Stanley Milgram (1933-1984), "Behavioral Study of Obedience" (1963), "The Small World Problem" (1967), "Obedience to Authority" (1974) - Muzafer Sherif (1906-1988), "The Psychology Of Social Norms" (1936) - Solomon Asch (1907-1996), ""Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgment" (1951), "Studies of independence and conformity: A minority of one against a unanimous majority" (1956) - Thomas Blass, "The Man Who Shocked the World: The Life and Legacy of Stanley Milgram" (2004) - ...
Last update: 12/12/2017
LE CONFORMISME - Quel est le poids de la conformité sociale? Jusqu'où nous sentons-nos contraints d'observer des ordres que nous donnent des représentants incarnant ce que nous considérons comme l'autorité? Solomon Ash dans les années 1950, Stanley Milgram dans les années 1960-1970 instruit successivement ces questions. Et peut-être celles-ci posent-elles un autre problème, celui de l' "AUTORITE", qu'est-ce que l'autorité pour chacun d'entre nous : nous sommes en effet dans des sociétés dans lesquelles l'autorité dite morale n'a guère plus de privilège, mais nous voyons au contraire bien des êtres humains courber l'échine, et ce depuis la nuit des temps, devant un autre être humain parce que tout simplement détenteur d'un pouvoir désormais le plus souvent institutionnalisé, et assisté le plus souvent d'autres humains ayant accepté d'incarner la force de l'ordre et de la contrainte qui peut à tout moment s'exercer à notre encontre ...
En publiant en 1963 "Behavioral Study of Obedience", le psychologue Stanley Milgram modifia profondément la manière dont nous envisagions jusqu'alors cette étrange singularité qui s'empare de tout être humain en société, et ne cesse de s'alimenter au fil des générations, sans la moindre évolution, la SOUMISSION A L'AUTORITE. Son article relatait une expérience semblant indiquer que la majorite des gens sont capables d'infliger d'extrêmes souffrances à autrui si cela leur est demandé par une figure représentative de ce que l'on nomme "l'autorité". Certes l'expérience souleva aussi nombre de questions sur les limites éthiques de toute expérimentation psychologique...
Muzafer Sherif (1906-1988), l’un des fondateurs de la psychologie sociale contemporaine, avait utilisé en 1936 l'effet autocinétique (the autokinetic effect) pour étudier expérimentalement le processus de normalisation : une illusion perceptuelle qui se produit lorsque les gens sont invités à se concentrer sur un point stationnaire de la lumière dans une pièce sombre; dans ces circonstances, les gens perçoivent le mouvement dans la lumière; certains pensent qu’il bouge peu, d’autres beaucoup. Sherif a ainsi constaté que lorsque des groupes de trois personnes ont été rassemblés et demandé de dire à haute voix jusqu’où une lumière a bougé, leurs jugements ont progressivement convergé. Autrement dit, ils ont élaboré une norme de groupe sur la distance parcourue par la lumière et cette norme a eu un impact durable sur les perceptions des participants. La conformité à la norme de groupe était encore évidente un an plus tard. Les participants ont créé une norme grâce à une influence sociale mutuelle, qui a ensuite influencé leurs réponses privées...
Dans les années 1940, Kurt Lewin démontra que le comportement des gens change à mesure que leur situation change. En 1951 se déroula la fameuse "Asch Conformity Experiment", Solomon Asch (1907-1996) menait alors ses premières expériences de "conformité" en laboratoire au Swarthmore College, des étudiants étant amener à générer desréponses fausses par conformisme à un groupe.
En 1963, Stanley Milgram montrait, dans ses travaux sur l'obéissance, que les gens se soumettaient à l'autorité jusqu'à commettre des actes les plus extrêmes. Milgram eut recours, dans son expérience, à la "théorie du conformisme" selon laquelle lorsqu'un individu ne se sent pas assez compétent pour prendre une décision, il s'en remet au groupe, et c'est via le conformisme qu'une réponse individuelle peut être déformée ou limitée, et que se dilue la responsabilité personnelle : un conflit latent entre conscience individuelle et autorité extérieure qui peut engendrer une formidable tension psychologique. Il est vrai qu'il est depuis toujours reconnu comme une évidence que la notion de société implique quelque sacrifice à tout individu d'une partie de son autonomie au profit d'autres individus dotés d'un statut social plus élevé et d'une plus grande autorité. Même les sociétés les plus démocratiques exigent, pour l'intérêt commun et la paix sociale, des règles élaborées par une autorité reconnue comme légitime - le problème reste par ailleurs toujours la définition de cette "légitimité" qui, quoique l'on dise, ne va pas de soi, et l'est pas un concept immuable mais bien une construction des l'esprit -, une autorité acceptée comme telle parce que susceptible de connaître et de prendre, pour le commun des mortels, les décisions de portée générale. Les exemples historiques abondent, parfois dramatiques, sur le détournement de cette notion d'autorité ..
"In democracies, men are placed in office through popular elections. Yet, once installed, they are no less in authority than those who get there by other means. And, as we have seen repeatedly, the demands of democratically installed authority may also come into conflict with conscience. The importation and enslavement of millions of black people, the destruction of theAmerican Indian population, the internment of JapaneseAmericans, the use of napalm against civilians in Vietnam, all are harsh policies that originated in the authority of a democratic nation, and were responded to with the expected obedience. In each case, voices of morality were raised against the action in question, but the typical response of the common man was to obey orders. I am forever astonished that when lecturing on the obedience experiments in colleges across the country, I faced young men who were aghast at the behavior of experimental subjects and proclaimed they would never behave in such a way, but who, in a matter of months, were brought into the military and performed without compunction actions that made shocking the victim seem pallid. In this respect, they are no better and no worse than human beings of any other era who lend themselves to the purposes of authority and become instruments in its destructive processes...."
"Dans les démocraties, les hommes sont élus par le peuple. Pourtant, une fois installés, ils n'ont pas moins d'autorité que ceux qui y parviennent par d'autres moyens. Et, comme nous l'avons vu à maintes reprises, les exigences de l'autorité démocratiquement installée peuvent également entrer en conflit avec la conscience. L'importation et la mise en esclavage de millions de Noirs, la destruction de la population amérindienne, l'internement des Américains d'origine japonaise, l'utilisation du napalm contre les civils au Viêt Nam sont autant de politiques dures qui trouvent leur origine dans l'autorité d'une nation démocratique et auxquelles on a répondu par l'obéissance attendue. Dans chaque cas, des voix morales se sont élevées contre l'action en question, mais la réponse typique de l'homme de la rue a été d'obéir aux ordres. Je suis toujours étonné de constater que, lorsque je donnais des conférences sur les expériences d'obéissance dans les universités du pays, j'étais confronté à des jeunes hommes qui étaient horrifiés par le comportement des sujets expérimentaux et proclamaient qu'ils ne se comporteraient jamais de la sorte, mais qui, en l'espace de quelques mois, étaient enrôlés dans l'armée et accomplissaient sans scrupules des actions qui rendaient l'action de choquer la victime bien dérisoire. À cet égard, ils ne sont ni meilleurs ni pires que les êtres humains de n'importe quelle autre époque qui se prêtent aux objectifs de l'autorité et deviennent les instruments de ses processus destructeurs...."
En 1971, le psychologue américain Philip Zimbardo (1933), réalisait la célèbre expérience, "The Stanford Prison Experiment", à laquelle prirent part 24 étudiants de la bonne bourgeoisie américaine et, tous placés dans une situation carcéral en tant que gardiens et prisonniers, ne tardaient pas à, soit abuser de leur pouvoir soit se soumettre totalement à l'autorité. Il révélait ainsi, écrivait-il, que le pouvoir des forces sociales et institutionnelles peut pousser les êtres humains les meilleurs à s'engager dans les actions les plus extrêmes, il peut suffire d'une simple contrainte situationnelle ...
Stanley Milgram, qui soutint sa thèse en psychologie sociale en 1960 sous la direction de Gordon Allport à Harvard, s'intéressa tout d'abord plus particulièrement à l'étude de l'obéissance pendant le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann. La thèse qui prévalait dans les années 1950 privilégiait une singularité du peuple allemand de la première moitie du XXe siècle. Des psychologues comme Theodor Adorno avançaient ainsi que les Allemands possédaient certains traits de caractère susceptibles de les amener à commettre les atrocités de l''Holocauste. Eichman, de son côté, ne cessait d'affirmer qu'il n'avait fait que "se conformer aux ordres". Milgram se posa la question de la réalité de cette assertion : un individu ordinaire peut-il décider d'ignorer ce qu'il sait être bien ou mal simplement parce qu'on le lui ordonne ? L'étude de Milgram mit en évidence des aspects essentiels de la relation entre obéissance et autorité, tout se révélant l'une des expériences les plus controversées de l'histoire de la psychologie. En 1963, sa titularisation à Harvard lui fut refusée en raison de la controverse soulevée par ses travaux et rejoignant l'université de la ville de New York ...
Milgram travailla d'abord avec Solomon Asch sur la "conformité" - celui-ci avait démontré à travers ses travaux le poids de la pression sociale sur le conformisme des gens ("Forming impressions of personality", 1946), "public agreement" (compliance) vs "private agreement" (acceptance) -, puis rejoignit l'université de Yale où il réalisa ses expériences sur la soumission. Milgram pensait que c'est la Seconde Guerre mondiale et l'impérative nécessité d'obéir plutôt qu'une spécificité germanique qui avaient abouti à la cruauté nazie. Il était convaincu que le comportement résulte directement de notre mise en situation, et que n'importe lequel d'entre nous aurait pu se comporter de même dans un contexte identique. À la fin des années 1950, Milgram avait observé comment les sujets peuvent adhérer aux décisions d'un groupe, quand bien même celles-ci seraient erronées. Ces expériences montraient que les individus sont ainsi prêts à dire ou faire des choses s'opposant à leur propre perception de la réalité. Est-ce dire que l'autorité d'un groupe ou d'une personne affecte leur propre jugement moral?
Stanley Milgram entreprit alors de vérifier si des individus naturellement "ouverts" sont capables, sous la férule d'une autorité quelconque, d'agir contre leurs propres valeurs morales. Il conçut ainsi une expérience visant à mesurer le degré d'obéissance d`êtres humains "ordinaires" auxquels une "incarnation de l'autorité" demandait d'envoyer des décharges électriques à une autre personne. L'expérience se déroula en 1961 dans un laboratoire de l'université de Yale, où Milgram enseignait la psychologie. Les participants furent recrutés par petites annonces dans la presse. Les 40 sujets sélectionnés exerçaient des métiers très divers, il y avait là des enseignants, des postiers, des ingénieurs, des ouvriers et des vendeurs. Chacun reçut 4.50 $ pour sa participation. Mílgram avait quant à lui fabriqué un générateur d'électrochocs factice mais parfaitement réaliste et suffisamment impressionnant qui comportait 30 interrupteurs correspondant à une intensité qui pouvait augmenter par tranche de 15 volts, et pour chacun desquels celle-ci était affichée. Le dispositif allait ainsi de "choc léger", à une extrémité du potentiomètre, jusqu'à "choc d'intensité", "choc sévère : danger" et "XXX" à l'autre extrémité du potentiomètre.
Le rôle de l'expérimentateur était endossé par un professeur de biologie qui se présentait aux participants sous le nom de Jack Williams. Pour donner une impression d'autorité, il portait la tenue grise des techniciens de laboratoire et conservait, pendant toute la durée de l'expérimentation, une allure rigoureuse et impassible. On expliqua aux participants que l'étude visait à évaluer les effets de la punition en cours d'apprentissage, et on les informa que, parmi deux volontaires, le tirage au sort désignerait un élève et un enseignant. En fait, chaque couple de "volontaires" était composé non pas de l'un des participants mais d'un complice, M, Wallace, comptable de son état, et qu'on avait entraîné à jouer le rôle de la victime. Il était attaché sur une "chaise électrique", devant chaque participant; on lui fixait au poignet une électrode reliée au générateur d'électrochocs situé dans la pièce voisine et on lui indiquait ostensiblement que si ce qui allait se passer pouvait être extrêment douloureux, cela lui causerait pas de dommages irréversibles....
Le participant gagnait alors la pièce où se trouvait le générateur et on lui demandait d'endosser le rôle de l'enseignant. ll devait lire à haute voix des paires de mots que l'élève devait mémoriser. Suivait une série de mots seuls, l'élève devait alors se rappeler le mot associé à chacun deux dans la série qui lui avait été lue et donnait sa réponse en pressant sur un bouton qui allumait une lumière sur le générateur. Si la réponse était correcte, l'interrogation se poursuivait, mais si elle était fausse, le participant avait pour instruction de donner la bonne réponse à l'élève, de lui annoncer l'intensité du choc qu'il allait recevoir et d'appuyer sur l'interrupteur correspondant. À chaque mauvaise réponse, l'intensité de 15 volts était augmentée selon l'échelle des chocs indiquée sur le potentiomètre.
M. Wallace devait donner une mauvaise réponse à une question sur quatre environ, de manière à ce que le participant progresse régulièrement dans l'intensité des décharges qu'il envoyait. Lorsque l'intensité supposée de l'électrochoc atteignait 300 V, l'«élève» était censé cogner sur le mur en criant qu'il refusait de continuer et demander à partir. Plus l'intensité des chocs augmentait, plus l' "élève" hurlait, mais l'expérimenteur expliquait au participant qu'il devait continuer l'expérimentation et n'avait pas d'autres choix. Les 40 psychiatres composant l'équipe pensaient qu'à peine 5% des participants administreraient des chocs électriques de 300 volts, malgré les hurlements de M. Wallace, tous les participants atteignirent ce niveau et 65% d'entre eux lui envoyèrent une décharge électrique maximale de 450V...
Certes, la plupart de ces participants manifestèrent en cours d'expérience des signes de tension et de nervosité, ils bégayaient, tremblaient, transpiraient, gémissaient, éclataient d'un rire nerveux, tous doutèrent à un moment donné de la validité cette expérience, mais tous étaient convaincus qu'ils avaient participé à une véritable expérience liée à l'apprentissage. Lorsqu'on leur apprit le véritable objectif de l'expérience, les participants eurent à répondre à un questionnaire pour vérifier qu'ils ne souffraient pas de séquelles émotionnelles. ..
Si Milgram distingua plusieurs raisons pouvant justifier leurs contributions à un tel niveau d'obéissance (la crédibilité d'une expérience menée dans un contexte universitaire prestigieux, l'impression de faire avancer la science, le fait d'avoir été rétribué..), il venait semble-t-il d'évaluer si l'inclination à obéir à des figures d'autorité pouvait devenir un facteur déterminant du comportement quelque soient les circonstances les plus extrêmes. Et pour Milgram, ce n'est pas tant le type de personnalité d'un être humain que le type de situation dans lequel il se trouve qui va déterminer ses actes...
Solomon Asch (1907-1996), "Opinions and Social Pressure" (1955)
Pionnier dans le domaine de la psychologie sociale, Solomon Asch naquit dans une famille juive de Varsovie (alors part de l'Empire russe) et émigra à treize ans aux Etats-Unis. En 1932, il obtenait son doctorat en psychologie à l'université de Columbia et fut alors influencé par Max Wertheimer (1880-1943), un des maîtres de l'école gestaltiste qui fit partie du premier groupe de réfugiés qui, en 1933, s'exilent aux États-Unis, chassés par le nazisme (Productive Thinking, 1945). Il occupa de nombreux postes, le Swarthmore College, le Massachusetts Institute of Technology et Harvard où il supervisa le doctorat de Stanley Milgram.
("Effects of Group Pressure Upon the Modification and Distorsion of Judgment", 1951) Lorsqu'il conçut sa célèbre expérience sur le désir de conformité sociale, le socio-psychologue Solomon Asch voulait étudier les effets de la pression exercée par le groupe
sur la prise de décision individuelle et la manière dont les attitudes individuelles pouvaient être influencées par les forces sociales. L'expérience prouva que, en présence d'une opinion majoritaire, notre besoin de conformité peut l'emporter sur ce que nous croyons vrai et que nous ne sommes peut-être pas aussi autonomes que ce que nous pensons. Asch détailla ses résultats en 1955 dans l'article "Opinions and Social Pressure", où il étudiait en détail les influences façonnant nos croyances, nos jugements et nos pratiques individuelles...
De même que le groupe exerce de profonds effets sociaux sur ses membres, l'accession à des fonctions sociales jugées importantes nécessite une certaine dose de conformité. C'est ains que nous pouvons nous sentir obligés de nous conformer pour mieux nous adapter. Nous pouvons en arriver à nous penser en accord avec la majorité de ceux qui nous entourent. Et c'est ainsi que l'envie de de se conformer peut s'imposer à nos valeurs et à nos perceptions initiales ...
"Paradigme de Asch" - Pour Ash, comment mesurer la conformité si ce n'est par la tendance d'un individu à se ranger à l'avis d'un groupe, et être entraîné ainsi, dans une expérience, à donner une mauvaise réponse à un problème ayant une solution évidente. C'est l'objet d'une expérience qu'il mena avec 123 hommes, affectant un sujet à un groupe de cinq à sept personnes informées du but de l'expérience mais présentées comme des participants. L'espace était aménagé de manière à ce que le sujet soit toujours le dernier ou l'avant-dernier à s'exprimer. Le résultat montra que 32% des sujets se conformer à la mauvaise réponse suscitée par le groupe, et ils furent par suite interrogés sur leur attitude. Ash affina ses expériences et mis en lumière le poids que pouvait avoir une petite minorité dissidente pour faire basculer le conformisme d'un individu (cf. les travaux e Serge Moscovici, 1976). La même expérience, réalisée dans les années 1950, alors que régnait en Amérique le maccarthysme, qui pouvait expliquer bien des choses, fut reprise au début des années 1970, époque de pensée libérale, mais le fonds de désir de conformité sociale était bien toujours présent. Ash alerte donc sur la force et le danger de l'influence sociale sur les croyances et les comportements individuels dès lors que s'établit une norme pour un groupe. Et de fait, un tel mécanisme peut affecter d'emblée la notion de "consensus" , une notion essentielle à notre vie en société et qui peut basculer si nous ne la nourrissons pas de notre propre vision et de notre propre expérience ...
Stanley Milgram , "Obedience to Authority" (1974)
"L'obéissance, écrit dans la Préface Stanley Milgram, en raison de son omniprésence, est facilement négligée en tant que sujet d'étude en psychologie sociale. Pourtant, sans une appréciation de son rôle dans la formation de l'action humaine, il est impossible de comprendre un large éventail de comportements significatifs. En effet, un acte exécuté sous commandement est, psychologiquement, d'une nature profondément différente d'une action spontanée. La personne qui, par conviction intérieure, déteste voler, tuer et agresser peut se retrouver à accomplir ces actes avec une relative facilité lorsqu'on lui en donne l'ordre, peut se retrouver à accomplir ces actes avec une relative facilité lorsqu'elle est commandée par l'autorité. Un comportement impensable pour un individu qui agit seul peut être exécuté sans hésitation lorsqu'il est commandé.
Le dilemme inhérent à l'obéissance à l'autorité est ancien, aussi vieux que l'histoire d'Abraham. La présente étude donne à ce dilemme une forme contemporaine en le traitant comme un sujet d'enquête expérimentale, dans le but de le comprendre plutôt que de le juger d'un point de vue moral. La tâche importante, du point de vue d'une étude psychologique de l'obéissance, est d'être capable de prendre des conceptions de l'autorité et de les traduire en expérience personnelle. C'est une chose de parler en termes abstraits des droits respectifs de l'individu et de l'autorité, c'en est une autre d'examiner un choix moral dans une situation réelle.
Nous connaissons tous les problèmes philosophiques de la liberté et de l'autorité. Mais dans tous les cas où le problème n'est pas simplement académique, il y a une personne réelle qui doit obéir ou désobéir à l'autorité, un cas concret où l'acte de défiance se produit. Toute réflexion préalable à ce moment n'est que pure spéculation, et tous les actes de désobéissance sont caractérisés par un tel moment d'action décisive. Les expériences sont construites autour de cette notion. Lorsque nous passons au laboratoire, le problème se réduit : si un expérimentateur demande à un sujet d'agir avec une sévérité croissante à l'encontre d'une autre personne, dans quelles conditions le sujet se conformera-t-il et dans quelles conditions désobéira-t-il ? Le problème du laboratoire est vif, intense et réel. Il ne s'agit pas d'un problème isolé de la vie, mais d'une conclusion extrême et très logique de certaines tendances inhérentes au fonctionnement ordinaire du monde social...."
1. The Dilemma of Obedience
"Obedience is as basic an element in the structure of social life as one can point to. Some system of authority is a requirement of all communal living, and it is only the man dwelling in isolation who is not forced to respond, through defiance or submission, to the commands of others. Obedience, as a determinant of behavior is of particular relevance to our time. It has been reliably established that from 1933 to 1945 millions of innocent people were systematically slaughtered on command. Gas chambers were built, death camps were guarded, daily quotas of corpses were produced with the same efficiency as the manufacture of appliances. These inhumane policies may have originated in the mind of a single person, but they could only have been carried out on a massive scale if a very large number of people obeyed orders. Obedience is the psychological mechanism that links individual action to political purpose. It is the dispositional cement that binds men to systems of authority. Facts of recent history and observation in daily life suggest that for many people obedience may be a deeply ingrained behavior tendency, indeed, a prepotent impulse overriding training in ethics, sympathy, and moral conduct.
C. P. Snow (1961) points to its importance when he writes: When you think of the long and gloomy history of man, you will find more hideous crimes have been committed in the name of obedience than have ever been committed in the name of rebellion. If you doubt that, read William Sbirer’s ‘Rise and Fall of the Third Reich.’ The German Officer Corps were brought up in the most rigorous code of obedience . . . in the name of obedience they were party to, andassisted in, the most wicked large scale actions in the history of the world. (p. 24)"
L'obéissance est un élément aussi fondamental que possible de la structure de la vie sociale. Un certain système d'autorité est présentée comme nécessaire à toute vie en communauté, et seul l'être humain vivant dans l'isolement n'est pas obligé de répondre, par la défiance ou la soumission, aux ordres d'autrui. L'obéissance, en tant que facteur déterminant du comportement, revêt une importance particulière à notre époque. Il a été établi de manière fiable que, de 1933 à 1945, des millions d'innocents ont été systématiquement massacrés sur ordre. Des chambres à gaz ont été construites, des camps de la mort ont été gardés, des quotas quotidiens de cadavres ont été produits avec la même efficacité que la fabrication d'appareils électroménagers. Ces politiques inhumaines ont pu naître dans l'esprit d'une seule personne, mais elles n'ont pu être mises en œuvre à grande échelle que si un très grand nombre de personnes ont obéi aux ordres. L'obéissance est le mécanisme psychologique qui relie l'action individuelle à l'objectif politique. Elle est le ciment dispositionnel qui lie les hommes aux systèmes d'autorité. Les faits de l'histoire récente et l'observation de la vie quotidienne suggèrent que, pour de nombreuses personnes, l'obéissance peut être une tendance comportementale profondément enracinée, voire une impulsion prépondérante qui l'emporte sur la formation à l'éthique, à la sympathie et à la conduite morale. C. P. Snow (1961) en souligne l'importance lorsqu'il écrit : Quand on pense à la longue et sombre histoire de l'homme, on s'aperçoit qu'il y a eu plus de crimes hideux commis au nom de l'obéissance qu'il n'y en a jamais eu au nom de la rébellion. Si vous en doutez, lisez "Rise and Fall of the Third Reich" de William Sbirer. Le corps des officiers allemands a été élevé dans le code d'obéissance le plus rigoureux [...] au nom de l'obéissance, ils ont participé et aidé à commettre les actions à grande échelle les plus malfaisantes de l'histoire du monde. (p. 24)
The Nazi extermination of European Jews is the most extremeinstance of abhorrent immoral acts carried out by thousands ofpeople in the name of obedience. Yet in lesser degree this type ofthing is constantly recurring: ordinary citizens are ordered todestroy other people, and they do so because they consider ittheir duty to obey orders.
Thus, obedience to authority, longpraised as a virtue, takes on a new aspect when it serves amalevolent cause; far from appearing as a virtue, it is transformedinto a heinous sin. Or is it? The moral question of whether one should obey when commands conflict with conscience was argued by Plato, dramatized in “Antigone,” and treated to philosophic analysis in every historical epoch Conservative philosophers argue that the very fabric of society is threatened by disobedience, and even when the act prescribed by an authority is an evil one, it is better to carry out the act than to wrench at the structure of authority. Hobbes stated further that an act so executed is in no sense the responsibility of the person who carries it out but only of the authority that orders it. But humanists argue for the primacy of individual conscience in such matters, insisting that the moral judgments of the individual must override authority when the two are in conflict.
L'extermination des Juifs d'Europe par les nazis est l'exemple le plus extrême d'actes immoraux abominables commis par des milliers de personnes au nom de l'obéissance. Pourtant, dans une moindre mesure, ce genre de choses se répète constamment : des citoyens ordinaires reçoivent l'ordre de détruire d'autres personnes, et ils le font parce qu'ils considèrent qu'il est de leur devoir d'obéir aux ordres.
Ainsi, l'obéissance à l'autorité, longtemps vantée comme une vertu, prend un nouvel aspect lorsqu'elle sert une cause malveillante ; loin d'apparaître comme une vertu, elle se transforme en un péché odieux. Ou bien est-ce le cas ? La question morale de savoir si l'on doit obéir lorsque les ordres sont en conflit avec la conscience a été soulevée par Platon, mise en scène dans "Antigone" et a fait l'objet d'une analyse philosophique à toutes les époques de l'histoire. Hobbes ajoute qu'un acte ainsi exécuté ne relève en aucun cas de la responsabilité de la personne qui l'accomplit, mais uniquement de l'autorité qui l'ordonne. Mais les humanistes défendent la primauté de la conscience individuelle en la matière, insistant sur le fait que les jugements moraux de l'individu doivent l'emporter sur l'autorité lorsque les deux sont en conflit.
The legal and philosophic aspects of obedience are of enormous import, but an empirically grounded scientist eventually comes to the point where he wishes to move from abstract discourse to the careful observation of concrete instances. In order to take a close look at the act of obeying, I set up a simple experimentat Yale University. Eventually, the experiment was to involve more than a thousand participants and would be repeated at several universities, but at the beginning, the conception was simple.
A person comes to a psychological laboratory and is told to carry out a series of acts that come increasingly into conflict with conscience. The main question is how far the participant will comply with the experimenter’s instructions before refusing to carry out the actions required of him.
Les aspects juridiques et philosophiques de l'obéissance sont d'une importance considérable, mais un scientifique empirique finit par souhaiter passer du discours abstrait à l'observation minutieuse de cas concrets.
Afin d'examiner de près l'acte d'obéir, j'ai mis en place une expérience simple à l'université de Yale. À terme, l'expérience devait impliquer plus d'un millier de participants et être répétée dans plusieurs universités, mais au départ, la conception était simple.
Une personne se présente dans un laboratoire psychologique et se voit demander d'accomplir une série d'actes qui entrent de plus en plus en conflit avec sa conscience. La question principale est de savoir dans quelle mesure le participant se conformera aux instructions de l'expérimentateur avant de refuser d'accomplir les actions qui lui sont demandées.
But the reader needs to know a little more detail about the experiment.
Two people come to a psychology laboratory to take part in a study of memory and learning. One of them is designated as a “teacher” and the other a “learner.” The experimenter explains that the study is concerned with the effects of punishment on learning. The learner is conducted into a room, seated in a chair, his arms strapped to prevent excessive movement, and an electrode attached to his wrist. He is told that he is to learn a list of word pairs; whenever he makes an error, be will receive electric shocks of increasing intensity. The real focus of the experiment is the teacher. After watching the learner being strapped into place, he is taken into the main experimental room and seated before an impressive shock generator. Its main feature is a horizontal line of thirty switches, ranging from 15 volts to 450 volts, in 15-volt increments.
Mais le lecteur a besoin de connaître un peu plus en détail l'expérience.
Deux personnes se présentent dans un laboratoire de psychologie pour participer à une étude sur la mémoire et l'apprentissage. L'une d'entre elles est désignée comme "enseignant" et l'autre comme "apprenant". L'expérimentateur explique que l'étude porte sur les effets de la punition sur l'apprentissage. L'apprenant est conduit dans une pièce, assis sur une chaise, les bras attachés pour éviter tout mouvement excessif et une électrode fixée à son poignet. On lui dit qu'il doit apprendre une liste de paires de mots ; chaque fois qu'il fera une erreur, il recevra des chocs électriques d'intensité croissante. Le véritable objet de l'expérience est l'enseignant. Après avoir observé l'apprenant se faire attacher, il est conduit dans la salle d'expérimentation principale et assis devant un impressionnant générateur de chocs. Sa principale caractéristique est une ligne horizontale de trente interrupteurs, allant de 15 volts à 450 volts, par incréments de 15 volts.
There are also verbal designations which range from Slight SHOCK to Danger–Severe SHOCK. The teacher is told that he is to administer the learning test to the man in the other room. When the learner responds correctly, the teacher moves on to the next item; when the other man gives an incorrectanswer, the teacher is to give him an electric shock. He is to start at the lowest shock level ( 15 volts) and to increase the level each time the man makes an error, going through 30 volts, 45 volts, and so on. The “teacher” is a genuinely naive subject who has come to the laboratory to participate in an experiment. The learner, or victim, is an actor who actually receives no shock at all.
The point of the experiment is to see how far a person will proceed in a concrete and measurable situation in which he is ordered to inflict increasing pain on a protesting victim.
At what point will the subject refuse to obey the experimenter?
Conflict arises when the man receiving the shock begins to indicate that he is experiencing discomfort. At 75 volts, the “learner” grunts. At 120 volts he complains verbally; at 150 he demands to-be released from the experiment. His protests continue as the shocks escalate, growing increasingly vehement and emotional. At 285 volts his response can only be described as an agonized scream.
Observers of the experiment agree that its gripping quality is somewhat obscured in print. For the subject, the situation is not a game; conflict is intense and obvious. On one hand, the manifest suffering of the learner presses him to quit. On the other, the experimenter, a legitimate authority to whom the subject feels some commitment, enjoins him to continue. Each time the subject hesitates to administer shock, the experimenter orders him to continue. To extricate himself from the situation, the subject must make a clear break with authority. The aim of this investigation was to find when and how people would defy authority in the face of a clear moral imperative.
Il existe également des désignations verbales qui vont de CHOC léger à CHOC grave-danger. On dit à l'enseignant qu'il doit faire passer le test d'apprentissage à l'homme qui se trouve dans l'autre pièce. Lorsque l'apprenant répond correctement, l'enseignant passe au point suivant ; lorsque l'autre homme donne une mauvaise réponse, l'enseignant doit lui administrer un choc électrique. Il commence par le niveau de choc le plus bas (15 volts) et augmente le niveau à chaque fois que l'homme fait une erreur, en passant par 30 volts, 45 volts, et ainsi de suite. L'"enseignant" est un sujet véritablement naïf qui est venu au laboratoire pour participer à une expérience. L'apprenant, ou la victime, est un acteur qui ne reçoit en réalité aucun choc.
Le but de l'expérience est de voir jusqu'où une personne ira dans une situation concrète et mesurable dans laquelle on lui ordonne d'infliger une douleur croissante à une victime qui proteste.
À quel moment le sujet refusera-t-il d'obéir à l'expérimentateur ?
Le conflit survient lorsque l'homme qui reçoit le choc commence à indiquer qu'il est mal à l'aise. À 75 volts, l'"apprenant" grogne. À 120 volts, il se plaint verbalement ; à 150 volts, il exige d'être libéré de l'expérience. Ses protestations se poursuivent au fur et à mesure que les chocs augmentent, devenant de plus en plus véhémentes et émotionnelles. À 285 volts, sa réaction ne peut être décrite que comme un cri d'agonie.
Les observateurs de l'expérience s'accordent à dire que sa qualité saisissante est quelque peu obscurcie par l'impression. Pour le sujet, la situation n'est pas un jeu ; le conflit est intense et évident. D'un côté, la souffrance manifeste de l'apprenant le pousse à abandonner. D'autre part, l'expérimentateur, autorité légitime envers laquelle le sujet se sent engagé, lui enjoint de continuer. Chaque fois que le sujet hésite à administrer le choc, l'expérimentateur lui ordonne de continuer. Pour s'extraire de cette situation, le sujet doit rompre clairement avec l'autorité. L'objectif de cette enquête était de déterminer quand et comment les gens défieraient l'autorité face à un impératif moral clair.
There are, of course, enormous differences between carrying out the orders· of a commanding officer during times of war and carrying out the orders of an experimenter. Yet the essence of certain relationships remain, for one may ask in a general way: How does a man behave when he is told by a legitimate authority to act against a third individual? If anything, we may expect the experimenter’s power to be considerably less than that of the general, since he has no power to enforce his imperatives, and participation in a psychological experiment scarcely evokes the sense of urgency and dedication engendered by participation in war. Despite these limitations, I thought it worthwhile to start careful observation of obedience even in this modest situation, in dm hope that it would stimulate insights and yield general propositions applicable to a variety of circumstances.
A reader’s initial reaction to the experiment may be to wonder why anyone in his right mind would administer even the first shocks. Would he not simply refuse and walk out of the laboratory? But the fact is that no one ever does. Since the subject has come to the laboratory to aid the experimenter, he is quite willing to start off with the procedure. There is nothing very extraordinary in this, particularly since the person who is to receive the shocks seems initially cooperative, if somewhat apprehensive. What is surprising is how far ordinary individuals will go in complying with the experimenter’s instructions.
Indeed, the results of the experiment are both surprising and dismaying. Despite the fact that many subjects experience stress, despite the fact that many protest to the experimenter, a substantial proportions continue to the last shock on the generator.
Il y a bien sûr d'énormes différences entre l'exécution des ordres d'un commandant en temps de guerre et l'exécution des ordres d'un expérimentateur. Cependant, l'essence de certaines relations demeure, car on peut se poser la question de manière générale : Comment un homme se comporte-t-il lorsqu'une autorité légitime lui demande d'agir contre un tiers ? On peut même s'attendre à ce que le pouvoir de l'expérimentateur soit nettement inférieur à celui du général, puisqu'il n'a pas le pouvoir d'imposer ses impératifs et que la participation à une expérience psychologique n'évoque guère le sentiment d'urgence et de dévouement engendré par la participation à une guerre. Malgré ces limites, j'ai pensé qu'il valait la peine d'entreprendre une observation minutieuse de l'obéissance, même dans cette situation modeste, dans l'espoir qu'elle susciterait des idées et produirait des propositions générales applicables à une variété de circonstances.
La première réaction du lecteur à cette expérience peut être de se demander pourquoi une personne saine d'esprit administrerait ne serait-ce que les premiers chocs. N'aurait-il pas simplement refusé et quitté le laboratoire ? Mais le fait est que personne ne le fait jamais. Puisque le sujet est venu au laboratoire pour aider l'expérimentateur, il est tout à fait disposé à commencer la procédure. Il n'y a rien d'extraordinaire à cela, d'autant plus que la personne qui va recevoir les chocs semble d'abord coopérative, même si elle est un peu craintive. CE QUI EST SURPRENANT, C'EST DE VOIR JUSQU'OU LES INDIVIDUS ORDINAIRES VONT POUR SE CONFORMER AUX INSTRUCTIONS DE L'EXPERIMENTATEUR.
En effet, les résultats de l'expérience sont à la fois surprenants et consternants. Malgré le fait que de nombreux sujets éprouvent du stress, malgré le fait que beaucoup protestent auprès de l'expérimentateur, une proportion substantielle d'entre eux continue jusqu'au dernier choc sur le générateur.
Many subjects will obey the experimenter no matter how vehement the pleading of the person being shocked, no matter how painful the shocks seem to be, and no matter how much the victim pleads to be let out. This was seen time and again in our studies and has been observed in several universities where the experiment was repeated. It is the extreme willingness of adults to go to almost any lengths on the command of an authority that constitutes the chief finding of the study and the fact most urgently demanding explanation.
A commonly offered explanation is that those who shocked the victim at the most severe level were monsters, the sadistic fringe of society. But if one considers that almost two-thirds of the participants fall into the category of “obedient” subjects, and that they represented ordinary people drawn from working, managerial, and professional classes, the argument becomes very shaky.
Indeed, it is highly reminiscent of the issue that arose in connection with HannahArendt’s 1963 book, Eichmann in Jerusalem.
Arendt contended that the prosecution’s effort to depict Eichmann as a sadistic monster was fundamentally wrong, that he came closer to being an uninspired bureaucrat who simply sat at his desk and did his job.
For asserting these views, Arendt became the object of onsiderable scorn, even calumny. Somehow, it was felt that the monstrous deeds carried out by Eichmann required a brutal, twisted, and sadistic personality, evil incarnate. After witnessing hundreds of ordinary people submit to the authority in our own experiments, I must conclude that Arendt’s conception of the banality of evil comes closer to the truth than one might dare imagine. The ordinary person who shocked the victim did so out of a sense of obligation-a conception of his duties as a subject-and not from any peculiarly aggressive tendencies.
De nombreux sujets obéiront à l'expérimentateur, quelle que soit la véhémence des supplications de la personne soumise aux chocs, quelle que soit la douleur apparente des chocs et quelle que soit la force des supplications de la victime pour qu'on la laisse sortir. Ce phénomène a été observé à maintes reprises dans nos études et dans plusieurs universités où l'expérience a été répétée. C'est la volonté extrême des adultes de faire presque n'importe quoi sur l'ordre d'une autorité qui constitue la principale conclusion de l'étude et le fait qui demande l'explication la plus urgente.
Une explication couramment avancée est que ceux qui choquaient la victime au niveau le plus sévère étaient des monstres, la frange sadique de la société. Mais si l'on considère que près des deux tiers des participants entrent dans la catégorie des sujets "obéissants" et qu'ils représentaient des personnes ordinaires issues des classes ouvrières, des cadres et des professions libérales, l'argument devient très fragile.
En effet, il rappelle fortement la question soulevée par le livre de Hannah Arendt de 1963, "Eichmann à Jérusalem".
Arendt soutenait que les efforts de l'accusation pour dépeindre Eichmann comme un monstre sadique étaient fondamentalement erronés, qu'il était plus proche d'un bureaucrate sans inspiration qui s'asseyait simplement à son bureau et faisait son travail.
Pour avoir affirmé ces opinions, Arendt est devenue l'objet d'un mépris considérable, voire de calomnies. D'une certaine manière, on estimait que les actes monstrueux accomplis par Eichmann exigeaient une personnalité brutale, tordue et sadique, le mal incarné. Après avoir vu des centaines de personnes ordinaires se soumettre à l'autorité dans nos propres expériences, je dois conclure que la conception d'Arendt de la banalité du mal est plus proche de la vérité qu'on n'oserait l'imaginer. La personne ordinaire qui a choqué la victime l'a fait par sens de l'obligation - une conception de ses devoirs en tant que gardien de la paix. d'obligation - une conception de ses devoirs en tant que sujet - et non pas en raison de tendances agressives particulières.
This is, perhaps, the most fundamental lesson of our study: ordinary people, simply doing their jobs, and without any particular hostility on their part, can become agents in a terrible destructive process.
Moreover, even when the destructive effects of their work become patently clear, and they are asked to carry out actions incompatible with fundamental standards of morality, relatively few people have the resources needed to resist authority. Avariety of inhibitions against disobeying authority come into play and successfully keep the person in his place.
Sitting back in one’s armchair, it is easy to condemn the actions of the obedient subjects. But those who condemn the subjects measure them against the standard of their own ability to formulate highminded moral prescriptions. That is hardly a fair standard. Many of the subjects, at the level of stated opinion, feel quite as strongly as any of us about the moral requirement of refraining from action against a helpless victim. They, too, in general terms know what ought to be done and can state their values when the occasion arises. This has little, if anything, to do with their actual behavior under the pressure of circumstances.
C'est peut-être la leçon la plus fondamentale de notre étude : des gens ordinaires, qui font simplement leur travail, et sans hostilité particulière de leur part, peuvent devenir les agents d'un terrible processus de destruction.
En outre, même lorsque les effets destructeurs de leur travail apparaissent clairement et qu'on leur demande de mener des actions incompatibles avec les normes morales fondamentales, relativement peu de personnes disposent des ressources nécessaires pour résister à l'autorité. Toute UNE SERIE D'INHIBITIONS CONTRE LA DESOBEISSANCE A L'AUTORITE entrent en jeu et réussissent à maintenir la personne à sa place.
Assis dans son fauteuil, il est facile de condamner les actions des sujets obéissants. Mais ceux qui condamnent les sujets les mesurent à l'aune de leur propre capacité à formuler des prescriptions morales élevées. Ce n'est pas une norme juste. De nombreux sujets, au niveau de l'opinion déclarée, sont tout aussi convaincus que n'importe lequel d'entre nous de l'exigence morale de s'abstenir d'agir à l'encontre d'une victime sans défense. Eux aussi, d'une manière générale, savent ce qu'il faut faire et peuvent exprimer leurs valeurs lorsque l'occasion se présente. Cela n'a pas grand-chose à voir avec leur comportement réel sous la pression des circonstances.
If people are asked to render a moral judgment on what constitutes appropriate behavior in this situation, they unfailingly see disobedience as proper. But values are not the only forces at work in an actual, ongoing situation. They are but one narrow band of causes in the total spectrum of forces impinging on a person. Many people were unable to realize their values in action and found themselves continuing in the experiment even though they disagreed with what they were doing. The force exerted by the moral sense of the individual is less effective than social myth would have us believe. Though such prescriptions as “Thou shalt not kill” occupy a pre-eminent place in the moral order, they do not occupy a correspondingly intractable position in human psychic structure. A few changes in newspaper headlines, a call from the draft board, orders from a man with epaulets, and men are led to kill with little difficulty. Even the forces mustered in a psychology experiment will go a long way toward removing the individual from moral controls. Moral factors can be shunted aside with relative ease by a calculated restructuring of the informational and social field.
Si l'on demande aux gens de porter un jugement moral sur ce qui constitue un comportement approprié dans cette situation, ils considèrent immanquablement que la désobéissance est appropriée. Mais les valeurs ne sont pas les seules forces à l'œuvre dans une situation réelle et permanente. Elles ne sont qu'un petit groupe de causes dans l'ensemble des forces qui s'exercent sur une personne. De nombreuses personnes ont été incapables de réaliser leurs valeurs en action et se sont retrouvées à poursuivre l'expérience même si elles n'étaient pas d'accord avec ce qu'elles faisaient. La force exercée par le sens moral de l'individu est moins efficace que ce que le mythe social voudrait nous faire croire. Bien que des prescriptions telles que "Tu ne tueras point" occupent une place prééminente dans l'ordre moral, elles n'occupent pas une position aussi intraitable dans la structure psychique de l'homme. Quelques changements dans les titres des journaux, un appel de la commission de recrutement, des ordres d'un homme portant des épaulettes, et les hommes sont amenés à tuer sans grande difficulté. Même les forces rassemblées dans le cadre d'une expérience psychologique contribueront largement à soustraire l'individu aux contrôles moraux. Les facteurs moraux peuvent être écartés avec une relative facilité par une restructuration calculée du champ informationnel et social.
What, then, keeps the person obeying the experimenter? First, there is a set of “binding factors” that lock the subject into the situation. They include such factors as politeness on his part, his desire to uphold his initial promise of aid to the experimenter, and the awkwardness of withdrawal. Second, a number of adjustments in the subject’s thinking occur that undermine his resolve to break with the authority. The adjustments help the subject maintain his relationship with the experimenter, while at the same time reducing the strain brought about by the experimental conflict. They are typical of thinking that comes about in obedient persons when they are instructed by authority to act against helpless individuals.
One such mechanism is the tendency of the individual to become so absorbed in the narrow technical aspects of the task that he loses sight of its broader consequences. The film Dr. Strangelove brilliantly satirized the absorption of a bomber crew in the exacting technical procedure of dropping nuclear weapons on a country. Similarly, in this experiment, subjects become immersed in the procedures, reading the word pairs with exquisite articulation and pressing the switches with great care. They want to put on a competent performance, but they show an accompanying narrowing of moral concern. The subject entrusts the broader tasks of setting goals and assessing morality to the experimental authority he is serving.
Qu'est-ce qui fait que la personne obéit à l'expérimentateur ? Tout d'abord, il existe un ensemble de "facteurs contraignants" qui enferment le sujet dans la situation. Il s'agit notamment de facteurs tels que la politesse de sa part, son désir de tenir sa promesse initiale d'aide à l'expérimentateur et la gêne occasionnée par le retrait. Deuxièmement, un certain nombre d'ajustements dans la pensée du sujet se produisent et sapent sa détermination à rompre avec l'autorité. Ces ajustements aident le sujet à maintenir sa relation avec l'expérimentateur, tout en réduisant la tension provoquée par le conflit expérimental. Ils sont typiques des pensées qui apparaissent chez les personnes obéissantes lorsque l'autorité leur donne l'ordre d'agir contre des individus sans défense.
L'un de ces mécanismes est la tendance de l'individu à être tellement absorbé par les aspects techniques étroits de la tâche qu'il en perd de vue les conséquences plus larges. Le film "Dr. Strangelove" a brillamment satirisé l'absorption de l'équipage d'un bombardier dans la procédure technique exigeante du largage d'armes nucléaires sur un pays. De même, dans cette expérience, les sujets s'immergent dans les procédures, lisent les paires de mots avec une articulation exquise et appuient sur les interrupteurs avec beaucoup de soin. Ils veulent se montrer compétents, mais ils font preuve d'un rétrécissement de leurs préoccupations morales. Le sujet confie les tâches plus larges de définition des objectifs et d'évaluation de la moralité à l'autorité expérimentale qu'il sert.
The most common adjustment of thought in the obedient subject is for him to see himself as not responsible for his own actions. He divests himself of responsibility by attributing all initiative to the experimenter, a legitimate authority. He sees himself not as a person acting in a morally accountable way but as the agent of external authority. In the post experimental interview, when subjects were asked why they had gone on, a typical reply was: “I wouldn’t have done it by myself. I was just doing what I was told.” Unable to defy the authority of the experimenter, they attribute all responsibility to him. It is the old story of “just doing one’s duty” that was heard time and time again in the defense statements of those accused at Nuremberg. But it would be wrong to think of it as a thin alibi concocted for the occasion.
Rather, it is a fundamental mode of thinking for a great many, people once they are locked into a subordinate position in a structure of authority. The disappearance of a sense of responsibility is the most far-reaching consequence of submission to authority.
L'ajustement de pensée le plus courant chez le sujet obéissant est de se considérer comme non responsable de ses actes. Il se déresponsabilise en attribuant toute initiative à l'expérimentateur, une autorité légitime. Il ne se voit pas comme une personne agissant de manière moralement responsable, mais comme l'agent d'une autorité extérieure. Lors de l'entretien post-expérimental, lorsque l'on demandait aux sujets pourquoi ils avaient continué, une réponse typique était : "Je ne l'aurais pas fait moi-même. J'ai juste fait ce qu'on m'a dit de faire". Incapables de défier l'autorité de l'expérimentateur, ils lui attribuent toute la responsabilité. C'est la vieille histoire du "je ne faisais que mon devoir" que l'on a entendue à maintes reprises dans les déclarations de la défense des accusés de Nuremberg. Mais il serait erroné de penser qu'il s'agit d'un mince alibi concocté pour l'occasion.
Il s'agit plutôt d'un mode de pensée fondamental pour un grand nombre de personnes dès lors qu'elles sont enfermées dans une position de subordination au sein d'une structure d'autorité. La DISPARITION DU SENS DES RESPONSABILITES est la conséquence la plus profonde de la soumission à l'autorité.
Although a person acting under authority performs actions that seem to violate standards of conscience, it would not be true to say that he loses his moral sense. Instead, it acquires a radically different focus. He does not respond with a moral sentiment to the actions he performs. Rather, his moral concern now shifts to a consideration of how well he is living up to the expectations that the authority has of him. In wartime, a soldier does not ask whether it is good or bad to bomb a hamlet; he does not experience, shame or guilt in the destruction of a village: rather he feels pride or shame depending on how well he has performed the mission assigned to him.
Bien qu'une personne agissant sous autorité accomplisse des actions qui semblent violer les normes de la conscience, il serait faux de dire qu'elle perd son sens moral. Au contraire, il acquiert une orientation radicalement différente. Elle ne réagit pas avec un sentiment moral aux actions qu'elle accomplit. Au contraire, sa préoccupation morale s'oriente désormais vers une réflexion sur la manière dont il répond aux attentes de l'autorité à son égard. En temps de guerre, un soldat ne se demande pas s'il est bon ou mauvais de bombarder un hameau ; il n'éprouve pas de honte ou de culpabilité à détruire un village : il ressent plutôt de la fierté ou de la honte en fonction de la manière dont il a rempli la mission qui lui a été confiée.
Another psychological force at work in this situation may be termed “counter-anthropomorphism.” For decades psychologists have discussed the primitive tendency among men to attribute to inanimate objects and forces the qualities of the human species. A countervailing tendency, however, is that of attributing an impersonal quality to forces that are essentially human in origin and maintenance. Some people treat systems of human origin as if they existed above and beyond any human agent, beyond the control of whim or human feeling. The human element behind agencies and institutions is denied. Thus, when the experimenter says, “The experiment requires that you continue,” the subject feels this to be an imperative that goes beyond any merely human command. He does not ask the seemingly obvious question, “Whose experiment? Why should the designer be served while the victim suffers?” The wishes of a -man-the designer of the experiment-have become part of a schema which exerts on the subject’s mind a force that transcends the personal. “It’s got to go on. It’s got to go on,” repeated onesubject. He failed to realize that a man like himself wanted it to go on. For him the human agent had faded from the picture, and "The Experiment” had acquired an impersonal momentum of its own.
No action of itself has an unchangeable psychological quality. Its meaning can be altered by placing it in particular contexts. An American newspaper recently quoted a pilot who conceded that Americans were bombing Vietnamese men, women, and children but felt that the bombing was for a “noble cause” and thus was justified. Similarly, most subjects in the experiment see their behavior in a larger context that is benevolent and useful to society-the pursuit of scientific truth. The psychological laboratory has a strong claim to legitimacy and evokes ·trust and confidence in those who come to perform there. An action such as shocking a victim, which in isolation appears evil, acquires a totally different meaning when placed in this setting. But allowing an act to be dominated by its context, while neglecting its human consequences, can be dangerous in the extreme.
Une autre force psychologique à l'œuvre dans cette situation peut être qualifiée de "contre-anthropomorphisme". Pendant des décennies, les psychologues ont discuté de la tendance primitive des hommes à attribuer aux objets et aux forces inanimés les qualités de l'espèce humaine. Il existe cependant une tendance inverse, qui consiste à attribuer une qualité impersonnelle à des forces dont l'origine et le maintien sont essentiellement humains. Certains traitent les systèmes d'origine humaine comme s'ils existaient au-dessus et au-delà de tout agent humain, hors du contrôle des caprices ou des sentiments humains. L'élément humain derrière les agences et les institutions est nié. Ainsi, lorsque l'expérimentateur dit lorsque l'expérimentateur dit : "L'expérience exige que vous continuiez", le sujet ressent cela comme un impératif qui va au-delà de tout commandement purement humain. Il ne pose pas la question apparemment évidente : "À qui appartient l'expérience ? Pourquoi le concepteur devrait-il être servi alors que la victime souffre ?" Les souhaits d'un homme - le concepteur de l'expérience - sont devenus partie intégrante d'un schéma qui exerce sur l'esprit du sujet une force qui transcende l'aspect personnel. "Il faut que ça continue. Il faut que ça continue", répétait un sujet. Il ne se rendait pas compte qu'un homme comme lui voulait que cela continue. Pour lui, l'agent humain s'était effacé du tableau, et "l'expérience" avait acquis un élan impersonnel qui lui était propre.
Aucune action n'a en soi une qualité psychologique immuable. Sa signification peut être modifiée en la plaçant dans des contextes particuliers. Un journal américain a récemment cité un pilote qui admettait que les Américains bombardaient des hommes, des femmes et des enfants vietnamiens, mais qui estimait que ces bombardements servaient une "noble cause" et étaient donc justifiés. De même, la plupart des sujets de l'expérience considèrent leur comportement dans un contexte plus large, bienveillant et utile à la société, celui de la recherche de la vérité scientifique. Le laboratoire psychologique a une forte prétention à la légitimité et suscite la confiance de ceux qui viennent y travailler. Une action telle que choquer une victime, qui isolément semble mauvaise, acquiert une signification totalement différente lorsqu'elle est placée dans ce cadre. dans ce cadre. Mais laisser un acte être dominé par son contexte, tout en négligeant ses conséquences humaines, peut être dangereux à l'extrême.
At least one essential feature of the situation in Germany was not studied here-namely, the intense devaluation of the victim prior to action against him. For a decade and more, vehement anti-Jewish propaganda systematically prepared the German population to accept the destruction of the Jews. Step by step the Jews were excluded from the category of citizen and national, and finally were denied the status of human beings. Systematic devaluation of the victim provides a measure of psychological justification for brutal treatment of the victim and has been the constant accompaniment of massacres,
pogroms, and wars. In all likelihood, our subjects would have experienced greater ease in shocking the victim had he been convincingly portrayed as a brutal criminal or a pervert.
Of considerable interest, however, is the fact that many subjects harshly devalue the victim as a consequence of acting against him. Such comments as, “He was so stupid and stubborn he deserved to get shocked,” were common. Once having acted against the victim, these subjects found it necessary to view him as an unworthy individual, whose punishment was made inevitable by his own deficiencies of intellect and character.
Au moins une caractéristique essentielle de la situation en Allemagne n'a pas été étudiée ici, à savoir l'intense dévalorisation de la victime avant l'action contre elle. Pendant une décennie et plus, une propagande antijuive véhémente a systématiquement préparé la population allemande à accepter la destruction des Juifs. Petit à petit, les Juifs ont été exclus de la catégorie des citoyens et des ressortissants, pour finalement se voir refuser le statut d'êtres humains. La dévalorisation systématique de la victime fournit une mesure de justification psychologique au traitement brutal de la victime et a été l'accompagnement constant des massacres, des pogroms et des guerres,
pogroms et des guerres. Selon toute vraisemblance, nos sujets auraient eu plus de facilité à choquer la victime si celle-ci avait été présentée de manière convaincante comme un criminel brutal ou un pervers.
Il est toutefois très intéressant de noter que de nombreux sujets dévalorisent sévèrement la victime après avoir agi contre elle. Des commentaires tels que "Il était tellement stupide et têtu qu'il méritait d'être choqué" sont fréquents. Après avoir agi contre la victime, ces sujets ont jugé nécessaire de la considérer comme un individu indigne, dont la punition était rendue inévitable par ses propres déficiences intellectuelles et caractérielles.
Many of the people studied in the experiment were in some sense against what they did to the learner, and many protested even while they obeyed. But between thoughts, words, and the critical step of disobeying a malevolent authority lies another ingredient, the capacity for transforming beliefs and values into action. Some subjects were totally convinced of the wrongness of what they were doing but could not bring themselves to make an open break with authority. Some derived satisfaction from their thoughts and felt that-within themselves, at least-they had been on the side of the angels. What they failed to realize is that subjective feelings are largely irrelevant to the moral issue at hand so long as they are not transformed into action. Political control is effected through action. The attitudes of the guards at a concentration camp are of no consequence when in fact they are allowing the slaughter of innocent men to take place before them. Similarly, so-called “intellectual resistance” in occupied Europe- in which persons by a twist of thought felt that they had defied the invader-was merely indulgence in a consoling psychological mechanism. Tyrannies are perpetuated by diffident men who do not possess the courage to act out their beliefs. Time and again in the experiment people disvalued what they were doing but could not muster the inner resources to translate their values into action.
De nombreuses personnes étudiées dans le cadre de l'expérience étaient d'une certaine manière opposées à ce qu'elles ont fait à l'apprenant, et beaucoup ont protesté alors même qu'elles obéissaient. Mais entre les pensées, les mots et l'étape critique de la désobéissance à une autorité malveillante se trouve un autre ingrédient, la capacité à transformer les croyances et les valeurs en actions. Certains sujets étaient totalement convaincus du caractère répréhensible de leurs actes, mais ne pouvaient se résoudre à rompre ouvertement avec l'autorité. D'autres ont tiré satisfaction de leurs réflexions et ont eu le sentiment - en leur for intérieur du moins - d'avoir été du côté des anges. Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que les sentiments subjectifs sont largement sans rapport avec la question morale en jeu tant qu'ils ne se transforment pas en action. Le contrôle politique s'effectue par l'action. L'attitude des gardiens d'un camp de concentration n'a aucune importance lorsqu'ils permettent le massacre d'innocents sous leurs yeux. De même, la soi-disant "résistance intellectuelle" dans l'Europe occupée - où les personnes, par un détour de la pensée, avaient l'impression de défier l'envahisseur - n'était qu'une complaisance dans un mécanisme psychologique réconfortant. Les tyrannies sont perpétuées par des hommes timides qui n'ont pas le courage de mettre en pratique leurs convictions. À maintes reprises au cours de l'expérience, des personnes ont désapprouvé ce qu'elles faisaient, mais n'ont pas réussi à rassembler les ressources intérieures nécessaires pour traduire leurs valeurs en actes.
A variation of the basic experiment depicts a dilemma more common than the one outlined above: the subject was not ordered to push the trigger that shocked the victim, but merely to perform a subsidiary act (administering the word-pair test) before another subject actually delivered the shock. In this situation, 37 of 40 adults from the New Haven area continued to the highest shock level on the generator. Predictably, subjects excused their behavior by saying that the responsibility belonged to the man who actually pulled the switch.
This may illustrate a dangerously typical situation in complex society: it is psychologically easy to ignore responsibility when one is only an intermediate link in a chain of evil action but is far from the final consequences of the action. Even Eichmann was sickened when he toured the concentration camps, but to participate in mass murder he had only to sit at a desk and shuffle papers. At the Same time the man in the camp who actually dropped Cyclon-B into the gas chambers was able to justify his behavior on the grounds that be was only following orders from above. Thus there is a fragmentation of the total human act; no one man decides to carry out the evil act and is confronted with its consequences.
The person who assumes full responsibility for the act has evaporated. Perhaps this is the most common characteristic of socially organized evil in modern society.
Une variante de l'expérience de base illustre un dilemme plus courant que celui décrit ci-dessus : le sujet n'a pas reçu l'ordre d'appuyer sur la gâchette qui a provoqué le choc, mais simplement d'effectuer un acte subsidiaire (administrer le test des paires de mots) avant qu'un autre sujet ne délivre effectivement le choc. Dans cette situation, 37 des 40 adultes de la région de New Haven ont continué jusqu'au niveau de choc le plus élevé du générateur. Comme on pouvait s'y attendre, les sujets ont excusé leur comportement en disant que la responsabilité incombait à l'homme qui avait appuyé sur l'interrupteur.
Cela peut illustrer une situation dangereusement typique dans une société complexe : il est psychologiquement facile d'ignorer la responsabilité lorsque l'on n'est qu'un maillon intermédiaire dans une chaîne d'actions malveillantes, mais que l'on est LOIN DES CONSEQUENCES FINALES DE L'ACTION.
Même Eichmann a été écœuré lorsqu'il a visité les camps de concentration, mais pour participer à un meurtre de masse, il lui suffisait de s'asseoir à un bureau et de mélanger des papiers. Dans le même temps, l'homme qui, dans le camp, a largué du Cyclon-B dans les chambres à gaz a pu justifier son comportement en affirmant qu'il ne faisait qu'obéir à des ordres venus d'en haut. Il y a donc une fragmentation de l'acte humain total ; ce n'est pas un seul homme qui décide d'accomplir l'acte maléfique et qui est confronté à ses conséquences.
La personne qui assume l'entière responsabilité de l'acte s'est évaporée. C'est peut-être la caractéristique la plus commune du mal socialement organisé dans la société moderne.
THE PROBLEM OF OBEDIENCE, THEREFORE, IS NOT ONLY WHOLLY PSYCHOLOGICAL. The form and shape of society and the way it is developing have much to do with it. There was a time, perhaps, when men were able to give a fully human response to any situation because they were fully absorbed in it as human beings. But as soon as there was a division of labor among men, things changed. Beyond a certain point, the breaking up of society into people carrying out narrow and very special jobs takes away from the human quality of work and life. A person does not get to see the whole situation but only a small part of it, and is thus unable to act without some kind of over-all direction. He yields to authority but in doing so is alienated from his own actions.
George Orwell caught the essence of the situation when he wrote :
As I write, highly civilized human beings are flying overhead, trying to kill me. They do not feel any enmity against me as an individual, nor I against them. They are only “doing their duty,” as the saying goes.
Most of them, I have no doubt, are kind-hearted law abiding men who would never dream of committing murder in private life. On the other hand, if one of them succeeds in blowing me to pieces with a well- placed bomb, he will never sleep any the worse for it.
Le problème de l'obéissance n'est donc pas entièrement psychologique. La forme de la société et son évolution y sont pour beaucoup. Il fut un temps, peut-être, où les hommes étaient capables de donner une réponse pleinement humaine à n'importe quelle situation parce qu'ils étaient entièrement absorbés par elle en tant qu'êtres humains. Mais dès qu'il y a eu une division du travail entre les hommes, les choses ont changé. Au-delà d'un certain point, l'éclatement de la société en personnes effectuant des tâches étroites et très particulières enlève au travail et à la vie leur qualité humaine. L'homme ne voit pas l'ensemble de la situation, mais seulement une petite partie, et il est donc incapable d'agir sans une certaine direction générale. Il se soumet à l'autorité, mais ce faisant, il s'éloigne de ses propres actions.
George Orwell a saisi l'essence de la situation lorsqu'il a écrit :
Au moment où j'écris, des êtres humains hautement civilisés me survolent pour essayer de me tuer. Ils ne ressentent aucune inimitié envers moi en tant qu'individu, ni moi envers eux. Ils ne font que "leur devoir", comme on dit.
La plupart d'entre eux, je n'en doute pas, sont des hommes de cœur qui respectent la loi et qui ne songeraient jamais à commettre un meurtre dans leur vie privée. En revanche, si l'un d'entre eux réussit à me faire exploser avec une bombe bien placée, il n'en dormira jamais plus mal."
The ability to disobey - La capacité à désobéir ...
Qu'est-ce qui fait qu'une personne est capable de désobéir à l'autorité, alors que les autres ne le peuvent pas ? La désobéissance est difficile. Les sujets de Milgram avaient généralement le sentiment que leur allégeance allait à l'expérience et à l'expérimentateur ; seuls quelques-uns étaient capables de briser ce sentiment et de placer la personne souffrant sur la chaise au-dessus du système d'autorité. Milgram a remarqué qu'il y avait un grand fossé entre le fait de protester contre le mal qui était fait (ce que presque tous les sujets ont fait) et le fait de refuser de poursuivre l'expérience. C'est pourtant le saut que font les quelques personnes qui désobéissent à l'autorité pour des raisons éthiques ou morales. Ils affirment leurs convictions personnelles en dépit de la situation, alors que la plupart d'entre nous se plient à la situation. C'est la différence entre un héros qui est prêt à risquer sa vie pour sauver celle des autres et un Eichmann. La culture nous a appris à obéir à l'autorité, remarque Milgram, mais pas à désobéir à une autorité moralement répréhensible.
L'obéissance à l'autorité ne semble guère nous rassurer sur la nature humaine. Parce que nous avons évolué dans des hiérarchies sociales claires pendant des milliers d'années, une partie du câblage de notre cerveau nous pousse à obéir aux personnes qui sont "au-dessus" de nous. Pourtant, ce n'est qu'en connaissant cette forte tendance que nous pouvons éviter de nous mettre dans des situations où nous pourrions commettre le mal. Toute idéologie nécessite un certain nombre de personnes obéissantes pour agir en son nom et, dans le cas de l'expérience de Milgram, l'idéologie qui a impressionné les sujets n'était ni la religion, ni le communisme, ni un dirigeant charismatique. Apparemment, les gens feront des choses au nom de la science, tout comme les inquisiteurs espagnols torturaient les gens au nom de Dieu. Si la "cause" est suffisamment importante, il est facile de voir comment la douleur infligée à un autre être vivant peut être justifiée sans trop de difficultés.
Le fait que notre besoin d'obéissance l'emporte souvent sur une éducation ou un conditionnement antérieur à la compassion, à l'éthique ou aux préceptes moraux suggère que l'idée chère du libre arbitre humain est un mythe. D'un autre côté, les descriptions de Milgram concernant les personnes qui ont réussi à refuser de donner d'autres chocs devraient nous donner de l'espoir quant à la manière dont nous pourrions agir dans une situation similaire. Il est peut-être dans notre héritage d'obéir aveuglément à l'autorité, mais il est aussi dans notre nature de mettre de côté l'idéologie si cela signifie causer de la douleur, et d'être prêt à placer une personne au-dessus d'un système.
Les expériences de Milgram auraient pu être moins connues si "Obedience to Authority" n'avait pas été une œuvre scientifique captivante. C'est un livre que toute personne intéressée par le fonctionnement de l'esprit devrait avoir dans sa bibliothèque...