Genetics - Richard Dawkins (1941), "The Selfish Gene" (1976, Le Gène égoïste), "The Extended Phenotype" (1982, Le phénotype étendu) - Susan Blackmore, "The Meme Machine" (1999) - Bill Hamiton (1936-2000), "Narrow roads of gene land : the collected papers of W.D. Hamilton, vol. 1 : The Evolution of Social Behavior" (1996) - ....

Last update: 12/12/2022


Gène altruiste et gènes égoïstes - Dans le droit fil du chef d'oeuvre de Charles Darwin, "L'origine des espèces par la sélection naturelle" (1859), qui pose les bases de la théorie moderne de l'évolution, celle-ci s'est progressivement centrée sur le gène, et d'une manière déterminante au cours de la moitié du XXe siècle. Deux véritable avancée depuis Darwin dans notre compréhension de la sélection naturelle sont ici évoquées ..

 

"Theory of inclusive fitness", des effets du succès de la reproduction sur d'autres parents - En juillet 1964, dans un article intitulé "The genetical evolution of social behaviour" (Journal of Theoretical Biology), le naturaliste et généticien britannique Bill Hamiton (1936-2000), scientifique audacieux et mais alors peu reconnu ("Narrow Roods of Gene land", 1996), jette les bases des études de génétique des populations sur le comportement social. Dans sa conception de la sélection naturelle, Darwin avait rencontré deux problèmes majeurs, l’évolution de l’altruisme et l’évolution de la reproduction sexuelle. Hamilton avait lu Ronald Fisher (1890-1962), un statisticien et généticien britannique pionnier de l’application de procédures statistiques à la conception d’expériences scientifiques, dans "The Genetical Theory of Natural Selection" (1930) qui avait constaté qu'il y avait plusieurs incidences de comportement coopératif dans la nature, alors que la thérie de la sélection naturelle favorisait les individus qui tendent à maximiser leur propre valeur sélective. La coopération semble donc essentielle à la vie et s'exerce à tous les niveaux en biologie : les gènes coopèrent pour constituer des génomes, les cellules pour former des organismes, les individus pour organiser des sociétés. C'est en reprenant un théorème élaboré par le généticien américain Sewall Wright (1889-1988), l'un des fondateurs de la génétique des populations, que Hamilton va concevoir le cadre théorique expliquant l'évolution et le maintien de la coopération  entre individus : la valeur sélective des gènes communs n'est pas déterminé au niveau des individus mais par leur parenté génétique. Ici, le succès génétique d’un organisme est dérivé de la coopération et du comportement altruiste, ainsi que des conséquences de l’interaction sociale. Hamilton démontre mathématiquement qu’il est possible pour l’altruisme d’évoluer comme un trait tant que les avantages des actes altruistes concernent des individus génétiquement liés au donneur. Ce qui devint plus tard connu sous le nom de règle de Hamilton prédisait les conditions dans lesquelles un individu se comporterait probablement de manière altruiste envers un autre. Les travaux de Hamilton sur la génétique du comportement social inspirèrent le débat sociobiologique de la fin du XXe siècle.

 

De nos jours, la biologie dite évolutionniste, dans le droit fil de la théorie de la sélection naturelle publiée en 1859 par Charles Darwin, postule que toute forme, fonction, ou comportement d'un corps vivant doivent être décrits en terme de "gènes", et plus précisément de "gènes égoïstes", c'est l'apport fondamental du biologiste Richard Dawkins et une vision qui connut un énorme succès dès les années 1970s, un best-seller international à un million d’exemplaires, acclamé par la critique et traduit dans plus de 25 langues, devenu une exposition classique de la théorie de l'évolution. 

 Mais comme la théorie de la sélection naturelle révolutionna non seulement la biologie mais une bonne partie de la pensée humaine, la vision que porte "The Selfish Gene" n'est pas sans conséquence, et donc sans controverse, sur nos conceptions du monde et de la nature humaine. Nous n'existerions en fin de compte, pour le dire très simplement, que pour porter des gènes et multiplier le plus de copies possibles ... 

Si Dawkins reconnaît qu’il n’existe « aucune définition universellement acceptée du gène », celui-ci, dans cette approche, n'est plus considéré comme un "simple" objet matériel  qui réside dans les cellules, une portion de matériel chromosomique qui peut durer suffisamment de générations pour servir d’unité de sélection naturelle, mais ausssi comme un élément d’information susceptible d'entrer en contact avec une réplique de lui-même intégrée dans d’autres corps : " What is the selfish gene? It is not just one single physical bit of DNA ... it is all replicas of a particular bit of DNA distributed throughout the world... . The key point ... is that a gene might be able to assist replicas of itself which are sitting in other bodies. If so, this would appear as individual altruism but it would be brought about by gene selfishness..."

 

Biologiste évolutionniste, éthologue et écrivain de science populaire, Dawkins ne se contente pas de concevoir le gène comme force motrice de l’évolution, et le concept de réplicateur en tant que mécanisme théorisant la sélection naturelle, son darwinisme fondamental le conduit à une défense particulièrement vigoureuse de l'athéisme. S'il a passé par la suite nombre d'années à tenter de clarifier la relation entre gènes et caractéristiques qu'ils expriment, les réflexions globales sur le sujet semblent montrer une fois de plus que trancher entre l'innée et l'acquis est plus affaire d'équilibre que de positions dogmatiques. 

 

La "mémétique" est le second sujet d'importance que porte Dawkins au cours de sa théorie des gènes égoïstes. La théorie de la sélection naturelle s'tend ici au problème de l'évolution de la culture : nous sommes ainsi des "machines à mèmes", nous passons notre temps à copier, moduler et sélectionner de l'information, des idées, des compétences, des formulations, toutes plus ou moins reproduites avec leurs lots d'erreurs ou de réagencements dit créatifs : elles entrent ainsi dans une système quasiment autonome de mise en concurrences les unes avec les autres, au gré de nos intérêts plus ou moins conscients. Elles ont quasiment leur vie propre, n'existent que pour être communiquées et à nouveau livrées à d'autres mécanismes humains de réplication. 


Richard Dawkins a été professeur Charles Simonyi pour la compréhension publique des sciences à l’Université d’Oxford de 1995 à 2008. Né à Nairobi de parents britanniques, il a fait ses études à Oxford et a obtenu son doctorat sous la direction de l’éthologue Niko Tinbergen, prix Nobel. De 1967 à 1969, il est professeur adjoint à l’Université de Californie à Berkeley, de retour comme professeur d’université et plus tard lecteur en zoologie au New College d’Oxford, avant de devenir le premier titulaire de la chaire Simonyi. Il est membre émérite du New College.

C'est dès 1966 qu'il semble être en possession de son idée centrale, « la façon la plus imaginative de regarder l’évolution, et la façon la plus inspirante de l’enseigner » est de considérer le processus entier du point de vue du gène : "Genes are in a sense immortal. They pass through the generations, reshuffling themselves each time they pass from parent to offspring. The body of an animal is but a temporary resting place for the genes; the further survival of the genes depends on the survival of that body at least until it reproduces and the genes pass into another body. . . To use the terms “selfish” and “altruistic,” then, our basic expectation on the basis of the orthodox neoDarwinian theory of evolution, is that Genes will be selfish." (notes dactylographiées de 1966, cf. "An Appetite for Wonder")

"The Selfish Gene" (1976; second edition 1989) rendit célèbre Richard Dawkins, et est resté son ouvrage le plus connu et le plus diffusé. Suivirent, de plus en plus darwiniste et de plus en plus gagné par un athéisme militant : outre "The Extended Phenotype" (1982), "The Blind Watchmaker : Why the Evidence of Evolution Reveals a Universe Without Design" (1986), - une vision darwinienne du monde qui rend, selon l'auteur,  la croyance en Dieu inutile ou impossible ; "River Out of Eden" (1995), A Darwinian View of Life ; "Climbing Mount Improbable" (1996), qui décrit comment la théorie de la sélection naturelle peut expliquer bien des singularités de notre monde ; "Unweaving the Rainbow, Science, Delusion and the Appetite" (1998), qui entend montrer que l’univers présenté par la religion n'est qu'un petit univers médiéval très limité, à des lieux de la vision audacieuse et brillante qu'offre la science. 

Le brillant vulgarisateur scientifique est devenu un polémiste anti-religieux, prêchant plutôt que d’argumenter, - il est vrai que le créationnisme se veut d'emblée polémique -, semant controverses et répliques de nombreux théologiens (Alister E. McGrath, "Dawkins’ God, From The Selfish Gene to The God Delusion", 2004). "A Devil’s Chaplain, Reflections on Hope, Lies, Science, and Love Download" (2003) ; "The Ancestor’s Tale, A Pilgrimage to the Dawn of Evolution" (2004), un nouvel éclairage sur les aspects les plus convaincants de l’histoire et de la théorie de l'évolution et une histoire fascinante de la vie sur Terre ; "The God Delusion" (2006), - dans lequel il affirme avec véhémence combien l’irrationalité de la croyance en Dieu aurait infligé de maux à notre société et à notre histoire humaine - ; "The Greatest Show on Earth" (2009), dans lequel Richard Dawkins affronte les créationnistes, y compris les adeptes du « Intelligent Design » et tous ceux qui remettent en question le fait de l’évolution par la sélection naturelle; "Science in the Soul : Selected Writings of a Passionate Rationalist" (2017) compile une quarantaine d'essais, éruditset polémiques, plaidant pour que la raison occupe le devant de la scène au détriment de certains de nos préjugés et sentiments viscéraux les plus sombres ; "Outgrowing God: A Beginner’s Guide" (2019)  - Devrions-nous croire en Dieu? Avons-nous besoin de Dieu pour expliquer l’existence de l’univers? Avons-nous besoin de Dieu pour être bons?. Il a aussi publié deux volumes de Mémoires, " An Appetite for Wonder" (2013), - Richard Dawkins y décrit son éveil intellectuel à Oxford et son chemin vers l’écriture de "The Selfish Gene", et "Brief Candle in the Dark" (2015). 

Dawkins attribuera sa perte de foi à deux développements intellectuels, sa prise de conscience croissante que « Darwin a fourni une alternative puissante à la conception biologique que nous savons maintenant être vraie » (le darwinisme offre une explication supérieure de ce qui est observé dans le monde biologique qu’un « dieu créateur non confessionnel »);  et sa conviction, ajoutera-t-i, qu’il y a une « erreur élémentaire » dans tout argument de la conception, en ce sens que « tout dieu capable de concevoir l’univers aurait eu besoin d’un peu de conception lui-même » ... Dawkins fut ainsi rangé dans cette fameuse catégorie médiatique des « The New Atheists », rejoignant, entre autres, Christopher Hitchens, Sam Harris et Daniel Dennett...


"The Selfish Gene" (1976)

"Le Gène égoïste", publié par Oxford University Press en 1976, a établi la réputation de Dawkins à la fois comme penseur original et comme vulgarisateur et grand communicateur scientifique. Outre une série de belles analogies et de justifications de l'orthodoxie darwinienne - Dawkins tente de rectifier ce qu’il soutient être une incompréhension généralisée du darwinisme -, il a introduit de nouvelles idées, dont beaucoup ont parfaitement bien résisté à l'épreuve du temps. Ainsi de l'accent mis par Dawkins sur les gènes dits « outlaw», des gènes qui se refusent à tout processus de coopération, tels que les distordeurs de ségrégation et les transposons, qui se propagent en dépit de leurs effets négatifs sur la condition physique de l'organisme hôte.  Ces « hors-la-loi » ou « éléments génétiques égoïstes » (selfish genetic elements, SGEs) sont aujourd'hui reconnus comme étant plus courants et plus importants qu'on ne le pensait à l'origine : ils sont devenus l'un des arguments les plus solides en faveur de l'utilité de la «gene’s-eye view» défendue par l'auteur dans cet ouvrage fondamental. Dawkins a fait ainsi valoir que la sélection naturelle a lieu au niveau génétique plutôt qu’au niveau des espèces ou des individus, comme on l’a souvent supposé, et que le cadre conceptuel le plus à même de décrire ce phénomène est celui des "réplicateurs"  : ainsi, globalement,  les gènes utilisent les corps des êtres vivants pour favoriser leur propre survie ...

Toute une génération de biologistes redécouvrit ainsi  ainsi la sélection naturelle à travers le prisme de "The Selfish Gene".... 

 

WHY ARE PEOPLE?

Intelligent life on a planet comes of age when it first works out the reason for its own existence. If superior creatures from space ever visit earth, the first question they will ask, in order to assess the level of our civilization, is: ‘Have they discovered evolution yet?’ Living organisms had existed on earth, without ever knowing why, for over three thousand million years before the truth finally dawned on one of them. His name was Charles Darwin. To be fair, others had had inklings of the truth, but it was Darwin who first put together a coherent and tenable account of why we exist. Darwin made it possible for us to give a sensible answer to the curious child whose question heads this chapter. We no longer have to resort to superstition when faced with the deep problems: Is there a meaning to life? What are we for? What is man? After posing the last of these questions, the eminent zoologist G. G. Simpson put it thus: ‘The point I want to make now is that all attempts to answer that question before 1859 are worthless and that we will be better off if we ignore them completely.’

 

POURQUOI LES GENS EXISTENT-ILS ?

La vie intelligente sur une planète atteint sa maturité lorsqu'elle commence à comprendre la raison de sa propre existence. Si des créatures supérieures venues de l'espace visitent un jour la Terre, la première question qu'elles poseront pour évaluer le niveau de notre civilisation sera : « Ont-ils déjà découvert l'évolution ? Des organismes vivants ont existé sur terre, sans jamais savoir pourquoi, pendant plus de trois mille millions d'années avant que la vérité n'apparaisse enfin à l'un d'entre eux. Il s'appelait Charles Darwin. Pour être honnête, d'autres avaient eu des soupçons de vérité, mais c'est Darwin qui a été le premier à présenter une explication cohérente et défendable de notre raison d'être. Darwin nous a permis de donner une réponse sensée à l'enfant curieux dont la question figure en tête de ce chapitre. Nous n'avons plus besoin de recourir à la superstition lorsque nous sommes confrontés à des problèmes profonds : La vie a-t-elle un sens ? A quoi servons-nous ? Qu'est-ce que l'homme ? Après avoir posé la dernière de ces questions, l'éminent zoologiste G. G. Simpson l'a formulée ainsi : Ce que je veux dire maintenant, c'est que toutes les tentatives de réponse à cette question avant 1859 sont sans valeur et qu'il vaut mieux les ignorer complètement.

 

Today the theory of evolution is about as much open to doubt as the theory that the earth goes round the sun, but the full implications of Darwin’s revolution have yet to be widely realized. Zoology is still a minority subject in universities, and even those who choose to study it often make their decision without appreciating its profound philosophical significance. Philosophy and the subjects known as ‘humanities’ are still taught almost as if Darwin had never lived. No doubt this will change in time. In any case, this book is not intended as a general advocacy of Darwinism. Instead, it will explore the consequences of the evolution theory for a particular issue. My purpose is to examine the biology of selfishness and altruism.

 

Aujourd'hui, la théorie de l'évolution est à peu près aussi sujette à caution que la théorie selon laquelle la terre tourne autour du soleil, mais toutes les implications de la révolution de Darwin n'ont pas encore été largement réalisées. La zoologie reste une matière minoritaire dans les universités, et même ceux qui choisissent de l'étudier prennent souvent leur décision sans en apprécier la profonde signification philosophique. La philosophie et les matières connues sous le nom de « sciences humaines » sont encore enseignées presque comme si Darwin n'avait jamais vécu. Il ne fait aucun doute que cela changera avec le temps. Quoi qu'il en soit, ce livre ne se veut pas un plaidoyer général en faveur du darwinisme. Il explore plutôt les conséquences de la théorie de l'évolution sur une question particulière. Mon objectif est d'examiner la biologie de l'égoïsme et de l'altruisme."

 

Et si  l’évolution fonctionne par sélection naturelle, et si la sélection naturelle signifie la survie différentielle du « plus fort », de quoi parlons-nous, "parlons-nous des individus les plus forts, des races les plus aptes, des espèces les plus aptes, ou quoi? À certaines fins, cela n’a pas beaucoup d’importance, mais quand on parle d’altruisme c’est évidemment crucial..."

 

 


"The Extended Phenotype: The Long Reach of the Gene" (1982)

"The Extended Phenotype" n’a pas été conçu comme un livre populaire, contrairement à "The Selfish Gene", mais propose ici une réinterprétation controversée de l'idée d'une évolution jusque-là conçue comme un processus de compétition entre les individus (la fameuse «survie du plus fort» ou «survival of the fittest». Dawkins fait de l’évolution une bataille, non pas entre individus ou organismes biologiques, mais entre gènes qui se livrent une véritable guerre de survie et dont le résultat peut être observé en tant que phénotype. Ce qu'entend surtout l'auteur, ce n'est pas tant proposer, dit-il, une nouvelle théorie, que de développer une nouvelle vision, une nouvelle façon d'appréhender animaux, plantes, organismes ("The extended phenotype may not constitute a testable hypothesis in itself, but it so far changes the way we see animals and plants that it may cause us to think of testable hypotheses that we would otherwise never have dreamed of"). 

 

Le chapitre 5 va présenter les arguments en faveur du « réplicateur » (replicator) en tant qu'unité fondamentale de la sélection naturelle. Le chapitre 6 revient à l'organisme individuel et montre que ni lui, ni aucun autre candidat majeur, à l'exception du petit fragment génétique, ne peut être considéré comme un véritable réplicateur. L'organisme individuel doit plutôt être considéré comme un « véhicule » pour les réplicateurs. Dawkins ajoutera un chapitre 13 à la 2e édition de son  "Selfish Gene", - "An uneasy tension disturbs the heart of the selfish gene theory. It is the tension between gene and individual body as fundamental agent of life" - , et pour clarifier sa distinction entre les «véhicules» (les organismes) et les «réplicateurs» qui se trouvent à l’intérieur d’eux (en pratique, les gènes). Le chapitre 7 est une digression sur la méthodologie de recherche. Le chapitre 8 répond quelques interrogations portées par son livre précédant, puis le chapitre 9 poursuit le thème. Le chapitre 10 abordera diverses notions de « fitness individuel » et conclura qu'elles sont confuses et probablement inutiles. Les chapitres 11, 12 et 13 vont constituer le cœur du livre. Ils développent, par étapes successives, l'idée du phénotype étendu lui-même, pour ébaucher la conclusion suivante ...

 

 "... Having devoted most of this book to playing down the importance of the individual organism, and to building up an alternative image of a turmoil of selfish replicators, battling for their own survival at the expense of their alleles, reaching unimpeded through individual body walls as though those walls were transparent, interacting with the world and with each other without regard to organismal boundaries, we now hesitate. There really is something pretty impressive about individual organisms. If weactually could wear spectacles that made bodies transparent and displayed only DNA, the distribution of DNA that we would see in the world would be overwhelmingly non-random. If cell nuclei glowed like stars and all else was invisible, multicellular bodies would show up as close-packed galaxies with cavernous space between them. A million billion glowing pinpricks move in unison with each other and out of step with all the members of other such galaxies.

 

Après avoir consacré la majeure partie de ce livre à minimiser l'importance de l'organisme individuel et à construire une image alternative d'un tourbillon de réplicateurs égoïstes, luttant pour leur propre survie aux dépens de leurs allèles, traversant sans entrave les parois de leur corps comme si ces parois étaient transparentes, interagissant avec le monde et entre eux sans tenir compte des frontières de l'organisme, nous hésitons à présent. Les organismes individuels ont vraiment quelque chose d'impressionnant. Si nous pouvions réellement porter des lunettes qui rendraient les corps transparents et n'afficheraient que l'ADN, la distribution de l'ADN que nous verrions dans le monde serait extraordinairement non aléatoire. Si les noyaux cellulaires brillaient comme des étoiles et que tout le reste était invisible, les organismes multicellulaires ressembleraient à des galaxies serrées les unes contre les autres et séparées par un espace caverneux. Un million de milliards de points lumineux se déplacent à l'unisson les uns des autres et en décalage par rapport à tous les membres d'autres galaxies de ce type.

(...)

The organism has the following attributes. It is either a single cell, or if it is multicellular its cells are close genetic kin of each other: they are descended from a single stem cell, which means that they have a more recent common ancestor with each other than with the cells of any other organism. The organism is a unit with a life cycle which, however complicated it may be, repeats the essential characteristics of previous life cycles, and may be an improvement on previous life cycles. The organism either consists of germ-line cells, or it contains germ-line cells as a subset of its own cells, or, as in the case of a sterile social insect worker, it is in a position to work for the welfare of germ-line cells in closely related organisms.

 

L'organisme présente les caractéristiques suivantes. Il s'agit soit d'une cellule unique, soit, s'il est multicellulaire, de cellules proches génétiquement les unes des autres : elles descendent d'une cellule souche unique, ce qui signifie qu'elles ont un ancêtre commun plus récent entre elles qu'avec les cellules de n'importe quel autre organisme. L'organisme est une unité dotée d'un cycle de vie qui, aussi compliqué soit-il, répète les caractéristiques essentielles des cycles de vie antérieurs et peut constituer une amélioration par rapport à ces derniers. L'organisme est constitué de cellules germinales, ou contient des cellules germinales en tant que sous-ensemble de ses propres cellules, ou, comme dans le cas d'un insecte social stérile, il est en mesure d'œuvrer pour le bien-être des cellules germinales d'organismes étroitement apparentés.

 

I have not aspired in this final chapter to give a completely satisfying answer to the question of why there are large multicellular organisms. I will be content if I can arouse new curiosity about the question. Instead of accepting that organisms exist and asking how adaptations benefit the organisms displaying them, I have tried to show that the very existence of organisms should be treated as a phenomenon deserving of explanation in its own right. Replicators exist. That is fundamental. Phenotypic manifestations of them, including extended phenotypic manifestations, may be expected to function as tools to keep replicators existing. Organisms are huge and complex assemblages of such tools, assemblages shared by gangs of replicators who in principle need not have gone around together but in fact do go around together and share a common interest in the survival and reproduction of the organism. As well as drawing attention to the phenomenon of the organism as one that needs explanation, I have tried in this last chapter to sketch the general direction in which we might proceed in seeking an explanation. It is only a preliminary sketch, but, for what it is worth, I summarize it here.

 

Dans ce dernier chapitre, je n'ai pas cherché à donner une réponse entièrement satisfaisante à la question de savoir pourquoi il existe de grands organismes multicellulaires. Je me contenterai de susciter une nouvelle curiosité à ce sujet. Au lieu d'accepter que les organismes existent et de demander comment les adaptations profitent aux organismes qui les présentent, j'ai essayé de montrer que l'existence même des organismes devrait être traitée comme un phénomène méritant une explication à part entière. Les réplicateurs existent. C'est fondamental. On peut s'attendre à ce que leurs manifestations phénotypiques, y compris les manifestations phénotypiques étendues, servent d'outils pour maintenir l'existence des réplicateurs. Les organismes sont des assemblages énormes et complexes de tels outils, assemblages partagés par des bandes de réplicateurs qui, en principe, n'auraient pas dû se côtoyer mais qui, en fait, se côtoient et partagent un intérêt commun pour la survie et la reproduction de l'organisme. Tout en attirant l'attention sur le fait que le phénomène de l'organisme doit être expliqué, j'ai essayé dans ce dernier chapitre d'esquisser la direction générale dans laquelle nous pourrions procéder à la recherche d'une explication. Il ne s'agit que d'une esquisse préliminaire, mais, pour ce qu'elle vaut, je la résume ici.

 

The replicators that exist tend to be the ones that are good at manipulating the world to their own advantage. In doing this they exploit the opportunities offered by their environments, and an important aspect of the environment of a replicator is other replicators and their phenotypic manifestations. Those replicators are successful whose beneficial phenotypic effects are conditional upon the presence of other replicators which happen to be common. These other replicators are also successful, otherwise they would not be common. The world therefore tends to become populated by mutually compatible sets of successful replicators, replicators that get on well together. In principle this applies to replicators in different gene pools, different species, classes, phyla and kingdoms. But a relationship of specially intimate mutual compatibility has grown up between subsets of replicators that share cell nuclei and, where the existence of sexual reproduction makes the expression meaningful, share gene-pools.

 

Les réplicateurs qui existent ont tendance à être ceux qui savent manipuler le monde à leur avantage. Ce faisant, ils exploitent les possibilités offertes par leur environnement, et un aspect important de l'environnement d'un réplicateur est la présence d'autres réplicateurs et de leurs manifestations phénotypiques. Les réplicateurs dont les effets phénotypiques bénéfiques sont conditionnés par la présence d'autres réplicateurs, qui se trouvent être communs, réussissent. Ces autres réplicateurs réussissent également, sinon ils ne seraient pas communs. Le monde tend donc à se peupler d'ensembles mutuellement compatibles de réplicateurs performants, de réplicateurs qui s'entendent bien. En principe, cela s'applique aux réplicateurs de différents pools génétiques, de différentes espèces, classes, phyla et royaumes. Mais une relation de compatibilité mutuelle particulièrement intime s'est développée entre des sous-ensembles de réplicateurs qui partagent des noyaux cellulaires et, là où l'existence de la reproduction sexuelle donne un sens à l'expression, partagent des pools génétiques.

 

The cell nucleus as a population of uneasily cohabiting replicators is a remarkable phenomenon in itself. Just as remarkable, and quite distinct, is the phenomenon of multicellular cloning, the phenomenon of the multicellular organism. Replicators whose effects interact with those of other replicators to produce multicellular organisms achieve for themselves vehicles with complex organs and behaviour patterns. Complex organs and behaviour patterns are favoured in arms races. The evolution of complex organs and behaviour patterns is possible because the organism is an entity with a recurrent life cycle, each cycle beginning with a single cell. The fact that each cycle restarts in every generation from a single cell permits mutations to achieve radical evolutionary changes by going ‘back to the drawing board’ of embryological engineering. It also, by concentrating the efforts of all cells in the organism on the welfare of a narrow, shared germline, partly removes the ‘temptation’ for outlaws to work for their own private good at the expense of the other replicators with a stake in the same germ-line. The integrated multicellular organism is a phenomenon which has emerged as a result of natural selection on primitively independent selfish replicators. It has paid replicators to behave gregariously. The phenotypic power by which they ensure their survival is in principle extended and unbounded. In practice the organism has arisen as a partially bounded local concentration, a shared knot of replicator power.

 

Le noyau cellulaire en tant que population de réplicateurs cohabitant de manière incommode est un phénomène remarquable en soi. Le phénomène du clonage multicellulaire, le phénomène de l'organisme multicellulaire, est tout aussi remarquable et tout à fait distinct. Les réplicateurs dont les effets interagissent avec ceux d'autres réplicateurs pour produire des organismes multicellulaires obtiennent pour eux-mêmes des véhicules dotés d'organes et de comportements complexes. Les organes et les comportements complexes sont favorisés dans les courses aux armements. L'évolution d'organes et de comportements complexes est possible parce que l'organisme est une entité dont le cycle de vie est récurrent, chaque cycle commençant par une seule cellule. Le fait que chaque cycle recommence à chaque génération à partir d'une seule cellule permet aux mutations d'entraîner des changements évolutifs radicaux en revenant à la planche à dessin de l'ingénierie embryologique. De plus, en concentrant les efforts de toutes les cellules de l'organisme sur le bien-être d'une lignée germinale étroite et partagée, il élimine en partie la « tentation » pour les hors-la-loi de travailler pour leur propre bien aux dépens des autres réplicateurs ayant un intérêt dans la même lignée germinale. L'organisme multicellulaire intégré est un phénomène qui est apparu à la suite de la sélection naturelle des réplicateurs égoïstes primitivement indépendants. Cette sélection a payé les réplicateurs pour qu'ils se comportent de manière grégaire. Le pouvoir phénotypique par lequel ils assurent leur survie est en principe étendu et illimité. En pratique, l'organisme est apparu comme une concentration locale partiellement limitée, un nœud partagé du pouvoir des réplicateurs."


La "mémétique", "The Invention of the Meme", ou "Cultural Darwinism"? 

Dans "The Selfish Gene" Dawkins  introduisit un nouveau concept et un nouveau mot, le concept de « mèmes », l’équivalent culturel des gènes (un terme conncurrent, "culturgen" fut un moment proposé). Les idées et les concepts, de la mode à la musique, prennent vie au sein de la société et, en se propageant et en mutant d’esprit en esprit, affectent le progrès de l’évolution humaine. Dawkins a nommé le concept d’après le mot grec mimeme, qui signifie « imiter » : « Des exemples de mèmes sont des mélodies, des idées, des phrases d'accroche, des modes vestimentaires, des façons de fabriquer des pots ou de construire des arches. De même que les gènes se propagent dans le pool génétique en sautant d'un corps à l'autre par l'intermédiaire du sperme ou des œufs, de même les mèmes se propagent dans le pool des mèmes en sautant d'un cerveau à l'autre par un processus qui, au sens large du terme, peut être appelé imitation ».

Il a ensuite donné naissance à tout un champ d’étude appelé "mémétique". Le philosophe Daniel Dennett adoptera l'idée du mème, l'intégrant comme pierre angulaire de sa théorie de l'esprit, telle qu'elle est développée dans ses deux grands livres « Consciousness Explained » et « Darwin's Dangerous Idea » (La conscience expliquée et l'idée dangereuse de Darwin). Les mèmes se propagent longitudinalement au fil des générations, mais aussi horizontalement, comme les virus lors d'une épidémie. Dawkins semble s'inscrire dans une longue tradition de ceux qui ont tenté d'appliquer la théorie de l'évolution de Darwin à la culture humaine.  Une démarche difficile et profondément problématique, notamment parce que la formation de la culture humaine implique le plus souvent une action active et intentionnelle de la part des êtres humains ... 

Dès le départ, Dawkins a associé son idée de "mème" aux questions de croyance religieuse, déclarant que les religions étaient «les premiers exemples de mèmes». Une série d'auteurs, dont Karl Marx et Sigmund Freud, n'ont-ils soutenu que, puisqu'il n'y a pas de Dieu en qui croire, la croyance religieuse humaine est essentiellement une invention destinée à fournir un « confort métaphysique » à une humanité en proie à des difficultés existentielles. Dawkins développe cette approche dans une nouvelle direction, en soutenant que les religions sont fondamentalement des « parasites de l'esprit ». La croyance en Dieu doit être considérée comme une « information autoreproductrice » qui « saute de manière infectieuse d'un esprit à l'autre »...


"The Meme Machine", Susan Blackmore (1999)

What is a meme? First coined by Richard Dawkins in ‘The Selfish Gene’, a meme is any idea, behavior, or skill that can be transferred from one person to another by imitation: stories, fashions, inventions, recipes, songs, ways of plowing a field or throwing a baseball or making a sculpture. Qu’est-ce qu’un mème ? D’abord inventé par Richard Dawkins dans « The Selfish Gene », un mème est une idée, un comportement ou une compétence qui peut être transférée d’une personne à l’autre par imitation : histoires, modes, inventions, recettes, chansons, façons de labourer un champ ou de lancer une balle de baseball ou de faire une sculpture. Le "mème" serait-il l’un des concepts les plus importants, certes controversés, à émerger depuis plus d'un siècle? Dans « The Meme Machine », Susan Blackmore, alors "Reader in Psychology" à l'Université West of England, Bristol, où elle donnait des conférences sur la psychologie de la conscience, affirme ici audacieusement : « Just as the design of our bodies can be understood only in terms of natural selection, so the design of our minds can be understood only in terms of memetic selection» (Tout comme la conception de notre corps ne peut être comprise qu’en termes de sélection naturelle, la conception de notre esprit ne peut être comprise qu’en termes de sélection mémétique).

Blackmore nous montre ici qu’une fois que nos lointains ancêtres ont acquis la capacité cruciale d’imiter, un deuxième type de sélection naturelle a commencé, une survie du plus fort parmi les idées et les comportements concurrents. Les idées et les comportements qui se sont avérés les plus adaptables – la création d’outils, par exemple, ou l’utilisation du langage – ont survécu et se sont épanouis, se reproduisant dans le plus grand nombre d’esprits possible. 

Ces "mèmes" se sont ensuite transmis de génération en génération en aidant à assurer que les gènes de ceux qui les ont acquis survivent et se reproduisent. Appliquant cette théorie à de nombreux aspects de la vie humaine, Blackmore offre des assez explications brillantes pour expliquer pourquoi nous vivons dans les villes, pourquoi nous parlons tant, pourquoi nous ne pouvons pas arrêter de penser, pourquoi nous nous comportons de manière altruiste, comment nous choisissons nos compagnons, et bien plus encore. Avec des implications qui seront sujets à controverses, comme il se doit, pour nos croyances religieuses, notre libre arbitre, notre sens même du « soi ».