Feminism, Queer - Judith Butler (1956), "Gender Trouble" (Trouble dans le genre, 1990) - Jeffrey Weeks (1945), "Sex, Politics and Society" (1989) - Ann Oakley (1944), The Sociology of Housework (1974) - Kate Millett (1934-2017), "Sexual Politics" (1970) - Christine Delphy (1941), "Close to Home: A Materialist Analysis of Women's Oppression" (1984) - Adrienne Rich (1929-2012), "Compusory Heterosexuality and Lesbian Existence" (1980) - Michael Warner, "The Trouble with Normal Sex, Politics and the Ethics of Queer Life" (1999) - Steven Seidman, "Difference Troubles" (1997) - ...

Last update : 2023/11/11


Judith Butler, au tout début des années 1990, soutient que notre perception de la sexualité est une construction sociale et non une part essentielle de nous-mêmes, approche à la base de la théorie "queer" - Dès les années 1930 et 1940, l'anthropologie Margaret Mead (1901-1978) avait ouvert la voie d'une nouvelle conception de la sexualité par son étude des rôles attribués aux sexes et des normes sexuelles dans diverses cultures du monde : elle en venait ainsi à réfuter les idées occidentales sur les rôles attribués aux sexes. Mais jusque-là, malgré l'effacement des religions, la morale traditionnelle impose toujours ses normes occidentales vis-à-vis du mariage et du caractère dit naturel des relations hétérosexuelles.

Les années 1960 bouleversent ces conceptions, brisent bien des tabous et proclament amour libre et tolérance envers l'homosexualité. Parallèlement la fameuse culture patriarcale, la place de la femme dans le monde du travail font l'objet de remises en cause radicale tout autant que le genre avec des auteurs tels que Kate Millett (1934-2017), "Sexual Politics" (1970, La Politique du mâle), Ann Oakley (The Sociology of Housework, 1974), Catharine MacKinnon, "Sexual Harassment of Working Women" (1979), Christine Delphy (Close to Home: A Materialist Analysis of Women's Oppression, 1984).

Il faut toutefois attendre les années 1980 pour vivre des changements de paradigmes plus décisifs, les impératifs contradictoires des vies professionnelles et personnelles traversent désormais les couples, foyers monoparentaux et couples homosexuels s'imposent dans la société occidentale. La poétesse et essayiste féministe Adrienne Rich va décrire en 1980 l'oppression des femmes dans un monde unilatéralement hétérosexuel, "Compusory Heterosexuality and Lesbian Existence" (La Contrainte à l'hétérosexualité et l'existence lesbienne, 1980, publié dans "Blood, Bread and Poetry, selected prose 1979-1985, 1986), l'hétérosexualité est ici traitée en "institution", - une telle approche est novatrice -, mais un système de pouvoir, soutient-elle, réprimant encore et toujours les femmes au profit des hommes.

En 2005, les couples homosexuels obtiennent en Grande-Bretagne le droit d'adopter, et en 2014 la légalisation de leur mariage. Judith Stacey, Jeffrey Weeks, Gillian Dune, Anthony Giddens voient dans les couples homosexuels les inventeurs d'un nouveau type de relations, des structures familiales porteuses d'une nouvelle égalité et qui viennent saper tous les préjugés sur les genres. En 1987, à New-York, création du groupe Act Up en réaction aux campagnes d'information sanitaire stigmatisant les homosexuels (le sida est alors décrit abusivement comme une maladie ne concernant que les hommes homosexuels). Jeffrey Weeks soutient, dans "Sex, Politics and Society" (1989) que la sexualité est autant une identité biologique d'une "construction sociale" et que l'on choisit de plus en plus son type de famille ("Same Sex Intimacies: Families of Choice and Other Life Experiments, 2001).

C'est avec "Trouble dans le genre" que Judith Butler franchira une étape en 1990, préfigurant la théorie "queer" en remettant en cause l'idée reçue d'une identité sexuelle stable : le genre est une construction sociale résultant de comportements quotidiens. Des théoriciens "queer" tels que Eve  Kosofsky Sedgwick, Gayle Rubin, Steven Seidman vont alors tenter de déconstruire les catégories d'identité sociales univoques et rejetter l'opposition binaire homme/femme, en fait toute théorie ou choix politique portant une identité sexuelle établie. Michael Warner ajoute dans "The Trouble with Normal Sex, Politics and the Ethics of Queer Life" (1999) que c'est la notion même de "normal" qui ainsi rejeté. Mais la notion de "queer" rencontre aussi bien des critiques et tout en se référant certes au concept d'identité aboutit à catégoriser homosexuels hommes et femmes, bisexuels et transgenres, des catégorisations  qui montre à quel point défendre une vision moins répressive des "différences" n'est pas sans dérive (Steven Seidman, "Difference Troubles: Queering Social Theory and Sexual Politics", 1997)....


Judith Butler (1956)

La sociologue et philosophe américaine Judith Butler est l’une des principales figures mondiales dans le domaine du féminisme et des questions de genre. Elle a étudié la philosophie à l’université de Yale et est actuellement professeure en rhétorique et littérature comparée à l’université de Californie, Berkeley. Elle est surtout connue pour son livre "Gender Trouble" (1990), qui remet en question les théories traditionnelles sur le genre et la sexualité. En plus de son travail académique, elle est aussi une militante active pour les droits de l’homme.

Judith Butler a grandi dans une famille juive de Cleveland, Ohio et s’est intéressée, dit-elle, à la philosophie à l’âge de quatorze ans en débattant avec un rabbin de sa synagogue locale. Les parents de Butler étaient des juifs pratiquants, qui avaient perdu plusieurs membres de leur famille dans l’Holocauste. C’est son héritage juif, ajoute-t-elle,  qui l’a incitée à dénoncer la violence et l’injustice....

Dans son livre "Gender Trouble", Judith Butler conteste l’idée traditionnelle selon laquelle les gens naissent soit comme homme ou comme femme. Selon Butler, ce n’est pas ce que les gens sont mais plutôt ce qu’ils font qui détermine leur sexe (« gender performivity»). Dans toutes les sociétés, on s’attend à ce que les hommes et les femmes se comportent de façon « masculine » ou « féminine ». Au bout d’un certain temps, ils sont tellement habitués à répéter ces comportements que leur genre semble naturel.

QUEER THEORY - Judith Butler a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de ce qui est devenu connu sous le nom de « théorie queer », selon laquelle il n’existe pas de sexualité « normale ». Elle met en garde contre l’utilisation d’étiquettes pour décrire le genre et la sexualité, arguant que l’identité sexuelle peut être « fluide » (fluid)...

WAR AND THE MEDIA - Dans son livre "Frames of War" (2016), Judith Butler analyse comment les médias représentent les victimes de la guerre, et ce en nous tenant le plus à distance de leur souffrance. Les sociétés occidentales tendent à rejeter les victimes de guerre et de torture dans des pays comme l’Irak et la Syrie parce que leurs vies et expériences semblent si lointaines. Elle en vient ainsi à appeler gouvernements et institutions mondiales à s’assurer que nous reconnaissons en toute équite et sensibilité la souffrance de toutes les victimes de guerre.

 

Judith Butler, "Gender Trouble" (Trouble dans le genre, 1990) 

"Masculine an feminine roles are not biologically fixed but socially constructed" - Le genre n'a pas d'existence en soi, c'est un "faire" et non un "être" - Personnalité influente des mouvements féministes et LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes) depuis les années 1990, la philosophe Judith Butler, qui enseigne à Berkeley, appartient à une génération qui a grandit dans une époque marquée par la libéralisation des moeurs et qui suit celle de Simone de Beauvoir qui a introduit la problématique dyu genre dans la sphère sociale (cf. le célèbre "on ne naît pas femme, on le devient", "Le Deuxième Sexe, 1949). Mais Judith Butler débute son propos en reprochant aux féministes dites t"raditionnelles" de ne pas saisir toutes les implications de cette notion de "genre", certes construction sociale mais ensuite trop rapidement ramenée à des stéréotypes de la masculinité et de la féminité. Le genre et le sexe ne se traient pas via de simples catégories binaires, masculin/féminin, hétéro-/homo-, mais plus largement c'est toute notre identité sociale et politique qu'il faut prendre en compte, - Butler est par ailleurs une militant politique dont l'approche reprend le fil des analyses du pouvoir telles qu'exprimées par Michel Foucault (Histoire de la sexualité, 1970).

L'identité de genre, selon Butler, ne fait donc pas partie de notre être mais est le produit d'actions et de comportements construits par une majorité d'individus appartenant à une culture donnée. Les individus vont ainsi se conformer à ce qu'on attend d'eux dans ce contexte. C'est en reproduisant, de façon répétitive, actions et comportements, associés aux tabous imposés par la société, que tout individu se construit une identité qui semble être quasi "naturellement" masculine ou féminine. Lorsque Judith Butler écrit que "le genre s'avère être performatif, c'est-à-dire qu'il constitue l'identité qu'il prétend être", elle se réfère à la notion d'énoncé "performatif" qui, en linguistique, définit un acte de langage qui réalise une action  par le fait même de son énonciation. Travestis et drag-queens, en modifiant la perception que l'on peut avoir du genre et du sexe, utilisent ainsi la performativité de genre de façon subversive, seule possibilité de parvenir à déstabiliser les normes sexuelles qu'impose la société...

La philosophe Martha Nussbaum (1947), révélée par son approche de la vie concrète pour des êtres vulnérables (The Fragility of Goodness", 1986) est l'une des critiques de sa démarche au nom d'une philosophie morale et politique qui privilégie émotions et développement humain ("Women and Human Development", 2000) ...

 

Preface (1999)

"Ten years ago I completed the manuscript of "Gender Trouble" and sent it to Routledge for publication. I did not know that the text would have as wide an audience as it has had, nor did I know that it would constitute a provocative “intervention” in feminist theory or be cited as one of the founding texts of queer theory.The life of the text has exceeded my intentions, and that is surely in part the result of the changing context of its reception. As I wrote it, I understood myself to be in an embattled and oppositional relation to certain forms of feminism, even as I understood the text to be part of feminism itself. I was writing in the tradition of immanent critique that seeks to provoke critical examination of the basic vocabulary of the movement of thought to which it belongs. There was and remains warrant for such a mode of criticism and to distinguish between self-criticism that promises a more democratic and inclusive life for the movement and criticism that seeks to undermine it altogether. Of course, it is always possible to misread the former as the latter, but I would hope that that will not be done in the case of "Gender Trouble".

 

Il y a dix ans, j’ai terminé le manuscrit de "Gender Trouble" et l’ai envoyé à Routledge pour publication. Je ne savais pas que le texte aurait un public aussi important, ni que cela constituerait une « intervention » provocatrice dans la théorie féministe ou serait cité comme l’un des textes fondateurs de la théorie queer. et c’est sûrement en partie le résultat du contexte même de sa réception. En l’écrivant, je me suis retrouvée dans une relation conflictuelle et opposée à certaines formes de féminisme, tout comme j’ai compris que le texte faisait partie du féminisme lui-même. J’écrivais en me situant dans une tradition qui cherche à provoquer un examen critique du vocabulaire de base du mouvement de pensée auquel il appartient. Il y avait et reste des raisons justifiant un tel mode de critique et de distinguer entre l’autocritique qui promet une vie plus démocratique et inclusive pour le mouvement et la critique qui cherche à le miner tout entier. Bien sûr, il est toujours possible de mal interpréter le premier comme le second, mais j’espère que cela ne se fera pas dans le cas de "Gender Trouble".

 

In 1989 I was most concerned to criticize a pervasive heterosexual assumption in feminist literary theory. I sought to counter those views that made presumptions about the limits and propriety of gender and restricted the meaning of gender to received notions of masculinity and femininity. It was and remains my view that any feminist theory that restricts the meaning of gender in the presuppositions of its own practice sets up exclusionary gender norms within feminism, often with homophobic consequences. It seemed to me, and continues to seem, that feminism ought to be careful not to idealize certain expressions of gender that, in turn, produce new forms of hierarchy and exclusion. In particular, I opposed those regimes of truth that stipulated that certain kinds of gendered expressions were found to be false or derivative, and others, true and original. The point was not to prescribe a new gendered way of life that might then serve as a model for readers of the text. Rather, the aim of the text was to open up the field of possibility for gender without dictating which kinds of possibilities ought to be realized. One might wonder what use “opening up possibilities” finally is, but no one who has understood what it is to live in the social world as what is “impossible,” illegible, unrealizable, unreal, and illegitimate is likely to pose that question.

 

En 1989, j’étais surtout préoccupé de critiquer une hypothèse hétérosexuelle omniprésente dans la théorie littéraire féministe. J’ai cherché à contrer les idées qui constituauent autant de présomptions sur les limites et la propriété du genre et restreignaient le sens du genre aux notions reçues de masculinité et de féminité. Je suis d’avis que toute théorie féministe qui limite le sens du genre dans les présupposés de sa propre pratique établit des normes sexistes excluantes au sein du féminisme, souvent avec des conséquences homophobes. Il me semblait, et continue de le penser, que le féminisme devait faire attention à ne pas idéaliser certaines expressions du genre qui, à leur tour, produisent de nouvelles formes de hiérarchie et d’exclusion. En particulier, je me suis opposé aux régimes de vérité qui stipulaient que certains types d’expressions genrées étaient fausses ou dérivées et d’autres, vraies et originales. Le but n’était pas de prescrire un nouveau mode de vie sexiste qui pourrait servir de modèle aux lecteurs du texte. Le but du texte était plutôt d’ouvrir le champ des possibilités pour le genre sans dicter quels types de possibilités devraient être réalisées. On peut se demander à quoi sert finalement « ouvrir des possibilités », mais qui a compris ce que c’est que de vivre dans le monde social comme étant « impossible », illisible, irréalisable, irréel et illégitime ne se risquerait pas à poser cette question.

 

"Gender Trouble" sought to uncover the ways in which the very thinking of what is possible in gendered life is foreclosed by certain habitual and violent presumptions. The text also sought to undermine any and all efforts to wield a discourse of truth to delegitimate minority gendered and sexual practices. This doesn’t mean that all minority practices are to be condoned or celebrated, but it does mean that we ought to be able to think them before we come to any kinds of conclusions about them.What worried me most were the ways that the panic in the face of such practices rendered them unthinkable. Is the breakdown of gender binaries, for instance, so monstrous, so frightening, that it must be held to be definitionally impossible and heuristically precluded from any effort to think gender?

 

"Gender Trouble" a cherché à découvrir les façons dont la pensée même de ce qui est possible dans la vie "genrée" est exclue par certaines présomptions habituelles et violentes. Le texte visait également à saper tous les efforts visant à délégitimer les pratiques sexuelles et généralisées des minorités en utilisant un discours de vérité. Cela ne signifie pas que toutes les pratiques minoritaires doivent être tolérées ou célébrées, Mais cela signifie que nous devrions être en mesure de les penser avant d’arriver à toute sorte de conclusions sur eux.Ce qui m’a le plus inquiété étaient les façons dont la panique face à de telles pratiques les rendait impensable. La décomposition des binaires de genre, par exemple, est-elle si monstrueuse, si effrayante, qu’on doit la considérer comme impossible par définition et heuristique à tout effort de penser le genre?

 

Some of these kinds of presumptions were found in what was called “French Feminism” at the time, and they enjoyed great popularity among literary scholars and some social theorists. Even as I opposed what I took to be the heterosexism at the core of sexual difference fundamentalism, I also drew from French poststructuralism to make my points. My work in "Gender Trouble" turned out to be one of cultural translation. Poststructuralist theory was brought to bear on U.S. theories of gender and the political predicaments of feminism. If in some of its guises, poststructuralism appears as a formalism, aloof from questions of social context and political aim, that has not been the case with its more recent American appropriations. Indeed, my point was not to “apply” poststructuralism to feminism, but to subject those theories to a specifically feminist reformulation.

 

Certaines de ces présomptions se trouvaient dans ce qu’on appelait alors le « féminisme français », et ont connu une grande popularité parmi les érudits littéraires et certains théoriciens sociaux. Même si je m’opposais à ce que j’ai pris pour l’hétérosexisme au cœur du fondamentalisme de la différence sexuelle, j’ai aussi puisé dans le poststructuralisme français pour étayer  mes remarques. Mon travail dans "Gender Trouble" s’est avéré être une traduction culturelle. La théorie poststructuraliste a été appliquée aux théories américaines sur le genre et les difficultés politiques du féminisme. Si, sous certains de ses traits, le poststructuralisme apparaît comme un formalisme, à l’écart des questions de contexte social et de finalité politique, ce n’est pas le cas de ses interprétations américaines plus récents. En effet, mon propos n’était pas d’appliquer le poststructuralisme au féminisme, mais de soumettre ces théories à une reformulation spécifiquement féministe.

(...)

"Gender Trouble" is rooted in “French Theory,” which is itself a curious American construction. Only in the United States are so many disparate theories joined together as if they formed some kind of unity. Although the book has been translated into several languages and has had an especially strong impact on discussions of gender and politics in Germany, it will emerge in France, if it finally does, much later than in other countries. I mention this to underscore that the apparent Francocentrism of the text is at a significant distance from France and from the life of theory in France. "Gender Trouble" tends to read together, in a syncretic vein, various French intellectuals (Lévi-Strauss, Foucault, Lacan, Kristeva, Wittig) who had few alliances with one another and whose readers in France rarely, if ever, read one another. Indeed, the intellectual promiscuity of the text marks it precisely as American and makes it foreign to a French context. So does its emphasis on the Anglo-American sociological and anthropological tradition of “gender” studies, which is distinct from the discourse of “sexual difference” derived from structuralist inquiry. If the text runs the risk of Eurocentrism in the U.S., it has threatened an “Americanization” of theory in France for those few French publishers who have considered it.

 

«Gender Trouble» est enraciné dans la «French Theory», qui est elle-même une construction américaine curieuse. Aux États-Unis seulement, il y a tant de théories disparates qui sont réunies ensemble comme si elles formaient une sorte d’unité. Bien que le livre ait été traduit en plusieurs langues et ait eu un impact particulièrement fort sur les discussions de genre et de politique en Allemagne, il sortira en France, beaucoup plus tard que dans d’autres pays. Je le dis pour souligner que l’apparent francocentrisme du texte est à une distance significative de la France et de la vie de la théorie en France. "Gender Trouble" tend à relier, dans un sens syncrétique, divers intellectuels français  (Lévi-Strauss, Foucault, Lacan, Kristeva, Wittig) qui avaient peu de rapports entre eux et que les lecteurs en France ne lisaientque  rarement. En effet, la promiscuité intellectuelle du texte le marque précisément comme américain et le rend étranger à un contexte français. Il en va de même pour la tradition sociologique et anthropologique anglo-américaine des études « de genre », qui se distingue du discours sur les « différences sexuelles » issu de l’enquête structuraliste. Si le texte court le risque de l’eurocentrisme aux États-Unis, il a menacé une « américanisation » de la théorie en France pour les quelques éditeurs français qui y ont pensé.

 

Of course, “French Theory” is not the only language of this text. It emerges from a long engagement with feminist theory, with the debates on the socially constructed character of gender, with psychoanalysis and feminism, with Gayle Rubin’s extraordinary work on gender, sexuality, and kinship, Esther Newton’s groundbreaking work on drag, Monique Wittig’s brilliant theoretical and fictional writings, and with gay and lesbian perspectives in the humanities. Whereas many feminists in the 1980s assumed that lesbianism meets feminism in lesbian-feminism, "Gender Trouble" sought to refuse the notion that lesbian practice instantiates feminist theory, and set up a more troubled relation between the two terms. Lesbianism in this text does not represent a return to what is most important about being a woman; it does not consecrate femininity or signal a gynocentric world. Lesbianism is not the erotic consummation of a set of political beliefs (sexuality and belief are related in a much more complex fashion, and very often at odds with one another). Instead, the text asks, how do non-normative sexual practices call into question the stability of gender as a category of analysis? How do certain sexual practices compel the question: what is a woman, what is a man? If gender is no longer to be understood as consolidated through normative sexuality, then is there a crisis of gender that is specific to queer contexts?

 

Bien sûr, la « French Theory » n’est pas la seule référence de ce texte. Il émerge d’un long engagement avec la théorie féministe, avec les débats sur le caractère socialement construit du genre, avec la psychanalyse et le féminisme, avec l’extraordinaire travail de Gayle Rubin sur le genre, la sexualité et la parenté, avec le travail révolutionnaire d’Esther Newton sur le drag, Les écrits théoriques et fictionnels de Monique Wittig, avec des perspectives gays et lesbiennes dans les sciences humaines. Alors que de nombreuses féministes dans les années 1980 ont supposé que le lesbianisme avait rencontré le féminisme dans le féminisme lesbien, "Gender Trouble" a cherché à refuser la notion selon laquelle la pratique lesbienne instancie la théorie féministe et à établir une relation équivoqu entre les deux termes. Le lesbianisme dans ce texte ne représente pas un retour à ce qui est le plus important dans le fait d’être une femme; il ne consacre pas la féminité ou instancie un monde gynocentrique. Le lesbianisme n’est pas la consommation érotique d’un ensemble de croyances politiques (sexualité et croyance sont liées de manière beaucoup plus complexe, et très souvent en conflit les unes avec les autres). Le texte se demande plutôt comment les pratiques sexuelles non normatives remettent en question la stabilité du genre comme catégorie d’analyse ? Comment certaines pratiques sexuelles forcent-elles à se poser la question : qu’est-ce qu’une femme, qu’est-ce qu’un homme ? Si le genre ne doit plus être compris comme étant consolidé par la sexualité normative, alors y a-t-il une crise du genre spécifique aux contextes queer ?

 

The idea that sexual practice has the power to destabilize gender emerged from my reading of Gayle Rubin’s “The Traffic in Women” and sought to establish that normative sexuality fortifies normative gender. Briefly, one is a woman, according to this framework, to the extent that one functions as one within the dominant heterosexual frame and to call the frame into question is perhaps to lose something of one’s sense of place in gender. I take it that this is the first formulation of “gender trouble” in this text. I sought to understand some of the terror and anxiety that some people suffer in “becoming gay,” the fear of losing one’s place in gender or of not knowing who one will be if one sleeps with someone of the ostensibly “same” gender.This constitutes a certain crisis in ontology experienced at the level of both sexuality and language. This issue has become more acute as we consider various new forms of gendering that have emerged in light of transgenderism and transsexuality, lesbian and gay parenting, new butch and femme identities. When and why, for instance, do some butch lesbians who become parents become “dads” and others become “moms”? 

 

L’idée que la pratique sexuelle a le pouvoir de déstabiliser le genre est née de ma lecture de « The Traffic in Women » de Gayle Rubin et a cherché à établir que la sexualité normative fortifie le genre normatif. En bref, on est une femme, selon ce cadre, dans la mesure où l’on fonctionne comme, au sein du cadre hétérosexuel dominant, et que remettre le cadre en question c’est peut-être perdre quelque chose de significatif quant à sa position dans le genre. Je suppose que c’est la première formulation de « trouble des genres » dans ce texte. J’ai cherché à comprendre une partie de la terreur et de l’anxiété que certaines personnes éprouvent en « devenant gay », la peur de perdre leur place dans le genre ou de ne pas savoir qui elles seront si elles couchent avec quelqu’un de soi-disant « même ». Cela constitue une certaine crise d’ontologie vécue au niveau de la sexualité et du langage. Cette question est devenue plus aiguë à mesure que nous considérons les diverses nouvelles formes de sexisme qui sont apparues à la lumière du transgendérisme et de la transsexualité, des lesbiennes et des gays, des nouveaux identités butch et femme. Quand et pourquoi, par exemple, certaines lesbiennes masculines qui deviennent des parents deviennent des « pères » et d’autres deviennent des « mères »? "

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"Much of my work in recent years has been devoted to clarifying and revising the theory of performativity that is outlined in "Gender Trouble". It is difficult to say precisely what performativity is not only because my own views on what “performativity” might mean have changed over time, most often in response to excellent criticisms, but because so many others have taken it up and given it their own formulations..."

"Ces dernières années, une grande partie de mon travail a été consacrée à clarifier et réviser la théorie de la performativité qui est décrite dans "Gender Trouble". Il est difficile de dire précisément ce qu’est la performativité, non seulement parce que mes propres vues sur ce que signifie la « performativité » ont changé au fil du temps, le plus souvent en réponse à d’excellentes critiques, mais aussi parce que tant d’autres l’ont reprise et lui ont donné leurs propres formes ..."

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" I continue to hope for a coalition of sexual minorities that will transcend the simple categories of identity, that will refuse the erasure of bisexuality, that will counter and dissipate the violence imposed by restrictive bodily norms. I would hope that such a coalition would be based on the irreducible complexity of sexuality and its implication in various dynamics of discursive and institutional power, and that no one will be too quick to reduce power to hierarchy and to refuse its productive political dimensions. .."

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Je continue à espérer une coalition des minorités sexuelles qui transcendera les simples catégories d’identité, qui refusera l’effacement de la bisexualité, qui contrecarrera et dissipera la violence imposée par les normes corporelles restrictives. Je souhaite que cette coalition soit fondée sur la complexité irréductible de la sexualité et ses implications dans diverses dynamiques de pouvoir discursif et institutionnel, et que personne ne soit trop rapide pour réduire le pouvoir à la hiérarchie et refuser ses dimensions politiques productives..."

(...)


Judith Butler, "Bodies That Matter: On the Discursive Limits of Sex" (1993)

S’appuyant sur son travail antérieur, "Gender Trouble", Judith Butler approfondit l’idée que les corps ne sont pas seulement des entités biologiques mais sont formés par des processus sociaux et linguistiques complexes. Elle soutient l'idée que le genre n’est pas une qualité innée ou une identité statique, mais plutôt quelque chose qui est "vécu". Les actes, gestes et comportements associés au genre (behaviors associated with gender) sont produits et maintenus par une "pratique" répétée (repeated performances) qui créent avec le temps l’illusion d’une identité de genre stable (stable gender identity). "Bodies That Matter" a des implications importantes pour la théorie féministe, la théorie queer et le champ plus large des études culturelles. L'ouvrage pousse les lecteurs à reconsidérer la manière dont les corps et les identités sont construits, en défiant les binaires cloisonnements du sexe et du genre (challenging the rigid binaries of sex and gender). Le travail de Butler ouvre la voie à des compréhensions plus fluides et inclusives de l’identité, en soulignant le rôle du pouvoir dans la création de corps qui "comptent" (that "matter").

"Materialization of Bodies"? Le livre remet en effet en question la notion selon laquelle les corps ont une existence naturelle, pré-discursive. Butler suggère au contraire que les corps ne viennent à la "matière" (matter) qu’à travers les processus de signification, où les normes culturelles définissent et régulent ce qui est considéré comme un corps "légitime" (legitimate)ou "intelligible" (intelligible).

"The Role of Language"? La langue joue ici un rôle crucial dans la construction des corps et du genre. Butler examine comment les pratiques "réglementées", en particulier dans le langage, produisent et font respecter des normes qui dictent quels organismes sont reconnus comme « réels » ou « valables ».

"Exclusion and Abjection"?  Judith Butler discute de la façon dont certains corps sont marginalisés ou exclus des définitions normatives du genre et du sexe. Ces corps dits "abjected" ne s’inscrivent plus dans les normes culturellement acceptables et sont ainsi rendus invisibles ou inintelligibles au sein des discours dominants.

"Critique of Heteronormativity"? Enfin, le livre critique les hypothèses hétéronormatives qui sous-tendent la plupart des discussions sur le genre et la sexualité. L’hétéronormativité renforce les normes binaires de genre et exclut d’autres formes d’expression sexuelle et de genre ...


"The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert" (1994, Stephen Elliott), qui conte les aventures de deux drag queens, Tick/Mitzi (Hugo Weaving) et Adam/Felicia (Guy Pearce), et une femme transgenre, Bernadette (Terence Stamp), qui doivent se produire à l'autre bout de l'Australie et traversent le pays dans un autobus qu’ils appellent « Priscilla » : un film culte reproduisant tous les stéréotypes de la cause des LGBTI...

L’histoire débute en la personne de Tick, un artiste de drag à Sydney, qui accepte une offre pour faire un spectacle de drag dans une station éloignée d’Alice Springs, une ville située au cœur de l’arrière-pays australien. Il convainc ses compagnons artistes, le flamboyant Adam et la plus réservée Bernadette, de le rejoindre dans le voyage. Alors qu’ils traversent le paysage accidenté et souvent hostile, le trio fait face à de nombreux défis, notamment des pannes mécaniques, des rencontres avec des habitants hostiles et leurs propres conflits personnels. En chemin, ils rencontrent également une variété de personnages, à la fois amicaux et antagonistes, qui reflètent les attitudes diverses envers les personnes LGBTQ+  dans l’Australie rurale...


Kate Millett (1934-2017), "Sexual Politics" (1970, La Politique du mâle)

"Sexual Politics", publié en 1970, est un texte fondamental de la théorie féministe qui critique les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes, particulièrement en ce qui concerne la sexualité. C'est l’une des premières et des plus influentes analyses du patriarcat et de son influence omniprésente sur les institutions sociales, la littérature et les relations personnelles. Le livre contribua à enflammer la deuxième vague du féminisme. 

La très rigoureuse analyse de Kate Millett sur la façon dont les dynamiques du pouvoir façonnent les relations sexuelles et les attentes sociétales en matière de genre fournira un nouveau cadre pour comprendre l’oppression que vivent les femmes; ses réflexions sur la façon dont le pouvoir politique influence les interactions quotidiennes ont jeté les bases d’une théorie et d’un activisme féministes futurs, faisant de la politique sexuelle un texte fondamental dans l’étude du genre et du pouvoir.

"Sexual Politics"? Kate Millett introduit donc le concept de "politique sexuelle" pour décrire comment les relations de pouvoir entre les sexes sont ancrées dans des structures sociales et culturelles. Elle soutiendra que les relations personnelles, en particulier les relations sexuelles, sont influencées par des structures politiques plus larges qui maintiennent la domination masculine.

"Patriarchy?"  Le point central de l’argumentaire de l'auteur est l’idée du "patriarcat comme système d’organisation sociale" dans lequel les hommes détiennent le pouvoir et les femmes sont subordonnées. Elle examine ainsi comment le patriarcat se manifeste non seulement de manière évidente, par exemple dans les lois et les institutions, mais aussi dans les subtilités du langage, de la littérature et des interactions quotidiennes.

"Critique of Literature"? Kate Millett ira jusqu'à présenter une critique détaillée de la façon dont la littérature reflète et renforce les valeurs patriarcales, et ce en analysant les œuvres d’auteurs masculins tels que D.H. Lawrence, Henry Miller et Norman Mailer : et démontre comment leurs représentations des femmes entretient la domination masculine et n'échappent, bien au contraire, à une insidieuse dégradation de leur image.  Millett les oppose aux œuvres d’auteurs féminins qui défient ou renversent les normes patriarcales, en défendant une littérature qui promeut l’égalité sexuelle.

"Sexual Liberation and Feminism"? Elle en vient à discuter de la nécessité de la libération sexuelle comme composante clé du militantisme féministe, et soutient que la véritable libération sexuelle doit aller au-delà de la simple réalisation de la liberté sexuelle; elle doit également impliquer le démantèlement des déséquilibres de pouvoir inhérents aux rôles traditionnels des sexes et aux relations hétérosexuelles. Elle critique également la façon dont la révolution sexuelle des années 1960 n’a pas réussi à résoudre les problèmes sous-jacents de pouvoir et a souvent renforcé la domination masculine plutôt que de la remettre en question.

"Institutionalized Gender Roles"? Enfin, Kate Millett examine comment les institutions de la société, y compris la famille, l’éducation et les médias, perpétuent les rôles traditionnels des femmes qui maintiennent les femmes dans des postes subalternes. Elle soutient que ces rôles ne sont pas naturels, mais qu’ils sont construits socialement pour maintenir l’ordre patriarcal.


Adrienne Rich (1929), "Compusory Heterosexuality and Lesbian Existence" (La Contrainte à l'hétérosexualité et l'existence lesbienne, 1980, publié dans "Blood, Bread and Poetry, selected prose 1979-1985, 1986). 

En 1979, l'avocate Catherine MacKinnon soutient dans "Sexual Harassement of Working Women" que les femmes sont confinées à des positions subalternes et qu'on sexualise leurs fonctions. En 1993, le viol conjugal est reconnu comme un crime dans l'ensemble des Etats-Unis, dix années après que la poétesse et essayiste féministe Adrienne Rich, - auteur en 1976 de "Naître d'une femme" et en 1979 de "On Lies, Secrets and Silence" -, ait constaté la puissance idéologique de la contrainte à l'hétérosexualité. 

"La Contrainte à l'hétérosexualité", un essai publié pour la première fois en 1980 et qui remet en question l’hypothèse selon laquelle l’hétérosexualité est une orientation sexuelle naturelle ou inhérente chez les femmes. Rich soutient au contraire que l’hétérosexualité est imposée aux femmes par une société patriarcale qui cherche à contrôler la sexualité féminine et à maintenir la domination masculine (male dominance). Un texte éminemment révolutionnaire à son époque et qui reste un texte crucial dans la théorie féministe et queer. Il a permis d’élargir la compréhension de la façon dont la sexualité est construite socialement et comment l’hétéronormativité renforce les structures de pouvoir patriarcales. Les concepts de l’hétérosexualité obligatoire (compulsory heterosexuality) et du continuum lesbien (lesbian continuum) continuent d’influencer les discussions sur le genre, la sexualité et la politique féministe, encourageant un examen plus inclusif et critique de la façon dont la société façonne les identités sexuelles...

 

"Compulsory Heterosexuality"? Rich introduit le concept d'"hétérosexualité obligatoire", l’idée que l’hétérosexualité n’est pas seulement une option parmi d’autres orientations sexuelles, mais plutôt une institution politique imposée aux femmes. Cette institution perpétue l’idée que les rôles principaux des femmes sont de satisfaire sexuellement les hommes, d’avoir des enfants et de remplir d’autres rôles traditionnels. Un système qui contraint les femmes à des relations hétérosexuelles par diverses pressions sociales, notamment la dépendance économique, les normes sociales, les représentations dans les médias et même la violence.

 

"Lesbian Existence"?  Contrairement à l’hétérosexualité obligatoire, Rich considère que "l’existence lesbienne" est un large spectre de relations féminines qui défient le contrôle patriarcal. Elle comprend non seulement les relations romantiques ou sexuelles entre femmes, mais aussi des liens affectifs profonds, la vie en commun et la solidarité féminine. L’existence lesbienne a été historiquement effacée ou marginalisée dans la société et le discours féministe, étant souvent mal comprise ou ignorée en faveur de la discussion de l’oppression des femmes dans les cadres hétérosexuels.

 

"The Lesbian Continuum"?  : Adrienne Rich propose l’idée d’ "existence lesbienne" en proposant le concept de "continuum lesbien", qui englobe un large éventail d’expériences identifiables par les femmes, des relations romantiques et sexuelles aux liens d’amitié et de solidarité politique entre les femmes. Ce continuum reflète les diverses façons dont les femmes résistent à la domination masculine et forment des liens significatifs avec d’autres femmes.

 

"Patriarchy and the Control of Female Sexuality"?  : Démonstration est faite de la façon dont le patriarcat non seulement impose l’hétérosexualité mais aussi contrôle la sexualité féminine à travers des mécanismes tels que le mariage, la violence sexuelle et les normes culturelles qui dévalorisent l’autonomie des femmes. Elle soutient que ces pratiques sont conçues pour maintenir les femmes sous la contrainte et la dépendance des hommes.

 

"Feminist Critique" ? - L’essai d'Adrienne Rich constitue bien un appel aux activistes féministes pour reconnaître les façons dont l’hétérosexualité "forcée" façonne la vie des femmes et pour considérer l’importance de l’existence lesbienne dans la théorie et la pratique féministes. Elle exhorte les féministes à remettre en question l’hypothèse selon laquelle l’hétérosexualité est naturelle ou inévitable et à explorer le potentiel libérateur des relations centrées sur la femme.


Ann Oakley (1944), "The Sociology of Housework" (1974) 

L'aliénation domestique. Le sociologue Talcott Parsons expliquait en 1955 que le ménage faisait partie des tâches féminines, époque où fleurissaient les publicités pour les produits ménagers et montrant des épouses étreignant avec ravissement des paquets de détergents. En 1985, Mary Maynard souligne dans "Contemporary Housework an the Houseworker Role" que dans un couple de salariés, c'est bien encore et tujours la femme qui effectue l'essentiel des tâches domestiques. Mais quelques dix années auparavant, la sociologue Ann Oakley avait interviewée 40 ménagères londoniennes âgées de 20 à 30 ans et ayant toutes au moins un enfant en bas âge : toutes disent avoir perdu leur sentiment d'autonomie et la maîtrise de leur vie. Quarante ans plus tard, rien n'a véritablement changé, nous dit Caroline Gatrell ...

Ann Oakley, "The Sociology of Housework", publié pour la première fois en 1974, est une étude révolutionnaire qui examine le sujet souvent négligé des travaux ménagers d’un point de vue sociologique. Le travail d’Oakley remet en question les conceptions traditionnelles du "ménage"  (housework) comme simple extension naturelle des rôles des femmes et soutient qu’il s’agit d’une forme de travail essentielle à la société mais sous-évaluée et inégalement répartie. Ce fut un travail fondamental de la sociologie féministe et qui eut un impact durable.

 

"Housework as Labor" ? - Ann Oakley redéfinit le travail ménager comme une forme de travail, en affirmant qu’il devrait être reconnu comme un travail essentiel au fonctionnement de la société. Elle souligne que le travail ménager implique une gamme de tâches - nettoyage, cuisine, garde d’enfants - qui exigent du temps, des efforts et des compétences, mais sont souvent rejetées comme non qualifiées ou triviales.

"Gender and Housework"? - Le livre met en évidence la nature sexiste des tâches ménagères, montrant comment elles ont été historiquement considérées comme le devoir naturel des femmes. Oakley explore comment cette division du travail est construite socialement et renforcée par des normes culturelles et des attentes qui positionnent les femmes comme principales aidantes familiales et ménagères. Il explique également comment cette répartition inégale des tâches ménagères contribue à l’inégalité globale entre les hommes et les femmes, tant au sein du foyer que dans la société en général.

"Women's Experiences" ? - L'enquête que mène Ann Oakley est basée sur des entretiens approfondis avec des femmes au sujet de leurs expériences du travail domestique. Elle documente toute la monotonie, l’isolement et le manque de reconnaissance que ressentent beaucoup de femmes, ainsi que les conséquences physiques et émotionnelles des tâches ménagères. Ces récits personnels révèlent l’insatisfaction et la frustration de nombreuses femmes, mettant en question la notion selon laquelle le travail ménager est une partie épanouissante ou naturelle du fait d’être femme.

"Housework and Power Relations"? - Ann Oakley ira jusqu'à soutenir que le travail ménager est un lieu clé des relations de pouvoir au sein du ménage, où les rôles traditionnels des sexes sont maintenus et renforcés. Elle montrera comment l’attente que les femmes devraient effectuer la majorité des tâches ménagères sert à maintenir la domination et le contrôle masculin dans toute la sphère dite domestique.

"Call for Change"? - Le livre appellera donc à une réévaluation de l’importance des tâches ménagères et du besoin d’une plus grande égalité dans leur répartition. Oakley suggèrera que la réalisation de l’égalité des sexes exige un changement fondamental dans la façon dont la société considère et valorise le travail domestique, y compris la nécessité pour les hommes d’assumer un rôle plus actif dans le travail domestique.


Jeffrey Weeks, "Sex, Politics and Society" (1989) 

Au XIXe siècle, alors que la société britannique instrumentalise la psychologie et la sexologie, que celle-ci fait de l'homosexualité et de l'hétérosexualité des catégories, le mariage est traité comme une institution essentielle à la bonne santé de la société et c'est par lui que l'on va s'efforcer de réguler la luxure masculine dite "naturelle", le mariage devient norme, l'homosexualité, un "crime", une perversion. La loi va donc réguler la sexualité, une sexualité qui en fin de compte n'apparaît pas comme ancrée dans notre corps mais bien construite idéologiquement ...

"Sex, Politics and Society" est une analyse historique complète de la régulation sociale et politique de la sexualité en Grande-Bretagne du 19e siècle à la fin du 20e siècle. Publié pour la première fois en 1981, le livre montre comment la sexualité a été façonnée par et a répondu à l’évolution des normes sociales, des mouvements politiques et des conditions économiques.

C'est un travail pionnier dans l’histoire de la sexualité. Il fournit une analyse détaillée et nuancée de la façon dont la sexualité a été construite, réglementée et contestée au fil du temps. L’approche interdisciplinaire de Weeks, alliant histoire, sociologie et politique, a fait du livre un texte clé dans l’étude de la sexualité et de sa régulation dans la société moderne.  

 

"Historical Regulation of Sexuality"? - Weeks retrace comment la sexualité a été réglementée par les lois, les discours médicaux, les enseignements religieux et les normes sociales. Il examine l’impact de la révolution industrielle, de l’urbanisation et de la montée du capitalisme sur le comportement sexuel et le besoin sociétal de le contrôler.

"Victorian Morality and Sexual Repression" ? Une part importante du livre est centrée sur l’époque victorienne, les codes moraux y étaient en effet stricts et l’idée de "pureté sexuelle" fortement appliqués. L'auteur explique comment cette période a vu l’émergence de l'"idéal" de la domesticité, où les femmes étaient censées incarner la pureté et les hommes étaient considérés comme naturellement plus sexuels. Il examine au passage la double norme en matière de réglementation de la sexualité masculine et féminine, les femmes étant soumises à un examen et à un contrôle accrus.

"The Role of the State and Law"? - Comment l’État et les systèmes juridiques ont joué un rôle central dans la régulation de la sexualité est ici parfaitement décrit: de la criminalisation de certains comportements sexuels, comme l’homosexualité et la prostitution, à l’imposition de normes sociales par le biais des lois sur le mariage et les structures familiales. L'auteur passe en revue les réformes juridiques clés, telles que la décriminalisation de l’homosexualité et l’introduction du contrôle des naissances, qui reflètent les changements d’attitude envers la liberté sexuelle.

"Sexual Reform Movements"? - Le livre traite également de l’émergence des mouvements de réforme sexuelle, y compris les mouvements féministes et de libération des homosexuels. Weeks explore la façon dont ces mouvements ont remis en question les points de vue traditionnels sur la sexualité, défendant la liberté sexuelle, l’égalité des sexes et les droits des personnes LGBTQ+. Il examine comment ces mouvements ont influencé les politiques publiques et fait évoluer les attitudes de la société vers une discussion plus ouverte et l’acceptation des diverses identités sexuelles, et comment sont intervenus les changements profonds dans les attitudes et les comportements sexuels au XXe siècle : en particulier après la Seconde Guerre mondiale. La montée de la révolution sexuelle, les changements dans les structures familiales et la visibilité croissante des communautés LGBTQ+ sont discutés comme des développements clés qui ont refaçonné les vues sociétales sur la sexualité. Enfin le livre évoque également l’impact des sciences sociales, en particulier la psychologie et la sociologie, sur la compréhension de la sexualité et la remise en question des normes plus anciennes et plus répressives.