Noam Chomsky (1928), "Cartesian Linguistics" (La Linguistique cartésienne, 1965), "Language and Mind" ( 1968, Le Langage et la pensée), "Knowledge of Language" (1986, La Connaissance du Langage), "The Responsibility of Intellectuals" (1967), "American Power and the New Mandarins" (1967, L'Amérique et ses nouveaux mandarins), "Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media" (1988, with Edward S. Herman), "Requiem for the American Dream: The 10 Principles of Concentration of Wealth and Power" (2017) ...
Last update : 2023/11/11
Il y a du pouvoir dans toute société, et il nous est expliqué depuis toujours que ce pouvoir est essentiel pour permettre toute vie en société tant la nature humaine est pétrie de mauvaises intentions, tant l'être humain est un loup pour l'être humain : si Thomas Hobbes n'a rien inventé depuis les années 1650 il a merveilleusement installé dans nos consciences un de nos grands préjugés qui a su, au fil du temps, se théoriser avec forces arguments, la domination de l'être humain sur l'être humain. Il y a donc du pouvoir dans toute société, ce pouvoir est incontournable, il doit être incarné, au niveau le plus abstrait, c'est l'Etat et l'institutionnel qui l'habite, mais ce pouvoir semble par ailleurs se concentrer quelque part dans la société, dans nos relations sociales et individuelles, vis-à-vis de nos libertés, un réseau complexe de rapports de pouvoir prend ainsi corps, et, quoiqu'on n'en dise, ce sont bien des êtres humains de chair et de sang qui en ont l'exercice, et sous bien des formes.
Qui détient les clés des institutions socio-politiques, médias et système financier inclus, dans nos sociétés, une riche minorité d'individus, soutient le philosophe politique et linguiste américain Noam Chomsky, une élite puissante qui rend alors tout changement ou évolution significative impossible, des élites sociales qui trouvent dans notre démocratie non seulement l'espace nécessaire à leur reproduction sans fin, mais parviennent, en toute légalité extérieure, à s'imposer, par fortune ou par position, une réalité qui paraît toute naturelle et justifiable aux yeux des autres membres de la société, le plus souvent dominés par consentement libre ou indifférent.
Il faut, pour tenter une prise de conscience quelque peu critique, de cette "réalité", si profondément considérée comme "naturelle" ou "allant de soi" et ne posant nul problème tant qu'une certaine liberté semble suffire à notre existence, il faut en premier lieu ne pas accepter ce qui semble évidence et varier les points de vue pour voir apparaître une toute autre "réalité" sociale...
Ainsi Chomsky peut-il faire affleurer, dans un de ses nombreux ouvrages, une singulière logique de notre vie sociale et politique, construite uniquement, de bout en bout, pour "s'assurer que les riches sont heureux", une logique acceptée par tous, qu'il soit puissant ou sans ressource propre : il ne s'agit pas d'une prise de pouvoir de tel ou tel individu, de telle ou telle élite, mais d'une logique interne qui anime un réseau d'institutions les plus diverses mutuellement solidaires et travaillant à la stabilité économique et sociale du système : il s'agit tout simplement d'entretenir le statuquo de la société et de bloquer toute redistribution de ce fameux pouvoir, du moins autant que le monde globalisé puisse le permettre ...
"Une minorité de riches contrôlent les médias et les banques, les institutions désormais dominantes dans une société faite d'individus devenus parfaitement égocentriques et donc malléables à souhait pour la grande majorité, totalement indifférents à ce qui ne concerne pas directement ce qu'il pense être" - "cette minorité va pouvoir ainsi gérer les institutions en faveur de ses intérêts sans la moindre véritable opposition" - "toute tentative de réforme est naturellement bloquée car ne pouvant conduire qu'à l'épuisement des investissements et à la ruine de l'économie" - "pour garantir une économie en bonne santé, chacun, y compris le plus humble, doit soutenir un système qui seconde et soutient les plus aisés" - "et c'est ainsi que chaque membre d'une société en fin de compte n'a pour seul destin que d'assurer du bonheur des plus riches.." - Il n'est, semble-t-il, pas d'autres alternatives possibles, une logique qui ne concerne pas que l'Amérique, l'Europe, la France offrent, dans leurs spécificités respectives, la même fatale attraction ...
Rien n'est plus dangereux que l'ignorance, a pu écrire Martin Luther King. Peut-être l'indifférence ...
Dans les années 1850, Karl Marx écrivait que le pouvoir économique et politique était entre les mains d'une seule et unique classe sociale. Le sociologue Max Weber, dans les années 1920, montre que les bureaucrates forment les élites dirigeantes. En 1956, le sociologue américain Charles W. Mills affirme, dans "The Power Elite", que les grandes politiques nationales découlent de l'armée, des grandes entreprises et des hommes politiques. En 1985, le dramaturge tchèque publie son essai, "Le Pouvoir des sans-pouvoir" (The Power of the Powerless ; Czech: Moc bezmocnych), il y dissèque la nature du régime communiste de l'époque, la vie au sein d'un tel régime et la façon dont, par leur nature même, ces régimes peuvent créer des dissidents parmi les citoyens ordinaires. En 1986, le sociologie anglais Michael Mann conçoit les sociétés comme des systèmes de réseaux de pouvoir (The Sources of Social Power)....
Pour Michel Foucault, considérer, dans la société européenne par exemple, que le pouvoir politique ne se décline qu'institutionnellement, traditionnellement le gouvernement, l’appareil d’État, la police et l’armée, est par trop restrictif, ces autres "institutions" telles que la famille, les écoles, les universités, la médecine et la psychiatrie servent toutes à maintenir le pouvoir entre les mains d’une classe sociale et à exclure l’autre : "Il me semble que la véritable tâche politique dans une société comme la nôtre est de critiquer le fonctionnement des institutions, qui semblent à la fois neutres et indépendantes; de les critiquer et de les attaquer de telle manière que la violence politique qui s’est toujours exercée obscurément à travers eux sera démasquée, afin que l’on puisse lutter contre elles". Quant à nos conceptions sur la nature humaine, sujet d'un célèbre débat, bien que vain, entre Foucault et Chomsky en octobre 1971, à quoi bon tenter une quelconque théorisation puisque toutes nos tentatives de conceptualisation sont acquises de notre propre société, civilisation et culture. Le marxisme de la fin du XIXe et du début du XXe siècle n'empruntait-il pas finalement sa conception du bonheur de cette même société bourgeoise qu'il condamnait. Chomsky, - pour qui les principales institutions qui doivent être combattues dans la société moderne sont d'abord économiques, à savoir, les institutions financières et les sociétés multinationales -, répondra que "notre conception de la nature humaine est certainement limitée, partielle, socialement conditionnée, contrainte par nos propres défauts de caractère et les limites de la culture intellectuelle dans laquelle nous existons, mais en même temps il est d’une importance cruciale que nous ayons une direction ..." Et pour lui, le pouvoir est dévolu à une minorité de propriétaires et de gestionnaires, tandis que la majorité active n’a aucun contrôle réel sur le fonctionnement de la société ...
Noam Chomsky (1928)
L'objet ultime de la linguistique est la faculté de langage, une propriété biologique propre à notre espèce. Et comment ces propriétés de la faculté de langage telles qu'elles émergent des travaux linguistiques peuvent-elles avoir surgi dans un organe mental propre à notre seule espèce? C'est en s'efforçant de répondre à cette question que Chomsky s'est imposé dans la linguistique contemporaine, et au-delà ...
Noam Chomsky, après avoir étudié les mathématiques, la philosophie et la linguistique à l'université de Pennsylvanie (il a été formé à la linguistique par Z. S. Harris), rédige et publie en 1955-1957 une thèse qui révolutionne la linguistique philosophique, "The Logical Structure of Linguistic Theory", avec pour idée fondamentale que la maîtrise d'une langue peut être simulée par le biais d'un ensemble de règles et de principes explicites, qui constituent une grammaire « générative », c'est-à-dire une procédure qui énumère et analyse mécaniquement tous les énoncés bien formés de la langue étudiée et rien qu'eux. C'est concevoir les instruments formels qui permettent pour la première fois à la syntaxe et à la sémantique de rejoindre la phonologie dans le domaine des études rigoureuses et empiriquement construites. Et depuis lors, ses contributions techniques ont été à la source d'une multitude de travaux portant sur les langues les plus diverses. De plus, ses thèses sur les rapports entre linguistique, psychologie et biologie, qui ont redonné vie aux approches rationalistes du langage des XVIIe et XVIIIe siècles, ont largement contribué à la « révolution cognitive » des années 1950 et 1960. Le département de linguistique du Massachusetts Institute of Technology, où il a enseigné de 1956 au début des années 2000, a formé et accueilli des linguistes du monde entier...
Puis les écrits politiques de Chomsky vinrent relayer les travaux du linguiste, des écrits aussi nombreux qu'influents. C'est tout en continuant à enseigner et à publier dans cette matière qu'il s'engage dans le mouvement opposé à la guerre du Vietnam, et c'est ainsi qu'il se retrouve par engagement à publier sa critique de la culture intellectuelle américaine (Responsabilité des intellectuels, 1967), à dénoncer non seulement avec vigueur et passion les risques que fait courir la politique impériale des États-Unis, mais la dissonance entre la façon dont les Etats exercent le pouvoir et les formules rhétoriques qu'ils utilisent avec emphase (L'Amérique et ses nouveaux mandarins, 1969).
Les Etats ne sont pas des agents moraux, contrairement aux personnes que nous sommes, et pour comprendre comment ils agissent, il nous faut porter notre attention au-delà des conflits de rhétorique dans lesquels ils s'exposent et de ce langage des "faits" qu'ils utilisent pour justifier leurs actions. Noam Chomsky est ainsi devenu l’analyste sans doute le plus féroce de la manière dont la politique étrangère américaine ébranle la démocratie, foule aux pieds les droits de l’homme et défend les intérêts d’une minorité de privilégiés.
Dans les années 1970, il entamera, avec Edward S. Herman, des recherches sur la façon dont les médias américains servent les intérêts de l’élite et sapent la capacité des citoyens à mener leur vie de manière réellement démocratique. Leur livre paru en 1988, "Manufacturing Consent", demeure un incontournable pour quiconque veut étudier sérieusement cette question. Dans les années 1990, les recherches politiques de Chomsky, jusque-là menées sur plusieurs fronts – de l’anti-impérialisme et de l’analyse critique des médias aux écrits sur la démocratie et le mouvement syndical –, vont s'unifier, culminant dans des œuvres qui évoque désormais les menaces que fait peser le néo-libéralisme sur les sociétés démocratiques, un néo-libéralisme devenu le paradigme économique et social de notre temps - il définit les politiques et les processus grâce auxquels une poignée d’intérêts privés acquièrent le droit de contrôler tout ce qui est possible dans la vie sociale afin de maximiser leurs profits personnels -, mais qui n’a rien de nouveau car il ne fait que représenter en fin de compte la version actuelle de la bataille des riches et des privilégiés pour circonscrire les droits politiques et les pouvoirs civiques de la majorité. On pourrait ajouter le pouvoir intellectuel. Chomsky est tout autant le principal critique de la mythologie qui fait des marchés « libres » quelque chose de naturel, et rappelle que l'o peut effectivement répéter à l'envi que l’économie est concurrentielle, rationnelle, efficace, équitable, alors les marchés ne sont pratiquement jamais compétitifs, que l’économie est, pour sa plus grande part, dominée et structurée par de très vastes sociétés qui disposent d’un pouvoir de contrôle énorme sur leurs marchés et, par conséquent, compromettant ainsi notre capacité à construire une société démocratique...
"Noam Chomsky: During the Great Depression, which I’m old enough to remember - and most of my family were unemployed working class - it was bad, much worse subjectively than today. But there was an expectation that things were going to get better. There was a real sense of hopefulness.
There isn’t today.
Inequality is really unprecedented. If you look at total inequality, it’s like the worst periods of American History. But if you refine it more closely, the inequality comes from the extreme wealth in a tiny sector of the population, a fraction of 1 percent.
There were periods like the Gilded Age in the 20s and the Roaring 90s and so on, when a situation developed rather similar to this. Now, this period’s extreme - because if you look at the wealth distribution, the inequality mostly comes from super wealth - literally, the top 1/10th of a percent are just super wealthy. Not only is it extremely unjust in itself, inequality has highly negative consequences on the society as a whole - because the very fact of inequality has a corrosive, harmful effect on democracy.
You open by talking about the American Dream. Part of the American Dream is class mobility.
You’re born poor. You work hard. You get rich. It was possible for a worker to get a decent job, buy a home, get a car, have his children go to school. It’s all collapsed."
Pendant la Grande Dépression, dont je suis assez vieux pour me souvenir - et la plupart de ma famille était au chômage - c’était mauvais, bien pire subjectivement qu’aujourd’hui. Mais on s’attendait à ce que les choses s’améliorent. Il y avait un véritable sentiment d’espoir.
Il n’y en a pas aujourd’hui. L’inégalité est vraiment sans précédent. Si vous regardez l’inégalité totale, c’est comme les pires périodes de l’histoire américaine. Mais si vous l’affinez de plus près, l’inégalité vient de l’extrême richesse d’un minuscule secteur de la population, une fraction de 1%. Il y a eu des périodes comme l’âge d’or dans les années 20 et les années 90 et ainsi de suite, où une situation assez similaire à celle-ci s’est développée. Maintenant, cette période est extrême - parce que si vous regardez la distribution de la richesse, l’inégalité vient principalement de la super richesse - littéralement, le 1/10e supérieur d’un pour cent sont tout simplement super riches. Non seulement elle est extrêmement injuste en soi, mais l’inégalité a des conséquences très négatives sur la société dans son ensemble - parce que le fait même de l’inégalité a un effet corrosif et nocif sur la démocratie. Vous commencez par parler du rêve américain. Une partie du rêve américain est la mobilité de classe. Vous êtes né pauvre. Vous travaillez dur. Vous devenez riche. Il était possible pour un travailleur d’obtenir un emploi décent, d’acheter une maison, d’acheter une voiture, d’envoyer ses enfants à l’école. Tout s’est effondré.
Introduction
TAKE A look at American society. Imagine yourself looking down from Mars. What do you see?
In the United States, there are professed values like democracy. In a democracy, public opinion is going to have some influence on policy, and then the government carries out actions determined by the population. That’s what democracy means. It’s important to understand that privileged and powerful sectors have never liked democracy and for very good reasons. Democracy puts power into the hands of the general population and takes it away from the privileged and the powerful. It’s a principle of concentration of wealth and power.
JETEZ UN COUP D’OEIL À LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE. Imaginez-vous regarder de Mars. Que voyez-vous?
Aux États-Unis, il y a des valeurs professées comme la démocratie. Dans une démocratie, l’opinion publique aura une certaine influence sur les politiques, puis le gouvernement prendra des mesures déterminées par la population. C’est ça, la démocratie.
Il est important de comprendre que les secteurs privilégiés et puissants n’ont jamais aimé la démocratie et ce, pour de très bonnes raisons. La démocratie met le pouvoir entre les mains de la population et l’enlève aux privilégiés et aux puissants. C’est un principe de concentration de la richesse et du pouvoir.
THE VICIOUS CYCLE
Concentration of wealth yields concentration of power, particularly so as the cost of elections skyrockets, which forces the political parties even more deeply into the pockets of major corporations. This political power quickly translates into legislation that increases the concentration of wealth. So fiscal policy, like tax policy, deregulation, rules of corporate governance, and a whole variety of measures—political measures designed to increase the concentration of wealth and power—yields more political power to do the same thing. And that’s what we’ve been seeing. So we have this kind of “vicious cycle” in progress.
La concentration de la richesse entraîne la concentration du pouvoir, d’autant plus que le coût des élections monte en flèche, ce qui pousse les partis politiques encore plus profondément dans les poches des grandes entreprises. Ce pouvoir politique se traduit rapidement par une législation qui augmente la concentration des richesses. Ainsi, la politique fiscale, comme la politique fiscale, la déréglementation, les règles de gouvernance d’entreprise et toute une gamme de mesures — des mesures politiques conçues pour accroître la concentration de la richesse et du pouvoir — donne plus de pouvoir politique pour faire la même chose. Et c’est ce que nous avons vu. Nous avons donc ce genre de « cercle vicieux » en cours.
THE VILE MAXIM
I mean, the wealthy always did have an inordinate amount of control over policy. Actually, that goes back centuries. It is so traditional that it was described by Adam Smith in 1776. You read the famous Wealth of Nations. He says, in England, “the principal architects of policy” are the people who own the society—in his day, “merchants and manufacturers.” And they make sure that their own interests are very well cared for, however “grievous” the impact on the people of England, or others. Now it’s not merchants and manufacturers, it’s financial institutions and multinational corporations. The people who Adam Smith called the “masters of mankind”—and they’re following “the vile maxim,” “All for ourselves and nothing for anyone else.” They’re just going to pursue policies that benefit them and harm everyone else.
Well, that’s a pretty general maxim of politics that’s been studied closely in the United States. Those are the policies that have increasingly been followed, and in the absence of a general popular reaction, that’s pretty much what you’d expect.
LA VILE MAXIME
Les riches ont toujours exercé un contrôle démesuré sur la politique. En fait, cela remonte à des siècles. Elle est tellement traditionnelle qu’elle a été décrite par Adam Smith en 1776. Vous avez lu le fameux Wealth of Nations. Il dit qu’en Angleterre, « les principaux architectes de la politique » sont les propriétaires de la société — à son époque, « les marchands et les fabricants ». Et ils s’assurent que leurs propres intérêts sont très bien pris en compte, même si les répercussions sur le peuple anglais, ou d’autres, sont « graves ». Maintenant, ce ne sont pas les commerçants et les fabricants, ce sont les institutions financières et les multinationales. Les gens qu’Adam Smith appelait les « maîtres de l’humanité » — et ils suivent « la vile maxime », « Tout pour nous et rien pour personne d’autre ». Ils vont simplement adopter des politiques qui les avantagent et qui nuisent à tout le monde. Eh bien, c’est une maxime assez générale de la politique qui a été étudiée de près aux États-Unis. Ce sont les politiques qui sont de plus en plus suivies, et en l’absence d’une réaction populaire générale, c’est à peu près ce à quoi on s’attendrait.
"Requiem for the American Dream: The 10 Principles of Concentration of Wealth and Power", Noam Chomsky, 2017
En 2015, Kelly Nyks, Peter D. Hutchinson et Jared P. Scott réalise un film documentaire qui donne la parole à Noam Chomsky, un script qui débouchera sur un livre, son premier grand livre sur l'inégalité des revenus, dans lequel il entreprend de confondre les principes fondamentaux de ce néolibéralisme qui domine l'Amérique du quotidien, de sa pensée, de sa société comme de son économie. Vue très américaine, certes, mais ne nous y trompons pas, la vieille Europe, et notamment la France, sont aussi concernées par cette critique, au moins par certains de ces principes idéologiques évoqués...
Quels sont les dix principes de concentration de la richesse et du pouvoir à l'œuvre dans l'Amérique d'aujourd'hui ? Ils sont assez simples : réduire la démocratie, façonner l'idéologie, redessiner l'économie, faire porter le fardeau sur les pauvres et les classes moyennes, s'attaquer à la solidarité du peuple, laisser les intérêts particuliers diriger les organismes de réglementation, manipuler les résultats des élections, utiliser la peur et le pouvoir de l'État pour maintenir la "populace" dans le droit chemin, fabriquer le consentement, marginaliser la population (reduce democracy, shape ideology, redesign the economy, shift the burden onto the poor and middle classes, attack the solidarity of the people, let special interests run the regulators, engineer election results, use fear and the power of the state to keep the rabble in line, manufacture consent, marginalize the population).
Dans "Requiem pour le rêve américain", Chomsky consacre ainsi un chapitre à chacun de ces dix principes et ajoute des lectures de certains des textes fondamentaux qui ont influencé sa pensée pour étayer son argumentation..
Principle #1: Reduce Democracy
"The very fact of inequality has a corrosive, harmful effect on social relations, on consciousness, on human life..." - L’inégalité a de nombreuses conséquences, car non seulement est-elle extrêmement injuste en soi, mais elle a des conséquences très négatives sur l’ensemble de la société. Il y a eu de bonnes études (Richard Wilkinson et d’autres) qui montrent que plus une société est inégale, qu’elle soit pauvre ou riche, plus les impacts sur la santé de tout un chacun, pour ne citer que cet exemple, ne sont pas sans conséquence, et même parmi les riches. Parce que le fait même de l’inégalité a un effet corrosif et nocif sur les relations sociales, sur la conscience, sur la vie humaine. Aristote avait sans doute raison — la façon de surmonter le paradoxe de la démocratie est de réduire les inégalités et non de réduire la démocratie...
"Chomsky: Right through American history, there’s been an ongoing clash between pressure for more freedom and democracy coming from below, and efforts at elite control and domination coming from above. It goes back to the founding of the country. James Madison, the main framer, who was as much of a believer in democracy as anybody in the world in that day, nevertheless felt that the United States system should be designed, and indeed with his initiative was designed, so that power should be in the hands of the wealthy - because the wealthy are the more responsible set of men.
And, therefore, the structure of the formal constitutional system placed most power in the hands of the Senate. Remember, the Senate was not elected in those days. It was selected from the wealthy. Men, who as Madison put it, “Had sympathy for property owners and their rights.”
If you read the debates at the Constitutional Convention, Madison said, “The major concern of the society has to be to protect the minority of the opulent against the majority.” And he had arguments. Suppose everyone had a vote freely. He said, “Well, the majority of the poor would get together and they would organize to take away the property of the rich.” And, he said, “That would obviously be unjust, so you can’t have that.” So, therefore the constitutional system has to be set up to prevent democracy. It’s of some interest that this debate has a hoary tradition. Goes back to the first major book on political systems, Aristotle’s Politics. He says, “Of all of them, the best is democracy,” but then he points out exactly the flaw that Madison pointed out.
If Athens were a democracy for free men, the poor would get together and take away the property of the rich. Well, same dilemma - they had opposite solutions. Aristotle proposed what we would nowadays call a welfare state. He said, “Try to reduce inequality.” So, same problem - opposite solutions. One is reduce inequality - you won’t have this problem. The other is reduce democracy.
If you look at the history of the United States, it’s a constant struggle between these two tendencies. A democratizing tendency that’s mostly coming from the population, a pressure from below, and you get this constant battle going on, periods of regression, periods of progress. The 1960s for example, were a period of significant democratization. Sectors of the population that were usually passive and apathetic became organized, active, started pressing their demands. And they became more and more involved in decision-making, activism and so on. It just changed consciousness in a lot of ways.
(...)
Principe no 1 : Réduire la démocratie
Chomsky : Tout au long de l’histoire américaine, il y a eu un affrontement continu entre la pression pour plus de liberté et de démocratie venant d’en bas, et les efforts pour le contrôle et la domination de l’élite venant d’en haut. Cela remonte à la fondation du pays. James Madison, l’auteur principal, qui croyait autant à la démocratie que n’importe qui dans le monde à cette époque, estimait néanmoins que le système des États-Unis devrait être conçu, et en fait, avec son initiative, de sorte que le pouvoir devrait être entre les mains des riches... parce que les riches sont les plus responsables. Par conséquent, la structure du système constitutionnel formel a placé le plus de pouvoir entre les mains du Sénat. N’oubliez pas que le Sénat n’a pas été élu à l’époque. Il a été choisi parmi les riches. Des hommes, qui, comme Madison l’a dit, avaient de la sympathie pour les propriétaires et leurs droits. Si vous lisez les débats de la Convention constitutionnelle, Madison a dit : « La principale préoccupation de la société doit être de protéger la minorité de l’opulent contre la majorité. » Et il avait des arguments. Supposons que tout le monde ait un vote libre. Il a dit : « Eh bien, la majorité des pauvres se réuniraient et s’organiseraient pour enlever la propriété des riches. » Et il a dit : « De toute évidence, ce serait injuste, alors vous ne pouvez pas avoir cela. » Par conséquent, le système constitutionnel doit être mis en place pour empêcher la démocratie.
Il est intéressant de noter que ce débat a une longue tradition. Cela remonte au premier livre majeur sur les systèmes politiques, Aristote Politics. Il dit : « De tous, le meilleur, c’est la démocratie », mais il souligne exactement le défaut que Madison a signalé.
Si Athènes était une démocratie pour les hommes libres, les pauvres se réuniraient et enlèveraient la propriété des riches. Eh bien, le même dilemme - ils avaient des solutions opposées. Aristote a proposé ce que nous appellerions aujourd’hui un État-providence. Il a dit : « Essayez de réduire les inégalités. » Donc, le même problème - des solutions opposées. L’une est de réduire les inégalités - vous n’aurez pas ce problème. L’autre est de réduire la démocratie.
Si vous regardez l’histoire des États-Unis, c’est une lutte constante entre ces deux tendances. Une tendance à la démocratisation qui vient surtout de la population, une pression d’en bas, et vous obtenez cette bataille constante en cours, des périodes de régression, des périodes de progrès. Les années 1960, par exemple, ont été une période de démocratisation importante. Des secteurs de la population qui étaient généralement passifs et apathiques se sont organisés, actifs, ont commencé à faire pression sur leurs demandes. Et ils sont devenus de plus en plus impliqués dans la prise de décision, l’activisme, etc. Cela a simplement changé la conscience de bien des façons.
THE SINS OF AMERICAN SOCIETY
"There was, in the early days of the United States, an endless future of increasing wealth, freedom, achievement, and power—as long as you didn’t pay too much attention to the victims. The United States was a settler-colonial society, the most brutal form of imperialism. You’d need to overlook the fact that you’re getting a richer, freer life by virtue of decimating the indigenous population, the first great “original sin” of American society; and massive slavery of another segment of the society, the second great sin (we’re still living with the effects of both of them); and then overlook bitterly exploited labor, overseas conquests, and so on. Just overlook those small details and then there’s a certain truth to our ideals. A major question has always been, to what extent should we permit real democracy?"
Aux premiers jours des États-Unis, il y avait un avenir sans fin où la richesse, la liberté, les réalisations et le pouvoir s’accroissaient, à condition de ne pas accorder trop d’attention aux victimes. Les États-Unis étaient une société colonisatrice-coloniale, la forme la plus brutale de l’impérialisme. Vous devriez oublier le fait que vous obtenez une vie plus riche et plus libre en raison de la décimation de la population autochtone, le premier grand « péché originel » de la société américaine; et l’esclavage massif d’un autre segment de la société, le deuxième grand péché (Nous vivons encore avec les effets des deux); et ensuite, nous négligeons le travail amèrement exploité, les conquêtes outre-mer, etc. Négligez ces petits détails et il y a une certaine vérité dans nos idéaux. Une grande question a toujours été, dans quelle mesure devrions-nous permettre une véritable démocratie? ...
Principle #2: Shape Ideology
"Chomsky: There has been an enormous concentrated, coordinated business offensive beginning in the 70s to try to beat back the egalitarian efforts that went right through the Nixon years. You see it in many respects. Over on the right, you see it in things like the famous Powell Memorandum sent to the Chamber of Commerce, the major business lobby, by later Supreme Court justice Powell - warning them that business is losing control over the society - and something has to be done to counter these forces. Of course, he puts it in terms of defense, “Defending ourselves against an outside power.” But if you look at it, it’s a call for business to use its control over resources to carry out a major offensive to beat back this democratizing wave. Over on the liberal side, there’s something exactly similar. The first major report of the Trilateral Commission is concerned with this. It’s called “The Crisis of Democracy”. Trilateral Commission is liberal internationalists - their flavor is indicated by the fact that they pretty much staffed the Carter Administration. They were also appalled by the democratizing tendencies of the 60s, and thought we have to react to it. They were concerned that there was an “excess of democracy” developing."
(...)
Chomsky : Il y a eu une énorme offensive commerciale concentrée et coordonnée à partir des années 70 pour essayer de repousser les efforts égalitaires qui ont traversé les années Nixon. Vous le voyez à bien des égards. À droite, on voit des choses comme le fameux mémorandum Powell envoyé à la Chambre de commerce, le principal lobby des entreprises, par le juge Powell de la Cour suprême plus tard - les avertissant que les entreprises perdent le contrôle de la société... et il faut faire quelque chose pour contrer ces forces. Bien sûr, il le dit en termes de défense, « nous défendre contre un pouvoir extérieur ». Mais si vous regardez cela, c’est un appel aux entreprises à utiliser leur contrôle sur les ressources pour mener une offensive majeure pour repousser cette vague de démocratisation. Du côté libéral, c’est exactement la même chose. Le premier grand rapport de la Commission trilatérale s’en préoccupe. Il s’intitule « La crise de la démocratie ». La Commission trilatérale est composée d’internationalistes libéraux - leur saveur est indiquée par le fait qu’ils ont à peu près pourvu l’administration Carter. Ils ont également été consternés par les tendances démocratiques des années 60 et ont pensé que nous devions réagir. Ils craignaient qu’un « excès de démocratie » se développe.
"Previously passive and obedient parts of the population - what are sometimes called, “the special interests” - were beginning to organize and try to enter the political arena, and they said, “That imposes too much pressure on the state. It can’t deal with all these pressures.” So, therefore, they have to return to passivity and become depoliticized. They were particularly concerned with what was happening to young people, “The young people are getting too free and independent.” The way they put it, there’s a failure on the part of the schools, the universities, the churches... the institutions responsible for the “indoctrination of the young.” Their phrase, not mine. If you look at their study, there’s one interest they never mention, private business. And that makes sense, they’re not special interest, they’re the national interest, kind of by definition. So they’re okay. They’re allowed to, you know, have lobbyists, buy campaigns, staff the executive, make decisions - that’s fine. But it’s the rest, the special interests, the general population, who have to be subdued. Well, that’s the spectrum. It’sthe kind of ideological level of the backlash. But the major backlash, which was in parallel to this, was just redesigning the economy."
(...)
Auparavant, les parties passives et obéissantes de la population - ce qu’on appelle parfois les « intérêts spéciaux » - commençaient à s’organiser et à essayer d’entrer dans l’arène politique, et elles disaient : « Cela impose trop de pression à l’État. Il ne peut pas faire face à toutes ces pressions. » Par conséquent, ils doivent revenir à la passivité et se dépolitiser. Ils étaient particulièrement préoccupés par ce qui arrivait aux jeunes : « Les jeunes deviennent trop libres et indépendants. » Comme on dit, il y a un échec de la part des écoles, des universités, des églises... des institutions responsables de l'« endoctrinement des jeunes ». Leur expression, pas la mienne. Si vous regardez leur étude, il y a un intérêt qu’ils ne mentionnent jamais, l’entreprise privée. Et c’est logique, ce ne sont pas des intérêts spéciaux, ce sont des intérêts nationaux, par définition. Donc, ils sont acceptables. Ils ont le droit, vous savez, d’avoir des lobbyistes, d’acheter des campagnes, de recruter du personnel, de prendre des décisions - c’est très bien. Mais ce sont les autres, les intérêts spéciaux, la population en général, qui doivent être maîtrisés. Eh bien, c’est le spectre. C’est le genre de réaction idéologique. Mais le principal contrecoup, qui était parallèle à celui-ci, était simplement la refonte de l’économie....
"CONDEMNATION OF CRITICS"
This notion of being “ANTI-AMERICAN” is quite an interesting one — it’s actually a totalitarian notion — it isn’t used in free societies. If someone in Italy criticized Berlusconi or the corruption of the Italian state, they’re not called “anti-Italian.” In fact, if they were called anti-Italian, people would collapse in laughter in the streets of Rome or Milan. In totalitarian states the notion is used. In the old Soviet Union, dissidents were called “anti-Soviet”— that was the worst condemnation. In the Brazilian military dictatorship they were called “anti-Brazilian.” But these concepts only arise in a culture where the state is identified with the society, the culture, the people, and so on. So if you criticize state power — and by state I mean generally not just government but state corporate power — if you criticize concentrated power, you’re against the society, you’re against the people. It’s quite striking that this is used in the United States, and in fact as far as I know, we are the only democratic society where the concept isn’t just ridiculed. And it’s a sign of elements of the elite culture that are quite ugly.
Cette notion d'« anti-américanisme » est très intéressante — c’est en fait une notion totalitaire — elle n’est pas utilisée dans les sociétés libres. Si quelqu’un en Italie a critiqué Berlusconi ou la corruption de l’État italien, on ne l’appelle pas « anti-Italian ». En fait, s’ils étaient appelés antiitaliens, les gens s’écrouleraient en riant dans les rues de Rome ou de Milan. Dans les États totalitaires, la notion est utilisée, et dans l’ancienne Union soviétique, les dissidents étaient qualifiés d'« antisoviétiques », ce qui était la pire condamnation. Dans la dictature militaire brésilienne, on les appelait « anti-Braziliens ». Mais ces concepts ne surgissent que dans une culture où l’État s’identifie à la société, à la culture, au peuple, etc. Donc, si vous critiquez le pouvoir de l’État — et par État, j’entends généralement non seulement le gouvernement, mais aussi le pouvoir des entreprises — si vous critiquez le pouvoir concentré, vous êtes contre la société, contre le peuple. Il est assez frappant que cela soit utilisé aux États-Unis, et en fait, à ma connaissance, nous sommes la seule société démocratique où le concept n’est pas seulement ridiculisé. Et c’est un signe d’éléments de la culture d’élite qui sont assez discutables.
Now it’s true that in just about every society, critics are maligned or mistreated. In different ways depending on the nature of the society, like maybe in the old Soviet Union in the ’80s they would be imprisoned, or in El Salvador at the same time dissidents would have their brains blown out by US state-run terrorist forces. In other societies critics are just condemned, they’re vilified and so on. I mean, that’s normal, to be expected, and in the United States, one of the terms of abuse is “anti-American.” There’s an array of terms of abuse, like “Marxist,” but it doesn’t matter really, it’s a very free society. With everything that you can criticize it remains in many ways the freest society in the world. There’s repression, but among relatively privileged people, which is a big majority of the population, you have a very high degree of freedom. So if you’re vilified by some commissars, who cares, you go on — you do your work anyway.
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Principle #3: Redesign the Economy
Existe-t-il réellement une raison qui s'opposerait à ce que la production aux États-Unis ne puisse pas profiter aux gens, à la main-d’oeuvre, aux consommateurs et à l’avenir de ce monde? "SINCE THE 1970s, there’s been a concerted effort on the part of the “MASTERS OF MANKIND”, the owners of the society, to shift the economy in two crucial respects. One, to increase the role of financial institutions: banks, investment firms, insurance companies, and so on. By 2007, right before the latest crash, they had literally 40 percent of corporate profits, far beyond anything in the past ...
Back in the 1950s, as for many years before, the United States economy was based largely on production. The United States was the great manufacturing center of the world. Financial institutions used to be a relatively small part of the economy and their task was to distribute unused assets like, say, bank savings to productive activity ...
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Principle #4: Shift the Burden
Les grandes entreprises américaines ont transféré le fardeau de soutenir la société sur le reste de la population ...
"Chomsky: The American Dream, like many ideals, was partly symbolic, but partly real. In the 1950s and 60s, say, there was the biggest growth period in American economic history. The Golden Age. It was pretty egalitarian growth, so the lowest fifth of the population was improving about as much as the upper fifth. And there were some welfare state measures, which improved life for much the population. It was, for example, possible for a black worker to get a decent job in an auto plant, buy a home, get a car, have his children go to school and so on. And the same across the board. When the U.S. was primarily a manufacturing center, it had to be concerned with its own consumers - here. Famously, Henry Ford raised the salary of his workers so they’d be able to buy cars."
When you're moving into an international “plutonomy”, as the banks like to call it - the small percentage of the world’s population that’s gathering increasing wealth - what happens to American consumers is much less a concern, because most of them aren’t going to be consuming your products anyway, at least not on a major basis. Your goals are: profit in the next quarter - even if it's based on financial manipulations - high salary, high bonuses, produce overseas if you have to, and produce for the wealthy classes here and their counterparts abroad.
Chomsky : Le rêve américain, comme beaucoup d’idéaux, était en partie symbolique, mais en partie réel. Dans les années 1950 et 1960, disons, il y a eu la plus grande période de croissance de l’histoire économique américaine. L’âge d’or. C’était une croissance assez égalitaire, donc le cinquième inférieur de la population s’améliorait à peu près autant que le cinquième supérieur. Et il y avait quelques mesures de l’État-providence, qui ont amélioré la vie pour beaucoup population. Par exemple, il était possible pour un travailleur afro-américain d’obtenir un emploi décent dans une usine automobile, d’acheter une maison, d’acheter une voiture, d’envoyer ses enfants à l’école, etc. Et c’est la même chose partout. Quand les États-Unis étaient principalement un centre de fabrication, ils devaient se préoccuper de leurs propres consommateurs - ici. Henry Ford a augmenté le salaire de ses employés pour qu’ils puissent acheter des voitures...
Lorsque vous vous dirigez vers une "plutonomie" internationale, comme les banques aiment à l'appeler - le petit pourcentage de la population mondiale qui accumule de plus en plus de richesses - ce qui arrive aux consommateurs américains est beaucoup moins préoccupant, parce que la plupart d'entre eux ne vont pas consommer vos produits de toute façon, du moins pas sur une base importante. Vos objectifs sont les suivants : réaliser des bénéfices au cours du prochain trimestre - même s'ils sont basés sur des manipulations financières - toucher des salaires et des primes élevés, produire à l'étranger s'il le faut, et produire pour les classes aisées d'ici et leurs homologues à l'étranger.
What about the rest? There's a term coming into use for them, too. They're called the “precariat”, precarious proletariat - the working people of the world who live increasingly precarious lives. It’s related to the attitude toward the country altogether.
During the period of great growth of the economy - the 50s and the 60s, but in fact, earlier - taxes on the wealthy were far higher. Corporate taxes were much higher - taxes on dividends were much higher - simply taxes on wealth were much higher. The tax system has been redesigned, so that the taxes that are paid by the very wealthy are reduced and, correspondingly, the tax burden on the rest of the population’s increased.
Now the shift is towards trying to keep taxes just on wages and on consumption - which everyone has to do – not, say, on dividends, which only go to the rich. The numbers are pretty striking. Now, there’s a pretext - of course, there’s always a pretext. The pretext in this case is - well that increases investment and increases jobs - but there isn’t any evidence for that. If you want to increase investment, give money to the poor and the working people. They have to keep alive, so they spend their incomes. That stimulates production, stimulates investment, leads to job growth and so on. If you're an ideologist for the masters, you have a different line. In fact, right now, it’s almost absurd. Corporations have money coming out of their pockets. In fact, General Electric, are paying zero taxes and they have enormous profits. Let’s them take the profit somewhere else, or defer it, but not pay taxes – and this is common. The major America corporations shifted the burden of sustaining the society onto the rest of the population.
Qu’en est-il du reste? Il y a un terme qui entre en vigueur pour eux aussi. On les appelle le « précariat », le prolétariat précaire - les travailleurs du monde entier qui vivent une vie de plus en plus précaire. C’est lié à l’attitude envers le pays. Pendant la période de grande croissance de l’économie - les années 50 et 60, mais en fait, plus tôt - les impôts sur les riches étaient beaucoup plus élevés. Les impôts sur les sociétés étaient beaucoup plus élevés - les impôts sur les dividendes étaient beaucoup plus élevés - simplement les impôts sur la richesse étaient beaucoup plus élevés. Le régime fiscal a été remanié, de sorte que les impôts payés par les très riches sont réduits et, en conséquence, le fardeau fiscal du reste de la population est accru. Il s’agit maintenant d’essayer de maintenir les impôts uniquement sur les salaires et sur la consommation - ce que tout le monde doit faire - et non, disons, sur les dividendes, qui ne vont qu’aux riches. Les chiffres sont assez frappants. Maintenant, il y a un prétexte - bien sûr, il y a toujours un prétexte. Le prétexte dans ce cas est - bien que cela augmente l’investissement et augmente les emplois - mais il n’y a aucune preuve pour cela. Si vous voulez augmenter les investissements, donnez de l’argent aux pauvres et aux travailleurs. Ils doivent rester en vie, alors ils dépensent leurs revenus. Cela stimule la production, stimule l’investissement, stimule la création d’emplois et ainsi de suite. Si vous êtes un idéologue pour les maîtres, vous avez une ligne différente. En fait, à l’heure actuelle, c’est presque absurde. Les sociétés ont de l’argent qui sort de leurs poches. En fait, General Electric ne paie pas d’impôt et réalise d’énormes profits. Prenons le profit ailleurs ou reportons-le, mais ne payons pas d’impôt – et c’est courant. Les grandes entreprises américaines ont transféré le fardeau de soutenir la société sur le reste de la population.
Principle #5: Attack Solidarity
La solidarité est très dangereuse, vous êtes seulement censé vous soucier de vous-même, et certainement pas des autres ...
"Chomsky: Solidarity is quite dangerous. From the point of view of the masters, you're only supposed to care about yourself, not about other people. This is quite different from the people they claim are their heroes like Adam Smith, who based his whole approach to the economy on the principle that sympathy is a fundamental human trait - but that has to be driven out of people’s heads. You’ve got to be for yourself, follow the vile maxim: “don’t care about others”, which is okay for the rich and powerful, but is devastating for everyone else. It’s taken a lot of effort to drive these basic human emotions out of people’s heads.
We see it today in policy formation. For example, in the attack on Social Security. Social Security is based on a principle. It’s based on a principle of solidarity. Solidarity - caring for others. Social Security means, “I pay payroll taxes so that the widow across town can get something to live on.” For much of the population, that’s what they survive on. It’s of no use to the very rich, so therefore, there’s a concerted attempt to destroy it. One of the ways is defunding it. You want to destroy some system? First defund it. Then, it won’t work. People will be angry. They want something else. It’s a standard technique for privatizing some system .."
Chomsky : La solidarité est très dangereuse. Du point de vue des "maîtres", vous êtes seulement censé vous soucier de vous-même, pas des autres. C’est très différent des gens qu’ils prétendent être leurs héros comme Adam Smith, qui a basé toute son approche de l’économie sur le principe que la sympathie est un trait humain fondamental - mais cela doit être chassé de la tête des gens. Vous devez être pour vous-même, suivez la vile maxime « ne vous souciez pas des autres », ce qui est acceptable pour les riches et les puissants, mais qui est dévastateur pour tous les autres. Il a fallu beaucoup d’efforts pour chasser ces émotions humaines de base de la tête des gens.
Nous le voyons aujourd’hui dans l’élaboration des politiques. Par exemple, dans l’attaque contre la sécurité sociale. La sécurité sociale repose sur un principe. Il est basé sur un principe de solidarité. Solidarité - prendre soin des autres. La sécurité sociale signifie : « Je paie des charges sociales pour que la veuve de l’autre côté de la ville puisse avoir quelque chose pour vivre. » Pour une grande partie de la population, c’est ce qui leur permet de survivre. Cela n’est d’aucune utilité pour les très riches, alors il y a une tentative concertée de le détruire. L’un des moyens consiste à annuler le financement. Vous voulez détruire un système quelconque? Commencez par le désamorcer. Ensuite, cela ne fonctionnera pas. Les gens seront en colère. Ils veulent autre chose. C’est une technique standard pour privatiser un système...
Principle #6: Run the Regulators
C'est un grand avantage pour les "régulateurs" de se plier à la volonté des puissants ...
Chomsky: If you look over the history of regulation, say, railroad regulation, financial regulation and so on, you find that quite commonly it’s either initiated by the economic concentrations that are being regulated, or it’s supported by them. And the reason is because they know that, sooner or later, they can take over the regulators. It ends up with what’s called “regulatory capture”. The business being regulated is in fact running the regulators.
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LET THE MARKET PREVAIL - "The simplest definition of “neoliberalism” is “let the market run everything.” Get the government out of policy formation except to support market activities. Nobody really means that. Those are measures applied to the poor and the weak but not to yourself. And that runs all through modern economic history back to the seventeenth century. They didn’t call it neoliberalism then. Take Adam Smith’s recommendations to the newly liberated colonies. He was the great economist of the day, and he gave the colonies advice — which is essentially what the World Bank and IMF tell poor countries today, and the poor in the United States too. He said that the colonies should concentrate on what they’re good at—that was later called “comparative advantage” — export primary products, like agricultural products, fish, and fur, and import superior British goods. Furthermore, don’t try to monopolize your resources. The main resource in those days was cotton. That was like the fuel of the early Industrial Revolution. He pointed out to the colonies that that would improve the total economic product, and so on..."
La définition la plus simple du "néolibéralisme" est de "laisser le marché gérer tout". Le gouvernement doit se retirer de l'élaboration des politiques, sauf pour soutenir les activités du marché. Personne ne le pense vraiment. Il s'agit de mesures appliquées aux pauvres et aux faibles, mais pas à soi-même. Et cela se retrouve tout au long de l'histoire économique moderne, depuis le XVIIe siècle. À l'époque, on ne parlait pas de néolibéralisme. Prenons les recommandations d'Adam Smith aux colonies nouvellement libérées. Il était le grand économiste de l'époque et il a donné aux colonies des conseils - qui sont essentiellement ceux que la Banque mondiale et le FMI donnent aux pays pauvres aujourd'hui, et aux pauvres des États-Unis également. Il a dit que les colonies devaient se concentrer sur ce qu'elles savaient faire - ce que l'on a appelé plus tard "l'avantage comparatif" - exporter des produits primaires, comme les produits agricoles, le poisson et la fourrure, et importer des produits britanniques de qualité supérieure. les produits britanniques de qualité supérieure. En outre, il ne faut pas essayer de monopoliser les ressources. À l'époque, la principale ressource était le coton. C'était en quelque sorte le carburant des débuts de la révolution industrielle. Il a fait remarquer aux colonies que cela améliorerait le produit économique total, etc....
Principle #7: Engineer Elections
La concentration des richesses entraîne la concentration du pouvoir politique ...
"Chomsky: Concentration of wealth yields concentration of political power, particularly so as the cost of elections skyrockets, which forces the political parties into the pockets of major corporations. The Citizens United - this was January 2009, I guess - that’s a very important Supreme Court decision, but it has a history and you got to think about the history. The 14th amendment has a provision that says, “No person’s rights can be infringed without due process of law”. And the intent, clearly, was to protect freed slaves - says, “Okay, they’ve got the protection of the law.” I don’t think it’s ever been used for freed slaves, if ever, marginally. Almost immediately, it was used for businesses - corporations - their rights can’t be infringed without due process of law. So they gradually became persons under the law. Corporations are state-created legal fictions. Maybe they’re good, maybe they’re bad - but to call them persons is kind of outrageous. So they got personal rights back about a century ago, and that extended through the 20th century. They gave corporations rights way beyond what persons have."
Chomsky : La concentration des richesses entraîne la concentration du pouvoir politique, d'autant plus que le coût des élections monte en flèche, ce qui oblige les partis politiques à se mettre dans la poche des grandes entreprises. L'arrêt Citizens United - c'était en janvier 2009, je suppose - est une décision très importante de la Cour suprême, mais elle a une histoire et il faut réfléchir à cette histoire. Le 14e amendement contient une disposition qui stipule que "les droits d'une personne ne peuvent être violés sans une procédure légale régulière". Et l'intention, clairement, était de protéger les esclaves affranchis - en disant : "D'accord, ils bénéficient de la protection de la loi." Je ne pense pas qu'elle ait jamais été utilisée pour les esclaves affranchis, si ce n'est de façon marginale. Presque immédiatement, elle a été utilisée pour les entreprises - les sociétés - dont les droits ne peuvent être violés sans une procédure légale régulière. Elles sont donc progressivement devenues des personnes au sens de la loi. Les sociétés sont des fictions juridiques créées par l'État. Elles sont peut-être bonnes, peut-être mauvaises, mais il est scandaleux de les qualifier de personnes. Elles ont donc récupéré leurs droits personnels il y a environ un siècle, et cela s'est prolongé tout au long du 20e siècle. Ils ont accordé aux entreprises des droits bien supérieurs à ceux des personnes...
Principle #8: Keep the Rabble in Line
La société américaine est l'une des rares sociétés où l'on ne parle pas de classe sociale. La notion de classe y est en fait assez simple : Qui donne les ordres ? Qui les suit ? C'est ce qui définit la classe sociale (Who gives the orders? Who follows them? That basically defines class). Cela peut être plus nuancé et plus complexe, mais c'est essentiellement cela. mais c'est essentiellement cela. Nous ne sommes pas génétiquement différents des gens des années 1930. Ce qui a été fait à l'époque peut être refait, une période qui n'est pas sans rappeler celle d'aujourd'hui - une période de très fortes inégalités, de sévère répression, la destruction du mouvement ouvrier, une société beaucoup plus pauvre qu'aujourd'hui, avec moins d'opportunités ...
"Chomsky: There is one organized force which traditionally, plenty of flaws, but with all its flaws it’s been in the forefront of efforts to improve the lives of the general population. That's organized labor. It's also a barrier to corporate tyranny. So it’s the one barrier to this vicious cycle going on which does lead to corporate tyranny. A major reason for the concentrated, almost fanatic attack on unions - on organized labor - is they are a democratizing force. They provide a barrier that defends workers’ rights, but also popular rights generally. That interferes with the prerogatives and power of those who own and manage the society. I should say that anti-union sentiment in the United States among elites is so strong that the fundamental core of labor rights, the basic principle in the International Labor Organization, is the right of free association - which would mean the right to form unions. The U.S. has never ratified that, so I think the U.S. may be alone among major societies in that respect. It’s considered so far out of the spectrum of American politics it literally has never been considered. Remember, the U.S. has a long and very violent labor history as compared with comparable societies, but the labor movement had been very strong.
(...)
Chomsky : Il y a une force organisée qui, traditionnellement, avec beaucoup de défauts, mais avec tous ses défauts, a été à l'avant-garde des efforts visant à améliorer la vie de la population en général. Il s'agit des syndicats. C'est aussi un obstacle à la tyrannie des entreprises. C'est donc le seul obstacle à ce cercle vicieux qui mène à la tyrannie des entreprises. L'une des principales raisons de l'attaque concentrée, presque fanatique, contre les syndicats - contre le travail organisé - est qu'ils constituent une force de démocratisation. Ils constituent une barrière qui défend les droits des travailleurs, mais aussi les droits populaires en général. Cela interfère avec les prérogatives et le pouvoir de ceux qui possèdent et gèrent la société. Je dois dire que le sentiment antisyndical est si fort aux États-Unis parmi les élites que le noyau fondamental des droits du travail, le principe de base de l'Organisation internationale du travail, est le droit de libre association - ce qui signifie le droit de former des syndicats. Les États-Unis n'ont jamais ratifié ce principe, et je pense donc qu'ils sont peut-être les seuls parmi les grandes sociétés à cet égard. Cette question est considérée comme tellement éloignée du spectre de la politique américaine qu'elle n'a littéralement jamais été envisagée. N'oublions pas que les États-Unis ont une longue et très violente histoire syndicale par rapport à des sociétés comparables...
Principle #9: Manufacturing Consent
"The engineering of consent" - L’industrie des relations publiques est un phénomène qui s’est développé dans les pays les plus libres, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et la raison en est assez claire, il s'est avéré très rapidement qu’il ne serait pas si facile de contrôler la population par la force, trop de liberté avait déjà été prise dans de nombreux pays. Edward Bernays, qui a écrit un livre intitulé "Propaganda", a expliqué que le pays devait être gouverné par la « minorité intelligente » (intelligent minority), et quiconque préconise cela en fait évidemment partie. La minorité intelligente doit donc diriger le pays dans l’intérêt de la population, on ne peut abandonner à celle-ci la moindre prise de décision. De là la conception d'une « ingénierie du consentement » (engineering of consent) et de l’industrie dite des relations publiques. On retrouvez cette doctrine tout au long de la pensée intellectuelle progressiste dont un Walter Lippmann est un éminent représentant au XXe siècle ...
"Chomsky: The public relations industry - the advertising industry, which is dedicated to creating consumers - it’s a phenomena that developed in the freest countries, in Britain and the United States, and the reason is pretty clear. It became clear by, say, a century ago that it was not going to be so easy to control the population by force. Too much freedom had been won. Labor organizing, parliamentary labor parties in many countries, women starting to get the franchise and so on. So you had to have other means of controlling people. And it was understood and expressed that you have to control them by control of beliefs and attitudes. Well, one of the best ways to control people in terms of attitudes is what the great political economist Thorstein Veblen called “fabricating consumers”.
If you can fabricate once, make obtaining things that are just about within your reach the essence of life, they’re going to be trapped into becoming consumers. You read the business press in say, 1920s, it talks about the need to direct people to the superficial things of life, like “fashionable consumption” and that’ll keep them out of our hair.
You find this doctrine all through progressive intellectual thought, like Walter Lippmann, the major progressive intellectual of the 20th century. He wrote famous progressive essays on democracy in which his view was exactly that. “The public must be put in their place” so that the responsible men can make decisions without interference from the “bewildered herd”. They’re to be spectators, not participants. Then you get a properly functioning democracy -straight back to Madison and on to Powell’s Memorandum, and so on. The advertising industry just exploded with this as its goal - fabricating consumers. And it’s done with great sophistication."
Chomsky : L'industrie des relations publiques - l'industrie de la publicité, qui vise à créer des consommateurs - est un phénomène qui s'est développé dans les pays les plus libres, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, et la raison en est assez claire. Il est devenu évident, il y a un siècle par exemple, qu'il ne serait pas facile de contrôler la population par la force. Trop de liberté avait été gagnée. L'organisation du travail, les partis travaillistes parlementaires dans de nombreux pays, les femmes qui commençaient à obtenir le droit de vote, etc.
Il fallait donc trouver d'autres moyens de contrôler les gens. Et il était entendu et exprimé qu'il fallait les contrôler en contrôlant les croyances et les attitudes. L'un des meilleurs moyens de contrôler les gens en termes d'attitudes est ce que le grand économiste politique Thorstein Veblen appelait "fabriquer des consommateurs".
Si vous pouvez fabriquer une fois, faire en sorte que l'obtention de choses qui sont à peu près à votre portée soit l'essence de la vie, ils seront piégés et deviendront des consommateurs. Dans la presse économique des années 1920, on parle de la nécessité d'orienter les gens vers les choses superficielles de la vie, comme la "consommation à la mode", pour qu'ils ne nous dérangent pas. On retrouve cette doctrine dans toute la pensée intellectuelle progressiste, comme celle de Walter Lippmann, le principal intellectuel progressiste du 20e siècle. Il a écrit de célèbres essais progressistes sur la démocratie, dans lesquels son point de vue était exactement le suivant. "Le public doit être mis à sa place" afin que les hommes responsables puissent prendre des décisions sans interférence de la part du "troupeau ahuri". Ils doivent être des spectateurs, pas des participants. C'est ainsi que l'on obtient une démocratie qui fonctionne correctement - on remonte à Madison, puis au Mémorandum de Powell, et ainsi de suite. L'industrie de la publicité a explosé avec cet objectif : fabriquer des consommateurs. Et c'est fait avec une grande sophistication.
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"If you think about it, the advertising industry—which spends hundreds of millions of dollars a year to create the kind of individual who’s focused on fulfilling artificial, externally imposed wants, and who is an uninformed consumer making irrational decisions—the reason they’re spending huge funds on that is because they believe people are rational. Otherwise, they wouldn’t bother. They’re trying to turn people into irrational creatures, and they’re putting huge efforts into it. And I think they’re right. They’re not wasting their money. If they didn’t do that, people would be making rational decisions, and I think the rational decisions would be, essentially, dismantling illegitimate authority and hierarchic institutions."
Si vous y réfléchissez, l’industrie de la publicité — qui dépense des centaines de millions de dollars par année pour créer le genre de personne qui se concentre sur la réalisation de désirs artificiels imposés de l’extérieur, et qui est un consommateur non informé qui prend des décisions irrationnelles — la raison pour laquelle ils dépensent énormément d’argent là-dessus, c’est parce qu’ils croient que les gens sont rationnels. Sinon, ils ne s’en soucieraient pas. Ils essaient de transformer les gens en créatures irrationnelles, et ils y consacrent d’énormes efforts. Et je pense qu’ils ont raison. Ils ne gaspillent pas leur argent. S’ils ne le faisaient pas, les gens prendraient des décisions rationnelles, et je pense que les décisions rationnelles consisteraient essentiellement à démanteler l’autorité illégitime et les institutions hiérarchiques...
Principle #10 : Marginalize the Population
"Chomsky: One of the leading political scientists, Martin Gilens, came out with a study of the relation between public attitudes and public policy. What he shows is that about 70% of the population has no way of influencing policy. They might as well be in some other country, and the population knows it. What it’s led to is a population that’s angry, frustrated, hates institutions. It’s not acting constructively to try to respond to this. There is popular mobilization and activism, but in very self-destructive directions. It’s taking the form of unfocused anger ..."
Chomsky : L'un des plus grands politologues, Martin Gilens, a publié une étude sur la relation entre les attitudes du public et les politiques publiques. Il montre qu'environ 70 % de la population n'a aucun moyen d'influencer la politique. Ils pourraient tout aussi bien se trouver dans un autre pays, et la population le sait. Il en résulte une population en colère, frustrée, qui déteste les institutions....
"Unfocused anger" - ll existe les éléments d'une mobilisation populaire et d'un activisme particulièrement autodestrcteur au sein de nos sociétés. "Cela prend la forme d’une colère non ciblée — de la haine, des attaques les uns contre les autres et contre des cibles vulnérables. Des attitudes vraiment irrationnelles — des gens qui se mobilisent contre leurs propres intérêts, littéralement contre leurs propres intérêts. Soutenir les personnalités politiques dont le but est de leur nuire le plus possible. Nous sommes en train de le constater — vous regardez la télévision et Internet, vous le voyez tous les jours. C’est ce qui arrive dans des cas comme celui-ci. C’est corrosif pour les relations sociales, mais c’est le problème. Le but est de faire en sorte que les gens se haïssent et se craignent les uns les autres, qu’ils ne regardent que pour eux-mêmes et qu’ils ne fassent rien pour les autres" (There’s popular mobilization and activism, but in very self-destructive directions. It’s taking the form of unfocused anger—hatred, attacks on one another and on vulnerable targets. Really irrational attitudes—people mobilizing against their own interests, literally against their own interests. Supporting political figures whose goal is to harm them as much as possible. We’re seeing this right in front of us—you look at the television and the Internet, you see it every day. That’s what happens in cases like this. It is corrosive of social relations, but that’s the point. The point is to make people hate and fear each other, look out only for themselves, and not do anything for anyone else). Le cas de Donald Trump est ici particulièrement éloquent : Chomsky affirme avoir toujours redouté l'apparition soudaine d'un individu suffisamment charismatique pour exploiter la peur et la colère qui bouillonne depuis longtemps dans une grande partie de la société, et qui pourrait le diriger loin des agents réels du malaise vers des cibles vulnérables (someone who could exploit the fear and anger that has long been boiling in much of the society, and who could direct it away from the actual agents of malaise to vulnerable targets). "The dangers, however, have been real for many years, perhaps even more so in the light of the forces that Trump has unleashed, even though Trump himself does not fit the image of honest ideologue. He seems to have very little of a considered ideology apart from me and my friends. He got huge support from people who are angry at everything. Every time Trump makes a nasty comment about whoever, his popularity goes up. Because it is based on hate and fear. The phenomenon that we are seeing here is “generalized rage.” Mostly white, working class, lower-middle-class people, who have been cast by the wayside during the neoliberalism period..."
Les tendances que nous avons décrites au sein de la société américaine, à moins qu'elles ne soient inversées, seront extrêmement difficiles à vivre. Je veux dire, une société basée sur l'ignoble maxime d'Adam Smith, "Tout pour moi, rien pour les autres". Une société dans laquelle les instincts humains normaux et les émotions de sympathie, de solidarité, de soutien mutuel, sont chassés... c'est une société si laide que je ne veux même pas savoir qui y vivrait. Je ne voudrais pas que mes enfants y vivent...
"The tendencies that we’ve been describing within American society, unless there are reversed, it's going to be an extremely ugly society. I mean, a society that’s based on Adam Smith’s vile maxim, “All for myself, nothing for anyone else.” A society in which normal human instincts and emotion of sympathy, solidarity, mutual support, in which they’re driven out... that’s a society so ugly, I don’t even want to know who’d live in it. I wouldn’t want my children to."
(...)
LES STRUCTURES D’AUTORITÉ PEUVENT-ELLES SE JUSTIFIER? - Une société ne sera jamais libre et juste tant que subsistent en son sein des structures d’autorité, de domination et de hiérarchie — soit quelqu’un qui donne les ordres et quelqu’un qui obéit — non véritablement justifiables ...
STRUCTURES OF AUTHORITY ARE NOT SELF-JUSTIFYING
"I don’t think we’re smart enough to design in any detail what a perfectly just and free society would be like. I think we can give some guidelines and, more significantly, we can ask how we can progress in that direction. John Dewey, the leading social philosopher in the late twentieth century, argued that until all institutions—production, commerce, media—are under participatory democratic control, we will not have a functioning democratic society. As he put it, “Policy will be the shadow cast by business over society.” Well, it’s essentially true. Where there are structures of authority, domination, and hierarchy — somebody gives the orders and somebody takes them — they are not selfjustifying. They have to justify themselves. They have a burden of proof to meet. If you take a close look, usually you find they can’t justify themselves. If they can’t, we ought to be dismantling them — trying to expand the domain of freedom and justice by dismantling that form of illegitimate authority.That’s another task for an organized, committed, dedicated population: not just to regulate them, but to ask why they’re there. This comes straight out of the libertarian element of the Enlightenment and classical liberal thought. It’s also the core principle of anarchism, but that’s democracy as well. I don’t think they’re in opposition in any respect. They’re just different ways of looking at the same kind of problem —popular decision making in the hands of people who are concerned with the decisions and their impact. And, in fact, progress over the years — what we all thankfully recognized as progress — has been just that."
Je ne pense pas que nous soyons assez intelligents pour concevoir en détail ce que serait une société parfaitement juste et libre. Je pense que nous pouvons donner des lignes directrices et, plus important encore, nous pouvons demander comment nous pouvons progresser dans cette direction. John Dewey, le principal philosophe social de la fin du XXe siècle, a fait valoir que tant que toutes les institutions — production, commerce, médias — ne seront pas sous contrôle démocratique participatif, nous n’aurons pas une société démocratique fonctionnelle. Comme il l’a dit, « La politique sera l’ombre portée des entreprises sur la société ». Eh bien, c’est essentiellement vrai. Là où il y a des structures d’autorité, de domination et de hiérarchie — quelqu’un donne les ordres et quelqu’un les prend — ils ne se justifient pas eux-mêmes. Ils doivent se justifier eux-mêmes. Ils ont le fardeau de la preuve. Si vous regardez de près, vous constatez généralement qu’ils ne peuvent pas se justifier. S’ils ne peuvent pas le faire, nous devrions les démanteler.Nous devrions essayer d’élargir le domaine de la liberté et de la justice en démantelant cette forme d’autorité illégitime. Cela vient tout droit de l’élément libertaire des Lumières et de la pensée libérale classique. C’est aussi le principe de base de l’anarchisme, mais c’est aussi la démocratie. Je ne pense pas qu’ils soient dans l’opposition. Ce ne sont que des façons différentes d’envisager le même genre de problème — la prise de décision populaire entre les mains de gens qui sont préoccupés par les décisions et leur impact. Et, en fait, les progrès réalisés au fil des ans — ce que nous avons tous heureusement reconnu comme des progrès — ne sont que cela...
"THE WAY PEOPLE LEARN IS BY INTERACTION. That’s even true of the advanced sciences. If you go to a research lab in the sciences, people are talking to each other, they’re challenging each other, they’re presenting ideas, getting reactions from colleagues, students, and so on. If you’re isolated, you might be an individual genius who can figure things out, but it’s not likely. You don’t have the resources, or the support, or the encouragement to try to find out who you are, what’s happening in the world, where you should be looking, and so on.
So in societies with functioning, significant organizations like labor unions—which were a very educational force, not just fighting for workers’ rights, but where workers’ education was a major phenomenon — you can learn where to look. You can encourage each other. You can inform each other. You can have your views challenged, refine them, and so on. Then, you can overcome the very natural efforts of elite institutions to protect you from what they don’t want you to know. So it’s like everything else, A CONSTANT STRUGGLE AGAINST POWER .
During the Arab Spring, in the early days of the Tahrir Square demonstrations, government pressures were very significant. A lot of the organizing was done through social media, and President Mubarak made the decision to shut down the Internet to block the activism through social media. What was the effect? Activism increased because people returned to what really matters, which is face-to-face contact. People began to talk to one another. We have plenty of evidence that direct personal interchange — organizing with people directly, talking to them, listening to them, and so on — has a major effect....
Les gens apprennent par l’interaction. C’est même vrai des sciences avancées. Si vous allez dans un laboratoire de recherche en sciences, les gens se parlent, ils se défient, ils présentent des idées, obtiennent des réactions de collègues, d’étudiants, etc. Si vous êtes isolé, vous pourriez être un génie individuel qui peut comprendre les choses, mais ce n’est pas probable. Vous n’avez pas les ressources, ni le soutien, ni l’encouragement pour essayer de savoir qui vous êtes, ce qui se passe dans le monde, où vous devriez chercher, et ainsi de suite. Ainsi, dans les sociétés qui fonctionnent, des organisations importantes comme les syndicats — qui étaient une force très éducative, qui ne luttaient pas seulement pour les droits des travailleurs, mais où l’éducation des travailleurs était un phénomène majeur — vous pouvez apprendre où chercher. Vous pouvez vous encourager les uns les autres. Vous pouvez vous informer les uns les autres. Vous pouvez remettre en question vos opinions, les affiner, etc. Ensuite, vous pouvez surmonter les efforts très naturels des institutions d’élite pour vous protéger de ce qu’ils ne veulent pas que vous sachiez. C’est donc comme tout le reste, une lutte constante contre le pouvoir.
Durant le "printemps arabe", au début des manifestations sur la place Tahrir, les pressions du gouvernement ont été très importantes. Une grande partie de l’organisation s’est faite par le biais des médias sociaux, et le président Moubarak a pris la décision de fermer Internet pour bloquer l’activisme par le biais des médias sociaux. Quel a été l’effet? L’activisme a augmenté parce que les gens sont retournés à ce qui compte vraiment, c’est-à-dire le contact en personne. Les gens ont commencé à se parler. Nous avons beaucoup de preuves que les échanges personnels directs — organiser avec les gens directement, leur parler, les écouter, etc. — ont un effet majeur ...
(...)
De la linguistique à la critique .... du pouvoir ...
Selon la conception du linguiste Noam Chomsky de ce qu'il dénomme la "grammaire générative" et les structures syntaxiques, la pensée de tout être humain est capable de générer un nombre infini de phrases structurées selon des règles. L'acquisition du langage par l'enfant entre deux et cinq ans est une performance tellement prodigieuse qu'elle nous fait supposer une compétence linguistique innée et intuitive, c'est-à-dire en fin de compte une faculté rationnelle "a priori". Les enfants connaissent les règles de grammaire avant même d'entendre les mots constituants. En 1978, Richard Bandler et John Grinder appliqueront l'analyse de la linguistique de Noam Chomsky à la psychothérapie, la tâche du thérapeute étant de découvrir la "structure profonde" (la représentation linguistique complète) au-delà de la "structure de surface" (les phrases exprimées d'emblée par le patient) et de l'explorer pour y chercher les généralisations, suppressions et distorsions qui interviennent dans la structuration de la représentation linguistique elle-même. Se dessine chez Noam Chomsky cette sensibilité aux fausses manifestations de surface d'une réalité plus vivante qu'on ne pense et les jeux de distorsions de langage et de généralisations simplistes qu'exploitent tant les détenteurs du pouvoir dans nos sociétés ...
"Syntactic Structures" (Structures syntaxiques, 1957)
Noam Chomsky's first book on syntactic structures is one of the first serious attempts on the part of a linguist to construct within the tradition of scientific theory-construction a comprehensive theory of language which may be understood in the same sense that a chemical, biological theory is understood by experts in those fields. It is not a mere reorganization of the data into a new kind of library catalogue, nor another speculaltive philosophy about the nature of man and language, but rather a rigorus explication of our intuitions about our language in terms of an overt axiom system, the theorems derivable from it, explicit results which may be compared with new data and other intuitions, all based plainly on an overt theory of the internal structure of languages; and it may well provide an opportunity for the application of explicity measures of simplicity to decide preference of one form over another form of grammar ...
C'est dans les "Aspects de la théorie syntaxique" (Aspects of the Theory of Syntax), publié en 1965, que Chomsky va présenter la version dite standard de sa "théorie générative transformationnelle". L'auteur commence par établir une différence entre la "compétence linguistique", c'est-à-dire le système de règles maîtrisé par un locuteur-auditeur idéal d'une langue, qui lui permet de construire une infinité de phrases grammaticales, et la "performance", qui est l'emploi de ce système dans la communication. Il définit ensuite le but d'une "grammaire générative", qui est de dégager et de formuler explicitement le système sous-jacent de règles qui constitue cette compétence, pour ajouter que la grammaire ne peut se contenter de fournir une description adéquate d'une langue particulière. Elle doit aussi s'appuyer sur des principes généraux de structure linμistique pour donner de celle-là une explication adéquate. Cette exigence conduit à l'étude des propriétés et principes communs à toutes les langues, c'est-à-dire des universaux linguistiques, objets de la grammaire universelle. Seule la double hypothèse de l'existence de tels principes et de leur caractère inné permet de rendre compte de la rapidité avec laquelle l'enfant acquiert une compétence dans une langue particulière à partir des données langagières très incomplètes qu'il entend autour de lui. Chomsky conçoit dès lors sa théorie linguistique comme une "hypothèse spécifique, d`un modèle essentiellement rationaliste, sur la nature des structures et des processus mentaux"...
La deuxieme partie de l'ouvrage est consacrée à la présentation d`une nouvelle version de la grammaire générative transformationnelle, qui diffère sur plusieurs points importants de celle développée en 1957 dans "Syntactic Structures" ...
Dans la composante générative de son modèle, Chomsky distingue la grammaire du lexique, qui est inséré dans les structures grammaticales par des règles d'insertion lexicale; il introduit dans la grammaire, à côté des catégories, des fonctions grammaticales, ainsi que des règles récursives permettant d`engendrer directement des phrases complexes. Et il décrit pour la première fois la structure du lexique, en introduisant des traits de sélection et de sous-catégorisation, ainsi que des règles de redondance lexicale. Dans cette conception, la composante générative permet d'engendrer des structures abstraites dites profondes, qui contiennent toutes les informations nécessaires à l'interprétation sémantique des phrases; ces structures profondes sont soumises ensuite aux règles de la composante transformationnelle, qui permettent d'engendrer les structures dites de surface, qui contiennent toutes les informations nécessaires à la réalisation phonique de la phrase. Bien que considérablement modifié par la suite (cf. Knowledge of Language, 1986) -, le modèle présente ici a marqué une étape décisive du développement de la théorie générative transformationnelle. (Trad. Seuil, 1971).
"Cartesian Linguistics" (La Linguistique cartésienne, 1965)
Noam Chomsky analyse la parenté qui existe entre les régularités récursives et cachées qui
sous-tendent une variété de surface, dans la fameuse "Grammaire générale et raisonnée, concernant les fondements de l'art de parler" d'Arnauld et Lancelot (1660, il s'agissait alors de dégager "les raisons de ce qui est commun à toutes les langues et des principales différences qui s'y rencontrent"), et les descriptions de la "grammaire générative". Le centre de ce qui est regroupé par Chomsky sous le nom de «linguistique cartésienne» est constitué par la découverte de conditions universelles qui prescrivent la forme générale de tout langage humain. Ces conditions ne sont pas apprises; au contraire, elles sont des principes d'organisation qui permettent d'apprendre une langue; il en résulte que le locuteur de cette langue peut savoir sans apprentissage. Elles rendent également possible une utilisation infinie des moyens finis qu'elles exposent. Or, la "grammaire générative" est définie comme étude de la compétence tacite d'un locuteur-auditeur, compétence sur laquelle repose sa performance effective dans la production et la perception du discours. La conjonction d'un système de base, composé de règles qui engendrent des relations grammaticales sous-jacentes selon un ordre abstrait, et d'un système transformationnel qui les applique dans des structures de surface changeantes produit la configuration de la syntaxe d'une langue. Le partage, par le locuteur et l'auditeur, d'un tel système sous-jacent de règles génératives renvoie à l'uniformité de la nature humaine, aux universaux linguistiques, et aux propriétés innées de l'esprit dans la constitution du savoir humain. Noam Chomsky met ainsi en évidence ce qui rapproche les présupposés de la grammaire de Port-Royal et les principes de la grammaire générative, qui «réactivent» ceux de la grammaire universelle classique. (trad. Le Seuil, 1969). A noter : J. Bouveresse, «La linguistique cartésienne, grandeur et décadence d'un mythe», in revue Critique, n° 384, 1979.
(Préface) "The aim of this series of studies, of which the present work is the first, is to deepen our understanding of the nature of language and the mental processes and structures that underlie its use and acquisition. The idea that the study of language provides insight into human psychology is by no means novel. It has always been clear that the normal, everyday use of language involves intellectual abilities of the highest order. In view of the complexity of this achievement and its uniqueness to man, it is only natural to suppose that the study of language contributes significantly to our understanding of the nature of the human mind and its functioning.
L’objectif de cette série d’études, dont le présent travail est le premier, est d’approfondir notre compréhension de la nature du langage et des processus et structures mentaux qui sous-tendent son utilisation et son acquisition. L’idée que l’étude du langage donne un aperçu de la psychologie humaine n’a rien de nouveau. Il a toujours été clair que l’utilisation normale et quotidienne du langage implique des capacités intellectuelles de premier ordre. Compte tenu de la complexité de cette réalisation et de son caractère unique pour l’homme, il est naturel de supposer que l’étude du langage contribue de manière significative à notre compréhension de la nature de l’esprit humain et de son fonctionnement.
"Modern linguistics has provided a great deal of new information concerning a wide range and variety of languages. It has sought, with much success, to achieve significantly higher standards of clarity and reliability than those reached in earlier studies of language. At the same time, there has been a continuing interest in theoretical questions that has led to significant clarification of the foundations of linguistics. These advances make it possible to formulate, in a fairly precise way, the fundamental question of how experience and maturational processes interrelate within the framework of innate limiting conditions to yield the linguistic competence exhibited by a normal speaker of a language. It does not seem unrealistic, therefore, to hope that research of the sort that can be undertaken at present may lead to a plausible and informative account of the mental abilities that underlie the achievement of normal linguistic competence, abilities that may be as individual and species-specific as that of a bird to learn a particular class of songs, of a beaver to build dams, or of a bee to integrate its own actions into the intricate social activity of the hive....
La linguistique moderne a fourni beaucoup de nouvelles informations concernant une grande variété de langues. On a cherché, avec beaucoup de succès, à atteindre des normes de clarté et de fiabilité nettement plus élevées que celles atteintes dans les études antérieures de la langue. En même temps, un intérêt continu pour les questions théoriques a conduit à une clarification significative des fondements de la linguistique. Ces avancées permettent de formuler, de manière assez précise, la question fondamentale de savoir comment l’expérience et les processus de maturation s’imbriquent dans le cadre de conditions limitatives innées pour dégager la compétence linguistique d’un locuteur normal d’une langue. Il ne semble donc pas irréaliste d’espérer que des recherches du genre de celles qui peuvent être entreprises à l’heure actuelle puissent conduire à un compte rendu plausible et informatif des capacités mentales qui sous-tendent l’acquisition de compétences linguistiques normales, des capacités qui peuvent être aussi individuelles et spécifiques à une espèce que celles d’un oiseau pour apprendre une classe particulière de chants, d’un castor pour construire des barrages, ou d’une abeille pour intégrer ses propres actions dans l’activité sociale complexe de la ruche...
"Language and Mind" ( 1968, Le Langage et la pensée)
Les trois chapitres de cet ouvrage sont des versions remaniées de trois conférences faites par l'auteur à l'université de Californie, à Berkeley. en décembre 1967, où il tente de répondre à la question : "Quelle peut être la contribution de l`étude du langage à notre compréhension de la nature humaine" ..
Dans le premier chapitre, intitulé "Le Passé", Chomsky critique sévèrement le cadre behaviouriste qui domine dans les années 50 et 60 les sciences humaines aux Etats-Unis et montre l'utilité de reprendre l'examen des problèmes de la connaissance et du langage dans le cadre où ils ont été posés au XVIIe siècle, en particulier par Descartes et par la Grammaire de Port RoyaI (cf. "Cartesian Linguistics", 1965). ll en retient principalement la nécessité de prendre en compte la dimension créative du langage et de dépasser la simple description pour proposer une explication des faits linguistiques qui permette du même coup de mieux saisir la nature de la pensée.
Dans le deuxième chapitre, intitulé "Le Présent", Chomsky montre, à partir de ses recherches sur l'anglais, que le linguiste est obligé, pour rendre compte de la compétence linguistique des sujets parlants. c'est-à-dire de leur capacité de construire une infinité de phrases grammaticales dans une langue particulière, de poser des structures sous-jacentes et des règles souvent très abstraites, ainsi que des principes généraux relevant sans doute d'une grammaire universelle.
Dans le dernier chapitre, intitulé "Le Futur", Chomsky développe l'hypothèse selon laquelle l'étude détaillée des structures linguistiques constitue une voie privilégiée pour explorer les propriétés essentielles et caractéristiques de l'intelligence humaine, ce qui l'amène à considérer la linguistique comme une partie de la psychologie humaine. Abordant, à propos de l'acquisition du langage, un problème classique de la psychologie, celui de rendre compte de la Connaissance humaine, il met en évidence l'énorme disparité entre connaissance et expérience - entre la grammaire générative qui exprime la compétence du locuteur dans une langue particulière et les données disparates et peu structurées que l'enfant a pu entendre autour de lui et à partir desquelles il s`est construit cette compétence. . Il en conclut qu'il faut attribuer à l`esprit, comme propriété innée, les principes qui constituent la grammaire universelle.
La compétence linguistique - la connaissance d'une langue - doit être considérée comme un système abstrait qui sous-tend la performance, système constitué par des lois qui concourent à déterminer la forme et le sens intrinsèque d'un nombre potentiellement infini de phrases. Un tel système, appelé «grammaire générative», définit les propriétés formelles de toute langue humaine possible. «Une grammaire générative est un système de plusieurs centaines de lois de types différents, organisées selon certains principes fixes d'ordre et d'applicabilité, et contenant une sous-structure fixe qui, de la même façon que les principes généraux d'organisation, est commune à toutes les langues».
La distinction opérationnelle entre structure superficielle et structure profonde permet d'accéder à la compréhension de cette organisation sous-jacente. Les langues varient peu dans leurs structures profondes, alors qu'il peut exister une large variabilité dans les manifestations de surface. Les opérations transformationnelles relient les deux. Par conséquent, une personne qui connaît une langue spécifique possède une grammaire qui génère - c'est-à-dire caractérise - l'ensemble infini des structures profondes potentielles, en dresse la carte sur le fond des structures superficielles associées et détermine les interprétations sémantique et phonétique de ces objets abstraits, bien qu'il semble que la première (sémantique) soit plutôt réglée par la structure profonde, et la seconde (phonétique) par la structure superficielle. Dans ces conditions, l'enfant ne peut pas savoir à la naissance quelle langue il va apprendre, mais il doit savoir que sa grammaire est d'une forme prédéterminée qui exclut beaucoup de langues imaginables: cette restriction innée constitue une pré-condition, au sens kantien, à l'expérience linguistique. (trad. Payot, 1970)
"Knowledge of Language" (1986, La Connaissance du Langage)
Chomsky présente dans cet ouvrage la dernière version de la grammaire générative transformationnelle, la théorie du "gouvernement" et du "liage", qui occuperont une place centrale dans les recherches linguístiques et cognitives. Il en discute de même certaines conséquences pour la théorie de la connaissance. Chomsky poursuit ainsi l'objectif qu`il s`était fixé dès ses premiers travaux, en 1955, et qui est non seulement de décrire de manière adéquate les structures d'une langue particulière, mais encore de saisir les principes généraux qui permettent d'en expliquer l'acquisition par l'enfant.
Dans la théorie du gouvernement et du liage, il conçoit la grammaire non plus comme un système de règles génératives et transformationnelles spécifiques (cf. 1965, "Aspects de la théorie syntaxique"), mais comme un ensemble de principes généraux relevant de modules autonomes (théories du gouvernement, du liage, des cas, etc.) ; la grammaire présente ainsi une structure modulaire analogue à celles proposées pour les systèmes cognitifs. Chomsky décrit ici la structure et le fonctionnement des principaux modules, en s'appuyant sur de nombreux exemples. Il introduit une autre innovation importante, qui permet de rendre compte des propriétés de langues particulières : les principes, qui sont universels et innés, sont associés à des paramètres qui peuvent varier d'une langue à l'autre et dont la valeur est fixée par l'expérience lors de l'apprentissage d'une langue; ainsi, certaines langues, comme l'anglais et le français, exigent la présence d'un pronom sujet avec le verbe conjugué alors que l'italien et les autres langues romanes peuvent s`en dispenser. En d'autres termes, l'enfant qui apprend sa langue maternelle le fait à partir d'une part de principes innés et universels, et d'autre part de l'expérience de la langue utilisée autour de lui, expérience qui lui permet de fixer la valeur des paramètres liés aux principes dans cette langue.
Ces hypothèses ont des conséquences importantes non seulement pour les recherches psycholinguistiques sur l'acquisition du langage, mais aussi dans les autres domaines où on observe des relations entre des variables, en particulier en histoire de la langue, en dialectologie et dans la typologie des langues. Mais surtout, comme il l'avait déjà suggéré, à propos d'une première version de sa théorie, dans "Le Langage et la Pensée" (1968), Chomsky montre qu'une telle approche du langage pourrait constituer la voie la plus accessible pour l'investigation des problèmes de la connaissance et, par là, des propriétés de l'esprit humain...
"The Responsibility of Intellectuals", Noam Chomsky, 1967
Plus d'un demi-siècle après sa première parution, l’un des plus grands essais d'un Noam Chomsky profondément touché par les articles sur la responsabilité des intellectuels écrits par Dwight Macdonald, rédacteur en chef de Partisan Review puis de Politics. Vingt ans plus tard, alors que la guerre du Vietnam s’intensifiait, Chomsky a lui-même abordé la question, soulignant que « les intellectuels sont en mesure d’exposer les mensonges des gouvernements » (intellectuals are in a position to expose the lies of governments) et d’analyser leurs « intentions souvent cachées » (often hidden intentions). Initialement publié dans la New York Review of Books, l’essai de Chomsky a démonté le « moralisme hypocrite du passé » ("hypocritical moralism of the past", comme lorsque Woodrow Wilson a entrepris d’enseigner aux Latino-Américains « the art of good government») et a exposé la politique si discutable menée au Vietnam et le rôle des intellectuels pour la justifier. Le seul fait de détenir quelque privilège publique confère responsabilités ...
"IT IS THE RESPONSIBILITY of intellectuals to speak the truth and to expose lies. This, at least, may seem enough of a truism to pass over without comment. Not so, however. For the modern intellectual, it is not at all obvious. Thus we have Martin Heidegger writing, in a pro-Hitler declaration of 1933, that “truth is the revelation of that which makes a people certain, clear, and strong in its action and knowledge”; it is only this kind of “truth” that one has a responsibility to speak. Americans tend to be more forthright. When Arthur Schlesinger was asked by the New York Times in November 1965 to explain the contradiction between his published account of the Bay of Pigs incident and the story he had given the press at the time of the attack, he simply remarked that he had lied; and a few days later, he went on to compliment the Times for also having suppressed information on the planned invasion, in “the national interest,” as this term was defined by the group of arrogant and deluded men of whom Schlesinger gives such a flattering portrait in his recent account of the Kennedy administration. It is of no particular interest that one man is quite happy to lie in behalf of a cause which he knows to be unjust; but it is significant that such events provoke so little response in the intellectual community — for example, no one has said that there is something strange in the offer of a major chair in the humanities to a historian who feels it to be his duty to persuade the world that an American-sponsored invasion of a nearby country is nothing of the sort.
C’EST DE LA RESPONSABILITÉ des intellectuels de dire la vérité et d’exposer les mensonges. Au moins, cela pourrait être d'une évidence suffisante. Ce n’est pas le cas, cependant. Pour l’intellectuel moderne, ce n’est pas du tout évident. Ainsi, Martin Heidegger écrit, dans une déclaration pro-Hitler de 1933, que « la vérité est la révélation de ce qui rend un peuple certain, clair et fort dans son action et sa connaissance »; c’est seulement de ce genre de « vérité » dont on a la responsabilité de parler. Les Américains ont tendance à être plus sincères. Lorsque le New York Times a demandé à Arthur Schlesinger en novembre 1965 d’expliquer la contradiction entre son récit publié sur l’incident de la baie des Cochons et l’histoire qu’il avait donnée à la presse au moment de l’attaque, il a simplement fait remarquer qu’il avait menti; et quelques jours plus tard, il a ensuite félicité le Times pour avoir également supprimé des informations sur l’invasion prévue, dans « l’intérêt national », Comme ce terme a été défini par le groupe d’hommes arrogants et remplis d'illusions dont Schlesinger donne un portrait si flatteur dans son récent compte rendu de l’administration Kennedy. Il n’est pas d’un intérêt particulier qu’un homme soit tout à fait heureux de mentir au nom d’une cause qu’il sait injuste; mais il est significatif que de tels événements provoquent si peu de réponse dans la communauté intellectuelle ...
"And what of the incredible sequence of lies on the part of our government and its spokesmen concerning such matters as negotiations in Vietnam? The facts are known to all who care to know. The press, foreign and domestic, has presented documentation to refute each falsehood as it appears. But the power of the government’s propaganda apparatus is such that the citizen who does not undertake a research project on the subject can hardly hope to confront government pronouncements with fact..."
Et qu’en est-il de la séquence incroyable de mensonges de la part de notre gouvernement et de ses porte-parole concernant des questions telles que les négociations au Vietnam? La presse, étrangère et nationale, a présenté des documents pour réfuter chaque mensonge tel qu’il apparaît. Mais le pouvoir de l’appareil de propagande du gouvernement est tel que le citoyen qui n’entreprend pas un projet de recherche sur le sujet peut difficilement espérer confronter les déclarations du gouvernement aux faits...
"American Power and the New Mandarins: Historical and Political Essays", Noam Chomsky, 1967 ("L'Amérique et ses nouveaux mandarins, 1969)
C'est le premier livre politique de Noam Chomsky, largement considéré comme l’une des déclarations les plus convaincantes et les plus puissantes contre la guerre américaine au Vietnam. Longtemps épuisée, cette collection d’essais précurseurs a contribué à faire de Chomsky un critique de premier plan de la politique étrangère des États-Unis. Ces pages constituent une critique cinglante des contradictions de cette guerre et une mise en accusation des intellectuels libéraux – les « nouveaux mandarins » – qui ont fourni ce que Chomsky a soutenu être la couverture idéologique nécessaire pour les horreurs subies par le peuple vietnamien. Dans une nouvelle préface écrite par Howard Zinn, l'auteur de "A People’s History of the United States", rappela que ce livre était alors un vibrant appel à une analyse indépendante du rôle de l’Amérique dans le monde ...
"What Uncle Sam Really Wants", Noam Chomsky, 1991.
Une brillante synthèse des véritables motivations de la politique étrangère des États-Unis, compilées à partir de discussions et d’entretiens menés entre 1986 et 1991, avec une attention particulière pour l’Amérique centrale...
" The struggle continues - The struggle for freedom is never over. The people of the Third World need our sympathetic understanding and, much more than that, they need our help. We can provide them with a margin of survival by internal disruption in the United States. Whether they can succeed against the kind of brutality we impose on them depends in large part on what happens here. The courage they show is quite amazing. I've personally had the privilege - and it is a privilege - of catching a glimpse of that courage at first hand in Southeast Asia, in Central America and on the occupied West Bank. It's a very moving and inspiring experience, and invariably brings to my mind some contemptuous remarks of Rousseau's on Europeans who have abandoned freedom and justice for the peace and repose "they enjoy in their chains." He goes on to say: When I see multitudes of entirely naked savages scorn European voluptuousness and endure hunger, fire, the sword and death to preserve only their independence, I feel that it does not behoove slaves to reason about freedom.
People who think that these are mere words understand very little about the world. And that's just a part of the task that lies before us. There's a growing Third World at home. There are systems of illegitimate authority in every corner of the social, political, economic and cultural worlds. For the first time in human history, we have to face the problem of protecting an environment that can sustain a decent human existence. We don't know that honest and dedicated effort will be enough to solve or even mitigate such problems as these. We can be quite confident, however, that the lack of such efforts will spell disaster."
"Media Control: The Spectacular Achievements of Propaganda", Noam Chomsky, 1995
Le classique de poche de Noam Chomsky sur la propagande et le contrôle de l’opinion en temps de guerre commence par affirmer deux modèles de démocratie : l’un où le public participe activement et l’autre où le public est manipulé et contrôlé. Selon Chomsky, « la propagande est à la démocratie comme la matraque est à un État totalitaire » (propaganda is to democracy as the bludgeon is to a totalitarian state), et les médias sont le principal véhicule de propagande aux États-Unis. D’un examen de la façon dont la Commission Creel de Woodrow Wilson « a réussi, en six mois, à transformer une population pacifiste en une population hystérique et belliciste » (succeeded, within six months, in turning a pacifist population into a hysterical, war-mongering population), à la guerre de Bush père contre l'Iraq. N. Chomsky examine la façon dont les médias de masse et les industries de relations publiques ont été utilisés comme outils de propagande pour susciter le soutien du public à cette guerre. Chomsky aborde également la façon dont l’industrie moderne des relations publiques a été influencée par la théorie de Walter Lippmann, - le "prince" des journalistes qui régna près d'un demi-siècle et ne jeta l'éponge qu'en 1970 -, de la « démocratie des spectateurs » (spectator democracy), dans laquelle le public est considéré comme un « troupeau » (bewildered herd) qui doit être dirigé, et la façon dont l’industrie des relations publiques aux États-Unis s’efforce de « contrôler l’esprit du public » (controlling the public mind) et non de l’informer. Media Control est une introduction inestimable sur les rouages secrets de la désinformation dans les sociétés démocratiques...
"SPECTATOR DEMOCRACY - Another group that was impressed by these successes was liberal democratic theorists and leading media figures, like, for example, Walter Lippmann, who was the dean of American journalists, a major foreign and domestic policy critic and also a major theorist of liberal democracy. If you take a look at his collected essays, you'll see that they're subtitled something like "A Progressive Theory of Liberal Democratic Thought." Lippmann was involved in these propaganda commissions and recognized their achievements. He argued that what he called a "revolution in the art of democracy," could be used to "manufacture consent, " that is, to bring about agreement on the part of the public for things that they didn't want by the new techniques of propaganda. He also thought that this was a good idea, in fact, necessary. It was necessary because, as he put it, "the common interests elude public opinion entirely" and can only be understood and managed by a "specialized class "of "responsible men" who are smart enough to figure things out. This theory asserts that only a small elite, the intellectual community that the Deweyites were talking about, can understand the common interests, what all of us care about, and that these things "elude the general public." This is a view that goes back hundreds of years. It's also a typical Leninist view.
In fact, it has very close resemblance to the Leninist conception that a vanguard of revolutionary intellectuals take state power, using popular revolutions as the force that brings them to state power, and then drive the stupid masses toward a future that they're too dumb and incompetent to envision for themselves. The liberal democratic theory and Marxism-Leninism are very close in their common ideological assumptions. I think that's one reason why people have found it so easy over the years to drift from one position to another without any particular sense of change. It's just a matter of assessing where power is. Maybe there will be a popular revolution, and that will put us into state power; or maybe there won't be, in which case we'll just work for the people with real power: the business community. But we'll do the same thing. We'll drive the stupid masses toward a world that they're too dumb to understand for themselves.
Un autre groupe qui a été impressionné par ces succès est celui des théoriciens de la démocratie libérale et des grandes figures des médias, comme, par exemple, Walter Lippmann, doyen des journalistes américains, critique majeur de la politique étrangère et intérieure et théoricien majeur de la démocratie libérale. Si vous jetez un coup d’oeil à ses essais, vous verrez qu’ils sont sous-titrés quelque chose comme "Une théorie progressiste de la pensée démocratique libérale". Il a fait valoir que ce qu’il a appelé une "révolution dans l’art de la démocratie", pourrait être utilisé pour "fabriquer le consentement" (manufacture consent), c’est-à-dire, amener l’accord du public pour des choses qu’ils ne voulaient pas par les nouvelles techniques de propagande. Il a également pensé que c’était une bonne idée, en fait, nécessaire. C’était nécessaire parce que, comme il l’a dit, "les intérêts communs échappent entièrement à l’opinion publique" et ne peuvent être compris et gérés que par une "classe spécialisée "d’hommes "responsables" qui sont assez intelligents pour comprendre les choses. Cette théorie affirme que seule une petite élite, la communauté intellectuelle dont les Deweyistes parlaient, peut comprendre les intérêts communs, ce dont nous nous soucions tous, et que ces choses "échappent au grand public." C’est un point de vue qui remonte à des centaines d’années. C’est aussi un point de vue typiquement léniniste.
En fait, il ressemble beaucoup à la conception léniniste selon laquelle une avant-garde d’intellectuels révolutionnaires prend le pouvoir d’État, utilisant les révolutions populaires comme la force qui les amène au pouvoir d’État, et ensuite conduire les masses stupides vers un avenir qu’elles sont trop stupides et incompétentes pour envisager pour elles-mêmes. La théorie démocratique libérale et le marxisme-léninisme sont très proches dans leurs hypothèses idéologiques communes. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles les gens ont trouvé si facile au fil des ans de passer d’un poste à un autre sans aucun sens particulier du changement. Il s’agit simplement d’évaluer où se trouve le pouvoir. Peut-être qu’il y aura une révolution populaire, et cela nous mettra au pouvoir de l’État; ou peut-être qu’il n’y en aura pas, auquel cas nous travaillerons seulement pour les gens qui ont un vrai pouvoir : le monde des affaires. Mais nous ferons la même chose. Nous conduirons les masses stupides vers un monde qu’elles sont trop bêtes pour comprendre par elles-mêmes..."
(...)
"Propaganda and the Public Mind", Noam Chomsky, 1998
Dans son dernier recueil d’interviews, Noam Chomsky donne un aperçu des institutions qui façonnent l’esprit du public au service du pouvoir et du profit. Qu’il s’agisse de l'escalade militaire américaine en Colombie, du démantèlement bipartite de la sécurité sociale, de la montée des organisations à but lucratif ou de l’inégalité croissante dans le monde, Chomsky montre comment les citoyens ordinaires, s’ils travaillent ensemble, ont le pouvoir d’apporter des changements significatifs. Chomsky complète ses propos par une discussion de ses idées sur le langage et l’esprit, rendant ses importantes connaissances linguistiques accessibles au lecteur profane...
"... I think you learn by doing. I’m a Deweyite from way back, from childhood experience and reading. You figure out how to do things by watching other people do them. That’s the way you learn to be a good carpenter, for example, and the way you learn to be a good physicist. Nobody can train you how to do physics. You don’t teach methodology courses in the natural sciences. So a typical graduate seminar in a science course would be just people working together, not all that different from an artisan picking up a craft and working with someone who’s supposedly good at it. The right way to do things is not to try to persuade people you’re right but to challenge them to think it through for themselves. There’s nothing in human affairs of which we can speak with very great confidence. Even in the hard natural sciences, that’s largely true. In the case of human affairs, international affairs, family relations, whatever it may be, you can compile evidence and you can put things together and look at them from a certain way. The right approach, putting aside what one or another person does, is simply to encourage people to do that.
Je pense que vous apprenez en faisant. Je suis un Deweyiste depuis longtemps, de l’expérience de l’enfance et de la lecture. Vous trouvez comment faire les choses en regardant les autres les faire. C’est ainsi que vous apprenez à être un bon menuisier, par exemple, et que vous apprenez à être un bon physicien. Personne ne peut vous former à la physique. Vous n’enseignez pas de cours de méthodologie en sciences naturelles. Donc, un séminaire de deuxième cycle typique dans un cours de sciences serait juste des gens qui travaillent ensemble, pas si différents d’un artisan qui prend un métier et travaille avec quelqu’un qui est censé être bon à cela.
La bonne façon de faire les choses n’est pas d’essayer de persuader les gens que vous avez raison, mais de les mettre au défi de réfléchir par eux-mêmes. Il n’y a rien dans les affaires humaines dont nous puissions parler avec une grande confiance. Même dans les sciences naturelles dures, c’est en grande partie vrai. Dans le cas des affaires humaines, des affaires internationales, des relations familiales, peu importe ce que cela peut être, on peut compiler des preuves et on peut mettre les choses ensemble et les examiner d’une certaine façon. La bonne approche, en mettant de côté ce que l’un ou l’autre fait, est simplement d’encourager les gens à le faire.
In particular, you try to show the chasm that separates standard versions of what goes on in the world from what the evidence of the senses and people’s inquiries will show them as soon as they start to look at it. A common response that I get is, I can’t believe anything you’re saying. It’s totally in conflict with what I’ve learned and always believed, and I don’t have time to look up all those footnotes. How do I know what you’re saying is true? That’s a plausible reaction. I tell people it’s the right reaction. You shouldn’t believe what I say is true. The footnotes are there, so you can find out if you feel like it, but if you don’t want to bother, nothing can be done. Nobody is going to pour truth into your brain. It’s something you have to find out for yourself ...
En particulier, vous essayez de montrer le gouffre qui sépare les versions standard de ce qui se passe dans le monde de ce que les preuves des sens et les enquêtes des gens leur montreront dès qu’ils commenceront à le regarder. On me répond souvent : Je ne peux pas croire ce que vous dites. C’est totalement en conflit avec ce que j’ai appris et ce que j’ai toujours cru, et je n’ai pas le temps de regarder toutes ces notes de bas de page. Comment savoir si ce que vous dites est vrai? C’est une réaction plausible. Je dis aux gens que c’est la bonne réaction. Tu ne devrais pas croire ce que je dis. Les notes de bas de page sont là, donc vous pouvez savoir si vous en avez envie, mais si vous ne voulez pas vous embêter, rien ne peut être fait. Personne ne va répandre la vérité dans votre cerveau. C’est quelque chose que vous devez découvrir par vous-même .."
"Profit Over People: Neoliberalism and Global Order", Noam Chomsky, 1998
Pourquoi l’Atlantique se remplit-il lentement de pétrole brut, menaçant un équilibre écologique vieux de millions d’années ? Pourquoi les traders de grandes banques ont-ils pris des risques élevés avec l'argent que leur confiaient des centaines de milliers de clients dans le monde entier, en développant leurs investissements et en utilisant l'effet de levier au point que l'échec a conduit à une crise financière mondiale qui a laissé des millions de personnes sans emploi et des centaines de villes économiquement dévastées ? Pourquoi l'armée la plus puissante du monde passerait-elle dix ans à combattre un ennemi qui ne représente pas une menace directe pour la sécurité des ressources des entreprises ? Dans tous les cas, le coupable est l'idéologie néolibérale, c'est-à-dire la croyance en la suprématie des marchés "libres" pour diriger et gouverner les affaires humaines. L'auteur retrace ici l'histoire du néolibéralisme à travers une analyse des accords de libre-échange des années 1990, de l'Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international, et décrit les mouvements de résistance à l'ingérence croissante du secteur privé dans les affaires mondiales. Au cours des années qui ont suivi la publication cet ouvrage, le néolibéralisme a poursuivi son emprise sur l'économie mondiale, neutralisant un peu plus l'opinion dans les affaires publiques et substituant le résultat net à l'obligation fondamentale des gens de prendre soin les uns des autres comme une fin en soi...
"The term “neoliberalism” suggests a system of principles that is both new and based on classical liberal ideas: Adam Smith is revered as the patron saint. The doctrinal system is also known as the “Washington consensus,” which suggests something about global order. A closer look shows that the suggestion about global order is fairly accurate, but not the rest. The doctrines are not new, and the basic assumptions are far from those that have animated the liberal tradition since the Enlightenment.
THE WASHINGTON CONSENSUS - The neoliberal Washington consensus is an array of market oriented principles designed by the government of the United States and the international financial institutions that it largely dominates, and implemented by them in various ways—for the more vulnerable societies, often as stringent structural adjustment programs. The basic rules, in brief, are: liberalize trade and finance, let markets set price (“get prices right”), and inflation (“macroeconomic stability”), privatize. The government should “get out of the way”—hence the population too, insofar as the government is democratic, though the conclusion remains implicit. The decisions of those who impose the “consensus” naturally have a major impact on global order. Some analysts take a much stronger position. The international business press has referred to these institutions as the core of a “de facto world government” of a “new imperial age.”
Le terme « néolibéralisme » suggère un système de principes à la fois nouveau et basé sur des idées libérales classiques : Adam Smith est vénéré comme le saint patron. Le système doctrinal est aussi connu sous le nom de « consensus de Washington », qui suggère quelque chose sur l’ordre mondial. Un examen plus approfondi montre que la suggestion sur l’ordre mondial est assez exacte, mais pas le reste. Les doctrines ne sont pas nouvelles, et les hypothèses de base sont loin de celles qui ont animé la tradition libérale depuis les Lumières.
LE CONSENSUS DE WASHINGTON - Le consensus néolibéral de Washington est un ensemble de principes orientés vers le marché conçus par le gouvernement des États-Unis et les institutions financières internationales qu’il domine largement, et mis en œuvre par eux de diverses façons — pour les sociétés les plus vulnérables, souvent sous forme de programmes d’ajustement structurel rigoureux. Les règles de base, en bref, sont : libéraliser le commerce et le financement, laisser les marchés fixer les prix (« obtenir des prix corrects »), et inflation (« stabilité macroéconomique »), privatiser. Le gouvernement devrait « se retirer du chemin », et de même les citoyens, dans la mesure où le gouvernement est démocratique, bien que la conclusion demeure implicite. Les décisions de ceux qui imposent le «consensus » ont naturellement un impact majeur sur l’ordre mondial et certains analystes adoptent une position beaucoup plus ferme. La presse internationale a qualifié ces institutions de « gouvernement mondial de facto » d’une « nouvelle ère impériale ».
Whether accurate or not, this description serves to remind us that the governing institutions are not independent agents but reject the distribution of power in the larger society. That has been a truism at least since Adam Smith, who pointed out that the “principal architects” of policy in England were “merchants and manufacturers” who used state power to serve their own interests, however “grievous” the effect on others, including the people of England. Smith’s concern was “the wealth of nations,” but he understood that the “national interest” is largely a delusion: within the “nation” there are sharply conɻicting interests, and to understand policy and its effects we have to ask where power lies and how it is exercised, what later came to be called class analysis.
The “principal architects” of the neoliberal “Washington consensus” are the masters of the private economy, mainly huge corporations that control much of the international economy and have the means to dominate policy formation as well as the structuring of thought and opinion. The United States has a special role in the system for obvious reasons. To borrow the words of diplomatic historian Gerald Haines, who is also senior historian of the CIA, “Following World War II the United States assumed, out of self-interest, responsibility for the welfare of the world capitalist system.” Haines is concerned with what he calls “the Americanization of Brazil,” but only as a special case. And his words are accurate enough.
Cette description, qu’elle soit exacte ou non, nous rappelle que les institutions dirigeantes ne sont pas des agents indépendants, mais qu’elles sont responsables de la répartition du pouvoir dans la société en général. C’est un truisme, du moins depuis Adam Smith, qui a fait remarquer que les « principaux architectes » de la politique en Angleterre étaient des « marchands et des fabricants » qui utilisaient le pouvoir de l’État pour servir leurs propres intérêts, même s’ils étaient « graves » pour d’autres, y compris le peuple anglais. La préoccupation de Smith était « la richesse des nations », mais il a compris que l’« intérêt national » est en grande partie une illusion : au sein de la « nation », il y a des intérêts fortement contradictoires, et pour comprendre la politique et ses effets, nous devons nous demander où se trouve le pouvoir et comment il est exercé, ce que l’on appelle plus tard l’analyse de classe. Les « principaux architectes » du « consensus de Washington » néolibéral sont les maîtres de l’économie privée, principalement les grandes entreprises qui contrôlent une grande partie de l’économie internationale et ont les moyens de dominer la formation des politiques ainsi que la structuration de la pensée et de l’opinion. Les États-Unis jouent un rôle particulier dans le système pour des raisons évidentes. Pour reprendre les mots de l’historien diplomatique Gerald Haines, qui est également historien principal de la CIA, « Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont assumé, par intérêt personnel, la responsabilité du bien-être du système capitaliste mondial. » Haines est préoccupé par ce qu’il appelle « l’américanisation du Brésil », mais seulement comme un cas spécial, et ses paroles sont assez précises...."
"Understanding Power: The Indispensable Chomsky", Noam Chomsky, 2002
Peter Mitchell et John Schoeffel ont rassemblé le meilleur des récentes discussions de Chomsky sur le passé, le présent et l’avenir de la relation du politique au pouvoir : l'auteur se livre ici à une réinterprétation radicale des événements des trois dernières décennies, couvrant des sujets allant de la politique étrangère au Vietnam au déclin du bien-être sous l’administration Clinton...
"... Well, essentially in Manufacturing Consent what we were doing was contrasting two models: how the media ought to function, and how they do function. The former model is the more or less conventional one: it’s what the New York Times recently referred to in a book review as the “traditional Jeffersonian role of the media as a counter-weight to government” — in other words, a cantankerous, obstinate, ubiquitous press, which must be suffered by those in authority in order to preserve the right of the people to know, and to help the population assert meaningful control over the political process.That’s the standard conception of the media in the United States, and it’s what most of the people in the media themselves take for granted.
Eh bien, essentiellement, dans "Manufacturing Consent", ce que nous faisions contrastait entre deux modèles : comment les médias devraient fonctionner et comment ils fonctionnent. L’ancien modèle est le plus ou moins conventionnel : c’est ce que le New York Times a récemment qualifié de « rôle traditionnel des médias de Jefferson comme contrepoids au gouvernement » — autrement dit, une presse acerbe, obstinée et omniprésente, qui doit être subi par les autorités afin de préserver le droit du peuple de savoir, et d’aider la population à affirmer un contrôle significatif sur le processus politique. C’est la conception standard des médias aux États-Unis, et c’est ce que la plupart des gens dans les médias eux-mêmes tiennent pour acquis.
The alternative conception is that the media will present a picture of the world which defends and inculcates the economic, social, and political agendas of the privileged groups that dominate the domestic economy, and who therefore also largely control the government. According to this “Propaganda Model,” the media serve their societal purpose by things like the way they select topics, distribute their concerns, frame issues, filter information, focus their analyses, through emphasis, tone, and a whole range of other techniques like that.
La conception alternative est que les médias présenteront une image du monde qui défend et inculque les programmes économiques, sociaux et politiques des groupes privilégiés qui dominent l’économie nationale, et qui contrôlent donc également largement le gouvernement. Selon ce « modèle de propagande », les médias servent leur objectif sociétal par des choses comme la façon dont ils choisissent les sujets, diffusent leurs préoccupations, encadrent les questions, filtrent l’information, concentrent leurs analyses, par l’accent, le ton et toute une gamme d’autres techniques comme celle-ci.
Now, I should point out that none of this should suggest that the media always will agree with state policy at any given moment. Because control over the government shifts back and forth between various elite groupings in our society, whichever segment of the business community happens to control the government at a particular time reflects only part of an elite political spectrum, within which there are sometimes tactical disagreements. What the “Propaganda Model” in fact predicts is that this entire range of elite perspectives will be reflected in the media—it’s just there will be essentially nothing that goes beyond it.
Alright, how do you prove this? It’s a big, complex topic, but let me just point out four basic observations to start with, then we can go into more detail if you like. The first point is that the “Propaganda Model” actually has a fair amount of elite advocacy. In fact, there’s a very significant tradition among elite democratic thinkers in the West which claims that the media and the intellectual class in general ought to carry out a propaganda function — they’re supposed to marginalize the general population by controlling what’s called “the public mind.” This view has probably been the dominant theme in Anglo-American democratic thought for over three hundred years, and it remains so right until the present....
Maintenant, je dois souligner que rien de tout cela ne devrait suggérer que les médias seront toujours d’accord avec la politique de l’État à un moment donné. Parce que le contrôle du gouvernement se déplace entre les différents groupes d’élite de notre société, quel que soit le segment du monde des affaires qui contrôle le gouvernement à un moment donné ne reflète qu’une partie du spectre politique de l’élite, dans lequel il y a parfois des désaccords tactiques. Ce que le « modèle de propagande » prédit en fait, c’est que toute cette gamme de points de vue de l’élite sera reflétée dans les médias — c’est simplement qu’il n’y aura essentiellement rien qui aille au-delà.
Comment le prouver ? C’est un sujet vaste et complexe, mais permettez-moi de souligner quatre observations de base pour commencer, après quoi nous pourrons entrer dans les détails si vous le souhaitez. Le premier point, c’est que le « modèle de propagande » comporte en fait un bon nombre de revendications de l’élite. En fait, il y a une tradition très importante parmi les penseurs démocratiques d’élite en Occident qui prétend que les médias et la classe intellectuelle en général devraient exercer une fonction de propagande — ils sont censés marginaliser la population en général en contrôlant ce qu’on appelle « l’esprit du public ». Ce point de vue a probablement été le thème dominant de la pensée démocratique anglo-américaine pendant plus de trois cents ans, et il le demeure jusqu’à présent....
"Hegemony or Survival : America’s Quest for Global Dominance", Noam Chomsky, 2003
Un best-seller national immédiat qui tente de montrer comment, depuis plus d’un demi-siècle, les États-Unis poursuivent une grande stratégie impériale dans le but tout simplement de surveiller le monde. Ses dirigeants se sont montrés bien disposés, comme dans la crise des missiles cubains, à poursuivre leur rêve de domination, quels que soient les risques. Avec toujours cette même logique critique, qui est sa marque de commerce, Chomsky dénonce la poursuite agressive par le gouvernement des États-Unis du «full spectrum dominance» qui en vient à menacer directement notre existence même ...
"The criticisms are in a sense odd, because the decision is not irrational within the framework of existing ideology. We are instructed daily to be firm believers in neoclassical markets, in which isolated individuals are rational wealth maximizers. If distortions are eliminated, the market should respond perfectly to their “votes,” expressed in dollars or some counterpart. The value of a person’s interests is measured the same way. In particular, the interests of those with no votes are valued at zero: future generations, for example. It is therefore rational to destroy the possibility for decent survival for our grandchildren, if by so doing we can maximize our own “wealth”—which means a particular perception of selfinterest constructed by vast industries devoted to implanting and reinforcing it. The threats to survival are currently being enhanced by dedicated efforts not only to weaken the institutional structures that have been developed to mitigate the harsh consequences of market fundamentalism, but also to undermine the culture of sympathy and solidarity that sustains these institutions.
Nous recevons quotidiennement instruction de croire fermement aux marchés néoclassiques, dans lesquels les individus isolés sont des maximisateurs de richesse rationnels. Si les distorsions sont éliminées, le marché devrait répondre parfaitement à leurs "choix", exprimés en dollars ou en une autre monnaie. La valeur des intérêts d'une personne est mesurée de la même manière. En particulier, les intérêts de ceux qui n'ont pas de voix sont évalués à zéro : les générations futures, par exemple. Il est donc rationnel de détruire la possibilité d'une survie décente pour nos petits-enfants si, ce faisant, nous pouvons maximiser notre propre "richesse", c'est-à-dire une perception particulière de l'intérêt personnel construite par de vastes industries qui se consacrent à l'implanter et à la renforcer. Les menaces qui pèsent sur la survie sont actuellement renforcées par des efforts acharnés visant non seulement à affaiblir les structures institutionnelles qui ont été développées pour atténuer les dures conséquences du fondamentalisme du marché, mais aussi à saper la culture de la sympathie et de la solidarité qui soutient ces institutions.
All of this is another prescription for disaster, perhaps in the not very distant future. But again, it has a certain rationality within prevailing structures of doctrine and institutions. It would be a great error to conclude that the prospects are uniformly bleak. Far from it. One very promising development is the slow evolution of a human rights culture among the general population, a tendency that accelerated in the 1960s, when popular activism had a notable civilizing effect in many domains, extending significantly in the years that followed.
One encouraging feature has been a greatly heightened concern for civil and human rights, including rights of minorities, women, and future generations, the latter the driving concern of the environmental movement, which has become a powerful force.
Tout ceci est une autre prescription pour un désastre, peut-être dans un avenir pas très lointain. Mais encore une fois, cela a une certaine rationalité dans les structures dominantes de la doctrine et des institutions. Ce serait une grave erreur de conclure que les perspectives sont uniformément sombres. Loin de là. L'évolution lente d'une culture des droits de l'homme au sein de la population est très prometteuse. Cette tendance s'est accélérée dans les années 60, lorsque l'activisme populaire a eu un effet civilisateur notable dans de nombreux domaines, et s'est considérablement développée dans les années qui ont suivi. L'une des caractéristiques encourageantes de cette évolution est la préoccupation accrue pour les droits civils et humains, y compris les droits des minorités, des femmes et des générations futures, ce dernier point étant la préoccupation principale du mouvement environnemental, qui est devenu une force puissante.
For the first time in American history, there was some willingness to look honestly at the conquest of the national territory and the fate of its inhabitants. The solidarity movements that developed in mainstream America in the 1980s, concerning Central America in particular, broke new ground in the history of imperialism; never before had substantial numbers of people from the imperial society gone to live with the victims of vicious attack to help them and offer some measure of protection. The international solidarity organizations that evolved from these roots now function very effectively in many parts of the world, arousing fear and anger in repressive states and sometimes exposingparticipants to serious danger, even death. The global justice movements that have since taken shape, meeting at the World Social Forum annually, are an entirely new and unprecedented phenomenon in character and scale. The planet’s “second superpower,” which could no longer be ignored in early 2003, has deep roots in these developments, and considerable promise.
Pour la première fois dans l'histoire américaine, il y avait une certaine volonté de regarder honnêtement la conquête du territoire national et le sort de ses habitants. Les mouvements de solidarité qui se sont développés dans le courant dominant de l'Amérique dans les années 80, en particulier en Amérique centrale, ont ouvert une nouvelle voie dans l'histoire de l'impérialisme ; jamais auparavant un nombre aussi important d'acteurs de la société "impériale" ne s'étaient autant engagées auprès de des victimes ce celle-ci pour leur offrir une certaine protection. Les organisations de solidarité internationale qui en sont issues fonctionnent aujourd'hui très efficacement dans de nombreuses régions du monde, suscitant la peur et la colère dans les États répressifs et exposant parfois les participants à de graves dangers, voire à la mort. Les mouvements pour la justice mondiale qui ont pris forme depuis lors, et qui se réunissent chaque année au Forum social mondial, constituent un phénomène entièrement nouveau et sans précédent, tant par sa nature que par son ampleur. La "deuxième superpuissance" de la planète, qui ne pouvait plus être ignorée au début de l'année 2003, a des racines profondes dans ces développements, et des promesses considérables.
Over the course of modern history, there have been significant gains in human rights and democratic control of some sectors of life. These have rarely been the gift of enlightened leaders. They have typically been imposed on states and other power centers by popular struggle. An optimist might hold, perhaps realistically, that history reveals a deepening appreciation for human rights, as well as a broadening of their range—not without sharp reversals, but the general tendency seems real. The issues are very much alive today. The harmful effects of the corporate globalization project have led to mass popular protest and activism in the South, later joined by major sectors of the rich industrial societies, hence becoming harder to ignore. For the first time, concrete alliances have been taking shape at the grassroots level. These are impressive developments, rich in opportunity. And they have had effects, in rhetorical and sometimes policy changes. There has been at least a restraining influence on state violence, though nothing like the “human rights revolution” in state practice that has been proclaimed by intellectual opinion in the West.
Au cours de l'histoire moderne, les droits de l'homme et le contrôle démocratique de certains secteurs de la vie ont connu des avancées significatives. Ces avancées ont rarement été le fait de dirigeants éclairés. Ils ont généralement été imposés aux États et aux autres centres de pouvoir par la lutte populaire. Un optimiste pourrait affirmer, peut-être avec réalisme, que l'histoire révèle une meilleure appréciation des droits de l'homme, ainsi qu'un élargissement de leur champ d'application - non sans de brusques revirements, mais la tendance générale semble réelle. Les questions sont très présentes aujourd'hui. Les effets néfastes du projet de mondialisation des entreprises ont donné lieu à des protestations et à un activisme populaires de masse dans le Sud, auxquels se sont joints par la suite des secteurs importants des sociétés industrielles riches, devenant ainsi plus difficiles à ignorer. Pour la première fois, des alliances concrètes ont pris forme au niveau de la base. Il s'agit là de développements impressionnants, riches en opportunités. Et ils ont eu des effets, en termes de rhétorique et parfois de changements politiques. Il y a eu au moins un frein à la violence de l'État, mais rien de comparable à la "révolution des droits de l'homme" dans la pratique de l'État qui a été proclamée par l'opinion intellectuelle en Occident.
These various developments could prove very important if momentum can be sustained in ways that deepen the emerging global bonds of sympathy and solidarity. It is fair to say, I think, that the future of our endangered species may be determined in no small measure by how these popular forces evolve. One can discern two trajectories in current history: one aiming toward hegemony, acting rationally within a lunatic doctrinal framework as it threatens survival; the other dedicated to the belief that “another world is possible,” in the words that animate the World Social Forum, challenging the reigning ideological system and seeking to create constructive alternatives of thought, action, and institutions. Which trajectory will dominate, no one can foretell. The pattern is familiar throughout history; a crucial difference today is that the stakes are far higher.
Ces différents développements pourraient s'avérer très importants si l'élan peut être maintenu de manière à approfondir les liens mondiaux émergents de sympathie et de solidarité. Je pense qu'il est juste de dire que l'avenir de notre espèce en voie de disparition peut être déterminé dans une large mesure par la façon dont ces forces populaires évoluent.On peut discerner deux trajectoires dans l'histoire actuelle : l'une visant à l'hégémonie, agissant rationnellement dans un cadre doctrinal erratique qui menace la survie ; l'autre dédiée à l'espoir qu' "un autre monde est possible", selon les mots qui animent le Forum social mondial, défiant le système idéologique régnant et cherchant à créer des alternatives constructives de pensée, d'action et d'institutions. Nul ne peut prédire quelle trajectoire dominera. Le modèle est familier à travers l'histoire ; la différence cruciale aujourd'hui est que les enjeux sont beaucoup plus importants"
(..)
"Hopes and Prospects", Noam Chomsky, 2010
Noam Chomsky examine ici les dangers et les perspectives de notre début du XXIe siècle, explorant certains de ces défis les plus critiques à venir tels que l’écart croissant entre le Nord et le Sud, l’exceptionnalisme américain, les fiascos de l’Irak et de l’Afghanistan, l’assaut américano-israélien sur Gaza et les récents renflouements financiers. Il évoque également des possibilités d'espoir pour l’avenir et une façon éventuelle d’aller de l’avant, ainsi de la vague démocratique en Amérique latine et des mouvements de solidarité mondiaux qui suggèrent « de réels progrès vers la liberté et la justice ». « C’est une œuvre classique de Chomsky : un feu de joie de mythes et de mensonges, de sophismes et d’illusions. Noam Chomsky est une source d’inspiration durable partout dans le monde — pour des millions, je suppose — pour la simple raison qu’il est un diseur de vérité à une échelle épique. Je le salue. », écrit à ce sujet John Pilger ...
"How the World Works", Noam Chomsky, 2011
Chaque livre de Chomsky est en effet vu comme un évènement, mais c'est plus par ses conférences et ses interviews qu'il semble marquer ses interlocuteurs/auditeurs, d'où l'idée, plutôt que d'écrire un ouvrage, de retranscrire chacun de ses interventions sur des thématiques précises, c'est ainsi que naquit "How the World Works", composé de quatre grands chapitres, "What Uncle Sam Really Wants", "The Prosperous Few and the Restless Many", "Secrets, Lies and Democracy" et "The Common Good". La matière est à chaque fois très documentée, la synthèse claire et percutante.
"WHAT YOU CAN DO - Signs of progress (and not)
Over the last twenty or thirty years, new attitudes about gay rights, smoking, drinking, guns, animal rights, vegetarianism, etc. have come into the mainstream. But there hasn’t really been a strong transformation in other areas. It’s a much more civilized society than it was thirty years ago. Plenty of crazy stuff goes on, but in general, there’s an overall improvement in the level of tolerance and understanding in this country, a much broader recognition of the rights of other people, of diversity, of the need to recognize oppressive acts that you yourself have been involved in. There’s no more dramatic illustration of that than the attitude towards the original sin of American society — the elimination of the native population. The founding fathers sometimes condemned it, usually long after their own involvement, but from then to the 1960s, it was hardly mentioned. When I grew up, we played cowboys and Indians (and I was supposed to be some kind of young radical). My children certainly wouldn’t have played like that, and obviously my grandchildren don’t.
Looking at the timing, I suspect that a lot of the hysteria about political correctness was whipped up out of frustration over the fact that it wasn’t going to be possible, in 1992, to have the kind of 500th anniversary celebration of Columbus’ landing in the New World you could have had thirty years earlier. There’s much more understanding today of what actually took place. I’m not saying things are great now, but they are much better, in virtually every area. In the 1700s, the way people treated each other was an unbelievable horror. A century ago, workers’ rights in the US were violently repressed...
CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE - Signes de progrès (et non)
Au cours des vingt ou trente dernières années, de nouvelles attitudes au sujet des droits des gais, du tabagisme, de l’alcool, des armes à feu, des droits des animaux, du végétarisme, etc. sont entrées dans le courant dominant. Mais il n’y a pas vraiment eu de transformation importante dans d’autres domaines. C’est une société beaucoup plus civilisée qu’il y a 30 ans. Beaucoup de choses folles se passent, mais en général, il y a une amélioration globale du niveau de tolérance et de compréhension dans ce pays, une reconnaissance beaucoup plus large des droits d’autres personnes, de la diversité, de la nécessité de reconnaître les actes oppressifs auxquels vous avez vous-même participé. Il n’y a pas d’illustration plus dramatique de cela que l’attitude envers le péché originel de la société américaine — l’élimination de la population autochtone. Les pères fondateurs l’ont parfois condamné, généralement longtemps après leur propre implication, mais de là aux années 1960, il a été à peine mentionné. Quand j’étais petite, on jouait aux cowboys et aux indiens (et j’étais censée être une sorte de jeune radical). Mes enfants n’auraient certainement pas joué comme ça, et évidemment mes petits-enfants ne le font pas. En ce qui concerne le moment choisi, je soupçonne qu’une grande partie de l’hystérie au sujet du politiquement correct a été provoquée par la frustration du fait que ce ne serait pas possible, en 1992, pour célébrer le 500e anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde, vous auriez pu le faire trente ans plus tôt. On comprend beaucoup mieux aujourd’hui ce qui s’est réellement passé.
Je ne dis pas que les choses vont bien maintenant, mais elles vont beaucoup mieux dans pratiquement tous les domaines. Il y a un siècle, les droits des travailleurs aux États-Unis étaient violemment réprimés.
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"In the early 1960s, the South was a terror state; it’s not at all like that now. The beginnings of some kind of commitment to decent medical care for the entire population only go back to the 1960s. Concern for environmental protection doesn’t really begin until the 1970s. Right now we’re trying to defend a minimal healthcare system; thirty years ago there wasn’t a minimal healthcaresystem to defend. That’s progress. All those changes took place because of constant, dedicated struggle, which is hard and can look very depressing for long periods. Of course you can always find ways in which these new attitudes have been distorted and turned into techniques of oppression, careerism, self-aggrandizement and so on. But the overall change is toward greater humanity.
"Au début des années 1960, le Sud était un État terroriste; ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Les débuts d’une sorte d’engagement en faveur de soins médicaux décents pour l’ensemble de la population ne remontent qu’aux années 1960. Les préoccupations pour la protection de l’environnement ne commencent pas vraiment avant les années 1970. À l’heure actuelle, nous essayons de défendre un système de soins de santé minimal; il y a 30 ans, il n’y avait pas de système de soins de santé minimal à défendre. Tous ces changements ont eu lieu à cause d’une lutte constante et dévouée, qui est difficile et peut sembler très déprimante pendant de longues périodes. Bien sûr, vous pouvez toujours trouver des moyens par lesquels ces nouvelles attitudes ont été déformées et transformées en techniques d’oppression, de carriérisme, d’enrichissement personnel, etc. Mais le changement global est vers une plus grande humanité.
"Unfortunately, this trend hasn’t touched the central areas of power. In fact, it can be tolerated, even supported, by major institutions, as long as it doesn’t get to the heart of the matter—their power and domination over the society, which has actually increased. If these new attitudes really started affecting the distribution of power, you’d have some serious struggles. Disney is a good example of the kind of accommodation you’re describing. It exploits Third World labor in Haiti and elsewhere, but domestically it has very liberal policies on gay rights and healthcare. It’s perfectly consistent for the kind of corporate oligarchy we have to say that we shouldn’t discriminate among people. They’re all equal—equally lacking in the right to control their own fate, all capable of being passive, apathetic, obedient consumers and workers. The people on top will have greater rights, of course, but they’ll be equally greater rights — regardless of whether they’re black, white, green, gay, heterosexual, men, women, whatever.
Malheureusement, cette tendance n’a pas touché les zones centrales du pouvoir. En fait, elle peut être tolérée, même appuyée, par les grandes institutions, tant que cela ne va pas au coeur du problème — leur pouvoir et leur domination sur la société, qui a en fait augmenté. Si ces nouvelles attitudes commençaient vraiment à affecter la répartition du pouvoir, vous auriez de sérieux problèmes. Disney est un bon exemple du type d’hébergement que vous décrivez. Il exploite le travail du Tiers-Monde en Haïti et ailleurs, mais au niveau national, il a des politiques très libérales sur les droits des homosexuels et les soins de santé. C’est tout à fait cohérent pour ce genre d’oligarchie d’entreprise qui refuse toute discrimination entre les gens. Ils sont tous égaux — mais ils n'ont pas le droit de contrôler leur propre destin, on leur laisse cette singulière capacité à être passifs, apathiques, obéissants consommateurs et travailleurs. Les gens au sommet auront préserveront ainsi leurs avantages et plus encore — qu’ils soient noirs, blancs, verts, gais, hétérosexuels, hommes, femmes, peu importe...."
"Who Rules the World?", Noam Chomsky, 2014
" The question raised by the title of this book cannot have a simple and definite answer. The world is too varied, too complex, for that to be possible. But it is not hard to recognize the sharp differences in ability to shape world affairs, and to identify the more prominent and influential actors ..."
In an incisive, thorough analysis of the current international situation, Noam Chomsky examines the way that the United States, despite the rise of Europe and Asia, still largely sets the terms of global discourse. Drawing on a wide range of examples, from the sordid history of U.S. involvement with Cuba to the sanctions on Iran, he details how America’s rhetoric of freedom and human rights so often diverges from its actions. He delves deep into the conflicts in Iraq, Afghanistan, and Israel-Palestine, providing unexpected and nuanced insights into the workings of imperial power on our increasingly chaotic planet. And, in a new afterword, he addresses the election of Donald Trump and what it shows about American society ...
"Illegitimate Authority", Noam Chomsky, 2023
Une collection d’entretiens avec Noam Chomsky, abordant les questions les plus critiques d'une époque particulièrement agitée, qu'il s'agisse de ce que Noam Chomsky appelle la détérioration rapide de la démocratie aux États-Unis et la montée des tensions à l’échelle mondiale, un tissu social qui s’effrite et les fractures de l’ère Biden, y compris l’arrêt des étapes vers un nouveau pacte vert, l’autorité illégitime de la Cour suprême, en particulier sa décision d’annuler Roe c. Wade; et les retombées toujours présente de la pandémie COVID-19, de la guerre en Ukraine et des tensions diplomatiques entre les États-Unis, la Chine et la Russie. Comment est-il encoure possible de lutter ensemble contre les multiples formes d'injustice de part de ce monde ...