World-System - Immanuel Wallerstein (1930–2019), "The Modern World-System" (1974), "The Modern World-System I : Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century (1975), "End of the World as We Know It: Social Science for the Twenty-First Century" (1999) - Roland Robertson (1938-2002), "Globalization: Social Theory and Global Culture" (1992) - Grace Lee Boggs (1915-2015), "The Next American Revolution : Sustainable Activism for the Twenty-First Century, Updated and Expanded Edition, New Afterword with Immanuel Wallerstein" (2011) - ......
Last update: 2018/12/12


Le "système-monde" : le monde s'est enfermé dans un système qui crée des relations inégales - voire d'exploitation - entre les nations. Pourquoi les pays en développement ne se sont-ils pas encore développés? Pourquoi certains pays ne sont-ils toujours pas en mesure de rattraper les économies développées d’Europe occidentale et des États-Unis? Ce n'est pas que les pays eux-mêmes soient incapables de se développer, mais plutôt qu'ils sont freinés par un système économique qui crée une situation d'inégalité semblable à un système de classes. Le sociologue Immanuel Wallerstein pense que ce n’est pas parce que ces pays ne sont pas capables de réussir, mais parce qu’il y a un système mondial qui les discrimine. 

1815-1914, un siècle pendant lequel la modernité capitaliste industrielle s'est imposée en Europe, en Amérique de Nord, au Japon, et dans certaines zones de l'Australie, un siècle qui a vu ces pays former le "centre" du système économique de monde. Dans les années 1950, l'inégalité à l'échelle mondiale était traitée en distinguant en termes de "premier monde" les nations occidentales développées, de "second monde", les pays communistes industrialisés, et de "tiers monde", les pays nés de la décolonisation. Le principe dominant était d'affirmer que les nations les plus pauvres devaient tout simplement adopter le modèle des sociétés développées pour transformer leur destin. Wallenstein est de ceux qui conteste la formulation selon laquelle le tiers-monde n'est au fond qu'un monde "sous-développé"...

En reprenant le concept d'économie-monde forgé par Fernand Braudel, et en transposant à l'échelle du monde l'analyse marxiste de l'exploitation capitaliste, Immanuel Wallerstein soutient que les relations économiques mondiales forment un système-monde au sein duquel les nations les plus riches et les plus développées exploitent les ressources naturelles et le travail des pays les plus pauvres. Ignorant les frontières dans sa recherche du profit, l'économie-monde capitaliste de l'Occident s'est imposée à l'ensemble de la planète, devenant le "système-monde"  basé sur la logique du marché.C'est bien ce système qui, en exploitant les pays les plus pauvres, entravent leur possibilité de développement. C'est bien ce "système-monde" qui maintient et aggrave, en les institutionnalisant, les inégalités entre les nations ...

Formulées dès les années 1970, les idées qu'illustrent Wallenstein anticipent toute une réflexion qui s'ébauche en ce début du XXIe siècle à propos de la mondialisation, et de ses conséquences sociales et politiques. Le "système-monde" dans lequel nous vivons et que nous acceptons comme d'évidence, s'avère peu susceptible d'évoluer : certes, certains pays pourront progresser, et d'autres régresser, en raison notamment de la puissance économique et militaire des pays du "centre" qui occupent une situation dominante au coeur du système, et des rivalités opposant les pays cette "semi-périphérie" qui occupent une position intermédiaire entre "centre" et "pays périphériques" voués à la pauvreté et à l'impuissance; mais il est peu probable que ce système global puisse un jour se restructurer sur des bases plus égalitaires ...



 Immanuel Wallerstein (1930-2019) 

Sociologue, historien et théoricien social américain influent, connu pour son développement de la théorie des systèmes mondiaux, Wallerstein est devenu incontournable dans les discussions relatives à la dynamique de cette inégalité mondiale qui caractérise le capitalisme global dans lequel nous vivons. Natif de New-York, c'est à l’Université de Columbia qu'il entreprend ses études, et y obtient un doctorat en sociologie en 1959. Au début de sa carrière universitaire, c'est l’analyse des répercussions du colonialisme sur le continent africain qui le préoccupe, avant de s'engager dans une critique plus globale du capitalisme moderne. Wallerstein acquiert sa notoriété avec sa théorie des systèmes mondiaux, qu’il a introduite dans son étude fondatrice "The Modern World-System", publiée en 1974. Cette théorie présente une perspective macro-sociologique sur l’histoire et le développement de l’économie capitaliste mondiale au cours des siècles. Wallerstein soutient que le monde est divisé en un noyau (core, ou centre), une semi-périphérie et une périphérie, avec richesse et pouvoir concentrés dans les pays du noyau, tandis que la périphérie est exploitée pour ses ressources et son travail. La semi-périphérie sert d’intermédiaire, partageant les caractéristiques du noyau et de la périphérie.

Selon Wallerstein, le système capitaliste mondial est apparu au XVIe siècle et son développement a été marqué par des cycles d’expansion et de contraction, ainsi que par des changements d’hégémonie entre les principales puissances capitalistes. Son travail a remis totalement en question les notions traditionnelles de développement et de sous-développement, arguant que l’économie mondiale devrait être comprise comme un système intégré plutôt qu’une collection d’économies nationales séparées.

 

Les idées de Wallerstein eurent un impact profond sur les domaines de la sociologie, de l’histoire, des sciences politiques et de l’économie. Il contestait en effet les approches traditionnelles centrées sur la nation à l’égard de l’histoire et des sciences sociales, soulignant plutôt l’interdépendance des processus mondiaux et l’importance de considérer le monde comme un système économique et politique unique. Son approche interdisciplinaire a comblé les lacunes entre ces domaines, offrant un cadre complet pour l’analyse de l’inégalité mondiale et des processus historiques qui la façonnent.

 

En plus de la série "Le système mondial moderne", Wallerstein a écrit de nombreux livres et articles sur des sujets tels que la mondialisation, les mouvements sociaux et l’avenir du capitalisme. Parmi ses autres travaux notables, mentionnons "Le capitalisme historique" (Historical Capitalism), "Analyse des systèmes mondiaux : une introduction" (World-Systems Analysis: An Introduction) et "La fin du monde telle que nous la connaissons : sciences sociales pour le XXIe siècle" (The End of the World as We Know It: Social Science for the Twenty-First Century). Il a occupé des postes universitaires dans plusieurs institutions, dont l’université de Yale, où il a été chercheur principal au département de sociologie jusqu’à sa retraite. Il laisse derrière lui un héritage de connaissances critiques qui continue d’influencer les discussions sur l’inégalité mondiale, le capitalisme et le développement historique du monde moderne...


"TO START - Understanding the World In Which We Live.

THE MEDIA, AND INDEED the social scientists, constantly tell us that two things dominate the world we have been living in since the last decades of the twentieth century: globalization and terrorism. Both are presented to us as substantially new phenomena—the first filled with glorious hope and the second with terrible dangers. The U.S. government seems to be playing a central role in furthering the one and fighting the other. But of course these realities are not merely American but global. What underlies a great deal of the analysis is the slogan of Mrs. Thatcher, who was Great Britain’s prime minister from 1979 to 1990: TINA (There Is No Alternative). We are told that there is no alternative to globalization, to whose exigencies all governments must submit. And we are told that there is no alternative, if we wish to survive, to stamping out terrorism ruthlessly in all its guises.

This is not an untrue picture but it is a very partial one. If we look at globalization and terrorism as phenomena that are defined in limited time and scope, we tend to arrive at conclusions that are as ephemeral as the newspapers. By and large, we are not then able to understand the meaning of these phenomena, their origins, their trajectory, and most importantly where they fit in the larger scheme of things. We tend to ignore their history. We are unable to put the pieces together, and we are constantly surprised that our short-term expectations are not met.

How many people expected in the 1980s that the Soviet Union would crumble as fast and as bloodlessly as it did? And how many people expected in 2001 that the leader of a movement few had ever heard of, alQaeda, could attack so boldly the Twin Towers in New York and the Pentagon on September 11, and cause so much damage? And yet, seen from a longer perspective, both events form part of a larger scenario whose details we might not have known in advance but whose broad outlines were quite predictable.

 

"LES MÉDIAS, et bien sûr les chercheurs en sciences sociales, nous disent constamment que deux choses dominent le monde dans lequel nous vivons depuis les dernières décennies du vingtième siècle : la mondialisation et le terrorisme. Tous deux nous sont présentés comme des phénomènes fondamentalement nouveaux, le premier étant porteur d'un espoir glorieux et le second de terribles dangers. Le gouvernement américain semble jouer un rôle central dans la promotion de l'un et la lutte contre l'autre. Mais bien sûr, ces réalités ne sont pas seulement américaines, elles sont mondiales. Ce qui sous-tend une grande partie de l'analyse est le slogan de Mme Thatcher, premier ministre britannique de 1979 à 1990 : TINA (There Is No Alternative). On nous dit qu'il n'y a pas d'alternative à la mondialisation, à laquelle tous les gouvernements doivent se soumettre. Et on nous dit qu'il n'y a pas d'alternative, si nous voulons survivre, à l'éradication impitoyable du terrorisme sous toutes ses formes.

Cette image n'est pas fausse, mais elle est très partielle. Si nous considérons la mondialisation et le terrorisme comme des phénomènes définis dans un temps et une portée limités, nous avons tendance à arriver à des conclusions aussi éphémères que les journaux. Dans l'ensemble, nous ne sommes pas en mesure de comprendre la signification de ces phénomènes, leurs origines, leur trajectoire et, surtout, la place qu'ils occupent dans l'ordre des choses. Nous avons tendance à ignorer leur histoire. Nous sommes incapables d'assembler les pièces du puzzle et nous sommes constamment surpris que nos attentes à court terme ne soient pas satisfaites.

Combien de personnes s'attendaient, dans les années 1980, à ce que l'Union soviétique s'effondre aussi rapidement et sans effusion de sang ? Et combien de personnes s'attendaient en 2001 à ce que le chef d'un mouvement dont peu de gens avaient entendu parler, Al-Qaïda, puisse attaquer avec autant d'audace les tours jumelles de New York et le Pentagone le 11 septembre, et causer autant de dégâts ? Et pourtant, dans une perspective plus longue, ces deux événements s'inscrivent dans un scénario plus vaste dont nous n'aurions peut-être pas pu connaître les détails à l'avance, mais dont les grandes lignes étaient tout à fait prévisibles.

 

Part of the problem is that we have studied these phenomena in separate boxes to which we have given special names—politics, economics, the social structure, culture—without seeing that these boxes are constructs more of our imagination than of reality. The phenomena dealt with in these separate boxes are so closely intermeshed that each presumes the other, each affects the other, each is incomprehensible without taking into account the other boxes. And part of the problem is that we tend to leave out of our analyses of what is and is not “new” the three important turning points of our modern world-system: (1) the long sixteenth century during which our modern world-system came into existence as a capitalist world-economy; (2) the French Revolution of 1789 as a world event which accounts for the subsequent dominance for two centuries of a geoculture for this worldsystem, one that was dominated by centrist liberalism; and (3) the world revolution of 1968, which presaged the long terminal phase of the modern world-system in which we find ourselves and which undermined the centrist liberal geoculture that was holding the world-system together.

 

Une partie du problème réside dans le fait que nous avons étudié ces phénomènes dans des boîtes distinctes auxquelles nous avons donné des noms particuliers - politique, économie, structure sociale, culture - sans voir que ces boîtes sont des constructions qui relèvent davantage de notre imagination que de la réalité. Les phénomènes traités dans ces boîtes distinctes sont si étroitement imbriqués que chacun présume de l'autre, chacun affecte l'autre, chacun est incompréhensible sans tenir compte des autres boîtes. Une partie du problème réside dans le fait que nous avons tendance à laisser de côté, dans nos analyses de ce qui est ou n'est pas « nouveau », les trois tournants importants de notre système mondial moderne : (1) le long XVIe siècle au cours duquel notre système mondial moderne est né en tant qu'économie mondiale capitaliste ; (2) la Révolution française de 1789 en tant qu'événement mondial qui explique la domination ultérieure, pendant deux siècles, d'une géoculture pour ce système mondial, dominée par le libéralisme centriste ; et (3) la révolution mondiale de 1968, qui a présagé la longue phase terminale du système mondial moderne dans laquelle nous nous trouvons et qui a ébranlé la géoculture libérale centriste qui maintenait la cohésion du système mondial.

 

The proponents of world-systems analysis, which this book is about, have been talking about globalization since long before the word was invented— not, however, as something new but as something that has been basic to the modern world-system ever since it began in the sixteenth century. We have been arguing that the separate boxes of analysis—what in the universities are called the disciplines—are an obstacle, not an aid, to understanding the world. We have been arguing that the social reality within which we live and which determines what our options are has not been the multiple national states of which we are citizens but something larger, which we call a world-system. We have been saying that this world-system has had many institutions—states and the interstate system, productive firms, households, classes, identity groups of all sorts—and that these institutions form a matrix which permits the system to operate but at the same time stimulates both the conflicts and the contradictions which permeate the system. We have been arguing that this system is a social creation, with a history, whose origins need to be explained, whose ongoing mechanisms need to be delineated, and whose inevitable terminal crisis needs to be discerned.

 

L'argumentaire de l'analyse des systèmes mondiaux, dont traite ce livre, parle de la mondialisation bien avant que le mot ne soit inventé - non pas, cependant, comme quelque chose de nouveau, mais comme quelque chose de fondamental pour le système mondial moderne depuis qu'il a vu le jour au XVIe siècle. Nous avons soutenu que les différents cadres d'analyse - ce que l'on appelle dans les universités les disciplines - constituent un obstacle, et non une aide, à la compréhension du monde. Nous avons soutenu que la réalité sociale dans laquelle nous vivons et qui détermine nos options n'est pas constituée par les multiples États nationaux dont nous sommes citoyens, mais par quelque chose de plus vaste, que nous appelons un système mondial. Nous avons dit que ce système mondial comportait de nombreuses institutions - les États et le système interétatique, les entreprises de production, les ménages, les classes, les groupes identitaires de toutes sortes - et que ces institutions formaient une matrice qui permettait au système de fonctionner tout en stimulant à la fois les conflits et les contradictions qui l'imprègnent. Nous avons soutenu que ce système est une création sociale, avec une histoire, dont les origines doivent être expliquées, dont les mécanismes en cours doivent être délimités et dont la crise terminale inévitable doit être discernée.

 

In arguing this way, we have not only gone against much of the official wisdom of those in power, but also against much of the conventional knowledge put forth by social scientists for two centuries now. For this reason, we have said that it is important to look anew not only at how the world in which we live works but also at how we have come to think about this world. World-systems analysts see themselves therefore as engaging in a fundamental protest against the ways in which we have thought that we know the world. But we also believe that the emergence of this mode of analysis is a reflection of, an expression of, the real protest about the deep inequalities of the world-system that are so politically central to our current times.

I myself have been engaged in and writing about world-systems analysis for over thirty years. I have used it to describe the history and the mechanisms of the modern world-system. I have used it to delineate the structures of knowledge. I have discussed it as a method and a point of view. But I have never tried to set down in one place the totality of what I mean by world-systems analysis.

 

En argumentant de la sorte, nous sommes allés non seulement à l'encontre d'une grande partie du Savoir officiel de ceux qui détiennent le pouvoir, mais aussi à l'encontre d'une grande partie des connaissances conventionnelles avancées par les chercheurs en sciences sociales depuis maintenant deux siècles. C'est pourquoi nous avons dit qu'il était important de revoir non seulement la façon dont le monde dans lequel nous vivons fonctionne, mais aussi la façon dont nous en sommes venus à penser ce monde. Les analystes des systèmes mondiaux se considèrent donc comme engagés dans une protestation fondamentale contre les façons dont nous avons pensé connaître le monde. Mais nous pensons également que l'émergence de ce mode d'analyse est un reflet, une expression, de la véritable protestation contre les profondes inégalités du système mondial qui sont si politiquement centrales à notre époque.

Cela fait plus de trente ans que je me consacre à l'analyse des systèmes mondiaux et que j'écris à ce sujet. Je l'ai utilisée pour décrire l'histoire et les mécanismes du système mondial moderne. Je l'ai utilisée pour délimiter les structures de la connaissance. J'en ai parlé comme d'une méthode et d'un point de vue. Mais je n'ai jamais essayé d'exposer en un seul endroit la totalité de ce que j'entends par analyse des systèmes mondiaux.

 

Over these thirty years, the kind of work that comes under this rubric has become more common and its practitioners more widespread geographically. Nonetheless, it still represents a minority view, and an oppositional view, within the world of the historical social sciences. I have seen it praised, attacked, and quite often misrepresented and misinterpreted —sometimes by hostile and not very well-informed critics, but sometimes by persons who consider themselves partisans or at least sympathizers. I decided that I would like to explain in one place what I consider its premises and principles, to give a holistic view of a perspective that claims to be a call for a holistic historical social science.

This book is intended for three audiences at once. It is written for the general reader who has no previous specialist knowledge. This person may be a beginning undergraduate in the university system or a member of the general public. Secondly, it is written for the graduate student in the historical social sciences who wants a serious introduction to the issues and perspectives that come under the rubric of world-systems analysis. And finally it is written for the experienced practitioner who wishes to grapple with my particular viewpoint in a young but growing community of scholars.

 

Au cours de ces trente années, le type de travail qui relève de cette rubrique est devenu plus courant et ses praticiens plus répandus géographiquement. Néanmoins, il représente toujours un point de vue minoritaire, et un point de vue opposant, dans le monde des sciences sociales historiques. Je l'ai vue louée, attaquée, et très souvent mal représentée et mal interprétée - parfois par des critiques hostiles et mal informés, mais parfois aussi par des personnes qui se considèrent comme des partisans ou au moins des sympathisants. J'ai décidé d'expliquer en un seul endroit ce que je considère comme ses prémisses et ses principes, afin de donner une vision holistique d'une perspective qui prétend être un appel à une science sociale historique holistique.

Ce livre s'adresse à trois publics à la fois. Il est écrit pour le lecteur général qui n'a pas de connaissances spécialisées préalables. Il peut s'agir d'un étudiant débutant dans le système universitaire ou d'un membre du grand public. Ensuite, il s'adresse à l'étudiant diplômé en sciences sociales historiques qui souhaite une introduction sérieuse aux questions et aux perspectives qui relèvent de l'analyse des systèmes mondiaux. Enfin, il s'adresse au praticien expérimenté qui souhaite se confronter à mon point de vue particulier au sein d'une communauté de chercheurs jeune mais en pleine expansion.

 

The book begins by tracing what many readers will think a circuitous path. The first chapter is a discussion of the structures of knowledge of the modern world-system. It is an attempt to explain the historical origins of this mode of analysis. It is only with chapters 2-4 that we discuss the actual mechanisms of the modern world-system. And it is only in chapter 5, the last, that we discuss the possible future we are facing and therefore our contemporary realities. Some readers will prefer to jump to chapter 5 immediately, to make chapter 5 into chapter 1. If I have structured the argument in the order that I have, it is because I believe very strongly that to understand the case for world-systems analysis, the reader (even the young and beginning reader) needs to “unthink” much of what he or she has learned from elementary school on, which is reinforced daily in the mass media. It is only by confronting directly how we have come to think the way we do that we can begin to liberate ourselves to think in ways that I

believe permit us to analyze more cogently and more usefully our contemporary dilemmas.

 

Le livre commence par tracer ce que de nombreux lecteurs penseront être un chemin détourné. Le premier chapitre est une discussion sur les structures de la connaissance du système mondial moderne. Il s'agit d'une tentative d'explication des origines historiques de ce mode d'analyse. Ce n'est que dans les chapitres 2 à 4 que nous discutons des mécanismes réels du système mondial moderne. Et ce n'est qu'au chapitre 5, le dernier, que nous discutons de l'avenir possible auquel nous sommes confrontés et donc de nos réalités contemporaines. Certains lecteurs préféreront passer immédiatement au chapitre 5, pour faire du chapitre 5 le chapitre 1. Si j'ai structuré l'argumentation dans cet ordre, c'est parce que je crois fermement que pour comprendre les arguments en faveur de l'analyse des systèmes mondiaux, le lecteur (même le jeune lecteur et le lecteur débutant) doit « repenser » une grande partie de ce qu'il a appris depuis l'école primaire, et qui est renforcé quotidiennement par les médias de masse. 

 Ce n'est qu'en nous confrontant directement à la manière dont nous en sommes venus à penser comme nous le faisons que nous pouvons commencer à nous libérer pour penser d'une manière qui, je crois, nous permet d'analyser de manière plus convaincante et plus utile nos dilemmes contemporains...."

(World-systems analysis, 2004 Duke University Press)


"The Modern World-System" (1974, Immanuel Wallerstein)

Le "Système-monde moderne" d’Immanuel Wallerstein est un travail fondamental en sociologie et histoire mondiale qui décrit sa théorie de l’analyse des systèmes mondiaux. L’ouvrage, publié en plusieurs volumes à partir de 1974, présente un cadre complet pour comprendre le développement historique de l’économie capitaliste mondiale moderne à partir du XVIe siècle.

"World-System"? Wallerstein soutient que le monde moderne est organisé en un système mondial, un système social avec des frontières, des structures, des groupes de membres, des règles de légitimation et de cohérence. Ce système est capitaliste par nature et a une portée mondiale, caractérisée par la répartition inégale des ressources et du pouvoir.

 

"Core, Semi-Periphery, and Periphery" ? Ce "système-monde" est divisé en trois zones principales, un" Noyau", constitué par des Nations riches et dominantes, avec des États forts, des industries avancées et une puissance économique, des pays qui exploitent d’autres zones par le commerce, le contrôle des marchés financiers et la domination technologique; "Periphery", des régions moins développées, économiquement dépendantes qui fournissent des matières premières et de la main-d’œuvre bon marché au centre; "Semi-Periphery", des régions intermédiaires qui ont des caractéristiques de centre et de périphérie. Ces pays ne sont certainement pas riches, mais ont échappé à la pauvreté des nations périphériques et peuvent exercer un certain pouvoir. Des régions qui servent donc de tampon et présentent souvent un certain niveau de développement économique, bien qu’elles demeurent dépendantes des pays centraux.

"Historical Development"? Wallerstein retrace les origines du "système-monde" moderne à parti de ce si  "long XVIe siècle" (environ 1450-1640), lorsque les puissances européennes ont commencé à s’étendre globalement, conduisant à l’intégration de diverses régions dans une seule économie mondiale capitaliste. Cette période a vu l’émergence d’États européens, la création d’empires coloniaux et le développement de réseaux de production et de commerce capitalistes. Instauration doncd'un système monde marqué par des cycles d’expansion et de contraction, avec des périodes de croissance économique suivies de crises. Wallerstein explique comment ces cycles conduisent à des changements dans la domination mondiale, alors que différentes nations augmentent et diminuent leur capacité à contrôler le système mondial.

"Hegemony"? - Dans ce système-monde, certains États vont connaître des périodes d’hégémonie, dominer l’économie mondiale et édicter les règles du système : les Néerlandais au XVIIe siècle, les Britanniques au XIXe siècle et les États-Unis au XXe siècle en sont des exemples.

"Social Change and Resistance" - Wallerstein examine ensuite comment les mouvements sociaux, les révolutions et les luttes anticoloniales sont apparus comme des réponses aux inégalités et à l’exploitation inhérentes au système mondial. Ces mouvements mettent en cause les structures dominantes et peuvent entraîner des transformations significatives au sein du système. Ce "système-monde" est dynamique, les pays peuvent passer d'une position à l'autre et 'est dès lors une question de jugement pour savoir où placer certains pays dans cette théorie. Les États-Unis se situent facilement au centre, tout comme les nations d'Europe occidentale. Au début de ce siècle, la Chine aurait été placée à la périphérie, mais aujourd'hui, elle se trouve à la semi-périphérie et se rapproche du noyau. D'autres pays, comme le Brésil, la Russie et l'Inde, se sont également développés rapidement au cours des vingt dernières années.

 

Le sociologue britannique Roland Robertson (1938–2022) a formulé quelques critiques à l'égard de la théorie de Wallerstein. Selon lui, l'accent mis sur l'économie conduit à une compréhension limitée du pouvoir. Certains pays peuvent en effet avoir un impact culturel et acquérir ainsi une notoriété mondiale. Privilégiant la façon dont les dynamiques locales et mondiales interagissent et s’influencent mutuellement de manière complexe, Robertson est surtout connu pour avoir inventé le terme de "glocalisation" : il fait ainsi référence à l’apparition simultanée de tendances à la fois universalisantes et particularisantes dans les systèmes sociaux, politiques et économiques contemporains. Son ouvrage, "Globalization: Social Theory and Global Culture" (1992), a jeté les bases d’une grande partie du discours contemporain sur la mondialisation : il explore dans cet ouvrage les dimensions culturelles de la mondialisation, en soulignant l’importance de comprendre comment les flux culturels mondiaux façonnent et sont façonnés par les contextes locaux.

 

Roland Robertson (1938-2002), "Globalization: Social Theory and Global Culture" (1992)

Robertson définit la "mondialisation" (Globalization) comme la compression du monde et l’intensification de la conscience du monde dans son ensemble : c'est pour lui le processus par lequel le monde devient de plus en plus interconnecté, affectant divers aspects de la vie, y compris la politique, l’économie, la culture et les relations sociales. Il complète cette notion par le terme de "Glocalisation" (Glocalization), un concept qui entend mettre en évidence l’occurrence simultanée de tendances à la fois universalisantes et particularisantes dans la mondialisation : les influences globales sont adaptées et réinterprétées par les cultures locales, ce qui conduit à des combinaisons uniques d’éléments globaux et locaux. 

Robertson soutient que la mondialisation mène à la création d’une culture mondiale (Global Culture), caractérisée par des pratiques, des valeurs et des institutions partagées. Mais cela n’implique pas pour autant une homogénéisation culturelle : les cultures locales demeurent résilientes et interagissent avec les forces mondiales de manière complexe.

Enfin, la notion de "Système mondial" (World-System) lui permet de privilégier le nécessaire effort de compréhension de la mondialisation à travers une perspective du système mondial, où le monde est considéré comme un seul système social avec diverses parties interdépendantes. Ce système est façonné par les développements historiques et la diffusion de la modernité.


"The Modern World-System I : Capitalist Agriculture and the Origins of the European World-Economy in the Sixteenth Century (Studies in Social Discontinuity), Immanuel Wallerstein, 1975

"Le système mondial moderne I" est un texte fondateur -  écrit dans le célèbre Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences (Stanford University) -, qui introduit la théorie des systèmes mondiaux de Wallerstein, offrant une analyse détaillée des origines et du développement du système mondial capitaliste. En retraçant l’émergence d’une économie mondiale centrée sur l’Europe au XVIe siècle, Wallerstein fournit un cadre pour comprendre les racines historiques des inégalités mondiales modernes. Le livre met l’accent sur l’interconnexion des processus économiques mondiaux et le rôle du pouvoir d’État dans la formation du système mondial, ouvrant ainsi la voie à ses volumes ultérieurs qui continuent d’explorer l’évolution du système mondial moderne.

"The Birth of the Modern World-System" - Wallerstein soutient que le système mondial moderne a commencé à prendre forme au XVIe siècle, en particulier en Europe, marquant la transition du féodalisme au capitalisme. Ce système est caractérisé par une économie capitaliste qui opère à l’échelle mondiale, avec une division distincte du travail entre les différentes régions du monde.

Un des thèmes centraux du livre est la montée de l’agriculture capitaliste en Europe. L'auteur soutient que le passage de l’agriculture de subsistance à l’agriculture axée sur le profit a été un facteur clé dans le développement du système capitaliste mondial. Ce changement a conduit à la commercialisation de l’agriculture, au confinement des terres communes et à l’émergence d’une classe de travailleurs sans terre qui ont fait partie de l’économie capitaliste en pleine croissance. Avec la formation d’une économie mondiale centrée sur l’Europe, où différentes régions ont été intégrées dans un système économique unique avec une structure hiérarchique. L’Europe est devenue le "noyau" de ce système, tandis que d’autres régions du monde ont été reléguées à la "périphérie" ou à la "semi-périphérie." Les régions centrales se sont spécialisées dans la production industrielle à haut rendement, tandis que la périphérie fournit des matières premières et des produits agricoles, le plus souvent sous conditions d’exploitation. Cette division du travail a renforcé les inégalités économiques et permis aux régions centrales de dominer l’économie mondiale.

Le livre examine ensuite le rôle du pouvoir d’État dans le développement et le maintien du système mondial. Les États centralisés forts en Europe, en particulier ceux du centre, ont joué, selon Wallerstein, un rôle crucial dans la promotion et la protection des intérêts capitalistes. Ces États ont utilisé leur pouvoir pour élargir les marchés, réglementer le travail et contrôler les routes commerciales, assurant la domination des régions centrales.

L'auteur souligne au passage  l’importance du commerce à longue distance dans la formation de l’économie mondiale. Les puissances européennes ont établi de vastes réseaux commerciaux qui relient différentes parties du monde, facilitant la circulation des marchandises, des capitaux et du travail. Ce commerce était souvent inégal, profitant au noyau au détriment de la périphérie.

Enfin, si Wallerstein se concentre sur l’établissement et l’expansion du système mondial, il reconnaît aussi la résistance qu’il a suscitée. L’exploitation et les inégalités inhérentes au système ont conduit à diverses formes de troubles sociaux et de résistance, qui sont devenus plus tard importants pour façonner la trajectoire du système mondial...


"The Modern World-System II : Mercantilism and the Consolidation of the European World-Economy, 1600–1750", Immanuel Wallerstein,  1980

Dans ce deuxième volume  relatif à l'histoire du système-monde moderne, Immanuel Wallerstein poursuit son analyse en se concentrant sur la période 1600-1750. Il examine comment l’économie mondiale européenne s’est consolidée et comment le mercantilisme a joué un rôle crucial dans ce processus, comment pouvoir d’État et de rivalité inter-étatique ont contribué à la formation de l’économie mondiale à cette époque.  

"Consolidation of the European World-Economy" - Comment l’économie mondiale européenne, qui a commencé à prendre forme au XVIe siècle, s’est encore consolidée au cours du XVIIe et du début du XVIIIe siècles. Cette période a vu le renforcement des liens économiques et politiques entre les principaux États européens et leurs colonies, ce qui a conduit à une intégration plus poussée des marchés mondiaux. Les pays européens, en particulier l’Angleterre, la France et les Pays-Bas, ont acquis une position de plus en plus dominante au sein de ce système mondial, consolidant leur pouvoir économique et politique. Le mercantilisme est au centre de l’analyse dans ce volume : l'auteur décrit la politique et la pratique économiques utilisées par les États européens pour accroître leur richesse et leur pouvoir en contrôlant le commerce et en accumulant des métaux précieux, notamment l’or et l’argent. Les États européens ont adopté des politiques qui favorisaient l’exportation de biens et l’importation de matières premières, souvent au détriment de leurs colonies et d’autres régions périphériques. Ce nationalisme économique était étroitement lié à la consolidation du pouvoir d’État et à la concurrence entre les puissances européennes pour la domination mondiale.

Wallerstein souligne le rôle de la construction de l’État et de la centralisation du pouvoir dans les nations européennes centrales au cours de cette période. Des États forts et centralisés ont pu appliquer des politiques mercantilistes, protéger les industries nationales et étendre leur influence par la colonisation et la conquête militaire. Le développement de ces puissants États a été un facteur clé dans la consolidation de l’économie mondiale européenne, puisqu’ils ont pu contrôler et manipuler les flux économiques au profit des régions centrales. Le livre traite également de la rivalité entre les principaux États européens, qui se sont affrontés pour dominer l’économie mondiale. Cette période voit l’émergence de la République néerlandaise comme puissance économique dominante au début du XVIIe siècle, suivie par l’émergence de l’Angleterre comme puissance hégémonique dominante à la fin de la période. Wallerstein examine comment ces changements de pouvoir ont été entraînés par les changements économiques, les conflits militaires et la capacité des États à s’adapter et à façonner le système mondial en évolution.

Au fur et à mesure que les régions centrales consolidaient leur puissance, les régions périphériques et semi-périphériques du système mondial sont devenues plus profondément intégrées dans l’économie mondiale, souvent dans des conditions d’exploitation. Le livre explore comment ces régions ont été soumises à des politiques économiques européennes qui ont priorisé les intérêts du noyau, conduisant à une augmentation des disparités et de la dépendance économiques.

Enfin, Wallerstein discute des cycles économiques et des crises qui ont caractérisé cette période, y compris les périodes d’expansion et de contraction économiques. Ces cycles étaient influencés par des facteurs tels que les changements dans la production, les modèles commerciaux et les politiques publiques, et ils ont joué un rôle important dans le développement du système mondial.


"The Modern World-System III: The Second Era of Great Expansion of the Capitalist World-Economy, 1730s–1840s", Immanuel Wallerstein, 1988

Wallerstein poursuit , dans ce troisième volume, son analyse du développement historique du système mondial moderne, en se concentrant sur la période allant des années 1730 aux années 1840, une période marquée par une expansion économique importante, des révolutions politiques, la consolidation de l’économie capitaliste mondiale et le renforcement des inégalités mondiales. L’analyse de Wallerstein met en évidence les interconnexions des changements économiques, politiques et culturels au cours de cette période, fournissant une compréhension globale des forces qui ont façonné le système mondial moderne à l’entrée du XIXe siècle.

 

"The Second Era of Economic Expansion" - Wallerstein examine la "deuxième ère de grande expansion" dans l’économie mondiale capitaliste, caractéristique des années 1730 à 1840. Cette période a connu une croissance substantielle du commerce mondial, de la production et de l’accumulation de capital, entraînée par l’expansion des empires coloniaux européens, l’intensification de la production agricole et la montée du capitalisme industriel.

L’expansion a été alimentée par l’intégration croissante des régions périphériques dans l’économie mondiale en tant que sources de matières premières et marchés pour les produits manufacturés des pays du centre.

"The Industrial Revolution" - Le thème central de ce volume est la révolution industrielle, qui a commencé en Grande-Bretagne et s’est étendue à d’autres régions d’Europe et du monde. Wallerstein soutient que la révolution industrielle n’était pas seulement un changement technologique, mais une restructuration importante du système mondial. La révolution a entraîné une augmentation de la production industrielle, une demande accrue de matières premières et l’ouverture de nouveaux marchés, ce qui a renforcé la domination des régions centrales et accentué les inégalités économiques mondiales.

Cette période a également été le théâtre de plusieurs révolutions politiques importantes, dont la révolution américaine, la révolution française et divers mouvements d’indépendance en Amérique latine. Wallerstein explore comment ces révolutions ont été à la fois un produit et un catalyseur de changements dans le système mondial. Il soutient que ces bouleversements politiques étaient étroitement liés aux changements économiques de l’époque, car ils reflétaient et renforçaient les dynamiques de pouvoir changeantes au sein des États et entre eux. Les révolutions ont aussi contribué à la reconfiguration du pouvoir d’État, conduisant à l’émergence de nouveaux États-nations et à la consolidation des États existants.

Enfin, Wallerstein poursuit son analyse des relations centre-périphérie, en soulignant comment l’expansion de l’économie mondiale au cours de cette période a encore renforcé les inégalités économiques entre les régions centrales, semi-périphériques et périphériques.

Les régions centrales, en particulier l’Europe occidentale et plus tard les États-Unis, ont bénéficié de l’industrialisation et de l’exploitation des régions périphériques. Ces régions fournissaient des matières premières et de la main-d’œuvre, mais restaient économiquement dépendantes et sous-développées par rapport au noyau industrialisé.

 

Examinant la lutte pour l’hégémonie entre les États centraux au cours de cette période, on peut observer que la Grande-Bretagne est devenue la puissance dominante mondiale, en particulier après la défaite de la France napoléonienne, et s’est imposée comme l’hégémonie du système mondial. Wallerstein discute alors de la façon dont la domination économique et militaire de la Grande-Bretagne a façonné le commerce mondial, les finances et les relations politiques, ouvrant ainsi la voie à la "Pax Britannica du XIXe siècle."

Mais la période a également connu des changements culturels et idéologiques importants, y compris la propagation des idées des Lumières, la croissance du nationalisme et l’émergence du libéralisme et du socialisme. Wallerstein explore comment ces mouvements idéologiques ont été à la fois influencés par et influents dans la formation du système mondial. Tous ces changements ont contribué à la légitimation du nouvel ordre capitaliste et à la reconfiguration des relations sociales et politiques au sein de l’économie mondiale en expansion.


"The Modern World-System IV : Centrist Liberalism Triumphant, 1789-1914", Immanuel Wallerstein, 2011

Ce quatrième volume de la série d’Immanuel Wallerstein sur la théorie des systèmes mondiaux, examine la période allant de la Révolution française de 1789 au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914. Trois grandes idéologies, le conservatisme, le libéralisme et le radicalisme, sont apparues à cette période cruciale en réponse à la transformation culturelle mondiale qui a eu lieu lorsque la Révolution française a légitimé la souveraineté du peuple. Wallerstein raconte comment les capitalistes, et la Grande-Bretagne, ont apporté un ordre relatif au monde et comment le libéralisme a triomphé comme idéologie dominante, façonnant la trajectoire du capitalisme global et des relations internationales ...

 

(Centrist Liberalism as Ideology) "The name we give to these attempts at resolving what prima facie seems a deep and possibly unbridgeable gap of conflicting interests is "ideology". Ideologies are not simply ways of viewing the world. They are more than mere prejudices and presuppositions. Ideologies are political metastrategies, and as such are required only in a world where political change is considered normal and not aberrant. It was precisely such a world that the capitalist world-economy had become under the cultural upheaval of the revolutionary-Napoleonic period. It was precisely this world that developed the ideologies that served during the nineteenth and twentieth centuries as both the handbooks of daily political activity and the credos justifying the mundane compromises of such activity.

Was the French Revolution inspired by liberal ideology, or was it rather the negation of liberal ideology? This was a central theme of the French (and worldwide) debate during the bicentennial of 1989. The question, however, is perhaps not very meaningful, because liberalism as an ideology is itself a consequence of the French Revolution, and not a description of its political culture. The first ideological reaction to the French Revolution’s transformation of the geoculture was in fact, however, not liberalism, but conservatism. Burke and de Maistre wrote about the Revolution immediately, in the heat of the events, in books that have 

remained founts of conservative ideology to this day. Of course, the concepts preceded the terms. The term conservative apparently first appeared only in 1818,  and the noun "liberal" was probably first used in 1810...."

 

Le nom que nous donnons à ces tentatives de résolution de ce qui, à première vue, semble être un fossé profond et peut-être infranchissable entre des intérêts contradictoires, est l'idéologie. Les idéologies ne sont pas simplement des façons de voir le monde. Elles sont plus que de simples préjugés et présupposés. Les idéologies sont des métastratégies politiques et, en tant que telles, elles ne sont nécessaires que dans un monde où le changement politique est considéré comme normal et non comme aberrant. C'est précisément un tel monde que l'économie mondiale capitaliste est devenue à la suite des bouleversements culturels de la période révolutionnaire et napoléonienne. C'est précisément dans ce monde que se sont développées les idéologies qui ont servi, au cours des XIXe et XXe siècles, à la fois de manuels de l'activité politique quotidienne et de credos justifiant les compromis banals de cette activité.

La Révolution française était-elle inspirée par l'idéologie libérale ou était-elle plutôt la négation de l'idéologie libérale ? Cette question a été au cœur du débat français (et mondial) lors du bicentenaire de 1989. La question, cependant, n'est peut-être pas très significative, car le libéralisme en tant qu'idéologie est lui-même une conséquence de la Révolution française, et non une description de sa culture politique. La première réaction idéologique à la transformation de la géoculture par la Révolution française n'a pas été le libéralisme, mais le conservatisme. Burke et de Maistre ont écrit sur la Révolution immédiatement, dans le feu de l'action, dans des livres qui sont restés des sources d'idéologie conservatrice. 

qui sont restés des sources d'idéologie conservatrice jusqu'à aujourd'hui. Bien sûr, les concepts ont précédé les termes. Le terme conservateur ne serait apparu qu'en 1818, et le substantif « libéral » aurait été utilisé pour la première fois en 1810...."

 

"The Rise of Centrist Liberalism" - le libéralisme comme la force politique et idéologique dominante au XIXe siècle parce que cherchant à équilibrer les intérêts des capitalistes et des travailleurs, préconisant une réforme progressive plutôt qu’un changement radical. Cette idéologie est devenue d'autant plus influente après la Révolution française, qu'elle a promu les idées de droits individuels, de propriété privée, de marchés libres et de gouvernement représentatif, qui ont toutes soutenu l’expansion et la consolidation de l’économie mondiale capitaliste.

"Consolidation of the Nation-State System" - Le XIXe siècle a vu la consolidation de l’État-nation comme unité politique principale au sein du système mondial, et Wallerstein discute de la façon dont la montée du libéralisme fut étroitement liée à la formation des États-nations, qui sont devenus des acteurs clés dans la promotion et la régulation de l’économie capitaliste. Des États-nations qui ont joué un rôle crucial dans la gestion des conflits internes, en particulier entre le capital et le travail, tout en se concurrençant sur la scène mondiale pour la domination économique et politique.

" Expansion of the World-Economy" - La période fut marquée par l’expansion continue de l’économie capitaliste mondiale. Wallerstein nous décrit comment l’industrialisation, le colonialisme et les réseaux commerciaux mondiaux ont contribué à la croissance de l’économie mondiale, intégrant davantage les régions périphériques dans le marché mondial. Les régions centrales, en particulier l’Europe occidentale et les États-Unis, ont continué à dominer l’économie mondiale, bénéficiant des progrès technologiques, de l’exploitation des ressources coloniales et de la mise en place de systèmes financiers mondiaux.

"Social and Political Struggles" - Wallerstein évoque les luttes sociales et politiques qui ont caractérisé cette époque, en particulier les conflits entre la classe ouvrière montante et les élites capitalistes. Le développement des mouvements ouvriers, des idéologies socialistes et des demandes de représentation politique et de bien-être social a traversé tout le XIXe siècle. Ces luttes ont forcé les libéraux à adopter des réformes, telles que le suffrage élargi, la protection du travail et les filets de sécurité sociale, afin de maintenir l’ordre social et empêcher tout bouleversement révolutionnaire.

"Colonialism and Imperialism" - C'est durant cette période que l'expansion coloniale connut son apogée, les puissances européennes se partageant une grande partie de l’Afrique, de l’Asie et des Amériques. Wallerstein discute comment l’impérialisme était à la fois un produit et un contributeur de l’économie capitaliste mondiale, fournissant aux pays centraux une main-d’œuvre bon marché, des matières premières et de nouveaux marchés pour leurs marchandises. La concurrence pour les colonies et les ressources a également intensifié les rivalités entre les États centraux, contribuant aux tensions qui mèneront finalement à la Première Guerre mondiale.

Wallerstein n'oublie pas d'évoquer les développements intellectuels et culturels du XIXe siècle, y compris la diffusion des idées libérales, la montée du nationalisme et l’émergence de nouveaux paradigmes scientifiques et philosophiques. Ces changements culturels furent étroitement liés aux changements politiques et économiques de l’époque, contribuant à légitimer et à propager les idéologies dominantes de l’époque. La tension entre libéralisme, socialisme et conservatisme est devenue un trait caractéristique du paysage intellectuel de l’époque, influençant les débats politiques et les politiques sociales.

Le livre se termine par une analyse des facteurs qui ont mené à la Première Guerre mondiale. Wallerstein soutient que les contradictions au sein du système capitaliste mondial, y compris les inégalités économiques, les rivalités inter-étatiques, et les troubles sociaux, ont créé un environnement instable qui a finalement dégénéré en conflit mondial.

La guerre a marqué le début d’une transformation importante du système mondial, ouvrant la voie aux changements politiques, économiques et sociaux dramatiques du XXe siècle..


"Unthinking Social Science: The Limits of Nineteenth-Century Paradigms", Immanuel Wallerstein, 1991

Wallerstein se livre ici à un examen critique des hypothèses et méthodologies fondamentales qui ont façonné les sciences sociales depuis le XIXe siècle, contestant les paradigmes classiques des sciences sociales, notamment leur eurocentrisme et leur cloisonnement en disciplines distinctes, et donc leur foncière inaptitude à comprendre les complexités du monde moderne. Le livre est un appel à réévaluer et repenser de façon critique la manière dont nous étudions et comprenons la société, dans le but de construire une science sociale plus pertinente et inclusive pour l’avenir.

"Critique of Nineteenth-Century Paradigms" - Wallerstein soutient que les cadres de la science sociale dominante ont été construits au cours du 19e siècle et sont profondément enracinés dans le contexte intellectuel et politique de cette époque. Ces paradigmes reflètent les préoccupations et les perspectives des puissances européennes au plus fort de leur domination mondiale, conduisant à une vision du monde eurocentrique. La division du savoir en disciplines distinctes comme la sociologie, l’économie et les sciences politiques est artificielle et limite notre compréhension des réalités sociales complexes. 

Wallerstein en vient donc à préconiser une approche interdisciplinaire, qu’il appelle "analyse des systèmes mondiaux" : un cadre qui souligne l’interdépendance des processus sociaux, économiques et politiques à l’échelle mondiale. Au lieu d’étudier les sociétés de manière isolée, l’analyse des systèmes mondiaux s'intéresse au système mondial dans sa globalité, en particulier à la dynamique du capitalisme et sa façon de façonner les inégalités mondiales.

Le livre critique de même la notion d’objectivité en sciences sociales, arguant que toute connaissance est située et influencée par le contexte dans lequel elle est produite. Wallerstein souligne la nécessité pour les chercheurs d’être conscients de leurs propres préjugés et des contextes historiques qui façonnent leur travail. Il appelle à une science sociale plus réfléchie qui reconnaisse l’influence des rapports de pouvoir sur la production du savoir.

Il va jusqu'à affirmer la nécessité de "détourner" les paradigmes établis des sciences sociales, c’est-à-dire de repenser de façon critique et de dépasser les limites des cadres traditionnels.

Il encourage le développement de nouvelles approches plus holistiques, moins eurocentriques et mieux adaptées à la compréhension des complexités du monde moderne. Le livre se termine par une discussion sur l’avenir des sciences sociales, considérant que la restructuration des sciences sociales est essentielle pour relever les défis du monde contemporain, notamment la mondialisation, l’inégalité et les crises environnementales.


"After Liberalism", Immanuel Wallerstein, 1995

"Après le libéralisme" d’Immanuel Wallerstein se veut une exploration critique du déclin du libéralisme comme cadre idéologique et politique dominant du système mondial moderne. Le libéralisme est ici entendu de façon large, englobant non seulement le libéralisme politique (axé sur les droits individuels et la démocratie représentative) mais aussi le libéralisme économique (axé sur les marchés libres et le capitalisme). Un libéralisme qui a atteint ses limites, incapable qu'il fut de s’attaquer aux inégalités et aux crises systémiques qu’il a contribué à créer. Les structures idéologiques, économiques et politiques construites sur des fondations libérales sont de plus en plus instables et de fait Wallerstein soutient que le monde entre dans une période de transition, s’éloignant du consensus libéral qui a façonné jusque-là la politique mondiale, l’économie et la société depuis le XIXe siècle.

"The Crisis of Liberalism" - La stagnation économique, les inégalités croissantes, la dégradation de l’environnement et la résurgence des mouvements nationalistes et fondamentalistes ont alimentés une insatisfaction généralisée envers les institutions et les normes libérales, contribuant ainsi à l’érosion du consensus libéral et à la montée d’idéologies alternatives.

"The Decline of U.S. Hegemony" - Wallerstein aborde ici l'un des aspects clés de son livre, le déclin de l’hégémonie américaine. Il soutient que les États-Unis, qui étaient l’architecte principal et le promoteur de l’ordre mondial libéral au XXe siècle, ont perdu leur capacité à maintenir leur domination. Cet affaiblissement est analysé à la fois en termes de cause que de conséquence de la crise plus large du libéralisme. 

"The Future of the World-System" - quels sont les scénarios potentiels pour l’avenir le déclin du libéralisme pourrait-il conduire soit à un système mondial plus égalitaire ou à un système plus autoritaire? Wallerstein soutient que le monde est en période de transition systémique, l’ancien ordre se décompose sans qu'un nouvel ordre émerge encore : l'incertitude reste entière. 

Wallerstein critique au passage la notion même de démocratie libérale : elle n’a pas tenu ses promesses d’égalité et de justice, et semble avoir souvent servi à nous masquer les structures de pouvoir sous-jacentes et les inégalités du système capitaliste mondial. Abordant le rôle de l’inégalité mondiale dans la crise du libéralisme. il soutient que la disparité croissante entre les riches et les pauvres, tant au sein des nations qu’entre elles, a alimenté l’agitation sociale et la montée de mouvements qui remettent en question le statu quo libéral. Là aussi l'avenir semble difficile à imaginer, peut-on réellement espérer de nouvelles réflexions politiques capables de traiter les complexités du système mondial contemporain, au-delà du clivage traditionnel entre gauche et droite qui, au sein du système libéral mondial, n’ont souvent pas réussi à offrir de véritables solutions de rechange au statu quo. C'est tout l'enjeu du monde post-libéral vers lequel nous nous acheminons inéluctablement ...


"End of the World as We Know It: Social Science for the Twenty-First Century", Immanuel Wallerstein, 1999

Ce livre n’est rien de moins qu’une allocution sur l’état du monde, par l’un des plus éminents spécialistes des sciences sociales de cette fin du XXe siècle et à un moment charnière de notre Histoire : un ordre mondial qui s'effrite, un avenir qui semble incertain, sans doute, mais pour l'auteur une opportunité d'évolution fondamentale à laquelle il exhorte citoyens et scientifiques de se livrer ...

Wallerstein débute son propos en retraçant un certain nombre d’événements clés, l’effondrement des États léninistes, l’épuisement des mouvements de libération nationale, la montée de l’Asie de l’Est, les défis à la souveraineté nationale, les dangers pour l’environnement, les débats sur l’identité nationale et la marginalisation des populations migrantes. Ces évènements sont ensuite réinterprétés dans le contexte de l’évolution du système mondial moderne dans son ensemble pour nous permettre d'identifier les choix historiques qu'ils semblent nous indiquer. Le système capitaliste mondial moderne, qui a dominé les relations mondiales pendant des siècles, est entré dans une période de crise structurelle. Ce système, fondé sur l’accumulation sans fin du capital, a atteint ses limites et les contradictions inhérentes à ce système deviennent de plus en plus apparentes, des contradictions que l'on peut décrire en termes de stagnation économique, de dégradation de l’environnement et d'inégalités sociales croissantes. A cela s'ajoute l'argument du déclin hégémonique des Etats-Unis déjà évoqués dans ses précédents ouvrages. Enfin Wallerstein critique ici  les sciences sociales traditionnelles, qu’il estime trop compartimentées et eurocentriques, et plaide pour une approche plus intégrée et plus globale et qui soit davantage en phase avec les réalités du système mondial.

L'ouvrage se termine par une analyse des défis intellectuels majeurs auxquels sont confrontées les sciences sociales telles que nous les connaissons aujourd’hui et suggère des réponses possibles à ces défis. Wallerstein se garde bien de prédire un avenir spécifique mais suggère que la crise du système mondial actuel pourrait conduire à divers résultats. Il prévient que la période de transition pourrait être marquée par une instabilité importante et que le nouveau système qui émerge pourrait être soit plus juste et équitable, soit plus explosif et répressif, selon les actions qu'entreprendront les acteurs mondiaux. Et bien que les forces structurelles soient puissantes, il soutient que l’action collective peut influencer la direction de la transformation du système mondial, d'où cet appel réitéré à une réflexion critique et à un engagement actif pour diriger le monde vers un avenir plus juste et durable ...

 

"... Liberalism and Democracy - Freres Ennemis?

Both liberalism and democracy have been sponge terms. Each has been given multiple, often contradictory, definitions. Furthermore, the two terms have had an ambiguous relationship to each other ever since the first half of the nineteenth century when they first began to be used in modern political discourse. In some usages, they have seemed identical, or at least have seemed to overlap heavily. In other usages, they have been considered virtually polar opposites. I shall argue that they have in fact been freres ennemis. They have been members in some sense of the same family, but they have represented pushes in very different directions. And the sibling rivalry, so to speak, has been very intense. I will go further. I would say that working out today a reasonable relationship between the two thrusts, or concepts, or values is an essential political task, the prerequisite for resolving positively what I anticipate will be the very strong social conflicts of the twenty-first century. This is not a question of definitions, but first and foremost one of social choices.

 

Le libéralisme et la démocratie sont des termes "éponges". Chacun a reçu de multiples définitions, souvent contradictoires. En outre, les deux termes ont entretenu une relation ambiguë l'un avec l'autre depuis la première moitié du dix-neuvième siècle, lorsqu'ils ont commencé à être utilisés dans le discours politique moderne. Dans certains usages, ils ont semblé identiques, ou du moins se chevaucher fortement. Dans d'autres, ils ont été considérés comme pratiquement opposés. Je soutiendrai qu'ils ont en fait été des frères ennemis. Ils ont été membres, dans un certain sens, de la même famille, mais ils ont représenté des poussées dans des directions très différentes. Et la rivalité fraternelle, pour ainsi dire, a été très intense. J'irai plus loin. Je dirais qu'élaborer aujourd'hui une relation raisonnable entre les deux axes, ou concepts, ou valeurs, est une tâche politique essentielle, la condition préalable à la résolution positive de ce qui, je le prévois, sera les conflits sociaux très forts du XXIe siècle. Il ne s'agit pas d'une question de définitions, mais avant tout de choix de société.

 

Both concepts represent responses, rather different responses, to the modern world-system. The modern world-system is a capitalist worldeconomy. It is based on the priority of the ceaseless accumulation of capital. Such a system is necessarily inegalitarian, indeed polarizing, both economically and socially. A t the same time, the very emphasis on accumulation has one profoundly equalizing effect. It puts into question any status obtained or sustained on the basis of any other criteria, including all criteria that are acquired through filiation. This ideological contradiction between hierarchy and equality that is built into the very rationale for capitalism has created dilemmas, from the beginning, for all those who have privilege within this system.

 

Les deux concepts représentent des réponses, plutôt différentes, au système mondial moderne. Le système mondial moderne est une économie mondiale capitaliste. Il est basé sur la priorité de l'accumulation incessante du capital. Un tel système est nécessairement inégalitaire, voire polarisant, tant sur le plan économique que social. En même temps, l'accent mis sur l'accumulation a un effet profondément égalisateur. Il remet en cause tout statut obtenu ou maintenu sur la base de tout autre critère, y compris tous les critères acquis par la filiation. Cette contradiction idéologique entre hiérarchie et égalité, qui est intégrée dans la logique même du capitalisme, a créé des dilemmes, dès le départ, pour tous ceux qui ont des privilèges au sein de ce système.

 

Let us look at this dilemma from the point of view of the quintessential actor of the capitalist world-economy, the entrepreneur, sometimes called the bourgeois. The entrepreneur seeks to accumulate capital. To do this, he acts through the world market, but seldom exclusively by means of the market. Successful entrepreneurs necessarily depend on the aid of the state machinery’s to help them create and retain relative sectorial monopolies, which are the only source of truly substantial profits in the market.

Once the entrepreneur has accumulated substantial amounts o f capital, he must worry about retaining it — against the vagaries of the market to be sure, and also against the attempts of others to steal it, confiscate it, or tax it away. But his problems do not end there. He must also worry about passing it on to heirs. This is not an economic necessity, but rather a sociopsychological necessity, one however that has serious economic consequences. The need to ensure that capital is bequeathed to heirs is an issue not primarily of taxation (which can be treated as an issue of defending the market against the state) but of the competency of heirs as entrepreneurs (which means that the market becomes the enemy of inheritance). Over the long run, the only way to ensure that incompetent heirs can inherit and retain capital is to transform the source of renewal of capital from profits to rents. But while this solves the sociopsychological need, it undermines the social legitimacy of entrepreneurial accumulation, which is competency in the market. And this in turn creates a continuing political dilemma.

 

Examinons ce dilemme du point de vue de l'acteur par excellence de l'économie mondiale capitaliste, l'entrepreneur, parfois appelé le bourgeois. L'entrepreneur cherche à accumuler du capital. Pour ce faire, il agit par l'intermédiaire du marché mondial, mais rarement exclusivement par le biais du marché. Les entrepreneurs qui réussissent dépendent nécessairement de l'aide de l'appareil d'État pour les aider à créer et à conserver des monopoles sectoriels relatifs, qui sont la seule source de profits réellement substantiels sur le marché. Une fois que l'entrepreneur a accumulé des quantités substantielles de capital, il doit se préoccuper de les conserver - contre les aléas du marché, bien sûr, mais aussi contre les tentatives des autres de les voler, de les confisquer ou de les taxer. Mais ses problèmes ne s'arrêtent pas là. Il doit également se préoccuper de la transmission de son patrimoine à ses héritiers. Il ne s'agit pas d'une nécessité économique, mais plutôt d'une nécessité sociopsychologique, qui a toutefois de graves conséquences économiques. La nécessité de s'assurer que le capital est légué aux héritiers n'est pas d'abord une question de fiscalité (qui peut être traitée comme une question de défense du marché contre l'État), mais de compétence des héritiers en tant qu'entrepreneurs (ce qui signifie que le marché devient l'ennemi de l'héritage). À long terme, la seule façon de garantir que des héritiers incompétents puissent hériter et conserver le capital est de transformer la source de renouvellement du capital des profits en rentes. Mais si cela résout le besoin sociopsychologique, cela sape la légitimité sociale de l'accumulation entrepreneuriale, qui est la compétence sur le marché. Cela crée à son tour un dilemme politique permanent.

 

Now, let us look at the same problem from the point of view of the working classes, those who are not in a position to accumulate capital in any serious way. The development of the productive forces under capitalism leads as we know to vastly increased industrialization, urbanization, and geographical concentration of wealth and higher-wage employment. W e are not concerned here with why this is so or how it occurs, but merely with its political consequences. Over time, and especially in the core or “more developed” countries, this process leads to a reconfiguration of the state-level stratification pattern, with increasing percentages of middle strata and higher-waged employees, and therefore to the increasing political strength of such persons. The primary geocultural consequence of the French Revolution and its Napoleonic aftermath was to legitimate the political demands of such persons via the argument that national sovereignty resided in the “people.” While popular sovereignty was possibly compatible with the hypothetical egalitarianism of market accumulation, it was absolutely at odds with any and all attempts to create rentier sources of income.

 

Examinons maintenant le même problème du point de vue des classes laborieuses, celles qui ne sont pas en mesure d'accumuler sérieusement du capital. Le développement des forces productives dans le cadre du capitalisme conduit, comme nous le savons, à une industrialisation, une urbanisation et une concentration géographique de la richesse et des emplois à haut niveau de rémunération fortement accrues. Nous ne nous intéressons pas ici aux raisons ou à la manière dont cela se produit, mais simplement à ses conséquences politiques. Au fil du temps, et en particulier dans les pays centraux ou « plus développés », ce processus conduit à une reconfiguration du modèle de stratification au niveau de l'État, avec des pourcentages croissants de strates moyennes et de salariés à salaires plus élevés, et donc à une force politique croissante de ces personnes. La principale conséquence géoculturelle de la Révolution française et de ses suites napoléoniennes a été de légitimer les revendications politiques de ces personnes en avançant l'argument selon lequel la souveraineté nationale réside dans le « peuple ». Si la souveraineté populaire était éventuellement compatible avec l'égalitarisme hypothétique de l'accumulation marchande, elle était absolument contraire à toute tentative de créer des sources de revenus rentiers.

 

Reconciling the ideology of market legitimacy with the sociopsychological need to create rentier income has always been a matter of fast talk for the entrepreneurs. The contradictory language of liberals is one of the results. It is this attempt to juggle the language that set the stage for the ambiguous relationship during the last two centuries of “liberalism” and “democracy.” At the time that liberalism and democracy first began to be political terms in common usage, in the first half of the nineteenth century, it was the case that the basic political cleavage was between conservatives and liberals, the party of order and the party of movement. Conservatives were those fundamentally opposed to the French Revolution in all its guises — Girondin, Jacobin, Napoleonic. Liberals were those who saw the French Revolution as something positive, at the minimum in its Girondin version, which was believed to represent something akin to the English evolution of parliamentary government. This positive view of the French Revolution, cautious at first in 1815 in the wake of the Napoleonic defeat, became bolder as the years went by.

 

Concilier l'idéologie de la légitimité du marché avec le besoin sociopsychologique de créer des revenus rentiers a toujours été un sujet de conversation rapide pour les entrepreneurs. Le langage contradictoire des libéraux en est l'un des résultats. C'est cette tentative de jongler avec le langage qui a ouvert la voie à la relation ambiguë entre le « libéralisme » et la « démocratie » au cours des deux derniers siècles. À l'époque où le libéralisme et la démocratie ont commencé à être des termes politiques d'usage courant, dans la première moitié du XIXe siècle, le clivage politique fondamental se situait entre les conservateurs et les libéraux, le parti de l'ordre et le parti du mouvement. Les conservateurs étaient ceux qui étaient fondamentalement opposés à la Révolution française sous toutes ses formes - Girondins, Jacobins, Napoléoniens. Les libéraux étaient ceux qui voyaient la Révolution française comme quelque chose de positif, au moins dans sa version girondine, qui était censée représenter quelque chose de semblable à l'évolution anglaise du gouvernement parlementaire. Cette vision positive de la Révolution française, d'abord prudente en 1815 à la suite de la défaite napoléonienne, est devenue plus audacieuse au fil des ans.

 

In the years between 1815 and 1848, in addition to the conservatives and the liberals, there were persons sometimes called democrats, quite often republicans, sometimes radicals, even occasionally socialists. These persons represented, however, not much more than a small left appendage of the liberals, sometimes playing the role of its ginger element, more of ten seen as an embarrassment by the mainline contingent of liberals. It is only later that this left appendage emerged as a fullfledged independent ideological thrust, at this later point usually under the label of socialists. After 1848, the ideological horizon became stabilized; we had arrived at the trinity of ideologies that have framed the political life of the nineteenth and twentieth centuries: conservatism, liberalism, and socialism/radicalism (otherwise known as right, center, and left). I shall not repeat here my argument about how and why liberalism after 1848 gained the upper hand over its rivals as an ideological construct, creating a consensus around it that became consecrated as the geoculture of the modern world-system and transforming both conservatism and socialism in the process into avatars of liberalism. Nor shall I repeat the argument that this consensus held firm until 1968, when it was once again called into question, allowing both conservatism and radicalism to reemerge as distinctive ideologies.

 

Dans les années 1815-1848, à côté des conservateurs et des libéraux, il y avait des personnes parfois appelées démocrates, assez souvent républicains, parfois radicaux, même parfois socialistes. Ces personnes ne représentaient cependant guère plus qu'un petit appendice gauche des libéraux, jouant parfois le rôle de son élément roux, plus souvent considéré comme gênant par le contingent principal des libéraux. Ce n'est que plus tard que cet appendice gauche a émergé en tant que poussée idéologique indépendante à part entière, à ce moment-là généralement sous l'étiquette des socialistes. Après 1848, l'horizon idéologique s'est stabilisé ; nous sommes arrivés à la trinité d'idéologies qui ont encadré la vie politique des XIXe et XXe siècles : le conservatisme, le libéralisme et le socialisme/radicalisme (également connus sous le nom de droite, centre et gauche). Je ne répéterai pas ici mon argumentation sur la manière dont le libéralisme a pris le dessus sur ses rivaux après 1848 en tant que construction idéologique, en créant un consensus autour de lui qui a été consacré comme la géoculture du système mondial moderne et en transformant le conservatisme et le socialisme en avatars du libéralisme. Je ne répéterai pas non plus l'argument selon lequel ce consensus a tenu bon jusqu'en 1968, date à laquelle il a été remis en question, permettant au conservatisme et au radicalisme de réapparaître en tant qu'idéologies distinctes.

 

What is crucial, I think, for the purposes of this discussion is to understand that, after 1848, the central concern of liberals ceased being to argue against the Ancien Regime. Rather, their central concern came to be at the other end of the political spectrum: how to counter the growing demand for democracy. The revolutions of 1848 showed, for the first time, the potential strength of a militant left force, the beginnings of a real social movement in the core zones and of national liberation movements in the more peripheral zones. The strength of this upsurge was frightening to the centrist liberals, and even though the revolutions of 1848 all petered out or were suppressed, liberals were determined to reduce the volubility of what they saw as the too radical, antisystemic demands of the dangerous classes.

 

Ce qui est crucial, je pense, pour les besoins de cette discussion, c'est de comprendre qu'après 1848, la préoccupation centrale des libéraux a cessé d'être d'argumenter contre l'Ancien Régime. Leur préoccupation centrale se situe plutôt à l'autre extrémité du spectre politique : comment contrer la demande croissante de démocratie. Les révolutions de 1848 ont montré, pour la première fois, la force potentielle d'une force de gauche militante, les débuts d'un véritable mouvement social dans les zones centrales et de mouvements de libération nationale dans les zones plus périphériques. La force de cette poussée effraie les libéraux centristes et, même si les révolutions de 1848 s'essoufflent ou sont réprimées, les libéraux sont déterminés à réduire la volubilité de ce qu'ils considèrent comme les revendications trop radicales et anti-systémiques des classes dangereuses.

 

Their counterefforts came in three forms. First, they put forward over the next half-century a program of “concessions” that they thought would satisfy these demands sufficiently to calm the situation but in such a way that the concessions would not threaten the basic structure of the system. Second, they quite openly replaced the de facto political coalition with the left (which they had pursued in the 1815-48 period, when the left seemed tiny and they thought their primary opponent was the conservatives) with a priority to political coalition on the right, whenever and wherever the left seemed threatening. Third, they developed a discourse that subtly distinguished liberalism from democracy.

 

Leurs contre-attaques ont pris trois formes. Premièrement, ils ont proposé, au cours du demi-siècle suivant, un programme de « concessions » qui, selon eux, répondrait suffisamment à ces demandes pour calmer la situation, mais de telle sorte que les concessions ne menacent pas la structure fondamentale du système. Deuxièmement, ils ont ouvertement remplacé la coalition politique de facto avec la gauche (qu'ils avaient poursuivie dans la période 1815-48, lorsque la gauche semblait minuscule et qu'ils pensaient que leur principal adversaire était les conservateurs) par une priorité à la coalition politique avec la droite, à chaque fois et partout où la gauche semblait menaçante. Troisièmement, ils ont développé un discours qui distinguait subtilement le libéralisme de la démocratie...."


"The World Is Out of Joint : World-Historical Interpretations of Continuing Polarizations",  Immanuel Wallerstein, 2014

Au cours d'une analyse profonde et critique du désordre mondial contemporain, Immanuel Wallerstein soutient que le monde est en pleine crise structurelle, marquée par une polarisation croissante, des changements géopolitiques, le déclin du libéralisme et des défis écologiques. Ces problèmes constituent autant de symptôme des changements systémiques plus larges ai sein du système mondial, suggérant que l’avenir est incertain et ouvert à de multiples possibilités. Le livre appelle à une reconsidération des paradigmes existants et à la recherche de nouvelles façons de comprendre et d’aborder les défis d’un monde hors du commun.

Crises structurelles du système mondial : Wallerstein soutient que le monde traverse une crise systémique, enracinée dans les contradictions inhérentes à l’économie mondiale capitaliste. Ces crises ne sont pas temporaires, mais indicatives d’une transformation plus profonde et à long terme de l’ordre mondial. Passant en revue les différentes dimensions de ces crises, notamment l’instabilité économique, la fragmentation politique et les troubles sociaux. Wallerstein soutient que les structures mondiales existantes, tant économiques que politiques, sont de plus en plus incapables de gérer ces crises. 

Le thème central du livre est celui d'une polarisation croissante au sein du système mondial. L'auteur nous explique comment les inégalités, tant entre les nations qu’à l’intérieur de celles-ci, se font plus prononcées, ce qui entraîne des tensions sociales et politiques accrues. Cette polarisation est considérée comme un produit du système capitaliste mondial, qui a historiquement généré la richesse pour quelques-uns tout en marginalisant beaucoup. Le fossé grandissant entre les riches et les pauvres déstabilise les sociétés et contribue à un sentiment de désordre mondial.

Analysant comment les puissances hégémoniques traditionnelles, en particulier les États-Unis et l’Europe occidentale, perdent leurs positions dominantes, Wallerstein en vient à discuter de la montée en puissance de nouvelles puissances, comme la Chine, et des implications de ces changements pour la gouvernance et la stabilité mondiales. Le déclin de l’hégémonie américaine est un thème récurrent, alors que Wallerstein explore comment cette transition de pouvoir contribue à l’instabilité et à l’incertitude géopolitiques.

Poursuivant sa critique des travaux antérieurs, Wallerstein examine le déclin de l’idéologie libérale et soutient que les idéaux du libéralisme — comme le libre marché, la démocratie représentative et les droits individuels — sont de plus en plus mis à rude épreuve tant ils ne parviennent pas à répondre aux complexités du monde moderne. Et la désillusion envers le libéralisme se manifeste dans la montée des mouvements populistes, nationalistes et autoritaires à travers le monde, qui remettent en question l’ordre libéral.

Wallerstein aborde de même les crises écologiques auxquelles le monde est confronté, telles que le changement climatique et la dégradation de l’environnement, et soutient que ces crises sont bien des symptômes de la nature non durable du système capitaliste mondial, qui privilégie le profit sur l’équilibre écologique. Les défis environnementaux sont donc considérés comme faisant partie des crises structurelles plus larges qui menacent l’avenir du système mondial.

Enfin, le livre explore les luttes culturelles et idéologiques qui façonnent le paysage mondial actuel. Wallerstein explique comment les différentes idéologies — qu’elles soient religieuses, nationalistes ou laïques — se font concurrence pour définir l’orientation future des sociétés. Et dans ce contexte, le rôle des politiques identitaires et les façons dont les divisions culturelles exacerbent la polarisation mondiale sont loin d'être négligeables ..

 

"... Those who have wealth and privilege today will not sit idly by. However, it will become increasingly clear to them that they cannot secure their future through the existing capitalist system. They will seek to bring into existence some other system, one based not on a central role of the market but rather on a combination of brute force and deception. The primary objective would be to ensure that the new system guaranteed the continuation of three key features of the present system—hierarchy, exploitation, and polarization.

On the other side will be popular forces across the world, which will also seek to create a new kind of historical system, one that is based on relative democracy and relative equality. Such a system has never yet existed. What this would mean in terms of the institutions the world will create is almost impossible to foresee. We shall learn what they look like in the building of this system in the decades to come.

Who will win out in this battle? No one can predict. It will be the result of an infinity of nano-actions by an infinity of nano-actors at an infinity of nano-moments. At some point the cumulated actions of everyone as they lend their support to one or the other of the two alternative solutions will tilt definitively in favor of one side or the other. There is no way of predicting the outcome. But this uncertainty is precisely what gives us hope.

 

It turns out that what each of us does at each moment about each immediate issue really matters. Some people call it the “butterfly effect.” The fluttering of a butterfly’s wings actually affects the climate at the other end of the world. In that sense, we are all little butterflies today. This is more than a metaphor. It is rather an operative reality, if one impossible to calculate (and therefore to predict).

 

"... Ceux qui ont aujourd’hui des richesses et des privilèges ne resteront pas les bras croisés. Cependant, il deviendra de plus en plus clair pour eux qu’ils ne peuvent pas assurer leur avenir par le système capitaliste existant. Ils chercheront à mettre en place un autre système, basé non pas sur un rôle central du marché mais plutôt sur une combinaison de force brute et de tromperie. L’objectif principal serait de s’assurer que le nouveau système garantisse la continuité des trois caractéristiques clés du système actuel : la hiérarchie, l’exploitation et la polarisation.

De l’autre côté, il y aura des forces populaires à travers le monde qui chercheront également à créer un nouveau type de système historique, basé sur la démocratie relative et l’égalité relative. Un tel système n’a jamais existé auparavant. Il est presque impossible de prévoir ce que cela signifierait en termes d’institutions que le monde créera. Nous apprendrons à quoi ils ressembleront dans la construction de ce système au cours des décennies à venir.

Qui va gagner cette bataille? Personne ne peut prédire. Il sera le résultat d’une infinité de nano-actions par une infinité de nano-acteurs à une infinité de nano-moments. A un moment donné, les actions cumulées de chacun en s’appuyant sur l’une ou l’autre des deux solutions alternatives pencheront définitivement en faveur d’un côté ou de l’autre. Il n’y a aucun moyen de prédire le résultat. Mais c’est précisément cette incertitude qui nous donne espoir.

Il s’avère que ce que chacun de nous fait à chaque instant au sujet de chaque problème immédiat est vraiment important. Certains appellent cela l’« effet papillon ». Le battement des ailes d’un papillon affecte en fait le climat à l’autre bout du monde, et nous sommes tous de petits papillons aujourd’hui. Il s’agit plus d’une métaphore. C’est plutôt une réalité opérationnelle, si impossible à calculer (et donc à prédire)...."

 

"We have tried in this book to outline an alternative vision of socialreality. We hope we have made a case that is sufficiently plausible that itspremises may be discussed publicly and seriously by scholars, by political actors, and by ordinary persons affected by all these realities. No doubt an enormous amount of serious research still needs to be done. And the world needs an enormous amount of debate about political strategy. Whatever we have contributed here is offered only as a beginning. We welcome, therefore, not only critique of our arguments but all efforts to go beyond where we have gone. This is an intellectual task, a moral obligation, and a political effort."


"Geopolitics and geoculture : essays on the changing world-system", Immanuel Wallerstein, 1991

Dans "Géopolitique et géoculture", Immanuel Wallerstein fournit une analyse nuancée de l’interconnexion entre les stratégies politiques mondiales et les dynamiques culturelles au sein du système capitaliste mondial. Les essais qui constituent cet ouvrage mettent l’accent sur l’instabilité et le potentiel de transformation dans l’ordre mondial actuel, qui sont à la fois dictés par des changements géopolitiques et culturels. Le travail de Wallerstein incite les lecteurs à comprendre le monde comme un système complexe et interconnecté où la politique, la culture et l’économie sont profondément liées, et à reconnaître le potentiel de changement significatif alors que le système actuel fait face à des défis croissants.

Comme dans tous ses travaux, Wallerstein utilise l’analyse des systèmes mondiaux comme cadre principal pour explorer les processus globaux. Il soutient que le système mondial moderne, en particulier le capitalisme, est caractérisé par une structure hiérarchique avec des nations centrales, semi-périphériques et périphériques. Cette division globale du travail façonne à la fois les dynamiques économiques et les stratégies géopolitiques des États au sein du système mondial. Et si l paysage géopolitique est en mutation c'est en conséquence des contradictions au sein de l’économie mondiale capitaliste : ce qui conduit à une instabilité et à un potentiel de changements importants dans les relations de pouvoir mondiales. Quant au concept de géoculture, c'est faire référence au cadre culturel global qui façonne et est façonné par le système mondial. Wallerstein explore ainsi  la façon dont les normes, valeurs et idéologies culturelles se propagent et influencent la dynamique mondiale. Il aborde la montée des idéologies universalistes comme le libéralisme et le socialisme, et comment ces idéologies ont été à la fois contestées et cooptées par le système capitaliste mondial.

On le voit, le contexte dans lequel la réflexion de Wallerstein est toujours celui d'un système capitaliste mondial plongé dans une période de crise systémique et confronté à des limites quant  à sa capacité d’expansion et d’accumulation du capital. Cette crise n’est pas seulement économique, mais aussi politique et culturelle. Il suggère que les contradictions inhérentes au capitalisme, telles que l’inégalité croissante et la dégradation de l’environnement, conduisent à l’effondrement de l’ordre mondial actuel.

Quel rôle attribué dans ce contexte aux mouvements sociaux? Ces mouvements, y compris ceux qui prônent la décolonisation, le féminisme et l’environnementalisme, sont à la fois un produit de la géoculture dominante et un défi à cette dernière. Ces mouvements sont bien à considérer comme des acteurs clés dans la formation de l’orientation future de la société mondiale, conduisant potentiellement à la transformation du système mondial. Et si Wallerstein se refuse à toute prédiction déterministe de l’avenir, il s'engage plutôt à décrire des scénarios possibles basés sur la trajectoire actuelle du système mondial. Il suggère que la période de transition pourrait aboutir à l’émergence d’un nouveau système, qui pourrait être soit plus égalitaire ou plus exploiteur, selon le résultat des luttes en cours au sein du système.


"The Next American Revolution : Sustainable Activism for the Twenty-First Century, Updated and Expanded Edition, New Afterword with Immanuel Wallerstein",  written by Grace Lee Boggs, 2011

Un monde dominé par l’Amérique et alimenté par le pétrole bon marché, le crédit facile et la consommation visible se dénoue sous nos yeux. Dans ce livre puissant et profondément humaniste, Grace Lee Boggs (1915-2015), une figure légendaire de la lutte pour la justice en Amérique, évalue la crise actuelle – politique, économique et environnementale – et montre comment créer le changement social radical dont nous avons besoin pour faire face aux nouvelles réalités. Boggs a participé à tous les grands mouvements sociaux du XXe siècle – pour les droits civils, les droits des femmes, les droits des travailleurs, etc. et puise dans sept décennies d’expérience militante, et un engagement rigoureux à la pensée critique, pour redéfinir la « révolution » de notre temps. Depuis Detroit, véritable laboratoire d'où elle imagine le future des villes américaines, elle révèle comment l’espoir et la créativité surmontent le désespoir et la décadence au sein des communautés urbaines les plus dévastées. Auteure de plusieurs livres influents, dont "Revolution and Evolution in the Twentieth Century" (1974), coécrit avec James Boggs, et son autobiographie, "Living for Change" (1998), son livre est un manifeste pour la création de modes alternatifs de travail, de politique et d’interaction humaine qui constitueraient collectivement la prochaine révolution américaine ...

 

"Revolution Beyond Protest  - Boggs soutient que les formes traditionnelles de protestation et de résistance ne sont plus suffisantes pour traiter les problèmes systémiques profonds de la société américaine, et prône une révolution qui implique la création de nouvelles institutions et modes de vie qui reflètent les valeurs de justice, d’égalité et de durabilité.

Le livre souligne l’importance de l'"organisation visionnaire" (visionary organizing) qui va au-delà de la réaction à l’oppression : il s'agit d'imaginer et de créer une nouvelle société qui répond aux besoins humains, favorise la créativité et respecte l’environnement, ce qui implique des efforts de la base pour construire des communautés autonomes et axées sur l’entraide.

Autre concept important, celui de "Interconnected Struggles" - L’ouvrage traite de la nature interconnectée des diverses luttes, y compris celles pour la justice raciale, l’égalité économique, la durabilité environnementale et l’équité entre les sexes. Boggs appelle à une approche du militantisme qui reconnaît ces liens et travaille avec différents mouvements pour créer un changement plus holistique. Au cœur de la vision de Boggs se trouve l’idée que le changement social exige une transformation des valeurs humaines et de la culture, ce qui emporte un changement de la consommation, de l’individualisme et de la concurrence vers la communauté, la coopération, une orientation vers le bien commun. Un changement culturel essentiel pour créer les fondations d’une nouvelle société. 

Et on ne peut guère s'étonner de voir citer dans ce livre la nécessité d'une évolution de la démocratie : celle-ci doit évoluer au-delà des mécanismes traditionnels de vote et de représentation, et le maître mot est celui d'une démocratie plus participative  ..


"Does Capitalism Have a Future?" (2013)

"Le capitalisme a-t-il un avenir ?", cinq sociologues et historiens de renom (Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, et Craig Calhoun), présentent tour à tour leur point de vue sur la durabilité et l’avenir du capitalisme, en analysant ses forces, ses faiblesses et les défis potentiels auxquels il est confronté. Le livre ne fournit pas une réponse définitive quant à la survie du capitalisme, mais présente un éventail de possibilités. 

Et donc n'ajoute pas grand chose aux problèmes qui nous préocuppent, celui du monde qui se dessine ... Immanuel Wallerstein y soutient que le capitalisme atteint ses limites structurelles et pourrait ne pas survivre aux décennies à venir. Il considère que le système économique mondial actuel est insoutenable en raison de l’accumulation de crises systémiques, telles que les inégalités économiques, la dégradation de l’environnement et l’instabilité politique; et suggère que le capitalisme pourrait céder la place à un nouveau système mondial, encore incertain. Randall Collins privilégie quant à lui  conflits de classe, concentration des richesses, déclin de la classe moyenne et de l’automatisation des emplois, et les envisage comme autant de sources d'éventuels  troubles sociaux susceptibles de remettre en question le système capitaliste. Pour Craig Calhoun, mouvements sociaux, crises environnementales et désillusion croissante vis-à-vis du néolibéralisme constituent autant de catalyseurs potentiels de changements significatifs. Michael Mann et Georgi Derluguian se montrent particulièrement quant à l'effondrement du capitalisme lui-même ...

 

Citons la présentation del'ouvrage, "actuellement, aucune de nos élites dirigeantes et très peu d’intellectuels ne peuvent imaginer la fin de notre système actuel", mais à quoi servent-ils? ...

 

"The Great Recession has prompted many reassessments of the finance-driven economic order that achieved world dominance in the era of globalization. Yet just about every observer has focused on only two issues: why things went wrong, and what we need to do in order to return the system to stability. Virtually no one has questioned whether the system as such can continue. In Does Capitalism Have a Future?, a quintet of globally eminent scholars - Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, and Craig Calhoun - survey the current global landscape and cut their way through to the most crucial issue of all: whether our capitalist system can survive in the medium run. Despite all its current gloom, conventional wisdom still assumes that capitalism cannot break down permanently because there is no alternative. The authors shatter this assumption, arguing that this generalization is not supported by theory, but is rather an outgrowth of the optimistic nineteenth-century claim that human history ascends through stages to an enlightened equilibrium of liberal capitalism. Yet as they point out, all major historical systems - from the Roman Empire to the Qing dynasty in China - have broken down in the end. In the modern epoch there have been several cataclysmic events - notably the French revolution, World War I, and the collapse of the Soviet bloc - that came to pass mainly because contemporary political elites had spectacularly failed to calculate the consequences of the processes they presumed to govern. 

At present, none of our governing elites and very few intellectuals can fathom an ending to our current reigning system. How possible is a systemic collapse in the medium-run of coming decades is the central question of this debate. While the contributors arrive at different conclusions, they are in constant dialogue with one another and therefore able to construct a relatively seamless--if open-ended--whole. Written by five of world's most eminent scholars of global historical trends, this ambitious book asks the biggest of questions: are we on the cusp of a radical world historical shift or not?"

 

"La grande récession a entraîné de nombreuses réévaluations de l’ordre économique fondé sur les finances qui a dominé le monde à l’ère de la mondialisation. Pourtant, à peu près tous les observateurs se sont concentrés sur deux questions seulement : pourquoi les choses ont mal tourné et ce que nous devons faire pour rétablir la stabilité du système. Personne ne doute que le système puisse continuer à fonctionner. Dans Le capitalisme a-t-il un avenir? , un quintet de chercheurs éminents à l’échelle mondiale - Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian et Craig Calhoun - examinent le paysage mondial actuel et se frayent un chemin vers la question la plus cruciale de toutes : Si notre système capitaliste peut survivre à moyen terme. Malgré toute sa morosité actuelle, la sagesse populaire suppose toujours que le capitalisme ne peut pas s’effondrer définitivement parce qu’il n’y a pas d’alternative. Les auteurs brisent cette hypothèse en arguant que cette généralisation n’est pas étayée par la théorie, mais qu’elle est plutôt une conséquence de l’affirmation optimiste du XIXe siècle selon laquelle l’histoire humaine monte à travers des étapes vers un équilibre éclairé du capitalisme libéral. Pourtant, comme ils le soulignent, tous les grands systèmes historiques - de l’Empire romain à la dynastie des Qing en Chine - se sont finalement effondrés. À l’époque moderne, il y a eu plusieurs événements cataclysmiques - notamment la révolution française, la Première Guerre mondiale et l’effondrement du bloc soviétique - Cela s’est produit principalement parce que les élites politiques contemporaines avaient spectaculairement manqué de calculer les conséquences des processus qu’elles prétendaient gouverner. 

Actuellement, aucune de nos élites dirigeantes et très peu d’intellectuels ne peuvent imaginer la fin de notre système actuel. Comment est-il possible qu’un effondrement systémique se produise à moyen terme au cours des prochaines décennies est la question centrale de ce débat. Bien que les contributeurs arrivent à des conclusions différentes, ils sont en dialogue constant entre eux et peuvent donc construire un ensemble relativement homogène — s’il est ouvert — . 

Écrit par cinq des plus éminents spécialistes mondiaux des tendances historiques mondiales, cet ambitieux livre pose la plus grande des questions : sommes-nous à l’aube d’un changement historique mondial radical ou non?"