Edward T.Hall (1914-2009), "The Silent Language" (1959), "The Hidden Dimension" (1966), "The Impact of Building on Behavior" (1975, with Mildred Reed Hall), "Beyond Culture" (1976), "The Dance of Life: The Other Dimension of Time" (1983) - ...

Last update : 11/11/2016


"Culture as communication ..." - Dès 1966, les recherches de l'anthropologue Edward T. Hall montre que l'utilisation que nous faisons tout un chacun de l'espace dans lequel nous vivons et existons ne va pas de soi, un espace que nous partageons entre nous et avec nos semblables, que nous construisons autour de nous, dans nos villes, nos habitations, nos bureaux, dans chacune de nos interactions sociales fussent-elles le plus souvent avec des inconnus. Et l'approche culturelle du comportement humain qui s'esquisse dans chacune de ces situations est toujours en fond celui d'un organisme biologique dont les mécanismes d'adaptation complexes résultent d'une longue et profonde évolution de l'interaction et de la communication .... "Tous mes livres traitent de la structure de l'expérience telle qu'elle est modelée par la culture, ces expériences profondes, communes et inavouées que les membres d'une culture donnée partagent, qu'ils communiquent sans le savoir et qui forment la toile de fond à l'aune de laquelle tous les autres événements sont jugés" (All of my books deal with the structure of experience asit is molded by culture, those deep, common, unstated experiences which members of a given culture share, which they communicate without knowing, and which form the backdrop against which all other events are judged). 

Cette "connaissance de la dimension culturelle en tant que vaste complexe de communications à de nombreux niveaux" (Knowledge of the cultural dimension as a vast complex of communications on many levels would be virtually unnecessary if ...) serait parfaitement inutile s'il n'y avait pas deux choses qui en modifient le cours : nos relations de plus en plus nombreuses avec des personnes de toutes les parties du monde et le mélange de sous-cultures au sein de notre propre pays, à mesure que les habitants des zones rurales et des pays étrangers affluent dans nos villes. À première vue, ces différents groupes humains qui cohabitent nécessairement peuvent se ressembler et s'entendre quelque peu, mais sous la surface se cachent de nombreuses différences non formulées dans leur structuration du temps, de l'espace, des matériaux et des relations. Et ce sont ces différences mêmes qui entraînent souvent une distorsion du sens (the distortion of meaning), indépendamment des bonnes intentions, lorsque des personnes de cultures différentes interagissent. Et c'est ainsi qu'Edward T. Hall en vient à formuler le concept de "proxémie", disciple par laquelle il étudie la relation que les individus entretiennent avec l'espace matériel et la distance physique dans les interactions ..


 

"Lost in Translation"

(Sofia Coppola, with Bill Murray, Scarlett Johansson, 2003) ...  la rencontre dans un hôtel de Tokyo de deux Américains,  perdus au sein d'une culture qui leur est totalement étrangère ainsi que dans leurs propres vies et qui nouent un lien singulier .... 

 


Edward T.Hall (1914-2009)

Né à Webster Groves (Missouri), Edward Twitchell Hall débuta dans les années 1930 son parcours d'anthropologue d'obédience culturaliste dans les réserves des Navajo et Hopi, en Arizona (West of the Thirties. Discoveries Among the Navajo and Hopi 1994). La Seconde Guerre mondiale le conduit en Europe et dans les Philippines. Pendant les années 1950, travaillant pour l'United States State Department (Foreign Service Institute), Hall enseigne des techniques de communication interculturelle à l'usage du personnel américain à l'étranger et développe les concepts de "high context culture" et de "low context culture". C'est dans le cadre de ses recherches menées dans la Washington School of Psychiatry qu'il publie son ouvrage le plus connu, "The Silent Language" (1959) : il s'impose ainsi comme pionnier dans l'étude de la communication non-verbale. Dans les années 1960, Hall développe ses idées les plus originales alors qu'il enseigne à l'Institut de Technologie de l'Illinois : son nouvel ouvrage, "“The Hidden Dimension” (1966), introduit une nouvelle dimension culturelle, l'espace interpersonnel.  

 

Pour Hall, les individus appartenant à des cultures différentes "habitent des mondes sensoriels différents", et plus encore, "le rapport qui lie l'homme à la dimension culturelle se caractérise par un façonnement réciproque" : en créant ce monde, son monde, l'homme "détermine en fait l'organisme qu'il sera". Il entend ainsi théoriser, mais à des fins très concrètes, un cadre permettant d'optimiser les rencontres interculturelles.

En premier lieu, Hall met en avant l’importance du "contexte" pour toute communication : la signification des mots et des phrases semble dépendre en effet du contexte dans lequel ces derniers sont exprimés. Ainsi, par exemple, plus les personnes qui se parlent partagent d’informations, plus fort sera le contexte, la communication étant implicite. En situation de contexte plus faible, toutes les informations doivent être exprimées de façon claire et précise. Hall en vient ainsi à catégoriser, pour optimiser leurs échanges réciproques, les différences culturelles entre Allemands, contexte le plus faible, Français, contexte intermédiaire, Américains, contexte le plus fort. Seconde notion, le "temps" (use of time), vécu de façon plus ou moins concrète selon les spécificités culturelles. Enfin, l' "espace", c'est-à-dire "le territoire personnel de chaque individu", qui détermine son comportement dans les jeux de rencontre : Hall introduit ainsi le fameux concept de "proxémie"  (proxemics) pour désigner "l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que fait l’homme de l’espace", usage qui évolue suivant les cultures et les ethnies. 

 

Hall en vient ainsi à proposer un référentiel de communication non verbale à destination des managers américains dans leurs échanges internationaux : “Hidden Differences: How to Communicate with the Germans” (1983), “Hidden Differences: Doing Business with the Japanese” (1987), “Understanding Cultural Differences: Germans, French and Americans” (1990). On reprochera à Hall une formalisation des relations interculturelles et des difficultés de communication quelque peu stéréotypée et bien peu nuancée ("les Arabes utilisent davantage l'olfaction et le toucher que les Américains. Ils interprètent e(t combinent différemment leurs données sensorielles.."). Reste que la notion de "proxémie", véritable "anthropologie de l'espace", participe de ces nouveaux domaines de réflexion portant sur la communication non verbale et la communication interculturelle, qui vont se développer dans les décennies à venir.  


Edward T.Hall, "Le Langage silencieux"

(The Silent Language, 1959)

"Edward T. Hall a montré, dans La Dimension cachée, que l’espace interpersonnel est une dimension de la culture. Le Langage silencieux conduit cette réflexion sur d’autres systèmes, et notamment le temps. Qu’est-ce qu’être en retard ? Qu’est-ce qu’attendre ? Le message exprimé là est différent selon qu’il vient d’un Européen, d’un Américain ou d’un Japonais. Ainsi le temps et la culture sont-ils communication, autant que la communication est culturelle. Communication qui cache plus de choses qu’à première vue elle n’en révèle. À travers des exemples aussi précis que cocasses, Edward T. Hall développe la théorie des systèmes de communication non verbaux." (Editions du Seuil)

 

(Introduction) "Plus de vingt ans nous séparent de la publication du "Langage silencieux". Entre-temps, beaucoup de choses se sont passées qui confirment la thèse de ce livre. Au moment de sa parution, j`étais tellement absorbé par mon propre travail, que je n`avais pas réussi à mesurer le besoin qu`il y avait de comprendre pleinement ce qu`est la "Communication interculturelle". En fait, le langage silencieux est une traduction : non pas celle d`une langue dans une autre, mais celle d`une série de communications contextuelles. complexes et tacites, en mots. Le titre résume non seulement le contenu de ce livre, mais aussi l`un des plus grands paradoxes de la culture. ll ne s`agit pas seulement du fait que les gens se parlent aussi sans employer des mots, mais encore de tout un univers de comportements qui n`a pas été exploré, étudié, et qui, de ce fait, se trouve ignoré. Cet univers fonctionne sans parvenir à la conscience, juxtaposé à celui des mots. Ceux qui parmi nous ont un héritage européen, vivent dans un "monde de mots" qui leur paraît le réel : mais parler ne veut pas dire pour autant que ce que nous communiquons par le reste de notre comportement n`est pas aussi très important. S`il n`y a pas de doute que le langage façonne la pensée par des voies particulièrement subtiles. l'humanité doit à présent s'attaquer à la réalité des autres systèmes culturels, et aux effets pénétrants de ces autres systèmes sur la façon dont le monde est perçu, dont l'individualité est expérimentée et dont la vie elle-même est organisée. 

Nous devons aussi nous accoutumer au fait que parfois les messages au niveau du mot veulent dire une chose, alors que, à un autre niveau, quelque chose de tout à fait différent est communiqué. Vingt ans ne suffisent pas pour prouver la valeur de ces affirmations. Certainement plus de temps est nécessaire pour que de telles implications deviennent effectives. Le lien est beaucoup plus étroit entre le langage et les gestes qu'entre le langage et les autres systèmes culturels - temps et espace, par exemple - tels qu'ils sont décrits ici. L'espace, qui fut l'objet d'un livre ultérieur, "la Dimension cachée", ne fait pas seulement communiquer, dans le sens élémentaire du terme, mais organise presque tout dans la vie. ll est même plus facile de voir comment l'espace peut organiser les activités et les institutions, que de reconnaître la façon subtile dont le langage organise la pensée. Le plus difficile est d'accepter que nos propres modèles sont particuliers et donc qu'ils ne sont pas universels. C'est cette difficulté des hommes à sortir de leur peau culturelle qui m`a poussé à faire part de mes observations et de leur traduction théorique par le truchement de l`écriture. 

Un des avantages qu`il y a à avoir écrit un livre - qui survit aux fantaisies de la mode - c'est que l'on reçoit un écho de la part de ses lecteurs : non seulement par des mots d`encouragement, mais aussi par la confirmation qu`apportent les exemples qu'ils invoquent. J°aimerais remercier tous ceux qui m`ont écrit des quatre coins du monde : le livre a été traduit en chinois, hollandais, polonais, français, italien et serbo-croate. Je m'intéresse depuis longtemps à la sélection et à la formation d'Américains travaillant à l'étranger, pour le gouvernement ou pour leur propre compte. Je crois que nos rapports avec les pays étrangers butent sur l`ignorance où nous sommes de la communication interculturelle. Cela fait que nous gaspillons à l`étranger les efforts ou la bonne volonté de notre nation. Lorsque des Américains sont appelés à travailler avec des pays étrangers, le critère de sélection devrait être leur aptitude à se mouvoir dans une culture différente de la leur. lls devraient également savoir parler et écrire la langue en usage et connaître parfaitement la culture du pays. Tout ceci est long est coûteux. Mais, à défaut de cette sélection et de cette formation, nous limitons nos possibilités à l'étranger. Encore. dans un programme d`ensemble, cette formation théorique à la langue, à l'histoire, à la politique et aux mœurs des pays étrangers n`est-elle qu'une première étape. ll est également primordial de connaître le langage non verbal qui existe dans chaque pays, à l`échelon national et local. Beaucoup d`Américains ne sont que vaguement conscients de ce langage sans paroles, qu`ils expérimentent pourtant chaque jour. lls ne perçoivent pas les schémas de comportement qui dictent notre conception du temps, notre perception de l'espace, nos attitudes envers le travail, le jeu, la connaissance. En sus de ce que nous exprimons verbalement. nos sensations réelles s'extériorisent constamment par un langage sans paroles, le langage du comportement. Quelquefois, ce langage est correctement interprété par des sujets de culture différente. Mais le plus souvent, ce n`est pas le cas. ll est rare que l`on considère objectivement ces différences relatives à la communication interculturelle. Lorsqu'il devient évident que deux personnes de pays différents ne se comprennent pas. chacun s'en prend à "ces étrangers", à leur stupidité, leur malhonnêteté, leur débilité..." 


Edward T.Hall, "La Dimension cachée"

(The Hidden Dimension, 1966)

"La dimension cachée, c’est celle du territoire de tout être vivant, animal ou humain, de l’espace nécessaire à son équilibre. Mais, chez l’homme, cette dimension devient culturelle. Ainsi, chaque civilisation a sa manière de concevoir les déplacements du corps, l’agencement des maisons, les conditions de la conversation, les frontières de l’intimité. Ces études comparatives jettent une lumière neuve sur la connaissance que nous pouvons avoir d’autrui et sur le danger que nous courons, dans nos cités modernes, à ignorer cette dimension cachée : peut-être est-ce moins le surpeuplement qui nous menace que la perte de notre identité." (Editions du Seuil)

 

"Ce livre a pour thème central l'espace social et personnel et sa perception par l'homme. Le terme de "proxémie" est un néologisme que j'ai créé pour désigner l'ensemble des observations et théories concernant l'usage que l'homme fait de l'espace en tant que produit culturel spécifique. Je ne suis pas le premier à m'être penché sur ce problème. Il y a plus de cinquante ans, Franz Boas présentait la théorie que je soutiens ici et selon laquelle la communication constitue le fondement de la culture, davantage, celui de la vie même. ..

On a cru longtemps que l'expérience est le bien commun des hommes et qu'il est toujours possible pour communiquer avec un autre être humain de se passer de la langue et de la culture et de se référer à la seule expérience. Cette croyance implicite (et souvent explicite), concernant les rapports de l'homme avec l'expérience, suppose que, si deux êtres humains sont soumis à la même "expérience", des informations virtuellement identiques sont fournies à chaque système nerveux central et que chaque cerveau les enregistre de la même manière. Or les recherches proxémiques jettent des doutes sérieux sur la validité de cette hypothèse, en particulier dans le cas de cultures différentes. Nous verrons dans les chapitres suivants que des individus appartenant à des cultures différentes non seulement parlent des langues différentes mais, ce qui est sans doute plus importants, habitent des mondes sensoriels différents. 

La sélection des données sensorielles consistant à admettre certains éléments tout en en éliminant d'autres, l'expérience sera perçue de façon très différente selon la différence de structure du crible perceptif d'une culture à l'autre. Les environnements architecturaux et urbains créés par l'homme sont l'expression de ce processus de filtrage culturel. En fait, ces environnements créés par l'homme nous permettent de découvrir comment les différents peuples font usage de leurs sens..."

 

DISTANCES IN MAN

"Birds and mammals not only have territories which they occupy and defend against their own kind but they have a series of uniform distances which they maintain from each other. Hediger has classified these as flight distance, critical distance, and personal and social distance. Man, too, has a uniform way of handling distance from the fellows. With very few exceptions, flight distance and critical distance have been eliminated from human reactions. Personal distance and social distance, however, are obviously still present.How many distances do human beings have and how do we distinguish them? What is it that differentiates one distance from the other? The answer to this question was not obviousat first when I began my investigation of distances in man. Gradually, however, evidence began to accumulate indicating that the regularity of distances observed for humans is the consequence of sensory shifts—the type cited in Chapters VII and VIII.

 

« Les oiseaux et les mammifères n'ont pas seulement des territoires qu'ils occupent et qu'ils défendent contre leur propre espèce, ils ont aussi une série de distances uniformes qu'ils maintiennent les uns par rapport aux autres. Hediger les a classées en distance de fuite, distance critique et distance personnelle et sociale. L'homme, lui aussi, a une façon uniforme de gérer la distance avec ses semblables. À quelques exceptions près, la distance de fuite et la distance critique ont été éliminées des réactions humaines. Combien de distances l'homme a-t-il et comment les distingue-t-il ? Qu'est-ce qui différencie une distance d'une autre ? La réponse à cette question n'était pas évidente au début de mon étude sur les distances chez l'homme. Peu à peu, cependant, les preuves se sont accumulées, indiquant que la régularité des distances observée chez l'homme est la conséquence de décalages sensoriels - du type de ceux cités dans les chapitres VII et VIII.

 

One common source of information about the distance separating two people is the loudness of the voice. Working with the linguistic scientist George Trager, I began by observing shifts in the voice associated with changes in distance. Since the whisper is used when people are very close, and the shout is used to span great distances, the question Trager and I posed was, How many vocal shifts are sandwiched between these two extremes? Our procedure for discovering these patterns was for Trager to stand still while I talked to him at different distances. If both of us agreed that a vocal shift had occurred, we would then measure the distance and note down a general description. The result was the eight distances described at the end of Chapter Ten in "The Silent Language".

Further observation of human beings in social situations convinced me that these eight distances were overly complex. Four were sufficient; these I have termed intimate, personal, social, and public (each with its close and far phase). My choice of terms to describe various distances was deliberate. Not only was it influenced by Hediger's work with animals indicating the continuity between infraculture and culture but also by a desire to provide a clue as to the types of activities and relationships associated with each distance, thereby linking them in peoples' minds with specific inventories of relationships and activities. It should be noted at this point that "how people are feeling toward each other" at the time is a decisive factor in the distance used. Thus people who are very angry or emphatic about the point they are making will move in close, they "turn up the volume," as it were, by shouting. Similarly—as any woman knows—one of the first signs that a man is beginning to feel amorous is his move closer to her. If the woman does not feel similarly disposed she signals this by moving back.

(...)

 

L'intensité de la voix est une source d'information courante sur la distance qui sépare deux personnes. En collaboration avec le linguiste George Trager, j'ai commencé par observer les changements de voix associés aux changements de distance. Étant donné que le chuchotement est utilisé lorsque les personnes sont très proches et que le cri est utilisé pour franchir de grandes distances, la question que Trager et moi avons posée était la suivante : « Combien de changements vocaux se situent entre ces deux extrêmes ? Pour découvrir ces schémas, nous avons demandé à Trager de rester immobile pendant que je lui parlais à différentes distances. Si nous étions tous deux d'accord pour dire qu'un changement vocal s'était produit, nous mesurions alors la distance et prenions note d'une description générale. Nous avons ainsi obtenu les huit distances décrites à la fin du chapitre 10 de «The Silent Language».

Une observation plus approfondie des êtres humains dans des situations sociales m'a convaincu que ces huit distances étaient trop complexes. Quatre suffisent ; je les ai appelées intime, personnelle, sociale et publique (chacune avec sa phase proche et lointaine). Le choix des termes utilisés pour décrire les différentes distances est délibéré. Il a été influencé non seulement par le travail de Hediger sur les animaux, qui indique la continuité entre l'infraculture et la culture, mais aussi par le désir de fournir un indice sur les types d'activités et de relations associés à chaque distance, les reliant ainsi dans l'esprit des gens à des inventaires spécifiques de relations et d'activités. Il convient de noter ici que « l'état d'esprit des gens les uns envers les autres » à ce moment-là est un facteur décisif dans le choix de la distance utilisée. Ainsi, les personnes qui sont très en colère ou qui insistent sur ce qu'elles veulent dire se rapprochent, elles « augmentent le volume », en quelque sorte, en criant. De même, comme toute femme le sait, l'un des premiers signes qu'un homme commence à se sentir amoureux est qu'il se rapproche d'elle. Si la femme ne se sent pas dans la même disposition, elle le signale en reculant.

 

 The following descriptions of the four distance zones have been compiled from observations and interviews with noncontact, middle-class, healthy adults, mainly natives of the northeastern seaboard of the United States. A high percentage of the subjects were men and women from business and the professions; many could be classified as intellectuals. The interviews were effectively neutral; that is, the subjects were not noticeably excited, depressed, or angry. There were no unusual environmental factors, such as extremes of temperature or noise. These descriptions represent only a first approximation. They will doubtless seem crude when more is known about proxemic observation and how people distinguish one distance from another. It should be emphasized that these generalizations are not representative of human behavior in general—or even of American behavior in general —but only of the group included in the sample. Negroes and Spanish Americans as well as persons who come from southern European cultures have very different proxemic patterns.

Each of the four distance zones described below has a near and a far phase, which will be discussed after short introductory remarks. It should be noted that the measured distances vary somewhat with differences in personality and environmental factors. For example, a high noise level or low illumination will ordinarily bring people closer together.

(...)

 Les descriptions suivantes des quatre zones de distance ont été compilées à partir d'observations et d'entretiens avec des adultes sans contact, de classe moyenne, en bonne santé, principalement originaires de la côte nord-est des États-Unis. Un pourcentage élevé des sujets étaient des hommes et des femmes issus du monde des affaires et des professions libérales ; beaucoup d'entre eux pouvaient être considérés comme des intellectuels. Les entretiens étaient effectivement neutres, c'est-à-dire que les sujets n'étaient pas visiblement excités, déprimés ou en colère. Il n'y a pas eu de facteurs environnementaux inhabituels, tels que des températures ou des bruits extrêmes. Ces descriptions ne représentent qu'une première approximation. Elles paraîtront sans doute grossières lorsque l'on en saura plus sur l'observation proxémique et sur la façon dont les gens distinguent une distance d'une autre. Il convient de souligner que ces généralisations ne sont pas représentatives du comportement humain en général - ni même du comportement américain en général - mais seulement du groupe inclus dans l'échantillon. Les Noirs et les Hispano-Américains, ainsi que les personnes issues des cultures du sud de l'Europe, ont des schémas proxémiques très différents.

Chacune des quatre zones de distance décrites ci-dessous comporte une phase proche et une phase lointaine, qui seront examinées après de brèves remarques introductives. Il convient de noter que les distances mesurées varient quelque peu en fonction des différences de personnalité et des facteurs environnementaux. Par exemple, un niveau de bruit élevé ou un faible éclairage rapproche généralement les gens.

(...)

 

INTIMATE DISTANCE

At intimate distance, the presence of the other person is unmistakable and may at times be overwhelming because of the greatly stepped-up sensory inputs. Sight (often distorted), olfaction, heat from the other person's body, sound, smell, and feel of the breath all combine to signal unmistakable involvement with another body.

 

 PERSONAL DISTANCE

"Personal distance" is the term originally used by Hedigerto designate the distance consistently separating the members of non-contact species. It might be thought of as a small protective sphere or bubble that an organism maintains between itself and others.

 

 SOCIAL DISTANCE

The boundary line between the far phase of personal distance and the close phase of social distance marks, in the words of one subject, the "limit of domination." Intimate visual detail in the face is not perceived, and nobody touches or expects to touch another person unless there is some special effort. Voice level is normal for Americans. There is little change between the far and close phases, and conversations can be overheard at a distance of up to twenty feet. I have observed that in overall loudness, the American voice at these distances is below that of the Arab, the Spaniard, the South Asian Indian, and the Russian, and somewhat above

that of the English upper class, the Southeast Asian, and the Japanese.

 

 PUBLIC DISTANCE

Several important sensory shifts occur in the transition from the personal and social distances to public distance, which is well outside the circle of involvement.

 

(...)

 WHY "FOUR" DISTANCES?

In concluding this description of distance zones common to our sample group of Americans a final word about classification is in order. It may well be asked: Why are there four zones, not six or eight? Why set up any zones at all? How do we know that this classification is appropriate? How were the categories chosen?

As I indicated earlier in Chapter VIII, the scientist has a basic need for a classification system, one that is as consistent as possible with the phenomena under observation and one which will hold up long enough to be useful. Behind every classification system lies a theory or hypothesis about the nature of the data and their basic patterns of organization. The hypothesis behind the proxemic classification system is this :  it is in the nature of animals, including man, to exhibit behavior which we call territoriality. In so doing, they use the senses to distinguish between one space or distance and another. The specific distance chosen depends on the transaction; the relationship of the interacting individuals, how they feel, and what they are doing. The four-part classification system used here is based on observations of both animals and men.

 

Pour conclure cette description des zones de distance communes à notre échantillon d'Américains, un dernier mot sur la classification s'impose. On peut se demander pourquoi il y a quatre zones et non six ou huit : Pourquoi y a-t-il quatre zones, et non six ou huit ? Pourquoi créer des zones ? Comment savons-nous que cette classification est appropriée ?

Comment les catégories ont-elles été choisies ? Comme je l'ai indiqué au chapitre VIII, le scientifique a un besoin fondamental d'un système de classification, qui soit aussi cohérent que possible avec les phénomènes observés et qui tienne la route suffisamment longtemps pour être utile. Derrière chaque système de classification se cache une théorie ou une hypothèse sur la nature des données et leurs schémas d'organisation de base. L'hypothèse qui sous-tend le système de classification proxémique est la suivante : il est dans la nature des animaux, y compris de l'homme, d'adopter un comportement que nous appelons territorialité. Ce faisant, ils utilisent leurs sens pour distinguer un espace ou une distance d'un autre. La distance spécifique choisie dépend de la transaction, de la relation entre les individus en interaction, de ce qu'ils ressentent et de ce qu'ils font. Le système de classification en quatre parties utilisé ici est basé sur des observations d'animaux et d'hommes.

 

Birds and apes exhibit intimate, personal, and social distances just as man does. Western man has combined consultative and social activities and relationships into one distance set and has added the public figure and the public relationship. "Public" relations and "public" manners as the Europeans and Americans practice them are different from those in other parts of the world. There are implicit obligations to treat total strangers in certain prescribed ways. Hence, we find four principal categories of relationships (intimate, personal, social, and public) and the activities and spaces associated with them. In other parts of the world, relationships tend to fall into other patterns, such as the family/non-family pattern common in Spain and Portugal and their former colonies or the caste and outcast system of India. Both the Arabs and the Jews also make sharp distinctions between people to whom they are related and those to whom they are not. My work with Arabs leads me to believe that they employ a system for the organization of informal space which is very different from what I observed in the United States. The relationship of the Arab peasant or fellah to his sheik or to God is not a public relationship. It is close and personal without intermediaries.

 

Les oiseaux et les singes présentent des distances intimes, personnelles et sociales, tout comme l'homme. L'homme occidental a combiné les activités et les relations consultatives et sociales en un seul ensemble de distances et y a ajouté le personnage public et la relation publique. « Les relations et les manières “publiques” telles que les Européens et les Américains les pratiquent sont différentes de celles des autres parties du monde. Il existe des obligations implicites de traiter de parfaits étrangers de certaines manières prescrites. On trouve donc quatre catégories principales de relations (intimes, personnelles, sociales et publiques) ainsi que les activités et les espaces qui leur sont associés. Dans d'autres parties du monde, les relations tendent à s'inscrire dans d'autres schémas, tels que le schéma famille/non-famille courant en Espagne et au Portugal et dans leurs anciennes colonies, ou le système des castes et des exclus en Inde. Les Arabes et les Juifs font également des distinctions très nettes entre les personnes auxquelles ils sont liés et celles auxquelles ils ne le sont pas. Mon travail avec les Arabes m'amène à penser qu'ils utilisent un système d'organisation de l'espace informel très différent de celui que j'ai observé aux États-Unis. La relation du paysan ou du fellah arabe avec son cheik ou avec Dieu n'est pas une relation publique. Elle est étroite et personnelle, sans intermédiaire.

 

Until recently man's space requirements were thought of in terms of the actual amount of air displaced by his body. The fact that man has around him as extensions of his personality the zones described earlier has generally been overlooked. Differences in the zones—in fact their very existencebecame apparent only when Americans began interacting with foreigners who organize their senses differently so that what was intimate in one culture might be personal or even public in another. Thus for the first time the American became aware of his own spatial envelopes, which he had previously taken for granted.

 

Jusqu'à récemment, les besoins en espace de l'homme étaient considérés en termes de quantité d'air déplacée par son corps. On a généralement négligé le fait que l'homme a autour de lui, comme extensions de sa personnalité, les zones décrites plus haut. Les différences entre ces zones - en fait leur existence même - ne sont devenues évidentes que lorsque les Américains ont commencé à interagir avec des étrangers qui organisaient leurs sens différemment, de sorte que ce qui était intime dans une culture pouvait être personnel, voire public, dans une autre. C'est ainsi que, pour la première fois, l'Américain a pris conscience de ses propres enveloppes spatiales, qu'il considérait auparavant comme allant de soi.

 

 The ability to recognize these various zones of involvement and the activities, relationships, and emotions associated with each has now become extremely important. The world's populations are crowding into cities, and builders and speculators are packing people into vertical filing boxes—both offices and dwellings. If one looks at human beings in the way that the early slave traders did, conceiving of their space requirements simply in terms of the limits of the body, one pays very little attention to the effects of crowding. If, however, one sees man surrounded by a series of invisible bubbles which have measurable dimensions, architecture can be seen in a new light. It is then possible to conceive that people can be cramped by the spaces in which they have to live and work. They may even find themselves forced into behavior, relationships, or emotional outlets that are overly stressful. Like gravity, the influence of two bodies on each other is inversely proportional not only to the square of the distance but possibly even the cube of the distance between them. When stress increases, sensitivity to crowding rises—people get more on edge — so that more and more space is required as less and less is available.

 

 La capacité à reconnaître ces différentes zones d'implication et les activités, les relations et les émotions associées à chacune d'entre elles est devenue extrêmement importante. Les populations du monde entier s'entassent dans les villes, et les constructeurs et spéculateurs entassent les gens dans des boîtes de classement verticales - à la fois des bureaux et des habitations. Si l'on considère les êtres humains comme le faisaient les premiers marchands d'esclaves, en concevant leurs besoins d'espace simplement en termes de limites du corps, on ne prête que très peu d'attention aux effets de la promiscuité. En revanche, si l'on considère l'homme entouré d'une série de bulles invisibles dont les dimensions sont mesurables, l'architecture apparaît sous un jour nouveau. Il est alors possible de concevoir que les gens peuvent être à l'étroit dans les espaces où ils doivent vivre et travailler. Ils peuvent même se trouver contraints à des comportements, des relations ou des exutoires émotionnels trop stressants. Comme la gravité, l'influence de deux corps l'un sur l'autre est inversement proportionnelle non seulement au carré de la distance, mais peut-être même au cube de la distance qui les sépare. Lorsque le stress augmente, la sensibilité à l'encombrement s'accroît - les gens sont de plus en plus à cran - de sorte que de plus en plus d'espace est nécessaire alors qu'il y en a de moins en moins.

 

The next two chapters, dealing with proxemic patterns for people of different cultures, are designed to serve a double purpose: first, to shed additional light on our own out-ofawareness patterns and by this means hopefully to contribute to improved design of living and working structures and cities as well; and second, to show the great need for improved intercultural understanding. Proxemic patterns point up in sharp contrast some of the basic differences between people —differences which can be ignored only at great risk. American city planners and builders are now in the process of designing cities in other countries with very little idea of people's spatial needs and practically no inkling that these needs vary from culture to culture. The chances of forcing whole populations into molds that do not fit are very great indeed. Within the United States urban renewal and the many crimes against humanity that are committed in its name usually demonstrate total ignorance of how to create congenial environments for the diverse populations that are pouring into our cities.

(...)

Les deux chapitres suivants, qui traitent des schémas proxémiques pour les personnes de différentes cultures, ont un double objectif : d'une part, jeter une lumière supplémentaire sur nos propres schémas d'inconscience et, par ce biais, contribuer à améliorer la conception des structures de vie et de travail, ainsi que des villes ; d'autre part, montrer la nécessité absolue d'améliorer la compréhension interculturelle. Les schémas proxémiques mettent en évidence, par un contraste frappant, certaines des différences fondamentales entre les personnes, différences qui ne peuvent être ignorées qu'au prix d'un grand risque. Les urbanistes et les constructeurs américains sont actuellement en train de concevoir des villes dans d'autres pays sans avoir la moindre idée des besoins spatiaux des gens et pratiquement sans savoir que ces besoins varient d'une culture à l'autre. Les risques de forcer des populations entières à entrer dans des moules qui ne leur conviennent pas sont en effet très grands. Aux États-Unis, la rénovation urbaine et les nombreux crimes contre l'humanité qui sont commis en son nom témoignent généralement d'une ignorance totale de la manière de créer des environnements conviviaux pour les populations diverses qui affluent dans nos villes.

(...)


 Edward T.Hall, "La Danse de la vie : temps culturel, temps vécu"

(The Dance of Life: The Other Dimension of Time, 1983)

"Edward T. Hall poursuit ici son examen des « dimensions cachées » de la culture en étudiant la façon dont le temps est appréhendé et vécu dans différentes sociétés. La perception linéaire qu’en ont les Européens du Nord n’est par exemple pas celle, pluridimensionnelle, des cultures du Sud, et les malentendus qu’occasionnent ces différences sont légion. Ce livre, nourri de recherches expérimentales et d’observations personnelles aussi riches que surprenantes, répond aussi à une visée éthique – car expliciter la variation des comportements d’une culture à l’autre, jusque dans les attitudes les plus profondément enracinées, c’est finalement œuvrer à la compréhension des autres." (Editions du Seuil)

 

"Nous sommes tous liés les uns aux autres par un tissu de rythmes innombrables : ceux qui, par exemple, influent sur les rapports des parents avec leurs enfants, comme sur les rapports des individus chez eux ou dans le travail. A ces rythmes, s'ajoutent des modèles culturels recouvrant une réalité plus vaste, dont certains s'opposent complètement, et qui, comme l'huile et l'eau ne se mélangent pas ..

Des années passées parmi les membres d'autres cultures que la mienne m'ont appris que les sociétés complexes organisent le temps d'au moins deux manières différentes : les événements sont organisés en tant qu'unités séparées - une chose à la fois -, ce qui caractérise l'Europe du Nord; ou au contraire dans le modèle méditerranéen : les individus sont engagés dans plusieurs événements, situations ou relations à la fois. Ces deux systèmes d'organisation sont logiquement et empiriquement tout à fait distincts. Et chacun a ses avantages et ses inconvénients. J'ai appelé "polychrone" le système qui consiste à faire plusieurs choses à la fois, et "monochrome", le système européen du Nord qui consiste, au contraire, à ne faire qu'une chose à la fois..."

 


Edward T.Hall, "Au-delà de la culture"

(Beyond Culture, 1976)

"Montrer que les institutions culturelles finissent par acquérir une existence autonome et par se retourner contre l’homme, tel est, ici, le propos de l’auteur de La Dimension cachée. Ce livre refuse le recours trop rapide à des explications politiques, sociologiques ou psychanalytiques. Loin des discours dominants, il remet discrètement en cause certaines idées reçues : il s’agit pour l’individu de dépasser les schémas culturels et les institutions qui le privent de la compréhension de ses possibilités et de ses limites, et l’enferment dans cette dureté à l’égard de l’autre et de lui-même." (Editions du Seuil)

 

1. The Paradox of Culture - 2. Man as Extension - 3. Consistency and Life - 4. Hidden Culture - 5. Rhythm and Body Movement - 6. Context and Meaning - 7. Contexts, High and Low - 8. Why Context? - 9. Situation—Culture's Building Block - 10. Action Chains - 11. Covert Culture and Action Chains - 12. Imagery and Memory - 13. Cultural and Primate Bases of Education - 14. Culture as an Irrational Force - 15. Culture at Identification - .

 

1. The Paradox of Culture

Two widely divergent but interrelated experiences, psychoanalysis and work as an anthropologist, have led me to the belief that in his strivings for order, Western man has created chaos by denying that part of his self that integrates while enshrining the parts that fragment experience. These examinations of man's psyche have also convinced me that: the natural act of thinking is greatly modified by culture; Western man uses only a small fraction of his mental capabilities; there are many different and legitimate ways of thinking; we in the West value one of these ways above all others — the one we call "logic," a linear system that has been with us since Socrates.

 

Deux expériences très divergentes mais interdépendantes, la psychanalyse et le travail d'anthropologue, m'ont conduit à la conviction que, dans ses efforts pour trouver l'ordre, l'homme occidental a créé le chaos en niant la partie de son moi qui intègre tout en consacrant les parties qui fragmentent l'expérience. Ces examens de la psyché de l'homme m'ont également convaincu que : l'acte naturel de penser est grandement modifié par la culture ; l'homme occidental n'utilise qu'une petite fraction de ses capacités mentales ; il existe de nombreuses façons différentes et légitimes de penser ; nous, en Occident, valorisons l'une de ces façons par-dessus toutes les autres - celle que nous appelons « logique », un système linéaire qui est avec nous depuis Socrate.

 

Western man sees his system of logic as synonymous with the truth. For him it is the only road to reality. Yet Freud educated us to the complexities of the psyche, helping his readers to look at dreams as a legitimate mental process that exists quite apart from the linearity of manifest thought. But his ideas were from the outset strenuously resisted, particularly by scientists and engineers, who were still wedded to a Newtonian model. When taken seriously, Freudian thinking shook the very foundation of conventional thought. Freud's followers, particularly Fromm and Jung, undeterred by popular stereotypes and the tremendous prestige of the physical sciences, added to his theories and bridged the gap between the linear world of logic and the integrative world of dreams.

 

L'homme occidental considère son système logique comme synonyme de vérité. Pour lui, c'est la seule voie d'accès à la réalité. Freud nous a pourtant sensibilisés aux complexités de la psyché, en aidant ses lecteurs à considérer les rêves comme un processus mental légitime qui existe en dehors de la linéarité de la pensée manifeste. Mais ses idées ont d'emblée rencontré une forte résistance, en particulier de la part des scientifiques et des ingénieurs, encore attachés au modèle newtonien. Prise au sérieux, la pensée freudienne a ébranlé les fondements mêmes de la pensée conventionnelle. Les disciples de Freud, en particulier Fromm et Jung, sans se laisser décourager par les stéréotypes populaires et l'immense prestige des sciences physiques, ont complété ses théories et comblé le fossé entre le monde linéaire de la logique et le monde intégratif des rêves.

(...)

In considering the data presented in this book, it is important for the reader to come to grips with his own model of culture in its manifest as well as its latent forms, because my purpose is to raise some of the latent to conscious awareness and to give it form so that it can be dealt with. Technically, the model of culture on which my work is based is more inclusive than those of some of my colleagues. My emphasis is on the nonverbal, unstated realm of culture. While I do not exclude philosophical systems, religion, social organization, language, moral values, art, and material culture, I feel it is more important to look at the way things are actually put together than at theories. Nevertheless, and in spite of many differences in detail, anthropologists do agree on three characteristics of culture: it is not innate, but learned; the various facets of culture are interrelated—you touch a culture in one place and everything else is affected; it is shared and in effect defines the boundaries of different groups.

 

En examinant les données présentées dans ce livre, il est important que le lecteur s'approprie son propre modèle de culture dans ses formes manifestes et latentes, car mon but est d'amener une partie des formes latentes à la conscience et de leur donner une forme pour qu'elles puissent être traitées. Techniquement, le modèle de culture sur lequel mon travail est basé est plus inclusif que ceux de certains de mes collègues. Je mets l'accent sur le domaine non verbal et non formulé de la culture. Bien que je n'exclue pas les systèmes philosophiques, la religion, l'organisation sociale, le langage, les valeurs morales, l'art et la culture matérielle, j'estime qu'il est plus important d'examiner la manière dont les choses sont réellement assemblées que les théories. Néanmoins, et malgré de nombreuses différences dans les détails, les anthropologues s'accordent sur trois caractéristiques de la culture : elle n'est pas innée, mais apprise ; les différentes facettes de la culture sont liées entre elles - vous touchez une culture à un endroit et tout le reste en est affecté ; elle est partagée et définit en fait les frontières des différents groupes.

 

Culture is man's medium; there is not one aspect of human life that is not touched and altered by culture. This means personality, how people express themselves (including shows of emotion), the way they think, how they move, how problems are solved, how their cities are planned and laid out, how transportation systems function and are organized, as well as how economic and government systems are put together and function. However, like the purloined letter, it is frequently the most obvious and taken-forgranted and therefore the least studied aspects of culture that influence behavior in the deepest and most subtle ways.

 

La culture est le médium de l'homme ; il n'y a pas un seul aspect de la vie humaine qui ne soit touché et modifié par la culture. Cela signifie la personnalité, la façon dont les gens s'expriment (y compris les manifestations d'émotion), la façon dont ils pensent, la façon dont ils se déplacent, la façon dont les problèmes sont résolus, la façon dont leurs villes sont planifiées et aménagées, la façon dont les systèmes de transport fonctionnent et sont organisés, ainsi que la façon dont les systèmes économiques et gouvernementaux sont mis en place et fonctionnent. Cependant, comme la lettre volée, ce sont souvent les aspects les plus évidents et les plus évidents, et donc les moins étudiés de la culture, qui influencent le comportement de la manière la plus profonde et la plus subtile.

 

As a case in point, let us examine how white Americans are captives of their own time and space systems—beginning with time. American time is what I have termed "monochronic"; that is, Americans, when they are serious, usually prefer to do one thing at a time, and this requires some kind of scheduling, either implicit or explicit. Not all of us conform to monochronic norms. Nevertheless, there are social and other pressures that keep most Americans within the monochronic frame. However, when Americans interact with people of foreign cultures, the different time systems cause great difficulty. 

Monochronic time (M-time) and polychronic time (P-time) represent two variant solutions to the use of both time and space as organizing frames for activities. Space is included because the two systems (time and space) are functionally interrelated. M-time emphasizes schedules, segmentation, and promptness. P-time systems are characterized by several things happening at once. They stress involvement of people and completion of transactions rather than adherence to preset schedules. P-time is treated as much less tangible than M-time. P-time is apt to be considered a point rather than a ribbon or a road, and that point is sacred. 

 

A titre d'exemple, examinons comment les Américains blancs sont captifs de leurs propres systèmes de temps et d'espace, à commencer par le temps. Le temps américain est ce que j'ai appelé « monochronique », c'est-à-dire que les Américains, lorsqu'ils sont sérieux, préfèrent généralement faire une chose à la fois, ce qui nécessite une certaine forme d'ordonnancement, implicite ou explicite. Nous ne nous conformons pas tous aux normes monochroniques. Néanmoins, des pressions sociales et autres maintiennent la plupart des Américains dans le cadre monochronique. Cependant, lorsque les Américains interagissent avec des personnes de cultures étrangères, les différents systèmes de temps posent de grandes difficultés.

Le temps monochronique (M-temps) et le temps polychronique (P-temps) représentent deux variantes de l'utilisation du temps et de l'espace comme cadres d'organisation des activités. L'espace est inclus car les deux systèmes (temps et espace) sont fonctionnellement liés. Le temps M met l'accent sur les horaires, la segmentation et la rapidité. Les systèmes de temps P sont caractérisés par plusieurs choses qui se produisent en même temps. Ils mettent l'accent sur l'implication des personnes et la réalisation de transactions plutôt que sur le respect d'horaires préétablis. Le temps P est considéré comme beaucoup moins tangible que le temps M. Le temps P est souvent considéré comme un point plutôt que comme un ruban ou une route, et ce point est sacré. 

 

Americans overseas are psychologically stressed in many ways when confronted by P-time systems such as those in Latin America and the Middle East. In the markets and stores of Mediterranean countries, one is surrounded by other customers vying for the attention of a clerk. There is no order as to who is served next, and to the northern European or American, confusion and clamor abound. In a different context, the same patterns apply within the governmental bureaucracies of Mediterranean countries: A cabinet otlicer, for instance, may have a large reception area outside his private office. There are almost always small groups waiting in this area, and these groups are visited by government officials, who move around the room conferring with each. Much of their business is transacted in public instead of having a series of private meetings in an inner office.

Particularly distressing to Americans is the way in which appointments are handled by polychronic people. Appointments just don't carry the same weight as they do in the United States. Things are constantly shifted around. Nothing seems solid or firm, particularly plans for the future, and there are always changes in the most important plans right up to the very last minute.

 

Les Américains vivant à l'étranger sont psychologiquement stressés à bien des égards lorsqu'ils sont confrontés à des systèmes de temps partiel tels que ceux de l'Amérique latine et du Moyen-Orient. Dans les marchés et les magasins des pays méditerranéens, on est entouré d'autres clients qui se disputent l'attention d'un employé. Il n'y a pas d'ordre pour savoir qui est servi en premier, et pour l'Européen du Nord ou l'Américain, la confusion et la clameur sont omniprésentes. Dans un contexte différent, les mêmes schémas s'appliquent aux bureaucraties gouvernementales des pays méditerranéens : Un ministre, par exemple, peut disposer d'une grande salle de réception à l'extérieur de son bureau privé. Il y a presque toujours de petits groupes qui attendent dans cette zone, et ces groupes reçoivent la visite des fonctionnaires du gouvernement, qui se déplacent dans la pièce pour s'entretenir avec chacun d'entre eux. Une grande partie de leurs affaires est traitée en public au lieu d'avoir une série de réunions privées dans un bureau intérieur.

La façon dont les rendez-vous sont gérés par les polychrones est particulièrement pénible pour les Américains. Les rendez-vous n'ont tout simplement pas le même poids qu'aux États-Unis. Les choses changent constamment. Rien ne semble solide ou ferme, en particulier les projets d'avenir, et les plans les plus importants sont toujours modifiés jusqu'à la dernière minute.

 

In contrast, within the Western world, man finds little in life that is exempt from the iron hand of M-time. In fact, his social and business life, even his sex life, are apt to be completely time-dominated. Time is so thoroughly woven into the fabric of existence that we are hardly aware of the degree to which it determines and co-ordinates everything we do, including the molding of relations with others in many subtle ways. By scheduling, we compartmentalize; this makes it possible to concentrate on one thing at a time, but it also denies us context. Since scheduling by its very nature selects what will and will not be perceived and attended and permits only a limited number of events within a given period, what gets scheduled in or out constitutes a system for setting priorities for both people and functions. Important things are taken up first and allotted the most time; unimportant things are left to last or omitted if time runs out.

 

En revanche, dans le monde occidental, l'homme trouve peu de choses dans la vie qui échappent à la main de fer du temps M. En fait, sa vie sociale et professionnelle, voire sa vie sexuelle, sont susceptibles d'être complètement dominées par le temps. En fait, sa vie sociale et professionnelle, et même sa vie sexuelle, sont susceptibles d'être complètement dominées par le temps. Le temps est si profondément ancré dans le tissu de l'existence que nous sommes à peine conscients de la mesure dans laquelle il détermine et coordonne tout ce que nous faisons, y compris les relations que nous entretenons avec les autres, et ce de manière très subtile. En planifiant, nous compartimentons ; cela nous permet de nous concentrer sur une chose à la fois, mais cela nous prive également de contexte. Étant donné que la programmation, de par sa nature même, sélectionne ce qui sera perçu et suivi et ne permet qu'un nombre limité d'événements au cours d'une période donnée, ce qui est programmé ou non constitue un système de définition des priorités pour les personnes et les fonctions. Les choses importantes sont traitées en premier et se voient accorder le plus de temps possible ; les choses sans importance sont laissées pour la fin ou omises si le temps vient à manquer.

 

Space and its handling also signal importance and priorities. The amount of space allocated and where a person is placed within an organization tell a lot about him and his relation to the organization. Equally significant is how he handles his time. In fact, discretion over scheduling—the option of determining when one will be in the office—indicates that one has arrived. The exceptions are salesmen, whose jobs demand that they be away from their desks, or those who hold unusual positions, for example the city editor of a newspaper, whose job is inherently polychronic. The importance of place—where the activities are permitted to occur—has become so much a part of modern bureaucracy that some employees whose performance would be enormously enhanced if they could get away from their desks are seldom permitted to do so. For example. American Foreign Service officers assigned to Latin America should be out interacting with the local people, but because of immutable bureaucratic custom they can't leave their desks.

Cut off from the people with whom they should be establishing ties, how can they ever be effective? In another American-based bureaucracy, an important and famous research program was threatened because the space required for the experiments was greater than that appropriate to the rank of the investigator. Mad? Yes, completely mad; but bureaucratically very real. 

 

L'espace et sa gestion indiquent également l'importance et les priorités. L'espace alloué et la place occupée par une personne au sein d'une organisation en disent long sur elle et sur sa relation avec l'organisation. La façon dont elle gère son temps est tout aussi importante. En fait, la discrétion sur l'emploi du temps - la possibilité de déterminer quand on sera au bureau - indique que l'on est arrivé. Les exceptions sont les vendeurs, dont le travail exige qu'ils soient loin de leur bureau, ou ceux qui occupent des postes inhabituels, par exemple le rédacteur en chef d'un journal, dont le travail est intrinsèquement polychrone. L'importance du lieu - où les activités peuvent se dérouler - fait tellement partie de la bureaucratie moderne que certains employés dont les performances seraient énormément améliorées s'ils pouvaient s'éloigner de leur bureau sont rarement autorisés à le faire. C'est le cas, par exemple, des agents américains du Foreign Service affectés en Amérique latine. Les agents du service extérieur américain affectés en Amérique latine devraient être en contact avec la population locale, mais, en raison d'une coutume bureaucratique immuable, ils ne peuvent pas quitter leur bureau.

Coupés des personnes avec lesquelles ils devraient établir des liens, comment peuvent-ils être efficaces ? Dans une autre bureaucratie américaine, un important et célèbre programme de recherche a été menacé parce que l'espace nécessaire aux expériences était supérieur à celui correspondant au rang de l'investigateur. Fou ? Oui, complètement fou, mais bureaucratiquement très réel.