The Globalization of Literature - The Global Novel - Murakami Haruki (1949) - Taeko Kôno (1926-2015) - Roberto Bolaño (1953-2003) - Yôko Ogawa (1962) - Adam Kirsch (1976) - Orhan Pamuk (1952) - ...
Last update : 2019/11/11
Toute oeuvre semblait profondément enracinée dans un contexte national, voire communautaire, mais les histoires mondiales de la littérature ou de la peinture se sont toujours enrichies de courants qui traversent les espaces nationaux, l'écrivain comme le peintre traduisant le plus souvent des sensibilités qui parcourent le monde, à une époque donnée. Mais au-delà de la Nation, l'espace artistique est par essence un espace planétaire qui touche fondamentalement l'être humain au-delà de toute frontière, le romantisme, l'impressionnisme, le réalisme, le naturalisme ont habité nombre de cultures et nourri nombre d'inspirations. Vint la mondialisation économique et technologique qui colonise notre monde et qui semble intensifier une homogénéisation tant de nos intuitions que de nos appétences artistiques, l'imaginaire épouse la technologie, l'écriture se mondialise, les thématiques se standardisent, les scènes et les intrigues littéraires ne semblent plus que des quasi entremêlements hallucinés de plusieurs contrées de notre planète Terre, notamment d'Amérique, et d'Asie, d'ouest en est. Assiste-t-on à un tournant dans l'histoire de la littérature et plus encore à une quasi révolution culturelle, ou n'est-ce au fond qu'un épiphénomène sans conséquence réelle? Ainsi, en ce début du XXIe siècle, le romancier japonais Haruki Murakami aborde notre existence de terrien, non pas en en tant qu'écrivain d'une nation particulière, mais en terrien qui se risquerait par ailleurs à ne pas être totalement de ce monde. Au fond ne sommes-nous pas, nous aussi, tous des œuvres littéraires vivantes? Tout débute par une émotion, "an emotional loss" sur le chemin de la maturité. "Memories warm you up from the inside. But they also tear you apart" (Kafka on the Shore), les souvenirs te réchauffent intérieurement, mais ne te déchirent-ils pas aussi....
All works seemed deeply rooted in a national or even community context, but the world stories of literature or painting have always been enriched by currents that cross national spaces, the writer and the painter most often reflecting the sensibilities that travel the world at a given time. But beyond the Nation, the artistic space is by essence a planetary space that fundamentally touches the human being beyond any frontier, romanticism, impressionism, realism, naturalism have inhabited many cultures and fed many inspirations. The economic and technological globalization that colonizes our world and which seems to intensify a homogenization of both our intuitions and our artistic appetites, the imagination marries technology, writing becomes globalized, the themes become standardized, the literary scenes and intrigues seem to be nothing more than almost hallucinated intertwining of several regions of our planet Earth, especially America, and Asia, from west to east...
Todas las obras parecían estar profundamente arraigadas en un contexto nacional o incluso comunitario, pero las historias del mundo de la literatura o la pintura siempre se han enriquecido con corrientes que atraviesan los espacios nacionales, siendo el escritor y el pintor los que más a menudo reflejan las sensibilidades que recorren el mundo en un momento dado. Pero más allá de la Nación, el espacio artístico es por esencia un espacio planetario que toca fundamentalmente al ser humano más allá de cualquier frontera, el romanticismo, el impresionismo, el realismo, el naturalismo han habitado muchas culturas y alimentado muchas inspiraciones. La globalización económica y tecnológica que coloniza nuestro mundo y que parece intensificar una homogeneización tanto de nuestras intuiciones como de nuestros apetitos artísticos, la imaginación une la tecnología, la escritura se globaliza, los temas se estandarizan, las escenas e intrigas literarias parecen no ser más que alucinaciones entrecruzadas casi alucinantes de varias regiones de nuestro planeta Tierra, especialmente de América, y Asia, de oeste a este....
Dès le milieu du XXe siècle, la culture occidentale, surtout américaine, s'est répandue sur toute la planète, et ce phénomène s'est considérablement accru à la fin du siècle sous l'égide de la mondialisation économique et technologique, voire politique. La planète Terre ouvre désormais un immense espace culturel commun qui permet aux écrivains et scénaristes de s'affranchir des traditions locales pour destiner leurs œuvres à un lectorat universel, et ce faisant privilégier des thématiques et des formes d'expression largement standardisées, non pas seulement "marchandisables", mais aisément intégrables et diffusables "médiatiquement". La réflexion emblématique de Marshall McLuhan, "the medium is the message", est à restructurer: le contenu du message l'emporte sur la nature du média, et non l'inverse. Mais ce contenu est entièrement tributaire d'un espace d'expression mondialisé, sémantiquement homogène, structuré en profondeur par une intense mondialisation de l'économie et de la technologie. La musique, la télévision, le cinéma ont d'emblée une dimension collective et technologique qui leur donne un ascendant sur la littérature, l'écriture reste artisanale et la lecture une activité solitaire. Internet peut offrir à l'écriture cette passerelle vers la mondialisation, mais les véritables modalités d'expression qu'elle offrirait sont encore loin d'être convaincantes.
Qu'est que la littérature mondialisée (the globalized novel)? Elle est apparue d'une part pour relancer un roman occidental en panne de créativité,
puisant sa matière dans une quasi "science fiction du quotidien", et d'autre part dans la lignée de toute une fiction postcoloniale qui pouvait enfin exprimer sa liberté retrouvée et son
expérience d'un monde ni totalement étranger ni totalement familier. Le roman de Salman Rushdie, Midnight's Children (1981), est un mélange parfait de traditions anglaises et indiennes, tant sur
le plan linguistique que thématique. Orhan Pamuk se partage entre l'Orient, sa terre natale, la Turquie, et l'Occident, et brasse indistinctement des registres culturels les plus divers (Le
Château blanc, 1985, Mon nom est Rouge, 1998). Globalement ces écrivains combinent les traditions narrative et poétique du monde dont ils sont issus et tous les motifs et textures que
composèrent toutes les avant-garde qui ont nourri la littérature occidentale. En retour, le réalisme magique, domaine d'expression des cultures asiatiques et latines en contact frontal avec
l'Occident, a renouvelé l'inspiration de nombre d'auteurs occidentaux. Dans les années 1990, un flot d'écrivains sud-asiatiques travaillant en anglais ont incarné une littérature mondiale très
sophistiquée et branchée, mais l'effet de mode s'est estompé..
Plus que toute autre culture, le Japon, sous influence américaine pendant l'occupation militaire de 1945 à 1952, illustre par l'intermédiaire de quelques
écrivains, cette nouvelle trame thématique qui se met en place dans le monde entier, puise ses références culturelles dans le quotidien américain ou européen, en utilise les codes pour tracer son
propre cheminement intérieur. Parmi eux, Murakami Haruki qui vend des millions de livres à travers le monde, de la Corée du Sud à l'Australie, l'Italie, l'Allemagne et la Chine, les
Etats-Unis ; "Norwegian Wood" s'est vendu à environ 11,16 millions d'exemplaires, y compris en livre de poche, et tous les grands ouvrages de Murakami ont dépassé le seuil du 1 million. Des
livres traduits en 42 langues, et sans doute le tout premier auteur nippon à ne pas être perçu comme un auteur japonais (Norwegian Wood, The Wind-up Bird Chronicle, 1Q84, Kafka on the
Shore)....
Murakami Haruki (1949)
"When I was in my teens, in the 1960s, that was the age of idealism. We believed the world would get better if we tried. People today don’t believe
that, and I think that’s very sad. People say my books are weird, but beyond the weirdness, there should be a better world. It’s just that we have to experience the weirdness before we get to the
better world. That’s the fundamental structure of my stories: you have to go through the darkness, through the underground, before you get to the light." - Le succès littéraire rencontré par
Murakami Haruki depuis les années 1990 montre à quel point, tout comme lui, s'efface lentement de la société nippone la nécessité de s'enraciner dans les seules valeurs et l'histoire ancestrale
du pays du Soleil-Levant. "Je ne pense pas être particulièrement occidentalisé, pas plus que la plupart de mes lecteurs japonais. Led Zeppelin, California Merlot et Tom Cruise font tous partie de
notre quotidien. En fait, on pourrait dire qu'aujourd'hui, il y a un échange d'informations très naturel entre l'Est et l'Ouest, du moins à un niveau superficiel. Ces différents points de vue
nous stimulent de diverses manières" (I don’t think I am particularly Westernized nor do most of my Japanese readers. Led Zeppelin, California Merlot, and Tom Cruise are all part of our daily
lives. As a matter of fact one could say that, today, there’s a very natural exchange of information between the East and West, at least on a superficial level. We are variously stimulated by
these differing points of view). Le monde commençait alors à être parfaitement indéchiffrable pour la plupart de ses futurs lecteurs, l'Union Soviétique devenait la Russie, le mur de Berlin
se fissurait, la société vivait une révolution technologique sans précédent, le Japon s'imbriquait au Monde occidental et celui-ci lui absorbait à satiété sa fameuse "user-friendly
technology". Je ne fais pas partie de la tradition immédiate de la littérature japonaise, ajoute Murakami Haruki , mais je pense qu'une nouvelle tradition, qui m'inclura, va peut-être
émerger, une nouvelle tradition qui englobe le monde, n'est-ce-pas?
"Il n'y a pas qu'une seule réalité" - Murakami Haruki est né juste après la seconde guerre mondiale, à Kyoto, son grand-père était prêtre bouddhiste et son père enseignait la langue et la littérature japonaise. Il a grandi, rappelle-t-il, pendant l'occupation américain, dans la culture américaine, de F Scott Fitzgerald, Truman Capote, Raymond Chandler, Kurt Vonnegut, Raymond Carver aux TV shows et au jazz (il est célèbre pour sa collection de 40 000 disques de jazz), "The Many Sides of Gene Pitney" fut son premier album acquis en 1962, sa passion pour le jazz débuta par un concert d'Art Blakey et des Jazz Messengers (1964). Il ouvre un club de jazz à Tokyo en 1974 et de là s'est forgé progressivement son propre style ("Not Japanese or American style, my style"). Il se trouvait dans les gradins d'un stade de baseball 'Meiji Jingū Stadium) en train de regarder le jeu de batte d'un joueur américain, Dave Hilton, lorsqu'il a soudain réalisé qu'il pouvait écrire un roman ("I never thought of being an author. At least until I was 29 years old"), ce fut "Hear the Wind Sing" et "Pinball, 1973" : "There are wells, deep wells, dug in our hearts". Son personnage principal est un observateur détaché de son environnement par des circonstances qui ne cessent de hanter le récit, placide mais parfois déconcerté, et qu'un évènement extérieur, inexplicable, va entraîner dans un univers parallèle, énigmatique ("You have to go through the darkness before you get to the light"). Mais ici, nulle émotion palpable ("Emotional hurt is the price a person has to pay in order to be independent"), nulle envolée littéraire, l'idée, l'intrigue vont surgir le plus simplement du monde de notre intériorité, sombre par définition, et l'écrivain, se gardant bien de toute analyse, enregistre le factuel, sans autre commentaire, - "I’m not a storyteller. I’m a story watcher" - l'intrigue va suivre son cours sans véritable référence culturelle précise, ou du moins celle du monde dans sa globalité. L'histoire est sortie de quelque obscurité de notre humanité et entraîne autant l'écrivain que le lecteur vers un point géographiquement et historiquement non repérable, l'imagination se libère totalement et les références culturelles du monde entier ne cessent d'émailler le récit, la "Sinfonietta", du compositeur Leoš Janáček ou l'album "Louis Armstrong Plays W.C. Handy" côtoient "À la recherche du temps perdu" de Marcel Proust et " Macbeth" de Shakespeare. Au début des années 90, Murakami a déménagé aux États-Unis, où il a commencé à enseigner à l'Université de Princeton, et de là a regardé sa patrie pour la première fois avec les yeux d'un Européen ("Je suis allé aux États-Unis pendant près de cinq ans, et soudain, vivant là-bas, j'ai eu envie d'écrire sur le Japon et les Japonais. Parfois sur le passé, parfois sur la situation actuelle. C'est plus facile d'écrire sur son pays quand on est loin. De loin, vous pouvez voir votre pays tel qu'il est. Je ne voulais pas vraiment écrire sur le Japon avant. Je voulais juste écrire sur moi-même et sur mon monde..."). En 2001, il est retourné au Japon, où il s'est installé au bord de la mer dans la petite ville d'Oiso. Haruki y vit seul avec sa femme...
Les critiques évoquent, parlant de son oeuvre particulièrement abondante, le "post-modernisme" ou le "réalisme magique". Peu importe, Murakami ne
s'intéresse pas tant à la société qui l'environne qu'au fonctionnement de notre cerveau d'humain, le monde est en surface plus étrange qu'on ne pense, mais si l'on veut bien gratter un peu,
accepter l'inattendu, l'insolite, voire l'invraisemblable, on en revient avec un drôle de petit sentiment d'accomplissement, sans conséquence, au bout du compte ("Je pense que le travail de
l'écrivain est d'extraire un grand et profond drame de la petite vie quotidienne"). Quant à Haruki Murakami lui-même, il n'écrit des romans que lorsqu'il se sent inspiré et prêt à le faire, le
reste du temps il le passe à traduire des romans américains, Truman Capote, Jérôme D. Salinger, Francis Scott Fitzgerald, John Irving....
"A Wild Sheep Chase" (Hitsuji o meguru bōken, 1982)
La "Trilogy of the Rat" compte trois romans indépendants, "Hear the Wind Sing" (Kaze no uta o kike, 1979), "Pinball, 1973"
(Sen-kyū-hyaku-nana-jū-san-nen no pinbōru, 1980) et "A Wild Sheep Chase" (1982), avec pour épilogue "Dance Dance Dance" (1988), mais un thème récurrent, celui d'un jeune homme dépressif, en quête
de lui-même, "an outcast of the Japanese literary world", et qui trouve dans l'écriture comme au cours des intrigues qui lui donnent existence, une sorte de thérapie personnelle et de libération
affective, mais une libération qui ne peut se concevoir que dans cet autre monde, celui de l'imagination et du rêve éveillé : au fond, Murakami semble hésiter entre réalisation de soi et abandon
de soi, réel et surréel.
C'est avec "A Wild Sheep Chase" (La Course au mouton sauvage) que Murakami trouve son style, l'intrigue est quant à elle particulièrement difficile à
résumer : narrateur anonyme, le voici quittant son existence trop ordinaire de rédacteur publicitaire, sous la menace d'un puissant dirigeant occulte du Japon en quête d'un mouton possédant une
tache de naissance en forme d'étoile et censé posséder des pouvoirs. En fait, le narrateur n'a fait que reproduire dans un bulletin de la compagnie d'assurance une carte postale envoyée par un
ami, le Rat, et représentant un troupeau de moutons en train de paître dans les montagnes reculées d'Hokkaïdo. Il entraîne dans sa quête du mouton sauvage des personnages qui n'ont pas de nom,
mais des surnoms, sa petite amie, qu'il aime pour ses oreilles et qui semble dotée de pouvoirs, le Professeur Mouton, le père du directeur de l'hôtel dans lequel il séjourne et qui affirme que le
mouton est une sorte d'esprit qui poursuit ses propres objectifs en intégrant le corps de ses victimes, the Sheep Man, le contact de l'ami perdu, ...
"Hard-Boiled Wonderland and the End of the World"
(Sekai no owari to Hādo-boirudo Wandārando, 1985)
"Two people can sleep in the same bed and still be alone when they close their eyes" -Murakami Haruki, dans un roman à l'imagination foisonnante, inaugure
sa thématique des mondes parallèles, et explore à sa manière la nature même de la conscience occidentale sous les traits d'un processeur de données humaines qui finit par apprendre qu'il n'a plus
que 1½ jours pour exister avant de quitter le monde qu'il connaît pour un endroit qu'il a inventé dans son subconscient. Deux mondes et donc deux histoires parallèles anonymement relatées,
"Hard-Boiled Wonderland", au cours duquel la conscience semble lutter contre le piratage et la destruction, et "The End of the World", dans lequel la conscience a été totalement isolée du reste
du monde et les souvenirs supprimés. Le lecteur est alors entraîné dans un accélérateur de particules narratif dans lequel un processeur de données à cerveau fendu, un savant dérangé qui
entreprend une véritable course contre la montre pour inverser la marche inévitable de la perte d'identité totale, son imperturbable petite-fille, Lauren Bacall, Bob Dylan, et divers personnages
des plus absurdes, voyous, bibliothécaires et monstres souterrains qui tous entrent en collision...
"Norwegian Wood" (1987, Noruwei no mori, La Ballade de l'impossible)
"I was always hungry for love. Just once, I wanted to know what it was like to get my fill of it—to be fed so much love I couldn’t take any more..." - C'est
en Italie et en Grèce que Murakami a écrit ce roman, réaliste, qui lui a valu une renommée mondiale en son temps. "I’m not really interested in writing novels about realism, but Norwegian Wood is
a novel of 100 percent pure realism. I wanted to experiment. I thought it was time to try another genre. And the result was that it sold. I started writing it on a whim, and I didn’t expect it to
become a bestseller, so I was surprised. I personally love this work, but looking at it objectively, I think it is an anomaly among my works. "
Toru Watanabe se laisse envahir par la nostalgie en écoutant une chanson des Beatles, "Norwegian Wood", se remémore ses dix-huit ans, lorsque, étudiant, son
meilleur ami, Kizuki, se suicide et laisse esseulée son amie, Naoko. Toru, en s'efforçant de soutenir Naoko, finit par tomber désespérément amoureux d'elle. Mais la mort de Kizuki (''Death is not
the opposite of life but an innate part of life'') a précipité le jeune femme dans la dépression, la voici cherchant de l'aide auprès d'un établissement psychiatrique, tandis que Toru ne cesse de
lui rendre visite. Uun début d'intimité se crée entre Toru et Naoko, par le biais de Reiko, co-locataire de la jeune femme. Mais Toru, entre-temps rencontre Midori, une jeune femme aux antipodes
de Naoko, et s'ouvre à elle de son histoire d'amour. Les conséquences s'enchaînent, l'état mental de Naoko s'aggrave, Midori rompt toute relation avec Toru, Naoko se suicide. Toru semble
avoir tout perdu. Reiko lui redonne goût à la vie. Roman commercial, dira-t-on, mais roman culte d'une génération, qui se vendra à plus de 4 millions d'exemplaires au Japon, 2.5 millions aux
USA...
"The Wind-Up Bird Chronicle" (Nejimaki-dori kuronikuru, 1994)
"I realize full well how hard it must be to go on living alone in a place from which someone has left you, but there is nothing so cruel in this world as
the desolation of having nothing to hope for" - "The Wind-Up Bird Chronicle" (Chroniques de l'oiseau à ressort, Seuil), écrit alors que Murakami enseignait à Princeton et à Tufts, est à la fois
roman policier et épopée existentielle de 600 pages d'un mariage qui se désintègre, avec pour toile de fond une banlieue de Tokyo, et pour personnage principal, un jeune homme, Toru Okada,
qui cherche le chat disparu de sa femme, Kumiko Okada, et se retrouve en quête de sa femme elle-même, plongeant dans un monde souterrain ignoré de Tokyo. Okada va rencontrer au gré de son périple
une prostituée psychique, un politicien malveillant et médiocre, une adolescente morbide et un ancien combattant vieillissant qui ne s'est jamais remis de ses campagnes en Mandchourie, les mille
et une facettes d'un monde en partie occulté par la "réalité"...
"Underground" (1997, Andāguraundo)
"I’ve found that in this gigantic capitalist society, it is difficult to be an individual' -L'impensable s'est produit le lundi 20 mars 1995 lorsque cinq
membres du culte religieux Aum Shinrikyo ont mené une guerre chimique dans le métro de Tokyo en utilisant du sarin, un gaz toxique vingt-six fois plus dangereux que le cyanure. Un grand réseau de
transport urbain était devenu la cible d'une attaque terroriste. Haruki Murakami décide de comprendre le pourquoi de cette action et se livre à nombre d'entretiens avec des personnes qui ont vécu
la catastrophe, un employé de la Subway Authority coupable d'avoir survécu, un vendeur de mode qui met en cause les médias, un jeune adepte qui, s'il condamne l'attaque, reste fidèle à Aum. S'il
parvient à mettre en lumière bien des aspects singuliers de la psyché japonaise, Murakami reconstruit avec précision un évènement dramatique qui, au fond, aurait pu se produire en tout lieu et en
tout temps. "Why Hayashi—a senior medical doctor with an active “front-line” track record at the Ministry of Science and Technology—was chosen to carry out this mission remains unclear, but
Hayashi himself conjectures it was to seal his lips. Implication in the gas attack cut off any possibility of escape. By this point Hayashi already knew too much. He was devoted to the Aum cult
leader Shoko Asahara, but apparently Asahara did not trust him. When Asahara first told him to go and release the sarin gas Hayashi admitted: “I could feel my heart pounding in my chest—though
where else would my heart be?..."
"Sputnik Sweetheart" (1999, Supūtoniku no koibito, Les Amants du Spoutnik)
“Why do people have to be this lonely? What’s the point of it all? Millions of people in this world, all of them yearning, looking to others to satisfy
them, yet isolating themselves. Why? Was the earth put here just to nourish human loneliness?” - "Sputnik Sweetheart" semble surgir du quotidien de la vie, nous sommes en 1957, et le
satellite russe Spoutnik tourne autour de notre planète, mais nous découvrons progressivement avec le narrateur un monde en proie à des âmes divisées et de mystérieuses disparitions. Et une fois
de plus, Haruki Murakami nous montre des femmes dont la vie intérieure paraît extrêmement compliquée, et qui nous entraînent vers l'autre monde, celui des rêves, avec un personnage central,
masculin, que sa froideur et son détachement de la vie rendent attirant. Le narrateur, K, est un jeune homme de 25 ans, solitaire, réfléchi, amoureux de Sumire, une jeune femme qui a abandonné
l'université et est déterminé à devenir romancière, ne serait-ce déjà par sa façon de vivre, sauvage et dissolue. Ignorant les sentiments de K, elle rencontre Miu, une femme d'affaires coréenne
plus âgée, énigmatique et sophistiquée. Le titre du roman vient d'une conversation dans laquelle Miu et Sumire discutent de Jack Kerouac, et Miu confond le mot "beatnik" avec le mot "Spoutnik".
Spoutnik signifie aussi "compagnon de voyage", ce que Sumire sera plus tard en relation avec Miu. Elles partent en effet toutes deux en voyage, en Europe puis vers une île grecque, c'est alors
que l'intrigue s'emballe, et que Miu en appelle à K : Sumire a disparu, s'est-elle suicidée? K trouve l'ordinateur de Sumire et une disquette contenant deux documents, s'ouvre alors pour lui un
monde parallèle dans lequel Sumire s'est laissée entraînée pour retrouver la véritable nature de Miu. K retourne au Japon, débute une seconde intrigue qui prend fin lorsque K reçoit un appel de
Sumire qui lui demande de venir la chercher...
"After the Quake" (2000)
"Our hearts are not stones. A stone may disintegrate in time and lose its outward form. But hearts never disintegrate. They have no outward form, and
whether good or evil, we can always communicate them to one another. All God’s children can dance." - Chacune des six nouvelles qui composent "After the Quake" se déroule au lendemain du
tremblement de terre de Kobe (The Great Hanshin earthquake) qui frappa le Japon le 16 janvier 1995 (6.437 morts et plus de 40.000 blessés). A l'image d'une sourde et soudaine catastrophe qui
surgit, destructrice, des entrailles de la Terre, au-delà de toute anticipation visible, notre quotidien est lui aussi à sa mesure façonné par de brusques mouvements équivalents, imprévisibles,
psychologiques, émotionnels et violents, et non sans conséquences parfois décisives : et lorsque Murakami, dans un monde où l'on ne peut même pas compter sur le sol sous nos pieds, évoque toute
la palette des émotions humaines, c'est toujours sous un angle des plus étranges et surnaturel, fouiller à la surface des choses n'est jamais suffisant. "UFO in Kushiro" (UFO ga Kushiro
ni oriru) conte l'histoire d'un jeune vendeur d'électronique, Komura, qui part livrer ,à la demande de son associé, un paquet énigmatique à un étranger, après que sa femme l'ait brusquement
quitté après avoir passé des jours entiers à regarder les scènes de dévastation à la télévision. "Landscape with Flatiron" est le titre d'une oeuvre du peintre Miyake qui invite un soir
Junko, qui s'est enfuie de chez elle, et Keisuke, surfeur et passionné de musique rock, pour le rejoindre sur une plage et allumer ensemble un feu de joie, les voici évoquant Jack London et la
Mort.
"All God's Children Can Dance" (Kami no kodomotachi wa mina odoru), suit un jeune homme, Yoshiya, dont la mère lui a répété toute son enfance qu'il était l'enfant de Dieu, et de fait les circonstances de sa naissance sont en effet étranges. Un jour le voici convaincu d'avoir trouvé son père, il suit et entame une danse des plus singulières. Dans "Superfrog Saves Tokyo" (Kaeru-kun, Tōkyō o sukuu), Katagiri, un empoyé de banque reçoit la visite d'une grenouille géante qui lui demande de l'aider à sauver Tokyo de la destruction, en combattant Worm, un ver monstrueux, une créature souterraine qui absorbe la haine, l'excrétant sous forme de tremblements de terre. Dans "Thailand", Satsuki, endocrinologue, prend des vacances en Thaïlande, avec pour guide son chauffeur, Nimit, sage et plus âgé, qui la conduit, le dernier jour, auprès d'une vieille femme dans un quartier pauvre de la ville. "Honey Pie" met en scène trois personnages, dont Junpei, un jeune écrivain qui écrit des nouvelles et souffre d'un amour non partagé, du moins pense-t-il, sa passion pour Sayoko, la femme d'un ami, Takatsuki, et la réalisation de cette passion constitue la trame de son histoire.
"Kafka on the Shore" (Umibe no Kafuka, 2002)
"Closing your eyes isn’t going to change anything. Nothing’s going to disappear just because you can’t see what’s going on…. Keep your eyes wide open. Only
a coward closes his eyes..." - Souvent considérée comme l'introduction parfaite à l'univers littéraire de Haruki Murakami, "Kafka on the Shore" conte l'histoire de deux personnages, un
adolescent, Kafka Tamura, qui s'enfuit de chez lui pour échapper à une horrible prophétie œdipienne ou pour chercher sa mère et sa sœur longtemps disparues, et Satoru Nakata, une "ardoise
blanche" qui parle aux chats et qui semble attiré vers Kafka pour des raisons qu'il ne comprend pas. Ici les chats parlent et les poissons tombent du ciel, les esprits sortent de leur corps pour
faire l'amour ou commettre un meurtre, Johnnie Walker sanglé dans sa redingote rouge et le haut-de-forme vissé sur le crâne incarne un tueur de chats, les références à la musique classique et à
la culture pop abondent, autant que les protagonistes perdus et errants. David Lynch aurait pu adapter ce roman, selon Haruki Murakami...
"My brain like a sponge, I focused on every word said in class and let it all sink in, figured out what it meant, and committed everything to memory. Thanks to this, I barely had to study outside of class, but always came out near the top on exams. My muscles were getting hard as steel, even as I grew more withdrawn and quiet. I tried hard to keep my emotions from showing so that no one—classmates and teachers alike—had a clue what I was thinking. Soon I’d be launched into the rough adult world, and I knew I’d have to be tougher than anybody if I wanted to survive. My eyes in the mirror are cold as a lizard’s, my expression fixed and unreadable. I can’t remember the last time I laughed or even showed a hint of a smile to other people. Even to myself.
I’m not trying to imply I can keep up this silent, isolated facade all the time. Sometimes the wall I’ve erected around me comes crumbling down. It doesn’t happen very often, but sometimes, before I even realize what’s going on, there I am—naked and defenseless and totally confused. At times like that I always feel an omen calling out to me, like a dark, omnipresent pool of water.
A dark, omnipresent pool of water.
It was probably always there, hidden away somewhere. But when the time comes it silently rushes out, chilling every cell in your body. You drown in that cruel flood, gasping for breath. You cling to a vent near the ceiling, struggling, but the air you manage to breathe is dry and burns your throat. Water and thirst, cold and heat—these supposedly opposite elements combine to assault you. The world is a huge space, but the space that will take you in—and it doesn’t have to be very big—is nowhere to be found. You seek a voice, but what do you get? Silence. You look for silence, but guess what? All you hear over and over and over is the voice of this omen. And sometimes this prophetic voice pushes a secret switch hidden deep inside your brain. Your heart is like a great river after a long spell of rain, full to the banks. All signposts that once stood on the ground are gone, inundated and carried away by that rush of water. And still the rain beats down on the surface of the river. Every time you see a flood like that on the news you tell yourself: That’s it. That’s my heart."
"Je me suis concentré, ai transformé mon cerveau en éponge et me suis imprégné de tout ce qui était dit en classe. J 'ai compris le contenu des cours, l`ai mémorisé dans le temps limité des heures de classe et, grâce à ça, même sans travailler beaucoup en dehors, je suis parvenu à me maintenir en tête aux examens. Je suis devenu aussi fort que si mes muscles étaient en métal, et de plus en plus taciturne. Je me suis efforcé de ne jamais montrer mes émotions, de dissimuler ce que je pensais, aussi bien aux profs qu'à mes camarades de classe. Bientôt, j`allais me retrouver lancé dans le monde sans pitié des adultes et pour pouvoir y survivre seul, il fallait que je devienne plus fort que n'importe qui.
En me regardant dans le miroir, je voyais bien que mes yeux avaient un éclat aussi froid que celui d'un lézard, et que mon visage était de plus en plus inexpressif. Je ne me rappelais plus quand j'avais ri pour la dernière fois. Je n'adressais jamais un sourire à personne. Pas même à mon reflet. Mais je ne pouvais pas me maintenir en permanence dans cette solitude paisible. Le mur que j'avais érigé autour de moi s'écroulait parfois. Pas très souvent, mais cela arrivait. Le mur disparaissait avant même que je m'en sois rendu compte, et je me retrouvais tout nu, exposé au monde. Dans ces moments-là, j'étais dans la confusion la plus totale. Et, il y avait aussi la prédiction.
La prédiction, pareille à une étendue d'eau noire.
La prédiction, constamment présente, telle une mystérieuse étendue d'eau noire.
D'ordinaire, elle se dissimule quelque part dans un lieu inconnu. Mais, quand le moment vient, elle s'avance sans bruit, et vient glacer chaque cellule de ton corps, et toi, tu te noies, pantelant, dans cette eau qui monte implacablement. Tu t'accroches à une bouche d'aération proche du plafond, et essaies désespérément d'aspirer l'air du dehors. Mais l'air que tu respires est sec et te brûle la gorge. Des éléments normalement opposés, l'eau et la sécheresse, le froid et le chaud, rassemblent leurs forces pour te terrasser.
Dans l'immensité du monde, tu ne vois nulle part d'espace pour toi - un espace minuscule te suffirait, pourtant. Tu cherches une voix, mais ne rencontres qu'un profond silence. A l'inverse, quand tu réclames le silence, c'est la voix de la prédiction qui se fait entendre sans fin. Et, de temps en temps, cette voix prophétique appuie sur un bouton secret dissimulé au fond de ton cerveau. Ton esprit ressemble à un vaste fleuve en crue après une longue période de pluies. Tous les poteaux de signalisation ont disparu sous l'eau, et ont peut-être déjà été entraînés vers un lieu obscur. Et la pluie continue à frapper violemment la surface du fleuve. C'est ce que tu te dis chaque fois que tu vois des images d'inondation au journal télévisé: « Voilà exactement à quoi ressemble mon esprit. »
"Before running away from home I wash my hands and face, trim my nails, swab out my ears, and brush my teeth. I take my time, making sure my whole body’s well scrubbed. Being really clean is sometimes the most important thing there is. I gaze carefully at my face in the mirror. Genes I’d gotten from my father and mother—not that I have any recollection of what she looked like—created this face. I can do my best to not let any emotions show, keep my eyes from revealing anything, bulk up my muscles, but there’s not much I can do about my looks. I’m stuck with my father’s long, thick eyebrows and the deep lines between them. I could probably kill him if I wanted to—I’m sure strong enough—and I can erase my mother from my memory. But there’s no way to erase the DNA they passed down to me. If I wanted to drive that away I’d have to get rid of me.
There’s an omen contained in that. A mechanism buried inside of me.
A mechanism buried inside of you.
I switch off the light and leave the bathroom. A heavy, damp stillness lies over the house. The whispers of people who don’t exist, the breath of the dead. I look around, standing stock-still, and take a deep breath. The clock shows three p.m., the two hands cold and distant. They’re pretending to be noncommittal, but I know they’re not on my side. It’s nearly time for me to say good-bye. I pick up my backpack and slip it over my shoulders. I’ve carried it any number of times, but now it feels so much heavier.
Shikoku, I decide. That’s where I’ll go. There’s no particular reason it has to be Shikoku, only that studying the map I got the feeling that’s where I should head".
"Avant de quitter la maison, je me récure les mains et le visage avec du savon. Je me coupe les ongles, me nettoie lol oreilles, me lave les dents. Je prends mon temps pour bien me purifier. Dans certains cas, être propre est la chose la plus importante qui soit. Ensuite je me tourne vers le miroir au-dessus du lavabo, et me regarde attentivement. Ce que je vois là, ce sont les traits que j'ai hérités de mon père et de ma mère - bien qu'en ce qui la concerne, je n'aie plus le moindre souvenir. J 'aurai beau faire tout ce que je peux pour effacer toute expression de mon visage, toute lumière de mon regard, et me bâtir des muscles d'acier, jamais je ne pourrai changer mes traits. Quel que soit le désir que j'en aie, il m'est impossible d'arracher de mon visage les longs sourcils épais que je tiens de mon père et la ride qui se creuse entre eux. Si je le souhaitais vraiment, je pourrais tuer mon père (ce ne serait pas très difficile avec la force que j'ai acquise maintenant), et je serais capable aussi d`effacer complètement de ma mémoire le souvenir de ma mère. Mais je ne peux pas me débarrasser de leurs gènes. Pour cela, il faudrait que je me débarrasse de moi-même.
Et puis, il y a la prédiction. Ce mécanisme enfoui au fond de moi.
Ce mécanisme enfoui au fond de toi.
J'éteins la lumière, je sors de la salle de bains.
Un lourd silence flotte sur la maison. Chuchotements de gens qui n'existent pas, respiration de ceux qui ne sont plus. Je regarde autour de moi, je m'arrête, je prends une inspiration profonde. Les aiguilles de ma montre indiquent trois heures de l'après-midi. Elles ont l'air terriblement distantes. Elles prétendent être neutres, mais, en réalité, elles ne sont pas de mon côté. Il va être temps pour moi de quitter ce lieu. Je prends mon petit sac à dos, le mets sur mes épaules. J 'avais pourtant répété cette scène plusieurs fois, mais il me paraît
soudain plus lourd que prévu.
J'ai décidé de partir pour le Shikoku. Sans raison particulière. Simplement, en regardant la carte, j'ai pensé que c'était là que je devais me rendre... " (Kafka sur le rivage, 1018, traduction du japonais par Corinne Atlan)
"After Dark" (2004, Afutā dāku)
"In this world, there are things you can only do alone, and things you can only do with somebody else. It’s important to combine the two in just the right
amount." - "After Dark" (Le Passage de la nuit), entre minuit (11:56 p.m.) et l'aube, Tokyo se glisse dans la nuit, comme tant d'autres villes sur cette planète, l'horizon de notre monde devient
de plus en plus flou, sans limite de plus en plus tangible, notre logique se dissout, nous entrons insensiblement dans un autre monde, proies féminines, maraudeurs solitaires, forces de police,
camions à ordures, réseaux de fibres optiques, perdant notre singularité dans un mirage collectif sombre et douteux, un "oeil" au-dessus de la ville suit au hasard certains d'entre nous, gens de
la nuit, happés par de sombres desseins qui nous rassemblent jusqu'aux premières lueurs du jour. Juste avant minuit, nous rencontrons Mari, qui fume et lit un livre dans un café le restaurant
Denny's. "Sur sa table, il y a une tasse de café. Et un cendrier. À côté du cendrier, une casquette de baseball bleu marine avec un Boston Red Sox'B'. Il est peut-être un peu trop grand pour sa
tête. Un sac à bandoulière en cuir brun repose sur le siège à côté d'elle. Il bombe comme si son contenu avait été jeté à l'improviste. Elle tend la main à intervalles réguliers et porte la tasse
de café à sa bouche, mais elle ne semble pas apprécier la saveur. Elle boit parce qu'elle a une tasse de café devant elle : c'est son rôle de cliente". Avant l'aube, elle aura rencontré un
tromboniste, Takahashi, Kaoru, le gérant blond et dur à cuire d'un hôtel d'amour local, où une prostituée chinoise est battue par un homme d'affaire mystérieux. Pendant ce temps, la sœur de Mari,
Eri, mannequin de mode, sommeille depuis des mois dans l'oubli, mais survient d'étranges événements dans sa chambre, un téléviseur débranché s'allume, montrant une pièce où un homme est assis
avec un masque en cellophane, et où, plus tard, Eri sera aspirée et piégée : "ses pupilles ont pris une teinte solitaire, comme des nuages gris réfléchis dans un lac calme.."
"Eyes mark the shape of the city.
Through the eyes of a high-flying night bird, we take in the scene from midair. In our broad sweep, the city looks like a single gigantic creature—or more like a single collective entity created by many intertwining organisms. Countless arteries stretch to the ends of its elusive body, circulating a continuous supply of fresh blood cells, sending out new data and collecting the old, sending out new consumables and collecting the old, sending out new contradictions and collecting the old. To the rhythm of its pulsing, all parts of the body flicker and flare up and squirm. Midnight is approaching, and while the peak of activity has passed, the basal metabolism that maintains life continues undiminished, producing the basso continuo of the city’s moan, a monotonous sound that neither rises nor falls but is pregnant with foreboding.
Our line of sight chooses an area of concentrated brightness and, focusing there, silently descends to it—a sea of neon colors. They call this place an “amusement district.” The giant digital screens fastened to the sides of buildings fall silent as midnight approaches, but loudspeakers on storefronts keep pumping out exaggerated hip-hop bass lines. A large game center crammed with young people; wild electronic sounds; a group of college students spilling out from a bar; teenage girls with brilliant bleached hair, healthy legs thrusting out from micromini skirts; dark-suited men racing across diagonal crosswalks for the last trains to the suburbs. Even at this hour, the karaoke club pitchmen keep shouting for customers. A flashy black station wagon drifts down the street as if taking stock of the district through its black-tinted windows. The car looks like a deep-sea creature with specialized skin and organs. Two young policemen patrol the street with tense expressions, but no one seems to notice them. The district plays by its own rules at a time like this. The season is late autumn. No wind is blowing, but the air carries a chill. The date is just about to change..."
"La ville s'offre à notre regard.
Ce paysage urbain, nous l'observons à travers les yeux d'un oiseau de nuit qui volerait très haut dans le ciel. Depuis ce point de vue panoramique, la ville apparaît comme une gigantesque créature. Ou même comme un agrégat de corps vivants. S'étendant jusqu'à d'insaisissables confins, des vaisseaux sanguins, innombrables, irriguent les cellules, les régénèrent inlassablement. Les vaisseaux convoient des informations nouvelles, recyclent les anciennes. Donnent naissance à des consommations nouvelles, recyclent les anciennes. Créent de nouvelles contradictions, effacent les anciennes. En tous lieux, les corps agrégés clignotent au rythme des battements du cœur, s'échauffent, se meuvent. L'heure est proche de minuit, le pic d'activité est passé mais les échanges élémentaires indispensables au fonctionnement vital restent incessants. Tel un continuo, la ville bruit. Monotone, monocorde, intégrant cependant des pressentiments.
Une zone particulièrement lumineuse attire notre regard. Lequel opère la mise au point. Effectue une descente vers l'amas lumineux. C'est une mer de néons multicolores. Un centre-ville. Les murs d'images sur les buildings se taisent avec l'arrivée de minuit; les haut-parleurs des magasins pourtant ne relâchent pas leur flot de basses, teinté de hip-hop.
Un énorme game-center encombré de jeunes. Exubérance de sons électroniques. Un groupe d'étudiants, de retour de soirée. Des filles, moins de vingt ans, blond platine, exhibant leurs jambes fraîches sous leurs minijupes. Des salary-men qui se pressent sur les passages piétons, pour attraper le dernier train. Malgré l'heure, les rabatteurs des karaokés donnent de la voix. Un monospace tuné, noir, glisse lentement le long du boulevard, jaugeant la marchandise. Vitres opaques, équipées d'un film noir. On dirait une de ces créatures du fond des mers, pourvues d'une carapace et d'appendices respiratoires spéciaux. Deux jeunes policiers font leur ronde sur le boulevard, l'air tendu; personne ne leur prête attention. À cette heure-là, la ville fonctionne selon des principes de base qui lui sont propres. C'est la fin de l'automne. Il n'y a pas de vent mais l'air est froid. Encore un tout petit peu, et ce sera un autre jour... (Le passage de la nuit, 1018, traduction de japonais par Helène Morita).
"What I Talk About When I Talk About Running"
(2007, Hashiru koto ni tsuite kataru toki ni boku no kataru koto)
"Pain is inevitable. Suffering is optional" - "What I Talk About When I Talk About Running" (Autoportrait de l'auteur en coureur de fond) constitue un
recueil très personnel dans lequel Murakami Haruki livre souvenirs et pensées, entrelaçant singulièrement sa passion pour le marathon de New York et celle pour l'écriture. "I’m on Kauai, in
Hawaii, today, Friday, August 5, 2005. It’s unbelievably clear and sunny, not a cloud in the sky. As if the concept clouds doesn’t even exist. I came here at the end of July and, as always, we
rented a condo. During the mornings, when it’s cool, I sit at my desk, writing all sorts of things. Like now: I’m writing this, a piece on running that I can pretty much compose as I wish. It’s
summer, so naturally it’s hot. Hawaii’s been called the island of eternal summer, but since it’s in the Northern Hemisphere there are, arguably, four seasons of a sort. Summer is somewhat hotter
than winter. I spend a lot of time in Cambridge, Massachusetts, and compared to Cambridge—so muggy and hot with all its bricks and concrete it’s like a form of torture—summer in Hawaii is a
veritable paradise. No need for an air conditioner here—just leave the window open, and a refreshing breeze blows in. People in Cambridge are always surprised when they hear I’m spending August
in Hawaii. “Why would you want to spend summer in a hot place like that?” they invariably ask. But they don’t know what it’s like. How the constant trade winds from the northeast make summers
cool. How happy life is here, where we can enjoy lounging around, reading a book in the shade of trees, or, if the notion strikes us, go down, just as we are, for a dip in the
inlet..."
"1Q84" (Ichi-kyū-hachi-yon , trois tomes, 2009-2010)
"I’m like someone who’s been thrown into the ocean at night, floating all alone. I reach out, but no one is there. I call out, but no one answers. I have no
connection to anything." - Une oeuvre extravagante de 1000 pages que Murakami Haruki mit 4 ans à écrire et qui fait clairement référence au 1984 de George Orwell, mais sous l'inspiration de
Dostoïevski, ajoutera-t-il (le dernier roman de Dostoïevski, Les Frères Karamazov, peut être considéré comme "le but ultime que j'atteins dans mes romans", "il est tout simplement rempli de
toutes sortes d'éléments importants caractéristiques du roman"). 1Q84 voit une jeune femme, thérapeute et tueuse à gages, nommée Aomame, à Tokyo, en 1984, se prendre au jeu des suggestions
énigmatiques d'un chauffeur de taxi et commencer à remarquer d'étranges détails dans le monde qui l'entoure, semblant entrer dans une existence parallèle, qu'elle appelle 1Q84 (Q est pour le
point d'interrogation). Parallèlement, un mathématicien, écrivain débutant, Tengo Kawana, se lance dans un projet d'écriture qui imprègne tant sa vie qu'elle s'effrite progressivement. Les deux
récits vont ainsi converger dans un dédale de rencontres imaginaires...
"Men Without Women" (Onna no inai otokotachi, 2014)
"Dreams are the kind of things you can–when you need to–borrow and lend out..." - A travers sept récits, - "Drive My Car", "Yesterday", "An Independent
Organ", "Scheherazade", "Kino", "Samsa in Love", "Men Without Women" -, Haruki Murakami observe des hommes qui, qu'ils soient médecins ou étudiants, ex-petits amis ou acteurs, ou personnages
littéraires tels que Gregor Samsa de Kafka, plongent dans la solitude, ayant perdu leurs femmes dans diverses circonstances...
"The call came in after one a.m. and woke me up. Phones ringing in the middle of the night always sound harsh and grating, like some savage metal tool
out to destroy the world. I felt it was my duty, as a member of the human race, to put a stop to it, so I got out of bed, padded over to the living room, and picked up the
receiver.
A man’s low voice informed me that a woman had vanished from this world forever. The voice belonged to the woman’s husband. At least that’s what he
said. And he went on. My wife committed suicide last Wednesday, he said. In any case, I thought I should let you know. In any case. As far as I could make out, there was not a drop of emotion in
his voice. It was like he was reading lines meant for a telegram, with barely any space at all between each word. An announcement, pure and simple. Unadorned reality.
Period..."
"Le téléphone me réveilla peu après 1 heure du matin. La sonnerie d'un téléphone en pleine nuit, c'est toujours brutal. Cela peut faire penser à quelqu'un qui essaierait de démolir le monde à l'aide d'une lourde barre de fer. En tant que membre de l'espèce humaine, il fallait que j'y mette un terme. C'est pourquoi je quittai mon lit, me dirigeai vers le salon et soulevai le combiné.
La voix grave d'un homme m'informa qu'une femme avait quitté notre monde à tout jamais. Le possesseur de cette voix était le mari de cette femme. Du moins se définit-il ainsi. Sa femme avait mis fin à ses jours mercredi de la semaine précédente, dit-il, et, de toute manière, il voulait me faire part de cette nouvelle. "De toute manière." Dans ce que j'en entendis, pas la moindre émotion n'était perceptible au ton de sa voix. Il parlait en style télégraphique.
Sans faire de pause entre les mots. Une pure annonce.
Un fait brut. Point."
(1018, traduction du japonais par Hélène Morita)
"Killing Commendatore" (Kishidancho Goroshi, 2017)
"Killing Commendatore" (Le Meurtre du Commandeur, Éditions Belfond) débute par la découverte par un jeune peintre, retiré dans la solitude, d'une oeuvre
inédite, cachée au fond du grenier, dans la maison d'un artiste célèbre nommé Amad Tomohiko, avec qui lui et son fils sont amis depuis ses études d'art. Notre héros, anonyme, entend parfois des
bruissements dans ce grenier et décide de s'y rendre : il y découvre un tableau enveloppé dans du papier brun, une œuvre inconnue d'Amada, dans laquelle une scène sanglante de Don Juan est
représentée dans le style du Japon ancien (le titre du roman fait lui-même référence à l'opéra de Mozart), parmi les quatre personnages, dans le coin inférieur gauche du tableau, un visage
énigmatique tout en longueur. Le voici entraîné dans une suite d'évènements étranges, il se réveille au milieu de la nuit surpris pas le silence, entre dans la cuisine pour se verser un whisky,
entend les sons lointains d'une cloche, des sons qui proviennent d'un petit sanctuaire, derrière celui-ci, il y a une colline tombale....
"Today when I awoke from a nap the faceless man was there before me. He was seated on the chair across from the sofa I’d been sleeping on, staring
straight at me with a pair of imaginary eyes in a face that wasn’t.
The man was tall, and he was dressed the same as when I had seen him last. His face-that-wasn’t-a-face was half hidden by a wide-brimmed black hat, and
he had on a long, equally dark coat.
“I came here so you could draw my portrait,” the faceless man said, after he’d made sure I was fully awake. His voice was low, toneless, flat. “You
promised you would. You remember?”
“Yes, I remember. But I couldn’t draw it then because I didn’t have any paper,” I said. My voice, too, was toneless and flat. “So to make up for it I
gave you a little penguin charm.”
“Yes, I brought it with me,” he said, and held out his right hand. In his hand—which was extremely long—he held a small plastic penguin, the kind you
often see attached to a cell phone strap as a good-luck charm. He dropped it on top of the glass coffee table, where it landed with a small clunk.
“I’m returning this. You probably need it. This little penguin will be the charm that should protect those you love. In exchange, I want you to draw my
portrait.”
I was perplexed. “I get it, but I’ve never drawn a portrait of a person without a face.”
My throat was parched...."
"Colorless Tsukuru Tazaki and His Years of Pilgrimage" (2013, Shikisai o motanai Tazaki Tsukuru to, kare no junrei no toshi, L'Incolore Tsukuru Tazaki et
ses années de pèlerinage)
Murakami est devenu un phénomène littéraire mondial qui publie chaque année des fictions qui semblent se composer naturellement et le plus souvent, comme
ici, conte l'histoire d'un jeune Japonais solitaire dont le présent est étrangement vide et le passé marqué par un évènement douloureux dont il ne parvient pas à comprendre la signification.
Adolescent, étudiant, Tazaki Tsukuru a subi une rupture, rejeté du cercle étroit d'amis qui donnait sens à sa vie, des amis qui portaient tous un connotation colorée, Akamatsu (rouge), Oumi
(bleue), Shirane (blanche), Kurono (noir) : mais il s'avère que même lorsque Tsukuru appartenait à ce groupe, il s'y est senti progressivement étranger, progressivement "incolore". Il se sent
confusément manquer de personnalité, le voici hanté par des idées suicidaires, et pourtant menant par ailleurs une vie des plus ordinaires. Il est concepteur de gares ferroviaires, poursuit une
vie amoureuse qui ne mène jamais nulle part jusqu'à ce qu'il rencontre Sara Kimoto, qui travaille dans une agence de voyage de Tokyo. Elle va et vient dans sa vie et le pousse à
entreprendre un voyage sur lui-même, à se lancer dans une quête qui va le ramener dans sa ville natale de Nagoya et même en Finlande, dans l'espoir de reconstituer les détails de son passé
et de découvrir s'il est la cause de l'indifférence qu'il a si douloureusement ressenti de la part de ses amis. Quête au cours de laquelle il va prendre quelque "couleur", et nous entraîner dans
un emboîtement de récits et d'expériences émotionnelles, l'histoire notamment de Fumiaki Haida (Gris), son seul et meilleur ami avec lequel il écoutait Les Années de pèlerinage de Liszt (Le Mal
du Pays), une pièce de musique qui lui reste comme le seul lien de ses amitiés passées. Murakami semble nous dire que notre entourage le plus proche, notre tout premier cercle d'amitié, définit
qui nous sommes, ce que nous devenons, avec le risque de tomber dans un sentiment de vide absolu comme si nous perdions un être cher...
"From July of his sophomore year in college until the following January, all Tsukuru Tazaki could think about was dying. He turned twenty during this
time, but this special watershed—becoming an adult—meant nothing. Taking his own life seemed the most natural solution, and even now he couldn’t say why he hadn’t taken this final step. Crossing
that threshold between life and death would have been easier than swallowing down a slick, raw egg.
Perhaps he didn’t commit suicide then because he couldn’t conceive of a method that fit the pure and intense feelings he had toward death. But method
was beside the point. If there had been a door within reach that led straight to death, he wouldn’t have hesitated to push it open, without a second thought, as if it were just a part of ordinary
life. For better or for worse, though, there was no such door nearby.
I really should have died then, Tsukuru often told himself. Then this world, the one in the here and now, wouldn’t exist. It was a captivating,
bewitching thought. The present world wouldn’t exist, and reality would no longer be real. As far as this world was concerned, he would simply no longer exist—just as this world would no longer
exist for him.
At the same time, Tsukuru couldn’t fathom why he had reached this point, where he was teetering over the precipice. There was an actual event that had
led him to this place—this he knew all too well—but why should death have such a hold over him, enveloping him in its embrace for nearly half a year? Envelop—the word expressed it precisely. Like
Jonah in the belly of the whale, Tsukuru had fallen into the bowels of death, one untold day after another, lost in a dark, stagnant void..."
Taeko Kôno (1926-2015)
Dans une société comme celle du Japon, tout va bien tant que les secrets restent confinés au plus profond de notre intimité. Native d'Ôsaka, d'une famille
de commerçants qui sera ruinée par la guerre, Taeko Kôno goûte le côté obsesionnel d'écrivains comme Kyôka Izumi (1873-1939) et surtout de Junichirô Tanizaki (1886-1965), rendu célèbre pour sa
nouvelle "Shisei" (The Tattooer, Le Tatouage, 1910), un sommet de la cruauté raffinée, mais aussi pour "Chijin no ai" (Naomi, Un amour insensé, 1924), "In'ei raisan" (Éloge de l'ombre, In Praise
of Shadows, 1933), et son chef-d'œuvre, "Sasameyuki" (The Makioka Sisters, Quatre sœurs, 1943). Dans un contexte de bouleversement social et culturel où se juxtaposaient les traditions
occidentales et japonaises, la dynamique de la vie familiale semblait s'enfermer dans l'intimité d'une obsession érotique destructrice. L'identité s'affirmait non pas socialement mais au travers
de la sublimation du sexe et de la souffrance. Taeko Kôno gagne Tokyo en 1952 où elle exerce de nombreux petits métiers et parvient enfin en 1960 à pouvoir se consacrer entièrement à la
littérature : la revue littéraire Shinchōsha a commencé à publier ses histoires en 1961.
C'est sous couvert de personnages féminins à la limite du pathologique et du sado-masochisme que Taeko Kôno va explorer le quotidien. Les femmes qu'elle dépeint semblent par une soudaine impulsion s'installer dans un désir obsessionnel qui devient progressivement l'incontournable réalité de leur existence, estompant cette autre vie qui fut la leur, forcées de vivre sous des contraintes psychologiques, voire culturelles, qu'elles ne pouvaient supporter : "Yôjigari" (La chasse à l'enfant, Toddler-Hunting, 1962), recueil de nouvelles dont l'une d'entre elles, la plus célèbre, relate en profondeur l'aversion d'une femme pour les enfants, "Kani" (Le Crabe, 1963), "Saigo no toki" (Le dernier moment, 1967) fait le constat dramatiquement désenchanté de la vie de couple, "Fui no koe" (Une voix inattendue, 1969) conte l'histoire d'Ukiko hanté par la mort de son père et qui ne maîtrise ses relations avec autrui qu'en imaginant tuer les êtres qui pourraient contrôler sa vie, dans "Yuki" (Snow, La Neige), le personnage principal risque de sombrer psychologiquement pour devoir assumer l'infidélité de son père et la dramatique folie de sa belle-mère...
"Une voix soudaine" (Fui no Koe, A Sudden Voice, 1969)
"Ukiko a cessé d'aimer son mari, Kiichi qui, le soir, rentre à la maison, ivre mort ou en compagnie de collègues avec lesquels il se saoule devant elle.
Hantée par ses angoisses d'enfance et d'adolescence, tourmentée par la mort de son père qu'elle redoutait dans sa jeunesse, elle sombre progressivement dans une sorte de calme folie. Elle reçoit,
de façon inopinée mais récurrente, la visite du fantôme de son père, décédé sept ans plus tôt. Avec sérénité, le mort oriente sa vie, en lui donnant une série de conseils meurtriers. Ukiko va
accomplir trois crimes rituels, dont seront victimes sa mère, un petit garçon (le fils d'un ancien amant) et un inconnu. Dans un style étonnamment froid et réaliste, qui suit pas à pas une
existence apparemment affranchie de tout affect, la grande romancière japonaise décrit minutieusement un univers mental qui a perdu tout repère moral et sentimental. Ça et là, sont donnés des
indices de la perte du contrôle de soi, mais le lecteur n'est jamais plongé dans un univers fantastique, en dépit de l'apparition du spectre et de quelques scènes terrifiantes. Rares sont les
romans dotés de cette logique implacable et glacée dans l'analyse du mal. Sans avoir recours aux moyens psychologiques habituels, Taeko Kôno nous permet de pénétrer, par un juste dosage des
ellipses et des répétitions, dans le chaos intérieur de son héroïne." (Editions du Seuil, traduit du japonais par Ryôji Nakamura et René de Ceccatty)
"Yōjigari" (1961-1966, La Chasse à l'enfant, Toddler-Hunting)
Deux recueils, "La Chasse à l'enfant" (Editions du Seuil, traduction Cécile Sakai), comporte six nouvelles (La Chasse à l'Enfant, Les Crabes, La Neige,
Derrière les murs, Théâtre, Derniers Instants); "Toddler-Hunting and other stories" (New Directions, traduction Lucy North) comporte Snow, Theater, Final Moments, Ants Swarm, Toddler Hunting,
Night Journey.
Taeko Kôno a écrit ces nouvelles entre 1961 et 1969, à une époque où Jakuchō Setōchi (1922), avec "Natsu no owari" (The End of Summer, 1963), et
Setsuko Tsumura (1928), "Yakoodokei" (Luminous Watch, 1969), contestaient le rapport de soumission de l'épouse japonaise à son mari, a contrario de la femme occidentale totalement
ouverte à la socialisation. Les nouvelles de Taeko Kôno montre des femmes aux prises avec leurs nouvelles libertés, mais plus encore aux prises avec la puissance du désir, du pouvoir et du désir.
Toute la force de Taeko Kôno réside justement dans le fait que ses protagonistes s'assument jusqu'au bout, et cela les conduit à endosser tout au long de l'intrigue, fatale, une liberté qui se
révèle subversive et paraître choquante. Tout le talent de Taeko Kôno réside dans le dénouement au bout duquel chaque femme, chaque épouse, aura pris en charge pleinement son identité la plus
intime, affronté des vérités dissimulées ou réprimées, au risque de se perdre socialement ou psychologiquement....
"Homme ou femme, jeune ou vieux, aucun être humain ne répugnait autant à Akiko Hayashi qu'une petite fille - surtout entre trois et dix ans. Si, comme les autres, Akiko s'était mariée et avait eu un enfant, il aurait eu à peu près cet âge. Et souvent elle se demandait comment
elle aurait réagi si cela avait été une petite fille. Bien des hommes ont commencé par détester les enfants, avant de fondre plus tard de tendresse devant leur progéniture. Mais Akiko ne parvenait même pas à imaginer comment l'amour maternel, dont elle se sentait de
toute façon plutôt dépourvue, pourrait venir à bout de la répulsion qu'elle éprouvait à l'égard des petites filles. Pourtant elle ne détestait pas les petites Occidentales, fussent-elles de cet âge-là, qu'elle trouvait assez mignonnes, peut-être parce que dans une autre race les
similitudes comme les différences entre hommes et femmes lui semblaient estompées. La seule solution aurait peut-être été d°épouser un étranger, et de donner naissance à une petite fille de sang mêlé, mais elle était persuadée que, dans tous les autres cas de figure, elle serait devenue une mère excessivement indigne. Car la répulsion qu'elle éprouvait était si forte qu`elle aurait eu beau l'extérioriser - par la froideur ou la méchanceté - cela n'y aurait rien changé.
Cela n'avait pas plus à voir avec l'aversion que lui inspiraient par exemple les femmes de sa génération, à la fois belles, heureuses et hautaines, ou les adolescents bouffis d'orgueil, ou bien encore les vieillards égocentriques. Non, c'était plutôt une phobie, comme celle
qu'éprouvent envers les serpents, les chats ou les grenouilles ceux qui les ont en horreur. Et puis Akiko ne pouvait souffrir l'idée qu'autrefois elle aussi avait été une petite fille.
Pourtant, cela avait été la période la plus heureuse de sa vie ; pas le moindre souvenir pénible pour entacher sa mémoire. Elle avait peut-être reçu plus de bonheur qu'aucun autre enfant dans ce monde et, de fait, elle était une petite fille pleine d'entrain. Toutefois, sous ce ciel d'azur sans l'ombre d'un nuage, tout au fond d'elle-même, une impression étrange et sourde la tenaillait - quelque chose d'haïssable, d'abominable, qui agressait ses sens, comme si elle avait été obligée de marcher indéfiniment le long d'un tunnel profond et interminable, comme si une substance invisible mais visqueuse suintait de tout son corps, comme si, enfin, elle avait été l'objet d'une malédiction.
Un jour, le cours de sciences naturelles avait été consacré aux vers à soie ; le professeur avait alors incisé un cocon avec un scalpel. A l'instant où elle découvrit la chrysalide remuant imperceptiblement, Akiko crut reconnaître dans cette larve obscure et répugnante, entravée par les fils qu'elle avait sécrétés, l'impression même qui ne cessait de la hanter.
En outre, elle était intimement convaincue, et ce sans pouvoir se l'expliquer, que toutes les petites filles de son âge partageaient cette impression étrange et désagréable tapie au fond d'elle, et que, en revanche, les grandes, les adultes et les garçons étaient épargnés.
Le fait est qu'Akiko sentit cette impression refluer dès qu'elle eut atteint ses six ans; elle se trouva, soudain, propulsée dans un univers vaste et rafraîchissant. Et c'est aussi à partir de ce moment que commença à grandir sa répulsion à l'égard des petites filles.
Plus celles-ci étaient marquées par les caractéristiques de leur âge, moins Akiko pouvait les supporter. Leur teint laiteux, leur corps dodu, leur coupe au carré - le creux de la nuque encore bleui par un rasage récent -, leur voix curieusement égale, perçante et humide, jusqu'aux couleurs et aux formes des objets qui leur appartenaient, tout en elles lui semblait provenir de cette obscurité, de cette abjection originelles, et Akiko se sentait incapable de les toucher, voire de les regarder en face. Les choses en étaient restées là depuis lors.
En revanche, Akiko s'était aperçue un jour qu'elle aimait particulièrement les petits garçons de cet âge. Depuis quand en allait-il ainsi? Elle l'ignorait, mais incontestablement ce sentiment se renforçait d'année en année et s'était exacerbé ces derniers temps." (La chasse à l'enfant, éditions du Seuil, traduction du japonais par Cécile Sakai, 1990)
Dans "Snow" (Yuki, 1962), Hayako assiste à la veillée funèbre de sa mère adoptive et s'interroge sur l'authenticité de sa relation avec elle. Mais cette mort est aussi l'occasion pour Hayako de régler ses comptes avec son passé et de se libérer de ses traumatismes d'enfant : comme sa mère, Hayako souffrait de fortes migraines dès les premières chutes de neige. Son traumatisme a pour origine un acte insensé de sa mère enterrant sa demi-sœur dans la neige jusqu'à ce qu'elle meure de froid. Hayako, née de la maîtresse de son père, a du assumer l'identité de sa sœur pour étouffer le drame. Elle a ainsi l'impression d'avoir vécu comme sa sœur aînée et non en tant qu'elle-même. Elle a ainsi à payer le double prix pour le meurtre de sa mère et l'adultère de son père. Substitut d'une âme morte, elle survit dans un état permanent de désincarnation, un état qui devient plus aigu pendant les tempêtes de neige. Le corps est ainsi vécu comme une entité séparée de l'esprit, abandonné à des désirs inconscients et contradictoires, un corps qu'il faut contrôler pour ne pas sombrer... Dans "Theater", une femme, Hideko, se sentant négligée par un mari lointain, décide de travailler dans la maison d'un couple étrange rencontré à l'opéra, la femme, Haru, est d'une grande beauté et l'homme, Ken, particulièrement repoussant, la première est soumise, le second dominateur, dans un jeu permanent de rôles auquel Hideko semble vouloir s'abandonner. Les femmes semblent savoir, plus que tout autre, se jouer des règles sans les abandonner complètement. Dans "Final Moments" (Saigo no toki), une femme, au bord de la mort, réalise que son mariage n'a jamais atteint cette intimité tant espérée et sans nuages avec son époux, et qu'au fond elle ne peut espérer de leur couple qu'une cohabitation de longue haleine entre deux amants délibérément provisoires.
La femme narratrice semble toujours à la dérive dans ses relations avec son partenaire. Dans "Ants Swarm" (Ari takaru, 1964), Matsuda et Fumiko semblent parfaitement en accord lorsqu'ils prétendent tous deux ne pas vouloir d'enfants, mais lorsque Fumiko s'aperçoit qu'elle est peut- être enceinte, elle remarque que Matsuda se révèle rapidement plus réceptif à l'égard d'un enfant qu'elle ne le pensait auparavant : le voir tant excité à l'idée d'être père provoque en elle jalousie et sentiment de trahison. L'enfant apparaît ainsi source de transformation profonde voir menaçante, éclairant des zones de l'esprit jusque-là tenues dans l'ombre. Dans "Toddler Hunting" (Yōji-gari), Akiko est une femme d'un certain âge qui ne peut pas avoir d'enfant. L'essentiel de l'intrigue tient à son étrange attirance pour les petits garçons âgés de trois à dix ans. Elle a ainsi l'habitude est d'acheter des vêtements pour les garçons des autres mères et de les regarder s'habiller et se déshabiller. L'obsession d'Akiko, son désir de jouer intimement avec de jeunes garçons (otoko no ko), se veut retour à l'innocence, purification, libération des obligations de l'âge adulte, au fond libération de ce qu'elle considère comme un fardeau, celui de la maternité et de l'amour maternel. Dans "Night Journey" (1963), un couple, Utako et Saeki, traverse la ville pour se rendre chez un autre couple, Fukuko et Murao, ils semblent avoir accepté d'échanger leurs conjoints, mais le temps de l'attente et de l'errance modifie la texture de l'histoire. Dans "Crabs" (Kani, 1963), Yuko qui est atteinte de tuberculose, supplie son mari de la laisser partir pour une cure de repos. Si la première partie de sa cure s'est bien déroulée, la fin de la deuxième année la voit agitée, fatiguée, et lorsque le frère de son mari, sa femme et son fils viennent lui rendre visite, Yuko se lance pour son neveu à la recherche d'une espèce particulière de crabe, dérive de ses désirs sadomasochistes...
"Hone no niku" (La chair des os, Bone Meat, 1971)
Publié en 1977 dans "the anthology Contemporary Japanese Literature" (ed. Howard Hibbett) qui rendit Taeko Kôno accessible aux lecteurs de langue anglaise.
Une femme abandonnée par son amant se laissent envahir par les infimes détails de la vie et multiples objets vestiges de son amour passé, - qu'est-ce qui est mort et qu'est-ce qui doit
survivre, ne reste du plaisir passé que ne reste que les coquilles d'huîtres... -, et sombre dans l'auto-destruction...
"Même après le commencement de la nouvelle année, la femme n'arrivait pas à se mettre dans l'idée de disposer des affaires que l'homme avait abandonnées
en même temps qu'elle. L'automne dernier, il avait plu la veille ou l'avant-veille du jour où il était parti. Elle s'était aperçue, quatre ou cinq jours plus tard, que son propre parapluie et
celui de l'homme étaient restés par terre contre la balustrade de la fenêtre. Comme elle ne gardait aucun souvenir d'avoir posé là
ces deux parapluies, c'était peut-être lui qui l'avait fait. À moins que, dans le désarroi où l'avait plongée ce départ, elle n'eût oublié un des gestes qu'elle avait fait. Les ouvrant, elle vit
que les deux parapluies avaient complètement séché, tout mal pliés qu'ils étaient. Elle remit chacun d'eux bien en ordre, ajustant soigneusement ses plis, et enroula l'attache tout autour avant
d'accrocher l'anneau de métal au bouton. Mais, quand elle eut dressé son propre parapluie dans le porte-parapluies logé parmi les étagères à chaussures, elle enveloppa dans un papier, qu'elle
ficela, celui de l'homme, avec un autre parapluie qu'elle y découvrit et lui appartenant aussi, et rangea le tout dans le placard.
N'est-ce pas aussi vers ce temps-là qu'elle jeta la brosse à dents de l'homme? Au moment où, un matin, elle allait se saisir de sa brosse à dents
personnelle, ses yeux s'arrêtèrent sur l'autre, qui se trouvait à proximité. Au bout du manche transparent bleu pâle, les poils durement maltraités s'écartaient de tous côtés. Une fois, l'homme
avait acheté, pour eux deux, un assortiment de six brosses à dents en réclame. Elle se souvenait d'en avoir acheté, elle aussi, à deux ou trois reprises. Elle ne savait pas si celle qu'il avait
laissée faisait partie ou non des six que lui avait achetées. Mais, lorsqu'elle la tint dans sa main, l'achat qu'il avait fait lui revint en mémoire et, trouvant dans le très mauvais état des
poils une bonne raison d'admettre que l'objet n'était qu'à jeter, elle le fit disparaître dans la corbeille à papiers, avec, par la même occasion, trois ou quatre lames de rasoir usagées. Elle
retira la lame engagée dans le rasoir et sur laquelle avait durci un reste de savon mêlé de poils de barbe, et elle la jeta aussi. Quant au rasoir, voyant qu'il restait encore quelques lames
neuves dans la petite boîte, elle l'enveloppa avec celle-ci dans la serviette maintenant sèche de l'homme et le rangea dans le tiroir aux sous-vêtements masculins. Ce tiroir occupait le haut de
son armoire à elle. A l'intérieur de la penderie aussi, les affaires de l'homme avaient été autrefois suspendues à côté des siennes, mais, en partant, il les avait rapidement rassemblées pour les
emporter. Elle s'était simplement aperçue par la suite qu'il restait une ceinture en lézard gris qu'il n'utilisait plus ; la couleur en avait fané, prenant par endroits une teinte châtain clair;
elle la rangea dans le même tiroir. Elle aurait dû y mettre d'autres objets appartenant à l'homme. Il devait rester deux ou trois chemises à la blanchisserie; elle s'était dit qu'elle irait les
chercher et les rangerait dans ce tiroir, mais elle ne l'avait pas encore fait. Il était improbable qu'il fût allé lui-même les chercher, mais... Elle permuta les quatre boîtes à vêtements de
l'homme, qui paraissaient inégalement pleines et se trouvaient sur le dessus de l'armoire, avec les siennes dans le placard.
L'oreiller de l'homme était resté tel quel assez longtemps. Pendant plusieurs semaines elle avait continué à jeter d'abord par terre, chaque soir,
lorsqu'elle installait sa literie, l'oreiller en question qu'elle saisissait par l'ouverture de la taie - une taie bien trop grande puisqu'elle était conçue pour deux personnes; puis elle le
relançait dans le placard, une fois la literie dehors, quitte à le ressortir le matin; c'est en remettant celle-ci dans le placard que l'idée de ranger aussi ledit oreiller lui était venue. Elle avait lavé la taie et, profitant d'un jour où les rayons faiblissants du soleil étaient un peu plus forts, elle avait
exposé l'oreiller au soleil, puis l'avait replacé dans sa taie, enveloppé dans un sac de nylon et rangé dans le placard sur les boîtes contenant les vêtements de
l'homme.
Elle savait parfaitement qu'il ne reviendrait jamais. Bien des fois, il avait adopté vis-à-vis d'elle une attitude qui l'avait malgré elle amenée à lui
dire ce qu'au fond elle ne pensait pas vraiment : "Je n'ai plus besoin de toi." Un autre jour, comme elle n'avait pu s'empêcher de lui répéter cela, il avait dit : "C'est bien ce qu'il me
semble." Là-dessus il était parti sans plus de façons. Le regret qu'elle avait conçu était cuisant. Elle regrettait amèrement d'avoir pris l'habitude de se laisser aller à dire ce qui ne
correspondait pas au fond de sa pensée, et d'avoir, en répétant ces mots ce jour-là, permis à l'homme d'en tirer immédiatement avantage. Mais, ce qui avivait encore ses regrets, c'était que son
attitude à lui, au cours des derniers temps, et la promptitude avec laquelle il avait saisi l'occasion qui se présentait, ne lui donnaient même pas le droit d'en avoir. Cette douleur-là lui avait
enlevé la force de lui courir après. Elle n'avait même plus envie de lui demander de venir chercher ses affaires, car elle était sûre de la réponse : "Fais-en ce que tu voudras." En fait, il ne
tenait probablement pas aux choses qu'il avait laissées chez elle. A mesure que leur liaison s'était affermie et que ses séjours avaient commencé à se prolonger, il lui avait bien fallu apporter
peu à peu ses effets personnels. Mais, même une fois installé pratiquement chez elle, il ne s'était jamais défait, au-dehors, de la chambre où devaient encore se trouver son armoire, son bureau,
quelques boîtes à vêtements, son équipement de ski et sa literie. Il avait remporté les vêtements dont il avait besoin dans l'immédiat - ceux qui se trouvaient dans son armoire à elle;
d'ailleurs, il semblait bien qu'il eût commencé à obtenir de l'avancement et n'avait, sans aucun doute, pas le moindre regret pour lesvieux vêtements qu'il avait laissés chez
elle.
Mais elle, ne savait vraiment pas comment en disposer. Une fois qu'elle eut rangé les choses qui traînaient, elle fut absolument incapable de trouver un
moyen de se défaire de tous ces laissés-pour-compte. Il lui déplaisait de s'entendre dire, si elle le contactait pour qu'il vienne les chercher, quelque chose comme : « Jette-les ! ››, ou bien :
"elles sont encore là? Eh bien! envoie-les-moi, veux-tu?" Mais, ce qu'elle trouvait désagréable avant tout, c'était de devoir prendre contact avec lui, même par l'intermédiaire de
quelqu'un.
Pourtant, il lui répugnait de disposer à sa guise d'affaires appartenant à autrui et qui pouvaient encore parfaitement servir, en les faisant emporter
par le chiffonnier ou en les jetant. Elle ne pouvait pas non plus donner ces objets que l'homme avait abandonnés en même temps qu'elle. Elle regrettait de ne pas lui avoir fait emporter toutes
ses affaires lorsqu'il était parti. Elle le regrettait de toute son âme. Il avait, par son comportement, révélé qu'il songeait à une vie sans elle, avant même d'avoir commencé à obtenir de
l'avancement.
Maintenant qu'il l'avait quittée, il devait être plein d'entrain, en public comme en privé, et son aspect vestimentaire devait avoir totalement changé.
Elle éprouvaít comme une espèce de sympathie pitoyable pour les vieilles affaires dont il n'avait aucun souci, tout en se sentant méprisée par ces choses au sort desquelles elle compatissait bien
qu'elle en fût désormais indigne. C'est pourquoi ces effets dont elle ne trouvait pas le moyen de se défaire lui étaient encore plus insupportables. Elle avait souvent songé à rassembler les
sous-vêtements masculins qui encombraient le tiroir du haut de son armoire et les lainages mêlés aux siens qui se trouvaient dans la caisse en bas du placard; mais, à cette seule pensée, elle
ressentait ime immense lassitude, comme si elle allait avoir un accès de fièvre. Il y aurait peut-être en fruste assez de place pour les sous-vêtements et les lainages dans la valise de l'homme
posée sur la caisse à thé, et, dans la partie supérieure du placard, dans les quatre boîtes à vêtements qu'elle avait mises à la place des siennes sur sa propre valise; mais il aurait fallu pour
cela y aller voir et les ouvrir. N'auraít-elle pas pu mettre non plus des choses dans le sac tyrolien de l'homme et dans son sac de toile, qu'on apercevait sur l'étagère, car ils ne semblaient
pas pleins ? Mais elle n'avait pas le courage d'ouvrir quoi que ce soit. Elle avait sans cesse l'impression que tout œ que l'homme avait laissé pesait sur elle.
Lorsqu'elle y songeait, elle ne pouvait s'empêcher d'envier le sentiment de délivrance avec lequel il l'avait quittée sur les seuls mots : "C'est bien
ce qu'il me semble." Il lui apparaissait que la meilleure façon de disposer de ces affaires qui la plongeaient dans la perplexité, c'était de les abandonner telles quelles, avec les siennes, et
d'aller s'installer ailleurs. Mais l'argent nécessaire pour déménager et se rééquiper entièrement lui manquait. Elle s'était prise de dégoût pour ses propres affaires dont elle voulait se séparer
sans pouvoir le faire, et même pour ce logement.
Il ne lui restait plus qu'à espérer que des circonstances se présentent, où le manque d'argent ne constituerait plus un obstacle. Elle se disait qu'elle
aimerait bien voir tout brûler, les affaires de l'homme, les siennes et cet endroit même, et que, si elle brûlait elle aussi, ce n'en serait que mieux. Toutefois elle ne faisait que l'espérer
sans rien tenter. C'était étrange de la part d'une femme parvenue au point de penser qu'elle pouvait bien brûler elle aussi; mais il y avait à cela une explication : dans son enfance, un incendie
avait éclaté dans le voisinage, en pleine nuit, et sans cesse lui revenait à l'esprit l'image du vieillard chez qui le feu s'était déclaré, emmené de force au milieu de la foule, pieds nus sur
l'asphalte de la rue où ruisselait l'eau utilisée pour éteindre l'incendie, le dos couvert d'un habit en coton matelassé dont il avait simplement passé les manches par-dessus son vêtement de nuit
en flanelle. Elle s'était mise à prendre encore plus de précautions qu'avant contre l'incendie. Si, maintenant, elle provoquait un incendie par imprudence, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir
l°impression qu'on croirait à un incendie criminel. Surtout quand elle sortait, il lui fallait à tout prix vérifier deux ou trois fois les sources d'incendie éventuelles, et cela à plus forte
raison si elle était pressée. Ce jour-là, une fois qu'elle eut fermé la porte à clé et se fut éloignée de deux ou trois pas, elle fut soudain saisie d'inquiétude. Elle rouvrit la porte, rentra à
l'intérieur et promena ses regards sur toutes les prises de gaz et d'électricité. Elle porta le cendrier, dans lequel elle avait déjà versé de l'eau, sous le robinet de la cuisine, et rajouta de
l'eau jusqu'à ce qu'y surnagent les mégots. Rassurée, elle ressortit, mais sa main s'arrêta de nouveau au moment où elle allait mettre la clé dans son sac. lnvinciblement revint s'imposer à elle
l'impression qu'elle venait d'avoir. Quand elle avait pris le cendrier dans sa main, il lui avait semblé se souvenir avoir fumé le paquet et demi de cigarettes que l'homme avait laissé en
partant..." (traduction de Christine Kodama, Gallimard)
Yôko Ogawa (1962)
"I myself like to keep a certain distance from my native culture or environment" - Yoko Ogawa découvrit, adolescente et solitaire, "Le Journal d'Anne
Frank", se façonna un univers singulier, à la croisée des cultures orientales et occidentales de ce monde, Jun'ichirō Tanizaki, Haruki Murakami, F. Scott Fitzgerald, Truman Capote, Raymond
Carver, Paul Auster, son regard est celui d'un entomologiste de la psychologie humaine, féminine principalement, - la narratrice est toujours une jeune femme, qui semble ne pas savoir
pourquoi elle fait ce qu'elle fait -, le sens et l'importance du détail, une accumulation de détails, la propension à collectionner les plus infimes objets ou évènements au cours d'une existence
que l'on sait vouée à la mort et à la disparition, ses histoires, écrites avec une étonnante simplicité, pour elle-même, dit-elle, laisse entrevoir sans les expliquer les fêlures de l'existence
humaine. Près de 40 romans et recueils traduits en français (Actes Sud), allemand, anglais (Penguin), italien, grec, espagnol, catalan, chinois, coréen, "The Cafeteria in the Evening and a Pool
in the Rain" fut publié en 2004 dans le New York Times et "The Housekeeper and the Professor" a été vendu à plus de 4 millions d'exemplaires au Japon...
"Juju and I moved here on a foggy morning in early winter. There wasn’t that much to move—just an old wardrobe, a desk, and a few boxes. It was simple
enough. Sitting on the enclosed porch, I watched the small truck rattle off into the mist. Juju sniffed around the house, checking the cinderblock wall and the glass panel in the door, as if to
reassure himself about his new home. He made little grumbling noises as he worked, his head cocked to one side.
The fog was rolling away in gentle waves. It was not the sort of suffocating fog that swallows everything; in fact, this fog seemed pure and almost
transparent, like a cool, thin veil that you could reach out and touch. I stared at it for a long time, leaning against the boxes, until I felt as if I could see each milky droplet. Juju had
grown tired of sniffing and was curled up at my feet. Feeling a chill on my back, I peeled away the tape on the box I had been leaning against, pulled out a sweater, and put it on. A bird flew
straight into the fog and disappeared.
My fiancé fell in love with the house first.
“Doesn’t it seem a little old-fashioned?” I said, rubbing my finger over a faded storm shutter..."
"The Diving Pool", recueil de trois nouvelles, fut la première des oeuvres de Yôko Ogawa à être traduite en anglais. Dans "Daibingu puru"
(1990, La Piscine), l'adolescente Aya, secrètement amoureuse de son frère adoptif, Jun, et pensionnaire d'un orphelinat géré par ses parents, l'observe plongeant et nageant, chacun des
muscles de son corps qui se tend et se dénoue est une sorte de réponse à quelque mal-être intérieur qui prend rapidement une tournure dramatique. Dans "Pregnancy Diary" (1991, Ninshin
Calendar, La Grossesse), une femme suit avec méticulosité la grossesse de sa soeur dans un journal intime qui se révèle être un journal de la répulsion. Dans "Dormitory", une
femme, poussée par la nostalgie et pour rendre service à sa cousine qui recherche un logement bon marché, revisite son ancien dortoir universitaire de la banlieue de Tokyo, et se retrouve
entraînée dans une énigmatique atmosphère. Autant de personnages féminins qui sélectionnent et observent avec une froide insensibilité certains de leurs proches parmi les plus faibles, ou les
moins conscients de leurs êtres.
Dans "Amours en marge" (Yohaku no ai, 1991), la narratrice entend des sons qui n'existent pas et tente de comprendre ce qui lui arrive. Dans "
L'Annulaire" (Kusuriyubi no hyonhon, 1994), elle devient l'assistante d'un étrange taxidermiste, Deshimaru, qui a pour particularité d'être en capacité de conserver tout ce qui peut
l'être. "The Memory Police" (Hisoyaka na kesshō, 1994) se déroule sur une île mystérieuse où un gouvernement autoritaire fait disparaître du jour au lendemain des catégories entières
d'objets ou d'animaux, les effaçant de la mémoire des citoyens.
Dans "Hôtel Iris" (Hoteru Airisu, 1996), une jeune fille de dix-sept ans, Mari, qui tient un hôtel au bord de la ruine dans une station balnéaire avec sa mère, s'abandonne à un vieillard, par ailleurs traducteur, qui va progressivement l'initier au sombre royaume de la douleur et du plaisir (he can do what he wants to my body, and my soul), jusqu'au drame. La fascination pour les laboratoires, où l'on classe et analyse, pour le milieu médical, thématique du corps et de l'âme disséquée, de la mort, se retrouvent dans "Une Parfaite chambre de malade" (Kanpekina byoshitsu, 1989) et "La Désagrégation du Papillon" (Agehacho ga kowareru toki, 1988). Dans "Revenge: Eleven Dark Tales" (Kamoku na shigai, Midara na tomurai, 1998), recueil de nouvelles (Tristes revanches), une femme entre dans une boulangerie pour acheter une tarte à la crème à la fraise, une boulangerie immaculée sans la moindre personne pour vous servir : elle attend, un autre client entre, autre client entre, la femme lui raconte qu'elle achète un gâteau à son fils pour chacun de ses anniversaires, même s'il est mort dans un accident à l'âge de six ans. Les récits s'enchaînent avec de nouveaux personnages et des thèmes complémentaires. Dans "Le Musée du Silence" (Chinmoku Hakubutsukan, 2000), un jeune homme, un muséographe, se voit charger de créer un musée très particulier dans un manoir, aux confins du monde et sous la direction d'une étrange vieille dame, il s'agit de mettre en scène des objets et reliques tous volés quelques heures après la mort de leur propriétaire.
Dans "La Formule préférée du Professeur" (Hakase no aishita sushiki no ai, 2003, The Housekeeper and the Professor), la narratrice est une aide-ménagère placée chez un mathématicien, qui vit seul avec son fils et qui doit tous les jours reconstituer sa mémoire, conséquence d'un accident de voiture il y a de nombreuses années. Mais chaque nouvelle équation, chaque nouvelle énigme mathématique semble forger des liens particuliers entre les trois êtres: "eternal truths are ultimately invisible, and you won’t find them in material things or natural phenomena, or even in human emotions. Mathematics, however, can illuminate them, can give them expression — in fact, nothing can prevent it from doing so.." Dans "La Marche de Mina" (Mina no koshin, 2006), la narratrice, Tomoko, est une jeune fille de douze ans, de santé fragile, qui vit chez son oncle et sa tante, Rosa, son père étant mort, sa mère partie, elle passe ses journées à lire et à collectionnes des boîtes d'allumettes illustrées, à regarder la télévision et entendre Rosa évoquer son Allemagne natale, un hippopotame nain vit dans le jardin...
La littérature mondialisée n'est peut-être pas aussi artificielle et vaine que nous pourrions le croire, livrée uniquement à une recherche
détaillée de documentation plus que d'inspiration, à la manière de ces nombreux écrivains latino-américains qui tente de partager avec leurs lecteurs et éditeurs le spectacle de la vie
mondialisée, rejetant leurs scènes nationales et en plaçant délibérément leurs fictions dans un coin d'Asie. La croissance rapide et le succès des sociétés asiatiques du Sud-Est les placent en
excellente position pour incarner les processus de mondialisation d'aujourd'hui ou de demain. Le mexicain Jorge Volpi (1958), avec "En busca de Klingsor" (1998), ou l'argentin Patricio Pron
(1975), avec "El mundo sin las personas que lo afean y lo arruinan" (200) ont quant à eux fait le choix de l'Allemagne.
Ou livrée à une écriture simplifiée qui facilite le travail de traduction et la compréhension quelque soit la nationalité de son lectorat, pour privilégier
les fameuse thématiques dites sociétales auxquelles font déjà appel les productions cinématographiques du monde entier. "La mondialisation, comme le bien et le mal, n'est rien en soi ", a rappelé
un jour Le Clézio, c'est la pensée qui la rend ainsi, la littérature reste un art qui s'oppose absolument à toute perte d'identité. "Un homme ne devient réel qu'en faisant face à la solitude", a
écrit Gao Xingjian (1940), écrivain partagé entre deux cultures et auteur engagé de "La Montagne de l'âme" (1990), et ce solitaire qu'est l'être humain est un être pensant, le seul en mesure de
remettre en question le sens de l'existence et de comprendre avec parfois une certaine désespérance, ce qu'est la liberté. "De plus en plus de gens se consacrent à l'écriture. J'espère que la
littérature deviendra un refuge en cette ère de pauvreté spirituelle et laissera des traces de vie, même si elle est petite. Cela nous donne l'espoir que la littérature d'aujourd'hui ne diminuera
pas"...
L'industrie responsable de la production da la romance érotique "Fifty Shades of Grey" est également capable de produire les œuvres du japonais Murakami ou
du chinois Liu Zaifu, de l'allemand Ingo Schulze ou du nigérian Ben Okri. Quelques romans, quelques écrivains, sans frontières établies et pérennes, semblent nous convaincre de cette ouverture
possible, et balaient toutes ces sombres prédictions de la fin de la Littérature victime de la mondialisation : "Snow" (2002), du turc Orhan Pamuk, "2066" (2004), du chilien Roberto Bolaño,
"1Q84" (2009) du japonais Haruki Murakami, "Americanah" (2013), de la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, "The Reluctant Fundamentalist" (2007), du pakistanais Mohsin Hamid, "Oryx and
Crake" (2003), de la canadienne Margaret Atwood, "L'amica geniale" (2011) ou autres best-sellers traduits dans plus de cinquante pays de l'italienne, pseudonyme ou pas, Elena
Ferrante.
Mais qu'entendons-nous par "littérature de la mondialisation", parlons nous en terme de thématiques mises en oeuvre et partagées par les médias du
monde entier, de lecteurs et d'un public couvrant potentiellement la Terre entière quelque soit leur culture et leur langue, de l'hégémonie prise par une langue sur toutes autres langues
("l'Amérique est un pays si grand et si diversifié qu'il est presque un monde à lui tout seul")? Le critique littéraire américain Adam Kirsch (1976), dans "The Global Novel, Writing the World
in the 21st Century" (2017), partant des écrivains cités précédemment, nous explique que la littérature à l'heure de la mondialisation, sous le vocable de "roman mondial" (global novel),
"n'est pas tant un genre qu'une façon d'imaginer le monde (a way of imagining the world), un genre qui permet au roman d'aborder à la fois les préoccupations contemporaines urgentes, comme le
changement climatique, le génie génétique et l' immigration, et des thèmes intemporels comme la moralité, la société et les relations humaines", avec des intrigues qui situent désormais leurs
personnages dans une perspective globale balayant le spectre le plus large de ce qu'est capable de produire l'imagination humaine. Quant au lectorat (readership), les gens qui lisent cette
littérature mondiale ne sont-ils probablement que des lecteurs pré-existants, cosmopolites dans leurs goûts culturels comme dans leurs opinions politiques. Il est sans doute vain par ailleurs de
vouloir définir une littérature "reflet de la mondialisation", ce serait au fond comme s'interroger sur la possibilité d'une "conscience globale"...
Mais il est indéniable qu'avant d'évoquer la problématique de la littérature d'une manière globale, il nous faut bien reconnaître une formidable
interpénétration des cultures et des langues (homogénéisation et appropriation culturelle), une certaine standardisation à l'échelle de la planète des conditions sociales, économiques et
politiques, des conditions d'exercice de la pensée, et c'est le nombre croissant des populations impactées qui porte les éléments d'une évolution de fond des mentalités. De là, la
littérature creuse son sillon. Tout en admettant que nous construisons tous la réalité de nos existence en partant de notre expérience, c'est-à-dire de situations individuelles et locales pour
nous élever vers l'universel, et c'est vrai qu'au XXIe siècle, nous sommes tous de plus en plus conscients de vivre dans un contexte social mondial, d'une manière qui n'est plus celle des formes
classiques du roman et du romantisme qui n'accédait à l'universel que par les seules énergies de l'individuel.
"Snow" (2002), d'Orhan Pamuk (1952), relate à travers le personnage de Kerim Alakusoglu, ou Ka, un jeune poète turc occidentalisé qui s'est exilé un temps en Allemagne, quatre jours dramatiques dans la ville frontière de Kars, en Anatolie. Venu enquêter sur plusieurs cas de suicide de jeunes femmes portant le foulard, mais aussi attiré par une ancienne camarade de faculté divorcée depuis peu, Ipek, Ka avance comme il peut dans une ville isolée par la neige et en proie à un coup de force militaire kémaliste...
Le mouvement "El infrarrealismo", fondé à Mexico en 1975 par un groupe de vingt jeunes poètes, dont Roberto Bolaño, Mario Santiago Papasquiaro, José Vicente
Anaya, entend échapper à la littérature nationale et officielle, mais au fond l'histoire de la littérature mondiale abonde en intentions similaires, le surréalisme des années 1920, la Génération
Beat des années 1950. Plus singulier, la vocation de l'écrivain qui épouse le monde dans ce qui lui semble être sa trame essentielle, une Amérique latine qui ne croit plus aux utopies et
qu'habite une violence insidieuse. Le romancier chilien Roberto Bolaño (1953-2003) brasse dans ses oeuvres des registres, des situations et des personnages, écrivains et poètes
essentiellement, issus de la réalité terrestre dans le but ultime de traquer la violence et le mal, la vocation de l'écrivain est par définition éminemment dangereuse. L'écriture épouse la
démence suscitée par des contextes socio-politiques tirés de notre histoire contemporaine et qui déferle dans le quotidien de personnages particulièrement sensibles au monde qui les environnent.
Des biographies de ce faux manuel de littérature que constitue "La literatura nazi en América" (1996), aux impacts dramatiques du coup d'État de Pinochet sur un jeune écrivain qui
se laisse emporter dans la cruauté, dans "Estrella distante" (1996). De "Los Detectives salvajes" (1998), qui conte l'histoire d'un mouvement poétique fictif appelé "realismo visceral",
fondé à Mexico au milieu des années 1970, des poètes totalement exclus des courants littéraires dominants livrés à une écriture singulière, mi-biographique mi-reportage, à "Nocturno de Chile""
(2000). Son imposant roman, inachevé, "2666", - Bolaño savait qu'il était condamné, souffrant d'une maladie du foie liée sans doute à sa consommation antérieure de drogues -, est un écrit
comme un documentaire mettant en scène quatre critiques littéraires de différents pays européens, unis par leur obsession pour un romancier allemand culte nommé Benno von Archimboldi, qui les
mène à Santa Teresa. Cette petite ville frontalière du Mexique est le théâtre de terribles meurtres de jeunes femmes, deux nouveaux personnages entrent alors en jeu, un professeur de
littérature espagnole dépressif, qui a déménagé dans la ville après la mort de sa femme, et un journaliste noir américain qui est là pendant quelques jours pour couvrir un combat de boxe, et
l'intrigue nous entraîne progressivement dans un lieu d'horreur sans fin, mais plus encore sans signification...