Romantism - George Gordon Byron (1788-1824), "Childe Harold's Pilgrimage" (1812), "Don Juan" (1819-1824)  - John Keats (1795-1821), "Endymion" (1818), "La Belle Dame Sans Merci"  - John Clare (1793-1864)  - Thomas de Quincey (1785-1859), "Confessions of An English Opium Eater" (1822) ...
Last update 12/18/2016


En l'espace de 25 années, exactement de 1770 à 1795, l'Angleterre vit naître les plus célèbres représentants de son romantisme: en 1770, William Wordsworth, en 1771, Walter Scott, un an plus tard Samuel Taylor Coleridge, en 1779, Thomas Moore, en 1778, George Byron, en 1792, Percy Bysshe Shelley, enfin, en 1795, John Keats... Les quatre premiers vivront plus de soixante-dix ans (Wordsworth mourra octogénaire), alors que Keats mourut à 26 ans, Shelley à 30 et Byron à 36, tous les trois loin de leur pays, l'un à Rome, le second dans la mer Tyrrhénienne, le troisième à Míssolonghi.

Tandis que Walter Scott, ayant interrompu son cycle poétique, poursuivait la série de ses 27 romans historiques, parmi lesquels "la Fiancée de Lammermoor" et "Ivanhoë", que Samuel Taylor Coleridge faisait applaudir "l'Ermite" et "la Glaneuse solitaire", et que Thomas Moore jouissait d'une légitime réputation pour ses "The Loves of the Angels" (1822-1823), la tuberculose brisait la jeunesse de Keats, qui avait composé "Endymíon et Hypérion", la tempête jetait sur les rives de Viareggio le corps inerte de Shelley, auréolé par la gloire de son "Prométhée délivré", et une fièvre pernicieuse tuait dans un lit, à Missolonghi, lord Byron, qui avait rêvé de mourir en combattant pour la liberté de la Grèce.

De ces sept écrivains, George Byron est le plus célèbre, bien que sa poésie n'ait pas atteint les mêmes sommets lyriques que l'œuvre de Shelley, que son style ,n'égale pas la perfection du style de Keats, et qu'il ne faille chercher dans ses œuvres ni la terrible puissance de Coleridge dans "la Ballade du vieux marin", ni le romantisme grandiose de Scott, ou la plénitude classicisante de Wordsworth.

Si l'on voulait rechercher les causes profondes de la célébrité de Byron, on finirait par reconnaître que, plus que tout, lui furent profitables sa jeunesse inquiète et désordonnée, sa naissance dans une famille de noblesse ancienne, son amitié avec le fantasque Brummel et peut-être aussi les singuliers contrastes de sa vie, qui suscitèrent tant de critiques parmi les éducateurs austères. Quoi qu'il en soit, lord Byron est passé à la postérité avec tout le prestige du poète romantique qui, toujours insatisfait de soi-même et des autres, exilé de sa patrie, cherchant désespérément la paix et la sérénité sous tant de latitudes différentes, mais surtout en Italie, a su imprimer d'une façon inégalable ses angoisses, ses espérances, ses déceptions, dans des œuvres qui touchent à tous les domaines de la poésie, du petit poème élégiaque au poème lyrique passionné, du style dramatique ou descriptif au journal de voyage mis en vers, et au monologue où l'auteur nous apparaît comme un homme à qui toute forme de tyrannie était intolérable .....


La littérature anglaise exalte un romantisme qui semble vouloir exprimer l'émotion de l'être humain face au monde qu'il redécouvre, paysages, nocturnes, ruines, tombeaux, autant de thèmes que vont enrichir le destin emblématique de ces quelques constellations romantiques qui fondent la postérité du mouvement : Thomas Chatterton, se suicidant à 18 ans (1770), Shelley, mort noyé à 30 ans (1822), Keats, emporté par la tuberculose à 29 ans (1821), Byron, aristocrate scandaleux qui meurt à 36 ans en terre hellénique (1824)...

English literature exalts a romanticism that seems to express the emotion of the human being in front of the world he rediscovers, landscapes, nocturnes, ruins, tombs, so many themes that will enrich the emblematic destiny of these few romantic constellations that found the posterity of the movement: Thomas Chatterton, suicide at the age of 18 (1770), Shelley, drowned at the age of 30 (1822), Keats, killed by tuberculosis at the age of 29 (1821), Byron, a scandalous aristocrat who died at the age of 36 in Hellenic soil (1824)... La literatura inglesa exalta un romanticismo que parece expresar la emoción del ser humano frente al mundo que redescubre, paisajes, nocturnos, ruinas, tumbas, tantos temas que enriquecerán el destino emblemático de estas pocas constelaciones románticas que encontraron la posteridad del movimiento: Thomas Chatterton, suicidio a los 18 años (1770), Shelley, ahogado a los 30 (1822), Keats, muerto por tuberculosis a los 29 años (1821), Byron, un escandaloso aristócrata que murió a los 36 años en suelo helénico (1824)...

Ce romantisme remonte très loin dans l'histoire de la littérature anglaise, et l'on a fait d'Edward Young (1683-1765), ce fils d'un ecclésiastique du Hampshire déçu dans ses ambitions et anéanti par la mort de ses proches, le premier des pré-romantiques avec "The Complaint, or Night Thoughts on Life, Death and Immortality" (1742-1745) : les thèmes de la mélancolie religieuse, du destin, de la mort sans cesse menaçante et parfois désirée, y apparaissent sans doute pour la première fois. Sa fameuse "Elegy Written in a Country Churchyard" (1750) est un classique de la poésie dite "sépulcrale". Il théorise de plus dans ses "Conjectures on Original Composition" (1759) une liberté totale de l'inspiration et de la sensibilité dont la source ne peut être que l'intériorité. Mais Young ne franchit pas le seuil du Romantisme, on lui reproche un "verbiage pathétique" (Pope) : lui manque encore le formalisme de l'expression qui donne corps à la sensibilité et plus encore le sentiment profond de la nature au sein de laquelle il déploie, à vif, toute son existence. Comme si l'ornementation de la littérature religieuse ou les contraintes par trop formelles de la tradition ne lui permettaient pas d'appréhender à plein corps le monde environnant. Et ce qui est vrai de la poésie, l'est tout autant de la peinture. Il faut attendre, nous le savons, 1798 et la publication des "Lyrical Ballads" de W. Wordsworth et de S. T. Coleridge, puis les années 1820 et la publication des œuvres de Byron, de Shelley et de Keats pour que s'épanouisse dans toutes ses dimensions le romantisme proprement dit en terre anglaise. Entretemps, William Blake (1757-1827), artiste-peintre et poète, s'adonne corps et âme à ses fantasmagories issues du plus profond de l'âme humaine ...
(John Crome - Seascape - Norfolk Museums - Norwich)

Night the First
By Nature's law, what may be, may be now;
There's no prerogative in human hours:
In human hearts what bolder thought can rise,
Than man's presumption on tomorrow's dawn?
Where is tomorrow? In another world.
For numbers this is certain; the reverse
Is sure to none; and yet on this perhaps,
This peradventure, infamous for lies,
As on a rock of adamant we build
Our mountain hopes; spin out eternal schemes,
As we the fatal sisters would outspin,
And, big with life's futurities, expire...
Edward Young (1683-1765)



George Gordon Byron (1788-1824)
Byron est l'archétype des héros romantiques, provocateur et excentrique, hautain et ténébreux, séducteur à scandales, que sa fascination pour l'Orient et sa défense de la liberté grecque illuminent de toutes les audaces (1809), et que les deux premiers chants de "Childe Harold's Pilgrimage" (1812) rendent célèbre dans toute l'Europe : "I awoke one morning and found myself famous". Suivent : The Giaour (1813),The Bride of Abydos (1813),The Corsair (1814), Lara, A Tale (1814).  
S'il se forge ainsi une destinée hors du commun sur le théâtre européen, dans un contexte où l'aristocratie ne parvient plus que difficilement à trouver sa place, Byron porte une lourde hérédité qui ajoute à cette impression de fatalité qu'exalte son personnage : une enfance marquée par le suicide de son père et par la violence affective de sa mère, l'humiliation d'un pied bot congénital, le bien lourd héritage du titre de Lord, puis la gloire littéraire qui lui ouvre les salons de la haute société anglaise. Pourtant, écrit-il, "une perversion précoce de l'esprit et des moeurs mène à la satiété des plaisirs passés et à la déception dans les nouveaux" : "les beautés de la nature et le stimulant du voyage sont sans effets sur une âme ainsi consitutée." Mais sa destinée ne peut échapper au scandale, sa liaison en 1812 avec la belle et séductrice Lady Caroline Lamb (1785-1828), qu'il quitte rapidement pour épouser la prude Anne Isabella Milbanke lui vaut de figurer en bonne place dans l'un premier livre à scandales du temps, "Glenarvon" (1816). Pire encore,  son divorce le couvre d'infamies et c'est poursuivi pour inceste avec sa demi-soeur, Augusta Byron Leigh, qu'il doit s'exiler définitivement : gagnant la Suisse puis l'Italie avec le couple Shelley (1816), il persiste dans ses amours sulfureux et s'entiche de la jeunesse comtesse Guiccioli, et publie, comme pour se disculper à la face du monde, ses premiers chants de "Don Juan". En 1823, il s'emploie à venir en aide aux insurgés grecs mais meurt d'une attaque de fièvre en 1824.
(Richard Westall - 1813 - George Gordon Byron - National Portrait Gallery - London) 


"Byron : Life and Legend", Fiona MacCarthy (2002)

Une biographie magistrale qui réussit à réconcilier les multiples dimensions de Lord Byron, l'une des figures les plus emblématiques du romantisme britannique et un homme aux multiples facettes, derrière la légende, poète, aristocrate, révolutionnaire et séducteur. 

Le livre débute avec l’enfance de Byron, marquée par des troubles familiaux et une éducation fragmentée, avant de suivre son ascension littéraire spectaculaire avec la publication de "Childe Harold's Pilgrimage" (1812), qui fit de lui une célébrité immédiate. Byron devient ensuite le prototype du héros romantique : beau, excentrique, et souvent en rébellion contre les conventions sociales. MacCarthy analyse les aspects controversés de sa vie, notamment ses relations amoureuses tumultueuses, ses excès, et ses voyages  incessants à travers l’Europe, l'exil qu'il s'impose et son implication dans la guerre d'indépendance grecque, où il trouva la mort en 1824. La construction de sa légende est un oeuvre de Byron lui-même, ce fut un atout et parfois un véritable fardeau. La biographie nous révèle l'écart entre l'image publique de Byron et ses luttes intérieures, MacCarthy sait humanise le poète, montrant un homme tourmenté par sa santé, ses finances et ses relations personnelles. Et notoirement bisexuel dans une époque de répression morale stricte, ses relations avec les femmes et les hommes nous montre combien elles ont façonné sa poésie et sa vie. Un aspect souvent sous-estimé de Byron est son rôle en tant que militant politique, son soutien à la cause grecque et son mépris pour les normes sociales aristocratiques. Fiona MacCarthy s'appuie sur une recherche méticuleuse, incluant lettres, journaux et témoignages, pour offrir un portrait nuancé de Byron qui sait éviter les clichés habituels et donne à voir un Byron humain, bien au-delà du mythe, en quête constante d'amour et de reconnaissance...


"Childe Harold's Pilgrimage"

(Le Pèlerinage du chevalier Harold, George Gordon Byron, 1812)

Long poème de 4400 vers et quatre chants contant impressions, réflexions et quêtes d'un jeune voyageur parcourant une Europe lasse des guerres et des révolutions.

 

Très élégant, d'une rare distinction, causeur brillant, Byron était un hôte très recherché dans les salons aristocratiques de Londres. Mais les occupations favorites du jeune lord étaient d'écrire et de voyager. Héritier d'une très grande fortune, il était encore étudiant à Cambridge quand il publia son premier recueil en vers mais il fallut encore attendre 1812 et la publication des deux premiers chants du Pèlerinage du chevalier Harold, écrits après son voyage de formation que devait faire, selon la coutume, tout jeune Anglais qui se respectait?  

Dans ces deux premiers chants, le poète conduit Harold en Espagne, au Portugal, dans les Îles loniennes, en Albanie, et se terminent par une lamentation sur la servitude de la Grèce infortunée. Plus tard, en 1816 et en 1818, il publiera le troisième et le quatrième chant, à travers lesquels le pèlerinage se poursuit en Belgique, dans les pays rhénans, en Suisse et enfin à Venise, Ferrare, Ravenne, Florence et Rome. Peu à peu, au personnage fictif se substituait Byron lui-même, avec ses inquiétudes et ses révoltes. Quelques années seulement s'étaient écoulées depuis qu`il avait fait son entrée dans la gentry de Londres, années durant lesquelles le jeune poète avait vu naître autour de lui la méfiance et la suspicion, au point qu'il avait préféré vivre hors d`Angleterre. Dans les milieux de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie londoniennes, on avait accusé Byron d'immoralité, on disait que sa façon de vivre était déplorable,  ses opinions politiques et religieuses un scandale, qu'il publiait ses oeuvres avec une choquante absence de tout scrupule. Il est vrai que Byron aspirait à s'affranchir de tous les préjugés de classe et ne voulait pas admettre que tout avait été dit avant lui, et mieux dit,  et revendiquait le droit de proclamer franchement, avec vigueur, avec éclat, ce qu'il aimait et de s'attaquer à ce quiil n'aimait pas ...

 

Childe Harold bask'd him in the noontide sun,
Disporting there like any other fly,
Nor deem'd before his little day was done                 
One blast might chill him into misery.
But long ere scarce a third of his pass'd by.
Worse than adversity the Childe befell;
He felt the fulness of satiety:
Then loathed he in his native land to dwell,
Which seem'd to him more lone than Eremite's sad cell.
For he through Sin's long labyrinth had run,
Nor made atonement when he did amiss,
Had sigh'd to many though he loved but one,
And that loved one, alas! could ne'er be his.                 
Ah, happy she! to 'scape from him whose kiss
Had been pollution unto aught so chaste;
Who soon had left her charms for vulgar bliss,
And spoil'd her goodly lands to gild his waste,
Nor calm domestic peace had ever deign'd to taste.

Childe-Harold s'inondait du soleil de la vie,

Comme font, en jouant, les insectes dans l'air, 

Sans penser qu'avant peu, sa jeunesse flétrie

Tromperait ses désirs, ainsi qu'un fruit amer. 

A l'enfant chose advint, à l'adversité pire.

Il sentit tout le poids de la satiété;

Pris d'un mal inquiet, d'un morose délire ,

Son pays fut bientôt, pour lui, comme eût été

La cellule où l'ermite est lui-même attristé.

Parcourant des péchés le labyrinthe infâme,

Et connaissant ses torts il ne s'amendait pas ;

Soupirant pour plusieurs, il n'aimait qu'une femme,

Qui ne pouvait jamais à lui s'unir, hélas !

Heureuse d'échapper aux impures caresses

De celui dont l'amour eût souillé sa candeur,

Et qui l'eût pu quitter pour d'indignes tendresses,

Quand, de sa riche terre, il eût cueilli la fleur :

Car la paix domestique était peu dans son coeur.

 


Childe-Harold avait donc l'âme triste et malade,

Ses anciens compagnons lui semblaient odieux ;

On dit qu'il eût pleuré quelquefois par boutade,

Mais l'orgueil congelait les larmes dans ses yeux ;

Il s'agitait souvent grave, en sa rêverie;

Enfin, il résolut de quitter ces frimas,

De traverser la mer et la brûlante Asie :

Dès lors impatient de voir d'autres Etats, 

lI eût cherché les morts pour changer de climats....

Un jour, l'enfant partit du manoir de son père….

And now Childe Harold was sore sick at heart,
And from his fellow bacchanals would flee;
'Tis said, at times the sullen tear would start,
But Pride congeal'd the drop within his ee;
Apart he stalk'd in joyless reverie,     
And from his native land resolv'd to go,
And visit scorching climes beyond the sea;
With pleasure drugg'd, he almost long'd for woe,
And e'en for change of scene would seek the shades below.
The Childe departed from his father's hall...



L'Italie comptera certainement parmi les pays qu'il a le plus aimé, il y vécut longtemps. Le poème d'Harold est lui-même un témoignage de l'intérêt qu'il portait à l'ltalie et à son histoire, car il y exprime toute son admiration pour les œuvres des Uffizi (Galerie des Offices) à Florence, y déplore la décadence politique de Venise, la ville qu'il aimait entre toutes, y fait la critique du gouvernement de Rome. Il vécut près de trois ans dans le palais Nani-Mocenigo, l'une des merveilles de la ville des Doges, y eut d'innombrables liaisons et y compose son ode magnifique en l'honneur de Venise, "Ode On Venice"...

I.

Oh Venice! Venice! when thy marble walls

Are level with the waters, there shall be

A cry of nations o’er thy sunken halls,

A loud lament along the sweeping sea!

If I, a northern wanderer, weep for thee,

What should thy sons do?–anything but weep

And yet they only murmur in their sleep.

In contrast with their fathers–as the slime,

The dull green ooze of the receding deep,

Is with the dashing of the spring-tide foam

That drives the sailor shipless to his home,

Are they to those that were; and thus they creep,

Crouching and crab-like, through their sapping streets.

Oh! Agony-that centuries should reap

No mellower harvest! Thirteen hundred years

Of wealth and glory turn’d to dust and tears;

And every monument the stranger meets,

Church, palace, pillar, as a mourner greets;

And even the Lion all subdued appears,

And the harsh sound of the barbarian

With dull and daily dissonance, repeats

The echo of thy tyrant’s voice along

The soft waves, once all musical to song,

That heaved beneath the moonlight with the throng

Of gondolas–and to the busy hum

Of cheerful creatures, whose most sinful deeds

Were but the overbeating of the heart,

And flow of too much happiness, which needs

The aid of age to turn its course apart

From the luxuriant and voluptuous flood

Of sweet sensations, battling with the blood.

But these are better than the gloomy errors,

The weeds of nations in their last decay,

When Vice walks forth with her unsoften’d terrors,

And Mirth is madness, and but smiles to slay;

And Hope is nothing but a false delay,

The sick man’s lightning half an hour ere death,

When Faintness, the last mortal birth of Pain,

And apathy of limb, the dull beginning

Of the cold staggering race which Death is winning,

Steals vein by vein and pulse by pulse away;

Yet so relieving the o’er-tortured clay,

To him appears renewal of his breath,

And freedom the mere numbness of his chain;

And then he talks of life, and how again

He feels his spirit soaring–albeit weak,

And of the fresher air, which he would seek:

And as he whispers knows not that he gasps,

That his thin finger feels not what it clasps,

And so the film comes o’er him, and the dizzy

Chamber swims round and round, and shadows busy,

At which he vainly catches, flit and gleam,

Till the last rattle chokes the strangled scream,

And all is ice and blackness,–and the earth

That which it was the moment ere our birth.

 

I.

There is no hope for nations!–Search the page

Of many thousand years–the daily scene,

The flow and ebb of each recurring age,

The everlasting to be which hath been

Hath taught us nought, or little: still we lean

On things that rot beneath our weight, and wear

Our strength away in wrestling with the air:

 

For ’tis our nature strikes us down: the beasts

Slaughter ‘d in hourly hecatombs for feasts

Are of as high an order–they must go

Even where their driver goads them though to slaughter.

Ye men, who pour your blood for kings as water,

What have they given your children in return?

A heritage of servitude and woes,

A blindfold bondage, where your hire is blows.

What! do not yet the red-hot ploughshares burn,

O’er which you stumble in a false ordeal,

And deem this proof of loyalty the real;

Kissing the hand that guides you to your scars,

And glorying as you tread the glowing bars?

All that your sires have left you, all that Time

Bequeaths of free, and History of sublime,

Spring from a different theme! Ye see and read,

Admire and sigh, and then succumb and bleed!

Save the few spirits who, despite of all,

And worse than all, the sudden crimes engender’d

By the down-thundering of the prison­ wall,

And thirst to swallow the sweet waters tender’d,

Gushing from Freedom’s fountains, when the crowd,

Madden’d with centuries of drought, are loud,

And trample on each other to obtain

The cup which brings oblivion of a chain

Heavy and sore, in which long yoked they plough’d

The sand,–or if there sprung the yellow grain,

‘Twos not for them, their necks were too much how’d,

And their dead palates chew’d the cud of pain:

Yes! the few spirits, who, despite of deeds

Which they abhor, confound not with the cause

Those momentary starts from Nature’s laws,

Which, like the pestilence and earthquake, smite

But for a term, then pass, and leave the earth

With all her seasons to repair the blight

With a few summers, and again put forth

Cities and generations–fair, when free

For, Tyranny, there blooms no bud for thee!

(...)

 


Byron avait déjà offert alors, à ses lecteurs anglais, les petits poèmes d'Orient, où l'on retrouve l'atmosphère grecque ou turque, le Giaour, la Fiancée d'Abydos, le Corsaire, Lara, et le Siège de Corinthe, auxquels il avait donné pour intermède les mélodies hébraïques. Après un assez long séjour à Gênes, il se rendit à Pise, où il vécut quelque temps en contact avec son compatriote Shelley. ll demanda à être introduit dans la secte des carbonari, avec la fougue qui le caractérisait et qui n'était pas faite pour plaire aux patriotes italiens, rendus prudents par les persécutions féroces dont ils étaient l'objet. Sa foi politique et son amour de l'aventure l'avaient poussé à s'occuper activement de la cause italienne, à laquelle il offrit généreusement son bras, son argent et des armes...

 

A la fin de l'année 1819, en Italie, Byron devint le chef des "Américains", une branche de la Carboneria, et son nom figura sur les listes dressées par la police. ll prit une grande part au soulèvement de 1821. Tout cela ne l'empêcha pas de composer de petits poèmes ....

"Parisina", 

"It is the hour when from the boughs

The nightingale’s high note is heard;

It is the hour when lovers’ vows

Seem sweet in every whisper’d word:

And gentle winds, and waters near,

Make music to the lonely ear.

Each flower the dews have lightly wet,

And in the sky, the stars are met,

And on the wave is deeper blue,

And on the leaf a browner hue.

And in the heaven that clear obscure,

So softly dark, and darkly pure,

Which follows the decline of day,

As twilight melts beneath the moon away."

(...)

 

"The Prisoner Of Chillon", 

"My hair is grey, but not with years,

Nor grew it white

In a single night,

As men's have grown from sudden fears:

My limbs are bow'd, though not with toil,

But rusted with a vile repose,

For they have been a dungeon's spoil,

And mine has been the fate of those

To whom the goodly earth and air

Are bann'd, and barr'd—forbidden fare;

But this was for my father's faith

I suffer'd chains and courted death;

That father perish'd at the stake

For tenets he would not forsake;

And for the same his lineal race

In darkness found a dwelling place;

We were seven—who now are one,

Six in youth, and one in age,

Finish'd as they had begun,

Proud of Persecution's rage;

One in fire, and two in field,

Their belief with blood have seal'd,

Dying as their father died,

For the God their foes denied;—

Three were in a dungeon cast,

Of whom this wreck is left the last."

(...) 



"Manfred" (1817)

Drame en vers du poète George Gordon (lord) Byron, publié en 1817, et qui s'inspire dans son plan du "Faust" de Goethe (1749-1832) : et, selon certains, contiendrait une allusion à la passion du poète pour sa demi-sœur Augusta Leigh. Bourrelé de remords pour avoir tué de sa main celle qu`il aimait, Manfred vit seul comme un maudit au cœur des Alpes. Il évoque les esprits de l'univers, et ceux-ci lui offrent tout, excepté la seule chose qu'il désire, l`oubli ...

Il essaie, mais en vain, de se jeter du haut d'un pic élevé. Visite ensuite la demeure d`Ahriman, refuse de se soumettre aux esprits du mal, leur enjoint d`évoquer les morts. Enfin lui apparaît Astarté, la femme qu'il a aimée et qu'il a tuée par son étreinte ... "Mon étreinte fut fatale /... /Je l'aimais et je la détruisis ..." (My embrace was fatal /  / l loved her, and destroy`d her). 

 

She was like me in lineaments – her eyes

Her hair, her features, all, to the very tone

Even of her voice, they said, were like to mine,

But softened all and tempered into beauty

She had the same lone thoughts, and wanderings –

The Quest of hidden knowledge, and a Mind

To comprehend the Universe – nor these

Alone, but with them gentler powers than mine –

Pity, and smiles, and tears, which I had not – 

And tenderness – but that I had for her –

Humility – and that I never had –

Her faults were mine – her virtues were her own –

I loved her and destroyed her 

 

... Cette situation deviendra un des poncífs favoris composant le portrait de l'homme fatal du romantisme. Répondant à son invocation. Astarté lui annonce la mort pour le lendemain. Au moment prédit apparaissent des démons pour s`emparer de lui. Manfred leur dénie tout pouvoir sur sa personne ; à peine les démons ont-ils disparus qu'il meurt ...

L'œuvre de Byron a inspiré un poème dramatique en trois parties du compositeur allemand Robert Schumann (1810-1856), composé de 1848 à 1851. De toute la musique qu`il a écrite pour le Manfred de Byron, la vigoureuse ouverture est peut-être le fruit le meilleur des amours malheureuses de Schumann pour le théâtre. Elle est construite sur deux thèmes fondamentaux. Celui de Manfred passionné, pressant. caractérisé par un rythme syncopé et haletant, exprime la perpétuelle inquiétude de l'âme rebelle et avide de pénétrer les suprêmes mystères de l'univers. Le thème dit d`Astarté veut être la vision fugitive et cependant toujours renouvelé d'un idéal de paix et de bonté où l'âme finira par s`apaiser, affrontant la mort avec sérénité ...


"Mazeppa", le "drame lyrique de Manfred" et d'autres oeuvres encore, directement inspirées de son séjour en Italie: la "The Lament Of Tasso", qui se rattache à son séjour à Ferrare (l'auteur de la "Jérusalem délivrée" nous y présenté comme la victime de la jalousie du duc d'Este), "Beppo, A Venetian Story", qui a son origine dans son séjour à Venise ...

The Lament Of Tasso

I.

Long years!–It tries the thrilling frame to bear

And eagle-spirit of a child of Song–

Long years of outrage, calumny, and wrong;

Imputed madness, prison’d solitude,

And the mind’s canker in its savage mood,

When the impatient thirst of light and air

Parches the heart; and the abhorred grate,

Marring the sunbeams with its hideous shade,

Works through the throbbing eyeball to the brain,

With a hot sense of heaviness and pain;

And bare, at once, Captivity display’d

Stands scoffing through the never-open’d gate,

Which nothing through its bars admits, save day,

And tasteless food, which I have eat alone

Till its unsocial bitterness is gone;

And I can banquet like a beast of prey,

Sullen and lonely, crouching in the cave

Which is my lair, and–it may be–my grave.

All this hath somewhat worn me, and may wear,

But must be borne. I stoop not to despair;

For I have battled with mine agony,

And made me wings wherewith to overfly

The narrow circus of my dungeon wall,

And freed the Holy Sepulchre from thrall,

And revell’d among men and things divine,

And pour’d my spirit over Palestine,

In honour of the sacred war for Him,

The God who was on earth and is in heaven,

For He has strengthen’d me in heart and limb.

That through this sufferance I might be forgiven,

I have employ’d my penance to record

How Salem’s shrine was won and how adored.

(...)

Beppo, A Venetian Story

I.

‘Tis known, at least it should be, that throughout

All countries of the Catholic persuasion,

Some weeks before Shrove Tuesday comes about,

The People take their fill of recreation,

And buy repentance, ere they grow devout,

However high their rank, or low their station,

With fiddling, feasting, dancing, drinking, masking,

And other things which may be had for asking.

 

II.

The moment Night with dusky mantle covers

The skies (and the more duskily the better),

The Time–less liked by husbands than by lovers–

Begins, and Prudery flings aside her fetter,

And Gaiety on restless tiptoe hovers,

Giggling with all the Gallants who beset her;

And there are Songs and quavers, roaring, humming,

Guitars, and every other sort of strumming.

 

III.

And there are dresses, splendid but fantastical,

Masks of all times and nations, Turks and Jews,

And Harlequins and Clowns, with feats gymnastical,

Greeks, Romans, Yankee-doodles, and Hindoos;

All kinds of dress, except the ecclesiastical,

All people, as their fancies hit, may choose,

But no one in these parts may quiz the Clergy,–

Therefore take heed, ye Freethinkers! I charge ye.

(...)

 


Plus tard, il commença d'écrire un poème qu'il ne devait poursuivre que jusqu'au XVIe chant : "Don Juan", qu`il définit comme une "satire épique", et qui se rapproche des œuvres bouffes de Pulci et de Casti. Les frères Goncourt écrivirent que cette œuvre inachevée était pleine de traits d'esprit, mais semblait appartenir au domaine du vaudeville plutôt qu'à celui de la comédie....


"Don Juan" (George Gordon Byron, 1819-1824)
Long poème inachevé de dix-sept chants et considéré comme son chef-d'œuvre, Byron campe, dans la satire d'un monde réduit à l'hypocrisie et les faux-semblants, - "society is now one polished horde, Fromed of two mighty tribes, the Bores and Bored" - un don juan qui tente de conserver un semblant de dignité dans cette Europe du XVIIIe qu'il parcourt, de Séville à Londres, et victime ingénue des femmes qu'il rencontre, séjournant dans un harem en Turquie ou amant de la Grande Catherine à Saint-Pétersbourg.

No more—no more—Oh! never more on me
The freshness of the heart can fall like dew,
Which out of all the lovely things we see
Extracts emotions beautiful and new,
Hived in our bosoms like the bag o’ the bee.
Think’st thou the honey with those objects grew?
Alas! ’t was not in them, but in thy power
To double even the sweetness of a flower.

No more—no more—Oh! never more, my heart,
Canst thou be my sole world, my universe!
Once all in all, but now a thing apart,
Thou canst not be my blessing or my curse:
The illusion’s gone for ever, and thou art
Insensible, I trust, but none the worse,
And in thy stead I’ve got a deal of judgment,
Though Heaven knows how it ever found a lodgment

My days of love are over; me no more
The charms of maid, wife, and still less of widow,
Can make the fool of which they made before,—
In short, I must not lead the life I did do;
The credulous hope of mutual minds is o’er,
The copious use of claret is forbid too,
So for a good old-gentlemanly vice,
I think I must take up with avarice

Jamais, — jamais, — non jamais à l’avenir ne descendra plus dans mon cœur cette rosée de jeunesse qui nous fait éprouver, à la vue de tous les objets agréables, des émotions ravissantes et nouvelles ; semblable à la ruche des abeilles, notre sein les tenait renfermées. Penses-tu que ce miel naissait de ces objets ? non, ils n’étaient pas en eux, mais dans cette puissance de ton ame qui doublait jusqu’au parfum des fleurs.

 

Jamais, — jamais à l’avenir, ô mon cœur, tu ne seras mon seul monde, mon univers ! Autrefois je n’existais que par toi, aujourd’hui tu formes un être à part, et tu ne peux plus être mon paradis ou mon enfer. Les illusions ont disparu, tu es devenu insensible, mais ce n’est pas un malheur ; j’ai pris à ta place une dose de jugement, quoique Dieu seul connaisse comment il a pu entrer chez moi.

 

Mes jours de tendresse sont passés ; jamais les charmes d’une vierge, d’une épouse et moins encore d’une veuve ne me feront délirer comme autrefois. Il faut, en un mot, changer mon train de vie. Je n’ai plus l’espoir d’une mutuelle sympathie ; l’usage fréquent du vin m’est défendu ; ainsi, me résignant à quelque vice de vieille tête, je suis d’avis de me jeter dans l’avarice.



Le Don Juan de Byron a réglé son problème avec Dieu et n'a plus à conquérir les femmes - ce sont elles qui l'assaillent -, reste simplement pour lui à jouer de toutes les facettes de son moi : reste aussi que ce Don Juan n'est pas Byron, et que celui-ci ne cesse de s'immiscer dans l'intrigue pour la tourner en dérision ou tenter de dialoguer plus en profondeur avec le lecteur : "l'illusion m'a fui pour toujours"...

(Thomas Phillips - circa 1835 - George Gordon Byron - National Portrait Gallery - London)

 

Ambition was my idol, which was broken
Before the shrines of Sorrow, and of Pleasure;
And the two last have left me many a token
O’er which reflection may be made at leisure:
Now, like Friar Bacon’s Brazen Head, I’ve spoken,
“Time is, Time was, Time’s past:”—a chymic treasure
Is glittering Youth, which I have spent betimes—
My heart in passion, and my head on rhymes.

What is the end of fame? ’t is but to fill
A certain portion of uncertain paper:
Some liken it to climbing up a hill,
Whose summit, like all hills, is lost in vapor;
For this men write, speak, preach, and heroes kill,
And bards burn what they call their “midnight taper,”
To have, when the original is dust,
A name, a wretched picture and worse bust

L’ambition était mon idole, mais elle fut brisée sur l’autel de la douleur et du plaisir ; ceux-ci ont laissé chez moi des traces qui peuvent donner matière à amples réflexions. Aujourd’hui, comme la tête de bronze de frère Bacon, je m’écrie : « Le temps est, le temps fut, le temps n’est plus. » La brillante jeunesse est un trésor chimique que j’ai de trop bonne heure éventé en fatiguant mon cœur de passions, et ma tête de rimes.

À quoi se réduit la gloire ? à tenir une certaine place sur un léger papier. Quelques gens la comparent à l’action de gravir une hauteur dont le sommet, comme celui de toutes les montagnes, s’évanouit en vapeur. C’est pour elle que les hommes écrivent, parlent, déclament ; que les héros massacrent, que les poètes consument ce qu’ils appellent leur « lampe nocturne. » C’est afin d’obtenir, quand ils seront poussière, un nom, un misérable portrait, un buste pire encore.



La dernière période de sa vie nous montre Byron composant une série de drames, où nous admirons la richesse du verbe et la couleur puissante des images, mais que l'excès de rhétorique rend impropres å la scène. Dans "Caïn", il justifie le fratricide, va presque jusqu'à le glorifier, répète que la victime est une créature prédestinée, avec une insistance qui ne fut pas désarmêe par la critique, puisque l'auteur finit par déclarer que Caïn avait été son Waterloo. Dans "Marina Faliero" et les "The Two Foscari", Byron a de belles envolées, mais l'emphase gâte parfois son style. Dans "Sardanapale", il donne à sa forme une vigueur qui nous rappelle que l'auteur était imbu de la beauté de la peinture et de la sculpture classiques. "Werner ou l'Hérédité" lui fut inspiré par un récit des sœurs Lee; enfin, "Ciel et Terre' nous apparaît comme un mystère composé pour faire contrepoids à l'inhumain "Caïn". Wolfgang Gœthe décréta, avec l'intention d'adresser un compliment à l'auteur, que cet ouvrage aurait pu être écrit par un évêque. "Marino Faliero, doge de Venise" et les "The Two Foscari", publiés en 1821, sont peut-être les plus connus de ses drames. Des peintres s'en inspirèrent, et notamment Delacroix (La Mort de Sardanapale, 1827), pour la composition de leurs tableaux historiques. Ces deux drames en cinq actes prouvent que le poète anglais en les écrivant, se souvint des tragédies de Victor Alfieri (1749-1803),  grand auteur de tragédies, de poèmes et de satires, et qui, par ses évocations du monde ancien, par son amour de la liberté et par sa haine du despotisme, inspira dans les générations successives des sentiments qui préparèrent le Risorgimento. 

L'un et l'autre de ces drames s'inspirent de l'histoire de Venise, sans toutefois la respecter fidèlement. Marino Faliero, doge de Venise en 1354, à qui le Conseil des Quarante a fait subir une injustice en condamnant ses ennemis personnels à des peines trop légères, décide de renverser le gouvernement. Mais le complot du doge est découvert et le Sénat condamne à mort Marino, dont la tête sera tranchée à l'endroit même où, quelques années plus tôt, il avait fait serment de fidélité à sa patrie.

Dans les "Deux Foscari", dont Verdi a tiré un opéra (I due Foscari), le protagoniste est également un doge, François Foscari a été contraint d'exiler son fils Jacopo, accusé de trahison. Mais Jacopo, qui, deux fois déjà auparavant, avait été injustement condamné, meurt de chagrin, la veille du jour fixé pour son départ, François est poussé à donner sa démission, et tandis qu'il quitte le palais des doges, accablé par la mort de son fils - qu'il sait maintenant innocent - et par sa propre disgrâce, est frappé de malaise et meurt. 

Ce fut la dernière œuvre de Byron. ll l'acheva en 1823, presque à la veille de son départ pour la guerre d'indépendance de la Grèce, à laquelle il avait l'intention de prendre part directement, en se rangeant sous les drapeaux hellènes contre les Turcs. Mais en arrivant à Missolonghi, il fut pris d'une crise de malaria, maladie dont il souffrait depuis plusieurs années déjà et qui, cette fois, l'emporta le 19 avril 1824. Peu de mois plus tard, les volontaires auxquels il avait rêvé de se joindre livraient l'héroïque combat de Sphactérie ou mourait héroïquement Santorre de Santa Rosa. Le destin ne lui accorda pas la mort glorieuse qu'il souhaitait, et fut celle d'un pauvre malade miné par la fièvre....


Aristocrate, séductrice, aimée d'un George IV connu par ailleurs pour sa vie assez dissolue, "Portrait de Caroline Lamb (1785-1828) " (1805, Thomas Lawrence) - L'épouse de Byron, Anne Isabella Milbanke (1792-1860), et mère de la fameuse Ada, comtesse de Lovelace, figure dans le tableau bien connu de Benjamin Robert Haydon, "The Anti-Slavery Society Convention" (1840), à droite - La comtesse Teresa Guiccioli (1800–1873)  rencontrée à Venise en 1819...

La sensualité de Byron est connue : "The great object of life is sensation - to feel that we exist, even though in pain.” Sa réputation auprès des femmes de son temps, quelque soit leurs conditions sociales, n'est plus à faire, et, pour reprendre les paroles du respectable Sir Walter Scott : “His countenance was a thing to dream of”. En 1816, lady Caroline Lamb (1785-1828) publie un des premiers romans à scandale, "Glenarvon" contant les aventures amoureuses de personnages à peine déguisés, dont lord Byron, qu'elle a rencontré en 1812 ("Mad, bad and dangerous to know") et auquel elle céda quelques mois avant qu'il ne l'abandonne. Aristocrate, séductrice, aimée d'un George IV connu par ailleurs pour sa vie assez dissolue, elle avait pourtant épousé William Lamb qui devint premier ministre en 1834, mais poursuivit Byron de son ressentiment. Celui-ci épouse en 1815 une cousine de Caroline Lamb, la prude Anne Isabella Milbanke : elle figure dans le tableau bien connu de Benjamin Robert Haydon, "The Anti-Slavery Society Convention" (1840). Leur incompatibilité est telle qu'ils se séparent dès 1816 dans un contexte fortement scandaleux, et alors que Byron est soupçonné d'entretenir une relation avec sa demi-soeur : leur fille, Ada, future comtesse de Lovelace, reçut, pour contrer l'amoralisme et la dépravation de son père, une éducation des plus scientifiques, et son nom est directement associée à l'histoire des mathématiques via  Charles Babbage. Byron fuit donc à jamais l'Angleterre et rencontre à Genève Claire Clairmont (1798-1879), demi-soeur de Mary Shelley, qui lui donne une fille en 1817. En 1819, il croise à Venise la comtesse Teresa Guiccioli (1800–1873) qu'il fréquentera jusqu'à son départ pour la Grèce en 1821...  


"The Giaour A Fragment of Turkish Tale" (Byron, 1813)

"One fatal remembrance one sorrow that throws " It's bleak shade alike o'er our joys and our woes To which Life nothing darker nor brighter can bring, For which joy hath no balm and affliction no sting." (Moore) - Le poème eut un tel succès qu'il connut nombre d'éditions et que Byron l'allongea de 685 à 1134 vers. Il relate l'histoire d'une esclave, Leila qui, ayant trahi son maître turc, Hassan, est liée et jetée à la mer : son amant, le Giaour, combattra Hassan et le tuera pour assouvir sa vengeance. Ce sont les vers qui décrivent physiquement le héros qui sont les plus célèbres, pâle, le visage labouré par une douleur passée, description empruntée au portrait du sinistre Schedoni, personnage de L'Italien, d'Ann Radcliffe (The Italian, or the Confessional of the Black Penitents, 1797), pionnière du roman gothique, et que l'on retrouvera dans toute la littérature romantique. Eugène Delacroix s'inspira de ce poème pour exécuter la litographie "Le combat du Giaour et du Pacha" en 1827 et proposer plusieurs versions de ce sujet en peinture... "No breath of air to break the wave / That rolls below the Athenian’s grave, That tomb which, gleaming o’er the cliff / First greets the homeward-veering skiff / High o’er the land he saved in vain; / When shall such Hero live again?..."

.....The crescent glimmers on the hill,

The mosque’s high lamps are quivering still

Though too remote for sound to wake

In echoes of far tophaike,

The flashes of each joyous peal

Are seen to prove the Moslem’s zeal,

Tonight, set Rhamazani’s sun;

Tonight the Bairam feast’s begun;

Tonight – but who and what art thou

Of foreign garb and fearful brow?

 

That thou should’st either pause or flee?

He stood – some dread was on his face,

Soon hatred settled in its place:

It rose not with the reddening flush

Of transient anger’s hasty blush,

But pale as marble o’er the tomb,

Whose ghastly whiteness aids its gloom.

His brow was bent, his eye was glazed;

He raised his arm, and fiercely raised,

And sternly shook his hand on high,

As doubting to return or fly;

Impatient of his flight delayed,

Here loud his raven charger neighed –

Down glanced that hand and, and grasped his blade;

That sound had burst his waking dream,

As slumber starts at owlet’s scream.

The spur hath lanced his courser’s sides;

Away, away, for life he rides:

Swift as the hurled on high jerreed

Springs to the touch his startled steed;

The rock is doubled, and the shore

Shakes with the clattering tramp no more;

The crag is won, no more is seen

His Christian crest and haughty mien

Twas but a moment that he stood,

Then sped as if by death pursued;

But in that instant 0’er his soul

Winters of memory seemed to roll,

And gather in that drop of time

A life of pain, an age of crime.

O’er him who loves, or hates, or fears,

Such moment pours the grief of years:

What felt he then, at once opprest

By all that most distracts the breast?

That pause, which pondered o’er his fate,

Oh, who its dreary length shall date!

Though in time’s record nearly nought,

It was eternity to thought!

For infinite as boundless space

The thought that conscience must embrace,

Which in itself can comprehend

Woe without name, or hope, or end.

The hour is past, the Giaour is gone;

And did he fly or fall alone?

Woe to that hour he came or went!

The curse for Hassan’s sin was sent

To turn a palace to a tomb:

He came, he went, like the Simoom,

That harbinger of fate and gloom,

Beneath whose widely – wasting breath

The very cypress droops to death –

Dark tree, still sad when others’ grief is fled,

The only constant mourner o’er the dead!...."



John Keats (1795-1821)
Né près de Londres, de famille modeste, Keats perd ses parents à 14 ans : ils sont emportés par une tuberculose  qui viendra à bout très rapidement de lui-même et de nombre de ses proches. Il débute en 1811 un apprentissage de praticien-chirurgien sous la pression de son tuteur, mais se tourne très rapidement vers la littérature, lit et relit Shakespeare, entre autres, et publie en 1818  sa première oeuvre importante, "Endymion",  qui sera violemment prise à partie par les critiques conservateurs. C'est qu'en effet, Keats est le poète romantique qui, pour échapper à un monde de désillusion et de souffrance, ne théorise pas mais se laisse emporter corps et âme par l'expérience, se voue totalement à une poétique de la Beauté, un culte du style et de la forme qu'alimente un paganisme pris autant dans la mythologie que dans l'Antiquité ou les pré-romantiques de son temps. Et se donnant tel quel, Keats échappe à toute convenance ou morale : "Beauty is truth, truth is beauty, - that is all Ye know on earth and all ye need to know" ("Beauté est vérité et vérité beauté. Voilà tout ce que l'on sait sur terre et tout ce qu'il faut savoir"). En 1819, il se prend d'une passion maladive pour une jeune fille de dix-huit ans, Fanny Brawn, et publie l'année suivante ses plus célèbres recueils avant de mourir de tuberculose à 25 ans.
(John Keats by William Hilton - National Portrait Gallery, London)

 

Ode to a Nightingale

    My heart aches, and a drowsy numbness pains
    My sense, as though of hemlock I had drunk,
    Or emptied some dull opiate to the drains
    One minute past, and Lethe-wards had sunk:
    'Tis not through envy of thy happy lot,
    But being too happy in thine happiness,
    That thou, light-wingèd Dryad of the trees,
    In some melodious plot
    Of beechen green, and shadows numberless,
    Singest of summer in full-throated ease.
    O for a draught of vintage! that hath been
    Cool'd a long age in the deep-delvèd earth,
    Tasting of Flora and the country-green,
    Dance, and Provençal song, and sunburnt mirth!
    O for a beaker full of the warm South!
    Full of the true, the blushful Hippocrene,
    With beaded bubbles winking at the brim,
    And purple-stainèd mouth;
    That I might drink, and leave the world unseen,
    And with thee fade away into the forest dim
    Fade far away, dissolve, and quite forget
    What thou among the leaves hast never known,
    The weariness, the fever, and the fret
    Here, where men sit and hear each other groan;
    Where palsy shakes a few, sad, last grey hairs,
    Where youth grows pale, and spectre-thin, and dies;
    Where but to think is to be full of sorrow
    And leaden-eyed despairs;
    Where beauty cannot keep her lustrous eyes,
    Or new Love pine at them beyond to-morrow.

 

 

Mon cœur souffre, une torpeur accablante s’empare
De mes sens comme si j’avais bu de la ciguë,
Ou vidé une coupe de puissant narcotique
À l’instant même et m’étais plongé dans le Léthé :
Ce n’est pas par envie de ton heureux destin,
Mais parce que je suis enivré de ton bonheur,
Toi, qui, Dryade ailée des arbres.
Dans quelque mélodieux entrelacs
De hêtres verts et d’ombrages infinis
Chantes à plein gosier le calme de l’été.
Oh ! qui me donnera une gorgée d’un vin
Longtemps refroidi dans la terre profonde,
D’un vin qui sente Flora et la campagne verte,
La danse, les chansons provençales et la joie ensoleillée !
Oh ! qui me donnera une coupe pleine du chaud Midi,
Pleine du véritable, du rougissant Hippocrène,
Avec, sur le bord, des bulles d’écume bouillonnante,
Que, la bouche teinte de pourpre,
Je puisse m’abreuver et, fermant les yeux sur le monde,
M’égarer avec toi dans l’obscurité de la forêt
Disparaître dans l’espace, me dissoudre, oublier
Ce qu’au milieu des bois tu n’as jamais connu,
Le dégoût, la fièvre et l’agitation,
Parmi les hommes qui s’écoulent gémir les uns les autres ;
Où le tremblement secoue les vieux aux rares cheveux gris,
Où la jeunesse devient blême, puis spectrale, et meurt ;
Où rien que de penser remplit de tristesse
Et sur les paupières pèse d’un poids de plomb,
Où la Beauté ne peut conserver un jour ses yeux lumineux,
Sans qu’un nouvel Amour le lendemain en ternisse l’éclat !


Dans "Isabella or the Pot of Basil", inspiré de Boccace, appréciée des peintres pré-raphaélites, "The Eve of St Agnes", inspiré de Shakespeare, ou "Lamia", inspiré de Coleridge, Keats remet en question son idéalisme de la Beauté en montrant les rapports parfois cruels entre vérité, rêve, illusion et amour. "Hyperion" (1820) conte, à l'instar de Milton, la guerre des Titans contre les dieux. Enfin, ses "Odes" (1819-1820) constituent des sommets reconnus de son art par lesquels il s'interroge sur nos possibilités purement humaines d'appréhender ou de dialoguer avec la "Beauté", sans omettre cette proximité avec la mort qui donne paradoxalement un parfum d'éternité à ces quelques moments d'esthétique pure :  "Ode To A Nightingale" (l'impossible fusion de notre humaine condition avec la beauté), "Ode to Psyche" (la construction en nous-même d'un temple dédié à la beauté), "Ode to a grecian Urn" (du mutisme de la Beauté), "To Autumn" (la plénitude d'une saison loin de toute désespérance), "Ode on Melancholy" (l'acceptation de la mélancolie)...

 

"Endymion" (John Keats, 1818)
Il s'agit d'un poème narratif en quatre parties, inspiré de la légende d'Endymion, berger aimé des déesses : craignant les atteintes de la vieillesse et de la mort, Endymion obtient de Zeus la singulière faveur d'un sommeil éternel, mais aperçoit en rêve la Beauté idéale. Après bien des péripéties, il reconnaît en Diane cette apparition et s'unit à elle dans la vie éternelle. Un thème identique sera repris dans "Hyperion" et dans "Lamia". Les premiers vers sont devenus célèbres : "A thing of beauty is a joy for ever..." ("Un objet de beauté est joie pour l'Éternité").

A THING of beauty is a joy for ever:
Its loveliness increases; it will never
Pass into nothingness; but still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams, and health, and quiet breathing.
Therefore, on every morrow, are we wreathing
A flowery band to bind us to the earth,
Spite of despondence, of the inhuman dearth
Of noble natures, of the gloomy days,
Of all the unhealthy and o’er-darkened ways
Made for our searching: yes, in spite of all,
Some shape of beauty moves away the pall
From our dark spirits. Such the sun, the moon,
Trees old and young, sprouting a shady boon
For simple sheep; and such are daffodils
With the green world they live in; and clear rills
That for themselves a cooling covert make
’Gainst the hot season; the mid forest brake,
Rich with a sprinkling of fair musk-rose blooms:
And such too is the grandeur of the dooms
We have imagined for the mighty dead;
All lovely tales that we have heard or read:
An endless fountain of immortal drink,
Pouring unto us from the heaven’s brink.

Nor do we merely feel these essences
For one short hour; no, even as the trees
That whisper round a temple become soon
Dear as the temple’s self, so does the moon,
The passion poesy, glories infinite,
Haunt us till they become a cheering light
Unto our souls, and bound to us so fast,
That, whether there be shine, or gloom o’ercast,
They alway must be with us, or we die.

L'objet de beauté est une joie éternelle ;
Son charme ne fait que croître ; jamais
Il ne passera dans le néant; mais il gardera toujours
Pour nous une paisible charmille, et un sommeil
Empli de doux rêves, et de bonne santé et respiration paisible.
Aussi, chaque matin, tressons-nous
Une guirlande de fleurs qui nous enchaîne sur la terre,
En dépit du découragement, de l'inhumaine disette
De nobles créatures, des jours tristes,
De toutes les routes pestilentielles et enténébrées
S’ouvrant à nos recherches : oui, en dépit de tout,
Une forme quelconque de beauté rejette le crêpe
Loin de nos esprits assombris. Tels le soleil, la lune,
Les arbres vieux et jeunes, qui prodiguent leur ombre bienfaisante
Pour une simple brebis ; tels les narcisses
Dans leur séjour verdoyant ; et les clairs ruisseaux
Que défendent les buissons rafraîchissants
Contre la saison chaude ; la fougère au cœur de la forêt,
Richement tachetée comme de belles roses mousses :
Telle aussi la grandeur des jugements
Que nous avons portés sur nos morts illustres ;
Tous les contes délicieux que nous avons lus ou entendus :
Fontaine inépuisable nous dispensant un immortel
Breuvage dont la source est au ciel.
Et nous n’éprouvons pas simplement ces sensations
Pour une heure rapide ; non, de même que les arbres
Bruissant autour d’un temple deviennent bientôt
Aussi vénérés que le temple lui-même, de même fait la lune,
La passion pour la poésie, gloires infinies, qui
Nous hantent jusqu’à ce qu’elles deviennent une lueur consolatrice
S’insinuant dans nos âmes, et se liant si intimement à nous,
Que, brillantes ou sombres,
Toujours elles devront demeurer en nous, sinon nous mourrons.


 

La ballade de "La Belle Dame Sans Merci" est certes inspirée par sa passion désespérée pour Fanny Brawne (1800-1865), écrite dans le ton des anciennes ballades,

mais c'est son extrême perfection formelle qui fit sa renommée...

La Belle Dame Sans Merci

O WHAT can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has wither'd from the lake,
And no birds sing.
O what can ail thee, knight-at-arms!
So haggard and so woe-begone?
The squirrel's granary is full,
And the harvest's done.
I see a lily on thy brow
With anguish moist and fever dew,
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.
I met a lady in the meads,
Full beautiful - a faery's child,
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.
I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She look'd at me as she did love,
And made sweet moan.
I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long,
For sidelong would she bend, and sing
A faery's song.
She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna dew,
And sure in language strange she said -
"I love thee true."

La Belle Dame sans merci

Ah! qu'est-ce qui peut te faire souffrir, pauvre être,
Errant solitaire et pâle ?
Les joncs sont flétris au bord du lac
Nul oiseau ne chante.
Ah! qu'est-ce qui peut te faire souffrir, pauvre être,
Si farouche et si malheureux ?
Le grenier de l'écureuil est plein,
Et la moisson est rentrée.
Je vois un lys sur ton front
Moins d'angoisse et de fiévreuse rosée,
Et sur ta joue une rose qui s'effeuille
Commence aussi à se flétrir.
J'ai rencontré une dame dans les prés,
Très belle, la fille d'une fée.
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers,
Et ses yeux sauvages.
Je fis une guirlande pour sa tête,
Et des bracelets, et une ceinture parfumée.
Elle me regardait comme si elle m'aimait
Et poussait une douce plainte..
Je l'assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d'autre tout le jour;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.
Elle trouva pour moi des racines d'un goût exquis,
Du miel sauvage, et une rosée douce comme la manne,
Et sûrement en un langage étrange elle me dit :
- « Je t'aime de fidèle amour».


 

Frank Bernard Dicksee (1853-1928) - "La belle dame sans merci"
 Bristol Museum and Art Gallery

She took me to her elfin grot,
And there she wept, and sigh'd fill sore,
And there I shut her wild wild eyes
With kisses four. And there she lulled me asleep,
And there I dream'd - Ah! woe betide!
The latest dream I ever dream'd
On the cold hill's side.
I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried - "La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!"
I saw their starved lips in the gloam,
With horrid warning gaped wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill's side.
And this is why I sojourn here,
Alone and palely loitering,
Though the sedge is wither'd from the lake,
And no birds sing.

Elle m'entraîna dans sa grotte d'elfe;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir,
Là je fermai ses yeux égarés et tristes
Et l'embrassai pour l"endormir
Là nous sommeillâmes sur la mousse
Et là je rêvai, hélas! hélas!
Le dernier rêve que j'ai jamais rêvé
Sur le flanc de la froide colline.
Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers; tous étaient pâles comme la mort.
Et criaient: - La Belle Dame sans Mercy
Te tient en servage.
Je vis, dans les ténèbres, leurs lèvres affamées
Grandes ouvertes pour faire peur et m'avertir;
Et je m'éveillai et me trouvai ici
.Sur le flanc de la froide colline.
Et voilà pourquoi je demeure ici,
Errant solitaire et pâle,
Bien que les joncs soient flétris au bord du lac
Et que nul oiseau ne chante.



John Clare (1793-1864)

William Hilton the Younger - National Portrait Gallery 1820

Surnommé "The Northamptonshire Peasant Poet", John Clare passe une enfance de paysan misérable dans le Soke of Peterborough et dès douze ans exerce de multiples métiers. Etranger dans sa propre communauté ("I live here among the ignorant like a lost man in fact like one whom the rest seemes careless of having anything to do with"), il s'adonne pourtant à la lecture et versifie : Clare publie en 1820 son premier recueil, "Poems Descriptive of Rural Life and Scenery", qui lui apporte notoriété et lui ouvre bien les portes des milieux littéraires et des protections. Il publie par suite "The Village Minstrel" (1821), "The Shepherd's Calendar" (1827), "The Rural Muse" (1835) mais reste hanté par un amour malheureux de jeunesse, Mary Joyce, fille d'un riche fermier. Après une brève accalmie, Clare se marie, devient père, affronte la transformation de la campagne anglaise (Enclosure Act , dépeuplement) et retombe dans une misère qui le conduit au bord de la folie en 1840. Il meurt dans un asile d'aliénés le 20 mai 1864. 

I Am!  (By John Clare)

I am—yet what I am none cares or knows;
My friends forsake me like a memory lost:
I am the self-consumer of my woes—
They rise and vanish in oblivious host,
Like shadows in love’s frenzied stifled throes
And yet I am, and live—like vapours tossed
Into the nothingness of scorn and noise,
Into the living sea of waking dreams,
Where there is neither sense of life or joys,
But the vast shipwreck of my life’s esteems;
Even the dearest that I loved the best
Are strange—nay, rather, stranger than the rest.
I long for scenes where man hath never trod
A place where woman never smiled or wept
There to abide with my Creator, God,
And sleep as I in childhood sweetly slept,
Untroubling and untroubled where I lie
The grass below—above the vaulted sky.

 

 

« Je suis – mais qui je suis, nul ne sait ou s’en soucie ;
Mes amis me délaissent tel un souvenir vieux :
De mes propres souffrances je me rassasie-
Elles enflent et meurent dans un essaim oublieux
Comme les ombres de nos affres amoureuses-
Et pourtant je suis et je vis –ballotté, vaporeux,
Dans le vaste néant du mépris et du bruit,
Dans l’océan vivant des rêves éveillés
Sans le moindre bonheur et sans la moindre vie,
Seul le grand naufrage de mes vies estimées ;
Et même les êtres que j’aime, les êtres chers,
Me sont devenus étrangers –et je les perds.
Je rêve de lieux ou nul homme n’a marché,
Où nulle femme encore n’a souri ni pleuré,
Ainsi là avec Dieu, toujours, y demeurer,
Et rêver tel qu’enfant doucement j’ai rêvé,
Serein et calme, couché dans un songe éternel,
L’herbe en dessous –par-dessus, l’arche du ciel. »



Thomas de Quincey (1785-1859)
Né à Manchester, issu d'une famille de marchands, Thomas de Quincey fut un enfant petit et fragile, qui perdit son père dès 1793, et surtout sa soeur Elizabeth en 1792. Adolescent il découvre la poésie de Wordsworth et fut un temps un de ses proches à Grasmere (Lake District). Dandy jeté dans la pauvreté et parcourant sans fin le Londres le plus obscur, il soulage ses douleurs faciales en s'adonnant en 1809 à l'opium : sa réputation débute en 1821 lorsqu'il publie dans le London Magazine ses "Confessions of An English Opium Eater", que traduisit librement Baudelaire dans "les Paradis artificiels" : la fiole de laudanum deviendra pour lui "une vieille et terrible amie".

On a fait de ces Confessions une lecture ironisant sur les oeuvres écrites par cette première génération romantique anglaise : alors que Wordsworth et Coleridge célèbrent l'imagination qui seule permet de transcender le réel, de Quincey attribue à l'opium ces envolées vers la transcendance; là où Wordsworth revendique une écriture simple pour des hommes simples, de Quincey égare le lecteur dans les références grecques ou latines, souvent métaphoriques; enfin, à la nature tant chantée par Wordsworth, de Quincey substitue les labyrinthes populeux  de Londres et de ses prostituées. Poursuivi toute sa vie par les créanciers, ce grand érudit fut un esprit original et imaginatif qui, pour survive, écrivit des articles et ouvrages des plus fantaisistes et digressifs : "Confessions of An English Opium Eater" (1822), "The English Mail Coach" (1849), "Of Murder condidered as one of the fine arts" (1828), "Suspiria de Profundis" (1845), "Klosterheim, or the Masque" (1832), "Coleridge and Opium Eating", "On Wordsworth's Poetry".
(Thomas de Quincey by Sir John Watson-Gordon - National Portrait Gallery, London)

 

Confessions of An English Opium Eater

(Confessions d’un mangeur d’opium anglais, Thomas de Quincey, 1822)
"L'auteur, qui a entrepris d'intéresser vigoureusement l'attention avec un sujet en apparence aussi monotone que celui d'une ivresse [...] veut créer pour sa personne une sympathie dont profitera tout l'ouvrage. Enfin, et ceci est très important, le récit de certains accidents, vulgaires peut-être en eux-mêmes, mais graves et sérieux en raison de la sensibilité de celui qui les a supportés, devient, pour ainsi dire, la clef des sensations et des visions extraordinaires qui assiègeront plus tard son cerveau. [...] Les événements racontés dans Les Confessions [...] ressusciteront comme ces rêves qui ne sont que des souvenirs déformés et transfigurés des obsessions d'une journée laborieuse." Charles Baudelaire, Editions Gallimard.

Deux grands chapitres traitent de l'opiomanie, les "Plaisirs", puis les "Souffrances" de l'opium. Il décrit en détail sa première expérience et escamote quelque peu les visions terrifiantes du second chapitre : "Je l'absorbai ; et en une heure, juste ciel ! quelle révolution ! quelle résurrection de mon être intérieur surgissant du fond du gouffre ! quelle apocalypse de l'univers qui m'habitait ! La disparition de mes douleurs n'était plus qu'une bagatelle à mes yeux ; cet effet négatif se trouvait englouti dans l'immensité des effets positifs qui s'ouvraient devant moi, dans l'abîme de félicité divine ainsi soudainement révélé." (But I took it - and in an hour - oh, heavens! what a revulsion! what an upheaving, from its lowest depths, of inner spirit! what an apocalypse of the world within me! That my pains had vanished was now a trifle in my eyes: this negative effect wasswallowed up in the immensity of those positive effects which had opened before me—in the abyss of divine enjoyment thus suddenly revealed).

 

Of Murder condidered as one of the fine arts

(De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, Thomas de Quincey, 1828)
«Le Roman noir anglais avait déjà plus d'un demi-siècle quand De Quincey s'avisa d'y ajouter l'Essai noir. Il imagina de considérer le meurtre sous un angle esthétique, inventant une société d'amateurs qui appréciaient la qualité esthétique des assassinats commis depuis Caïn jusqu'à Burke et Hare, qui attiraient les vagabonds chez eux pour les étouffer sous des oreillers et les vendre comme sujets anatomiques ; et jusqu'à Williams qui, tout dernièrement, avait terrifié Londres en anéantissant deux familles entières. Cette récapitulation meurtrière s'effectuait selon des variations drolatiques, sur un mode ironique et léger.» (Pierre Leyris. Editions Gallimard)