Psychologie positive - Martin Seligman (1942), "What You Can Change and What You Can’t: The Complete Guide to Successful Self-Improvement" (1993), "Learned Optimism" (1990), "Authentic Happiness" (2002), "Flourish" (2011) , "The Hope Circuit : A Psychologist's Journey from Helpleness to Optimism" (2018) - Barry Schwartz, "The Paradox of Choice" (2004) - Daniel Gilbert, "Stumbling on Happiness" (2006) - ...
Last update : 2023/11/11
Au tout début du XXIe siècle, nous dira-t-on, l'idée du bonheur a considérablement évolué sous l'influence de recherches en psychologie positive, en économie comportementale et même en philosophie ( ?). Une approche plus moderne du bonheur semblerait prendre forme, celle d’une quête qui ne serait plus purement personnelle mais incluerait désormais des éléments collectifs, communautaires (quoique ce mot emporte de répulsion chez certains commentateurs à courte vue), de santé mentale, de "durabilité" et de "résilience". Deux termes, apparus au XXe siècle et consolidés en ce début du XXIe, entrés dans le langage médiatique et désormais incontournables. On parlera donc de "bonheur durable", devenu une affaire à la fois individuelle et collective, influencée par des facteurs qui vont bien au-delà des seuls choix personnels. Bien entendu de très nombreux ouvrages explorent ce thème en cherchant à comprendre ce qui rend les gens heureux, comment le bonheur peut être atteint et en quoi nos conceptions modernes diffèrent de celles des siècles précédents.
Les politiques publiques, comme les indices de bonheur national brut (BNB) du Bhoutan ou les initiatives visant à améliorer le bien-être mental des populations, montrent une approche élargie qui considère le bonheur comme un bien collectif.
Avec l'essor de la psychologie positive et des pratiques de pleine conscience, le bonheur au XXIe siècle est de plus en plus associé à la santé mentale. La méditation, la gestion du stress, et la réduction de l'anxiété font maintenant partie intégrante de la recherche du bonheur.
On a pu observer une valorisation de l’équilibre entre le plaisir (bonheur hédoniste) et le sens (bonheur eudémonique). Plutôt que de poursuivre simplement les plaisirs, beaucoup de chercheurs et d’auteurs insistent sur l’importance d’une vie significative et engagée.
L’idée de "succès" n'est plus ce qu'elle était, nous dit-on, le bonheur n'est plus souvent associé à la richesse et au statut social, le bonheur contemporain met en avant l'accomplissement personnel, les relations humaines et le bien-être mental. L'idée que l'argent, bien qu'important, ne fait pas le bonheur est entré dans la morale commune, la lutte des classes est un lointain souvenir, des grands espaces de pensée critique semblent s'être fermés à jamais, faute de penseurs et de renouvellement d'idées ... et de beaucoup d'indifférence et de stratégie à conséquence immédiate ..
Martin Seligman (1942)
"FIRST, DURING MY LIFETIME psychology abandoned behaviorism and took cognition seriously. Second, during my lifetime psychology turned its attention from misery toward happiness. Third, during my lifetime psychology finally took evolution and the brain seriously. And fourth, during my lifetime psychology moved from its obsession with the past to researching how the brain thinks about the future" (D’abord. pendant ma vie, la psychologie a abandonné le comportementalisme et a pris la cognition au sérieux. Deuxièmement, au cours de ma vie, la psychologie a tourné son attention de la misère vers le bonheur. Troisièmement, au cours de ma vie, la psychologie a finalement pris l’évolution et le cerveau au sérieux. Et quatrièmement, au cours de ma vie, la psychologie est passée de son obsession du passé à la recherche sur la façon dont le cerveau pense à l’avenir). - Né à Albany, dans l'Etat de New York, Martin Seligman passe en 1964 une maîtrise de philosophie à l'université de Princeton avant de s'orienter vers la psychologie, présenter un doctorat à l'université de Princeton, avant de s'orienter vers la psychologie. Il présente un doctorat à l'université de Pennsylvanie puis enseigna pendant trois ans à l'université Cornell (New York). En 1976, il obtient une chaire de psychologie. Les travaux qu'il effectue sur la dépression aboutissent à l'élaboration de la théorie de l' "impuissance apprise" et la recherche d'un moyen de contrer le pessimisme insidieux qui lui est associé : cette impuissance apprise consiste à renforcer des attitudes pessimistes dans des pathologies comme la dépression. Mais alors que les traitements obtenus dans les années 1980 montraient une certaine efficacité, Seligman part en quête d'une thérapie qui pourrait s'intéresser tant aux forces qu'aux faiblesses de ses patients : il ne s'agit pas d'atténuer ou de supprimer ce qui nous rend malheureux, mais d'identifier et de favoriser ce qui peut nous rendre heureux. Les émotions négatives et les traits de personnalité négatifs ont des limites biologiques très fortes, et sans doute que la meilleure science et la meilleure pratique jamais proposées avec les approches que préconisent Seligman dans ses différents ouvrages sont-elles d’encourager les gens "à vivre dans la meilleure partie de leur gamme de symptômes psychologiques" ...
En philosophe, Seligman identifie trois types de vie heureuse, la "vie agréable", recherche du plaisir, la plus éphémère, la "vie pleine", caractérisée par le succès dans les relations, travail ou activités de loisir, et la "vie intense", que l'on peut traduire comme un engagement envers une cause plus grande que soi. Dans les années 1990, Seligmen passe ainsi de cette notion de la dépression à la "psychologie positive" et, face à une expérience personnelle ("THE CHANGE IN my own life and the change in psychology are intertwined"), finit par se persuader que la clé du bonheur réside dans la concentration de ces forces positives. Il est à l'origine du Centre de psychologie positive de l'université de Pennsylvanie ...
Dans son cheminement, Seligman va retrouver le fameux état de "flow", ou état extatique", décrit par Mihaly Csikszentmihalyi : vie pleine et vie intense supposent une telle implication dans nos activités qu'elles mènent effectivement à cette expérience.
Seligman ajoute toutefois sa petite musique : les relations sociales font partie intégrante de la vie "agréable", mais les gens qui vivent une vie vie "pleine" ou "intense" sont tous extrêmement sociables. Ainsi donc, si les relations sociales ne garantissent pas le bonheur suprême, aucun bonheur ne peut être complet sans elles...
Plus que certains psychologues, Martin Seligman se pose, au détour de la psychologie positive, une question essentielle : pouvons-nous réellement et de façon durable évoluer psychologiquement ... Les idéologies de la psychiatrie biologique et de l’auto-amélioration veulent nous proposer une résolution de nos problèmes, mais qui n'est qu'apparente. Il y a des choses en nous qui peuvent être changées, d’autres qui ne le peuvent pas, et d’autres qui ne peuvent être changées qu’avec une extrême difficulté. Que pouvons-nous réussir à changer à notre sujet? Que ne pouvons-nous pas faire?
"TWO WORLDVIEWS are in collision. On the one hand, this is the age of psychotherapy and the age of self-improvement. Millions are struggling to change: We diet, we jog, we meditate. We adopt new modes of thought to counteract our depressions. We practice relaxation to curtail stress. We exercise to expand our memory and to quadruple our reading speed. We adopt draconian regimes to give up smoking. We raise our little boys and girls to androgyny. We come out of the closet or we try to become heterosexual. We seek to lose our taste for alcohol. We seek more meaning in life. We try to extend our life span.
"DEUX VISIONS DU MONDE s'affrontent. D'une part, c'est l'ère de la psychothérapie et de l'amélioration de soi. Des millions de personnes s'efforcent de changer : nous suivons un régime, nous faisons du jogging, nous méditons. Nous adoptons de nouveaux modes de pensée pour contrer nos dépressions. Nous pratiquons la relaxation pour réduire le stress. Nous faisons de l'exercice pour développer notre mémoire et quadrupler notre vitesse de lecture. Nous adoptons des régimes draconiens pour arrêter de fumer. Nous éduquons nos petits garçons et nos petites filles à l'androgynie. Nous sortons du placard ou nous essayons de devenir hétérosexuels. Nous cherchons à perdre notre goût pour l'alcool. Nous cherchons à donner plus de sens à notre vie. Nous essayons de prolonger notre durée de vie.
"Sometimes it works. But distressingly often, self-improvement and psychotherapy fail. The cost is enormous. We think we are worthless. We feel guilty and ashamed. We believe we have no willpower and that we are failures. We give up trying to change.
Parfois, cela fonctionne. Mais il est affligeant de constater que l'amélioration de soi et la psychothérapie échouent souvent. Le coût est énorme. Nous pensons que nous ne valons rien. Nous nous sentons coupables et honteux. Nous pensons que nous n'avons pas de volonté et que nous sommes des ratés. Nous renonçons à changer....
Martin Seligman commence par contester l'ère de la "psychiatrie biologique" dont certains se réclament encore. Face à un âge de "l’auto-amélioration et de la thérapie" (the age of self-improvement and therapy), se dresse une autre idéologie, celui de l’âge de la psychiatrie biologique (the age of biological psychiatry). Le génome humain sera presque cartographié, "les systèmes cérébraux qui sous-tendent le sexe, l’ouïe, la mémoire, la main gauche et la tristesse sont maintenant connus. Les drogues psychoactives - des agents externes - apaisent nos peurs, soulagent notre blues, nous apportent le bonheur, atténuent notre manie et dissolvent nos délires plus efficacement que nous ne le pouvons par nous-mêmes. Notre personnalité même - notre intelligence et notre talent musical, même notre religiosité, notre notre conscience (ou son absence), notre politique et notre exubérance - s’avère être plus le produit de nos gènes que presque personne n’aurait cru il y a une décennie (...) Le message sous-jacent de l’ère de la psychiatrie biologique est que notre biologie rend souvent impossible le changement, malgré tous nos efforts..." On en sait beaucoup aujourd'hui sur le changement. Une grande partie de ces connaissances n’existe que dans la littérature technique, et elles ont souvent été obscurcies par des intérêts commerciaux, thérapeutiques et, pas des moindres, politiques. Il y a longtemps, les comportementalistes disaient au monde que tout pouvait être changé : intelligence, sexualité, humeur, masculinité ou féminité. Les psychanalystes affirment toujours qu’avec suffisamment de perspicacité, tous vos traits de personnalité peuvent être reprogrammés.
Dans "Learned Optimism: How to Change Your Mind and Your Life" (1990) puis "What You Can Change and What You Can’t: The Complete Guide to Successful Self-Improvement" (1993), Martin Seligman s'était attaqué à ce climat généralisé d’auto-amélioration (self-improvement) qui imprègne notre culture, traitant tout à la fois l'alcoolisme, l’anxiété, la perte de poids, la colère, la dépression, le dysfonctionnement sexuel et une gamme de phobies et d’obsessions des plus variés, un énorme marché d'informations et de méthodes contestables qui débouchait pour beaucoup sur de la frustration ou la rechute. Après avoir fourni une analyse critique de ces différents domaines, il proposait, pour chacun d'entre eux, des facteurs naturels qui permettaient d'apporter des changements durables...
"Here are some facts about what you can change" - Voici quelques faits sur ce que vous pouvez changer : La panique peut être facilement désapprise, mais ne peut être guérie par des médicaments. Les "dysfonctionnements" sexuels - frigidité, impuissance, éjaculation précoce - sont faciles à désapprendre. Nos humeurs, qui peuvent faire des ravages sur notre santé physique, sont facilement contrôlables. La dépression peut être guérie par de simples changements dans la pensée consciente ou aidée par des médicaments, mais elle ne peut pas être guérie par un regard sur l'enfance. L'optimisme est une compétence qui s'apprend. Une fois acquise, elle permet d'améliorer les résultats au travail et la santé physique.
Voici quelques faits qui ne peuvent faire l'objet de modifications : Les régimes, à long terme, ne fonctionnent presque jamais. Les enfants ne deviennent pas androgynes facilement. Aucun traitement n'est connu pour améliorer le cours naturel de la guérison de l'alcoolisme. L'homosexualité ne devient pas hétérosexuelle. Le fait de revivre les traumatismes de l'enfance n'efface pas les problèmes de personnalité de l'adulte...
"Ce livre est le premier guide précis et factuel de ce que vous pouvez changer et de ce que vous ne pouvez pas changer. Puisque je m'apprête à soutenir que tant d'affirmations à grand renfort de trompettes sur l'auto-amélioration, la psychothérapie, les médicaments et la génétique ne sont pas dignes de foi, que certaines choses en vous ne changeront pas quels que soient vos efforts, mais que d'autres changeront facilement, vous devriez en savoir un peu plus sur mes qualifications. J'ai passé les trente dernières années à travailler sur la question de la "plasticité", le jargon académique pour dire ce qui change et ce qui ne change pas. J'ai travaillé des deux côtés de la rue...." (This book is the first accurate and factual guide to what you can change and what you cannot change. Since I am going to argue that so many loudly trumpeted claims about self-improvement, psychotherapy, medication, and genetics are not to be believed, that some things about you will not change no matter how much you try, but that other things will change easily, you should know a little about my qualiɹcations. I have spent the last thirty years working on the question of “plasticity,” academic jargon for what changes and what doesn’t. I have worked both sides of the street) ...
"La nature de la bête : la dépression, l'anxiété, la stupidité, la méchanceté, le stress traumatique, l'alcoolisme, la graisse, la "perversion" sexuelle. Lorsque j'étais un jeune théoricien de l'apprentissage, je savais que je poursuivais ces bêtes. Je ne me rendais pas compte alors que pour les comprendre, il fallait tenir compte d'une autre bête, la bête humaine.
"The nature of the beast. depression, anxiety, stupidity, meanness, traumatic stress, alcoholism, fatness, sexual “perversion.” When I was a callow learning theorist, I knew I was stalking after those beasts. I did not then realize that to understand them I had to take into account another beast, the human beast."
"Mon idéologie me disait que l'environnement était entièrement responsable des bêtes psychologiques. La stupidité est causée par l'ignorance ; fournissez suffisamment de livres et d'éducation, et vous guérirez la stupidité. La dépression et l'anxiété sont causées par des traumatismes, en particulier les mauvaises expériences de l'enfance ; minimisez les mauvaises expériences, élevez des enfants sans adversité, et vous bannirez la dépression et l'anxiété. Les préjugés sont causés par la méconnaissance ; faites connaissance avec les gens et les préjugés disparaîtront. La "perversion" sexuelle est causée par la répression et le refoulement ; laissez libre cours à votre imagination et tout le monde deviendra un hétérosexuel libidineux. Mon parti pris actuel est que, bien que tout cela ne soit pas totalement faux, c'est très incomplet. La longue histoire évolutive de notre espèce a également façonné nos bêtises, nos peurs, notre tristesse, nos crimes, ce que nous désirons, et bien d'autres choses encore. L'espèce que nous sommes se combine à ce qui nous arrive pour nous accabler de bêtes psychologiques ou pour nous en protéger. Pour comprendre et éliminer ces effets malveillants, nous devons faire face à la bête humaine...."
"My ideology told me that environment is completely responsible for the psychological beasts. Stupidity is caused by ignorance; provide enough books and education, and you will cure stupidity. Depression and anxiety are caused by trauma, particularly bad childhood experience; minimize bad experience, raise children without adversity, and you will banish depression and anxiety. Prejudice is caused by unfamiliarity; get people acquainted, and prejudice will disappear. Sexual “perversion” is caused by repression and suppression; let it all hang out, and everyone will become lusty heterosexuals.My bias now is that while this is not wholly wrong, it is seriously incomplete. The long evolutionary history of our species has also shaped our stupidities, our fears, our sadness, our crimes, what we lust after, and much else besides. The species we are combines with what actually happens to us to burden us with psychological beasts or to protect us against them. To understand and undo such malevolent eʃects, we must face the human beast."...
Et dans "The Hope Circuit" (2018), Martin E. P Seligman offrira de nombreuses techniques, simples, expliquant comment briser le bien connu et habituel « j’abandonne » (how to break an “I–give-up” habit), concevoir un attitude plus constructive pour interpréter notre comportement et expérimenter les avantages d’un dialogue intérieur plus positif. ...
Aristote, incontournable ? À travers les siècles, le bonheur en philosophie a oscillé entre recherche intérieure de vertu (Aristote, stoïciens), état de paix et de détachement (bouddhisme, stoïcisme, Schopenhauer) et quête d'accomplissement (Nietzsche, existentialistes).
Pour Socrate, le bonheur (eudaimonia) était lié à la vertu et à la connaissance de soi, ne pouvait être atteint que par une vie morale et introspective, dans la recherche de la vérité. Platon partageait avec lui l’idée que la vertu était essentielle au bonheur et que celui-ci pouvait traduit en terme d'harmonie de l'âme, où chaque partie de l'âme (raison, esprit, appétit) remplit son rôle sous la direction de la raison. Aristote, dans L’Éthique à Nicomaque, introduit le concept de bonheur comme épanouissement ou accomplissement de la nature humaine (eudaimonia). Le bonheur est bien le but ultime de la vie humaine, atteint par une vie vertueuse, où l’individu réalise son plein potentiel en exerçant ses vertus et en développant la raison, son trait distinctif en tant qu’être humain. Épicure définira le bonheur comme l'absence de douleur, l'ataraxie quil promeut, valorise le plaisir, mais pas n'importe quel plaisir, : celle des plaisirs naturels et nécessaires. Les stoïciens, comme Épictète et Marc Aurèle, considèreront que le bonheur réside dans l'acceptation du destin et la maîtrise de soi. Le bonheur s’atteindrait par une vie en accord avec la nature et la raison, en distinguant ce qui dépend de nous (nos pensées et réactions) de ce qui ne dépend pas de nous (les événements extérieurs). Dans la pensée chrétienne, le bonheur relève de la notion de Dieu. Saint Augustin soutient que le vrai bonheur est impossible à atteindre dans ce monde et ne peut se trouver qu’en Dieu. Thomas d’Aquin, influencé par Aristote, intègre cette vision et explique que le bonheur terrestre est possible par la vertu, mais que le bonheur suprême ne s’atteint qu’après la mort, par la communion avec Dieu. Vint l'époque moderne, Descartes, dans son Discours de la méthode, voit le bonheur comme lié à la sagesse et à la maîtrise de soi. Il considère que la connaissance et l’exercice de la raison permettent de bien vivre et d’atteindre une certaine forme de contentement : le bonheur est rattaché à l'indépendance de l'esprit et à la maîtrise des passions. Au XIXe siècle, Jeremy Bentham et John Stuart Mill développent l’utilitarisme, pour qui le bonheur est la maximisation du plaisir et la minimisation de la douleur pour le plus grand nombre. Bentham considère que chaque plaisir se vaut, tandis que Mill distingue des plaisirs "supérieurs" (intellectuels, moraux) des plaisirs "inférieurs" (physiques), accordant plus de valeur aux premiers pour un bonheur durable. Emmanuel Kant distinguera bonheur et moralité, si le bonheur est un désir naturel, il ne peut guère constituer la base de la morale : l’accomplissement du devoir, défini par la raison et non par la recherche du bonheur, est l’essence de la vie morale, on peut en toutes limites reconnaître une certaine satisfaction liée au devoir accompli. Pour Schopenhauer, le bonheur est difficilement atteignable en raison de la souffrance inhérente à la condition humaine, l'existence n'est que lutte, et le bonheur une absence, temporaire, de douleur. Une vie de renoncement et de détachement seule s'offre à nous pour échapper à la souffrance.
Nietzsche nous représentera le bonheur comme un état de dépassement de soi plutôt que comme un état de satisfaction ou de bien-être : il n'est qu'un sous-produit de la création et de l’accomplissement de soi, critique les morales qui prônent le contentement passif et encourage une vie intense, pleine de défis, où l’on embrasse le "cercle éternel" des expériences humaines, incluant la douleur. Les existentialistes comme Jean-Paul Sartre et Albert Camus insistent sur la liberté individuelle et la responsabilité de donner du sens à sa vie. Sartre soutient que le bonheur n'est pas un objectif, mais un état momentané qui émerge lorsqu’on accepte la responsabilité de créer son propre sens. Pour Camus, le bonheur est possible dans la révolte contre l’absurdité de la vie, en embrassant l’existence pleinement, même dans ses aspects tragiques. À la fin du XXe siècle, la philosophie n'a plus parlé de "bonheur" depuis bien longtemps, et tandis qu'elle n'existe plus qu'au travers des sciences dites humaines pour tenter d'explorer le bonheur comme bien-être subjectif, la scène médiatique, et l psychologie positive qui lui fournit son langage, s'est désormais entièrement emparée du sujet, la représentation de soi, de son image ou de ses substituts n'est plus qu'un spectacle permanent d'auto-célébration collective ...
On peut aisément constater une certaine rupture, des questions sans doute vitales au regard de ce que nous pouvions penser, n'ont plus jamais plus été réellement débattues, et visiblement sans que cela ne nous pose le moindre problème ...
Pendant de nombreuses années, la psychologie s'est étonnamment peu intéressée au BONHEUR. Martin Seligman a contribué à faire de ce sujet un objet d'étude et d'observation sérieux, et sa « psychologie positive » révèle, par le biais de la science, les recettes parfois inattendues du bien-être mental. La distinction établie par Barry Schwartz entre les maximiseurs et les satisfaits nous a donné l'idée contre-intuitive que le fait de restreindre nos choix dans la vie peut en fait conduire à un plus grand bonheur et à une plus grande satisfaction, et le livre de Daniel Gilbert souligne le fait surprenant que, bien que les humains soient les seuls animaux à pouvoir se projeter dans l'avenir, nous nous trompons souvent sur ce que nous pensons être la source du bonheur. Passant du macro au micro, les travaux de Robert Thayer sur les causes physiologiques des humeurs quotidiennes ont aidé des milliers de personnes à mieux contrôler ce qu'elles ressentent d'heure en heure. Les perspectives singulières de chacun de ces livres montrent que l'atteinte du bonheur n'est jamais aussi simple que nous le souhaiterions.
Après la Seconde Guerre mondiale, alors que la psychologie expérimentale se concentrait sur les processus cognitifs, la psychologie clinique continuait à chercher comment traiter les troubles comme la dépression ou l'anxiété. Les nouvelles thérapies cognitives visaient encore à soulager le malheur plus qu'à promouvoir le BONHEUR. C'est dans les années 1950 que Carl Rogers développa le concept et la pratique de la fameuse théorie "centrée sur la personne". En 1954, Abraham Maslow utilisait pour la première fois le terme de "psychologie positive" ("Devenir le meilleur de soi-même"). Et ce n'est que très progressivement qu'on en viendra à la grande question du "bonheur". En 1990, Mihaly Csikszentmihalyi, dans "Flow : The Psychology of Optimal Experience" s'intéresse aux liens entre l'activité qui passionne et le bonheur.
Les travaux de Martin Seligman sur la dépression nerveuse débouchèrent sur la proposition d'une théorie, celle de "l'impuissance apprise" (le renforcement des attitudes pessimistes dans des pathologies comme la dépression) et la recherche d'un moyen de lutter contre le pessimisme insidieux qui lui est associé : c'est alors qu'il pressentit qu'une thérapie doit s'intéresser aux forces autant qu'aux faiblesses, se consacrer a construire le meilleur
autant qu'à réparer le pire, et que l'une des clés du bonheur résiderait peut-être dans la concentration des forces dites positives. Comme bien des philosophes qui l'avaient précédé, Seligman savait qu'il ne s'agissait pas d'attenuer ou de supprimer ce qui nous rend malheureux, mais d'encourager et de favoriser les choses qui nous rendent heureux- et, en premier lieu, de les identifier.
Il en vint ainsi à identifier trois manières de vivre une "vie heureuse" : la "vie pleine", - une vie dans laquelle se réalise l'épanouissement personnel jusqu'à atteindre l'état de "flow" (le fameux état extatique défini par Mihály Csikszentmihályi ) -, la "vie intense", - existence au travers de laquelle on se consacre au service de quelque chose de plus grand que soi -, et la "vie agréable" : ici, habitent les gens heureux et épanouis qui se plaisent en société, recherchent la compagnie des autres en recherchant le plaisir. Mais si la recherche optimale du plaisir peut résumer la "vie agréable" et apporter le bonheur, Seligman observera que celui-ci était souvent très éphémère. La "vie pleine", que caractérise le succès dans les relations, le travail ou les activités de loisirs offre, d'après lui, un bonheur plus profond et plus durable. De même, la "vie intense", définie par son engagement au service d'autrui ou d'une cause qui nous dépasse infiniment. La conclusion de Seligman sra très pragmatique ; les relations sociales ne garantissent pas le bonheur suprême, mais aucun bonheur n'est complet sans elle ...
Visant à explorer les aspects positifs de l'expérience humaine, tels que le bonheur, la résilience, l'engagement, et l'épanouissement, le père de la psychologie positive a révolutionné son domaine en encourageant une approche qui ne se focalise pas seulement sur les pathologies ou les déficits, mais qui met également en lumière les forces, les vertus, et le bien-être individuel. On retrouve ici la fameuse quête aristotélicienne de l' "eudaimonia" ...
Dans les années 1960-1970, ses travaux sur la dépression débouchèrent sur l'élaboration de la théorie de "l'impuissance acquise" (learned helplessness), - le sentiment d'incapacité à agir après des expériences répétées d'échec ou d'inévitabilité -, et la recherche d'un moyen de contrer le pessimisme insidieux qui lui est associé. A la suite d'un incident avec sa fille qui mit en évidence sa propre négativité, il finit par se persuader qu'il n'y a de clé du bonheur que dans la concentration des forces positives, et au centre de celles-ci, les "relations sociales". Les gens heureux et épanouis se plaisent société, "les relations sociales sont, comme la nourriture ou la thermorégulation, universellement essentielles au bonheur humain". Aimer la compagnie de autres n'offre pas nécessairemnt une très profonde satisfaction intellectuelle ou émotionnelle, mais, pour Seligman, c'est bien une condition indispensable au bonheur...
En 1998, Seligman, professeur de psychologie en Pennsylvanie, lança le mouvement de la psychologie positive en tant que président de l'American Psychological Association. Il a développa ainsi une approche fondée sur la promotion du bien-être, en étudiant des facteurs tels que la satisfaction dans la vie, la gratitude, l'optimisme et la recherche de sens. Son modèle PERMA, en particulier, décrit cinq composantes du bien-être :
- Positive Emotion (émotion positive)
- Engagement (engagement)
- Relationships (relations)
- Meaning (sens)
- Accomplishment (accomplissement)
Des programmes qui viseront à renforcer la capacité à faire face au stress et aux difficultés de manière plus constructive tandis que "Flourish" (2011) développera le modèle PERMA et élargira la perspective de la psychologie positive au-delà du bonheur...
En collaboration avec Christopher Peterson, Seligman publiera, en 2004, "Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification (2004) centré sur sa "Théorie des signatures de forces" (character strengths) : il y présente une classification des forces de caractère et des vertus humaines ("Values in Action", VIA), offrant une base théorique pour identifier et cultiver les traits positifs chez les individus dans le cadre de la psychologie positive.
"Authentic Happiness : using the new positive psychology to realize your potential for lasting your fulfillment" (2002)
"I use happiness and well-being: The word happiness is the overarching term that describes the whole panoply of goals of Positive Psychology" - J’utilise, écrit Seligman, les termes de "bonheur" et de "bien-être", et le terme de "bonheur" n'est que le terme global qui décrit toute la panoplie d’objectifs de la psychologie positive. Le mot lui-même n’est pas un terme dans la théorie (contrairement au plaisir ou au flux, qui sont des entités quantifiables avec des propriétés psychométriques reconnues, c’est-à-dire qu’elles montrent une certaine stabilité dans le temps et la fiabilité parmi les observateurs). Le bonheur en tant que terme est comme le terme cognition dans le domaine de la psychologie cognitive ou de l’apprentissage dans la théorie de l’apprentissage. Ces termes ne font que nommer un champ, mais ils ne jouent aucun rôle dans les théories sur le terrain....
Selon Martin Seligman, le bonheur n’est pas le résultat de bons gênes ou de la chance, le vrai bonheur durable vient du fait de se concentrer sur ses forces personnelles plutôt que sur ses faiblesses, et de travailler avec elles pour améliorer tous les aspects de sa vie. À l’aide d’exercices pratiques, de brefs tests et d’un programme web dynamique, Seligman montre aux lecteurs comment identifier leurs plus hautes vertus et les utiliser d’une manière qu’ils n’ont pas encore envisagée. Il installe son propos dans le champs de la psychologie positive, qu'il structure en trois études, l’étude de l’émotion positive, celle des traits positifs, que sont forces, vertus, et capacités, et enfin celle relatives aux "institutions" dites positives, comme la démocratie, les familles fortes, la liberté de presse ou de pensée, qui soutiennent vertus et émotions positives. Les émotions positives de confiance et d’espoir, par exemple, nous sont nécessaires quand la vie devient difficile; en période de crise, ne dit-on pas qu'il est essentiel de comprendre et de renforcer ces mêmes institutions positives ...
"The great lesson of the endless debates about “What is happiness?” is that happiness comes by many routes. Looked at in this way, it becomes our life task to deploy our signature strengths and virtues in the major realms of living: work, love, parenting, and finding purpose. These topics occupy the third part of this book. So this book is about experiencing your present, past, and future optimally, about discovering your signature strengths, and then about using them often in all endeavors that you value. Importantly, a “happy” individual need not experience all or even most of the positive emotions and gratifications..."
"La grande leçon à tirer des débats sans fin sur la question du bonheur est qu'il existe de nombreuses voies d'accès au bonheur. Vu sous cet angle, notre tâche consiste à déployer les forces et les vertus qui nous caractérisent dans les principaux domaines de la vie : le travail, l'amour, l'éducation des enfants et la recherche d'un but. Ces sujets occupent la troisième partie de ce livre. Ce livre a donc pour but de vous permettre de vivre votre présent, votre passé et votre avenir de manière optimale, de découvrir les forces qui vous caractérisent et de les utiliser souvent dans toutes les activités qui vous tiennent à cœur. Il est important de noter qu'une personne "heureuse" n'a pas besoin d'éprouver toutes les émotions et gratifications positives, ni même la plupart d'entre elles..."
Barry Schwartz, "The Paradox of Choice" (2004)
Pourquoi la culture de l'abondance nous éloigne-t-elle à ce point du bonheur, s'interroge Barry Schwartz, psychologue et professeur émérite au Swarthmore College et auteur notamment de "The Cost of Living: How Market Freedom Erodes the Best Things in Life" (2001); "Practical Wisdom: The Right Way to Do the Right Thing" (2010), coécrit avec Kenneth Sharpe, où il explore le concept de sagesse pratique; "Why We Work" (2015), un livre où il analyse les motivations au travail, en critiquant l'approche réductionniste selon laquelle l'argent est la principale motivation humaine.
"Contrairement à d'autres émotions négatives - la colère, la tristesse, la déception, voire le chagrin -, ce qui est si difficile dans LE REGRET, c'est le sentiment que la situation regrettable aurait pu être évitée et que vous auriez pu l'éviter, si seulement vous aviez choisi différemment" (Unlike other negative emotions—anger, sadness, disappointment, evengrief—what is so difficult about regret is the feeling that the regrettable state of affairs could have been avoided and that it could have been avoided by you, if only you had chosen differently). L'abondance de choix est l'une des principales sources de souffrance psychologique, car elle implique l'angoisse des occasions manquées et le regret des chemins non empruntés. Pourtant, cette forme particulière de misère, qui était autrefois l'apanage d'un nombre relativement restreint de personnes, s'est transformée en une véritable épidémie avec l'augmentation de la richesse et des choix. Des décisions quotidiennes, banales, sont devenues de plus en plus complexes en raison de l'anxiété, de l'insatisfaction et des regrets qu'elles engendrent. Dans un village planétaire, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander pourquoi nous ne sommes pas aussi célèbres que Madonna ou aussi riches que Bill Gates, et à quel point notre propre vie semble banale ou restreinte en comparaison. Et pouquoi sans doute nous sommes de ces "suiveurs" qui font la fortune et la réputation bien artificelle des "influenceurs" en tout genre qui peuplnt désormais les allées médiatiques d'un spectacle de soi permanent.
"Après des millions d'années de survie basée sur des distinctions simples, il se peut que nous ne soyons tout simplement pas biologiquement préparés au nombre de choix auxquels nous sommes confrontés dans le monde moderne" (After millions of years of survival based on simple distinctions, it may simply be that we are biologically unprepared for the number of choices we face in the modern world). D'où cette extraordinaire conclusion d'une évidence simplicité, "Paradoxically, happiness may lie in limiting our choices rather than increasing them" (Paradoxalement, le bonheur peut résider dans la limitation de nos choix plutôt que dans leur augmentation).Trop de choix peut nuire à notre bonheur, car il n'est pas nécessairement synonyme d'une plus grande qualité de vie ou d'une plus grande liberté, trop de démocratie peut freiner nos velléités d'émancipation et nous entraîner dans le puit sans fond de pensées que nous ne maîtrisons plus.
Schwartz souligne trois effets de la multiplication des choix et des options :
- Chaque décision demande plus d'efforts (Each decision requires more effort).
- Les erreurs sont plus probables (Mistakes are more likely).
- Les conséquences psychologiques de ces erreurs sont plus importantes (The psychological consequences of those mistakes are greater).
Étant donné que nous prenons souvent de mauvaises décisions et compte tenu du nombre de décisions que nous devons prendre, il serait certainement plus logique de rechercher ce qui est « suffisamment bon » (only the best) plutôt que de toujours rechercher « le meilleur » (good enough). L'auteur en vient à répartir les individus en « maximiseurs » et « satisfaits », dans ce genre d'ouvrage, il est bon de consteller le texte de traits suffisamment médiatisables ...
- Les maximiseurs (maximizers) sont des personnes qui ne sont pas heureuses tant qu'elles n'ont pas obtenu « le meilleur », quelles que soient les circonstances. Pour cela, ils doivent examiner toutes les options avant de prendre une décision.
- Les personnes satisfaites, les "satisfacteurs" (satisficers) sont celles qui sont prêtes à se contenter de ce qui est juste assez bon sans avoir besoin de s'assurer qu'il existe une meilleure option. Les personnes satisfaites ont certains critères ou normes qui, s'ils sont respectés, prendront leur décision à leur place. Ils n'ont pas le besoin idéologique d'obtenir « ce qu'il y a de mieux ».
Le concept de "satisfaction" (satisficing) a été introduit par l'économiste Herbert Simon dans les années 1950 : dans son ouvrage "Administrative Behavior: A Study of Decision-Making Processes in Administrative Organization" publié pour la première fois en 1947, un concept devenu pierre angulaire de sa théorie de la "rationalité limitée". La conclusion de Simon était que, contrairement à l'idée de rationalité parfaite supposée dans la théorie économique classique et à la notion de maximisation, qui suppose que les individus évaluent toutes les options possibles pour prendre la décision optimale, Simon suggère que les gens, en réalité, se contentent souvent de la première solution satisfaisante qui répond à leurs besoins ou objectifs immédiats. Une approche de la décision qui s'explique par plusieurs facteurs, notamment :
- les limites cognitives humaines : Les individus ne peuvent pas toujours traiter toute l'information disponible en raison de capacités mentales limitées.
- le coût de la recherche d'informations : Recueillir et analyser toutes les options peut être coûteux, en temps et en énergie.
- les incertitudes : Les informations sont souvent incomplètes ou ambiguës, ce qui rend difficile la recherche de la solution "parfaite".
En pratique donc, et en tout domaine de son existence, un individu "satisfait" ses besoins lorsqu'il trouve une solution "assez bonne" ou "acceptable", sans chercher à maximiser ou optimiser tous les paramètres. Un concept qui, s'il a eu un impact majeur sur les domaines de la psychologie cognitive, de la prise de décision, de l'économie comportementale et de la gestion, n'a guère dépassé le terme d'un constat, depuis plus d'un siècle des générations redécouvrent que le le modèle d'homo economicus strictement rationnel n'existe pas, et l'être humain se satisfait d'avoir en enfin atteint une conception plus réaliste de se représenter les décisions humaines, des décisions qui tiennent compte des limites humaines et des contraintes contextuelles, ceci évite de penser plus en avant ...
Bien entendu, le propos du "Paradox of Choice" ne peut s'arrêter en si bon chemin, et que les "maximisateurs" peuvent parvenir à ce qu'ils croient être le meilleur choix possible, ce choix ne les rendra pas nécessairement heureux. Des études complémentaires montreront que les maximiseurs sont généralement moins heureux (The phrase “shoulda, coulda, woulda” sums up the state of many a maximizer in a tangle over their decisions), moins optimistes et plus enclins à la dépression que leurs cousins dits "satisfaits". Si vous voulez plus de tranquillité d'esprit et de satisfaction dans votre vie, soyez un « satisficier ». Les personnes satisfaites se pardonnent plus facilement leurs erreurs, - « J'ai fait ce que j'ai fait en fonction des choix qui s'offraient à moi » (I did what I did based on the choices before me) -, en terme de travail ou de sentiments, peu importe. Les personnes satisfaites ne croient pas pouvoir créer un monde parfait pour elles-mêmes et sont donc moins affectées lorsque - comme c'est normalement le cas - il se révèle l'imperfection de notre monde : "If you want more peace of mind and life satisfaction, be a satisficer" ....
Au cours des quatre dernières décennies, notera Schwartz, le revenu par habitant des Américains (en tenant compte de l'inflation) a doublé. Le nombre de foyers équipés d'un lave-vaisselle est passé de 9 à 50 %, et celui des foyers équipés de l'air conditionné de 15 à 73 %. Pourtant, il n'y a pas eu d'augmentation mesurable du bonheur au cours de la même période.
Ce qui procure du bonheur, ce sont les relations étroites avec la famille et les amis, et c'est là le paradoxe : des liens sociaux étroits réduisent en fait nos choix et notre autonomie dans la vie. Le mariage, par exemple, réduit notre liberté d'avoir plus d'un partenaire romantique ou sexuel. Si tel est le cas, il s'ensuit que le bonheur doit être lié à une liberté et une autonomie réduites, et non accrues.
Mais alors, se demande l'auteur, la liberté de choix n'est pas ce qu'elle est censée être, "that freedom of choice is not all it’s cracked up to be", et comme attendu, comme nous ne savons que raisonner d'une façon binaire, non seulement les choix n'améliorent pas la qualité de notre vie, mais ils peuvent même la diminuer et, dans ce "contexte", un certain niveau de contrainte peut être libérateur (some level of constraint may be liberating). Et Schwartz poursuit un peu plus dans cette même optique, des "études" lui permettent de suggérer que la nécessité d'envisager des compromis dans les choix rend les individus à la fois indécis et moins heureux.
Deux évidences s'imposent aux yeux de l'auteur et de ses lecteurs,
- la clé pour comprendre pourquoi un plus grand nombre de choix ne nous rend pas plus heureux réside peut-être dans le fait qu'ils augmentent notre niveau de responsabilité.
- et nous sommes plus heureux lorsque nous savons que nos décisions ne sont pas réversibles.
Avec l'avènement de la télévision, de l'internet, etc., nous disposons désormais d'un énorme réservoir d'autres personnes auxquelles nous pouvons nous comparer. Même si nous sommes relativement bien lotis, il y en a toujours d'autres qui sont plus riches. C'est ce que Schwartz appelle les « comparaisons ascendantes » (upward comparisons), qui ont tendance à nous rendre jaloux, hostiles et stressés, et à diminuer notre estime de soi. La « comparaison descendante » (downward comparison), en revanche, consiste à constater la chance que nous avons par rapport à ceux qui ont peu. Étant donné donc que la multiplication des choix multiplie les possibilités de comparaison, la recette du bonheur est simple, et double : "rendre vos décisions irréversibles ; et - apprécier constamment la vie que vous avez..." (make your decisions irreversible, and constantly appreciate the life you do have....)
Jonathan Haidt , "The Happiness Hypothesis, finding modern truth in ancient wisdom" (2006)
Psychologue social enseignant à l'Université de New York, Haidt est de ceux qui explore la manière dont les émotions et les intuitions influencent nos jugements moraux et nos comportements, souvent inconsciemment. Dans "The Righteous Mind" (2012), Haidt explorera les racines de nos divisions politiques et religieuses en examinant les fondements psychologiques de la morale. dans "The Coddling of the American Mind: How Good Intentions and Bad Ideas Are Setting Up a Generation for Failure" (2018, coécrit avec Greg Lukianoff), les auteurs examinent comment, selon eux, certaines tendances éducatives et culturelles récentes ont contribué à une montée de l'anxiété, de la dépression, et de la sensibilité émotionnelle chez les jeunes : ils critiqueront certaines politiques de "protection excessive" dans les universités américaines, où les jeunes sont protégés de tout ce qui pourrait les perturber ou les choquer.
Dans son livre "The Happiness Hypothesis: Finding Modern Truth in Ancient Wisdom", Jonathan Haidt combine idées philosophiques anciennes avec découvertes contemporaines en psychologie pour tenter d'expliciter ce qui rend les êtres humains heureux. Il partira donc pour illustrer son propos ce qu'il considère comme les dix grandes idées issues de la philosophie, de la religion, et de la sagesse populaire. Haidt utilise les pensées de philosophes et de sages de différentes traditions (comme Bouddha, Platon, Confucius) et les confronte à des recherches scientifiques modernes pour montrer comment certaines vérités anciennes résonnent toujours dans notre compréhension contemporaine de la psychologie humaine. Le bonheur, au final, résulte d’un équilibre entre notre vie intérieure (pensées, émotions) et extérieure (relations, sens de la communauté). Dans une métaphore comparant l'esprit humain à un cavalier (la raison) chevauchant un éléphant (les émotions et l’inconscient), il nous montre que le cavalier peut guider l’éléphant, mais seulement dans la mesure où l’éléphant veut bien suivre, soulignant le poids de l’émotionnel sur la rationalité et l’importance de mieux comprendre et gérer nos émotions pour trouver le bonheur (The mind is divided, like a rider on an elephant, and the rider’s job is to serve the elephant).
Inspiré par Aristote et les philosophes grecs, il soulignera que l’humain est un "animal social" et que nos liens interpersonnels sont essentiels pour une vie épanouissante. Cette perspective est soutenue par des recherches montrant l'impact des connexions sociales sur la santé mentale et physique. Reprenant la notion de flow (ou "expérience optimale") théorisée par Mihaly Csikszentmihalyi, il nous explique que le bonheur durable vient d'une alternance entre plaisir immédiat et investissement dans des activités qui nous engagent profondément et donnent du sens à notre vie, un point, souligne-t-il en parfaite harmonie avec les enseignements d’Aristote sur l’épanouissement personnel par la réalisation de soi. Enfin, inspiré par le bouddhisme et le stoïcisme, Haidt évoque le concept d’ataraxie, ou tranquillité d'esprit, pour rappeler que le bonheur repose souvent sur une acceptation et une paix intérieure qui ne dépendent pas des circonstances externes ; sans cette optique, il explorera les pratiques de pleine conscience et de gratitude pour cultiver ce bonheur intérieur.
Daniel Gilbert, "Stumbling on Happiness" (2006)
Dans "Stumbling on Happiness", Daniel Gilbert, psychologue et professeur à Harvard, entend nous expliquer comment les êtres humains perçoivent, anticipent et expérimentent le bonheur. Et c'est en appliquant des concepts de psychologie cognitive qu'il va déconstruire certaines idées préconçues que nous avons sur cette fameuse quête du bonheur.
Alors que l'être humain n'est pas seulement conscient de l'avenir, mais est une véritable « machine à anticiper » (anticipation machines) qui se concentre sur ce qui est à venir presque autant que sur ce qui est présent, pourquoi sommes nous si peu en capacité de savoir ou de prévoir ce qui pourrait nous rendre heureux ou du moins pourquoi cette « pensée prospective » (prospective mind) est-elle tant une source fréquente d’erreurs ?
Parce que notre perception du monde est subjective et influencée par notre état émotionnel et physique actuel; parce que nous essayons de comprendre ce qu’est le bonheur en observant les autres; parce que le cerveau humain possède des « angles morts » (blind spots) qui affectent notre capacité à imaginer l’avenir avec clarté; parce que nous avons tendance à ne pas remarquer l’absence de certains détails dans une situation, ce qui conduit à des prédictions imparfaites sur notre bonheur futur; parce que l'avenir que nous imaginons est souvent une projection de nos désirs, besoins et émotions actuels, au lieu d’être une prise en compte objective de ce qui se produira vraiment; parce que notre mémoire et notre imagination introduisent des distorsions qui faussent toutes projections ...
Ayant passé pratiquement tout son livre à identifier les problèmes que nous rencontrons en tentant de prédire avec précision nos états émotionnels futurs, on peut s'attendre à ce qu'il nous fournisse une solution qui pourrait rendre notre bonheur plus fiable? Sa réponse finale nous surprendra peut-être, l'expérience des autres ...
De fait Gilbert ne traite pas le bonheur comme une valeur durable ou existentielle, mais plutôt comme un état ponctuel influencé par des événements ou des anticipations, c'est un choix. - Et l’idée de l'auteur de « bonheur simulé », par laquelle il soutient que notre esprit est capable de créer des versions « fabriquées » du bonheur après des événements négatifs, a suscité bien des débats -.
Psychologues et lecteurs ne trouveront donc pas ici des solutions applicables à leur quotidien, au-delà de la notion de "biais cognitifs" (cognitive biases), qu’il définit comme des erreurs systématiques de jugement et de perception, dans notre compréhension et anticipation du bonheur.
Ces biais déforment notre perception de la réalité et influencent notre capacité à prévoir ce qui nous rendra heureux ou malheureux dans le futur. Ils nous amènent souvent à idéaliser ou dramatiser les situations futures, à accorder trop d'importance aux événements ponctuels, et à négliger notre capacité d’adaptation. Ainsi Gilbert propose de prendre conscience de ces biais pour mieux comprendre nos propres attentes et adopter une vision plus nuancée et réaliste du bonheur.
Les principaux biais cognitifs qu'il cite sont les suivants :
- Le biais de focalisation (Focusing Bias) : ce biais désigne notre tendance à accorder une importance excessive à un aspect particulier d’un événement futur, tout en sous-estimant les autres éléments du contexte.
- Le biais d'impact (Impact Bias) fait référence à notre tendance à surestimer l’intensité et la durée de l’impact émotionnel des événements futurs. Ce biais nous amène à penser qu'un événement, qu'il soit positif ou négatif, aura des effets émotionnels plus intenses et durables qu'il n'en a réellement. En réalité, la plupart des gens finissent par retrouver leur niveau de bonheur de base, un phénomène que les chercheurs appellent « adaptation hédonique ».
- Le biais d’optimisme (Optimism Bias) consiste en notre tendance à surestimer les chances que des événements positifs nous arrivent et à sous-estimer les probabilités de mauvaises nouvelles. Le biais d’optimisme nous pousse donc à croire que nous serons globalement plus heureux que les autres et que les événements de notre vie seront favorables.
- Le biais de rétrospection et de mémoire sélective (Retrospection Bias and Selective Memory)au travers duquel Gilbert explique que nous avons tendance à nous souvenir des événements passés d'une manière qui n'est pas forcément fidèle à la réalité. Nos souvenirs sont influencés par nos émotions présentes et par le besoin de rendre nos choix passés cohérents.
- Le biais de simulation, ou biais de pensée contrefactuelle (Simulation Bias, or Counterfactual Thinking Bias), désigne notre capacité à imaginer différentes versions d’une situation, y compris celles qui ne se sont pas réalisées. Il peut influencer nos attentes pour l’avenir, en nous poussant à construire des scénarios imaginaires (souvent idéalisés ou dramatisés) qui ne reflètent pas la complexité de la réalité.
- Le biais de confirmation (Confirmation Bias) reflète notre tendance à privilégier les informations qui confirment nos croyances ou nos attentes actuelles, tout en ignorant ou en minimisant celles qui les contredisent.