Femina
Feminisme - Judy Chicago (1939) - Louise Joséphine Bourgeois (1911-2010) - Nancy Spero (1926-2009) - Guerrilla Girls - Carolee Schneemann (1939-2019) -
Valie Export (1940) - Judith Bernstein (1942) - Barbara Kruger (1945) - Rosemarie Trockel (1952) - Carolyn Kizer (1925-2014) - Adrienne Rich (1929-2012) - ...
Last update: 2019/03/03
Les Femmes par les femmes - L'art féministe fait surgir des thématiques ignorées, inconnues de l'histoire de l'art, la maternité, l'accouchement sont par exemple des expériences humaines universelles au cœur de la vie des femmes, pourquoi, se demande Judy Chicago, n'en trouvons-nous aucune représentation artistique? De même, plus que tout autre, l'art qu'exprime la femme reflète très profondément ses expériences de vie, parfois les plus intimes, empruntant le plus souvent la voie du symbolisme: Georgia O’Keeffe, dans son existence comme dans son oeuvre, dans ses silences comme dans ses passions, en est l'exemple le plus emblématique, ne peignant, disait-elle, que ce qu'elle ressentait et retrouvait en harmonie dans le monde environnant...
Women by Women - Feminist art brings to the fore ignored themes, unknown in art history, maternity and childbirth are universal human experiences at the heart of women's lives, why, Judy Chicago asks herself, can we find no artistic representation of them? Likewise, more than any other, the art that women express reflects very deeply their life experiences, sometimes the most intimate, most often following the path of symbolism: Georgia O'Keeffe, in her existence as in her work, in her silences as in her passions, is the most emblematic example, painting, she said, only what she felt and found in harmony in the surrounding world...
Mujeres por mujeres - El arte feminista da lugar a temas ignorados, desconocidos en la historia del arte, la maternidad y el parto son experiencias humanas universales en el corazón de la vida de las mujeres, ¿por qué, se pregunta Judy Chicago, no encontramos ninguna representación artística de ellas? Asimismo, más que ningún otro, el arte que expresan las mujeres refleja muy profundamente sus experiencias vitales, a veces las más íntimas, siguiendo más a menudo el camino del simbolismo: Georgia O'Keeffe, tanto en su existencia como en su obra, en sus silencios como en sus pasiones, es el ejemplo más emblemático, la pintura, dijo, sólo lo que sentía y encontraba en armonía en el mundo que la rodeaba....
En 1971, dans un essai qui est devenu l’une des pierres angulaires de l’histoire de l’art féministe, Linda Nochlin a soulevé la question entendue dans le monde entier : « Why have there been no great women artists? » (Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes femmes artistes?. Depuis les années 1970, à la suite de ce type de prise de conscience, le discours féministe autour de l’art s’est élargi, abordant plus largement les formes d’activisme, l’idée d’une esthétique féministe, le corps féminin, la sexualité et la représentation. Le recadrage des contributions féminines à l’histoire de l’art est toujours en cours, Flavia Frigeri, dans "Women Artists" (2019), met ainsi l’accent sur cinquante femmes artistes diverses, d’Artemisia Gentileschi à Judy Chicago, Ana Mendieta, et les Guerrilla Girls à Barbara Kruger, Cindy Sherman et Mona Hatoum, qui participe à la compréhension de l’art féministe à propos duquel les interrogations se poursuivent, certes, mais qui cherche sa voie, ou ses différents modes d'expression qui n'ont pas encore sans doute cessé de nous étonner ...
Dans l'art féministe, peindre avec son corps de femmes n'a plus la même signification avant et après les années 1960-1970. Georgia O'Keeffe (1887-1986) et ses fleurs géantes en forme de vulve, Agnes Martin (1912-2004) et ses peintures abstraites aux formes organiques, Lee Krasner (1908-1984), qui mêle abstraction géométrique et expressionnisme, expriment une intériorité sensuelle, parlent de fleurs vaginales ou entendent redéfinir la beauté, une beauté de femme dite par des femmes, ressentie par des femmes. Les décennies qui suivent expérimentent la liberté du corps, on parle de chair, de sang, de sécrétions, on investit le langage cru de l'homme pour exhiber une liberté totale et provocante. Exprimer la liberté de la femme est une quête que poursuit l'américaine Carolee Schneemann (1939-2019), qui fait de son corps l'outil de création essentiel, exprimé dans le body art et le Kinetic Theater dont "Meat Joy" (1964) constitue l'une de ses plus célèbres performances : huit artistes recouverts de peinture, de papier et de pinceaux rampent et écrivent ensemble tout en jouant avec des morceaux de poisson, de viande et de volaille crus, célébrant la chair comme un matériau artistique délivré de toute convention. L'autrichienne Valie Export (Waltraud Lehner, 1940), artiste phare de la vidéo conceptuelle, ressent la "nécessité" d’utiliser son corps de la femme pour créer de l’art en expérimentant tous les nouveaux mediums possibles. La voici déambulant dans la rue en portant sur ses seins une boîte en carton sous la forme d’une mini-télévision où elle propose aux passants de lui toucher la poitrine (performance "Tap and touch cinema",1968), surgissant dans un cinéma porno armée d'une mitraillette et le sexe à découvert (Génital Panik, 1969), se représente nue et enchaînée, encerclée par trois chien-loups aboyant violemment et suscitant une angoisse partagée (I Beat it, 1980). En 1985, son long métrage expérimental "The Pratice of love" semble montrer que tout amour est inenvisageable dans un monde masculin dominé uniquement par la question du sexe : l'amour n'est pas objectivable...
Plus politiquement agressive, la new-yorkaise Judith Bernstein (1942) associe activisme féministe et anti-war dans de provoquants dessins et peintures phalliques, dont le fameux "anthropomorphized screw". Betty Tompkins (1945), native de Washington, D.C, utilise le photoréalisme pour explorer l'intimité des actes tant hétérosexuels qu'homosexuels, vision animale qui se veut ironisante. Toutes deux ont joué le scandale et la provocation, attitude sans doute contre-productive dans l'optique d'un monde l'art débarrassé de tous ses préjugés sexistes ou raciaux. Mais les hommes ne sont pas ici sans responsabilité...
A contrario, Rosemarie Trockel (1952), native de Schwerte (Allemagne), se fait connaître avec ses "Wool works" au milieu des années 1980, réalisant par l'intermédiaire d'une machine à tricoter électronique des motifs comme le lapin Play Boy, une faucille et un marteau : elle dit avoir sorti de son contexte la laine, considérée comme un matériau de femme, pour la retravailler dansun processus de production neutre. Mais sa démarche n'est pas uniquement féministe, et, à l'exemple d'artistes conceptuelles qui se veulent d'emblée "globalement subversives", comme Barbara Kruger, Jenny Holzer (Truismes, 1977, Installation for Bilbao, 1997), Cindy Sherman (Untitled A-E , 1975, Untitled Film Stills, 1977), Louise Lawler (Birdcalls, 1972, A Movie Will Be Shown Without the Picture, 1979), Rosemarie Trockel s'engage dans un travail artistique multiforme qui n’a de cesse de se renouveler et vouloir intégrer la démarche artistique et l'oeuvre produite au coeur du monde social et politique environnant....
Judy Chicago, "The Dinner Party" (1974-1979)
"How many women had struggled into prominence or been able to make their ideas known—sometimes in the face of overwhelming obstacles—only to have their
hard-earned achievements marginalized or erased"- "The Dinner Party", de Judy Chicago est considérée comme une oeuvre emblématique de l'art féministe. Cette artiste, qui vit en Californie et
a rejeté son nom de famille pour s'affranchir de toute domination masculine, a fondé en 1978 "Through the Flower", une organisation non lucrative destinée à promouvoir l'art comme un instrument
crucial d'émancipation féminine. "The Dinner Party" est une oeuvre hors norme, réalisée de 1974 à 1979 et exposée au Brooklyn Museum de New York (Elizabeth A.Sackler Center for Feminist
Art), qui entend enseigner aux générations futures le legs fondamental des femmes à l'histoire de l'humanité et leur contribution majeure à la civilisation occidentale. La configuration choisie
est celle d'une immense table triangulaire (symbole de l'égalité) posée sur un sol en porcelaine où sont gravées les noms de 999 femmes qui contextualisent 39 autres femmes représentées par 39
couverts, comprenant une assiette en céramique et un napperon brodé conçus d'une manière unique suivant la personnalité à laquelle ils sont consacrés. The Dinner Party célèbre les
réalisations traditionnelles des femmes telles que les arts textiles (tissage, broderie, couture) et la peinture sur porcelaine, qui ont été présentés comme de l'artisanat ou de l'art domestique,
par opposition aux beaux-arts plus valorisés sur le plan culturel, dominés par les hommes. La disposition fait explicitement référence à "La Cène" de Léonard de Vinci où apparaissent le
Christ et ses 12 apôtres, uniquement des hommes.
L'agencement des couverts suit un ordre chronologique, déesses primordiales, femmes de l'antiquité (juive, grecque, romaine), femmes du début du christianisme et de la Réforme, femmes de la révolution américaine et du suffragisme, puis pour terminer, des femmes représentatives d'une expression créative individuelle rendue palpable et visible. Cette œuvre a fait des tournées dans plus de 16 pays et a été vue par plus de 15 millions de personnes…
Place Settings - "Wing One - Prehistory to Classical Rome"
(De la préhistoire à l'Empire romain)
"Primordial Goddess"
La mise en scène de la déesse primordiale fait référence aux premières traditions de la déesse mère, qui remontent au Paléolithique, et dans lesquelles les
femmes étaient des créatrices, associées à la terre primordiale, le "vagin primitif", la source originelle de toute vie. De nombreuses images représentent la vulve, souvent avec une graine
ou un œil, permettant de relier symboliquement le corps féminin aux capacités de reproduction de la nature.
"Fertile Goddess"
Les découvertes archéologiques ont révélé des peintures et figurines de femmes aux caractéristiques sexuelles secondaires exagérées, qui mettent l'accent
sur la fertilité : les célèbres Vénus de Lespugue et Vénus de Willendorf sont des exemples du Paléolithique supérieur (30.000-10.000 av. J.-C.) qui ont pu être vénérés comme déesses. La mise en
scène rend hommage à la poterie, aux paniers et aux textiles que les femmes du Néolithique ont traditionnellement créés.
"Ishtar" (-2300)
Déesse mésopotamienne d'origine sémitique, vénérée chez les Akkadiens, Babyloniens et Assyriens, Ishtar est la déesse de l'amour et de la sexualité, et donc
de la fertilité, mais aussi déesse de la guerre et référence céleste à la planète Vénus. L'or représente sa grandeur et fait également écho à certaines des couleurs de l'architecture et du
paysage mésopotamiens, tandis que le vert est sa couleur sacrée.
"Kali" (Rg Veda, -1700–1100)
Kali est, dans l'hindouisme, la déesse de la préservation, de la transformation et de la destruction, la déesse boit le sang des démons et sa soif ne
peut jamais être étanchée. L'assiette est peinte en rouge foncé, en violet et en brun, l'imagerie du noyau central est remplie de graines symbolisant la fécondité et faisant référence à
l'association de Kali avec les cycles de la nature.
"Snake Goddess" (-3000–1100)
Découverte dans le palais de Knossos en Crète, la déesse aux serpents est devenues l'une des images emblématiques de la civilisation minoenne. L'assiette
expose quatre bras jaune pâle sortant d'une forme centrale, vulvaire, dont les formes en forme d'œuf représentent la force générative de la déesse.
"Sophia"
La déesse de la sagesse est apparue dans presque toutes les sociétés sous différentes formes, Athéna, déesse grecque de la sagesse et de la victoire
militaire, Minerve, déesse romaine de la sagesse et de la guerre, Tara, déesse bouddhiste de la compassion, Inanna, déesse sumérienne. Sophia est liée aux différentes incarnations du savoir
féminin sacré et aux déesses énumérées ci-dessus, l'une des figures centrales du gnosticisme qui met l'accent sur la connaissance et la sagesse individuelles comme chemin vers le salut et l'unité
avec Dieu. Ici, elle entend exprimer la chute du pouvoir féminin, en particulier dans sa forme religieuse, et sa transformation en une force purement spirituelle qui jouera un rôle
secondaire par rapport aux figures masculines du christianisme.
"Amazon"
Selon la mythologie grecque, les Amazones étaient des femmes guerrières vivant au nord-est de la Grèce antique à l'âge du bronze tardif, entre 1900 et 1200
avant J.-C. La source des mythes amazoniens est la littérature grecque classique, où Homère les a mentionnés pour la première fois. La mise en scène représente les femmes amazoniennes à la fois
comme guerrières et comme adoratrices de déesses.
"Hatshepsut" (-1495?/-1445?)
Hatchepsout régnait sur l'Egypte ancienne comme son véritable pharaon alors que le roi officiel était encore trop jeune pour gouverner. L'assiette
d'Hatshepsut est la première assiette de The Dinner Party à avoir une surface en relief surélevée. Il symbolise l'autorité qu'Hatchepsout a exercée sur l'Égypte en tant que pharaon féminin le
plus célèbre. Les tons bleus et rouges de la plaque rappellent les couleurs souvent vues dans les peintures et les reliefs des tombes égyptiennes.
"Judith"
L'Ancien Testament est peuplée d'héroïnes, Ruth, Judith, Esther. Judith sut faire preuve de courage et de détermination en élaborant une stratégie pour
écarter la menace d’une invasion assyrienne : elle décapita le général ennemi Holopherne et restaura la foi du peuple juif en la puissance salvatrice de son Dieu. "And no one ever again spread
terror among the people of Israel in the days of Judith or for a long time after her death" (Jud 16:25). Les couverts de Judith combinent les symboles des traditions du Moyen-Orient avec les
symboles de la féminité.
"Sappho of Lesbos" (VIIe/VIe siècle av. J.-C)
Sappho, poète prolifique de la Grèce antique, innove par sa narration à la première personne et ses hymnes à l'amour lesbien. Son "Ode to Aphrodite"
est la plus célèbre: "Deathless Aphrodite of the spangled mind, Child of Zeus, who twists lures, I beg you Do not break with hard pains, O lady, my heart But come here if ever before You caught
my voice far off And listening left your father’s golden house and came, Yoking your car. And fine birds brought you, Quick sparrows over the black earth Whipping their wings down the sky Through
midair - They arrive. But you, O blessed one, Smiled in your deathless face And asked what (now again) I have suffered and why (now again) I am calling out ...". Sa mise en scène incorpore ici la
forme florale abstraite d'une vulve avec des pétales vernissés en violet, et des motifs de l'art et de l'architecture grecs dans une palette de couleurs qui suggère la mer Egée entourant l'île de
Lesbos.
"Aspasia of Miletus" (-470/-400)
Courtisane et érudite qui sut contourner les restrictions imposées aux femmes athéniennes, Aspasia fut écoutée de Péricles et de Socrate et mentionnée par
Platon dans son dialogue Ménexène ("Je m'émerveille qu'Aspasia, qui n'est qu'une femme, soit capable de composer un tel discours"). Son assiette présente un motif floral fleuri, évocateur
de sa féminité, dans des tons de terre utilisés dans l'art et l'architecture du Vème siècle avant Jésus Christ.
"Boadaceia" (30/61)
Boadaceia, ou Boudicca, fut une reine celtique de la tribu Iceni de l'actuelle East Anglia. Elle mena une révolte contre Rome en 60/61, une révolte contée
par Publius Cornelius Tacitus (56-117) and Cassius Dio (150-235). Ici sont privilégiées de puissantes images celtiques pour la représenter comme une reine guerrière, dotée d'une force personnelle
et d'une volonté d'autonomie.
"Hypatia of Alexandria" ((355/370-415)
A la tête de l'école néoplatonicienne d'Alexandrie, au sein de laquelle elle enseigne la philosophie et l'astronomie, la païenne Hypathia est la première
mathématicienne de renom qui forma certains des plus grands esprits païens et chrétiens de l'époque, tous des hommes, et le symbole du passage entre deux mondes, celui de la philosophie vers la
religion. Les couverts d'Hypatia utilisent ici des matériaux, des motifs et des techniques de tissage du style copte de son époque.
Place Settings - "Wing Two - Christianity to the Reformation"
(Des débuts du christianisme à la Réforme)
"Marcella" (325-410)
Marcella est une patricienne romaine, dont la mémoire reste étroitement attachée, dans le christianisme, à la vie et à l'œuvre de saint Jérôme et à la
fondation du système monastique chrétien. Les couverts de Marcella sont décorés avec les symboles de sa sainteté et ceux de l'église chrétienne.
"Saint Bridget" (451-525)
Saint Bridget, avec Saint Patrick, sont les deux seuls saints consacrés de l'Irlande. Partageant le même nom qu'une déesse celtique aux nombreuses légendes,
elle fut vendue avec sa mère à un druide, qu'elle a converti au christianisme, fonda le premier couvent en Irlande et fit l'objet d'une nombreuse littérature qui rapporta sa très grande piété.
Elle est mise en scène comme une "déesse du lait et du feu", et la flamme est transposée comme une forme abstraite en rouge, orange et jaune entrelacée avec les verts et les
bleus.
"Theodora" (500- 548)
Le parcours de l'impératrice Théodora est celle d'une femme habitée par une ambition hors du commun pour l’époque, qui naquit fille de rien et parvint à
régner sur l'Empire byzantin à égalité avec son mari, Justinien. Elle est une icône de la littérature, comme une femme intrigante, sans principes et immorale, mais dont le génie et l'implication
directe dans les affaires de l'État fit l'une des femmes les plus puissantes jamais vues en Byzance. La mosaïque de l'assiette de l'impératrice Théodora rappelle ici l'image la plus connue de
Théodora, la mosaïque de l'abside de la basilique San Vitale de Ravenne, en Italie.
"Hrosvitha" (935-1000)
Hrosvitha est la première femme poète connue en Allemagne, chanoinesse d'influence de l'abbaye de Gandersheim, en Saxe, exaltant le choix d'une vie
ascétique, conduisant le plus souvent au martyr, évoquant ici le courage de ces abbesses allemandes qui parvenaient à s'imposer dans une société des plus violentes, des mains jointes en prière
sous la coiffe religieuse ou s'adonnant à l'écriture et à la préservation d'une si fragile spiritualité.
"Trotula" (1097)
Trotula de Salerne, médecin et enseignante italienne du XIe siècle, tient sa notoriété au traité médical portant sur la gynécologie qu'elle écrivit,
ouvrage de référence de la culture médiévale tardive, de l'Italie à l'Irlande, et de l'Espagne à la Pologne (Passionibus Mulierum Curandorum). Une image d'accouchement et un caducée sont ici
utilisés, associant sagesse féminine et pouvoirs de guérison.
"Eleanor of Aquitaine" (1122-1204)
Eleanor d'Aquitaine fut reine de France et d'Angleterre au XIIe siècle, ce qui en fait l'une des femmes les plus puissantes de l'époque, et sa cour
d'Aquitaine voit se développer les formes de l'amour courtois qui va gagner pour un temps toute la noblesse de l'Europe médiévale et apaiser les comportements. Elle est représentée par une fleur
de lis, la couleur bleu foncé exprime la fidélité.
"Hildegarde of Bingen" (1098-1179)
Religieuse bénédictine mystique, compositrice et femme de lettres, Hildegarde de Bingen fut une femme d'influence qui ouvrit la voie à d'autres femmes pour
réussir dans de nombreux domaines, de la théologie à la musique. La plupart de ses écrits sont réunis dans un grand livre (le Riesencodex) conservé à la bibliothèque régionale de Hesse à
Wiesbaden en Allemagne. Son assiette est peinte comme une rosace, le vitrail central de toute cathédrale gothique.
"Petronilla de Meath" (1300-1324)
Servante de Lady Alice Kyteler, l'une des premières femmes à être accusée de sorcellerie, Petronilla de Meath fut la première femme irlandaise à être brûlée
sur le bûcher pour le crime d'hérésie. Son assiette incorpore des symboles de sorcellerie, une cloche, un livre et une bougie, et les flammes semblent nourrir un feu plus délétère que
sacré.
"Christine de Pisan" (1364-1430)
Christine de Pisan fut une écrivaine et historiographe médiévale qui défendait l'égalité des femmes . Elle fut l'une des premières à décider, et à pouvoir,
vivre de sa plume. Native de Venise, elle accompagna son père, Thomas de Pisan, astrologue et secrétaire du roi Charles V de France et s'imposa sous le règne de celui-ci par ses traités de
politique, de philosophie et ses recueils de poésies (Épître à la reine Isabeau, Le Dit de la Rose, La Cité des dames, Le Livre des trois vertus à l'enseignement des dames, 1405). Son assiette
entend symboliser sous la forme d'un papillon abstrait levant une de ses ailes, peint dans des tons de rouge et de vert, une volonté de protection des femmes.
"Isabella d’Este" (1474-1539)
Isabella d'Este (Gonzaga) était une personnalité politique puissante et instruite, considérée comme le mécène le plus important de la Renaissance et mère de
sept enfants. La "Première Dame de la Renaissance" régna à Mantoue et fut apparentée à presque tous les souverains d'Italie, de naissance ou par alliance. La palette et les motifs ici privilégiés
font référence à la Renaissance et à ses innovations artistiques.
"Elizabeth R." (1533-1603)
Née en 1533, du roi Henri VIII et de sa seconde épouse, Anne Boleyn, la reine Elizabeth I, ou Elizabeth R, comme elle s'appelait elle-même, fut une reine
anglaise vénérée, membre de la famille Tudor, qui a régné sur une période de l'histoire anglaise considérée comme son "âge d'or". Le couvert de la Reine à The Dinner Party évoque la grandeur de
sa personnalité, sa volonté d'indépendance absolue et sa propension à l'extravagance. Les robes élaborées de la Reine sont suggérées par les plis ondulés représentés sur l'assiette, et les bleus
profonds, les violets et les rouges majestueux rappellent les couleurs habituellement utilisées dans ses portraits.
"Artemisia Gentileschi" (1593-1652)
Artemisia Gentileschi fut l'une des premières peintres baroques italiennes et la seule femme à suivre le Caravage, avec laquelle elle travailla en Italie au
début du XVIIe siècle. Son "Autoportrait en Allégorie de la peinture" (1638-1639) dénote une maîtrise exceptionnelle. Un procès sordide entacha sa réputation et lui inspira le célèbre "Judith
décapitant Holopherne" (1614), conservé au musée des Offices à Florence. La mise en scène privilégie ici la palette de couleurs que privilégiait l'artiste, le riche modelé de velours et le
tissu d'or (Artemisia gold) qui lui est si caractéristique.
"Anna van Schurman" (1607-1678)
Anna Maria van Schurman, enfant prodige et considérée comme la femme la plus instruite du 17ème siècle, s'interrogea sur le rôle que les femmes devraient
jouer dans la société néerlandaise: "Question celebre. S'il est nécessaire, ou non, que les filles soient sçavantes". Elle fut peinte par Jan Lievens en 1649 (National Gallery, Londres). Les
lignes fines de l'assiette et les nuances d'orange font référence à des gravures hollandaises populaires du 17ème siècle, les travaux d'aiguille que l'on privilégiait pour les jeunes filles leur
enseignaient les vertus de la féminité, en fait de "penser petit" (to think small).
Place Settings - Wing Three - American Revolution to the Women's Revolution
(De la Révolution américaine au féminisme)
"Anne Hutchinson" (1591-1643)
Anne Marbury Hutchinson fut une puritaine dissidente de la Colonie de la baie du Massachusetts. Mère de 15 enfants, entendant interpréter par elle-même la
Bible et contestant les lois puritaines, elle fut contrainte à l'exil. Elle incarne ces nombreuses femmes de l'histoire poursuivies pour leurs activités intellectuelles et leur non conformisme.
Judy Chicago sous-entend que les femmes occupaient une meilleure place dans la société avant la Renaissance et que le XVIIe siècle fut une période particulièrement difficile pour l'histoire des
femmes. La mise en scène est basée sur le deuil.
"Sacajawea" (1788-1812)
Sacajawea était une Amérindienne issue de la tribu des Shoshones qui prit part à la célèbre expédition de Lewis et Clark, la première expédition américaine
à traverser les États-Unis à terre jusqu'à la côte pacifique (1804 à 1806). Judy Chicago a voulu concevoir une symbolique typiquement amérindienne qui conjugue le papillon et le triangle, avec
des dominantes jaune, ocre, bleu. Une planchette et un capuchon perlés sont attachés au haut de l'assiette évoquant Sacajawea menant l'expédition avec son fils en bas âge sur son
dos.
"Caroline Herschel" (1750-1848)
Caroline Herschel, qui a grandi à Hanovre, en Allemagne, puis son célèbre frère William Herschel, en Angleterre, a été une astronome pionnière et la
première femme à découvrir une comète. Ses réalisations ont permis à des générations de femmes de faire carrière dans les sciences, domaine autrefois réservé exclusivement aux hommes. L'œil au
centre de l'assiette rappelle au spectateur les recherches effectuées au télescope pour découvrir les composantes de l'univers.
"Mary Wollstonecraft" (1759-1797)
L'anglaise Mary Wollstonecraft a écrit le traité le plus ancien et le plus important en faveur de l'égalité des femmes, "A Vindication of the Rights of
Woman" (1792), considéré comme le fondement de tous les mouvements modernes de défense des droits des femmes dans le monde occidental. Autodidacte, Wollstonecraft utilisa ses propres réalisations
pour démontrer l'aptitude d'une femme à la pensée indépendante et à l'excellence scolaire. Avec sa sœur Eliza et son amie Fanny Blood, elle fonde une école de filles à Londres en 1784 qui
devint une référence (Thoughts on the Education of Daughters, 1786). La mise en scène utilise un travail de broderie en relief conséquent, qui exprimer toute la trivialité de l'existence féminine
au XVIIIe siècle, en contraste avec l'assiette qui souligne métaphoriquement la volonté et à l'intelligence de Wollstonecraft.
"Sojourner Truth" (1797-1883)
Sojourner Truth, née Isabella Baumfree, a été reconnue comme l'une des premières personnes à rapprocher luttes des esclaves noirs et luttes des femmes. En
tant qu'abolitionniste et suffragiste, elle a été une force puissante dans la lutte pour la justice et l'égalité tant pour les Afro-Américains que pour les femmes aux États-Unis. "Narrative of
Sojourner Truth", publié en 1851, raconte sa vie d'esclave, sa libération en 1827 et sa métamorphose en militante. Son discours "Ain't I a Woman" prononcé à Akron (Ohio) en mai 1851, fit date :
"That man over there says that women need to be helped into carriages, and lifted over ditches, and to have the best place everywhere. Nobody ever helps me into carriages, or over
mud-puddles, or gives me any best place! And ain’t I a woman? Look at me! Look at my arm! I have ploughed and planted, and gathered into barns, and no man could head me! And ain’t I a woman? I
could work as much and eat as much as a man—when I could get it—and bear the lash as well! And ain’t I a woman?" (Cet homme là-bas dit que les femmes ont besoin qu'on les aide à monter dans
les voitures, qu'on les soulève par-dessus les fossés et qu'on leur donne la meilleure place partout. Personne ne m'aide jamais à monter dans les calèches, ni sur les flaques de boue, ni ne me
donne la meilleure place ! Et je ne suis pas une femme ? Regarde-moi ! Regarde-moi ! Regarde mon bras ! J'ai labouré et planté, et je me suis rassemblé dans des granges, et personne ne pouvait me
diriger ! Et je ne suis pas une femme ? Je pourrais travailler autant et manger autant qu'un homme - quand je pourrais l'avoir - et porter le fouet aussi ! Et je ne suis pas une femme
?)
"Susan B. Anthony" (1820-1906)
Née dans une famille quaker, la vie et l'œuvre de Susan B. Anthony donnent un aperçu des événements qui marquèrent de concert le mouvement abolitionniste et
le mouvement pour le suffrage des femmes à la fin du XIXe siècle. Anthony était le visage du mouvement pour le suffrage américain et l'un de ses principaux organisateurs. Ses actions ont
contribué à faire progresser significativement l'intégration des femmes dans le processus politique américain. Dans le cadre de The Dinner Party , Judy Chicago a privilégié une représentation
particulièrement puissante de cette combattante luttant pour une liberté qu'elle ne connut pas de son vivant, ce qu'exprime parfaitement la tridimensionnalité dynamique de
l'assiette.
"Elizabeth Blackwell" (1821-1910)
Née en Angleterre, ayant émigré avec sa famille à New York en 1832, Elizabeth Blackwell fut en 1849 la première femme à obtenir un diplôme de médecine aux
États-Unis. Le papillon symbolise tout au long de la construction de The Dinner Party, la liberté des femmes, ici les couleurs vives et torsadées contrastent avec un point central noir, métaphore
soulignant les difficultés des femmes à prendre leur envol dans un monde encore dominé par l'homme.
"Emily Dickinson" (1830-1886)
Née à Amherst dans le Massachusetts, ayant vécu une vie introvertie et recluse au sein d'une famille aisée, Emily Dickinson est considérée comme l'une des
poètes les plus célèbres de l'histoire de la littérature américaine, défiant à sa manière les attentes du XIXe siècle selon lesquelles les femmes devaient être assujetties à une société dominée
par les hommes: "They shut me up in Prose, As when a little Girl, They put me in the Closet, Because they liked me "still". Ses poèmes expriment en toute liberté ses états émotionnels et
psychologiques, la solitude, la douleur, le bonheur, l'extase, la mort, dans un style parfois inattendu, loin des conventions littéraires: "This is my letter to the World That never wrote to Me".
Elle n'a publié que sept poèmes au cours de sa vie, dont "Safe in their Alabaster Chambers", désormais bien connu, dans le Springfield Daily Republican en 1862. Après sa mort en 1886, sa sœur
Lavinia découvre près d'un millier de poèmes de Dickinson qui seront publiés à partir de 1890. Dans sa représentation, Judy Chicago expose une délicate intériorité étouffée par des couches
successives de dentelles dont le drapage, figé, évoque la rigidité de l'époque victorienne.
"Ethel Smyth" (1858-1944)
Ethel Smyth était une compositrice britannique du XXe siècle et une championne des droits des femmes et des musiciennes. "The March of Women" devint le cri
de ralliement du British Women's Movement. De son vivant, elle a composé en effet des symphonies, des œuvres chorales et des opéras, dont "The Wreckers" (1906). Malgré son immense talent, elle
rencontra de grandes difficultés dans l'interprétation de ses œuvres parce qu'elle était une femme. En 1910, Smyth rencontra Emmeline Pankhurst, une ardente féministe, l'une des fondatrices du
mouvement britannique pour le suffrage et chef de l'Union sociale et politique des femmes, un groupe militant entièrement féminin fondé en 1903 qui milite spécialement pour le suffrage féminin.
En 1912, Smyth et Pankhurst ont été arrêtés à Londres, avec 100 autres suffragettes, pour avoir lancé des pierres sur les maisons des opposants au suffrage, et fut emprisonnée pendant deux mois.
L'assiette est conçue comme un piano à queue avec un couvercle surélevé, des touches peintes et un support sur lequel figurent les notes du célèbre opéra de Smyth, The Boatswain's Mate
(1913-1914).
"Margaret Sanger" (1879-1966)
Née Margaret Louise Higgins, à Corning, New York, dans une grande famille ouvrière catholique, profondément affecté par le décès de sa mère, en 1899, des
suites d'un cancer du col de l'utérus et de la tuberculose, Margaret Sanger est une militante anarchiste américaine qui lutta pour la contraception et la liberté d'expression: elle fonda
l'American Birth Control League et diffusa l'idée qu'une femme puisse décider de quand et comment elle serait enceinte. L'assiette associée à Margaret Sanger est des plus suggestives : peinte
d'émaux rouge vif qui évoquent les organes reproducteurs féminins et le sang impliqué rappellent que de nombreuses femmes sont mortes pendant l'accouchement ou à la suite d'avortements
illégaux.
"Natalie Barney" (1876-1972)
Ayant acquis son indépendance financière, l'américaine Natalie Barney vécut à Paris et devint l'une des dernières salonnières parisiennes. Mais elle est
célèbre principalement pour avoir vécu et écrit ouvertement en tant que lesbienne, des mémoires et des épigrammes séduisant nombre de femmes s'assumant pleinement dans une époque moralisatrice à
l'excès, non sans hypocrisie, la poétesse Renée Vivien, la courtisane Liane de Pougy, la mécène Élisabeth de Clermont-Tonnerre, la peintre Romaine Brooks, la romancière Colette. L'art Nouveau et
la fleur de lys inspirent sa représentation, les tons irisés de bleu et de violet avec des accents dorés évoquent tout le glamour de la vie de Barney.
"Virginia Woolf" (1882-1941)
Née Adeline Virginia Stephen, ayant perdu sa mère en 1895 puis son père en 1904, Virginia Woolf surmonta une profonde dépression pour devenir une romancière
britannique de renom associée au mouvement moderniste en littérature, l'un des écrivains les plus novateurs du XXe siècle. Elle abordera la questions des préjugés qui entourent l'écriture des
femmes dans le monde occidental et fut associée au groupe avant-gardiste Bloomsbury. C'est à partir de 1925, avec la publication de "Mme Dalloway", que Virginia Woolf fit connaître sa singularité
de femme et d'écrivaine, tissant une prose, spontanée et fluide, emplie de gestes du quotidien et d'une vie intérieure sans équivalent dans le monde masculin de l'écriture. La tridimensionnalité
de l'assiette de Virginia Woolf, que Judy Chicago compare à une fleur en fleur, est destinée à symboliser le plaidoyer de Woolf pour une expression sans restriction.
"Georgia O’Keeffe" (1887-1986)
Georgia O'Keeffe est à la pointe du mouvement artistique féministe, travaillant dans une discipline dominée par des artistes masculins, des critiques, des
galeristes et des conservateurs, qui critiquèrent d'emblée toutes tentatives des femmes artistes. O'Keeffe est parvenue à s'imposer en développant un style de peinture distinctif qui utilise des
formes vulvaires organiques et une imagerie florale (Blue-Green Music, 1921, huile sur toile, Institut d'Art de Chicago; Black Iris III, 1926, huile sur toile, Metropolitan Museum of Art, New
York). Georgia O'Keeffe's clôture le "Dinner Party" de Judy Chicago, son assiette, incorporant les formes qu'elle utilisait dans ses oeuvres, dont la célèbre imagerie vulvaire, est la plus
élevée, signe de sa libération artistique et de son succès en tant qu'artiste féminine. Affirmant ainsi que son travail a joué un rôle central dans le développement d'une iconographie féminine
authentique: "The men liked to put me down as the best woman painter. I think I’m one of the best painters"..
Par ailleurs, Judy Chicago a créé des centaines d'œuvres qui font partie intégrante de l'art féministe, dont "Crippled by the Need to Control/Blind Individuality" (1983), "Birth Project" (1980-85), "PowerPlay" (1982-87). "Birth Project" se veut une réinterprétation du mythe de la Genèse d'un point de vue féminin, "my first ideas in developing imagery for the Birth Project involved using the birth process as a metaphor for creation". Judy Chicago réalisa des dizaines d'images combinant la peinture et la broderie pour célébrer dans une même intention les capacités créatives de la femme et les divers aspects du processus de la naissance, de la plus douloureuse à la plus mythique: "Since there were so few images, I decided that I would have to go directly to women, ask them to tell me about their birth experiences, and then use that raw material in the development of images. It is very unusual for an artist to work out of direct experience rather than out of the history of art. It requires building a form language almost 'from scratch.' In addition, gathering testimony about birth meant asking women to let me be involved with them on a very basic level..."
"PowerPlay" (1982-87) se veut la contrepartie de "Birth Project", ce n'est plus le corps de la femme qui est exprimé au travers de ses émotions les plus violentes, l'amour, la peur, le désir, la haine, le désir et la terreur, mais la masculinité et les effets de cette masculinité souvent violente sur le monde (Driving the world to destruction, 1984; In the shadow of the handgun, 1983; Really Sad/Power man, 1986; Disfigured by power, 1984). "Autobiography of a Year" (1993-1994) offre un regard très personnel en 140 dessins sur sa pratique du dessin et son processus de création artistique...
Louise Bourgeois, "Maman" (1999)
Louise Joséphine Bourgeois (1911-2010), native de Paris, est une sculptrice et plasticienne française, naturalisée américaine, qui étudia les mathématiques
avant de se tourner vers l'art et de travailler avec Fernand Léger. Elle expose pour la première fois en 1945, se consacre tout d’abord à la peinture, puis à partir de 1949 à la sculpture avec
une seule préoccupation, exprimer «le drame d’être un au milieu du monde». A partir des années 1960, elle se tourne vers des matériaux insolites, le tissu, le latex, et connaît la notoriété dans
les années 1970, une notoriété qui s'amplifiera jusqu'au début des années 1990, époque à laquelle, alors âgée de plus de quatre-vingts ans, elle réalise des sculptures au format conséquent, dont
la célèbre "Maman" (1999), évocation de la maternité sous forme d'une immense araignée d'acier (9m de haut, 10m d'envergure) perchée sur ses huit pattes, et qui abrite sous son abdomen 17 oeufs
de marbre blanc et gris. Louise Bourgeois considérait sa mère, restauratrice de tapisseries, comme une araignée bienveillante et sa mort, à l'âge de 21 ans, fut un événement déterminant : elle
entendait, dit-elle, surmonter ses peurs, celle de la disparition de sa mère, celle de ses propres enfants. Dans «The Destruction of The Father» (1974), Louise Bourgeois poursuit la
représentation de ses démons d'enfance, elle assassine son père, un père dominateur pour qui elle éprouve des sentiments contradictoires, sa liaisons avec Sadie Richmond, la femme qu'il avait
engagée pour enseigner l'anglais à ses enfants, fut ressentie comme une terrible trahison. Ici, les enfants ont attrapé le père et l'ont mis sur la table (le lit), l'ont démembré, "la table où
vos parents vous ont fait souffrir. Et le lit où tu couches avec ton mari, où tes enfants sont nés et où tu mourras"... Avec "Fillette" (1968), qui représente un phallus géant, Louise Bourgeois
évoque ses expériences d'épouse et de mère de trois garçons, la masculinité lui apparaît comme beaucoup plus vulnérable qu'elle ne l'avait imaginé, et le phallus un attribut masculin que la femme
se doit de protéger. "10 am is When You Come to Me", composée de vingt feuilles de partition peintes à la main représentant les mains de l'artiste et celles de son assistant Jerry Gorovoy
qui se touchent, s'effleurent, se rencontrent...
Nancy Spero, "Torture of Women" (1974-1976)
"Express through ephemeral monuments the full range of women's experiences, tragic and triumphant, degrading and powerful, victim and free..." - Nancy Spero
(1926-2009), native de Cleveland (Ohio) s'est formée à l'Art Institute of Chicago (1949), place forte de la peinture figurative, et à l'École des beaux-arts, à Paris (1959-1964). Dès sa première
série d'oeuvres, les War Paintings (1966-1969), elle se relève artiste d'engagement, dénonçant la guerre du Vietnam via des bombes sexualisées qui personnifient "the gendered brutality of the
conflict". Elle participe au mouvement Women Artists in Revolution (WAR), en 1972 à la naissance de la première galerie coopérative pour femmes à New York, A.I.R. Gallery (Artists In Residence),
et dès lors se consacre exclusivement à la représentation de la femme en marge du monde de l'art et de ses mouvements, utilisant des pratiques et des matériaux modestes, exprimant, dira-t-elle,
ce sentiment de perte de "langage" éprouvé dans un monde de l'art dominé par le masculin. Dans ses oeuvres, elle assemble mythologie, folklore, histoire de l'art, littérature et médias et les
présente dans des formats expérimentaux, scroll-like compositions, feuilles de papier collées, impressions à la main, découpages, figures imprimées : Black Paintings (1950s), War Series (1960s),
Artaud works (1970s), "Licit Exp and Hours of the Nights" (series of 1974), "Notes in Time on Women" (1979–81), partie de la collection présente au Museum of Modern Art (MoMA), "Maypole: Take No
Prisoners" (2007)...
Dans "Torture of Women", achevé en 1976, Nancy Spero a juxtaposé images et textes, des images tirées de la mythologie antique et des mots dactylographiés recueillis des témoignages recueillis à la première personne à partir de rapports d'Amnesty International, d'articles sur des femmes disparues ou décédées, de définitions de la torture datant des XXe et XIIIe siècles, ainsi que de récits sur les mythes violents de la création sumérienne et babylonienne. La finalité est de témoigner d'un consensus silencieux établi à l'encontre de la femme éternellement mythologisée…
“Do women have to be naked to get into the Met Museum?” - Les "Guerrilla Girls", aujourd'hui divisées en plusieurs groupes, apparurent en 1985, dans ses fameuses années dites Reagan qui voyaient triomphait les conservatismes. Le point de départ se situera à New York en réaction à une exposition d'art contemporain du Museum of Modern Art qui ne comportait que treize femmes sur les 169 participants. Les Guerrilla Girls organisèrent nombre de manifestations protestataires dénonçant l'inégalité entre les sexes et les races au sein de la communauté artistique en général, privilégiant le "culture jamming" comme moyen d'expression et force de frappe médiatique la plus pertinente. Leur volonté est de rester anonymes ("we wanted the focus to be on the issues, not on our personalities or our own work"), ont lancé la fameuse mode du port de masques de gorilles ou ont repris comme alter-ego des noms de femmes artistes célèbres, telles que l'artiste peintre mexicaine Frida Kahlo (1907-1954) ou l'artiste plasticienne dada Hannah Höch (1889-1978). Tate London expose notamment "Do Women Have To Be Naked To Get Into the Met. Museum?" (1989), "The Advantages Of Being A Woman Artist" (1988), "When Racism And Sexism Are No Longer Fashionable, How Much Will Your Art Collection Be Worth?" (1989), "Dearest Art Collector" (1986)....
Carolyn Kizer (1925-2014), "Pro Femina"
Native de Spokane, Washington, Carolyn Ashley Kizer a reçu le prix Pulitzer de poésie en 1985 pour son recueil "Yin : New Poems" (1984) et s'est fait
connaître avec "Pro Femina" dans les années 1960 : écrire, pour une femme, n'est pas sans contrepartie au plus profond de son existence, souvent l'exil sexuel, la solitude, le renoncement. La
poésie fait partie intégrante de sa vie, dès son plus jeune âge, espace d'expression et de liberté alors qu'elle se sentait piégée en tant que fille unique de parents radicaux, hantés par la
réussite intellectuelle, dans une ville archaïque et conservatrice. Par-delà son féminisme et son activisme social, l'un de ses poèmes, "Twelve O'Clock", inspiré, dira-t-elle par
le principe de Heisenberg selon lequel on ne peut pas regarder une particule subatomique sans la modifier, de même, on ne peut pas rencontrer quelqu'un un instant, ni même porter son regard sur
quelqu'un dans la rue, sans impact sur chacun d'entre nous ("I think if there’s a major theme in my work, once we get past the love and loss of the early days, it is the impact of character
upon character, how people rub against one another and alter one another"). Sa poésie est le plus souvent d'inspiration autobiographique, couvrant son enfance, ses deux mariages, la
naissance de ses trois enfants et ses amitiés, avec distance et audace. Dans son poème "Thrall", Mme Kizer parle de l'incapacité de son père à établir un lien affectif avec son enfant
("The room is sparsely furnished: A chair, a table, and a father"). Lorsqu'en 1946, elle épouse Stimson Bullitt, fils d'une riche famille de Seattle et accouche de trois enfants très
rapidement, et semble contrainte à abandonner la poésie :"I tell people I never got to hear Dylan Thomas read because my husband wouldn’t let me, because he thought it would be a sort of
bad influence". Elle reprend sa vie poétique en 1954 après son divorce, une poésie totalement inspirée par sa vie de femme, l'ordinaire du quotidien féminin. "We are the custodians of the world’s
best-kept secret: Merely the private lives of one-half of humanity", écrira-t-elle dans "Pro Femina", une oeuvre qu'elle porte sur plusieurs décennies à partir de 1965...
"From Sappho to myself, consider the fate of women.
How unwomanly to discuss it! Like a noose or an albatross necktie
The clinical sobriquet hangs us: codpiece coveters.
Never mind these epithets; I myself have collected some honeys.
Juvenal set us apart in denouncing our vices
Which had grown, in part, from having been set apart:
Women abused their spouses, cuckolded them, even plotted
To poison them. Sensing, behind the violence of his manner—
“Think I'm crazy or drunk?”—his emotional stake in us,
As we forgive Strindberg and Nietzsche, we forgive all those
Who cannot forget us. We are hyenas. Yes, we admit it.
While men have politely debated free will, we have howled for it,
Howl still, pacing the centuries, tragedy heroines.
Some who sat quietly in the corner with their embroidery
Were Defarges, stabbing the wool with the names of their ancient
Oppressors, who ruled by the divine right of the male—
I’m impatient of interruptions! I’m aware there were millions
Of mutes for every Saint Joan or sainted Jane Austen,
Who, vague-eyed and acquiescent, worshiped God as a man.
I’m not concerned with those cabbageheads, not truly feminine
But neutered by labor. I mean real women, like you and like me.
Freed in fact, not in custom, lifted from furrow and scullery,
Not obliged, now, to be the pot for the annual chicken,
Have we begun to arrive in time? With our well-known
Respect for life because it hurts so much to come out with it;
Disdainful of “sovereignty,” “national honor;” and other abstractions;
We can say, like the ancient Chinese to successive waves of invaders,
“Relax, and let us absorb you. You can learn temperance
In a more temperate climate.” Give us just a few decades
Of grace, to encourage the fine art of acquiescence
And we might save the race. Meanwhile, observe our creative chaos,
Flux, efflorescence—whatever you care to call it!
I take as my theme “The Independent Woman,”
Independent but maimed: observe the exigent neckties
Choking violet writers; the sad slacks of stipple-faced matrons;
Indigo intellectuals, crop-haired and callus-toed,
Cute spectacles, chewed cuticles, aced out by full-time beauties
In the race for a male. Retreating to drabness, bad manners,
And sleeping with manuscripts. Forgive our transgressions
Of old gallantries as we hitch in chairs, light our own cigarettes,
Not expecting your care, having forfeited it by trying to get even.
But we need dependency, cosseting, and well-treatment.
So do men sometimes. Why don’t they admit it?
We will be cows for a while, because babies howl for us,
Be kittens or bitches, who want to eat grass now and then
For the sake of our health. But the role of pastoral heroine
Is not permanent, Jack. We want to get back to the meeting.
….
Adrienne Rich (1929-2012), "Of Woman Born"
"The woman's body is the terrain on which patriarchy is erected" - Native de Baltimore (Maryland), poète, universitaire et critique américaine, Adrienne
Cecile Rich s'est imposée dans les années 1960 et 1970 comme l'une des actrices incontournables de l'émancipation des femmes, travaillant la féminité au fil de son vécu (Snapshots of a
Daughter-in-Law : Poems 1954-1962), puis sa propre identité lesbienne découverte en 1971 (Diving into the Wreck : Poems 1971-1972). La femme, les femmes le plus collectivement possible, ont
souvent eu le sentiment d'un clivage profond quant à la vérité de leur expérience, et l'impression, par delà les aspects subjectifs et personnels, qu'elles ne parvenaient à exprimer la
réalité profonde de leur être propre (On Lies, Secrets, and Silence, 1979). Dans "Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution (1976), qui l'intronise écrivain féministe, elle
interroge sa capacité à être mère sous la pression d'une société qui ne cesse d'imposer aux femmes de dispenser un amour parfait et constant, oubliant ce que l'accouchement et la maternité
exigent des femmes sur le plan émotionnel. La femme n'est définie que par son statut de mère, et non en tant qu'être humain, et Adrienne Rich en appelle à "un monde dans lequel chaque femme
est le génie présidant de son propre corps" (a world in which every woman is the presiding genius of her own body).
"Toute vie humaine sur la planète est née de la femme" - "All human life on the planet is born of woman. The one unifying, incontrovertible experience shared by all women and men is that months-long period we spent unfolding inside a woman’s body. Because young humans remain dependent upon nurture for a much longer period than other mammals, and because of the division of labor long established in human groups, where women not only bear and suckle but are assigned almost total responsibility for children, most of us first know both love and disappointment, power and tenderness, in the person of a woman..."
"Lesbianism is more than a sexuality. It is an emotional and psychological identification with other women" - Dans "Rich Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence" (1980), Adrienne Rich soutient que l'hétérosexualité n'est pas aussi "naturelle" qu'on le pense, aussi toute femme devrait à un moment ou à un autre s'interroger sur son hétérosexualité et ne pas se priver ainsi, contestant l'Hétérosexisme dominant, d'aborder ce "continuum lesbien" qui caractérise profondément l'identité féminine et effraie tant l'homme et les institutions politiques et sociales qu'il a érigé à son unique profit...
Barbara Kruger, "Your Body Is a Battleground" (1989)
"I’m interested in how identities are constructed, how stereotypes are formed, how narratives sort of congeal and become history" - Barbara Kruger
(1945), native de Newark (New Jersey), formée à la Parsons School of Design de New York (1966), intègre le magazine Mademoiselle à New York, puis à la fin des années 1970 trouve son style,
contester les représentations véhiculées par les modèles culturels de l'identité féminine en réalisant et juxtaposant, dans des compositions photographiques de grand format, messages anonymes et
images. Ces éléments sont rapprochés souvent de manière inattendue et mis ainsi sous tension. "Your Body Is a Battleground" (1989) utilise l'image agrandie d'un visage féminin divisée en
deux parties, une moitié positive, l'autre négative, démarche emblématique des artistes féministes des années 1980 et 1990 qui privilégie la déconstruction et la recontextualisation. Dans les
années 1980, les photomontages de Barbara Kruger visent à adresser des messages féministes radicaux au public masculin. "You Are Not Yourself" (1981), "We Will Not Become What We Mean to You"
(1983, The Art Institute of Chicago), "Untitled (Talk is cheap)" (1985)...