Axel Honneth (1949), "Kritik der Mache" (1986, Critique du pouvoir), "Kampf um Anerkennung" (1995, The Struggle for Recognition, La Lutte pour la Reconnaissance) - ...

Last update : 2023/11/11


A la fin du XXe siècle, une nouvelle réflexion prend corps, la lutte de l’être humain pour la reconnaissance semble succéder à celle, plus abrupte, pour la simple et indubitable existence. C'est pour sa "théorie de la reconnaissance", développée principalement dans son ouvrage "La Lutte pour la reconnaissance" ("Kampf um Anerkennung"), publié en 1995, que le philosophe allemand Axel Honneth s'est fait connaître. Dans un univers entièrement mondialisé dont les seuls progrès sont désormais ceux de la communication, du capitalisme et de la technologie, dont les seuls repères ne sont que complexité et paradoxes, où se pose sans cesse la question de l'identité individuelle et d'une socialisation bien souvent conflictuelle, où la liberté semble s'être émancipée de ces si solides et obscures moeurs sociales qui balisaient le chemin de chacune de nos existences, la liberté se teinte désormais de lutte morale, l'être humain repu parle de justice, cherche ses semblables et demande reconnaissance ... 

Depuis les deux dernières décennies du XXe siècle, c'est un énorme besoin de "reconnaissance" (Anerkennung, Recognition) qui se répand dans nos sociétés contemporaines, essaimant communautés et bulles de réseaux sociaux. "Reconnaissance" à deux visages, notion émancipatrice profondément associée à la survie de nos démocraties, version Honneth, ou nouvelle version d'égocentrisme et singularisme exacerbé sur la scène hypermédiatisée de notre planète ...

Depuis la fin des années 1990, chacun considère, très profondément, et avant tout dialogue ou toute forme possible d'échange avec l'autre, qu'il possède des droits inaliénables, parmi lesquels celui de faire "reconnaître" son identité et sa différence, fut-elle ethnique, sexuelle, religieuse, politique, ou tout simplement humaine. Haud Guéguen et Guillaume Malochet évoqueront dans un petit ouvrage (2012, La Découverte) ses "théories de la reconnaissance" jaillies comme naturellement, plus d'une véritable expérience d'un déni de reconnaissance que d'une revendication succédant à ce qu'on a pu intituler l'individualisme forcené des années 1970 ou la défense des "minorités". "La situation actuelle doit être analysée à l'aune du mouvement d'individuation caractéristique de la modernité?" Certes. La génération des baby-boomers, l'âge aidant, a légué aux générations suivantes un monde bien étroit pour ce qui reste à penser pour les générations qui suivent, détournant à son profit tout ce qui pouvait encore faire l'objet  ce créativité et donc de liberté d'inventivité, le conformisme le plus étroit a asséché le monde des idées. Reste le soi et l'entre-soi...

La lutte contre les inégalités et pour une nécessaire redistribution des richesses, la réflexion politique et sociale pour faire progresser liberté et démocratie, pour réorganiser notre monde, pour accroître toutes les possibilités d'une plus grande compréhension de nos sociétés, cèdent à un ressentiment diffus, le "mépris" (Renault, "Mépris social", 2000), le "manque de respect" (Sennett, "Respect. De la dignité de l'homme dans un monde d'inégalité", 2003), le déni de "reconnaissance" (Honneth, "La société du mépris", 2006)...

"Des jeunes qui ne cessent d'invoquer le respect qui leur est dû ; des hommes et des femmes qui descendent dans la rue affirmer leur fierté d'être homo- ou transsexuels ; des salariés qui, face à la fermeture de leur entreprise, dénoncent le mépris d'actionnaires soucieux de la seule rentabilité financière... Quoi de commun entre ces individus dont les expériences paraissent à première vue si dissemblables ? Tous partagent une même attente de justice sociale, qu'ils expriment avec un vocabulaire identique : la nécessaire reconnaissance de leurs singularités individuelles et communautaires", justice sociale donc, revendication plus sociétale que politique, pour moi-même et non comme un conviction politique de progrès de notre humanité. La quête de reconnaissance fait figure aujourd'hui de "nouveau phénomène social total" (A. Caillé, "La Quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social total", La Découverte, 2007) ...

 

Un même principe semble désormais guider les acteurs et organiser les conduites : le désir d'être reconnus à la hauteur de ce qu'ils sont, dussent-ils lutter pour y parvenir (A. Honneth, "La Lutte pour la reconnaissance", Le Cerf, 1992). Cette soif exclusive de reconnaissance est un trait dominant nettement exprimé par les générations qui suivent celle de nos baby-boomers aux si paradoxales revendications de liberté morale, mais non pas tant une soif de reconnaissance de soi que de ce que nous semblons représenter chacun d'entre nous dans la société dans laquelle nous vivons, complexe de position sociale et de relations humaines, l'être humain ne se vit peut-être plus individuel mais dans un groupe d'appartenance, parlant même langage et revêtant même comportement et usage de ces médias indispensables sans lesquels nous ne sommes désormais plus rien. C'est dans ces petites bulles de communication que nous y apprenons à "penser" le monde qui nous entoure, peu nous importe les mondes d'antan ou toute réflexion qui ne pourrait s'exprimer et se résoudre dans un immédiat permanent. Il y a bien dans cette soif de la reconnaissance de soi l'ébauche d'un formidable besoin d'intersubjectivité et de justice, reste que le monde qui nous est livré ne nous permet que difficilement de penser, si ce n'est, de plus en plus, à la surface des choses et de notre humanité, la quête forcenée du festif que connaîtront les années 2020 en sera le prolongement ...

Encore faut-il, pour tenter de penser ce singulier besoin en "reconnaissance" en passer par une prise de conscience de la fameuse Théorie Critique qui, en fin de compte, en vient à s'apercevoir qu'il n'y a pas de domination possible de l'être humain, sur un autre être humain, au moins dans nos existences sociales, sans un bien curieux phénomène de consentement à celle-ci, et le plus souvent sans la moindre restriction. Et pour cause, le phénomène de domination n'a plus guère d'existence ressentie et c'est dans le paradoxe de cette fameuse raison communicationnelle que met à jour Habermas et la nouvelle Théorie critique qu'il soutient, que s'élabore une sorte d'entente intersubjective entre êtres humains, porteuse tout à la fois d'émancipation et de pathologies sociales. Pour les initiés, on parlera de "vécu" et de "système" ...

Cette importance donnée à l'agir communicationnel, formulation tant reprise et si séduisante en ces années 1980, qui permet tout à la fois, en Théorie, de dissoudre "Raison absolue", "Raison instrumentale" et "domination", en Pratique, de dénoncer une systématique mise en oeuvre par l'Etat d'une apparence de concertation, en oublie en chemin cette expérience du sentiment d' "injustice" que poursuit la Théorie critique depuis Horkheimer. C'est vis-à-vis de cet "oubli" ou "négligence" de la théorie habermassienne de la communication que semble se mobiliser la pensée d'Axel Honneth et sa formulation du "conflit social". 

Mais là encore, dans la longue tradition de l'hégélianisme dit de gauche, la réflexion critique  qu'il propose se refuse à développer une conception instrumentale du conflit social, ou à réduire celui-ci à des jeux de pouvoir guidés par des fins stratégiques. 

L'expérience pratique sur laquelle s'appuie sa conviction théorique est celle vécue par des "sujets sociaux porteurs d'exigences morales" :  ce sont "les sphères normatives de la reconnaissance" qui viennent nourrir la possible autoréalisation de chaque individu. La confiance en soi, le respect de soi et l'estime de soi, La reconnaissance comme porteur de besoins affectifs (l'amour), puis comme sujet de droits dans une communauté (le droit), enfin comme détenteur d'aptitudes pratiques contribuant à la vie sociale (la solidarité).  La fameuse "lutte pour l'existence" devient ici "lutte pour la reconnaissance", développement conflictuel de cet ensemble de relations éthiques au travers duquel se réalise l'être humain, ainsi que le formula le jeune Hegel, celui d'avant la "Phénoménologie de l'esprit", de 1807). 

Le conflit social n'est plus ici une menace pour l'ordre d'une société dite évoluée, mais une  problématique vécue d'intégration sociale. Est postulée, pour chaque sujet social, une expérience morale fondamentale, moteur de son identité individuelle. Il y a donc une sorte de "normalité éthique" qui structure l'ensemble du corps social, qui n'est pas qu'idéaux de vie ou de représentation de réussite individuelle, qui s'éloigne des moeurs singulières et semble privilégier des principes universels fondamentaux. Faut-il encore définir ces derniers, mais l'on sait, par exemple, que la notion de "justice" souvent invoquée, va au-delà de l'ordre social auquel nous pouvons appartenir. Il y a ici comme un parfum d'inachevé. Mais nous savons qu'aucune réflexion abordant la relation du sujet à la société en terme d'aliénation, de réification ou de domination, ne peut échapper à l'exigence d'une hypothèse d'une dimension normative de notre existence sociale. S'en remettre à l'expression d'un rapport de pouvoir entre les êtres humains partageant une même société, reste un peu court, on attend encore et toujours un peu plus de réflexion sur ce sujet. Mais sitôt avancés, bien des concepts séduisants en viennent très rapidement à fonctionner comme des idéologies dont on ne maîtrise plus les tenants et aboutissants. Ce fut le cas de l'aliénation, la reconnaissance en est peut-être un étrange et singulier succédané ...


Axel Honneth (1949)

Axel Honneth  est un philosophe et sociologue allemand, largement reconnu pour ses travaux en philosophie sociale, notamment sur la théorie de la reconnaissance. Il est souvent associé à l'École de Francfort, une tradition intellectuelle critique qui a eu une influence majeure sur la pensée sociale et politique au XXe siècle. Honneth a étudié la philosophie, la sociologie, et la littérature allemande à l'Université de Bonn, à l'Université de Bochum, et à l'Université de Berlin. Il a été influencé par les œuvres de Jürgen Habermas, dont il est devenu l'élève. Il a obtenu son doctorat en 1983 avec une thèse intitulée "La critique du pouvoir : Réflexions sur la relation entre la rationalité et la domination sociale dans les œuvres de Max Horkheimer et de Theodor W. Adorno". Il a ensuite poursuivi une carrière académique, enseignant à diverses universités en Allemagne, dont Francfort, Berlin, et Leipzig, et occupé ainsi plusieurs postes universitaires prestigieux. Il fut ainsi professeur de philosophie sociale à l'Université Goethe de Francfort, où il a succédé à Habermas. En 2001, il est devenu le directeur de l'Institut für Sozialforschung (Institut de Recherche Sociale) à Francfort, une institution emblématique de l'École de Francfort. Honneth a également été professeur à l'Université Columbia à New York, où il a contribué à diffuser ses idées au niveau international. Honneth s'inscrit dans la tradition critique de l'École de Francfort, mais il a également été influencé par Hegel, George Herbert Mead, et les travaux de Habermas sur la communication et l'éthique discursive. Son travail a eu un impact considérable sur la philosophie sociale, la théorie critique, et les études sur les mouvements sociaux. Ses idées sur la reconnaissance ont été appliquées dans divers contextes, y compris les débats sur les droits humains, la politique de l'identité, et la justice sociale.

C'est pour sa "théorie de la reconnaissance", développée principalement dans son ouvrage "La Lutte pour la reconnaissance" ("Kampf um Anerkennung"), publié en 1995, que le philosophe s'est fait connaître. Il y explore comment les luttes pour la reconnaissance jouent un rôle central dans les conflits sociaux et le développement des identités individuelles. Selon Honneth, la reconnaissance dans les domaines de l'amour, du droit et de la solidarité est essentielle pour le développement de l'estime de soi et de l'autonomie individuelle. Il voit dans ces luttes pour la reconnaissance le moteur des mouvements sociaux et des changements historiques.

Honneth a également beaucoup écrit sur la justice sociale, en particulier sur les limites des théories traditionnelles de la justice qui se concentrent uniquement sur la distribution des ressources. Dans des ouvrages comme "Das Andere der Gerechtigkeit", il plaide pour une conception de la justice qui inclut la reconnaissance mutuelle et le respect des relations interpersonnelles. 

 

"Kritik der Mache" (1986, Critique du pouvoir,Michel Foucault et l'Ecole de Francfort, élaboration d'une théorie critique de la société)

Dès ce premier grand ouvrage, Axel Honneth tente d'affronter la nécessaire actualisation de la «Théorie critique de la société», une Théorie portée entre autres par des figures telles que Adorno, Horkheimer, Marcuse, jusqu'à Jürgen Habermas, surgie des soubresauts du XXe siècle et qui avait pour vocation de mettre à jour les formes possibles d'une émancipation humaine. Une actualisation rendue urgente par l’évolution sociale, politique et idéologique des années 1980-1990.Axel Honneth reprend les fils de cette tradition, prend acte du «tournant de la philosophie de l'histoire» que représente la "Dialectique de la raison" (1947), d’Adorno et Horkheimer et se tourne vers Jürgen Habermas, mais aussi, de façon plus inattendue dans le contexte philosophique allemand de l’époque, vers Michel Foucault  - «Tant la théorie du pouvoir que Foucault a fondée au moyen d'investigations historiques que la théorie de la société de Habermas, sous la forme d'une fondation de la théorie de l'agir communicationnel, peuvent être considérées comme des tentatives pour réinterpréter le processus de la “dialectique de la raison” analysé par Horkheimer et Adorno». Faut-il rappeler le contexte de l'ouvrage...

Comme le rappelle Honneth, dans sa Préface de l'édition française (La Découverte, 2016), "la période durant laquelle je travaillais sur ma thèse de doctorat avait sans conteste des traits bien différents de ceux de notre présent" ...

 

"Si aujourd'hui, en Europe occidentale, prédomine un peu partout un état d'esprit pessimiste pour lequel toute perspective de progrès social semble assombrie, à cette époque subsistait encore un esprit fébrile de révolte qui se révéla bientôt être le dernier frémissement du mouvement de 1968. Dans le Berlin-Ouest du début des années 1980 - la ville était bien sûr encore divisée -, le milieu des intellectuels et des étudiants de gauche avait commencé à découvrir et à faire sienne l'analyse du pouvoir de Michel Foucault. Pour beaucoup, elle apparaissait comme un instrument adéquat pour démasquer les mécanismes cachés de la domination, dont on pensait qu'ils étouffaient l'esprit ardent de résistance des masses ou qu'ils tentaient de le contrôler. À côté de cela, et en dépit de toute l'orthodoxie marxiste, on restait aussi fidèles à la première Théorie critique, jugée entretemps opportune, et avant tout à Adorno ; la Dialectíque de la raison et les recherches de Foucault sur le système carcéral moderne étaient vues comme sœurs dans l'esprit et le geste, toutes deux de l'artillerie théorique lourde aidant à comprendre pourquoi, depuis desdécennies, la lutte contre l'ordre établi avait échoué. 

À partir de ces présupposés théoriques portant sur une opposition entre la révolte et le pouvoir organisé de manière systémique, entre une résistance toujours possible et une rationalité à portée disciplinaire, il était évident de penser que le principal ennemi se logeait dans toutes les théories bienveillantes à l'égard des conquêtes démocratiques des pays occidentaux. C'est de manière très injuste qu'un tel destin a, déjà dans les années 1970, frappé l'œuvre de Jürgen Habermas, dont le réformisme faisait figure d'indice de trahison des visées initiales de l'École de Francfort, y compris dans mon propre milieu.

Pour moi, qui avais davantage grandi dans le climat intellectuel de la théorie habermassienne - dont l'intérêt pour la philosophie analytique et l'intersubjectivisme m'avait convaincu d'emblée -, cette situation intellectuelle confuse dans le Berlin de cette époque se présentait comme un énorme défi. D'un côté, je me sentais également redevable, dans une certaine mesure, de l'héritage de la première Théorie critique, dont l'analyse des mécanismes de maintien de l'ordre capitaliste entremêlant philosophie et recherche sociale empirique était encore totalement inconnue jusque-là ; j'étais en outre attiré - comment pouvait-il en être autrement ? - par les écrits de Foucault, avec leur tentative d'expliquer l'intégration de nos sociétés à partir du jeu réciproque, difficile à déceler, entre le contrôle discursif, la surveillance permanente et l'exclusion sociale. 

D'autre part, cependant, il m'était parfaitement étranger d'opposer au pouvoir établi une disposition à la révolte et à la résistance censée sommeiller quelque part - et je ne croyais pas non plus possible ni de pouvoir postuler un exercice de la domination parfaitement rodé et fonctionnant sans répit, ni de voir en cela une raison de soupçonner quelque part un potentiel accru d'insurrection rebelle. Influencé par la tradition intersubjectiviste à laquelle je m'étais moi-même nourri grâce aux écrits de Durkheim et de Gramsci, j'en suis plutôt venu à penser que tout exercice de la domination, à quelques exceptions près comme celle de la terreur nue, présuppose un certain degré de consensus, quelle que soit l'origine des motivations au consentement du côté des opprimés..." 

 

Axel Honneth entend donc dans cet ouvrage s'opposer à des présupposés qui jusque-là semblaient d'une évidence absolue pour nombre d'intellectuels d'un passé pas si lointain que cela : il aurait existé une certaine inclination révolutionnaire en effervescence de la part d'importantes couches de la population; mais cet immense "sujet historique" porteur de tant d'espoirs échoue à passer à l'action parce que les mailles étroites du pouvoir d'un capitalisme opérant à l'échelle planétaire l'en empêchent ..

Pour Honneth, l'exercice de la domination capitaliste nécessite, plus qu'on pense, dans son processus de mise en oeuvre, qu'il y ait "consentement" de toutes les parties concernées. Une "découverte" qui peut sembler surprenante tant cette réalité paraît aller de soi pour qui tourne les yeux vers ses semblables, du moins dès cette fin du XXe siècle : ce qui pose fondamentalement problème n'est pas tant la domination, phénomène destructeur quasi incontournable dans toute société, si évoluée ou démocratique soit-elle, que le consentement à celle-ci, et le plus souvent sans la moindre restriction, au-delà de ce que pouvaient imaginer les tenants de la lutte des classes. Le sentiment de domination n'est plus ce qu'il était.

Honneth se penche donc ici, au détour de la Théorique critique, sur les approches d'Adorno, de Foucault et Habermas, qui "visent chacune à critiquer la constitution des sociétés contemporaines en tant que rapports de domination sociale". Adorno semble, pour l'auteur, un peu court dans son analyse de la société : "il est resté attaché toute sa vie à un modèle totalisant de la domination de la nature, qui le rendait par conséquent inapte à saisir le "social" des sociétés" (chap. 3). La "Dialectique de la raison" s'enlisait dans un constat quasi indépassable pour toute pensée du social, l'emprise universelle de la rationalisation à des fins de domination. Une théorie doublée d'une pratique qui ne fonctionnent plus ...

En revanche, Foucault et Habermas semblent être parvenus à mettre à jour un "phénomène du social" resté jusqu'alors étranger à la Théorie critique : "Foucault dans le paradigme théorique du "conflit" (chap. 5), - "la théorie de la société de Foucault se présente comme une "liquidation par la théorie systémique", sous l'égide la philosophie de Nietzsche, de la "Dialectique de la raison" (chap. 6) -, et Habermas, le penseur par lequel fut "redécouvert" le social, dans celui de la "communication" (chap. 7)...

Axel Honneth partage globalement cette "Théorie de l'agir communicationnel" qui offre tout à la fois un référent à toute théorie critique se fondant sur une pratique sociale effective, et fournit les moyens conceptuels d'identification des "pathologies sociales" qui menacent notre modernité capitaliste. Habermas en est ainsi venu à  identifier une instance pratique commune à tous les sujets sociaux , une activité fondamentale dite de communication, une sphère d'entente intersubjective gouvernée par des normes et des processus de communication : et qui échappe non seulement  à la seule emprise de la fameuse "raison instrumentale" mais va jusqu'à manifester pour tout un chacun une forme de "rationalité émancipatrice". Le monde social, dans son horizon signifiant, est ainsi transformé par des sujets sociaux qui, à travers leurs capacités d'agir par des actes communicationnels, conçoivent sans relâche des orientations normatives et des convictions morales. 

Mais ce formidable processus de rationalisation par la communication que met à jour Habermas dans nos sociétés modernes, conceptuellement séduisant, reste pour Honneth contestable dans sa finalité : l'agir communicationnel s'est enfermé dans un système consensuel de légitimation du capitalisme et ne se focalise plus que sur les règles formelles d'une communication qui semble réussie, l'intégration des classes sociales y est achevée, on en oublie que ces sociétés restent traversées par des dynamiques conflictuelles, même si leur existence morale reste le plus souvent en marge de l'espace public politique...

 

"Kampf um Anerkennung" (1994, La lutte pour la reconnaissance)

"The Struggle for Recognition: The Moral Grammar of Social Conflicts (Studies in Contemporary German Social Thought, 1992) - First published in Germany as "Kampf um Anerkennun" - English translation 1995 - "La Lutte pour la reconnaissance" (trad. Pierre Rusch, Le Cerf, 2000).

 "Kampf um Anerkennung. Zur moralischen Grammatik sozialer Konflikte" est un ouvrage fondamental d'Axel Honneth, une œuvre clé qui propose une nouvelle manière de comprendre les conflits sociaux, les dynamiques sociales, les relations interpersonnelles, et les transformations sociales, en les interprétant comme des luttes pour obtenir la reconnaissance nécessaire à l'épanouissement tant individuel que collectif. Honneth retrace ces luttes pour la reconnaissance dans un contexte de "grammaire morale" : c'est dire qu'elles révèlent les normes morales implicites qui régissent les relations sociales. Les revendications de reconnaissance sont ainsi interprétées comme des revendications morales, cherchant à rétablir une relation de respect et de dignité entre les individus...

Et comme l'a montré Hegel, pour reprendre l'interprétation qu'en donne Honneth, la reconnaissance n'a aucune valeur si elle ne vient pas de quelqu'un que l'on considère comme méritant d'être reconnu. Dans cette perspective, puisque l'exigence de réciprocité est toujours déjà intégrée dans la demande de reconnaissance, les luttes sociales pour l'expansion des modèles de reconnaissance sont mieux comprises comme des tentatives de réaliser le potentiel normatif implicite dans l'interaction sociale...

 

"Dans le présent ouvrage, je tente de développer, sur la base du modèle de Hegel d'une "lutte pour la reconnaissance", les fondements d'une théorie sociale à contenu normatif. L'intention d'entreprendre ce projet est née en relation avec les conclusions auxquelles je suis parvenu dans La Critique du pouvoir : toute tentative d'intégrer les idées socio-théoriques du travail historique de Foucault dans le cadre d'une théorie de l'action communicative doit s'appuyer sur un concept de lutte moralement motivée. Et il n'y a pas de meilleure source d'inspiration pour développer un tel concept que les premiers écrits d'Iéna de Hegel, avec leur notion de "lutte pour la reconnaissance". La reconstruction systématique de l'argumentation hégélienne, qui constitue le premier tiers du livre, conduit à une distinction entre trois formes de reconnaissance, chacune contenant une motivation potentielle de conflit social. Cet examen du modèle théorique du jeune Hegel montre également que la validité de ses réflexions repose en partie sur des hypothèses idéalistes concernant la raison qui ne peuvent plus être maintenues dans les conditions de la pensée post-métaphysique.

La deuxième partie théorique du livre part donc de la tentative de développer une version empirique de l'idée hégélienne en s'appuyant sur la psychologie sociale de G. H. Mead. Il en ressort une conception intersubjectiviste de la personne, dans laquelle la possibilité d'un rapport non faussé à soi-même s'avère dépendre de trois formes de reconnaissance : l'amour, les droits et l'estime. Afin d'éliminer le caractère purement historique de cette hypothèse, je tente de justifier, dans la reconstruction empiriquement étayée des deux chapitres suivants, la distinction entre les différentes formes de relations de reconnaissance sur la base des phénomènes pertinents. Comme le montrent les résultats de cette enquête, il existe - correspondant aux trois formes de reconnaissance - trois formes d'expériences de manque de respect, chacune pouvant générer des motifs qui contribuent, à leur tour, à l'émergence de conflits sociaux.

En conséquence de cette deuxième étape de l'enquête, l'idée d'une théorie sociale critique commence à prendre forme, selon laquelle les processus de changement sociétal doivent être expliqués en référence aux revendications normatives qui sont structurellement inhérentes aux relations de reconnaissance mutuelle. Dans la dernière partie du livre, j'explore les perspectives ouvertes par cette idée de base dans trois directions. Tout d'abord, le fil historique est repris, afin d'examiner où, depuis Hegel, des approches comparables peuvent être trouvées. A partir de là, il devient possible de comprendre la signification historique des expériences d'irrespect et de les généraliser au point de mettre en évidence la logique morale des conflits sociaux. Parce qu'un tel modèle ne peut devenir un cadre critique d'interprétation des processus de développement historique que lorsque son point de référence normatif a été clarifié, je conclus en esquissant une conception de la vie éthique, développée dans les termes d'une théorie de la reconnaissance, qui pourrait accomplir cette tâche. Certes, ces diverses suggestions ne peuvent prétendre représenter autre chose qu'une première tentative de clarification de ce qu'implique la conception considérée. Elles ont pour but d'indiquer les directions théoriques dans lesquelles je devrai travailler plus avant, si mes considérations s'avéraient valables...."

 

Axel Honneth incarne cette tradition allemande des sciences sociales qui transgresse par nature les frontières entre philosophie et sociologie. Issu pour partie d'une thèse d'habilitation, ce débute par une relecture systématique des écrits du jeune Hegel. Méconnu parce que resté inachevé, un des projets de Hegel était de reconstruire en termes philosophiques l'histoire de l'édification d'une communauté éthique. Partant d'une lecture "intersubjective" de Hobbes, il espérait ainsi mettre à jour les étapes qui, à travers les conflits humains, expriment une demande de reconnaissance sociale. Pour Hegel, cette dernière passe successivement par la famille (l'amour est le support d'une telle reconnaissance), la société civile (le droit) et l'Etat (la solidarité). A compter de la seconde partie du livre, ce modèle est retravaillé par Honneth dans une perspective qui rompt avec l'abstraction de l'idéalisme allemand : reprenant les travaux de la psychologie sociale de G Mead, l'auteur semble soutenir l'idée d'une possible pérennité de la vie sociale, mais à condition que les individus puissent affirmer leur subjectivité grâce à un processus préalable de compréhension et de légitimation réciproques...

 

Au cœur de la "théorie sociale à contenu normatif" (social theory with normative content) de Honneth se trouve sa description de la confiance en soi (self-confidence), du respect de soi (self-respect) et de l'estime de soi (self-esteem), ainsi que des modes de reconnaissance par lesquels ils sont soutenus. Pour chacune de ces "relations pratiques à soi-même" (practical relations-to-self), trois questions centrales se posent : l'importance précise de chacune d'entre elles pour le développement de l'identité, le modèle de reconnaissance dont elles dépendent et leur évolution historique. Une brève discussion de l'interprétation de Honneth des luttes sociales va suivre cette première introduction, des luttes motivées par l'expérience, par tout un chacun, de se sentir privé de toute possibilité quant à la formation de son identité personnelle - le fameux "manque de respect" (disrespect, "Mifiachtung"), et complétée par des lectures de Hegel et de Mead par Honneth. Confiance en soi, respect de soi et estime de soi représentent pour Honneth, trois espèces distinctes de "relation pratique à soi-même". Il ne s'agit ni de croyances purement personnelles, ni d'états émotionnels, mais d'un processus dynamique dans lequel les individus en viennent à se considérer comme ayant un certain statut, que ce soit en tant que centre d'intérêt, agent responsable ou contributeur reconnu à des projets partagés. À la suite de Hegel et de Mead, Honneth insiste sur le fait que l'établissement d'une relation avec soi-même de cette manière implique nécessairement l'expérience de la reconnaissance de la part des autres. La relation à soi-même n'est donc pas une question d'évaluation de soi par un ego solitaire, mais un processus intersubjectif dans lequel l'attitude de chacun envers soi-même émerge de la rencontre avec l'attitude d'un autre envers soi.

Enfin, il peut être d'importance pour comprendre le cheminement de la pensée du philosophe d'expliquer le lien entre la confiance en soi et les relations intersubjectives d'amour et de sollicitude, que l'on retrouve par la suite : Honneth s'appuie sur la théorie des relations d'objet de l'expérience de la petite enfance, en particulier telle qu'elle a été développée dans les travaux de Donald Winnicott. A l'encontre des pulsions instinctives privilégiées par Freud, les théoriciens des relations d'objet (object-relations theorists) ont soutenu que le développement des enfants ne peut être dissocié des relations interactives dans lesquelles se déroule tout processus de maturation...

 

Honneth postule ainsi tout d'abord que la reconnaissance est essentielle à la formation de l'identité individuelle. Les individus ont besoin d'être reconnus par les autres pour développer une estime de soi positive et un sens de leur propre valeur. Sans reconnaissance, les individus peuvent éprouver des sentiments d'injustice, de mépris, ou de dévalorisation.

Honneth va donc identifier trois formes principales de reconnaissance, qui sont cruciales pour le bien-être et le développement des individus : l'amour (la reconnaissance affective dans les relations personnelles, qui procure un sentiment de sécurité et de valeur), le droit (la reconnaissance juridique par laquelle nous sommes membres à part égale de la société, c'est le chemin d'accès aux droits fondamentaux), enfin la solidarité (la reconnaissance sociale, les individus sont ici valorisés pour leurs contributions à la communauté, renforçant ainsi l'estime de soi). 

Les conflits sociaux, selon Honneth, peuvent souvent être interprétés comme des luttes pour obtenir ou restaurer la reconnaissance dans l'une de ces trois dimensions. Ces luttes émergent lorsqu'une personne ou un groupe se sent privé de la reconnaissance à laquelle il pense avoir droit, ce qui entraîne des revendications de justice sociale.

Honneth aborde enfin  les "pathologies sociales" : celles-ci surviennent lorsque la reconnaissance est absente ou déformée. Ces pathologies peuvent se manifester sous forme d'aliénation, de réification, ou d'autres formes de dégradation des relations humaines. Ici les individus se sentiront instrumentalisés ou méprisés.

 

Honneth s'appuie donc sur les théories de Hegel, de George Herbert Mead, et de la psychologie sociale pour développer une compréhension des conflits sociaux en tant que luttes pour la reconnaissance. Il relie ces luttes à une grammaire morale sous-jacente, où les revendications de reconnaissance révèlent les normes morales implicites de la société. Pour lui, les luttes pour la reconnaissance sont des moteurs importants du changement social. Les gains obtenus par de telles luttes peuvent conduire à une transformation des normes sociales et à une plus grande inclusion de chacun, créant une société plus juste où les individus sont reconnus dans leur dignité et leur valeur.

 

(Conditions intersubjectives de l'intégrité personnelle : Une conception formelle de la vie éthique) - "Si l'idée d'une "lutte pour la reconnaissance" doit être considérée comme un cadre critique pour l'interprétation des processus de développement des sociétés, il faut, pour compléter le modèle, une justification théorique du point de vue normatif à partir duquel ces processus peuvent être guidés. Pour décrire l'histoire des luttes sociales comme allant dans une certaine direction, il faut faire appel hypothétiquement à un état final provisoire, à partir duquel il serait possible de classer et d'évaluer des événements particuliers. Chez Hegel comme chez Mead, nous avons trouvé à ce stade le modèle proposé d'une relation de reconnaissance post-traditionnelle, une relation qui intègre dans un cadre unique des modèles juridiques et éthiques (sinon familiaux) de reconnaissance mutuelle. En effet, les deux penseurs partagent la conviction que c'est dans la société moderne que les sujets doivent être reconnus comme des êtres à la fois autonomes et individualisés.

Ce bref rappel de la discussion précédente suffit à suggérer que l'état final à esquisser ne doit pas être appréhendé en termes de concepts tirés d'une compréhension étroite de la moralité. En général, la "moralité" est conçue aujourd'hui, dans la tradition kantienne, comme le point de vue qui permet à tous les sujets de bénéficier du même respect ou de voir leurs intérêts pris en considération de la même manière, équitablement. Mais une telle formulation est trop étroite pour inclure tous les aspects qui constituent l'objectif d'une reconnaissance non faussée et non limitée. Avant toute explication substantielle, il convient donc de clarifier le statut méthodologique d'une théorie normative capable de dépeindre l'hypothétique point final d'une expansion des relations de reconnaissance. On peut, me semble-t-il, parler ici d'un concept formel de vie bonne ou, en fait, de vie éthique [Sittlichkeit]. Ce n'est qu'une fois cette justification méthodologique achevée que l'on peut, dans un deuxième temps, se réapproprier les intentions de Hegel et de Mead, afin d'esquisser l'idée d'une relation de reconnaissance post-traditionnelle. Le concept d'une telle relation doit contenir tout ce qui est intersubjectivement présupposé aujourd'hui pour que les sujets sachent que les conditions de leur réalisation sont sauvegardées.

 Dans la tradition qui remonte à Kant, la "moralité" est comprise, répétons-le, comme l'attitude universaliste dans laquelle on respecte tous les sujets de la même manière en tant que "fins en soi" ou en tant que personnes autonomes ; la "vie éthique", en revanche, se réfère à l'ethos établi d'un monde de vie particulier, et des jugements normatifs ne doivent être portés sur cet ethos que dans la mesure où il est plus ou moins capable de s'approcher des exigences des principes moraux universels. 

A cette dévalorisation de la vie éthique s'oppose aujourd'hui sa revalorisation dans les mouvements de philosophie morale qui reviennent à Hegel ou à l'éthique classique. On reproche ici à la tradition kantienne de laisser sans réponse une question cruciale, en ce qu'elle est incapable de situer la finalité de la morale dans son ensemble à l'intérieur des finalités concrètes des sujets humains. Et c'est à cette fin que les critiques de Kant préconisent d'inverser à nouveau la relation entre la morale et la vie éthique, pour ainsi dire, en faisant dépendre la validité des principes moraux de conceptions historiquement différentes de la vie bonne. La ligne d'argumentation que nous avons suivie dans la reconstruction du modèle de reconnaissance indique cependant une position qui ne semble pas s'inscrire clairement dans l'une ou l'autre de ces deux alternatives. Notre approche s'écarte de la tradition kantienne en ce qu'elle se préoccupe non seulement de l'autonomie morale des êtres humains, mais aussi des conditions de leur épanouissement en général. Ainsi, la morale, comprise comme le point de vue du respect universel, devient l'une des nombreuses mesures de protection qui servent l'objectif général de permettre une vie bonne.

Mais contrairement aux mouvements qui se distancient de Kant, ce concept du bien ne doit pas être conçu comme l'expression de valeurs substantielles qui constituent l'ethos d'une communauté concrète basée sur la tradition. Il s'agit plutôt des éléments structurels de la vie éthique qui, du point de vue général de l'habilitation communicative de la réalisation de soi, peuvent être normativement extraits de la pluralité de toutes les formes de vie particulières. Dans la mesure où nous l'avons développée en tant que concept normatif, notre approche de la théorie de la reconnaissance se situe à mi-chemin entre une théorie morale remontant à Kant, d'une part, et l'éthique communautaire, d'autre part. Elle partage avec la première l'intérêt pour les normes les plus générales possibles, des normes qui sont comprises comme des conditions pour des possibilités spécifiques ; elle partage cependant avec la seconde l'orientation vers l'auto-réalisation humaine en tant que fin.

Il est vrai que cette caractérisation de base de la position ne nous mène pas encore très loin, car la manière dont une telle conception formelle de la vie éthique est censée être possible sur le plan méthodologique n'est pas du tout claire. Le concept de "vie éthique" est désormais censé inclure l'ensemble des conditions intersubjectives dont on peut montrer qu'elles servent de conditions préalables nécessaires à l'épanouissement de l'individu. Mais comment peut-on faire des affirmations générales sur ces conditions si chaque explication de la structure de la réalisation de soi court le risque de devenir une interprétation de visions particulières, historiquement uniques, de la vie bonne ? Les caractérisations souhaitées doivent donc être suffisamment formelles ou abstraites pour ne pas être soupçonnées de ne représenter que les dépôts d'interprétations concrètes de la vie bonne ; d'un autre côté, elles doivent également avoir un contenu substantiel suffisant pour être plus utiles que les références kantiennes à l'autonomie individuelle dans la découverte des conditions de la réalisation de soi. A cet égard, l'examen des résultats de notre reconstruction des différentes formes de reconnaissance fournit la clé d'une clarification supplémentaire.

Notre enquête empirique a pu montrer en détail ce qui avait déjà commencé à émerger dans la transformation naturaliste par Mead de la théorie de la reconnaissance de Hegel, à savoir que les différents modèles de reconnaissance distingués par Hegel pouvaient être conceptualisés comme les conditions intersubjectives dans lesquelles les sujets humains parviennent à divers nouveaux modes de relation positive à eux-mêmes. Le lien entre l'expérience de la reconnaissance et le rapport à soi découle de la structure intersubjective de l'identité personnelle. L'individu ne se constitue en tant que personne qu'en apprenant à se désigner, du point de vue d'un autre qui l'approuve ou l'encourage, comme un être doté de certains traits positifs et de certaines capacités. L'étendue de ces traits - et donc l'étendue de la relation positive à soi - augmente avec chaque nouvelle forme de reconnaissance que les individus sont capables de s'appliquer à eux-mêmes en tant que sujets. Ainsi, la perspective d'une confiance en soi fondamentale est inhérente à l'expérience de l'amour ; la perspective du respect de soi, à l'expérience de la reconnaissance légale ; et enfin la perspective de l'estime de soi, à l'expérience de la solidarité..."

 

Pour ne pas conclure, la lutte sociale n'est donc pas ici réductible à une volonté d'anéantissement. Elle a tout au contraire une dimension fondamentalement morale : selon l'auteur, les expériences individuelles de mépris doivent en effet être lues comme autant d'expériences qui engagent des groupes entiers et qui incitent ces derniers à revendiquer collectivement leur reconnaissance. En tentant de fonder de la sorte une phénoménologie de la lutte sociale, A. Honneth renoue avec d'autres théoriciens comme Marx, Sorel ou Sartre. Mais chacun d'entre eux n'a exploré qu'un des trois moments du processus mis ici en évidence. Honneth dépasse ces points de vue fragmentaires et offre une synthèse conceptuelle qui se veut utile à tous les analystes de la société ..


"Das Andere der Gerechtigkeit" (2000)

"Das Andere der Gerechtigkeit" (L'Autre de la Justice) d'Axel Honneth est une collection d'essais dédiés à ce "quelque chose d'autre" que les théories de la justice traditionnelles ne parviennent pas à intégrer ou négligent tout simplement. Pour Honneth, cet "Autre" de la justice inclut les dimensions affectives et morales des relations humaines, telles que l'amour, le respect, et la solidarité, qui ne peuvent être réduites à des simples questions de distribution équitable de ressources et des droits.

Honneth débute son ouvrage par une critique des théories traditionnelles de la justice, en particulier celles de philosophes comme John Rawls, qui mettent l'accent sur des principes abstraits de distribution équitable des biens matériels et des droits. Honneth soutient que ces théories sont insuffisantes pour saisir la complexité des relations humaines, car elles ignorent l'importance de la reconnaissance et des relations sociales. Au lieu de se concentrer uniquement sur la justice distributive, l'auteur propose d'élargir la notion de justice elle-même pour y inclure sa fameuse thèse relative à la "reconnaissance". Cette notion de "justice" doit aussi impliquer le respect mutuel, la reconnaissance des identités individuelles et des contributions sociales, ainsi que le soutien affectif dans les relations interpersonnelles.

Honneth explore par suite comment l'absence de reconnaissance et la réduction des relations humaines à des échanges contractuels peuvent engendrer des "pathologies sociales", telles que l'aliénation, le mépris, ou l'individualisme exacerbé. Ces pathologies montrent à l'envi les limites d'une conception de la justice qui ne prend pas en compte les besoins de reconnaissance.

Pour Honneth, en conclusion, une théorie de la justice véritablement complète doit inclure des mécanismes qui assurent non seulement une distribution équitable des ressources, mais aussi une reconnaissance mutuelle dans les différentes sphères de la vie sociale. Cela implique une revalorisation des relations interpersonnelles et des contextes sociaux où la reconnaissance est cruciale.

 

Avec "Kampf umAnerkennung" (La Lutte pour la reconnaissance), et dans les essais réunis sous le titre "Das Andere der Gerechtigkeit" (2000, recueil partiellement traduit), Honneth affirme son ambition, en partant des interactions communicationnelles réelles, de doter la Théorie critique d’un modèle permettant de concevoir les nouvelles formes de socialisation et de désocialisation. "Derrière la façade d’intégration du capitalisme avancé peut fort bien se cacher un champ de conflits moraux et pratiques dans lesquels les anciens affrontements de classes se reproduisent sous des formes nouvelles, socialement contrôlées pour une part, individualisées à l'extrême pour une autre". La quête de reconnaissance sociale (soziale Wertschätzung) permet d'expliquer des phénomènes réactifs comme le «vote protestataire» ou encore les replis sur des identités de bandes de ghettos. En complément de l’a priori habermasien d’une communauté idéale de communication, c'est bien une théorie des rapports sociaux et de pouvoir «asymétriques », en termes de statut ou d’égalité matérielle, que développe le philosophe : nous nous situons ici dans la société civile, décrite comme « la sphère de l'espace public dans laquelle les individus victimes de discrimination commencent à agir de façon communicationnelle et à revendiquer des droits »; et sa réflexion se porte comme naturellement vers les phénomènes de distorsion, voire de déni, de cette quête de reconnaissance des droits ...

 


"Die zerrissene Welt des Sozialen. Sozialphilosophische Aufsatze" (1990)

"Le Déchirement du social" d'Axel Honneth, dont le titre original est "Die zerrissene Welt des Sozialen" (Le Monde déchiré du social), est une collection d'essais en philosophie sociale qui examine les tensions et les contradictions dans les relations sociales modernes. Honneth y développe ses idées sur la reconnaissance, les pathologies sociales, et les défis de la justice sociale dans les sociétés contemporaines.

 

"Ce que social veut dire (trad. Pierre Rusch), vol. 1 : Le Déchirement du social" (Gallimard, coll. « NRF Essais », 2013) - Le livre appelle à une réévaluation des institutions sociales pour qu'elles favorisent la reconnaissance mutuelle et la justice sociale. Honneth réaffirme l'importance de la reconnaissance dans les interactions sociales. Il considère que la reconnaissance est cruciale pour la formation de l'identité individuelle et pour l'intégration sociale. Sans reconnaissance, les individus peuvent ressentir du mépris, de l'exclusion, ou de l'aliénation.

Honneth explore les pathologies sociales, qui sont des dysfonctionnements ou des déformations des relations sociales dues à un manque de reconnaissance. Ces pathologies se manifestent par des phénomènes tels que l'aliénation, la réification, et l'injustice sociale. Selon Honneth, ces pathologies sont caractéristiques des sociétés modernes où les relations interpersonnelles sont souvent instrumentalisées ou dévalorisées.

Une partie importante du livre critique l'impact du capitalisme sur les relations sociales. Honneth argue que le capitalisme tend à fragmenter les liens sociaux, créant des conditions où la reconnaissance devient de plus en plus difficile. Le marché, en se concentrant sur l'efficacité et la compétition, favorise des formes de relations humaines qui sont souvent déshumanisantes.

Honneth plaide pour une conception de la justice sociale qui inclut la reconnaissance comme un élément central. Il soutient que pour qu'une société soit véritablement juste, elle doit permettre à tous ses membres d'accéder à une reconnaissance mutuelle dans les diverses sphères de la vie sociale, notamment dans la famille, le travail, et la participation politique.

Enfin, Honneth analyse la dialectique de la modernité, où les gains en termes de liberté individuelle et d'autonomie sont souvent accompagnés d'une perte de solidarité et de cohésion sociale. Il explore comment ces tensions peuvent être atténuées ou surmontées dans une société plus juste.

 

"Ce que social veut dire (trad. Pierre Rusch), vol. 2 : Les Pathologies de la raison" (Gallimard, coll. « NRF Essais », 2015) - "Une collection d'essais philosophiques qui explore les dysfonctionnements de la rationalité dans les sociétés modernes. Honneth s'interroge sur les déviations de la raison, qu'il appelle "pathologies", qui affectent non seulement les individus mais aussi les structures sociales dans leur ensemble. . Axel Honneth met en garde contre les dangers de la rationalité instrumentale et plaide pour une réorientation de la raison vers des formes de reconnaissance et de solidarité...

Honneth développe l'idée que la raison, lorsqu'elle est dévoyée ou excessive, peut produire des "pathologies". Ces pathologies ne sont pas seulement des erreurs ou des illusions individuelles, mais des distorsions systémiques de la rationalité qui ont des conséquences sociales profondes.

Un thème central du livre est la critique de la rationalité instrumentale, c'est-à-dire une forme de raison qui se concentre uniquement sur l'efficacité et la maximisation des moyens pour atteindre des fins. Honneth argue que cette forme de rationalité, dominante dans les sociétés capitalistes, tend à réduire les relations humaines à des relations utilitaires et à négliger les dimensions éthiques et morales de la vie sociale.

Honneth examine ensuite comment les pathologies de la raison contribuent à des phénomènes tels que l'aliénation et la réification. L'aliénation se manifeste lorsque les individus perdent le sens de leur propre autonomie et se sentent déconnectés des autres et de leur environnement. La réification, quant à elle, consiste à traiter les êtres humains comme des objets ou des choses, en niant leur subjectivité.

Pour contrer ces pathologies, Honneth propose une forme de rationalité plus inclusive qui intègre la reconnaissance. Selon lui, une société juste et rationnelle est celle où les individus se reconnaissent mutuellement dans leur dignité et leurs contributions, et où la rationalité est orientée vers la compréhension mutuelle et la solidarité plutôt que vers l'instrumentalisation.

Enfin, le livre s'inscrivant dans la tradition critique de l'École de Francfort, Honneth nous propose un dialogue avec les travaux de penseurs comme Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, qui ont également critiqué les pathologies de la rationalité dans les sociétés modernes.


"La société du mépris" (2006, La Découverte)

"Les individus ont souvent - a raison - le sentiment de vivre dans une société du mépris. Ils perçoivent que l'accroissement des possibilités de réalisation de soi conquises au cours du XXe siècle donne lieu aujourd'hui a une récupération de ces idéaux par le néolibéralisme. Comment expliquer que les progrès des décennies passées soient à ce point détournés pour légitimer une nouvelle étape de l`expansion capitaliste ? Comment, à l'inverse, concevoir une théorie critique de la société lorsque les exigences d'émancipation dont elle se réclame se muent en idéologie ? Autant de questions abordées ici par Axel Honneth, dans le sillage de la philosophie sociale de l'École de Francfort dont il est un des représentants contemporains majeurs; il s'emploie surtout à mettre au jour les "pathologies sociales" du temps présent. Cette démarche s'inscrit au plus près de l'expérience sociale des sujets sociaux soumis au mépris et s'articule avec force à une morale de la reconnaissance."

 

Edition française établie par Olivier Voirol, autour de nombreux textes (Note sur l'édition française), dont "Les pathologies du social. Tradition et actualité de la philosophie sociale" ("Pathologien des Sozialen. Tradition und Aktualität der Sozial-philosophie", 1994)-  "Une pathologie sociale de la raison. Sur l'héritage intellectuel de la Théorie critique" ("Eine soziale Pathologie der Vernunft. Zur intellektuellen Erbschaft der Kritischen Theorie") - "La critique comme mise au jour. La Dialectique de la raison et les controverses actuelles sur la critique sociale" (Uber "die Möglichkeit einer erschliessenden Kritik. Die Dialektik der Aufklärung im Horizont gegenwärtiger Debatten über Sozialkritik", 2000. Publié précédemment en français dans "Où en est la Théorie critique ?", La Découverte, Paris, 2003) - "La Théorie critique de l'École de Francfort et la théorie de la reconnaissance" (Entretien conduit les 5 et 8 octobre 2001 à Francfort) - "La dynamique sociale du mépris. D'où parle une théorie critique de la société ?" ("Die soziale Dynamik der Missachtung. Zur Ortbestimmung einer kritischen Gesellschaftstheorie", 1994, publié précédemment en français dans "Habermas, la raison, la critique", Cerf, Paris, 1996). - "Conscience morale et domination de classe. De quelques difficultés dans l'analyse des potentiels normatifs d'action" ("Moralbewusstsein und soziale Klassenherrschaft. Einige Schwierigkeiten in der Analyse normativer Handlungspotentiale", 1981) - "Invisibilité. Sur l'épistémologie de la reconnaissance" ("Unsichtbarkeit : zur Epistémologie von Anerkennung", 2003) - "La reconnaissance comme idéologie" ("Anerkennung als ldeologie", 2004) - "Les paradoxes du capitalisme : un programme de recherche" (Paradoxien des Kapitalismus. Ein Forschungsprogramm", 2004) - "Capitalisme et réalisation de soi : les paradoxes de l'individuation" ("Organisierte Selbstverwirklichung. Pamdoxien der Individualisierung", 2002) - "Théorie de la relation d'objet et identité postmoderne. À propos d'un prétendu vieillissement de la psychanalyse" ("Objektbeziehungs-theorie und postmoderne Identität. Uber das vermeintliche Veralten der Psychoanalyse", 2003).

 

"Une pathologie sociale de la raison - Sur l'héritage intellectuel de la Théorie critique"

"... Seul Habermas est parvenu à une différenciation systématique des différents processus d'apprentissage, fondée sur l'effectivité de différents rapports au monde de l'être humain par la praxis langagière. Il défend l'idée selon laquelle le potentiel humain de rationalité se développe selon au moins deux directions, la première tournée vers une connaissance croissante du monde objectif, la seconde vers une juste résolution des conflits de l'interaction. Le gain en termes de différenciation se paie cependant ici au prix du renoncement à pouvoir penser conjointement le processus historique d'accroissement de la rationalité et ces conflits sociaux, que les premiers représentants de la Théorie critique avaient encore clairement à l'esprit, en suivant la sociologie de la domination de Max Weber. Dans l'œuvre de Habermas, il y a un fossé entre la dimension, que Bourdieu a par exemple étudiée en termes de processus de monopolisation culturelle ("La Reproduction", 1970), et les processus d'apprentissage rationnels, fossé qui est fondamentalement incompatible avec les aspirations initiales de la tradition. Pourtant, dans la mesure où la Théorie critique a besoin d'une version postidéaliste de la thèse de Hegel esquissée dans son idée de réalisation de la raison, elle ne peut se passer d`une approche des degrés de différenciation, à l'image de celle fournie par le concept habermassien de rationalité. 

Pour pouvoir comprendre dans quelle mesure la connaissance socialement institutionnalisée s'est elle-même rationalisée, au point de manifester un degré de réflexivité croissant dans les manières de venir à bout des problèmes sociaux, il convient de différencier autant d'aspects de la rationalité qu'il y a de défis socialement perceptibles dans la reproduction sociale redevable d'un consentement. 

À la différence de l'approche habermassienne qui opère une différenciation de ce type en s'appuyant sur une particularité structurelle du langage humain, on pourrait envisager un concept supérieur reliant plus étroitement les aspects de la rationalisation sociale, au sens d'un réalisme inteme, au potentiel de révélation des problèmes que des valeurs sociales établies présentent.

Dès lors, ce ne seraient plus les aspects immuables de validité de l'entente langagière qui guideraient le processus dans lequel s'opère la rationalisation du savoir social mais les points de vue de validité historiquement constitués dans des sphères sociales de valeur. Le concept de raison avec lequel la Théorie critique tente de saisir le surcroît de rationalité dans l'histoire humaine est soumis à la pression d'une incorporation de points de vue étrangers et nouveaux, en particulier non européens. Dès lors, il n'est guère étonnant que le concept de rationalité sociale doive sans cesse s'élargir et se différencier, afin de pouvoir prendre en compte la multiplicité des processus d`apprentissage. Quoi qu'il en soit, c'est désormais une version postidéaliste de l'idée hégélienne de réalisation de la raison qui sert de cadre nécessaire à l'idée qui, de Horkheimer à Habermas, pourrait bien constituer le noyau fondamental de toute la tradition de la Théorie critique.

Selon cette dernière, le processus de rationalisation sociale, à travers des structures sociales spécifiques au seul capitalisme, s'est interrompu ou déformé d'une manière telle que les pathologies accompagnant le déclin de l'universalité rationnelle deviennent inévitables.

La clé de cette thèse qui rassemble tous les éléments traités jusqu'ici séparément forme un concept de capitalisme équipé d'une théorie de la rationalité. On voit clairement désormais que la Théorie critique a abouti à cette conception moins à travers une réception de l'œuvre de Marx qu'au travers des impulsions issues de la théorie initiale de Lukács. Avec "Histoire et conscience de classe", on pouvait concevoir pour la première fois son idée selon laquelle la réalité institutionnelle du capitalisme moderne laisse entrevoir une forme d'organisation de la société structurellement liée à un type donné et restreint de rationalité. Pour Lukács, qui était lui-même fortement influencé par Max Weber et Georg Simmel, la spécificité de cette forme de rationalité résulte de la contrainte exercée sur les sujets par un type de praxis qui les transforme en "spectateurs impuissants" devant des évènements coupés de leurs besoins et de leurs intentions"..." (2004, trad. O. Voirol). 

 

"La reconnaissance comme idéologie"

"À mesure que le concept de "reconnaissance" devenait, au cours des deux dernières décennies, le noyau normatif d'une multitude de luttes politiques émancipatoires, les doutes quant à son potentiel critique se sont accrus. Ce scepticisme théorique a incontestablement été renforcé par le fait que nous vivons dans une culture affirmative dans laquelle la reconnaissance manifestée publiquement présente bien souvent des traits purement rhétoriques et ne possède qu'un caractère succédané. Le fait d'être officiellement couvert d'éloges pour certaines qualités ou certaines compétences semble être devenu un instrument de politique symbolique, dont la fonction sous-jacente est d'intégrer des individus ou des groupes sociaux dans l'ordre social dominant en leur offrant une image positive d'eux-mêmes. Bien loin de contribuer à l'amélioration durable de l'autonomie des membres de notre société, la reconnaissance sociale semble apparemment servir à la production de représentations conformes au système.

Par conséquent, les doutes qui se sont entre-temps manifestes quant à cette nouvelle approche débouchent sur l'idée selon laquelle les pratiques de la reconnaissance n'entraînent pas un accroissement du pouvoir des sujets sociaux mais au contraire leur assujettissement. L'objection peut se résumer ainsi : les individus sont poussés à adopter, au travers de processus de reconnaissance mutuelle, un rapport à soi spécifique qui les incite à assumer de leur plein gré des tâches et des devoirs servant la société.

Ces réserves de principe renvoient à des réflexions qui avaient déjà amené, il y a plus de trente ans, le théoricien marxiste Louis Althusser à faire de la pratique de la reconnaissance publique le mécanisme standard de toutes les formes d'idéologie  (1970). Développés de manière schématique en se référant exclusivement à la politique des appareils d'État, ses arguments ont été repris plus tard par Judith Butler pour être reconstruits en un projet solide intégrant la psychanalyse de Jacques Lacan. 

On sait qu'Althusser s'appuie sur la double signification de la notion française de "subjectivation"  pour expliciter sa catégorie d'idéologie : les êtres humains ne deviennent des "sujets", au sens d'une prise de conscience de leurs propres droits et responsabilités, qu'en étant assujettis à un système de règles pratiques et d`attributions leur conférant une identité sociale. Dès lors que l'acte d`assujettissement est compris, selon cette définition, sur le mode de l'approbation publique, ce que nous pouvons nommer "reconnaissance" perd aussitôt toute connotation positive pour devenir le mécanisme central de l'idéologie : reconnaître quelqu'un signifie alors l`amener, par des sommations répétées et assénées de manière rituelle, à adopter exactement le rapport à soi qui convient au système établi d'attentes de comportements.

Cependant, Althusser lui-même n'a pas utilisé ce concept d'idéologie dans un sens critique et s'est plutôt borné à en faire un usage purement descriptif. Sans aucun jugement normatif, il décrit le processus institutionnel de la reconnaissance comme un mécanisme de constitution de sujets conformes au système. 

Les définitions d'Althusser présentent toutefois un défi majeur pour une théorie critique de la société visant à trouver son fondement normatif dans le processus de reconnaissance mutuelle. Car, à la lumière de ses réflexions, cette dernière doit s'interroger pour savoir si la reconnaissance sociale ne peut pas également, en certaines occasions, avoir pour fonction de maintenir la domination sociale. Dans ce nouveau cas de figure, le concept d`idéologie perd en tout cas son sens purement descriptif et devient une catégorie péjorative ; car on prend ainsi en considération uniquement les formes de reconnaissance devant être considérées comme fausses ou injustifiables parce qu'elles ne servent pas à accroître l'autonomie personnelle mais à produire des attitudes conformes à la domination.

Il serait bien évidemment faux d'accuser la théorie de la reconnaissance d'avoir d'emblée fait l'impasse sur ces phénomènes négatifs d'assujettissement ou de domination. Au fond, toute cette approche doit son impulsion critique à son point de départ qui réside dans les manifestations sociales d'absence ou de déficit de la reconnaissance : elle cherche à porter son attention sur les pratiques d'humiliation ou d'atteinte à la dignité par lesquelles les sujets se voient privés d'une forme légitime de reconnaissance sociale et donc aussi d'une condition décisive pour la formation de leur autonomie. D'un autre côté, cette manière de formuler la question montre aussi clairement que la "reconnaissance" a toujours été traitée conceptuellement comme l'opposé des pratiques de domination ou d'assujettissement. Ces formes d'exercice du pouvoir doivent être saisies comme des phénomènes de privation de reconnaissance, de mépris et d'humiliation, de sorte que la "reconnaissance" ne puisse jamais être soupçonnée de fonctionner comme un moyen de domination.

Toutefois, ce présupposé de non-domination de la reconnaissance ne va plus de soi dans les réflexions stimulées par le concept althussérien d'idéologie ..." (2004, trad. O. Voirol)

 

"Les paradoxes du capitalisme : un programme de recherche" (Martin Hartmann et Axel Honneth - Des premiers éléments de ce programme se trouvent dans Axel HONNETH (dir), Befreíung aus der Mündigkeit. Paradoxien des gegenwärtigen Kapitalísmus, Campus, Francfort, 2002).

"Au cours des cent cinquante dernières années, on a pris l'habitude d`analyser les processus de développement des sociétés capitalistes à l'aide d'un schéma mettant en contradiction un processus jugé positif de rationalisation ou d'émancipation avec les rapports structurels de l'économie qui bloquent, ralentissent ou même colonisent ce processus. 

Certes, avec le temps, le contenu de ces termes de rationalisation ou d'émancipation s'est progressivement enrichi normativement, alors même que l' on conservait simultanément l'idée que le système de valorisation capitaliste opère une restriction structurelle. Mais, même lorsqu'on tablait sur une logique tenace de rationalisation communicationnelle du monde vécu, le modèle de développement dominant consistait encore à concevoir une tendance à l'opposition croissante aux lois d'un monde fonctionnel de l'économie en phase d'autonomisation.

Quiconque tente cependant d'examiner aujourd'hui les nouvelles transformations des sociétés capitalistes occidentales bute aussitôt sur les insuffisances de ce modèle auquel on se réfère depuis longtemps : non seulement les frontières entre l'économie et la culture, entre le système et le monde vécu ne peuvent plus être clairement définies, mais en plus on ne sait plus très bien de nos jours, et ce à un degré bien plus élevé qu'auparavant, ce qui doit encore normativement passer pour du progrès. Ce qui déconcerte et rend perplexe dans la situation actuelle tient probablement au fait que les principaux idéaux normatifs des dernières décennies donnent l'impression, tout en gardant une actualité performative, de s'être transformés en sous-main ou de s'être dissipés dans leur portée émancipatrice, parce qu'ils sont devenus à bien des égards de purs concepts de légitimation d'une nouvelle étape de l'expansion capitaliste.

Dans ce qui suit, nous nous consacrerons à cette forme mouvante et obscure de "modernisation" du capitalisme, en remplaçant l'ancien modèle de la contradiction par un modèle du développement paradoxal. Par là, il faut entendre le fait étrange que bien des progrès normatifs des décennies passées se sont transformés en leur contraire, en une culture de désolidarisation et de mise sous tutelle, et sont devenus des mécanismes d'intégration sociale sous la pression d'une dé-domestication néo-libérale du capitalisme...." (trad. O. Voirol)


"Reification: A New Look At An Old Idea" (2005)

Honneth revisite le concept de "réification", - un terme introduit par Georg Lukács, qui signifie littéralement "chosification" et fait référence au processus par lequel les relations sociales et les individus sont traités comme des objets ou des choses -, en l'élargissant au-delà de sa portée économique initiale pour en faire un problème plus fondamental de relations humaines et de reconnaissance intersubjective. En s'écartant de l'approche marxiste traditionnelle qui la lie principalement aux structures économiques et à la logique capitaliste, il en vient ainsi à développer l'idée que la réification ne se limite pas à la réduction des êtres humains à des choses sous l'effet du capitalisme, mais qu'elle prend racine dans une attitude plus fondamentale de déni de la reconnaissance. La réification résulte d'une défaillance dans la reconnaissance réciproque entre les individus. Reprenant sa célèbre distinction des trois formes de reconnaissance, - l'amour, le respect et l'estime sociale -,  la réification survient lorsque ces formes de reconnaissance sont absentes ou niées, menant à une objectivation des autres et une perte de l'expérience intersubjective.

Pour Honneth, comprendre la réification comme un échec de la reconnaissance permet non seulement de mieux comprendre ses manifestations dans divers domaines de la vie sociale, mais aussi de proposer des moyens de la combattre.


"Freedom’s Right: The Social Foundations of Democratic Life" (2011)

Les théories de la justice se focalisent souvent sur des principes purement normatifs et abstraits, sans rapport avec les applications du monde réel. Le philosophe et théoricien Axel Honneth s'attaque à ce problème en construisant une théorie de la justice dérivée des revendications normatives des sociétés démocratiques libérales occidentales et ancrée dans le droit et les pratiques institutionnellement établies qui possèdent une légitimité morale. Appelé "vie éthique démocratique", le paradigme de Honneth s'inspire de l'esprit de la philosophie du droit de Hegel et de sa propre théorie de la reconnaissance, démontrant comment les sphères sociales concrètes génèrent les principes de la liberté individuelle et une norme pour ce qui est juste. En utilisant l'analyse sociale pour refonder une théorie de la justice, Honneth soutient que toutes les actions cruciales de la civilisation occidentale, que ce soit dans les relations personnelles, les activités économiques induites par le marché ou le forum public de la politique, partagent une caractéristique déterminante : elles nécessitent la réalisation d'un aspect particulier de la liberté individuelle.  

 

"Freedom’s Right"  développe une vision de la liberté qui dépasse l'individualisme et intègre la dimension sociale et relationnelle de l'existence humaine. C'est aussi une réflexion sur la manière dont la liberté est intégrée et réalisée dans les institutions sociales et démocratiques modernes. Honneth s'inspire de la philosophie du droit de Hegel pour examiner comment les formes modernes de liberté trouvent leur expression dans les sphères sociales essentielles, comme le marché, la famille et la sphère politique.

Honneth distingue entre trois formes de liberté : la liberté négative (absence d'interférences), la liberté réflexive (autodétermination) et la liberté sociale. Cette dernière est centrale pour lui, puisqu'elle repose sur la reconnaissance mutuelle et se réalise dans les relations interpersonnelles et les institutions sociales.

Honneth identifie parallèlement trois sphères sociales principales où la liberté sociale se manifeste : la Famille (Lieu de reconnaissance affective où les individus se sentent aimés et soutenus), le Marché  (Espace de reconnaissance où les individus se réalisent par leur travail et leur contribution économique), la Politique (Sphère où les individus sont reconnus comme citoyens égaux et participants actifs à la vie publique).

Lorsque ces sphères de reconnaissance sont déformées ou dysfonctionnelles, elles conduisent à des pathologies sociales, telles que l'aliénation, l'injustice économique, et l'exclusion politique. Ces pathologies empêchent la réalisation complète de la liberté.

Honneth propose donc une théorie normative où les institutions sociales doivent être évaluées en fonction de leur capacité à permettre la réalisation de la liberté sociale. Il soutient que pour qu'une société soit véritablement démocratique, elle doit assurer que ses institutions favorisent la reconnaissance mutuelle et l'épanouissement des individus. Il défend l'idée que la démocratie n'est pas seulement une question de procédures politiques, mais aussi de justice sociale. Une véritable démocratie doit garantir que tous les citoyens aient accès aux conditions matérielles et sociales nécessaires pour exercer leur liberté.


"The Pathologies of Individual Freedom" (2021)

L'ouvrage "The Pathologies of Individual Freedom" d'Axel Honneth explore les conséquences négatives de l'importance accordée par la société moderne à la liberté individuelle et à l'autonomie. Il s'agit encore et toujours d'une réinterprétation et d'une illustration de la théorie sociale de Hegel en tant qu'alternative aux notions libérales de justice sociale. Honneth affirme que si l'idéal de la liberté individuelle est au cœur de la vie sociale moderne, il a conduit à une série de pathologies sociales - des formes de désordre social qui découlent de l'accent excessif mis sur l'individualisme au détriment des liens communautaires et de la reconnaissance mutuelle. Honneth s'appuie sur les idées de la théorie critique et de la philosophie de la reconnaissance pour analyser comment la poursuite de la liberté individuelle peut miner la solidarité sociale. Il suggère qu'en donnant la priorité à l'autonomie individuelle, la société contemporaine a négligé l'importance des relations sociales et le besoin de reconnaissance de la part des autres. Cette négligence a entraîné diverses pathologies sociales, telles que l'aliénation, la désintégration sociale et la perte du sens de la communauté.

"Avant de poursuivre ma tentative de réactualisation indirecte de la Philosophie du droit de Hegel, il serait sans doute judicieux que je résume brièvement ce que nous avons appris jusqu'à présent sur l'intention et la structure de l'œuvre. En commençant par les intentions qui ont guidé les efforts de Hegel, nous avons trouvé à peu près ce qui suit : en accord avec Kant et Fichte, l'auteur de la Philosophie du droit est convaincu que toute théorie normative de la justice dans les sociétés modernes doit être ancrée dans le principe de l'égale liberté individuelle de tous les sujets ; mais contrairement à ses deux prédécesseurs, il estime, en reprenant certains des thèmes de ses premiers écrits, que ce concept d'autonomie de l'individu, ou de liberté, doit être compris de manière plus complexe si la matière première de l'autodétermination réfléchie - nos "volitions de premier ordre" - doit être comprise comme un élément de la liberté ou, pour mieux dire, comme un moyen d'expression de soi. 

Hegel explique cela de manière paradigmatique en se référant à l'amitié, dans laquelle nous nous limitons délibérément au traitement préférentiel d'un certain penchant, mais que nous vivons néanmoins comme une réalisation libre et sans restriction de soi ; par conséquent, un concept suffisamment complexe de la liberté individuelle doit être conçu pour généraliser ce seul cas d'amitié afin de parvenir à la structure communicative de "l'être avec soi-même dans l'autre". Nous ne sommes réellement libres que lorsque nous sommes capables de façonner nos inclinations et nos besoins de manière à ce qu'ils soient orientés vers l'universel dans les interactions sociales, qui à leur tour peuvent être vécues comme l'expression d'une subjectivité illimitée. En faisant allusion aux écrits ultérieurs de Harry Frankfurt, on pourrait dire que la véritable liberté consiste à se restreindre pour le bien d'autrui, ce qui, là encore, peut être vécu comme l'expression la plus forte d'une subjectivité non contrainte, d'un "être avec soi-même dans l'autre".

Hegel a ici une première occasion d'anticiper sa théorie générale de la justice moderne, car il partage avec Kant et Fichte la conviction qu'une telle conception doit essentiellement pouvoir déterminer les conditions de réalisation de l'autonomie ou du "libre arbitre". Si la liberté de l'individu signifie avant tout "être avec soi-même dans l'autre", alors la justice des sociétés modernes se mesure à leur capacité de garantir à tous leurs membres de manière égale les conditions d'une telle expérience communicative et de permettre ainsi à chaque individu de participer dans des conditions d'interaction non faussées. En ce sens, on peut aller jusqu'à dire que Hegel, au nom de la liberté individuelle, accorde la distinction particulière de " bien fondamental " aux relations de communication que les sociétés modernes gèrent essentiellement en faisant appel à des considérations de justice ; mais naturellement, comme je l'ai déjà dit, il ne faut pas laisser le terme économique de bien nous induire en erreur en imaginant que, dans sa définition de la justice, Hegel se préoccupe de règles de distribution au sens de Rawls ; il semble plutôt partir de l'hypothèse que les relations de communication appartiennent à la catégorie des biens qui ne peuvent être produits et préservés que par des pratiques collectives, de sorte que nous pouvons tout au plus parler des moyens par lesquels les conditions préalables à de telles pratiques peuvent être fournies collectivement et universellement.  Je suis d'ailleurs convaincu que si nous approfondissions ces différences entre Hegel et Rawls, nous arriverions exactement au point où les grandes lignes de la conception de la justice dans la philosophie du droit deviennent reconnaissables..."

 

L'une des idées centrales de l'œuvre de Honneth est que la véritable liberté individuelle ne peut être atteinte dans l'isolement, mais nécessite un contexte social où les individus sont reconnus et valorisés par les autres. Les pathologies de la liberté individuelle découlent donc d'une mauvaise compréhension de ce que signifie être libre. Honneth plaide pour une reconceptualisation de la liberté qui intègre le besoin de reconnaissance sociale et de solidarité, suggérant que ce n'est que par la reconnaissance mutuelle que les individus peuvent véritablement réaliser leur liberté. En substance, le travail de Honneth est une critique de la conception libérale de la liberté qui met l'accent sur l'autonomie individuelle sans tenir compte de manière adéquate des conditions sociales nécessaires à sa réalisation. Il plaide pour une compréhension plus équilibrée de la liberté qui reconnaît l'interdépendance des individus au sein d'une communauté.

 


"Anerkennung. Eine Europaïsche Ideengeschichte" (2018)

"Recognition: A Chapter in the History of European Ideas" - "La Reconnaissance. Histoire européenne d’une idée" (traduit de l’allemand par Pierre Rusch et Julia Christ, Gallimard, «NRF Essais», 2020). Honneth entend montrer que la "reconnaissance" n'est pas simplement un concept philosophique abstrait, mais un élément central des relations humaines qui influence profondément la structure sociale et les expériences individuelles. Une notion qui lui semble essentielle pour comprendre les luttes pour la justice et l'égalité dans les sociétés contemporaines. Aussi veut-il démontrer ici comment le concept de "reconnaissance" a évolué et continue d'influencer la pensée sociale et politique en Europe.

Honneth commence par analyser la notion de reconnaissance chez Hegel, qui est un point de départ crucial. Chez Hegel, la reconnaissance est un élément fondamental pour le développement de l'identité individuelle et collective. Honneth montre comment Hegel a théorisé la reconnaissance comme une lutte sociale nécessaire pour la réalisation de soi et la constitution des relations sociales. Ensuite, Honneth examine comment cette notion a été reprise et transformée par d'autres philosophes, une quête archéologique qui permet de dégager trois types de reconnaissances, chacun dépendant du contexte culturel dans lequel il s’enracine : reconnaissance à la française, amour-propre et souci de considération sociale, à la Rousseau, qui n'est pas sans risque dans l'expression d'un "moi" authentique; reconnaissance qui, dans la tradition écossaise puis anglaise, de Shaftesbury à John Stuart Mill en passant par Hume et Adam Smith, joue sur l'acceptabilité de nos évaluations morales pour mieux nous intégrer; enfin, reconnaissance mise en avant par l’idéalisme allemand (Kant, Fichte, Hegel) plus de cette "autodétermination rationnelle" qu'affectionne l'auteur. Karl Marx rattachera la reconnaissance à des structures économiques et sociales, puis des penseurs contemporains l'appliqueront à des questions de justice sociale, d'inégalité et de droits humains. Honneth en profite pour mettre en avant l'importance de la reconnaissance dans la formation des sociétés modernes, en soulignant comment elle est devenue un concept clé pour comprendre les dynamiques de pouvoir, de marginalisation et de respect mutuel. 

 


"The Working Sovereign: Labour and Democratic Citizenship" (2024) 

"Le souverain laborieux: Une théorie normative du travail" (Gallimard 2024), "The Working Sovereign", est une réflexion sur l'importance du travail dans la construction d'une citoyenneté démocratique active et reconnue, et un appel à repenser la place du travail dans nos sociétés pour préserver et renforcer la démocratie : le travail reste une source de dignité et de reconnaissance pour tous les citoyens...

Un des plus grands défauts de presque toutes les théories de la démocratie consiste à oublier obstinément que les membres de ce "Souverain" (traduction française singulière)qu'elles invoquent sont toujours aussi des sujets laborieux. On oublie que lorsque le travail est perçu comme une simple marchandise, cela érode les bases de la citoyenneté démocratique, car les individus ne se sentent plus reconnus pour leur contribution à la société. Cette perte de reconnaissance peut mener à une aliénation sociale et à un affaiblissement de la démocratie. Honneth commence donc par discuter l'histoire de la pensée politique et sociale, en montrant comment le travail a été perçu à travers différentes époques. Il se concentre sur la façon dont le travail a été lié à la citoyenneté, en particulier dans les sociétés modernes, où il est vu non seulement comme une source de revenu, mais aussi comme un moyen par lequel les individus contribuent à la société et gagnent reconnaissance et respect.

On s'imagine que les citoyennes et les citoyens se soucient avant tout de prendre part aux débats politiques pour y défendre leurs idées ; mais la réalité sociale est que, jour après jour, la plupart des individus se consacrent à un travail, ce qui - en raison de leur position subalterne, de leur faible rémunération ou du surmenage auquel ils sont exposés - leur interdit en pratique ne serait-ce que de se projeter dans le rôle d'acteurs autonomes de la formation démocratique de la volonté. Le point aveugle de la théorie de la démocratie est donc une division sociale du travail qui est née sur le sol du capitalisme moderne et qui, en raison de positions très inégalement dotées, détermine qui détient quelles possibilités d'influencer le processus de la formation démocratique de la volonté. 

Négliger cette sphère est d'autant plus fatal pour une théorie de la démocratie qu'elle perd ainsi de vue l'un des rares leviers qui permettent à l'État démocratique d'agir sur ses propres conditions d'existence  ...