Annibale Carracci (1560-1609), "Le Baptême du Christ" (1585), "Pietà" (1585), "Vénus, satyre et deux Amours" (1588), "Histoire de Romulus" (1588-1592", "L'Assomption de la Vierge" (1592), "La Résurrection du Christ" (1593), "La Charité de saint Roch", Voûte de la galerie Farnèse (1597-1604, Rome), "La fuite en Egypte" (1602-1603) - ...

Last update 10/10/2023


L'ltalie du Nord s'oppose au maniérisme : respectivement bolonais et lombard, Annibal Carrache, vers 1580-1590, puis le Caravage, vers 1590-1600, proposent un art "dominé par un retour à une vision sensuelle de la nature", "un désir entièrement nouveau de communiquer avec le public". Carrache exécute le premier quelques "portraits de genre" naturalistes, tandis que Caravage se tourne vers les humbles, chez lui, les saints ne sont ni riches ni beaux mais humains, la Vierge n'est qu'une simple femme du peuple, et place le religieux à la portée de tout être humain. Les caravagesques seront nombreux en Italie, Gentileschi, Manfredi, Giordano, ou l'Espagnol ténébriste romain Ribera. Velázquez est caravagesque à ses débuts, comme le Flamand Rubens et les Français La Tour, Vouet ou, le plus fidèle, Valentin de Boulogne. Les Hollandais, dont Ter Brugghen, proposeront un caravagisme clair aux visages expressifs. 

Carrache, lui a opté pour un classicisme "éclectique" qui ajoute au modèle de la Renaissance l'expression sereine des tourments humains et l'observation de la nature. Cofondateur de l'académie des lncamminati (les "acheminés"), il formera dans son atelier de Bologne, Guido Reni (1575-1642), Domenico Zampieri, dit le Dominiquin (1581-1641), et Francesco Albani, dit l’Albane (1578-1660) ...

Annibal Carrache va réconcilier le langage pictural avec la réalité, puis, avec son frère Agostino et son cousin Ludovico, il fonde à Bologne une académie de peinture très active. C'est tout le classicisme que va repenser Annibal, auquel se mêle un début de baroque. Et c'est bien un art nouveau  et vivant, "éclectique" (une formulation que critiquèrent les "néoclassiques", en tant que moyen d'atteindre à la beauté en prenant chez chacun des grands maîtres de la Renaissance ce qu'il avait de meilleur), mais personnel, opposé au maniérisme, que le peintre propose, près de 145 oeuvres abordant tous les sujets, religieux, mythologique, scène de genre, portrait, paysage. Ses réalisations répondent aux commandes privées des familles Herrera et Fava et à celles des cardinaux Farnèse et Aldobrandini...

(Self-Portrait, c. 1604, The Hermitage, St. Petersburg, the model to the well-known portrait drawing of Carracci by Ottavio Leoni ...) - (Annibal Carrache, autoportrait avec son père et son neveu, 1585-1590, Milan, Pivacoteca di Brera)

Alors que le XVIe siècle touche à sa fin, une certaine lassitude des formes du maniérisme tardif, qui dominent toute la scène artistique européenne dès la seconde moitié du siècle, devient évidente. À cet égard, le début du baroque en Italie peut également être considéré comme une phase de réforme consciente et motivée par la critique dans tous les domaines de l’art. L’école des artistes bolognais Lodovico, Agostino et Annibale Carracci a clairement formulé cette approche en fondant une académie. Un chef-d’œuvre de ce mouvement de réforme a été l’énorme cycle de peintures commandées pour décorer la Galleria Farnese à Rome, créé sous les auspices d’Annibale Carracci. Le grand programme mythologique représentant le pouvoir de l’amour par l’exemple des dieux olympiens allait de pair avec un concept esthétique qui devait être d’une importance fondamentale pour toutes les fresques baroques ultérieures. La motivation sous-jacente de l’académie est clairement évidente dans cette œuvre majeure; elle vise à relancer l’idéal naturel autrefois incarné par l’art de la Haute Renaissance. Bernini, maître du baroque romain, a exprimé ce but dans son évaluation d’Annibale, qui, selon lui, avait "combiné tout ce qui est bon, fusionnant la grâce et le dessin de Raphaël, la connaissance et l’anatomie de Michel-Ange, la noblesse et la manière de Correggio, la couleur de Titien et l’invention de Giulio Romano et Mantegna". Et le résultat de cette approche basée sur la synthèse ne fut pas un travail d’éclectisme désuet, mais un monde visuel d’une grande vitalité. Il était désormais possible de développer une vision basée sur les Métamorphoses d’Ovide, et, tout en abandonnant les éléments plus ésotériques du maniérisme, transmettre l’érotisme entêtant et la physicalité des mythes avec une plus grande immédiateté....


Annibal Carrache, son frère Augustin et leur cousin Ludovic, tous trois originaires de Bologne, contribuent tous trois à la formation de cette célèbre académie de peinture, dite des Incamminati (acheminés, progressifs), qui avait pour principe d'allier l'observation de la nature à l'imitation des meilleurs maîtres...

 

Ludovico Carrache (1555-1619), fut élève du Tintoret et maître d'Augustin et d'Annibal Carrache, ses deux cousins. "La Prédication de Saint Jean-Baptiste" figure parmi ses meilleures oeuvres : "la Chute de saint Paul" (1587), "la Madone des Bargellini" (1588), "la Madone des Scalzi" (toutes trois à Bologne, P. N.), "la Flagellation" (musée de Douai) et son chef-d'œuvre, "la Madone avec saint François et saint Joseph" (1591, musée de Cento, Émilie). Très attaché à sa ville natale, il ne s'en éloigne qu'en de rares occasions et apparaîtra vite vieilli par rapport aux nouvelles tendances de l'art bolonais, représenté à Bologne même par Guido Reni et Albani, à Rome par Domenichino et Lanfranco. Mais "Lamentation sur le Christ mort" (1582, Metropolitan Museum of Art" est admirable d'originalité et "Saint Sébastien jeté dans La Claca maxima" (1612, Los Angeles, J.P.Getty Museum) offre une dramaturgie si singulière ...

"The Lamentation", c. 1582, Metropolitan Museum of Art, Manhattan - "Bargellini Madonna", 1588, Pinacoteca Nazionale, Bologna - "The Dream of Saint Catherine of Alexandria", c. 1593, National Gallery of Art, Washington - "Christ in the Wilderness, Served by Angels", 1600, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresden - ....


Annibale Carracci (1560-1609)

L'importance considérable des Carrache tient à la fois à la forme de leur enseignement, d'où est issu le mouvement académique européen, et à l'orientation qu'ils donnèrent pour deux siècles au moins à la peinture décorative. Issus d'un milieu modeste de petits artisans et commerçants, ils fréquentèrent les écoles d'art, nombreuses à Bologne, mais acquirent surtout leur formation par l'étude et la copie des grands maîtres, Corrège et Jules Romain, Véronèse, Titien et Tintoret, qu'Annibale et Agostino avaient étudiés à Venise. Agostino était surtout graveur et commença sa carrière dans l'atelier d'un praticien hollandais, chez qui l'on reproduisait tous les grands maîtres de l'école romaine de la Renaissance. Annibale Carracci (en français Annibal Carrache)est le plus brillant des trois Carrache : il se forme auprès du maniériste Prospero Fontana. 

Après la réalisation de son "Christ mort" (1582, Stuttgart,Sg.), il entreprend la réalisation d'œuvres naturalistes, "Portrait d'une vieille femme" (1582, Bologne, coll. part.), "la Boutique du boucher" (v. 1582-1585, Oxford), "le Mangeur de fèves" (v. 1585-1584, Rome, Colonna), "Autoportrait avec autres figures" (1585, Milan, Brera). Entre-temps, il élabore son premier tableau d'autel, la "Crucifixion et saints" (1585, Bologne)...

"Qu'ils fussent en train de manger, de boire, de se reposer ou de se promener, chaque occupation, chaque mouvement, chaque geste les obligeait à se saisir du fusain pour immortaliser l'expérience; ainsi, un goût presque immodéré les poussait à se soustraire aux obligations normales de la conversation autant qu'aux nécessités inhérentes au maintien de la santé. Tout en mangeant, ils dessinaient, tenant leur pain d'une main et le fusain ou la craie de l'autre - tel Épicure qui, mastiquant sa nourriture, ruminait dans sa tête les préceptes de Démocrite; tel César tenant ses Commentaires dans la main gauche et son épée dans la droite; ou tel Alexandre qui, au plus fort de la bataille, empoignait son épée tout en pressant Homère contre son coeur .." (Malvasia, Vie des Carrache, 1678)...

Self-Portrait in Profile, 1590s, Galleria degli Uffizi, Florence - The Baptism of Christ, 1584, San Gregorio, Bologna - Crucifixion, 1583, Santa Maria della Carità, Bologna - Butcher's Shop, 1580s, Christ Church Picture Gallery, Oxford- Two Children Teasing a Cat, 1588-90, Metropolitan Museum of Art, New York -....


"Le mangeur de fèves", 1584-85, Galleria Colonna, Rome

C'est au milieu du XVIe siècle et sans les œuvres de Pieter Aertsen et Willem Beuckelaer que la vie quotidienne des plus "humbles" s'est insinuée dans la scène dite de "genre". Les écoles d’Italie du Nord qui furent toujours réceptives aux influences flamandes, ne pouvaient manquer de se laisser convaincre. Un simple paysan ou ouvrier agricole est assis à un repas. Avec une cuillère en bois, il ramasse avec gourmandise des haricots blancs dans un bol. Des oignons, du pain, une assiette de tarte aux légumes, un verre à moitié rempli de vin et une cruche en faïence aux rayures vives sont sur la table. Simplicité extrême. La nourriture, l’homme, ses vêtements, ses manières de table bruyantes et son regard furtif vers le spectateur. Mais ce qui est vraiment nouveau et assez singulier, cependant, est le fait que la technique picturale et l’approche artistique d’Annibale sont entièrement en accord avec le sujet : des couleurs mates et terreuses appliquées sur la toile dans des coups de pinceau épais et robustes. La simplicité de la composition ne fait aucune tentative de perspective sophistiquée ou de structure spatiale, et le simple alignement des objets sur la table est représenté dans un raccourci presque maladroit. Ce qui est révolutionnaire dans cette peinture, dont plusieurs études préliminaires existent, c’est le manque délibéré d’artifice ...


Vers 1582-1585, les Carrache créent à Bologne l`académie de peinture des Desiderosi (les «désireux» d'apprendre et de réussir), renommée en 1590 les Incamminati (les "acheminés "). Ils définissent les principes picturaux idéals, associant le classicisme de la Renaissance et l'art antique au rendu de la réalité et privilégiant la qualité anatomique (ainsi le modelé raffiné des corps mythologiques féminins, le modelé sculptural des hommes nus et des drapés, vus en raccourcis, crevant l'espace du tableau). Ils montrent aussi que la peinture classique révisée peut être enseignée, et c'est sans doute grâce à eux principalement, que Rome est devenue le centre principal des dernières idées et expériences dans l’art au XVIIe siècle ... 

En collaboration avec Ludovico et Agostino, Annibal effectue au palais Fava de Bologne un cycle de fresques illustrant l' "Histoire de Jason" (1583-1584), celle d' "Europe" et celle d' "Énée" (V. 1585-1586, Bologne). Dans le Palazzo Magnani, c'est "Romulus et Remus allaités par la Louve" (1589-1590) que nous retrouverons, alors qu'Augustin peint "La Fuite de Romulus et de Remus" et Ludovic "L'enlèvement des Sabines" ...


Puis Annibal s'intéresse à l'art de l`Italie du Nord. Au début de 1585, il se rend à Parme, y découvre le Corrège, puis, vers 1588, le Vénitien Véronèse. Il traduit ces chocs esthétiques dans les tableaux d'autel du "Baptême du Christ" (1585, Bologne), de la "Pieta" (id., Parme), de l' "Assomption de la Vierge" (1592, Bologne), de la "Madone et saints" (Paris, Louvre) et de la "Résurrection du Christ" (1595, id.). "Le mariage mystique de Ste Catherine" (1585-1587, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples) est directement dérivé du Corrège ...

Christ Wearing the Crown of Thorns, Supported by Angels, 1585-87, Gemäldegalerie, Dresden - The Mystic Marriage of St Catherine, 1585-87, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples - Madonna Enthroned with St Matthew, 1588, Gemäldegalerie, Dresden - Assumption of the Virgin, c. 1590, Museo del Prado, Madrid - The Virgin Appears to St. Luke and Catherine, 1592,  Musee du Louvre - The Coronation of the Virgin, 1595, Metropolitan Museum of Art - ...

Ses fresques témoignent de l'influence du mouvement spatial du Corrège, - qui invite le spectateur à entrer dans l`espace du tableau pour mieux participer au message -, et du chromatisme lumineux de Véronèse qui le sensibilise particulièrement aux compositions claires et équilibrées : "Histoire de Romulus" (1588-1592, Bologne). Il réalise notamment le "Portrait de Claudio Merulo" (1587, Naples, Capodimonte) et des scènes mythologiques: "Vénus, satyre et deux Amours" (1588, Florence), "Vénus et Adonis" (1588-1589, Madrid, Prado)...

Venus with a Satyr and Cupids, c. 1588, Galleria degli Uffizi, Florence - Venus, Adonis and Cupid, c. 1595, Museo del Prado, Madrid - Venus and Adonis, c. 1595, Kunsthistorisches Museum, Vienna - ...


"Vénus avec un satyre et des amours", vers 1589-1590, Florence, Galleria degli Uffizi - Annibal Carrache, contemporain et rival du Caravage. Acquis en 1620 pour les collections des Médicis, ce tableau, déjà célèbre au XVIIe siècle, fut pour des raisons morales recouvert d’une autre toile d’un sujet allégorique plus chaste pendant la majeure partie du XVIIIe siècle. La récupération de l’original en 1812 nous a restitué une œuvre de grande importance dans le développement de la jeunesse d’Annibale Carracci. Si l’on en croit la date, 1588, inscrite au dos d’une copie ancienne, le tableau correspond à une année décisive pour le jeune peintre, celle d son évolution de la culture bolognaise du maniériste tardif, déjà enrichie par le Correggio, vers le système couleur-lumière de Titien et de Véronèse ..

Dans le splendide Vénus avec un satyre et des amours, la déesse de la beauté et de l'amour est figurée de dos en position mi-allongée sur la natte rouge qui couvre l`herbe. Un satyre, tenant une coupe de fruits dans la main droite, tire sur le pan d'un brocart, tandis que Vénus semble vouloir ramener vers elle un mince tissu blanc dans un geste peu convaincant pour couvrir semble-t-il sa poitrine. C'est un magnifique profil, d'une sensualité parfaite, que nous montre la déesse, dont l'oeil gauche, auréolé d'ombre, semble regarder au-delà de son agresseur, tandis qu'elle prend appui, du coude droit, sur un coussin aux somptueuses teintes d'or et de bordeaux. Mais, surtout, le tableau nous offre le rendu le plus amoureux du dos incroyablement long de Vénus, ainsi que du haut légèrement rosé de ses fesses, suggérant ainsi l' opulence et la perfection, pour ne pas dire la sensuelle disponibilité de son corps. L'inspiration est toute vénitienne ...

Annibal Carrache, "Vénus ornée par les Grâces" (vers 1590-1595, Huile sur bois transférée sur toile, Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection) - Tableau peut-être offert à de jeunes mariés, Vénus déesse de l'amour et de la beauté n'est-elle pas traditionnellement considérée avec les Grâces, comme la gardienne du mariage? Mais plus encore, on peut aller au-delà de cette simple description et remarquer que "tandis que les Grâces, assistées de quelques amours, s'affairent à la toilette de Vénus, celle-ci, assise sur un somptueux coussin, les jambes soutenues par d'autres coussins posés à même le tapis, éloigne d'elle le miroir qu'elle tient dans sa main gauche ; sous le tapis, on distingue le sol en marbre ; derrière la déesse et son petit monde, un rideau ou une tenture de couleur rouge suggère la possibilité de l'intimité. À l'instar de Vénus, plongée dans la contemplation de son image, les Grâces et leurs assistants sont visiblement absorbés dans ce qu'ils font...."


 Giorgione, Titien et Lorenzo Lotto avaient redonnés vie à un genre issu de l'antiquité, mais alors de sources écrites, la vie pastorale et ses scènes de vie rustique. Un genre tout à son atmosphère paradisiaque. Vers la fin du XVIe siècle, les peintres étrangers en Italie et les Italiens eux-mêmes tels que Annibale Carracci ont repris ce type de traditions et ont composer un "paysage idéal." Cette tendance s’est poursuivie avec des modifications au XVIIe siècle, et a atteint son apogée dans les paysages dits "classiques" de deux Français vivant à Rome, Nicolas Poussin et Claude Lorrain... C'est bien la réalité de nature que veut traduire Annibal dans ses paysages : la "Fête champêtre" (1584, Marseille, B.-A.), "la Pêche" et "la Chasse" (1587-1588, Louvre, Paris), "Paysage" (1589-1590, Washington, N.G.) ou cet autre "Paysage" (1595, m. de Berlin). A la différence des peintres flamands cherchant la vérité dans les détails naturalistes, Annibale s’efforce plutôt de transmettre l’impression générale d’un endroit, un paysage fluvial, par exemple (1589-90, National Gallery of Art, Washington), via des coups de pinceau rapides et larges, et ici peu importe la profondeur, Annibale amène le paysage si près du plan de l’image que le spectateur est presque emporté dedans...

Fishing, 1585-88, Musée du Louvre, Paris - Hunting, 1585-88, Musée du Louvre, Paris - River Landscape, 1589-90, National Gallery of Art, Washington - Roman River Landscape with Castle and Bridge, 1595-1600, Staatliche Museen, Berlin - ...


En 1595, Annibal est appelé à Rome par le cardinal Farnèse. Va s'y épanouir son goût du monumental et de l'espace structuré tout en assimilant l`art antique, celui de la Renaissance (chapelle Sixtine de Michel-Ange, "Chambres" de Raphaël). Il y peint "la Charité de saint Roch" (1594-1596, Dresde), - composition complexe et équilibrée qui s'exprime en cadences rythmées et solennelles, en gestes lents et majestueux -, les fresques de l' "Histoire d'Hercule" et d' "Ulysse" (1595, Rome, palais Farnèse, Camerino) ...


En 1597, le cardinal Odoardo Farnese commande le grand chef-d’œuvre d’Annibale Carracci, le plafond de la Galleria Farnese dans le Palazzo Farnese, la décoration de plafond la plus splendide et la plus influente de Rome depuis celle de la chapelle Sixtine. Le frère d’Annibale, Agostino, l’assiste sur au moins deux des scènes jusqu’à ce qu’ils se disputent et qu’Agostino quitte Rome. Des fresques qui expose une célébration spirituelle et joyeuse des dieux classiques amoureux... Et, tout comme le plafond Sixtine de Michel-Ange marque le début de la peinture monumentale romaine du XVIe siècle, la Galleria Farnese clôture le siècle avec une décoration de plafond tout aussi magnifique. Ces fresques ont été extrêmement influentes, pendant deux siècles, avec l’œuvre de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine et les fresques de Raphaël au Vatican comme les exemples suprêmes de la peinture occidentale. Des générations de jeunes peintres devaient la copier...

Pourtant, au cours des années 1570 et 1580, les cycles de fresques avec des sujets mythologiques avaient été relativement démodés à Rome : le climat de la contre-réforme favorisait la décoration religieuse, même dans les bâtiments séculaires tels que les palais et les villas. Peut-être l’Église catholique eut-elle la certitude de gagner la bataille pour les âmes au point de tolérer ne décoration ouvertement érotique, même dans le palais d’un cardinal, bien que ce fût probablement l’une des pièces les plus privées. En plus de célébrer le pouvoir de conquête de l’amour, il est probable que les fresques étaient destinées à compléter les statues antiques, parmi les plus belles de l’une des plus belles collections d’antiquités de Rome, qui y étaient exposées....

De 1597 à 1604, Annibale décore donc à fresque son œuvre majeure, un plafond de la galerie du palais Farnèse sur le thème mythologique des "amours des dieux", parfaite exaltation de l'Antiquité classique  : "le Triomphe de Bacchus et d' Ariane" entouré de "Pan et Diane" et de "Mercure et Paris". Cette œuvre colossale nécessite l'aide de son frère et de ses élèves, Domenichino, Albani et Lanfranco. Achevée après cinq ans de travail, cette entreprise grandiose permit à Annibale de déployer tout son génie ... 

Les Amours des dieux exposés sur la voûte s'articulent en treize scènes narratives, le plus souvent tirées des Métamorphoses d'Ovide, parfois des Géorgiques de Virgile ou de l'Illiade, et ainsi distribuées : Triomphe de Bacchus et Ariane, Pan et Diane, Mercure et Pâris (Panneau central), puis, d'ouest à est, Hercule et Iole, "Aurore et Céphale", "Vénus et Anchise", "Polyphème et Galatée", "Apollon et Hyacinthe", "Polyphème et Acis", "le Rapt de Ganymède", "Jupiter et Junon", "le Triomphe marin", "Diane et Endymion". Dans les médaillons, "Éros et Léandre", "Pan et Syrinx", "Hermaphrodite et Salmacis", "Omnia vincit Amor", "Apollon et Marsyas", "Borée et Orithye", "Orphée et Eurydice", "le Rapt d'Europe"....


"Le choix d'Heracles", c. 1596, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples - Une toile imposante qui décorait à l’origine le plafond du "Camerino", l’étude du cardinal Odoardo Farnese, au deuxième étage du Palazzo Farnese de Rome: dans les champs plats ovales et semi-circulaires du plafond voûté décoré de fresques ont été représentés des épisodes de la vie d’Héraclès, d’autres histoires mythologiques avec la morale, et les allégories des vertus. L’histoire raconte la maturation d’Héraclès, qui a dû choisir entre la vertu et le péché, entre le difficile chemin du devoir et de la décence. L’histoire a eu plusieurs versions classiques : la vie de Philostratus d’Apollonius de Tyana constitue la référence dans l’Italie du XVIe siècle (sa traduction latine a été publiée en 1501) et sert de base à la peinture d’Annibale Carracci. L'idéal de la vie vertueuse est représenté par la poursuite des beaux-arts ou des sciences. La double classification des vertus, selon les mérites obtenus dans la guerre ou dans la culture des sciences, était une méthode de la Renaissance basée sur des exemples classiques, tandis que la route terne et sinueuse de la vertu mène à la colline des Muses, le mont Helicon...


Holy Women at Christ' s Tomb, 1590s, The Hermitage, St. Petersburg - The Samaritan Woman at the Well, c. 1595, Pinacoteca di Brera, Milan - Mocking of Christ, c. 1596, Pinacoteca Nazionale, Bologna - Head of a Man, 1595-99, Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence - The Burial of Christ, 1595, Metropolitan Museum of Art - St Margaret, 1597-99, Chiesa di Santa Caterina della Rosa, Rome - The Penitent Magdalen in a Landscape, c. 1598, Fitzwilliam Museum, Cambridge - The Temptation of St Anthony Abbot, 1597-98, National Gallery, London - ...


Annibal honore d'autres commandes:  "le Christ en gloire et saints" (1597-1598, Florence, Pitti), - qui nous montre un Christ exceptionnellement jeune, flanqué de Pierre et de Jean l’évangéliste, alors que sur le plan terrestre se trouvent les saints Marie-Madeleine, Ermengild et Édouard le Confesseur, nom saint du patron du tableau, le cardinal Odoardo Farnese -, "la Naissance de la Vierge" (1598-1599, Paris, Louvre), "la Pieta" (1599-1600, Naples, Capodimonte), - qui montre la capacité de Carracci à combiner de manière originale le style d’artistes sélectionnés du passé, en l’occurrence ceux du Corrège et de Michel-Ange -, "l 'Assomption" (1600-1601, Rome, église S. Maria del Popolo), "la Toilette de Vénus" (1594-1595, Washington, N.G.). Il décore la chapelle Herrera, puis celle du palais du cardinal Aldobrandini : six "lunettes" décrivent la Vie de la Vierge sur fond de paysage, dont seules "la Fuite en Égypte" et "la Mise au tombeau" sont exclusivement de sa main (1602-1605, Rome, Doria Pamphili). Il compose des "Pieta avec saint François et sainte Marie-Madeleine" (1602-1607, Paris, Louvre; 1605, Vienne, K.M.; 1606, Londres, N.G.), "l'Apparition du Christ à saint Pierre" (1602, Londres, N.G.), "la Lapidation de saint Étienne" (1605-1604, Paris, Louvre) et le "martyr" d'Etienne (1603-04, Louvre, Paris) qui révèle, avec son dessin méticuleux et son jeu de couleurs, une maîtrise de l’organisation compositionnelle capable de donner une forme superbe à un événement dramatique...



"Sainte Marguerite" (1599) - Charles Dempsey, dans "Idealism and Naturalism in Rome Around 1600" évoque la très forte impression que produisit sur le Caravage la "Sainte Marguerite" d'Annibal Carrache, installée à Santa Caterina dei Funari en 1599, "l'année même où le Caravage reçut commande pour la chapelle Contarelli". Selon Bellori, le Caravage examina longtemps la Sainte Marguerite avant de s'exclamer : "Quel bonheur de voir un véritable peintre de mon vivant !" Une lettre écrite par Francesco Albani, des années plus tard, confirme l'anecdote : Albani rapporte que le Caravage "se sentit mourir" à la vue du tableau. Dempsey résume en ces termes la transformation que l`événement entraîna dans l'art du Caravage : "Les toiles des années 1590 portent encore l'empreinte du naturalisme propre à la peinture de l'Italie du Nord. [...] Délaissant le simple naturalisme pour donner l'illusion totale de la réalité, le style de la maturité procède d'une expérimentation des conventions illusionnistes telles que les avaient instaurées les frères Carrache à Bologne. Je songe, en particulier, à la force et à la pureté des teintes, et à la façon naturelle dont elles s'intègrent dans la tridimensionnalité puissante du clair-obscur. Le Caravage est sans doute le premier peintre - à l'exception peut-être d'Adam Elsheimer - à avoir pleinement saisi et presque instantanément assimilé la portée et l'intérêt des découvertes des frères Carrache, et à s'en être servi pour créer un nouveau style".

 

Pietà, 1599-1600, Museo Nazionale di Capodimonte, Naples - Christ in Glory, 1597-98, Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence - The Coronation of St Stephen, c. 1597, Private collection - Saint John the Baptist Bearing Witness, c. 1600, Metropolitan Museum of Art - Rest on Flight into Egypt, c. 1600, Hermitage, St Petersburg - Renaud and Armide, 1601-1602, Napoli, Museo Nazionale di Capodimonte - The Martyrdom of St Stephen, 1603-04, Musée du Louvre, Paris - The Stoning of St Stephen, 1603-04, Musée du Louvre, Paris Assumption of the Virgin Mary, 1600-01, Cerasi Chapel, Santa Maria del Popolo, Rome Domine quo vadis?, 1601-02, National Gallery, London - Triptych, 1604-1605, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Roma - Lamentation of Christ, 1606, National Gallery, London - ...


 

En 1600, Annibale Carracci et Caravaggio ont reçu une commande conjointe de Tiberio Cerasi pour décorer sa chapelle de Santa Maria del Popolo (Rome). Annibale était responsable de la conception des fresques du plafond et a peint l’ "Assomption de la Vierge" pour l’autel, tandis que Caravage a entrepris les deux peintures latérales, qui représentent la "Crucifixion de Saint-Pierre" et la "Conversion de Saint-Paul". Il semble probable qu’Annibale a reçu sa commande en premier, et c'est à ce moment-là que Tiberio Cerasi a dû consciemment décider de faire de sa chapelle le lieu d’une compétition officieuse entre les deux plus grands artistes de l’époque. Et il y a une différence bien radicale entre les couleurs magnifiquement vives de l’artiste bolognais, le bleu et le rouge sont d'une étonnante puissance, par rapport aux tons de terre du Caravage, qu’il ne varie que par le bleu sur saint Pierre et le rouge sur saint Paul....



"Domine quo vadis?" (1601-02, National Gallery, London) - Saint Pierre, après avoir triomphé de Simon Magus, a été persuadé par les chrétiens de Rome de quitter la ville. Jacobus a Voragine raconte dans ses légendes apocryphes écrites au XIIIe siècle comment Pierre a rencontré le Christ sur la voie Appienne et a demandé "Quo vadis domine" (Où vas-tu, maître?), à laquelle le Christ a répondu "À Rome, pour être crucifié à nouveau."

Cette légende apocryphe est en fait le début du martyre de Pierre. Cela expliquerait certainement les mouvements vigoureux dans la peinture de Carracci, avec l’apôtre reculant dans la terreur. La main du Christ pointe vers l’extérieur, et les ombres qu’il projette attestent de sa corporéité alors qu’il avance vers nous...

Ce n’est pas la rencontre inattendue avec le Christ ressuscité   et le bas des jambes sont plus brûlés par le soleil que son torse et ses cuisses, bien que le visage qu’il se tourne vers Peter soit un masque idéalisé de pathos sous la couronne d’épines. Malgré les doubles sources de lumière du fond et au premier plan, le même soleil semble réchauffer le ciel, les arbres, les champs et les temples romains, et les draperies pourpres, blanches, dorées et bleues, les clés métalliques, la jeunesse et la chair vieillie et les cheveux châtains et grisonnants des deux voyageurs à la croisée du temps et de l’éternité.


"Venus endormie"(c. 1602, Musée Condé, Chantilly) - Peu de temps après l’achèvement du plafond de la Galleria du Palazzo Farnese, Annibale et ses élèves, dont Domenichino et Giovanni Lanfranco, ont été invités à fournir des décorations pour un palazzetto derrière le Palazzo Farnese, à travers la Via Giulia. La première salle était dominée par "Vénus endormie" d’Annibale, dans laquelle Annibale combine une fois de plus sa maîtrise du style idéal, citant la sculpture antique, avec un penchant spirituel pour faire écho à Michel-Ange. Le choix du sujet a été inspiré par l’arrivée à Rome des bacchanaux de Titien, Bacchus et Ariane, et Les Andriens et le culte de Vénus. Ces œuvres sont entrées dans la collection du cardinal Pietro Aldobrandini en 1598 et ont offert aux artistes romains une riche expérience de la couleur vénitienne...


"Lamentation du Christ", 1606, National Gallery, London - Une composition structurée par la représentation de positions inclinées, accroupies, pliées et penchées et par le motif inhabituel de trois figures en graduation décalée derrière l’autre. Le bord supérieur de la peinture semble être tiré vers le bas afin qu’aucune des figures ne soit en mesure de se tenir debout sur toute la longueur, autant de traits qui contribuent à transmettre la gravité d'un Christ mort, non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement : la pâleur de son corps se détache sur la couleur pleine et lourde des robes et la silhouette sombre de la tombe....


À partir de 1605, malade, l'artiste ne peut plus peindre, mais il continue à diriger son atelier. Ses nombreux élèves poursuivent son oeuvre, chacun selon sa sensibilité, Francesco Albani achève par exemple un paysage représentant Vénus à sa toilette (1605-10, Pinacoteca Nazionale, Bologna), tandis que Guido Reni assouplit et idéalise l'enseignement du maître. Annibal Carrache inspirera les peintres classiques du XVIIe siècle, C. Lorrain et Poussin, surtout dans l`approche du paysage. L'admiration générale pour son œuvre ne commença à faiblir qu'un siècle et demi plus tard, lorsque Winckelmann et certains critiques néo-classiques mirent en doute sa grandeur, voyant en lui un imitateur quelque peu "éclectique" ....