The World Of Science Fiction - Decade of the UFO - J.G. Ballard (1930–2009), "Crash" (1973), "The Drought" (1964), "The Atrocity Exhibition" (1969), "Empire of the Sun" (1984) - Andreï Tarkovski, "Solaris" (1972) - Christopher Priest, "The Inverted World" (1974) - Nicolas Roeg, "The Man who fell to Earth" (1976) - Steven Spielberg, "Close Encounters of the Third Kind" (1977) - George Lucas, "Star Wars" (1977) - Ridley Scott, "Alien" (1979) - ...

Last update: 12/12/2020 


The 1970s, Decade of the UFO - C'est en septembre 1952, qu'une série d'observations de "soucoupes volantes" au-dessus de Washington D.C. fait la une des journaux du monde entier. En 1956 paraît "The Report on Unidentified Flying Objects" édité par Edward J. Ruppelt, le premier responsable du projet Blue Book de l'U.S. Air Force en charge d'enquêter sur les rapports d'OVNI (UFOs). Des dizaines d'observations spécifiques sont relatées, parmi des centaines d'autres qui se déverseront dans l'agence pendant la période couverte. L'utilisation du terme "hypothèse extraterrestre" dans les documents imprimés sur les OVNI semble remonter au moins à la seconde moitié des années 1960 (Jacques Vallée, Challenge to science : the UFO enigma, 1966). En 1969, le physicien Edward Condon a défini "l'hypothèse extraterrestre" ou "ETH" comme "l'idée que certains OVNI pourraient être des engins spatiaux envoyés sur Terre depuis une autre civilisation ou un espace autre que la Terre, ou sur une planète associée à une étoile plus lointaine". Les années 1970 peuvent être considérées comme l'âge d'or de la détection des OVNI, avec des centaines de personnes regardant le ciel à la recherche de preuves de vie extraterrestre.

La représentation du "petit homme vert" (little green man) se popularise en 1955 avec la fameuse rencontre de Kelly-Hopkinsville (Kentucky), l'un des grands classiques de l'ufologie.  L'imagination des auteurs de science-fiction semble très rapidement se limiter à quelques types de représentation de ce monde extra-terrestre avec la difficulté supplémentaire de conserver un lien avec les possibilités de perception humaine. Après Edgar Rice Burroughs, A Princess of Mars (1912), Harold Sherman, dans The Green Man (1946), Damon Knight,  dans The Third Little Green Man (1947), c'est sans doute avec "Mission of Gravity" (1954), de Hal Clement, que l'on se rend compte à quel point il peut être difficile d'imaginer l'extraterrestre. Aussi, est-ce sans doute pour cela que les auteurs vont privilégier l'expérience du "premier contact" tel que mis en scène  par Steven Spielberg dans "Close Encounters of the Third Kind" (1977) : le spectateur peut ainsi frissonner  sans avoir à affronter les implications des interactions quotidiennes avec les extraterrestres.... 


J.G. Ballard est un auteur qui a transformé l’angoisse moderne en mythologie contemporaine.

Il a su capturer, avec une clairvoyance presque prophétique, les peurs et les obsessions de la société post-industrielle, en leur donnant une dimension universelle et quasi-légendaire.

- Il a mythologisé les paysages modernes ...

Ballard a érigé les non-lieux (autoroutes, centres commerciaux, aéroports, banlieues) en nouveaux territoires sacrés de l’humanité, où se jouent des drames archétypaux : avec "Crash" (1973), les accidents de voiture deviennent des rites érotiques, la tôle froissée une nouvelle chair. Dans "Concrete Island" (1974), un homme coincé sur un bout d’autoroute se transforme en Robinson Crusoé urbain. Dans "High-Rise" (1975), un immeuble luxueux devient l’arène d’une régression tribale. Avec lui, le futur ne ressemblerait pas à Star Wars, mais à un parking désert de Croydon...

- Il a fait de la technologie une force psychique ...

Contrairement à la SF classique (robots, vaisseaux spatiaux), Ballard voyait la tech comme une projection de nos désirs inconscients : les écrans (Rêve de cristal, 1993) comme drogue hypnotique, les avions (Crash) comme objets de fantasme fétichiste, les centrales nucléaires (Le Jour de la création, 1987) comme temples d’autodestruction. La tech n’est pas extérieure à nous : elle est notre psyché matérialisée.

- Il a anticipé les pathologies du XXIᵉ siècle ...

Ses romans prédisent des phénomènes aujourd’hui banals tels que l’addiction aux médias (Rêve de cristal, une préfiguration des réseaux sociaux), la marchandisation du désastre (l'info en continu, La Foire aux atrocités), l’ennui comme moteur de violence (High-Rise, la bourgeoisie se bat pour s’occuper). Il a compris avant tout le monde que l’apocalypse serait bureaucratique et non pas nucléaire.

- Il a fusionné le personnel et l’universel ...

Son enfance traumatique à Shanghai (L’Empire du soleil) devient une allégorie de la perte de l’innocence moderne. Ses obsessions (accidents, désastres écologiques) reflètent des angoisses collectives. Comme Freud avec les rêves, Ballard a décrypté les cauchemars de la société.

- Une esthétique du "déjà-vu" inquiétant ...

Ses décors (zones périurbaines, hôpitaux vides) semblent à la fois banals et oniriques, comme si le monde réel était un film de David Lynch. Ainsi dans Crash, une collision devient une cérémonie religieuse. Il a ainsi montré que le mythe ne se cache pas dans le passé, mais dans notre présent le plus trivial: Je cherche la poésie dans les rayons des supermarchés et la tragédie dans les cul-de-sac ...

 

Ballard est inclassable : bien qu’étiqueté "auteur de SF", ses livres transcendent les genres. Auteur culte dès les années 1960, associé au mouvement New Wave en SF (rejet des aliens/robots pour une SF introspective), James Graham Ballard est né en 1930 à Shanghai (Chine), où il passe une enfance marquée par l’occupation japonaise (interné dans un camp pendant la Seconde Guerre mondiale, expérience qu’il décrit dans L’Empire du soleil, adapté au cinéma par Spielberg). Après des études de médecine à Cambridge, publicité et édition avant de se consacrer à l’écriture ...

 

Ses thèmes obsessionnels

- La technologie comme extension du désir humain (voitures, écrans, avions).

- L’inconscient urbain : Centres commerciaux, autoroutes et aéroports comme nouveaux temples.

- La violence sublimée : Catastrophes, accidents et rituels modernes.

- L’enfance traumatique : Perte de l’innocence, figures paternelles absentes.


La science-fiction des années 1970 va marquer une transition radicale entre l’optimisme technologique des 1960 (l'Âge d'Or centré sur la conquête spatiale (Star Trek, Asimov) et les utopies technologiques) et le cyberpunk désenchanté des années 1980. C’est la décennie, a-t-on écrit, où la SF devient adulte : elle ose la complexité morale, le style littéraire, et critique la société au lieu de la fuir dans l’espace. Et une SF miroir des crises (crise pétrolière, guerre du Vietnam, scandales politiques), là où les 1960s rêvaient et les 1980s pirateront ...


"Dead Time" (ou "Le Temps mort"), une nouvelle de J.G. Ballard, initialement publiée en 1964 dans le magazine Science Fantasy (Vol. 20, No. 60). Elle fait partie des récits courts de Ballard s'attachant à des thèmes psychologiques, temporels et post-apocalyptiques.

L’histoire se déroule dans un monde ravagé par une catastrophe non précisée, où le temps semble s’être figé. Les survivants errent dans un paysage désolé, marqué par des ruines et une atmosphère de fin du monde. Le personnage principal, un homme sans nom, erre dans cette désolation, hanté par le souvenir de sa femme disparue. Il est obsédé par l’idée de retrouver le temps perdu, comme si le passé pouvait être ressuscité. Il croise une femme étrange, qui semble tout aussi perdue que lui. Leur interaction est empreinte de tension psychologique : elle pourrait être un fantasme, un souvenir, ou une survivante réelle. Ballard joue avec l’ambiguïté, laissant planer le doute sur sa nature. Peu à peu, le protagoniste réalise que le temps ne s’écoule plus normalement. Les événements se répètent, les souvenirs se confondent avec le présent, et la frontière entre la vie et la mort devient floue.

Dans un dénouement typiquement ballardien, il comprend peut-être que lui-même est déjà mort, piégé dans une boucle temporelle éternelle. La femme qu’il a rencontrée pourrait être un reflet de son propre esprit, ou une apparition venue d’un autre plan de réalité.

Un personnage enfermé dans son propre esprit, incapable de distinguer le réel de l’hallucination, un personnage est obsédé par une figure féminine disparue, symbole d’un bonheur inaccessible, et l’idée d’un temps figé, comme dans "Les Délices du cannibalisme" ou "La Forêt de cristal", ou "The Terminal Beach" (1964) ...


"Crash", de J.G. Ballard (1973), est considéré comme un roman incontournable, tant dans le domaine de la science-fiction que dans la littérature générale ...

Son auteur a décrit ce livre comme « un exemple d’ironie terminale, où même l’écrivain ignore où il se situe » (an example of a kind of terminal  irony, where not even the writer knows where he stands). Il a également déclaré qu’il s’agissait d’« une métaphore extrême à une époque où seul l’extrême peut suffire » (an extreme metaphor at a time when only the extreme will do). Sans aucun doute, Crash est un roman terrible et dévastateur. C’est peut-être l’œuvre de fiction la plus troublante écrite ces vingt dernières années (à l’exception possible de Nova Express de William Burroughs), le "premier livre pornographique dominé par la technologie du XXe siècle", selon Maxim Jakubowski. Est-ce de la science-fiction ? Certains pensent que non, mais l’auteur la considère comme telle. C’est en effet un livre sur la technologie, représentée de manière obsessionnelle par l’automobile : la voiture comme icône du XXe siècle. Mais c’est plus que cela : c’est une réflexion sur la relation de l’humanité avec la technologie, sur ce que la technologie nous a fait, et sur ce que nous nous sommes infligé à travers elle. Plus encore : c’est un livre sur l’avènement d’un nouveau monde, un paysage médiatisé où rien n’est « réel », où tout est possible. Il explore la face sombre du présent, les désirs cachés qui rôdent sous les surfaces lisses d’une société de consommation brillamment éclairée.

On peut le lire comme un cauchemar dystopique — non pas projeté dans le futur ou sur une autre planète, mais réalisé ici, maintenant, à peine plus loin que l’autoroute ou l’aéroport le plus proche (et peut-être même plus près encore). Ballard a pris certains éléments familiers des années 1970 et les a rendus étrangement étrangers. De plus, il a refusé de moraliser : il nous présente la matière brute, et c’est à nous de la digérer comme nous le pouvons.

Tout est d’une clarté et d’une vivacité choquantes, comme si l’intrigue entière se déroulait sous les projecteurs d’un plateau de tournage. Aucune ambiguïté, aucun flou, aucun avertissement murmuré dans l’ombre ...

 

"Vaughan died yesterday in his last car-crash. During our friendship he had rehearsed his death in many crashes, but this was his only true accident. Driven on a collision course towards the limousine of the film actress, his car jumped the rails of the London Airport flyover and plunged through the roof of a bus filled with airline passengers. The crushed bodies of package tourists, like a haemorrhage of the sun, still lay across the vinyl seats when I pushed my way through the police engineers an hour later. Holding the arm of her chauffeur, the film actress Elizabeth Taylor, with whom Vaughan had dreamed of dying for so many months, stood alone under the revolving ambulance lights. As I knelt over Vaughan's body she placed a gloved hand to her throat. Could she see, in Vaughan's posture, the formula of the death which he had devised for her? During the last weeks of his life Vaughan thought of nothing else but her death, a coronation of wounds he had staged with the devotion of an Earl Marshal. The walls of his apartment near the film studios at Shepperton were covered with the photographs he had taken through his zoom lens each morning as she left her hotel in London, from the pedestrian bridges above the westbound motorways, and from the roof of the multi-storey car-park at the studios. The magnified details of her knees and hands, of the inner surface of her thighs and the left apex of her mouth, I uneasily prepared for Vaughan on the copying machine in my office, handing him the packages of prints as if they were the instalments of a death warrant. At his apartment I watched him matching the details of her body with the photographs of grotesque wounds in a textbook of plastic surgery.

In his vision of a car-crash with the actress, Vaughan was obsessed by many wounds and impacts - by the dying chromium and collapsing bulkheads of their two cars meeting head-on in complex collisions endlessly repeated in slow-motion films, by the identical wounds inflicted on their bodies, by the image of windshield glass frosting around her face as she broke its tinted surface like a death-born Aphrodite, by the compound fractures of their thighs impacted against their handbrake mountings, and above all by the wounds to their genitalia, her uterus pierced by the heraldic beak of the manufacturer's medallion, his semen emptying across the luminescent dials that registered for ever the last temperature and fuel levels of the engine. It was only at these times, as he described this last crash to me, that Vaughan was calm. He talked of these wounds and collisions with the erotic tenderness of a long-separated lover. Searching through the photographs in his apartment, he half turned towards me, so that his heavy groin quietened me with its profile of an almost erect penis. He knew that as long as he provoked me with his own sex, which he used casually as if he might discard it for ever at any moment, I would never leave him.

Ten days ago, as he stole my car from the garage of my apartment house, Vaughan hurtled up the concrete ramp, an ugly machine sprung from a trap. Yesterday his body lay under the police arc-lights at the foot of the flyover, veiled by a delicate lacework of blood. The broken postures of his legs and arms, the bloody geometry of his face, seemed to parody the photographs of crash injuries that covered the walls of his apartment. I looked down for the last time at his huge groin, engorged with blood. Twenty yards away, illuminated by the revolving lamps, the actress hovered on the arm of her chauffeur. Vaughan had dreamed of dying at the moment of her orgasm. ....

 

"Vaughan est mort hier dans son dernier accident de voiture. Durant notre amitié, il avait répété sa mort dans de nombreux crashs, mais ce fut son seul véritable accident. Lancé délibérément à la rencontre de la limousine de l'actrice, sa voiture franchit les glissières de l'autoroute aérienne de l'aéroport de Londres et plongea à travers le toit d'un bus rempli de passagers aériens. Les corps broyés des touristes, tels une hémorragie du soleil, gisaient encore sur les sièges en vinyle quand je me frayai un chemin parmi les ingénieurs de police une heure plus tard. S'appuyant au bras de son chauffeur, l'actrice Elizabeth Taylor, avec qui Vaughan avait rêvé de mourir pendant tant de mois, se tenait seule sous les lumières tournoyantes des ambulances. Alors que je m'agenouillais près du corps de Vaughan, elle porta une main gantée à sa gorge. Pouvait-elle voir, dans la posture de Vaughan, la formule de la mort qu'il avait imaginée pour elle ? Durant les dernières semaines de sa vie, Vaughan ne pensa qu'à sa mort, un couronnement de blessures qu'il avait mis en scène avec la dévotion d'un Grand Maréchal. Les murs de son appartement près des studios de Shepperton étaient couverts des photos qu'il avait prises chaque matin au téléobjectif lorsqu'elle quittait son hôtel londonien, depuis les passerelles au-dessus des autoroutes ouest, et depuis le toit du parking multi-étages des studios. Les détails grossis de ses genoux et mains, de l'intérieur de ses cuisses et de la commissure gauche de ses lèvres, je les préparais avec malaise pour Vaughan sur la photocopieuse de mon bureau, lui remettant les paquets de tirages comme s'il s'agissait d'arrêts de mort. Dans son appartement, je le regardais faire correspondre les détails de son corps avec les photos de blessures grotesques dans un manuel de chirurgie plastique.

Dans sa vision d'un accident avec l'actrice, Vaughan était obsédé par de multiples blessures et impacts - par le chrome mourant et les cloisons effondrées de leurs deux voitures se percutant de front dans des collisions complexes sans cesse rejouées au ralenti, par leurs blessures identiques, par l'image du pare-brise se craquelant autour de son visage tel une Aphrodite née de la mort, par les fractures multiples de leurs cuisses heurtant les leviers de frein, et surtout par les blessures à leurs organes génitaux, son utérus transpercé par l'emblème héraldique du constructeur, son sperme s'écoulant sur les cadrans luminescents enregistrant pour l'éternité les dernières températures et niveaux de carburant. Ce n'était qu'en évoquant ce crash ultime que Vaughan retrouvait le calme. Il parlait de ces blessures avec la tendresse érotique d'un amant longtemps séparé. Feuilletant les photos chez lui, il se tourna à demi vers moi, son entrecuisse alourdi m'apaisant par la silhouette d'un pénis presque en érection. Il savait qu'en me provoquant ainsi avec son sexe qu'il traitait avec désinvolture comme s'il pouvait s'en défaire à jamais, je ne le quitterais jamais.

Il y a dix jours, lorsqu'il vola ma voiture dans mon garage, Vaughan dévala la rampe de béton telle une machine hideuse jaillie d'un piège. Hier, son corps gisait sous les projecteurs policiers au pied de l'échangeur, voilé d'une délicate dentelle de sang. La posture brisée de ses membres, la géométrie sanglante de son visage, semblaient parodier les photos d'accidentés couvrant ses murs. Je contemplai une dernière fois son entrejambe tuméfié, engorgé de sang. À vingt mètres, éclairée par les gyrophares, l'actrice flottait au bras de son chauffeur. Vaughan avait rêvé de mourir à l'instant de son orgasme."

(...)

Le narrateur, réalisateur de publicités télévisées, est impliqué dans un accident de voiture où le conducteur de l’autre véhicule meurt. Pendant sa convalescence à l’hôpital, il est submergé par des fantasmes sexuels concernant les infirmières, les médecins, les voitures accidentées et la veuve du mort. À sa sortie, il retourne immédiatement sur les routes, revisite les lieux de l’accident, inspecte son épave dans une casse. Il réalise qu’il est suivi par un homme armé d’un appareil photo : le Dr Robert Vaughan, « ancien spécialiste en informatique… l’un des premiers scientifiques télévisuels d’un nouveau genre », qui « projetait une image puissante, presque celle du savant en gangster ». Vaughan est obsédé par les accidents de voiture et passe son temps à les photographier.

Lui et le narrateur vont forger une amitié des plus troubles : ils roulent ensemble, deviennent voyeurs d’accidents et partagent les services des mêmes prostituées d’aéroport. Ils observent des crashs simulés au Laboratoire de Recherche Routière, et Vaughan confie son ambition de mourir dans un accident avec Elizabeth Taylor. Les événements culminent lorsque le narrateur et Vaughan parcourent les autoroutes sous l’emprise d’un hallucinogène :

 

" The daylight above the motorway grew brighter, an intense desert air. The white concrete became a curving bone. Waves of anxiety enveloped the car like pools of heat off summer macadam … The cars overtaking us were now being superheated by the sunlight, and I was sure that their metal bodies were only a fraction of a degree below their melting points, held together by the force of my own vision, and that the slightest shift of my attention to the steering wheel would burst the metal films that held them together and break these blocks of boiling steel across our path. By contrast, the oncoming cars were carrying huge cargoes of cool light, floats loaded with electric flowers being transported to a festival. As their speeds increased I found myself drawn into the fast lane, so that the oncoming vehicles were moving almost straight towards us, enormous carousels of accelerating light. Their radiator grilles formed mysterious emblems, racing alphabets that unravelled at high speed across the road surface."

 

« La lumière au-dessus de l’autoroute devint plus vive, un air désertique intense. Le béton blanc se transforma en une courbe d’os. Des vagues d’angoisse enveloppèrent la voiture comme la chaleur irradiant du bitume estival… Les voitures qui nous dépassaient semblaient maintenant surchauffées par la lumière, et j’étais persuadé que leurs carrosseries n’étaient plus qu’à une fraction de degré de leur point de fusion, maintenues intactes uniquement par la force de mon regard — et que le moindre relâchement de mon attention sur le volant ferait éclater ces films métalliques, libérant des blocs d’acier en ébullition sur notre chemin. À l’inverse, les voitures en sens inverse transportaient d’énormes cargaisons de lumière froide, des barges chargées de fleurs électriques en route pour un festival. À mesure que leur vitesse augmentait, je me retrouvai attiré dans la voie rapide, jusqu’à ce que les véhicules semblent foncer droit sur nous, d’immenses carrousels de lumière accélérée. Leurs calandres formaient des emblèmes mystérieux, des alphabets fous se déroulant à toute allure sur la chaussée. »

 

C’est un passage visionnaire et intense, qui se prolonge sur plusieurs pages. Peu après, Vaughan meurt dans un accident volontaire, laissant le narrateur en deuil : et chargé de « concevoir les éléments » de sa propre mort à venir...

L'auteur de ce livre est au-delà de toute aide psychiatrique, aurait déclaré l'un des lecteurs d'une maison d'édition ...

 

L’adaptation cinématographique de "Crash" (1996) par David Cronenberg, inspirée du roman de J.G. Ballard (1973), est devenue culte pour son audace provocatrice et son esthétique glacée  : le film a choqué par ses scènes de sexe explicites liées à des accidents de voiture, déclenchant des huées et des débats hystériques, et pourtant, il remporte le Prix spécial du Jury à Cannes pour son "audace et originalité". Cronenberg filme les corps et les carrosses accidentés avec une distance chirurgicale, comme des spécimens sous microscope, des scènes culte comme celle du baiser sur la cicatrice (Rosanna Arquette et sa jambe métallique) ou le jeu de l’actrice Holly Hunter et son obsession pour la douleur transformée en plaisir. L’univers nocturne de Los Angeles devient une cathédrale techno-fétichiste. Les personnages cherchent un au-delà du corps via la collision. James Spader en est le narrateur amoral, Elias Koteas en Vaughan, le "prophète des crashs", à la fois gourou et junkie technologique, Deborah Kara Unger et son personnage de femme qui joue à l’accidentée pour exciter son mari, la bande-originale de Howard Shore : ce n’est pas un film de SF, ni un drame, ni un porno, mais dira-t-on un malaise cinématographique qui oblige le spectateur à interroger ses propres fascinations ...

Aucun film n’a osé pousser aussi loin l'érotisation de la technologie...


"Sécheresse" (1964)

Autodestruction industrielle et régression sociale - "The Drought" (également publié sous le titre "The Burning World" dans sa première édition), apour personnage principal un antihéros typiquement ballardien (rationnel, détaché, mais profondément marqué par la folie ambiante), le Dr Charles Ransom : médecin et biologiste, il observe la lente désintégration de la civilisation depuis une station balnéaire abandonnée. Nous sommes dans un futur proche, une catastrophe écologique inédite frappe la Terre : les océans sont pollués par des déchets industriels, formant une pellicule chimique qui empêche l’évaporation de l’eau. Les pluies cessent, les rivières s’assèchent, et la planète bascule dans une sécheresse apocalyptique. Les gouvernements tentent de distribuer de l’eau dessalée, mais les infrastructures s’effondrent. Les riches fuient vers les pôles, tandis que les autres survivent dans des bidonvilles autour des dernières sources.

C'est alors la descente dans la barbarie : des cultes millénaristes émergent, adorant le soleil ou sacralisant l’eau. Ransom erre entre des communautés rivales, les pêcheurs (vivant sur des carcasses de bateaux échoués, ils deviennent cannibales), les "enfants du sable" (une tribu d’adolescents mutants, adaptés à la sécheresse), et Quilter (un mystique qui prêche la "purification par le feu").

Le point de non-retour : Ransom rejoint un groupe mené par Catherine Austen, une ancienne amante, dans une quête désespérée vers la mer. Ils découvrent un océan toxique et stagnant, couvert d’une croûte noire. Le livre s’achève sur une scène ambiguë : Ransom, seul, marche vers l’horizon, alors que des pluies acides commencent à tomber : trop tard pour sauver l’humanité...

Les déserts de Ballard reflètent l’aridité psychologique de ses personnages et ses descriptions cliniques de corps déshydratés, de villes en ruine sont glaciales...


"The Atrocity Exhibition" (1969)

"La Foire aux atrocités", une série de vignettes expérimentales, entre prose et poésie, sans intrigue linéaire, au cours de laquelle un narrateur anonyme (souvent appelé Travis, Talbert, ou d’autres noms variables) erre dans un monde en pleine désintégration psychique et sociale, à travers des paysages urbains cauchemardesques. La guerre du Vietnam, la mort de Marilyn Monroe, les accidents de voiture de célébrités et la menace nucléaire se mélangent dans son esprit en une mythologie médiatique grotesque.

Le narrateur crée des installations artistiques à partir de photos d’accidents et de corps célèbres (JFK, Elizabeth Taylor), des médecins organisent des "conférences érotiques" où des patientes nues sont associées à des diagrammes de missiles (le narrateur fantasme sur Marilyn Monroe comme symbole d’une "apocalypse érotique"), Ballard nous montre comment les journaux et la TV transforment les tragédies en spectacles et incarne la schizophrénie collective d’une société obsédée par le sensationnel. Le livre se termine par une répétition infinie de scènes de crash, suggérant que la violence médiatique est un cycle sans issue. Un livre qui démembre la réalité pour montrer ses entrailles médiatisées...


"Vermilion Sands" (1971) 

Un recueil de nouvelles situé dans une station balnéaire futuriste et décadente du même nom, un désert luxuriant peuplé d’artistes ratés, de milliardaires oisifs et de technologies psychédéliques. Ce lieu, entre Palm Springs et un rêve de Dalí, incarne l’esthétique "lounge-apocalyptique" chère à Ballard.

- "The Cloud-Sculptors of Coral D"

Des artistes utilisent des avions pour sculpter des nuages au-dessus de Vermilion Sands, sous le patronage de la riche et mystérieuse Leonora Chanel. Les nuages se dissipent comme les rêves des personnages ..

- "The Screen Game"

Un réalisateur de films érotiques obsédé par une starlette disparue utilise des écrans sensibles qui réagissent aux émotions des spectateurs. Les écrans deviennent des miroirs déformants des désirs...

- "The Singing Statues"

Des sculptures minérales chantent grâce à des vibrations éoliennes, attirant un compositeur en quête d’inspiration.

- "The Thousand Dreams of Stellavista"

Un couple emménage dans une maison psychotique imprégnée des souvenirs de son ancienne propriétaire, une star capricieuse. Les murs "jouent" les disputes passées comme un film fantôme ...

- "Say Goodbye to the Wind"

Un créateur de robes vivantes (en fibres sensibles) tombe amoureux d’une femme insaisissable qui fusionne littéralement avec ses créations...

Ballard teste ici les thèmes qu’il approfondira dans Crash ou La Foire aux atrocités...


"Unlimited Dream Company" (1979)

Une œuvre surréaliste et psychédélique, typique du style de Ballard, tout le pouvoir de l'imagination : le personnage principal recrée le monde selon ses désirs, comme un démiurge, tandis que l'auteur joue avec la perception du lecteur, laissant planer le doute sur ce qui est réel : son rêve est à la fois créateur et destructeur, libérant les habitants de leurs limites mais les absorbant dans son délire...

Le protagoniste, Blake, s’écrase en avion dans la Tamise, près de la petite ville anglaise de Shepperton. Au lieu de mourir, il se retrouve mystérieusement piégé dans la ville, incapable de s’en échapper. Rapidement, il réalise qu’il a développé des pouvoirs étranges : il peut voler, transformer la réalité autour de lui et influencer les habitants. 

Sous l’influence de Blake, Shepperton commence à se métamorphoser en un paradis tropical hallucinatoire. La végétation envahit les rues, des animaux exotiques apparaissent, et les lois physiques semblent se distordre. Les habitants, d’abord effrayés, sont peu à peu envoûtés par Blake, qui les attire dans son rêve éveillé.

Blake devient une figure messianique, attirant des disciples qui voient en lui une sorte de dieu. Il entretient des relations érotiques et mystiques avec plusieurs personnages, notamment Miriam et les enfants Stark, qu’il initie à une existence libérée des contraintes matérielles.

Cependant, certains habitants résistent à son emprise, comme le Dr. Miriam, qui tente de ramener Blake à la réalité. Peu à peu, des signes de folie ou de délire apparaissent : et si tout cela n’était qu’une hallucination de Blake agonisant dans l’épave de son avion ?

Dans un dénouement ambigu, il est suggéré que Blake est peut-être mort dès le crash et que tout ce qui s’est passé n’était qu’une fantaisie ultime de son esprit mourant. Pourtant, la frontière entre rêve et réalité reste floue : et si Shepperton avait vraiment été transformée par son imagination débridée ?


 "Empire of the Sun" (1984)

"L’Empire du soleil", un récit semi-autobiographique sur son enfance en temps de guerre (prix Guardian) : le jeune Jim (alter ego de l’auteur) est interné dans le camp de Lunghua après l’invasion japonaise, où il observe la guerre avec une fascination mêlée d’horreur. Face à une guerre racontée à hauteur d'enfant, on voit ici naître l’imagination déformante d'un auteur qui produira "Crash" ou "La Foire aux atrocités" ...

- Shanghai avant-guerre (1941), Jim, 11 ans, vit dans un quartier bourgeois avec ses parents. La ville est une enclave coloniale sur le point de s’effondrer. Scène clé : Il assiste au naufrage d’un paquebot britannique dans le Yangtsé, premier contact avec la violence.

- L’internement (1942–1945) : séparé de ses parents, Jim survit dans le camp en mythifiant la guerre. Jim vole, ment, et s’adapte sans culpabilité. Il idolâtre les aviateurs japonais (les "samouraïs du ciel"), il troque des objets comme un petit entrepreneur de la débrouille. parmi les scènes marquantes, l’exécution d’un prisonnier chinois, où Jim rit nerveusement, et le survol des B-29 américains, annonciateurs de la bombe atomique, mais aussi les bombardements comme un "cinéma", signe d’une désensibilisation provoquée par l’horreur : les avions (P-51, B-29) sont décrits comme des objets de désir ..

- La libération et l’après-guerre : Jim, squelettique, erre parmi les ruines de Shanghai. Puis ce sont des retrouvailles ambiguës avec ses parents, devenus des étrangers (l’impossibilité du retour).

Contrairement à ses œuvres SF, Ballard adopte ici un réalisme poétique (influencé par Conrad). Il approuvera l'adaptation cinématographique de Spielberg (1987) malgré ses libertés.

 

"The Kindness of Women" (1991)

"La bonté des femmes", roman semi-autobiographique et suite/spin-off de son célèbre "L'Empire du soleil" (1984), mais s'attache à des périodes ultérieures de sa vie, mêlant réalité et fiction : Jim, alter ego de Ballard, depuis son adolescence dans le camp d’internement de Shanghai (événement réel vécu par l’auteur) jusqu’à sa vie d’adulte en Angleterre dans les années 1950–1980. Contrairement à "L’Empire du soleil", centré sur la guerre, ce roman explore la sexualité, le deuil et la création artistique, à travers le prisme des femmes qui ont marqué sa vie. Les scènes du camp de Shanghai reviennent comme des flashbacks, expliquant la fascination de Jim/Ballard pour la violence et la survie. Contrairement au titre ironique, les femmes ne sont pas "gentilles" mais complexes : elles sont à la fois des muses, des gardiennes et des victimes de la folie masculine (Miriam, sa femme morte jeune ; Sally, une amante destructrice ; Helen, une éditrice qui le pousse à écrire Crash). Ballard recycle ses propres expériences (son veuvage, sa carrière) en les teintant de SF grotesque.


"Millennium People" (2003)

Écrit en 2003, un livre qui anticipe les révoltes paradoxales du XXIᵉ siècle (anti-woke, conspirationnismes bourgeois). Ballard se garde bien de juger ses personnages et laisse le lecteur en décider autrement. Londres, début des années 2000. David Markham, un psychologue cinéphile et veuf récent, se retrouve emporté dans une révolte clandestine après que son ex-femme a été tuée dans un attentat à la bombe à l’aéroport d’Heathrow. Sa quête pour comprendre ce meurtre le mène au cœur d’une cellule terroriste bourgeoise installée dans le quartier résidentiel de Chelsea Marina, où des habitants aisés – médecins, professeurs, artistes – ont décidé de saboter leur propre mode de vie...

La Révolte des Classes Moyennes? Chelsea Marina, un quartier huppé, devient le foyer d’une insurrection paradoxale : ses habitants, lassés du consumérisme et du vide existentiel, commettent des attentats contre des symboles de leur propre confort (galeries d’art, Starbucks, clubs de gym). Dr. Richard Gould, un pédiatre charismatique, en est le leader idéologue. Son credo : "La vraie liberté naît de la destruction de nos chaînes invisibles."

David infiltre le groupe, séduit par leur rhétorique et par Kay Churchill, une ex-enseignante devenue terroriste du quotidien. Il découvre que leur violence est autant performative que politique : ils filment leurs attentats comme des œuvres d’art, mélangeant révolution et mise en scène. La révolte dégénère dans l'absurde : un cinéaste est lynché pour avoir tourné un documentaire sur le mouvement, une église est incendiée lors d’un faux "mariage révolutionnaire". Révélation finale : Gould était peut-être un agent provocateur infiltré par le gouvernement. La rébellion n’était qu’un exutoire contrôlé. Markham, désillusionné, quittera Chelsea Marina : il observe un nouveau quartier résidentiel où des familles sourient devant leurs maisons… tandis qu’une bombe explose en arrière-plan...

Les personnages cherchent un sens dans la destruction, comme d’autres dans le yoga ou la psychoanalyse...


John Brunner, "The Sheep Look Up" (1972)

John Brunner (1934-1995) alterne romans ambitieux et oeuvres mineures et alimentaires en explorant tous les chemins de la science fiction. Le tournant de sa carrière est située en 1968 avec la publication de "Stand on Zanzibar" (Tous à Zanzibar), le plus gros roman de science-fiction jamais écrit, et sans doute structuré selon des techniques littéraires qui n'ont jamais été utilisé dans le genre. Il y dresse, au long de récits imbriqués, le sombre tableau d'un monde  surpeuplé où se pose la question de la liberté individuelle et de l'eugénisme. Trois destins, celui de Norman House, cadre supérieur new-yorkais et noir envoyé en mission dans un état imaginaire d'Afrique, le Beninia; celui de Donald Hogan, un agent dormant du gouvernement américain expédié dans pays du Sud-Est asiatique pour neutraliser une découverte génétique; enfin celui de Chad Mulligan, un sociologue cynique qui marque toute l'intrigue du roman.

Brunner quitte donc les thèmes traditionnels de la science fiction, la colonisation de Mars ou la machine à voyager dans le temps, pour chercher à inventer un futur proche inéluctablement sombre : la surpopulation, la violence et la haine raciale avec "L'Orbite déchiquetée" (The Jagged Orbit, 1969), la pollution chimique et les derniers spasmes de la planète Terre avec "Le Troupeau aveugle" (The Sheep Look Up, 1972), le fascisme avec "Virus" (The Stone That Never Came Down, 1973), le risque d'extinction de la civilisation humaine avec "Éclipse totale" (Total Eclipse, 1974), l'holocauste nucléaire avec "La Toile de l'araignée" (Web of Everywhere, 1974),  la vie dans un monde totalement informatisé avec "Sur l'onde de choc" (The Shockwave Rider, 1975)....

 


Gene Wolfe, "The Fifth Head of Cerberus" (1972)

Écrivain prolifique de nouvelles et de romans qui cultive des intrigues complexes, Gene Wolfe (1931-2019) trouve son public avec sa série du "Solar Cycle"  (Nouveau Soleil de Terre), quatre volumes rédigés entre 1980 et 1983, une fantasy particulièrement dense qui trace le parcours initiatique de Severian le bourreau dont le destin est de devenir autarque et de sauver une Terre vieillissante, au seuil de la mort. "La Cinquième Tête de Cerbère " est un recueil de nouvelles qui fait certes référence à Cerbère, un chien à trois têtes de la mythologie grecque, qui gardait la porte des Enfers grecs, Hadès, mais est utilisé dans un parcours métaphorique pour décrire la propre famille de l'auteur...

 Il s’agit d’un des récits les plus habilement construits de toute la science-fiction moderne, un chef-d’œuvre de tromperie narrative, d’indices subtils et de révélations en apparence fortuites. 

L’ouvrage se compose de trois novellas en apparence distinctes, mais secrètement liées par des fils narratifs invisibles au premier abord :

- "Le Cinquième Head of Cerberus" : Un récit à la première personne, pseudo-autobiographique, où un enfant grandit dans une maison mystérieuse sous la tutelle d’un "père" savant et cruel. Le narrateur décrit des expériences troublantes (clonage, manipulation mentale) avant une révélation finale bouleversante.

- "V.R.T." : Un compte-rendu anthropologique fictif sur les aborigènes de Sainte-Croix, censés avoir été exterminés par les colons terriens. Le texte semble anodin, mais contient des indices cachés sur la véritable nature des personnages du premier récit.

- "À la mémoire de" : Le journal d’un colon en fuite, où la frontière entre humain et alien s’efface. La conclusion remet en question tout ce qui précède.

Chaque texte semble indépendant, mais forme en réalité un puzzle métatextuel. Les incohérences apparentes (noms, détails) sont des indices délibérés.

 

Wolf explore des thèmes chers à la SF (clonage, mimétisme alien, usurpation d’identité) à travers une narration trouble :

- Narrateurs non fiables : Les trois voix mentent, omettent ou interprètent mal les événements. Le lecteur doit démêler le vrai du faux.

- Le mystère des "abos" : Les aborigènes de Sainte-Croix étaient-ils vraiment une espèce distincte, ou des humains modifiés ? Ou pire : les colons sont-ils eux-mêmes des aliens ayant oublié leur nature ?

- Échos entre les récits : Un personnage secondaire du premier texte devient le narrateur du troisième, sans que le lien soit explicité.

 

L’idée que "The Fifth Head of Cerberus" (1972) de Gene Wolfe serait une métaphore cryptée de sa propre famille relève davantage de l’interprétation littéraire que d’une affirmation explicitement confirmée par l’auteur (Wolfe disait écrire pour explorer ce qui l’effrayait"). Cependant, plusieurs éléments du texte et des parallèles biographiques permettent d’étayer cette lecture : 

- Le père absent et autoritaire : Wolfe avait des relations complexes avec son propre père, un homme strict et distant. Dans The Fifth Head, la figure paternelle (le "scientifique" manipulateur) incarne une autorité cruelle, presque expérimentale, évoquant une dynamique familiale dysfonctionnelle.

- La guerre et l’ingénierie : Ancien soldat en Corée et ingénieur, Wolfe intègre une rigueur technique à son écriture, mais aussi une obsession pour les structures cachées — comme si le livre était un mécanisme à démonter, tout comme on analyse une famille.

- La "Maison" comme symbole familial - Le décor central (une maison labyrinthique où des "frères" sont élevés comme des expériences) peut se lire comme une allégorie de la cellule familiale : le père savant  (figure tyrannique et intellectualisée, qui traite ses enfants comme des sujets d’étude, rappelant un parent narcissique), les miroirs interdits (qui symbolisent l’impossibilité de se voir soi-même clairement dans le cadre familial, ou la négation de l’individualité).

- Les aborigènes de Sainte-Croix, censément disparus mais peut-être assimilés, pourraient symboliser les ancêtres dont on ignore tout et les parts de soi que la famille étouffe (l’enfant "alien" dans un foyer rigide).

Philip K. Dick explorait aussi la famille à travers la SF paranoïaque et J.G. Ballard, dans " Crash" et "L’Empire du soleil" mêle autobiographie et dystopie...


Andreï Tarkovski, "Solaris" (1972)

Adaptée d'un roman de l’écrivain polonais Stanislas Lem (1921-2006), l'un des écrivains polonais les plus traduits aux côtés de Gombrowicz et de Sienkiewicz, l'intrigue de "Solaris" est toute entière centrée sur une planète, un vaste «océan-cerveau protoplasmique», qui peut lire dans les pensées des personnages et matérialiser des corps, et auquel va s'affronter un psychologue en charge de comprendre le phénomène. L'imaginaire et le quotidien fusionnent uniquement au niveau d'un personnage, et non via les sempiternels effets spéciaux...

On retrouve de plus sous le mode de la science-fiction, la haine profonde de la guerre et des totalitarismes qui animait un auteur qui avait connu l'occupation soviétique, puis nazie. Le cosmonaute et psychologue Kris Kelvin (Donatas Banionis) reçoit la mission de se rendre sur une station spatiale qui étudie depuis plusieurs décennies la planète océanique Solaris, et dans laquelle des évènements étranges se produisent : son ami, le scientifique Dr Gibarian, s'est suicidé, et les deux membres d'équipage survivants, Snauth et Sartorius, semblent atteint de paranoïa. Mais voici que Kelvin se trouve confronter à d'étranges phénomènes, il aperçoit brièvement à bord de la station d'autres personnes qui ne faisaient pas partie de l'équipage d'origine, et plus douloureusement encore, son épouse Harey, qui s’est suicidée dix ans auparavant. Un singulier processus semble opérer à partir de Solaris, puisant tous les souvenirs de l'esprit humain, des plus douloureux ou plus refoulés, pour en générer l’apparition...

 

Andreï Tarkovski a transformé "Solaris" (1972) en un film culte, bien au-delà du roman de Stanisław Lem, en mêlant philosophie existentielle, poésie visuelle et une réflexion profondément humaine sur l’amour et la mémoire. Le livre de Lem était un roman de SF hard centré sur l’incommunicabilité avec l’océan conscient de Solaris, entité extraterrestre incompréhensible. Tarkovski en détourne la trame pour explorer la culpabilité, l’amour perdu et les limites de la raison humaine (Lem détesta l’adaptation). Ainsi l’océan ne va pas créer des aliens, mais des manifestations des regrets des cosmonautes (comme Hari, la femme morte de Kelvin). ici, Les scientifiques échouent à "dompter" Solaris, mais l’océan les force à affronter leurs démons intérieurs: Nous n’avons pas besoin d’autres mondes. Nous avons besoin d’un miroir ...


"The Inverted World" (Le Monde inverti), de Christopher Priest, publié en 1974 et  Prix British Science Fiction en 1975, est l'un des premiers romans à explorer une géographie impossible (préfigurant "House of Leaves" de Mark Z. Danielewski, 2000, un jeune homme découvre un manuscrit sur un documentaire effrayant nommé The Navidson Record, qui explore une maison plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur) : dans un futur lointain, la ville mobile d’Earth (un gigantesque convoi ferroviaire) se déplace inlassablement à travers un paysage déformé pour échapper à une mystérieuse menace, la "distorsion" de l’espace-temps. Ses habitants, dirigés par une guilde secrète, croient que leur survie dépend de ce mouvement perpétuel et ignorent la vraie nature de leur monde.

- Partie 1, Helward Mann, un jeune apprenti de la guilde des Traceurs (chargés de poser les rails), découvre peu à peu les secrets de sa société : Earth doit constamment avancer pour rester dans une zone stable appelée "optimum". Le paysage se déforme derrière elle : montagnes s’étirent, rivières disparaissent. Les "Guildes" (Navigateurs, Traceurs, Pontonniers) contrôlent l’information, mentant au peuple pour éviter la panique. Parmi les découvertes choquantes, les "Termites", humains mutants vivant hors de la ville, semblent insensibles à la distorsion; les enfants nés à Earth vieillissent anormalement vite dès qu’ils quittent la ville.

 - Partie 2, Helward est envoyé en mission pour explorer les terres inconnues. Il rencontre Elizabeth, une femme d’un village extérieur, qui lui révèle une vérité troublante : Earth n’est pas sur une planète, mais sur un monde en forme d’hyperboloïde (un "monde inverti"), où les lois physiques sont tordues. La "distorsion" est une illusion causée par la courbure de ce monde. La ville pourrait en réalité être stationnaire, et c’est l’univers autour qui se déplace.

- Partie 3, Helward retourne à Earth pour exposer la vérité, mais les Guildes le rejettent. La ville finit par dérailler, stoppant net son mouvement. Pourtant, rien ne se produit : la distorsion était un mensonge. C'est la révélation finale : Earth est peut-être un artefact d’une ancienne civilisation, ou une expérience sociale. Les habitants, libérés du dogme, doivent choisir entre continuer à errer… ou s’adapter...

A inspiré les jeux vidéo (BioShock Infinite) et la SF psychologique ("Annihilation" de VanderMeer)...


Joanna Russ, "The Female Man" (1975)

Joanna Russ ( 1937-2011), féministe américaine et auteur de plusieurs ouvrages de science-fiction, de fantastique et de critique littéraire, entre en littérature avec "The Adventures of Alyx", cinq histoires dont "Picnic on Paradise" (1968) dans lequel Alyx, agent de l'Autorité Trans-Temporelle guide un groupe de toutistes égarés sur une planète en guerre. Il n'y a qu'une seule façon de devenir ce qu'on ne parvient pas à être, c'est de le vivre. Dans "The Female Man", qui se veut roman de science-fiction féministe, entre forme didactique et morceaux de bravoure, l'auteur suit la vie de quatre femmes qui vivent dans des mondes parallèles qui diffèrent dans le temps et l'espace. Passer  d'un monde à l'autre leur fait explorer des points de vue différents sur les rôles tenus par chacun des genres, une expérience à l'issu de laquelle se forge pour chacune d'entre elles une certaine idée de leur vie de femme...

Dans le recueil "Extra(ordinary) People" (1985), la science fiction permet d'installer des récits et des contextes dans lesquels les femmes ne sont pas ce qu'elles paraissent être, ni pour elles-mêmes ni pour les autres, et plus encore de l'inversion des rôles masculins et féminins qui ne produit pas toujours les effets attendus....

 


"The Man who fell to Earth" (Nicolas Roeg, 1976)

Adapté d’un roman de Walter Tevis (1928-1984), auteur de science-fiction et de roman noir (The Color of Money, 1984), "L’Homme qui venait d’ailleurs" relate le séjour terrestre d’un humanoïde (David Bowie) venu d’une autre planète ravagée par la sécheresse, il atterrit au Nouveau-Mexique, prend nom de Thomas Jerome Newton, et y bâtit bientôt un empire industriel grâce à des technologies importées de sa lointaine planète. Il espère ainsi  accumuler assez de richesse pour sauver sa planète mais, découvert par les autorités, il devra renoncer à son projet et être condamné à rester sur Terre. L'histoire se veut visuellement provocante, avec des sauts chronologiques ou géographiques volontairement non expliqués et une vision ultra-sophistiquée de la culture américaine…

 


"Close Encounters of the Third Kind", Steven Spielberg  (1977) 

"Rencontres du Troisième Type", l'histoire d'un homme ordinaire confronté au fantastique. Des faits étranges se produisent un peu partout dans le monde : des avions qui avaient disparu durant la Seconde Guerre mondiale sont retrouvés au Mexique en parfait état de marche, un cargo est découvert échoué au beau milieu du désert de Gobi. "Rencontre du troisième type" relate deux histoires parallèles, la première se déroule dans l'Indiana, pendant qu'une coupure d'électricité paralyse la banlieue, Roy Neary (Richard Dreyfuss), un réparateur de câbles, voit une soucoupe volante passer au-dessus de sa voiture, d'autres personnes sont témoins du phénomène, Barry Guiler, un petit garçon de quatre ans, réveillé par le bruit de ses jouets qui se mettent en route. Roy Neary va tenter de comprendre ces évènements mais se heurte aux rigoureuses consignes de silence imposées par le gouvernement fédéral. Obsédé par ce qu'il a vu et hanté par une image de montagne qu'il essaie désespérément de reconstituer, il est abandonné par sa femme Ronnie et ses enfants, et ne trouve compréhension qu'auprès de Jillian Guiler (Melinda Dillon), la mère de Barry.. Parallèlement à ces événements, une commission internationale, composée de chercheurs de divers horizons et conduite par le savant français Claude Lacombe (François Truffaut), va s'efforcer de percer le mystère. Une évidence s'impose bientôt à eux, une forme d'intelligence extraterrestre tente d'établir un contact avec les terriens, et Claude Lacombe va intègre la méthode Kodály d'éducation musicale comme moyen de communication...

 

"Dying Inside" (1972) 

Robert Silverberg (né en 1935) est un écrivain de science-fiction particulièrement prolifique. Devenu auteur professionnel à vingt et un ans, il produisait au moins un million de mots par an. Même en laissant de côté ses nombreux écrits hors SF, il reste des dizaines de romans de science-fiction à son actif, dont beaucoup sont étonnamment bons. Les livres qu’il a publiés entre "Thorns" (1967) et "Shadrach in the Furnace" (1976) sont généralement considérés comme ses meilleurs, avec "Dying Inside" (1972) souvent cité comme son chef-d’œuvre, une SF psychologique et philosophique, bien loin des clichés du genre.  "Downward to the Earth" traite comme celui-ci de rédemption, mais "Dying Inside" est bien plus sombre et urbain. Écrit à la 2e personne, le roman mêle monologue intérieur et flashbacks avec une maîtrise remarquable. David Selig, un homme d’une cinquantaine d’années doté de télépathie depuis l’enfance, mais qui voit peu à peu son pouvoir s’affaiblir, survit à New York dans les années 1970 en vendant des dissertations universitaires à des étudiants paresseux, tout en ruminant sur son existence ratée. Le récit alterne entre ses souvenirs (où il exploitait sa télépathie pour manipuler les autres, séduire des femmes ou espionner les pensées intimes) et son présent misérable, où il perd non seulement son don, mais aussi sa raison d’être.

 

"Downward to the Earth" suit la quête d’un Terrien en quête d’éveil sur une planète alien édénique. Edmund Gundersen revient sur Belzagor, une ancienne colonie terrestre, après huit ans d’absence. Rongé par une culpabilité obscure, il découvre une planète désormais indépendante de l’Empire terrien. Ses deux espèces intelligentes – les nildoror, semblables à des mastodontes cornus, et les sulidoror, évoquant des yetis à longue queue – ont laissé les installations humaines tomber en ruine. Quelques Terriens persistent, vivant d’un petit tourisme, mais les autochtones n’ont que faire de l’argent, des gadgets ou même des bâtiments. Leur société est étonnamment pacifique et pastorale. Le climat est chaud, la végétation luxuriante, mais les humains peinent à comprendre une intelligence si indifférente au progrès matériel. Les natifs de Belzagor ne semblent préoccupés que par une chose : leur religion commune, avec ses rites secrets de « purification » et de « renaissance ».

La culpabilité de Gundersen vient du fait qu’autrefois, en tant qu’administrateur colonial, il avait empêché des nildoror de se rendre dans le Pays des Brumes pour gravir leur montagne sacrée et participer au rituel de renaissance. Un roman qui est en partie une relecture SF de "Au cœur des ténèbres" de Joseph Conrad...


"Star Wars", George Lucas (1977)

Les huit films sur "La planète des singes" et les sept sur "Les guerres de l'étoile" (Star wars) comptent parmi les plus populaires sagas de science-fiction. L'univers de Star Wars se déroule dans une galaxie, théâtre d'affrontements entre les Chevaliers Jedi et les Seigneurs noirs des Sith, personnes sensibles à la Force, un champ énergétique mystérieux leur procurant des pouvoirs psychiques. Les Jedi maîtrisent le côté lumineux de la Force, pouvoir bénéfique et défensif, pour maintenir la paix dans la galaxie. Les Sith utilisent le côté obscur, pouvoir nuisible et destructeur, pour leur usage personnel et pour dominer la galaxie.

Pour maintenir la paix, une République galactique a été fondée avec pour capitale la planète Coruscant. C'est ainsi George Lucas a réalisé beaucoup plus qu'un film, il a créé un véritable univers avec un nouveau style de cinéma, une mythologie avec ses personnages emblématiques (Anakin Skywalker qui devient le terrible  Dark Vador, au service de l'Empire, Luke Skywalker, le Jedi Obi-Wan, le pilote de vaisseau Han Solo, son compagnon Chewbacca, la princesse Leia Organa), ses créatures (Yoda, l'un des plus puissants maîtres jedi, les robots R2-D2 et le bavard C-3PO, Jar Jar Binks, de la race des Gungan, Jabba Le Hutt, la grosse limace parrain de la pègre intergalactique), et des objets qui ont trouvé une place dans notre langue....

La trilogie originale était composée de "Star Wars" (1977), "L'Empire contre-attaque" (The Empire Strikes Back, 1980), "Le Retour du Jedi" (Return of the Jedi, 1983). De 1999 à 2005, sont diffusés "La Menace fantôme" (The Phantom Menace), ."L'attaque des clones" (Attack of the Clones) et "La Revanche des Sith" (Revenge of the Sith). De 2015 à 2019, sortent sur les écrans, "Le Réveil de la Force", "Les Derniers Jedi", "L'Ascension de Skywalker". Des films dérivés poursuivront l'aventure....

 


Ridley Scott, "Alien" (1979)

"In space, no one can hear you scream" - Les motifs d'invasion d'Alien persistent dans la science-fiction, comme dans le film "Alien" (1979), de l'incontournable Ridley Scott qui n'hésite pas ainsi à défier la vogue de "la Guerre des étoiles" en conciliant horreur (un Alien machine à tuer) et science fiction avec des effets spéciaux particulièrement réussis. Sur un scénario de Dan O'Bannon, nous voici à bord d'un vaisseau spatial avec un équipage commandé par le capitaine Dallas (Tom Skerritt), secondé par l'opiniâtre lieutenant Ripley (Sigourney Weaver devint une star du jour au lendemain): répondant à un appel de détresse, ils découvrent un vaisseau abandonné et des oeufs étranges : de l'un d'eux sortira un parasite qui s'introduit dans le corps de Kane (John Hurt) et provoquera la stupeur et l'effroi lorsqu'il sortira, développé, de sa poitrine...