme avait loué. Avec la première, il joue une convaincante comédie de l'espoir ; en présence de la seconde - bien des éléments laissent supposer qu`elle pourrait être sa fille - le malade se fait bienveillant et autoritaire à la fois. Ce qui est inquiétant dans ce roman, c'est la forme du récit. Tout semble être raconté par un narrateur objectif : nous le croyons, nous le suivons  lorsqu`il imagine la débauche furtive, les appels de l`homme, les refus, les compromis et les colères impitoyables de la jeune fille. Nous acceptons les ragots que le narrateur fait courir dans le village, selon lesquels la femme est l`épouse du joueur de basket et la jeune fille sa maîtresse, jusqu'à ce que nous nous rendions compte que c'est le patron d'une épicerie-buvette, ancien tuberculeux lui aussi, qui raconte l'histoire. Mais nous sommes déjà piégés. Placés du point de vue de l'épicier, nous avons cru à l'existence du regard insomniaque de la jeune fille après la nuit qu'ils venaient de passer ensemble, nous avons composé le détail des heures d'éveil et d'étreintes, nous ne pouvons plus nous détacher de l'idée du triangle incestueux ldentifiés au narrateur, nous sommes des voyeurs qui déchargeons sur le  protagoniste nos obsessions, voire nos complexes.

Ce court roman pose aussi le problème de la crédibilité du narrateur omniscient, ainsi que celui des rapports auteur-personnage. Le narrateur des "Adieux", l'épicier, malgré la satisfaction qu'il ressent, perçoit l'inébranlable détachement, l'indéracinable liberté de l'homme. Fort d'une longue expérience qu'il baptise pompeusement du nom d'intuition, il cherche à s'emparer de sa vie, à lui imposer un destin. Et contre la planification du monde d'en haut, l'ex-sportif mobilise toute son énergie, non sans susciter l'irritation et le débit du narrateur. L'intolérable indiscipline du malade, qui refuse de se soumettre, donne lieu à des commentaires sur son entêtement, sur sa volonté obstinée. Mais l'ex-champion ne se soumettra pas et se "libérera" par le suicide, comme bien des personnages d'Onetti ... (Trad. Christian Bourgois, 1985).

 


 "El astillero" (1961, Le Chantier)

"Être un humain est une véritable épreuve" - Publié en 1961, deuxième de la saga de Santa Maria, ville imaginaire créée dans "La Vie brève", "Le Chantier" est l'un des plus sobres et des plus désolés des romans d'Onetti, l'un des plus beaux aussi. Le vieux Jeremias Petrus, propriétaire d'un chantier naval qui a dû cesser toute activité à la demande des créanciers et dont les matériaux sont la proie de la rouille, cherche un gérant capable de relever de ses mines le chantier. Il croit le trouver en la personne de Larsen, qui, chassé autrefois de la province, a besoin de gagner sa rédemption au moyen d'une espérance. Larsen accepte donc le rêve absurde du "dieu" Jeremias Petrus, qui lui offre la réalisation de ses illusions dans un chantier en totale décrépitude. Petrus n`exige que la foi, et c'est la foi qui maintient les trois employés dans le dénuement, sans salaire, sans maison, seuls. Gálvez et Kunz, avec Larsen à leur tête, ne croient même pas à ce qu'ils touchent ni à ce qu'ils font, mais remplissent des fonctions inutiles, grimpent chaque jour l'échelle de fer et vont jouer aux sept heures de travail en sentant que le jeu est plus vrai que les toiles d'araignée, les gouttières. les rats et le bois pourri et spongieux. Pendant tout un hiver, déprimés, ils travaillent sous la pluie, le froid, dans une pénombre crasseuse; ballottés entre rien et pas grand-chose, ils sont parfois habités par une petite musique oblique, mais Onetti s'empresse vite de la faire taire.

Larsen fait une vaine tentative pour entrer dans le paradis, dans la maison de Jeremias Petrus. Il veut même le remplacer, être son héritier, devenir lui-même Dieu. C`est pour cela qu'il faisait la cour à la fille du patron, Angelica Inés, mais devant son refus, il doit se consoler avec sa domestique, dans les combles du grenier. Il se contente donc de Josefina et il meurt d'une pneumonie, se laisse mourir, ou est assassiné : l'ambiguïté demeure, comme il arrive souvent chez Onetti. Nous retrouverons Larsen quatre ans plus tard, ressuscité dans "Ramasse-Vioques". Il est alors investi d'une autre mission tout aussi singulière, créer le bordel parfait à Santa Maria. On a voulu voir dans la décrépitude du chantier une prémonition de la décadence de l'Uruguay. On peut aussi considérer qu'il s'agit d'une allégorie de notre chemin vers la mort : nous tous, fatalement, nous nous dégradons comme le chantier; nous nous vidons comme l'arsenal se vide de son personnel et même de ses bateaux, nous nous vidons des amis, des êtres qui nous sont chers. L'absurdité de l'existence, la fatalité, la farce que constitue la vie ici-bas sont plus accentuées dans "Le Chantier" que dans les romans précédents d'Onetti. Celui-ci sait, tous ses personnages savent que la vie est une farce. La seule chose qui reste à faire est précisément d'en accepter le jeu, accomplir un acte après l'autre sans raison, sans intérêt; exécuter la tâche de la meilleure manière possible sans se soucier du résultat, comme si un autre, ou plutôt d`autres, un maître pour chaque acte, nous payaient pour le faire. (Trad. Gallimard, 1984). 

 


"Tan triste como elle y otros cuentos para una tumba sin nombre" (1959, Les bas-fonds du rêve)
"Coups d'éclat et coups de gueule, joutes pour rire qui débouchent sur la mort, feux de la rampe braqués l'espace d'un soir sur un champion déchu, une courtisane défraîchie : les personnages de Juan Carlos Onetti sont ceux des tangos populaires que l'on fredonne en Uruguay, en Argentine. Minables héros d'une aventure frelatée avant d'être vécue, ils ont pour rendez-vous Santa María. Santa María : c'est dans cette ville imaginaire, quintessence de la vie provinciale, que se déroulent la plupart des romans et des nouvelles qu'Onetti à écrits tout au long de sa vie. Santa María : labyrinthe parcouru de fantômes voraces, hanté de rêves sordides, paradis des affaires véreuses, carrefour des tripots, terre promise de la supercherie, glorieuse de désirs inassouvis qui tuent ses habitants aussi sûrement que l'alcool qui y coule à flots. Santa María, c'est Montevideo ou Buenos Aires, où échouent les errants du monde entier en quête de fortune, d'identité, d'oubli. Écoutez cette voix poignante qui raconte avec une pitié pudique et une pointe d'humour noir l'angoisse quotidienne, le spleen et les médiocres joies du petit peuple : elle colle à la mémoire comme un air de bandonéon..." (Editions Gallimard, trad. de l'espagnol (Uruguay) par Laure Bataillon, Claude Couffon et Abel Gerschenfeld)

 


"Juntacadáveres" (1964, Ramasse-Vioques)

Larsen, apodado juntacadaveres, desembarca en Santa Maria acompanado de Irene, Nelly y Maria bonita, tres prostitutas entradas en anos con las que monta un burdel. El objetivo de Larsen es que el suyo no sea otro local mas de desahogo sexual. Alli, gracias al saber hacer de las viejas meretrices, los hombres conoceran el paraiso y alcanzaran la felicidad. Esta excentrica empresa se topa con la oposicion implacable de las gentes de bien, como el padre Bergner, cuyos sermones incendiaran los animos de los parroquianos.

 

Tout débute avec I`arrivée de trois prostituées, María Bonita la patronne, Irène la grosse et Nelly la blonde oxygénée. Les "vioques", les "cadavres" transportés dans ce trou perdu, sont pitoyables, pathétiques dans leur décrépitude. Leur venue est l'aboutissement de longs et fructueux pourparlers pour fonder la maison close qui manquait à Santa María, ville surgie

d'un autre roman d'Onetti, "La Vie brève". Larsen, alias Ramasse-Vioques, précède le trio. Il ne débarque pas à Santa María pour monter un bordel dans le seul but de se remplir les poches comme un vulgaire maquereau, mais avec l'idée grandiose de créer, avec ces trois "femmes invraisemblables", le bordel parfait, où chaque individu trouverait pour quelques instants la femme idéale. Toute la bonne société de Santa María le raille, et pourtant l'opération est on ne peut plus légale : la droite s'y opposait, mais le conseiller municipal, le pharmacien Euclides Barthé s'est battu pour obtenir ce lupanar ; il a même accepté de voter en échange la cession des travaux du port aux intérêts privés, ce à quoi il s'opposait depuis des lustres. Mais dans le sillage des trois vioques, le diable s'installe à Santa Maria. Leur présence trouble la paix de la ville dormante. Du haut de sa chaire, le prêtre Bergner lance le signal de la croisade au cours de ses homélies apocalyptiques. Son neveu Marcos, prototype du fasciste play-boy, en état d'ébriété permanent, ne vit que pour répudier la "conspiration judaïque", pendant que les jeunes filles de I'internat s`initient à l'art des lettres anonymes.

Autour de la grande place, le Bema, l'Universal, ces bars, lieux essentiels de la narration onettíenne, les ligues des honnêtes gens multiplient toutes les formes d'action pour chasser le démoniaque Larsen et ses trois résidus obscènes de femmes. Larsen lutte contre l'obscurantisme sans espoir d”être compris, d'ailleurs sans vraiment chercher à l`être. En fait il n`ignorait pas l'incapacité des Sanmariens à accéder à toute forme d`idéal. Venue défier l`ordre bourgeois de Santa María, la "maison aux volets bleus " avait introduit la peur et risquait de provoquer la dissipation. Son équipée utopique aura duré cent jours, à travers les évocations et souvenirs des trois narrateurs - Larsen, Onetti, le jeune Jorge Malabia, qui file un amour íncestueux avec Julita, veuve de son frère et assiste en spectateur à cette comédie que se jouent les adultes -, nous découvrons les "sales draps" de Santa María. Au-delà, tel un géologue, Onetti paraît nous montrer les différentes couches qui forment la condition sud-américaine, marquée par la coexistence de groupes humains d`origines différentes, espagnols, italiens, polonais (suisses, à Santa María), créoles, exilés de toutes parts et de toutes les professions, et qui ont du mal à coexister. (Trad. Gallimard, 1987).

 


"Dejemos hablar al viento" (1979, Laissons parler le vent)
"Louche médecin à Lavanda, Medina doit vite abandonner ses activités. Sous la férule de Frieda von Kliestein et du douteux marchand de tableaux Carve-Blanco, il revient à sa vocation première : la peinture. Il exécute des portraits et des nus, notamment d'Olga et de Juanina, deux femmes fascinantes dont il a fait ses maîtresses, quoiqu'il entretienne depuis toujours avec Frieda une liaison violente, cruelle, mais, finalement, constante. Puis Medina quitte Lavanda et le monde foisonnant et ambigu qu'il y avait fréquenté. Il renonce à son art, retourne à Santa María, «sa» ville, dont il a gardé la nostalgie, pour y exercer de nouveau le métier de commissaire, tandis que Frieda, qui l'a suivi, y devient chanteuse de beuglant. Avec eux, encore, Seoane, jeune alcoolique et drogué qui est peut-être un fils naturel de Medina et dont Frieda a fait son amant, par jeu. Un jeu qui s'achèvera dans la tragédie. On ne peut sans doute brosser d'univers plus grouillant d'anecdotes et de personnages, ni plus vivant, plus humain, que celui mis en scène ici par Onetti. Et, si ce monde est interlope et ses fins désastreuses, du moins son auteur lui confère-t-il une singulière et ténébreuse beauté, tout entière à l'image de Santa María, la ville douteuse et corrompue, mais superbe, qu'Onetti a construite pour son cycle romanesque, et qui en est comme le protagoniste principal." (Editions Gallimard, Trad. de l'espagnol (Uruguay) par Claude Couffon).

 

"Cuando entonces" (1987, C'est alors que)
"C'est alors que raconte l'histoire de Magda, une très belle prostituée de Buenos Aires, arrachée au bordel d'une certaine madame Safo et luxueusement entretenue par un important chef militaire. Lequel, marié à une femme immensément fortunée, est incapable de sortir de la situation pour épouser la jeune femme. Sans doute par dépit amoureux, Magda a-t-elle continué à exercer le plus vieux métier du monde. Jusqu'au jour où un client l'a trouvée baignant dans le sang, la tête éclatée par un coup de revolver. En même temps, un avion s'écrasait, à bord duquel voyageait l'homme qu'elle aimait. Dans ce récit concis et précis, mais émietté, on réentend la voix du grand romancier de La vie brève, Le chantier, Ramasse-vioques, du conteur incomparable des Bas-fonds du rêve. Et l'on retrouve sa vision du monde qui, farouchement pessimiste, ne nous laisse cependant pas oublier que seul le pessimiste sait se révolter contre le mal quand l'optimiste, lui, ne fait que s'en étonner. Ainsi Onetti transforme-t-il son désespoir en un cri éperdu pour réclamer un peu de solidarité, et un peu plus de tendresse." (Editions Gallimard, Trad. de l'espagnol (Uruguay) par Albert Bensoussan)


Carlos Fuentes est un maître de la littérature mondiale moderne, il a su traduire son engagement politique sous une forme romanesque alliant expérimentation technique et libre fantaisie. Avec la traduction de ses œuvres majeures en français et en anglais, sa réputation a dépassé les frontières de son Mexique natal et de la littérature hispanique et est devenue internationale. Maintenant, chaque nouveau roman stimule les revues populaires et savantes dans les périodiques de Mexico et Buenos Aires à Paris et New York....

 

La trame complexe de "La muerte de Artemio Cruz", son exubérance de style et sa densité historique et psychologique sont inhabituelles en ce début des années 1960. Son caractère exigeant pousse le lecteur à lire d'une nouvelle manière. 

Tandis qu'il agonise, Artemio Cruz se multiplie en prenant la forme de trois voix et trois temps strictement alternés: la première personne, "Je", parle au présent et fait le récit de son agonie. La deuxième personne, "Tu", est son jumeau imaginaire, dont les souvenirs sont exprimés dans un futur immédiat et peut-être repoussé à jamais. Finalement, la troisième personne, "Il", est le protagoniste de douze épisodes ou étapes de sa vie. Dans chaque cas, d'autres voix et d'autres temps apparaissent de façon très variée. Cet arrangement complexe forme une biographie complète: celle d'un magnat mexicain qui, de 1889 à 1959, représente |'histoire de son pays. C'est un récit situé pendant la révolution et nourri par les réalisations de cette dernière. On trouve dans son sillage des amours détruites par le combat, la lâcheté et la trahison, la maltraitance, l'humiliation et la corruption. À la fin, Cruz souffre d'une attaque cardiaque. Entouré de sa famille, de sa secrétaire, d'un prêtre et des médecins - chacun offrant une image différente de l'homme en train d'agoniser -, le magnat affronte les carrefours d'un passé et d'un futur où sont mêlées imagination et mémoire. 


Carlos Fuentes (1928-2012)
Natif de Panama, grandi dans une famille où le père a exercé des fonctions diplomatiques, voyagé à travers le monde, des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Amérique latine, et lui-même ambassadeur du Mexique en France de 1975 à 1977, Carlos Fuentes s'est toujours interrogé sur l'étrange paradoxe d'une Amérique latine dont la vitalité créative et culturelle est indiscutable, et traversée de part en part par un chaos politique et social qui la ronge : le Mexique est dans cette optique un concentré de cette situation, la richesse culturelle de son métissage heurte les couches historiques et symboliques successives qui qui coexistent, la cosmologie indigène, l'interprétation espagnole du christianisme, la vision simplificatrice et individualiste de la bourgeoisie d'orinine européenne, autant d'expressions, de signes, de correspondances d'une violence latente dont l'écriture doit se saisir et tenter d'expurger. Au bout de l'intrigue, le rêve, le mythe, la mort font éclater le langage, écartèlent les existences..

 

"La muerte de Artemio Cruz" (1962, La mort d'Artemio Cruz)

Artemio Cruz, député, propriétaire d'un grand journal de Mexico, personnage puissant qui a su exploiter à son profit des mœurs politiques corrompues dont les grands bouleversements sociaux favorisent l'épanouissement, agonise, entouré par ses proches, sa femme Catalina, sa fille Teresa, son médecin, un prêtre et son secrétaire Padilla. Il se remémore tant les principales étapes de sa vie que la Révolution mexicaine à laquelle il participa : il a passionnément aimé, à vingt ans, une jeune fille, Regina, qu'il a retrouvée massacrée après un combat, tragédie qui a marqué toute son existence, et qui transforma son idéal en une implacable volonté de puissance. Mais d'autres raisons affleurent, toutes les ambiguïtés et les paradoxes de l'histoire récente du Mexique au travers de cette bourgeoisie qui, portée par la Révolution, en a trahi l'esprit. (Editions Gallimard,  Trad. de l'espagnol (Mexique) par Robert Marrast).

 

Comme dans "La Plus Limpide Région", "La muerte de Artemio Cruz", c'est le Mexique, un pays qui serait "inapte à la tranquillité" et "passionné de convulsions", cet "infortuné pays qui à chaque génération doit détruire les anciens possesseurs et les remplacer par de nouveaux maîtres, aussi cupides et aussi ambitieux que les précédents". Toutefois, il ne s'agit pas pour Fuentes de faire le procès de toute une société, héritière égoïste d`une révolution dont elle a trahi l`esprit. Il s'agit de présenter en gros plans l`un de ses membres influents ou, si l'on préfère. d`établir le portrait-robot d'un grand bourgeois mexicain contemporain, puis, à la manière d`une enquête policière, de donner peu à peu à ce portrait-robot - par une série de confidences du "suspect" - des traits précis, personnels, toute une psychologie, qui sont ceux du véritable fossoyeur du Mexique moderne. 

Quand s`ouvre le roman - en 1959 - Artemio Cruz, frappé brutalement par la maladie, est sur son lit d'agonisant. Il a soixante et onze ans et, depuis de longues années, est l`un des maîtres du Mexique. Propriétaire d'un grand journal de Mexico, c'est aussi un homme d'affaires actif. Un mur entier de son bureau est recouvert par un tableau qui indique l'étendue de celles-ci et leurs relations entre elles : investissements immobiliers. gisements de soufre pur, mines, concessions forestières, usines de tuyaux, participation à une chaîne d'hôtels, commerce de poisson, consortiums financíers, réseau d'opérations boursières, représentations légales de compagnies nord-américaines, actions dans des compagnies étrangères, etc., sans compter "un détail qui n'apparaît pas dans le tableau" : quinze millions de dollars, déposés dans des banques de Zurich, Londres et New York. 

Il a, bien entendu, ses résidences luxueuses de milliardaire - l`une où vit sa femme Catalina; l`autre. où vit sa maîtresse Lilia - et sa voiture de luxe, "construite spécialement. avec air conditionné, bar, téléphone, coussins pour les reins et tabouret pour les pieds". Trouvant intolérables "l'incompétence, la misère, la saleté, l'aboulie, la nudité" du pays où il est né. Il s`est façonné à l'image des puissants voisins du Nord, les financiers américains dont il admire l'efficacité, le confort, l'hygiène, la puissance, la volonté. Comme eux, il s`est formé seul. 

Il est parti de rien, ou plutôt d`une révolution gagnée. A la fin de celle-ci, il a prêté à court terme et à intérêt élevé aux paysans, puis il a acquis des terrains autour de la ville de Puebla,  en prévision de son extension, et "grâce à une amicale intervention du président en exercice", des terrains pour lotissements à Mexico.

Homme de confiance des capitalistes nord-américains dont il a été le prête-nom, intermédiaire dans les grandes transactions entre New York et le gouvernement mexicain, il s'est rendu propriétaire du plus grand journal de Mexico et dés lors a pu jouer avec la société mexicaine comme avec une balle : pressions sur la Bourse pour faire monter ou descendre les valeurs selon qu`il a eu besoin de vendre ou d`acheter, scandales politiques pour discréditer l`adversaire et terroriser les leaders amis, campagnes de presse pour la répression des luttes sociales... 

Son pari, à ses débuts, a été "tout ou rien", un pari dangereux qui l'a poussé sans cesse «"à risquer sa peau", "à naviguer en eaux troubles" - le seul milieu où il se sente à l`aise -,  à exercer tyranniquement sa volonté de puissance. Ainsi, dans ce Mexique où trop d'hommes croient que vivre, c'est " survivre" en obéissant aveuglément aux puissants du jour, il est devenu un dieu. Au moment où le curé lui donnera l'extrême-onction, Artemio Cruz s'interroge, "c'est cela être Dieu, n'est-ce pas ? Etre craint et haï et tout le reste, c'est cela être Dieu, pour de bon. n'est-ce pas?" Tel est le Cruz que ses contemporains ont pu observer

avant que la mort ne le menace. Mais qui est vraiment ce personnage somme toute exceptionnel? Quel homme se cache derrière ce monstre dominateur, ce cynique qui sur son lit d`agonisant trouve encore la volonté de surveiller ceux qui l`entourent et de se jouer une dernière fois de sa femme et de sa fille détestées ? 

 


"La región más transparente" (1958, La Plus Limpide Région)
Dès son premier roman, Carlos Fuentes donne à voir les violences, la solitude et l’obscurité qui cernent les habitants d’une ville, Mexico,  prise dans le chaos de sa vie urbaine et auquel répond un récit éclaté, fragmenté. "On pourrait comparer cette œuvre fougueuse et violemment lyrique à un puzzle gigantesque dont les pièces innombrables auraient été démontées, dispersées, puis à nouveau rassemblées en désordre. Si le centre même du livre - la pièce maîtresse du puzzle morcelée elle aussi - est situé à Mexico au cours de l'année 1951, les mille fragments qui viennent l'interrompre se jouent sur plusieurs plans où le temps et l'espace tour à tour se juxtaposent et se brisent. La bourgeoisie, le prolétariat, l'aristocratie se disputent successivement le pouvoir, les privilèges du luxe et de la mauvaise foi. Là où se jouaient autrefois l'héroïsme et le goût du sacrifice, triomphent aujourd'hui l'égoïsme, l'abjection, et la passion d'opprimer chez ses héros les plus purs. D'étranges figures humaines (prostituées et princesses, écrivains et actrices, politiciens, industriels et chauffeurs de taxi) tracent, à travers ce fourmillant tableau, des trajets qui, malgré une succession de ruptures ininterrompues, construisent petit à petit, avec un admirable sens de la mémoire et de l'observation, l'architecture du Mexique contemporain et de la société encore informe qui le compose." (Editions Gallimard, Trad. de l'espagnol (Mexique) par Robert Marrast).

 

"Terra Nostra" (1975, Terra Nostra)
 Immense roman de presque huit cents pages, à la croisée de l'histoire, de la mythologie, de la philosophie, qui couvre deux mille ans d’histoire en explorant les racines de la "découverte" du Nouveau Monde par un empire Espagnol sur le déclin : Charles Quint, Philippe II, Charles II composent la figure du Grand Monarque. Don Quichotte côtoie Don Juan. Jeanne la Folle croise des inventeurs d'hérésie, des artistes et des fous, des criminels, de superbes personnages romanesques.(Editions Gallimard. Trad. de l'espagnol (Mexique) par Céline Zins)

 

"Cambio de piel" (1967, Peau neuve)
"L'intrigue très élaborée de ce roman se développe en plongées successives dans le passé de quatre personnages principaux : deux couples qui, en route pour Veracruz, tombent en panne à Cholula. Les très nombreux thèmes du récit, exposés selon des procédés qui touchent parfois à la pop-littérature, se détachent sur un fond où apparaît le drame mexicain par excellence qui est celui de l'anéantissement d'une civilisation par une autre. Sa publication a été interdite par la censure espagnole. (Editions Gallimard, Trad. de l'espagnol (Mexique) par Céline Zins)

 

"Una familia lejana" (1980, Une certaine parenté)
«J'ai vécu toutes les époques, les belles et les laides, les folles et les raisonnables, deux guerres mondiales... quatre chiens, trois épouses, deux châteaux, une bibliothèque fidèle et quelques amis comme vous», dit Branly au narrateur en l'entraînant vers une table de l'Automobile Club qui surplombe le jardin des Tuileries. Tout au long de cet après-midi de novembre, le vieil aristocrate évoquera l'étrange destin des Heredia. De souche française, ils ont essaimé en Amérique latine, mais une attirance obscure renvoie leurs descendants à une demeure proche d'Enghien, où les feuilles meurent au cœur même de l'été. Au fil de son récit, Branly se souviendra – ou rêvera – des pans secrets de sa propre vie, renvoi opaque à d'autres vies, d'autres morts peut-être. Faut-il admettre que nous avons un fantôme à nos côtés, qui se confond avec notre être «comme la mer dans la mer»?
D'abord simple auditeur, l'auteur se trouve pris comme dans une nasse. À mesure que le comte de Branly lui livre les pans d'un récit voué au secret, il comprend qu'il en est l'ultime dépositaire, contraint par là même d'en devenir le narrateur.
C'est l'un des romans les plus étranges de Carlos Fuentes. Au travers de dialogues apparemment banals, l'écriture glisse imperceptiblement – diaboliquement – vers sa propre subversion, chaque geste acquiert plusieurs «sens», faisant basculer la raison, la logique, les identités, déformant les rapports du temps et de l'espace. L'homme du monde a érigé la courtoisie au rang de maxime philosophique. Pourtant, sous le masque lisse, la mort rôde parmi le grouillement des fantasmes. L'invisible sous-tend chaque épisode et ronge, larvé, les apparences du quotidien. Pour dire ce fantastique, Carlos Fuentes utilise aussi l'arme visuelle, sensitive : celle de la poésie." (Editions Gallimard, Trad. de l'espagnol (Mexique) par Céline Zins)

 

"Gringo viejo" (1985, Le vieux gringo)
"Dans le nord du Mexique, en 1914. La révolution bat son plein. Un vieil Américain passe la frontière dans l'intention de rejoindre les troupes de Pancho Villa. Il tombe sur celles du général Tomás Arroyo, installé près de l'hacienda des Miranda où le jeune général villiste a passé son enfance. Il y rencontre aussi Harriet Winslow que la révolution a surprise alors qu'elle était venue enseigner l'anglais aux enfants Miranda. Les troupes d'Arroyo ont mis le feu à l'hacienda. Qu'est venu faire le vieil homme - ancien journaliste et écrivain - au Mexique ? «Mourir», déclarent tous les témoins de l'histoire. Le «vieux gringo», comme ils le surnomment, cherche la mort : au combat, ou par d'autres moyens... " (Editions Gallimard,  Trad. de l'espagnol (Mexique) par Céline Zins)


Manuel Mujica Lainez (1910-1984)
Natif de Buenos Aires, Manuel Mujica Lainez s'inscrit dans la grande tradition francophile des élites argentines et montre tout au long de son oeuvre une prédilection pour une langue raffinée au service de la reconstitution d'une histoire le plus souvent séculaire (La Casa, 1954; Misteriosa Buenos Aires, 1951; Invitados en el Paraiso (1957)..)

 

"Bomarzo" (1962)
Inspiré par une visite en Italie du Bois sacré de Bomarzo en 1958 et les sculptures qui le peuple, Mujica Lainez reconstitue la vie de leur concepteur, Pier Francesco Orsini (1528-1588), au long d'un récit à clés successives et contradictoire, - le narrateur semble être Orsini lui-même mais la fin du roman renverse son identité -, et autour d'un personnage obsédé par la beauté mais enfermé dans un corps difforme.. Mujica Láinez a adapté son roman Bomarzo pour l'opéra et c'est le compositeur argentin Alberto Ginastera qui l'ochestra et le représenta pour la première fois en mai 1967 à Washington : mais l'on sait que le général Juan Carlos Onganía, dictateur régnant alors en  Argentine, le fit interdire pour sa "référence obsessionnelle au sexe, à la violence et à l'hallucination qui caractériseraient l’œuvre.."