2000 - Ingenuity Gap
Thomas Homer-Dixon (1956), "The Ingenuity Gap: Can We Solve the Problems of the Future?" (2000), "The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization" (2006) - Nassim Nicholas Taleb (1960), 'The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable" (2007) - "Skin in the Game: The Hidden Asymmetries in Daily Life" (2018), Nassim Nicholas Taleb -"The Watchman’s Rattle: A New Way to Understand Complexity, Collapse, and Correction", (Rebecca D. Costa, 2009) - ...
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Dans "The Ingenuity Gap", Thomas Homer-Dixon, professeur et directeur du Cascade Institute à l’Université Royal Roads en Colombie-Britannique, - un centre de recherche dédié à l’étude des systèmes complexes et à la résolution de problèmes mondiaux -, met en garde contre un avenir où les sociétés humaines pourraient se retrouver submergées par des problèmes devenus par trop complexes, imprévisibles et soudains, que nous ne pourrons guère plus leur opposer notre capacité à innover : celle-ci semble, pour bien des raisons à identifier, avoir atteint une certaine limite. Et l'une des raisons, mise à part une possible limitation de nos capacités cognitives, est sans doute notre insuffisance notoire en matière d'organisation politique et sociale : là où nous devrions sans doute adopter des modèles de gouvernance plus adaptatifs et plus souples, plus inventifs et plus ouverts, nous perpétuons quasi religieusement des modèles institutionnels qui ne sont plus que partiellement démocratiques, donnant trop de pouvoir à des êtres humains sur d'autres humains, et nous en remettant à cette singulière résilience sociale susceptible de nous faire supporter toutes les crises à venir à défaut de responsabilité ...
Nous intègrerons ici les ouvrages répondant à cette problématique ...
Dans "The Ingenuity Gap: Can We Solve the Problems of the Future?" (2000), Thomas Homer-Dixon s'est interrogé, avec bien des raisons, sur la capacité des sociétés complexes, que nous sommes devenues, à produire des solutions (ou de l’ingéniosité) suffisamment rapidement pour répondre aux défis de plus en plus complexes et interdépendants. Il définit l’ingéniosité comme les idées, les solutions techniques, et les institutions sociales nécessaires pour relever les défis, et le "gap" (ou fossé) comme l’écart grandissant entre les problèmes et notre capacité à y répondre.
Le Concept du "Gap d’Ingéniosité", une lacune? - Homer-Dixon introduit l’idée de ce "gap" (ingenuity gap) pour décrire l’écart qui se creuse entre la complexité des problèmes mondiaux et la capacité humaine à y répondre par des solutions novatrices et efficaces (to describe the growing divide between the complexity of global problems and humanity’s capacity to create innovative, effective solutions). Il affirme que, bien que les avancées technologiques soient rapides, elles ne suffisent souvent pas pour résoudre des problèmes interdépendants tels que le changement climatique, les crises économiques, ou les tensions sociales. C'est que les défis modernes, pour bien des raisons, exigent des solutions de plus en plus sophistiquées, mais la capacité humaine d'innovation est limitée par des contraintes d'ordre institutionnel, économique, et cognitif. Et peut-être surtout cognitif, serait-on tenter d'ajouter...
"We can see how our world is, in many ways, becoming more complex, fast-paced, and unpredictable. As a result, the problems we face are getting more complicated as well, and (as in my thought experiment), we need longer and more elaborate sets of instructions for technologies and institutions that can effectively solve them. Or, to put it in terms of complexity theory: the greater complexity of our world requires greater complexity in our technologies and institutions. As the American complexity theorist Yaneer Bar-Yam writes, “We must understand that … human systems exist within an environment that places demands upon them. If the complexity of these demands exceeds the complexity of a system, the system will fail. Thus, those systems that survive must have a complexity sufficiently large to respond to the complexity of environmental demands.”
The human brain is the ultimate source of the ideas, ingenuity, and sets of instructions we need to cope with this greater complexity. And it is, itself, a vastly complex system. Through a sophisticated set of senses, the brain receives a flood of information about the body’s internal state and its external environment. It interprets this information and commands appropriate responses.
Although we think of the brain primarily in terms of its role in conscious thought and decision, it also handles a wide array of routine and unconscious tasks, from guiding motor activity to regulating visceral, endocrine, and somatic functions.
« Nous pouvons constater que notre monde devient, à bien des égards, plus complexe, plus rapide et plus imprévisible. Par conséquent, les problèmes auxquels nous sommes confrontés deviennent également plus compliqués et (comme dans mon expérience de pensée), nous avons besoin d'ensembles d'instructions plus longs et plus élaborés pour les technologies et les institutions qui peuvent les résoudre efficacement. Ou, pour le dire en termes de théorie de la complexité : la plus grande complexité de notre monde exige une plus grande complexité de nos technologies et de nos institutions. Comme l'écrit le théoricien américain de la complexité Yaneer Bar-Yam, « nous devons comprendre que [...] les systèmes humains existent dans un environnement qui leur impose des exigences. Si la complexité de ces exigences dépasse la complexité d'un système, ce dernier échouera. Par conséquent, les systèmes qui survivent doivent avoir une complexité suffisamment grande pour répondre à la complexité des exigences de l'environnement.
Le cerveau humain est la source ultime des idées, de l'ingéniosité et des instructions dont nous avons besoin pour faire face à cette plus grande complexité. Il est lui-même un système extrêmement complexe. Grâce à un ensemble sophistiqué de sens, le cerveau reçoit un flot d'informations sur l'état interne du corps et sur son environnement extérieur. Il interprète ces informations et commande les réponses appropriées.
Bien que nous considérions le cerveau principalement comme un organe de réflexion et de décision conscientes, il s'occupe également d'un large éventail de tâches routinières et inconscientes, allant de l'orientation de l'activité motrice à la régulation des fonctions viscérales, endocriniennes et somatiques..."
ONE - How Are We Changing Our Relationship to the World?
"Careening into the Future" est la métaphore qui permet d'introduire le débat pour illustrer l’état de vulnérabilité et de déséquilibre de l’humanité dans son approche de l’avenir. Selon Homer-Dixon, sans une prise de conscience de ces risques et sans efforts pour ralentir, réfléchir et renforcer notre résilience, nous risquons d’être submergés par les crises de demain. Et bien que nous ayons en effet énormément progressé en technologie et en connaissance, ces avancées n'ont pas toujours renforcé notre capacité à anticiper ou maîtriser les effets de nos actions. Au contraire, les systèmes deviennent souvent plus fragiles et incontrôlables à mesure qu'ils se complexifient. L’auteur souligne que la vitesse à laquelle les problèmes émergent dépasse souvent notre capacité à concevoir des solutions efficaces et durables. L'« ingéniosité » nécessaire pour répondre aux défis contemporains (environnementaux, économiques, sociaux) peine à suivre ce rythme effréné, accentuant ainsi le fossé entre les problèmes et les solutions disponibles. En avançant de façon incontrôlée vers l'avenir, l'humanité court un risque accru de générer des crises et des effondrements inattendus, car de nombreux effets des actions et des technologies actuelles ne se révéleront qu’à long terme. Homer-Dixon met en garde contre cette dynamique, où les actions d’aujourd’hui peuvent causer des perturbations futures majeures que nous ne serons peut-être pas en mesure de gérer.
"Our New World" décrit un monde transformé par des réseaux interconnectés et des dynamiques complexes qui posent des défis nouveaux et uniques. Homer-Dixon utilise ce passage pour souligner la nécessité de reconnaître et de comprendre les particularités de ce monde afin de pouvoir y naviguer efficacement. Il appelle à une prise de conscience collective de ces nouvelles réalités et à des efforts pour réformer nos systèmes et maximiser notre capacité d’ingéniosité pour y faire face. Quelles sont les caractéristiques de ce monde?
- Complexité et interdépendance sans précédent : Homer-Dixon souligne que le monde moderne est caractérisé par des systèmes (économiques, écologiques, technologiques) devenus extrêmement complexes et interdépendants. Cette complexité fait que les actions ou les événements dans une partie du monde ont des répercussions rapides et souvent imprévisibles ailleurs, rendant la gestion des problèmes plus difficile que jamais.
- Vulnérabilité aux crises systémiques : Dans Our New World, Homer-Dixon insiste sur le fait que cette interconnexion amplifie notre vulnérabilité aux crises globales. Des perturbations dans un domaine (comme une crise financière ou une catastrophe naturelle) peuvent avoir des effets de cascade, touchant d'autres secteurs de manière parfois inattendue. Il illustre ainsi comment les crises modernes sont souvent interreliées et peuvent se propager plus rapidement en raison de la densité de nos réseaux mondiaux.
- Accélération du changement : Homer-Dixon met en avant la rapidité des transformations dans le monde contemporain, qu’il s’agisse de progrès technologiques, de changements environnementaux ou de mutations sociales. Cette accélération constante réduit le temps dont nous disposons pour comprendre, anticiper et répondre aux nouveaux défis, rendant notre monde plus imprévisible et souvent plus difficile à gérer de manière proactive.
- Besoin pressant d'ingéniosité : Dans ce nouveau monde, l’auteur argue que l'ingéniosité devient un besoin crucial pour faire face à des défis de plus en plus complexes et pressants. Il insiste sur le fait que nos institutions traditionnelles et nos modes de pensée doivent évoluer pour générer des solutions à la hauteur de cette complexité. La capacité d'innover et de s’adapter est essentielle, mais elle se heurte souvent à des obstacles structurels, économiques et politiques qui freinent cette créativité nécessaire.
Pour conclure cette première partie, l'auteur entame dans "The Big I" une réflexion sur l'importance primordiale de l’ingéniosité pour la survie et le bien-être futur de l'humanité. L'ingéniosité, capacité à inventer de nouvelles solutions, à résoudre des problèmes complexes, et à adapter les systèmes existants pour les rendre plus efficaces et résilients, n'est pas seulement une ressource individuelle ou nationale, mais une nécessité collective pour construire un monde capable de s'adapter aux changements et de surmonter les crises complexes.
Homer-Dixon identifie plusieurs facteurs qui freinent l’émergence et la diffusion de l’ingéniosité, tels que les inégalités économiques, le manque de ressources éducatives et la rigidité des institutions. Ces obstacles, selon lui, creusent le « fossé d’ingéniosité », car ils limitent la capacité des sociétés, en particulier celles des pays en développement, à innover face aux crises. Dans un monde où les problèmes sont de plus en plus globaux et interconnectés, Homer-Dixon souligne que l'ingéniosité doit elle-même être plus largement partagée et coopérative. Il appelle à une reconnaissance collective de l’ingéniosité comme un bien mondial et à la création de structures qui encouragent l’innovation et la coopération internationale pour relever les défis partagés.
TWO - Do We Need More Ingenuity to Solve the Problems of the Future?
Homer-Dixon expose ici une analyse de la complexité croissante de notre monde et des dangers que cela implique. Sa thèse centrale est que, pour éviter des effondrements potentiels, il est urgent de cultiver une ingéniosité capable de construire des systèmes résilients et adaptatifs. L'auteur décrit comment nos sociétés créent des systèmes de plus en plus intriqués et interdépendants. Cette complexité rend ces systèmes plus difficiles à comprendre et à gérer, ce qui augmente le risque d'erreurs ou de défaillances. D'autant que notre capacité cognitive et organisationnelle pour gérer cette complexité est limitée, que l’écart entre les problèmes que nous devons résoudre et les compétences, les ressources, et la créativité dont nous disposons pour y faire face, ne cesse de croître. Sans omettre que dans les systèmes complexes, certaines actions peuvent produire des effets en retour inattendus qui aggravent les problèmes initiaux, ce qui rend difficile le contrôle ou la correction des situations problématiques. La métaphore de l'"An Angry Beast" ("la bête en colère") est utilisée pour décrire des systèmes complexes qui deviennent autonomes, incontrôlables, et potentiellement hostiles. Cette "bête" représente les forces socio-économiques et écologiques qui, lorsqu'elles échappent à notre contrôle, peuvent devenir destructrices.
Enfin, Thomas Homer-Dixon utilise le concept des "unknown unknowns" pour désigner les aspects de la réalité qui échappent totalement à notre compréhension, rendant certaines crises impossibles à anticiper. Un concept crucial qui désigne des facteurs qui sont totalement invisibles et incompréhensibles si l'on s'en tient aux modèles ou analyses de risque conventionnelles que nous utilisons ..
THREE - Can We Supply the Ingenuity We Need?
Les sources de l’ingéniosité et leurs limites (Sources and Limits of Ingenuity) - La troisième partie traite des obstacles structurels qui limitent la production de cette fameuse et tant espérée "ingéniosité" humaine.
Dans « Brains and Ingenuity », il se réfère aux deux éléments cruciaux dont l’humanité a besoin pour résoudre les problèmes complexes auxquels elle est confronté., "Brains" désignant ici l’intelligence humaine, les connaissances, et les capacités cognitives nécessaires pour comprendre des problèmes complexes et développer des solutions. Cela englobe non seulement le talent et le savoir-faire individuel, mais aussi la manière dont ces qualités sont cultivées et exploitées collectivement dans des sociétés modernes, par l'éducation et la recherche scientifique. "Ingenuity" renvoie à l’innovation, à la créativité et à la capacité de concevoir des solutions nouvelles et adaptées aux défis, que ceux-ci soient d’ordre technologique, social ou organisationnel. Cette notion d’ingéniosité n’est pas uniquement technique ; Homer-Dixon insiste également sur l’ingéniosité sociale, qui est essentielle pour construire des institutions, des politiques et des pratiques qui permettent aux sociétés de s’adapter aux changements et de gérer les crises de manière efficace. La combinaison de « brains » et d’« ingenuity » est, selon Homer-Dixon, essentielle mais pas toujours suffisante, car de nombreux obstacles empêchent leur pleine mise en œuvre. Par exemple, l’inégalité d’accès aux ressources, l’épuisement des écosystèmes, et la vitesse à laquelle les problèmes apparaissent rendent parfois difficile pour les individus et les sociétés d’innover assez rapidement pour combler le fossé de l’ingéniosité...
Le concept de « Techno-Hubris » qu'il évoque dans le chapitre suivant s'attache à l’idée que les avancées technologiques seules pourraient résoudre tous les problèmes de l’humanité, indépendamment de leur complexité ou de leur impact à long terme. Homer-Dixon critique cette vision, qu’il considère comme une forme de présomption excessive qui surestime le pouvoir de la technologie et sous-estime les limites humaines et naturelles. Homer-Dixon plaide pour une approche plus équilibrée, où la technologie est reconnue pour sa juste valeur, mais où des solutions sociales, politiques et culturelles sont également développées pour affronter la complexité des défis globaux.
Pour Homer-Dixon, la techno-hubris repose sur plusieurs illusions :
- La croyance en la toute-puissance de la technologie : Cette croyance suppose que pour chaque problème, il existe une solution technologique, et que les progrès futurs suffiront à surmonter même les crises les plus graves. Cependant, Homer-Dixon met en garde contre ce raisonnement, arguant que la technologie ne peut pas tout résoudre, surtout face aux défis intrinsèquement sociaux ou environnementaux, qui nécessitent des changements structurels profonds.
- La négligence des conséquences inattendues : La techno-hubris ignore souvent les conséquences imprévues et les risques associés aux nouvelles technologies. Par exemple, une technologie conçue pour résoudre un problème peut en créer d’autres (comme les pesticides, qui augmentent les rendements agricoles mais polluent les écosystèmes). Homer-Dixon suggère qu’un excès de confiance dans la technologie entraîne une forme d’aveuglement face aux effets secondaires potentiels.
- Le manque de résilience : La dépendance excessive à la technologie peut rendre les sociétés vulnérables, car elle crée une forme de rigidité et de dépendance. Une société trop « technologique » peut manquer de résilience face aux crises imprévues si elle n’a pas les moyens d’adaptation non technologiques nécessaires, tels que la cohésion sociale, des institutions solides ou des pratiques collectives résilientes.
Dans le passage intitulé "White-Hot Landscapes", l'auteur décrit la réalité de notre époque : un environnement brûlant d’urgence et d’intensité où la complexité croissante, l'accélération des changements, et l’interdépendance des systèmes exacerbent les défis, rendant notre besoin d’ingéniosité encore plus critique et difficile à combler. Homer-Dixon fait ainsi référence à plusieurs aspects de cette intensité croissante :
- L’accélération des changements : Il souligne comment les avancées technologiques, la mondialisation, et l’urbanisation rapide ont transformé nos environnements en espaces où le rythme du changement est si rapide qu’il devient difficile, voire impossible, pour les individus et les sociétés de s’adapter adéquatement. Dans ces white-hot landscapes, les problèmes émergent et se transforment bien plus vite que nous ne pouvons les comprendre ou y répondre.
- La complexité accrue des systèmes : Homer-Dixon explique que l'interconnexion entre différents systèmes (économiques, environnementaux, politiques) signifie que les crises et les chocs se propagent plus facilement et à plus grande échelle. Un événement local peut rapidement devenir une crise mondiale en raison de la complexité et des boucles de rétroaction entre les systèmes, ce qui rend le paysage encore plus instable et difficile à contrôler.
- Les pressions sur l’ingéniosité humaine : Dans ces "paysages brûlants", l’ingéniosité nécessaire pour résoudre les problèmes est mise sous pression intense. Les défis exigent des solutions de plus en plus rapides et créatives, mais les ressources, le temps et la capacité de réflexion nécessaire peuvent manquer. Cette intensité contribue au « fossé d’ingéniosité » (ingenuity gap) en creusant l’écart entre la complexité des problèmes et notre capacité à leur apporter des solutions efficaces.
FOUR - What Does the Ingenuity Gap Mean for Our Future?
L’avenir de l’ingéniosité et la résilience face à la crise (he Future of Ingenuity and Building Resilience) - Dans la dernière partie, Homer-Dixon se concentre sur l’avenir et sur la manière selon laquelle l'humanité peut faire face aux défis en développant une résilience accrue. Il soutient que l'ingéniosité doit être non seulement plus distribuée mais aussi mieux adaptée aux contextes locaux, en particulier dans les régions vulnérables. Il appelle à une transformation des systèmes éducatifs, économiques et politiques pour favoriser la résilience. Cette résilience, selon lui, est essentielle pour faire face aux crises émergentes et pour minimiser les effets de cette « lacune d’ingéniosité ».
".... The past century’s countless incremental changes in our societies around the planet, in our technologies and our interactions with our surrounding natural environments, have accumulated to create a qualitatively new world. Because these changes have accumulated slowly, it’s often hard for us to recognize how profound and sweeping they’ve been. They include far larger and denser human populations; much higher per capita consumption of natural resources; and far better and more widely available technologies for the movement of people, materials, and especially information. In combination, these changes have sharply increased the density, intensity, and pace of our interactions with each other; they have greatly increased the burden we place on our natural environment; and they have helped shift power from national and international institutions to individuals and subgroups, such as political special interests and ethnic factions. As a result, people in all walks of life - from our political and business leaders to all of us in our day-to-day lives - must cope with much more complex, urgent, and often unpredictable circumstances. The management of our relationship with this new world requires immense and ever-increasing amounts of social and technical ingenuity. As we strive to maintain or increase our prosperity and improve the quality of our lives, we must make far more sophisticated decisions, and in less time, than ever before.
« Les innombrables changements progressifs survenus au cours du siècle dernier dans nos sociétés, dans nos technologies et dans nos interactions avec les milieux naturels qui nous entourent se sont accumulés pour créer un monde qualitativement nouveau. Parce que ces changements se sont accumulés lentement, il nous est souvent difficile de reconnaître à quel point ils ont été profonds et radicaux. Il s'agit notamment de populations humaines beaucoup plus nombreuses et plus denses, d'une consommation de ressources naturelles par habitant beaucoup plus élevée et de technologies beaucoup plus performantes et plus largement disponibles pour la circulation des personnes, des matériaux et surtout de l'information. Ensemble, ces changements ont fortement accru la densité, l'intensité et le rythme de nos interactions mutuelles ; ils ont considérablement augmenté la charge que nous faisons peser sur notre environnement naturel ; et ils ont contribué à déplacer le pouvoir des institutions nationales et internationales vers les individus et les sous-groupes, tels que les intérêts politiques particuliers et les factions ethniques. En conséquence, des personnes de tous horizons - de nos dirigeants politiques et économiques à chacun d'entre nous dans notre vie quotidienne - doivent faire face à des circonstances beaucoup plus complexes, urgentes et souvent imprévisibles. La gestion de notre relation avec ce nouveau monde exige une ingéniosité sociale et technique immense et toujours croissante. Alors que nous nous efforçons de maintenir ou d'accroître notre prospérité et d'améliorer notre qualité de vie, nous devons prendre des décisions beaucoup plus sophistiquées, et en moins de temps, que jamais auparavant.
"When we enhance the performance of any system, from our cars to the planet’s network of financial institutions, we tend to make it more complex. Many of the natural systems critical to our wellbeing, like the global climate and the oceans, are extraordinarily complex to begin with. We often can’t predict or manage the behavior of complex systems with much precision, because they are often very sensitive to the smallest of changes and perturbations, and their behavior can flip from one mode to another suddenly and dramatically. In general, as the human-made and natural systems we depend upon become more complex, and as our demands on them increase, the institutions and technologies we use to manage them must become more complex too, which further boosts our need for ingenuity.
The good news, though, is that the last century’s stunning changes in our societies and technologies have not just increased our need for ingenuity; they have also produced a huge increase in its supply. The growth and urbanization of human populations have combined with astonishing new communication and transportation technologies to expand interactions among people and produce larger, more integrated, and more efficient markets. These changes have, in turn, vastly accelerated the generation and delivery of useful ideas.
« Lorsque nous améliorons les performances d'un système, qu'il s'agisse de nos voitures ou du réseau d'institutions financières de la planète, nous avons tendance à le rendre plus complexe. De nombreux systèmes naturels essentiels à notre bien-être, comme le climat mondial et les océans, sont déjà extraordinairement complexes. Souvent, nous ne pouvons pas prédire ou gérer le comportement des systèmes complexes avec beaucoup de précision, car ils sont souvent très sensibles aux moindres changements et perturbations, et leur comportement peut basculer d'un mode à l'autre de manière soudaine et spectaculaire. D'une manière générale, à mesure que les systèmes naturels et artificiels dont nous dépendons deviennent plus complexes et que nos exigences à leur égard augmentent, les institutions et les technologies que nous utilisons pour les gérer doivent elles aussi devenir plus complexes, ce qui accroît encore notre besoin d'ingéniosité.
La bonne nouvelle, cependant, c'est que les changements stupéfiants survenus au cours du siècle dernier dans nos sociétés et nos technologies n'ont pas seulement accru notre besoin d'ingéniosité ; ils ont également entraîné une augmentation considérable de son offre. La croissance et l'urbanisation des populations humaines, combinées à de nouvelles technologies de communication et de transport étonnantes, ont permis d'accroître les interactions entre les personnes et de créer des marchés plus vastes, plus intégrés et plus efficaces. Ces changements ont, à leur tour, considérablement accéléré la production et la diffusion d'idées utiles.
"But—and this is the critical “but”—we should not jump to the conclusion that the supply of ingenuity always increases in lockstep with our ingenuity requirement: while it’s true that necessity is often the mother of invention, we can’t always rely on the right kind of ingenuity appearing when and where we need it. In many cases, the complexity and speed of operation of today’s vital economic, social, and ecological systems exceed the human brain’s grasp. Very few of us have more than a rudimentary understanding of how these systems work. They remain fraught with countless “unknown unknowns,” which makes it hard to supply the ingenuity we need to solve problems associated with these systems.
« Il est vrai que la nécessité est souvent la mère de l'invention, mais nous ne pouvons pas toujours compter sur le bon type d'ingéniosité au moment et à l'endroit où nous en avons besoin. Dans de nombreux cas, la complexité et la rapidité de fonctionnement des systèmes économiques, sociaux et écologiques vitaux d'aujourd'hui dépassent les capacités du cerveau humain. Très peu d'entre nous ont une compréhension plus que rudimentaire du fonctionnement de ces systèmes. Ceux-ci sont entachés d'innombrables « inconnues », ce qui rend difficile l'apport de l'ingéniosité dont nous avons besoin pour résoudre les problèmes liés à ces systèmes.
"In this book, I explore a wide range of other factors that will limit our ability to supply the ingenuity required in the coming century. For example, many people believe that new communication technologies strengthen democracy and will make it easier to find solutions to our societies’ collective problems, but the story is less clear than it seems. The crush of information in our everyday lives is shortening our attention span, limiting the time we have to reflect on critical matters of public policy, and making policy arguments more superficial. New communication technologies are also shifting power away from governments, which boosts the ability of subgroups and individuals to block useful institutional reform. In many poor countries, the spread of lighter and more lethal weapons has contributed to a similar shift of power away from governments towards violent insurgents and secessionists. As it becomes easier for small numbers of people to inflict massive trauma - often in the form of massacres of civilians and terrorist bombings - more poor societies are likely to become locked in downward spirals of violence that make democratic reform virtually impossible.
« Dans ce livre, j'explore un large éventail d'autres facteurs qui limiteront notre capacité à produire l'ingéniosité requise au cours du siècle à venir. Par exemple, nombreux sont ceux qui pensent que les nouvelles technologies de la communication renforcent la démocratie et faciliteront la recherche de solutions aux problèmes collectifs de nos sociétés, mais les choses sont moins claires qu'il n'y paraît. L'afflux d'informations dans notre vie quotidienne réduit notre capacité d'attention, limite le temps dont nous disposons pour réfléchir aux questions essentielles de politique publique et rend les arguments politiques plus superficiels. Les nouvelles technologies de communication éloignent également le pouvoir des gouvernements, ce qui renforce la capacité des sous-groupes et des individus à bloquer les réformes institutionnelles utiles. Dans de nombreux pays pauvres, la diffusion d'armes plus légères et plus meurtrières a contribué à un déplacement similaire du pouvoir des gouvernements vers les insurgés violents et les sécessionnistes. Comme il devient plus facile pour un petit nombre de personnes d'infliger des traumatismes massifs - souvent sous la forme de massacres de civils et d'attentats terroristes à la bombe - davantage de sociétés pauvres risquent de s'enfermer dans des spirales de violence qui rendent les réformes démocratiques virtuellement impossibles.
"Modern markets and science are an important part of the story of how we supply ingenuity. Markets are critically important, because they give entrepreneurs an incentive to produce knowledge. But this incentive is often skewed or too weak—our energy prices, for instance, don’t begin to reflect the potential cost of climate change to future generations—which means we often get the wrong kind of solutions to our problems. As for science, although it seems to face no theoretical limits, at least in the foreseeable future, practical constraints often slow its progress. The cost of scientific research tends to increase as it delves deeper into nature. And science’s rate of advance depends on the characteristics of the natural phenomena it investigates, simply because some phenomena are intrinsically harder to understand than others, so the production of useful new knowledge in these areas can be very slow. Consequently, there is often a critical time lag between the recognition of a problem and the delivery of sufficient ingenuity, in the form of technologies, to solve that problem. Progress in the social sciences is especially slow, for reasons we don’t yet fully understand; but we desperately need better social scientific knowledge to build the sophisticated institutions today’s world demands.
« Les marchés modernes et la science constituent une partie importante de l'histoire de notre "approvisionnement en ingéniosité". Les marchés sont d'une importance capitale, car ils incitent les entrepreneurs à produire des connaissances. Mais cette incitation est souvent faussée ou trop faible - nos prix de l'énergie, par exemple, ne reflètent pas le coût potentiel du changement climatique pour les générations futures - ce qui signifie que nous obtenons souvent le mauvais type de solutions à nos problèmes. Quant à la science, bien qu'elle semble ne pas connaître de limites théoriques, du moins dans un avenir prévisible, des contraintes pratiques ralentissent souvent ses progrès. Le coût de la recherche scientifique tend à augmenter au fur et à mesure que nous pénétrons les arcanes de la vaste Mère Nature. En outre, le rythme de progression de la science dépend des caractéristiques des phénomènes naturels qu'elle étudie, tout simplement parce que certains phénomènes sont intrinsèquement plus difficiles à comprendre que d'autres, de sorte que la production de nouvelles connaissances utiles dans ces domaines peut être très lente. Par conséquent, il existe souvent un délai critique entre la reconnaissance d'un problème et la mise en œuvre d'une ingéniosité suffisante, sous la forme de technologies, pour résoudre ce problème. Les progrès en sciences sociales sont particulièrement lents, pour des raisons que nous ne comprenons pas encore tout à fait, mais nous avons désespérément besoin de meilleures connaissances en sciences sociales pour construire les institutions sophistiquées que le monde d'aujourd'hui exige.
"Our species’ scientific and technological prowess is nevertheless extraordinary. We create miracles from raw nature, and we have revolutionized our existence in a few lifetimes. These accomplishments are to be celebrated. Unfortunately, they have also made us overconfident of our ability to solve the problems we face.
Today, a disturbingly large proportion of people in rich countries seem to believe that our ingenuity is practically boundless and that our technical experts have all the authority and knowledge they need to deftly manage our ever more complex world. These beliefs and the complacency they produce are often completely unwarranted: in fact, we often have only superficial control over the complex systems we’ve made and critically depend upon.
This delusion of control arises from overconfidence, but it has other sources too. We have subordinated a large portion of the planet’s resources and ecology to our interests, we live increasingly in cities, and our modern economic system compresses our perceptions of time and space. These changes attenuate and distort the signals we receive from our surrounding environment. As a result, we often misunderstand the character of the problems we face; sometimes we don’t see them as problems at all. In turn, we make mistakes about the kinds of ingenuity we need, mistakes that restrict and distort the amount of ingenuity we supply.
« Les prouesses scientifiques et technologiques de notre espèce sont pourtant extraordinaires. Nous créons des miracles à partir de la nature brute et nous avons révolutionné notre existence en quelques vies. Ces réalisations méritent d'être célébrées. Malheureusement, elles nous ont aussi rendus trop confiants dans notre capacité à résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Aujourd'hui, une proportion inquiétante des habitants des pays riches semble croire que notre ingéniosité est pratiquement illimitée et que nos experts techniques ont toute l'autorité et les connaissances nécessaires pour gérer habilement notre monde de plus en plus complexe. Ces croyances et l'autosatisfaction qu'elles engendrent sont souvent totalement injustifiées : en fait, nous n'avons souvent qu'un contrôle superficiel sur les systèmes complexes que nous avons créés et dont nous dépendons de manière critique.
Cette illusion de contrôle découle d'un excès de confiance, mais elle a aussi d'autres sources. Nous avons subordonné une grande partie des ressources et de l'écologie de la planète à nos intérêts, nous vivons de plus en plus dans des villes et notre système économique moderne comprime nos perceptions du temps et de l'espace. Ces changements atténuent et déforment les signaux que nous recevons de notre environnement. En conséquence, nous nous méprenons souvent sur la nature des problèmes auxquels nous sommes confrontés ; parfois, nous ne les percevons pas du tout comme des problèmes. En retour, nous nous trompons sur le type d'ingéniosité dont nous avons besoin, erreurs qui limitent et déforment la quantité d'ingéniosité que nous fournissons.
"In rich countries, modern capitalism has created an astonishingly variegated mosaic of overlapping and fragmented realities. These realities have one thing in common: they’re all extensions of our egos; in other words, nearly everything we do and create through capitalism is made to the measure of our human needs and aspirations. The apex of this achievement is the postmodern capitalist city. We design our cities to block out the intrusions and fluctuations of the natural world so that they will work as smoothly and efficiently and with as little discomfort to their residents as possible. We like to be comfortable, after all. But the disturbing result is that many urban residents no longer care about, understand, or recognize the importance of this natural world. Our modern cities are vital engines of ingenuity supply, producing much of what is best and most beautiful, but they also produce selfabsorption, introversion, and hubris.
« Dans les pays riches, le capitalisme moderne a créé une mosaïque étonnamment variée de réalités qui se chevauchent et se fragmentent. Ces réalités ont une chose en commun : elles sont toutes des extensions de notre ego ; en d'autres termes, presque tout ce que nous faisons et créons par le biais du capitalisme est fait à la mesure de nos besoins et de nos aspirations humaines. L'apogée de cette réussite est la ville capitaliste postmoderne. Nous concevons nos villes de manière à bloquer les intrusions et les fluctuations du monde naturel, afin qu'elles fonctionnent le plus harmonieusement et le plus efficacement possible, avec le moins d'inconfort possible pour leurs habitants. Après tout, nous aimons être à l'aise. Mais le résultat inquiétant est que de nombreux citadins ne se soucient plus de ce monde naturel, ne le comprennent plus et n'en reconnaissent plus l'importance. Nos villes modernes sont des moteurs vitaux de l'offre d'ingéniosité, produisant une grande partie de ce qu'il y a de mieux et de plus beau, mais elles produisent aussi de l'auto-absorption, de l'introversion et de l'orgueil démesuré.
"This tendency is exacerbated by another feature of modern capitalism: the rising economic importance of people with certain cognitive skills has combined with the greater integration of the world’s economies to create a planetary “super elite.” This group is increasingly homogeneous in its values and aspirations, and it controls an ever-growing fraction of the world’s wealth. Most opinion leaders in rich countries are drawn from this elite, and their exposure to the difficulties confronting the majority of the world’s population, which lives in poorer societies, is limited and extremely selective. So, not surprisingly, they often underestimate these societies’ requirements for ingenuity, misjudge the kind of ingenuity they need, and overestimate their ability to supply it. The super elite is also a largely self-enclosed and self-referential group—making it vulnerable to internally generated intellectual fads, which it then disseminates to the rest of the world’s population.
These are some of the ideas I’ll discuss in this book, with each chapter focusing on one or a few of my key arguments. These pages also tell the story of a journey of discovery—a quest—that took me around the world and to the farthest reaches of our knowledge ...."
« Cette tendance est exacerbée par une autre caractéristique du capitalisme moderne : l’importance économique croissante des personnes ayant certaines compétences cognitives s’est combinée à la plus grande intégration des économies mondiales pour créer une « super-élite » planétaire. Ce groupe est de plus en plus homogène dans ses valeurs et ses aspirations, et il contrôle une fraction toujours croissante de la richesse mondiale. La plupart des leaders d’opinion dans les pays riches sont issus de cette élite, et leur exposition aux difficultés auxquelles est confrontée la majorité de la population mondiale, qui vit dans des sociétés plus pauvres, est limitée et extrêmement sélective. Il n’est donc pas surprenant qu’ils sous-estiment souvent les besoins de ces sociétés en matière d’ingéniosité, qu’ils jugent à tort le type d’ingéniosité dont elles ont besoin et surestiment leur capacité à fournir cette ingéniosité. La super-élite est aussi un groupe largement "autoclos" et autoréférentiel, ce qui la rend vulnérable aux modes intellectuels internes qu’elle diffuse ensuite au reste de la population mondiale. Voici quelques-unes des idées que je vais aborder dans ce livre, chaque chapitre se concentrant sur un ou plusieurs de mes arguments clés. Ces pages racontent aussi l’histoire d’un voyage de découverte - une quête - qui m’a fait faire le tour du monde et des confins les plus lointains de notre connaissance..." (Préface)
Pour se résumer ...
- Notre "monde", Complexité Croissante et Pressions Globales (Rising Complexity and Global Pressures) - Homer-Dixon soutient que la complexité des sociétés modernes, combinée à des pressions globales telles que la dégradation de l'environnement, les inégalités économiques, et les crises politiques, augmente considérablement le besoin d’ingéniosité. Mais ces systèmes complexes sont vulnérables aux effondrements car leur interconnexion rend les crises locales susceptibles de se propager à une échelle mondiale. L'exemple souvent cité, - la crise financière de 2008 - est celui des réseaux financiers mondiaux qui sont tant intégrés que des problèmes localisés ont pu provoquer une série de crises économiques à l’échelle mondiale.
- Les Limites de l’Ingéniosité? (Limits to Ingenuity) - Selon Homer-Dixon, l’ingéniosité est une ressource rare et limitée par plusieurs facteurs, notamment les limites cognitives humaines, les institutions inadaptées, et le manque d’accès aux ressources financières et éducatives. Certaines sociétés sont certes mieux équipées que d'autres pour développer de l'ingéniosité, mais même dans les sociétés les plus avancées, le rythme des innovations ne suit pas nécessairement celui de l’accumulation des problèmes.
- Rôle des Institutions et de la Gouvernance ? (Role of Institutions and Governance) - Les institutions jouent un rôle crucial dans la production et la distribution de l’ingéniosité, mais elles sont souvent rigides et lentes à s’adapter. Les bureaucraties, la corruption, et les résistances au changement, l'incompétence ou le manque de vision sont des facteurs qui freinent l’innovation institutionnelle. Des institutions qui, parfois, souvent, au lieu de soutenir l'ingéniosité, deviennent des obstacles implicites à l'émergence de solutions. La question persistante du rôle et de la justification de la "super-élite planétaire" ou auto-proclamée comme telle reste, quant à elle, à traiter ...
- La Technologie, toujours une "solution" ou parfois un "piège" (Technology: Solution or Trap)? - Bien que la technologie soit souvent considérée comme la réponse aux défis modernes, Homer-Dixon nous alerte, il n'est pas le seul, mais son propos est parfaitement clair. La technologie seule ne peut pas combler le fossé (gap) d’ingéniosité. Et les technologies avancées peuvent parfois aggraver les problèmes en introduisant de nouvelles complexités et en augmentant la dépendance des systèmes. Un exemple souvent évoqué, celui de l’agriculture intensive et de la monoculture qui, bien que technologiquement avancées, ont conduit à des dégradations environnementales, à la perte de biodiversité et à la dépendance vis-à-vis de produits chimiques et d'engrais, générant de nouveaux problèmes pour l'avenir....
"Environment, Scarcity, and Violence" (Thomas F. Homer-Dixon, 1999)
Une synthèse réussie sur la relation complexe, tant de fois évoquées en ce début du XXIe siècle, entre les pénuries environnementales et la violence humaine, en particulier dans des contextes où les institutions sont faibles ou les inégalités fortes. L’ouvrage met en évidence comment la pauvreté joue un rôle central dans les conflits liés aux ressources naturelles. Des populations pauvres, qui dépendent fortement des ressources locales, et sont plus affectées par leur raréfaction. Cela crée un cercle vicieux où l’appauvrissement des ressources entraîne des conflits, qui eux-mêmes nuisent aux moyens de subsistance et plongent les communautés dans une plus grande pauvreté ...
La population humaine de la Terre devrait dépasser les huit milliards d’ici à 2025, tandis que la croissance rapide de l’économie mondiale stimulera une demande toujours plus importante en ressources naturelles. Le monde sera par conséquent confronté à des pénuries croissantes de ressources renouvelables vitales telles que les terres agricoles, l’eau douce et les forêts. Thomas Homer-Dixon affirme ici que ces pénuries environnementales auront de profondes conséquences sociales – contribuant à des insurrections, des affrontements ethniques, des troubles urbains et d’autres formes de violence civile, en particulier dans le monde en développement.
Pour illustrer son propos, Homer-DixonDixon synthétise les travaux d’un large éventail de projets de recherche internationaux afin de développer un modèle détaillé des sources de rareté environnementale. Il fait référence aux pénuries d’eau en Chine, à la croissance démographique en Afrique subsaharienne et à la répartition des terres au Mexique, par exemple, pour montrer que les pénuries sont le résultat de la dégradation et de l’épuisement des ressources renouvelables, de la demande accrue de ces ressources, ou leur répartition inégale. Il montre que ces pénuries peuvent entraîner une pauvreté plus profonde, des migrations à grande échelle, des clivages sociaux aiguisés et des institutions affaiblies. Il décrit les types de violence qui peuvent résulter de ces effets sociaux, en arguant que les conflits au Chiapas, au Mexique et les troubles actuels dans de nombreux pays africains et asiatiques, par exemple, sont déjà partiellement une conséquence de la rareté.Homer-Dixon fait remarquer que les effets de la rareté environnementale sont indirects et agissent en combinaison avec d’autres tensions sociales, politiques et économiques. Il reconnaît également que l’ingéniosité humaine peut réduire la probabilité de conflit, en particulier dans les pays dotés de marchés efficaces, d’États capables et d’une population peu éduquée.
Mais il affirme que les conséquences violentes de la rareté ne doivent pas être sous-estimées, surtout quand environ la moitié de la population mondiale dépend directement des énergies renouvelables locales pour son bien-être quotidien. Dans les prochaines décennies, écrit-il, des pénuries croissantes affecteront des milliards de personnes avec une gravité sans précédent et à une échelle et un rythme inégalés.
Thomas Homer-Dixon, "The Upside of Down: Catastrophe, Creativity, and the Renewal of Civilization" (2006)
Thomas Homer-Dixon développe dans ce livre un certain nombre de thèses déjà évoquées par ailleurs dans des ouvrages précédents. Dans sa Théorie de la Fracture (The Theory of "Synchronous Failure"), Homer-Dixon soutient, par exemple, que les sociétés modernes, en raison de leur complexité croissante et de leur interconnectivité, sont plus vulnérables à des effondrements synchronisés. Contrairement aux sociétés moins interconnectées, les structures actuelles amplifient les effets des crises locales et peuvent rapidement entraîner des défaillances en cascade dans des domaines tels que l’économie, l’énergie, l’environnement, et la politique. La crise financière de 2008 illustre sa thèse.
Homer-Dixon insiste de même sur le rôle de l’énergie et des ressources naturelles comme bases de la prospérité des sociétés modernes. Lorsque les ressources essentielles, telles que l’énergie fossile, atteignent leurs limites (un concept proche du "pic pétrolier"), les sociétés risquent d’entrer dans des crises d’approvisionnement énergétique qui affectent tous les aspects de la vie moderne. Il réitère que la dépendance aux ressources non renouvelables rend les sociétés modernes vulnérables aux chocs d’approvisionnement, et les limites écologiques, comme le changement climatique et la raréfaction de l’énergie, constituent désormais des facteurs qui augmentent le risque d’effondrement.
Poursuivant son approche bien connue selon laquelle l’augmentation de la complexité des systèmes économiques, sociaux et politiques fragilise les sociétés, et qu'à mesure que les structures s’enchevêtrent, les réponses aux crises deviennent plus lentes et inefficaces (chaque composante du système dépendant des autres pour fonctionner correctement, le réseau électrique américain en est un exemple bien connu), l'auteur en vient à soutenir une thèse originale : il nous explique en effet que les crises peuvent également être de grandes moments d’opportunité ...
Les effondrements partiels ou les chocs de grande ampleur peuvent être des catalyseurs pour des transformations sociales profondes, favorisant la créativité et l’adaptation à long terme....
- Inspiré par le concept de "destruction créatrice" de Joseph Schumpeter, Homer-Dixon soutient que les sociétés traversent des cycles où des crises provoquent une destruction des structures existantes, ce qui libère de l’espace pour la création de nouveaux systèmes. Selon lui, ces cycles sont inévitables et même bénéfiques, car ils permettent aux sociétés de se réinventer face aux nouvelles réalités (Le développement de nouvelles technologies en matière d’énergie renouvelable, de stockage d’énergie, et de réduction des émissions de carbone, n'est-il pas un exemple de réponse innovante aux crises énergétiques et climatiques?).
- Homer-Dixon développe l’idée que la résilience, soit la capacité de s’adapter et de se transformer face aux crises, est un facteur clé de la survie et de la prospérité des sociétés humaines. La résilience repose sur des systèmes flexibles et diversifiés, capables d’absorber les chocs et de se reconfigurer face aux changements. Ainsi, pour qu'une société survive aux crises et prospère dans leur sillage, elle doit développer une résilience systémique et éviter la rigidité excessive.
- Enfin, Homer-Dixon met l’accent sur la créativité humaine comme moteur de survie dans un monde de plus en plus imprévisible. Selon lui, les crises stimulent la créativité en incitant les individus et les sociétés à trouver des solutions nouvelles et à envisager des alternatives. Les innovations technologiques, sociales et politiques sont souvent catalysées par les périodes de crise.
Plusieurs auteurs ont exploré des thématiques similaires à celles de Thomas Homer-Dixon dans "The Ingenuity Gap", partageant avec lui une analyse critique des limites humaines face à la complexité croissante et aux crises potentielles que l'avenir semble inéluctablement nous réserver. Ils soulignent tous l'importance de l'ingéniosité, de l'adaptation, et de la résilience pour éviter ou gérer les effondrements sociétaux et écologiques. Autant d'ouvrages constituant un corpus qui alerte sur les dangers de l’évolution de nos systèmes tout en cherchant des solutions pour renforcer notre capacité collective à y faire face, des solutions qui sont encore à déterminer : la question de l'ingenuity gap est encore loin d'être tranchée ...
Nassim Nicholas Taleb, 'The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable" (2007)
Un "cygne noir" est un événement hautement improbable avec trois caractéristiques principales : il est imprévisible, il a un impact massif et, après coup, nous inventons une explication qui le rend moins aléatoire et plus prévisible qu’il ne l’était (A "black swan" is a highly improbable event with three principal characteristics: It is unpredictable; it carries a massive impact; and, after the fact, we concoct an explanation that makes it appear less random, and more predictable, than it was.). Les "cygnes noirs" sous-tendent presque tout ce qui concerne notre monde, de la montée des religions aux événements dans nos propres vies personnelles. Pourquoi ne pas reconnaître le phénomène des cygnes noirs après qu’ils se soient produits? Une partie de la réponse est que nous nous concentrons sur des choses que nous savons déjà, et nous ne savons pas prendre en considération ce que nous ignorons, nous ne ne savons pas imaginer l’« impossible »...
L’idée des "unknown unknowns" de Homer-Dixon rejoint la théorie des "cygnes noirs" de Taleb des événements improbables et inattendus, des événements rares, imprévisibles, et d'une ampleur considérable qui transforment les sociétés et les systèmes. Sa thèse principale est que ces événements, bien qu'improbables, ont des effets profonds sur notre monde et sont souvent rationalisés a posteriori, donnant l'illusion qu'ils étaient prévisibles. Taleb critique notre tendance à ignorer l'incertitude et les extrêmes, notamment dans les sciences, les marchés financiers et la prise de décision, et appelle à une approche plus humble et plus résiliente face à l'imprévisible.
On dit Nassim Nicholas Taleb (1960) un penseur iconoclaste, essayiste, mathématicien et ancien trader libano-américain, mais reconnu pour ses travaux sur l'incertitude, le risque et la probabilité. Né au Liban, il a connu la guerre civile libanaise, une expérience marquante qui a influencé sa réflexion sur l'incertitude et l’imprévisibilité. Taleb a poursuivi des études en finance et en mathématiques, obtenant notamment un MBA à Wharton (Université de Pennsylvanie) et un doctorat en gestion des sciences de l’Université Paris-Dauphine.
Parmi ses idées essentielles retenons les suivantes :
- Les "cygnes noirs" (Black Swan ) définissent notre histoire : Les événements improbables - comme les révolutions technologiques, les krachs financiers ou les crises sanitaires — influencent beaucoup plus l’histoire que les phénomènes prévisibles et réguliers.
- L'illusion de la prévisibilité : Taleb dénonce l'arrogance des experts et de la pensée conventionnelle, qui prétendent pouvoir anticiper l'avenir, alors qu'ils échouent régulièrement à prédire les cygnes noirs.
- L’erreur de la "courbe normale" : Il critique l'usage excessif des modèles probabilistes standards (comme la courbe de Gauss) qui sous-estiment les événements extrêmes et qui peuvent fausser notre compréhension de la réalité.
- Les biais cognitifs : Taleb explore des biais comme la "rétrospection" (tendance à voir les événements passés comme plus prévisibles qu’ils ne l'étaient) et le "biais de confirmation" (recherche d’informations qui confirment nos croyances), qui nous empêchent de voir les cygnes noirs.
- Stratégies d'antifragilité : Plutôt que de chercher à prévoir ces événements, Taleb recommande de construire des systèmes robustes et "antifragiles" qui tirent parti de l'incertitude et des chocs.
"Antifragile is a blueprint for living in a Black Swan world" - Dans "Le Cygne noir", Taleb nous a montré que des événements hautement improbables et imprévisibles sous-tendent presque tout ce qui touche notre monde. Dans "Antifragile: Things That Gain from Disorder" (2012), Taleb rendra cette incertitude tant souhaitable que nécessaire; ce qu’il appelle « antifragile » est cette catégorie de choses qui non seulement tirent profit du chaos, mais en ont besoin pour survivre et s’épanouir ; l’antifragile est au-delà de la résilience ou de la robustesse : la résilience résiste aux chocs mais rien n'évolue véritablement, et nous restons nous-même; l’antifragile se nourrit de l'expérience acquise, se révèle immunisé contre les erreurs de prédiction et protégé contre les événements indésirables. La notion d'antifragilité, appliquée aux individus, aux entreprises ou aux sociétés, est au cœur de sa philosophie de vie et de la vision de l'auteur des systèmes résilients.
Mais Taleb est aussi notoirement grandement critique envers les élites académiques, les économistes, et les experts, qu'il accuse d'arrogance et de méconnaissance des limites de leur savoir. Il souligne les dangers des prévisions et des modèles qui donnent une illusion de certitude, tout en ignorant l’imprévisibilité fondamentale de la réalité. Pourquoi les réponses gouvernementales et les politiques sociales protègent-elles les forts et nuisent-elles aux faibles?
"I do not have a political affiliation or allegiance to a specific party; rather, I am introducing the idea of harm and fragility into the vocabulary so we can formulate appropriate policies to ensure we don’t end up blowing up the planet and ourselves..."
Taleb dénonce l'effet pervers des "interventions naïves" : en cherchant à gérer ou atténuer les risques, les gouvernements empêchent souvent les systèmes de s'adapter naturellement. Il affirme que cela crée une société de plus en plus dépendante de mesures artificielles qui, au lieu de réduire la fragilité, l’augmentent en protégeant les grandes structures et en affaiblissant la résilience naturelle des autres acteurs.
Dans le Chapitre 7 - "Naive Intervention", Taleb critiquera les interventions excessives ou mal conçues des gouvernements et des autorités. Il suggère que ces interventions créent souvent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Taleb explique comment les gouvernements, en tentant de stabiliser ou de "protéger" certains secteurs, finissent par favoriser les acteurs puissants et bien connectés (comme les grandes entreprises) au détriment des plus vulnérables, qui dépendent davantage de la flexibilité et de la résilience organiques.
L'auteur approfondira par ls suite sa critique des politiques publiques en soulignant comment les décisions des élites gouvernantes, souvent éloignées des réalités du terrain, favorisent des structures déjà puissantes. Il argumente que ces politiques, bien qu'elles semblent conçues pour "aider", fragilisent en réalité les petites entreprises, les citoyens ordinaires et les individus vulnérables, tout en renforçant les "forts" qui peuvent absorber les subventions et les protections.
Dans "Book VI, Via Negativa", Taleb associera la Via Negativa au concept central d’antifragilité développant une approche philosophique et pratique qui consiste à améliorer les systèmes, les choix et les vies, en éliminant ce qui est nuisible ou superflu, plutôt qu’en ajoutant ou en compliquant. Il reprend une idée ancienne issue des traditions philosophiques et religieuses, notamment le stoïcisme et la théologie apophatique, où la sagesse et la connaissance sont atteintes en retirant plutôt qu’en ajoutant....
"Skin in the Game: The Hidden Asymmetries in Daily Life" (2018), Nassim Nicholas Taleb
Suite logique de ses deux précédents livres, "Skin in the Game" vient contester avec virulence et talent nos si longues et vivaces façons d'appréhender les "grands hommes" de notre temps, qu'ils mènent des interventions militaires, fassent des investissements financiers, propagent les croyances religieuses ou se retrouvent à la tête d'un Etat, sans la moindre compétence politique ou tout simplement humaine. Taleb critique les structures de pouvoir où les décideurs sont protégés des conséquences de leurs décisions, parce que tout simplement personne n'ose se dresser contre l'icône, par infini respect ou par indifférence. L'auteur prône l'implication personnelle dans les risques et plaide pour des modèles de gouvernance et de prise de décision où chacun est exposé aux mêmes risques et aux mêmes conséquences. Les individus qui prennent des décisions doivent en subir les conséquences - autrement dit, ils doivent avoir "skin in the game", c’est-à-dire avoir "quelque chose à perdre" ou être personnellement impliqués dans les risques qu’ils font peser sur les autres. Taleb critique les systèmes où les élites, experts et décideurs sont protégés des risques qu’ils imposent aux autres, créant des asymétries nuisibles pour la société....
"This book, while standalone, is a continuation of the Incerto collection, which is a combination of a) practical discussions, b) philosophical tales, and c) scientific and analytical commentary on the problems of randomness, and how to live, eat, sleep, argue, fight, befriend, work, have fun, and make decisions under uncertainty. While accessible to a broad group of readers, don’t be fooled: the Incerto is an essay, not a popularization of works done elsewhere in boring form (leaving aside the Incerto’s technical companion). "Skin in the Game" is about four topics in one: a) uncertainty and the reliability of knowledge (both practical and scientific, assuming there is a difference), or in less polite words bull***t detection, b) symmetry in human affairs, that is, fairness, justice, responsibility, and reciprocity, c) information sharing in transactions, and d) rationality in complex systems and in the real world. That these four cannot be disentangled is something that is obvious when one has…skin in the game.*
It is not just that skin in the game is necessary for fairness, commercial efficiency, and risk management: skin in the game is necessary to understand the world..."
Pour reprendre les principaux axes de la thèse de "Skin in the Game" ....
- La nécessité de l’exposition aux risques personnels (The Necessity of Personal Risk Exposure) - Taleb affirme que pour garantir une prise de décision éthique et responsable, les décideurs doivent subir les conséquences de leurs actions. Il critique les bureaucrates, les politiciens, et les experts financiers qui prennent des décisions à risque mais ne subissent aucune répercussion personnelle en cas d’échec, laissant souvent les citoyens ordinaires payer le prix de leurs erreurs.
- Les asymétries de risque comme sources de fragilité (Risk Asymmetries as Sources of Fragility) - Lorsque les décideurs et les experts n’ont pas de "skin in the game", cela crée une asymétrie de risque où ils bénéficient des gains potentiels mais échappent aux pertes. Selon Taleb, ces asymétries rendent les systèmes plus fragiles et plus vulnérables aux crises, car ceux qui prennent les décisions n’ont aucune incitation à être prudents.
- Le principe du sacrifice personnel et de l'honneur (The Principle of Personal Sacrifice and Honor) - Taleb met en avant l’idée ancienne d’honneur et de responsabilité personnelle : historiquement, les chefs devaient être en première ligne et prenaient les mêmes risques que ceux qu’ils dirigeaient. Ce modèle, soutient Taleb, doit être réintroduit pour encourager des décisions plus justes et plus responsables.
- L’antifragilité des systèmes locaux et décentralisés (he Antifragility of Local and Decentralized Systems) - Taleb défend une organisation plus décentralisée et locale des systèmes sociaux, politiques et économiques, car les gens sont naturellement plus impliqués et exposés aux conséquences de leurs décisions. Il soutient que les petites unités avec des décideurs appliquant the "skin in the game" sont plus robustes et antifragiles.
- Critique des "experts sans conséquences" (Critique of "Experts Without Consequences") - Taleb critique les économistes, les consultants, et les théoriciens qui conseillent les gouvernements ou les grandes entreprises sans jamais être responsables en cas de défaillances. Il insiste sur le fait qu’il est dangereux de faire confiance à des experts qui ne sont pas personnellement exposés aux risques de leurs propres conseils.
- Application à la justice et à l’équité (Application to Justice and Fairness) - Taleb relie '"skin in the game" aux questions d’équité fondamentales. Un système juste repose sur la réciprocité, où chacun accepte les risques qu’il impose aux autres. En ce sens, "skin in the game" est bien une condition éthique pour éviter l’exploitation des faibles par les puissants....
"The Watchman’s Rattle: A New Way to Understand Complexity, Collapse, and Correction", (Rebecca D. Costa, 2009)
Pourquoi ne pouvons-nous plus résoudre nos problèmes? Pourquoi des menaces telles que le déversement de pétrole dans le golfe du Mexique, la récession mondiale, le terrorisme et le réchauffement climatique semblent-elles soudainement inarrêtables? Y a-t-il des limites aux types de problèmes que les humains peuvent résoudre? Rebecca Dazai Costa (1955), sociobiologiste et futuriste américaine, qualifiée d'experte dans le domaine de l’adaptation rapide, est connue pour son livre controversé, "The Watchman’s Rattle", dans lequel elle examine les raisons pour lesquelles les civilisations et les sociétés sont confrontées à l’effondrement et présente un nouveau cadre pour comprendre la fameuse notion qui génère tant de littérature, la complexité. Elle soutient que lorsque les êtres humains sont confrontés à des défis de plus en plus complexes qui dépassent leurs limites cognitives, ils ont tendance à remplacer les solutions raisonnées par la pensée idéologique. Et sa thèse, en réaction, est que la reconnaissance et l’adaptation de ce changement sont essentielles pour prévenir les débâcles sociétaux. Costa rejoint dnc Homer-Dixon dans l'idée que la complexité dépasse nos compétences actuelles et que celle-ci nécessite, pour tenter de la maîtriser, une ingénierie cognitive et sociale. Tous deux soutiennent que le développement de nouvelles compétences et une approche résiliente sont essentiels pour faire face aux défis futurs.
Chapter 1: Why Civilizations Fail
Costa soutient que les civilisations historiques se sont effondrées non pas uniquement en raison de contraintes environnementales ou liées aux ressources, mais aussi en raison d’une incapacité à résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Elle suggère que la complexité elle-même devient une barrière, car les sociétés ne parviennent pas à adapter leur pensée et leurs systèmes aux nouveaux défis, ce qui conduit à l’impasse et à la décadence.
Chapter 2: The Complexity Threshold
Costa introduit le concept d’un « seuil de complexité », c’est-à-dire le point auquel les sociétés ne peuvent plus s’attaquer aux défis cumulatifs auxquels elles sont confrontées. Au fur et à mesure que la complexité augmente, nos mécanismes de réponse naturels s’effondrent et nous nous tournons vers des réponses simplifiées, souvent idéologiques, qui ne peuvent pas traiter la racine des problèmes.
Chapter 3: The Five Warning Signs
Costa identifie cinq signes avant-coureurs qui indiquent qu’une société peut être sur le point de s’effondrer :
- Gridlock : les systèmes politiques et sociaux sont paralysés.
- Changement des niveaux de référence (Shifting Baselines) : Les gens perdent de vue ce que sont les conditions « normales » ou « saines ».
- Hypothèse de permanence (Assumption of Permanency): Les sociétés supposent que leur mode de vie persistera indéfiniment.
- Déni (Denial) : Refus de reconnaître l’ampleur des problèmes complexes.
- La foi dans les solutions rapides ( Faith in Quick Fixes) : Les sociétés s’appuient de plus en plus sur des solutions simplistes qui ne traitent pas des problèmes systémiques.
Chapter 4: Supersaturation and Ideological Thinking
Costa introduit l’idée de la « sursaturation », étapes au cours de laquelle les sociétés rencontrent une telle complexité que la pensée rationnelle et scientifique cède la place à la pensée idéologique. Lorsque la complexité dépasse la capacité cognitive, les gens adoptent souvent des croyances ou des dogmes qui simplifient trop les problèmes plutôt que de les aborder de manière réaliste.
Chapter 5: The Decline of Reason and the Rise of Belief
Comment la pensée idéologique remplace les approches scientifiques et empiriques. Costa soutient que les sociétés s’appuient sur des systèmes de croyances comme mécanisme d’adaptation pour comprendre la complexité écrasante, ce qui affaiblit en fin de compte la capacité à résoudre les problèmes et l’adaptabilité.(to make sense of overwhelming complexity, which ultimately weakens problem-solving and adaptability).
Chapter 6: The Paradox of Knowledge and Ignorance
Costa évoque le paradoxe selon lequel, bien que la société ait accès à plus de connaissances et d’informations que jamais, les gens deviennent souvent plus ignorants quant aux solutions à des problèmes critiques. Le volume d’information peut mener à une « paralysie de l’information » (information paralysis), où les gens sont dépassés et incapables de discerner des idées précieuses du bruit.
"... Human beings are organisms that have always required both beliefs and knowledge. We drew mystical creatures on cave walls to help us capture large prey, made sacrifices to invisible forces to assure bountiful harvests, and carved idols to increase fertility. We engaged in rituals to make the rains return, gathered great armies in prayer, and practiced bloodletting for centuries to cure the ill. In fact we cannot find a single example of when humans did not embrace unproven beliefs. It doesn’t matter whether we examine human societies in the deepest jungles of South America, on the remote islands off Bali, or in the most industrialized nations in the world; beliefs are a part of everyday life. So it follows that, if we cannot find a single example of a belief-free society, we must necessarily conclude that beliefs, along with the pursuit of knowledge, are just as much a part of human biology as the requirement for water, oxygen, and sustenance. Beliefs aren’t nurture; they are nature. They are not optional; they are a basic human need. But it is also true that, throughout history, when knowledge can be attained, we substitute facts with beliefs.
"Les êtres humains sont des organismes qui ont toujours eu besoin de croyances et de connaissances. Nous avons dessiné des créatures mystiques sur les murs des grottes pour nous aider à capturer de grosses proies, nous avons fait des sacrifices à des forces invisibles pour assurer des récoltes abondantes et nous avons sculpté des idoles pour accroître la fertilité. Nous nous livrions à des rituels pour faire revenir les pluies, nous rassemblions de grandes armées pour prier et nous pratiquions la saignée depuis des siècles pour guérir les malades. En fait, il est impossible de trouver un seul exemple où l'homme n'a pas adopté des croyances non prouvées. Que nous examinions les sociétés humaines dans les jungles les plus profondes d'Amérique du Sud, sur les îles éloignées de Bali ou dans les nations les plus industrialisées du monde, les croyances font partie de la vie quotidienne. Il s'ensuit que, si nous ne pouvons pas trouver un seul exemple de société sans croyance, nous devons nécessairement conclure que les croyances, ainsi que la poursuite de la connaissance, font autant partie de la biologie humaine que le besoin d'eau, d'oxygène et de subsistance. Les croyances ne sont pas une question d'éducation, mais de nature. Elles ne sont pas facultatives ; elles sont un besoin humain fondamental. Mais il est également vrai que, tout au long de l'histoire, lorsque la connaissance peut être atteinte, nous remplaçons les faits par des croyances.
"What do I mean by beliefs? Beliefs are merely ideas that have not beenproven. According to Dr. James Watson, Nobel Laureate credited along with Francis Crick for the discovery of the structure of DNA, we need beliefs to function, even to cross the street: The light turns green and we need to believe drivers will obey the signal and stop for us. If we had no belief, we would be forced to wait until all the cars came to a complete stop before crossing the street. Without beliefs, we would have to question every assumption and action, and this would lead to enormous dysfunction. We wouldn’t turn the kitchen faucet on if we didn’t believe that water would come out; we wouldn’t schedule a dentist appointment if we didn’t believe we would be alive next week; and we wouldn’t deposit money in the bank if we didn’t believe it would be there when we needed it. In this way, human beliefs are not limited to religion. We possess a wide spectrum of beliefs that help us function every minute of every day. But we are also an organism that requires knowledge: proven data to make rational decisions and solve problems. There is no debate that knowledge is much harder to obtain than belief. The acquisition of knowledge requires complex cognitive processes such as abstraction, searching, learning, inference, analysis, synthesis, decision-making, and judgment. Knowledge also requires replication, application, interpretation, and scrutiny. Compared to adopting beliefs, the acquisition of facts is pricey. A society advances quickly when both human needs—belief and knowledge—are met. In other words, we thrive when facts and beliefs coexist side by side, and neither dominate our existence.
Qu'est-ce que j'entends par « croyances » ? Les croyances sont simplement des idées qui n'ont pas été prouvées. Selon le Dr James Watson, lauréat du prix Nobel à qui l'on doit, avec Francis Crick, la découverte de la structure de l'ADN, nous avons besoin de croyances pour fonctionner, même pour traverser la rue : Le feu passe au vert et nous devons croire que les conducteurs respecteront le signal et s'arrêteront pour nous. Si nous n'avions pas de croyances, nous serions obligés d'attendre l'arrêt complet de toutes les voitures avant de traverser la rue. Sans croyances, nous devrions remettre en question chaque hypothèse et chaque action, ce qui entraînerait d'énormes dysfonctionnements. Nous n'ouvririons pas le robinet de la cuisine si nous ne croyions pas que de l'eau en sortira ; nous ne prendrions pas rendez-vous chez le dentiste si nous ne croyions pas que nous serons encore en vie la semaine prochaine ; et nous ne déposerions pas d'argent à la banque si nous ne croyions pas qu'il sera là quand nous en aurons besoin. Ainsi, les croyances humaines ne se limitent pas à la religion. Nous possédons un large éventail de croyances qui nous aident à fonctionner à chaque minute de la journée. Mais nous sommes aussi un organisme qui a besoin de connaissances : des données prouvées pour prendre des décisions rationnelles et résoudre des problèmes. Il ne fait aucun doute que la connaissance est beaucoup plus difficile à obtenir que la croyance. L'acquisition de connaissances nécessite des processus cognitifs complexes tels que l'abstraction, la recherche, l'apprentissage, l'inférence, l'analyse, la synthèse, la prise de décision et le jugement. Les connaissances doivent également être reproduites, appliquées, interprétées et examinées. Comparée à l'adoption de croyances, l'acquisition de faits est coûteuse. Une société progresse rapidement lorsque les deux besoins humains - croyance et connaissance - sont satisfaits. En d'autres termes, nous prospérons lorsque les faits et les croyances coexistent et qu'aucun d'entre eux ne domine notre existence.
But as social processes, institutions, technologies, and discoveries mount in complexity, obtaining knowledge becomes more difficult. Suddenly, water we once fetched directly from our well comes from a faucet, and we no longer can discern where it originated, how it was processed, distributed, priced, or allocated. The same goes for our monetary system, laws, taxes, satellite television, and terrorism. Every aspect of life accelerates in complexity. Not only does the number of things we must comprehend grow, the intricacy of these things also exponentially increases. So, the amount of knowledge our brains must acquire to achieve real understanding quickly becomes overwhelming. When complexity makes knowledge impossible to obtain, we have no alternative but to defer to beliefs; we accept assumptions and unproven ideas about our existence, our world. This is the second symptom: the substitution of beliefs for fact and the gradual abandonment of empirical evidence. Once a society begins exhibiting the first two signs—gridlock and the substitution of beliefs for facts—the stage is set for collapse. Trapped by the forces of an undertow, every society eventually finds itself desperately railing against cognitive limitations in a battle to reach safety until, finally, like a swimmer insisting on a direct path toward the shore, we grow exhausted and succumb.
Mais à mesure que les processus sociaux, les institutions, les technologies et les découvertes gagnent en complexité, il devient de plus en plus difficile d'obtenir des connaissances. Soudain, l'eau que nous allions chercher directement dans notre puits sort d'un robinet, et nous ne pouvons plus discerner son origine, ni la manière dont elle a été traitée, distribuée, tarifée ou répartie. Il en va de même pour notre système monétaire, nos lois, nos impôts, la télévision par satellite et le terrorisme. Tous les aspects de la vie deviennent de plus en plus complexes. Non seulement le nombre de choses que nous devons comprendre augmente, mais la complexité de ces choses augmente également de manière exponentielle. Ainsi, la quantité de connaissances que notre cerveau doit acquérir pour parvenir à une véritable compréhension devient rapidement écrasante. Lorsque la complexité rend la connaissance impossible à obtenir, nous n'avons d'autre choix que de nous en remettre aux croyances ; nous acceptons des hypothèses et des idées non prouvées sur notre existence, notre monde. C'est le deuxième symptôme : la substitution des croyances aux faits et l'abandon progressif des preuves empiriques. Lorsqu'une société commence à présenter les deux premiers signes - le blocage et la substitution des croyances aux faits - elle est prête à s'effondrer. Piégée par les forces d'un ressac, toute société finit par se heurter désespérément à ses limites cognitives dans une lutte pour se mettre à l'abri, jusqu'à ce que, comme un nageur qui insiste sur un chemin direct vers le rivage, elle s'épuise et succombe.
"When a civilization encounters a cognitive threshold and begins substituting beliefs for knowledge, the specific calamity that triggers collapse isn’t far behind. Whether collapse arrives in the form of drought, a pandemic virus, or war, the real culprit is a cognitive threshold that prevents dangerous problems from being rationally understood and acted on. Facts and evidence are set aside in favor of unproven remedy, and this triggers a rapid spiral of catastrophic events. But here’s the reason the relationship between complexity and collapse is important for humankind to acknowledge at this time: The signs of a cognitive threshold begin appearing long before collapse, so there is ample time to act.
Looking back, scientists have uncovered a mountain of evidence that Mayan leaders were aware for many centuries of their tenuous dependence on rainfall. Water shortages were not only understood but also recorded and planned for. The Mayans enforced conservation during low rainfall years, tightly regulating the types of crops grown, the use of public water, and food rationing. During the first half of their three-thousand-year reign, the Mayans continued to build larger underground reservoirs and cisterns to store rainwater for drought months. As impressive as their ornate temples were, their hydraulic systems for collecting and warehousing water were masterpieces in design and engineering..."
« Lorsqu'une civilisation atteint un seuil cognitif et commence à substituer des croyances à la connaissance, la calamité spécifique qui déclenche l'effondrement n'est pas loin. Que l'effondrement prenne la forme d'une sécheresse, d'une pandémie virale ou d'une guerre, le véritable coupable est un seuil cognitif qui empêche de comprendre rationnellement les problèmes dangereux et d'agir en conséquence. Les faits et les preuves sont mis de côté au profit de remèdes non prouvés, ce qui déclenche une spirale rapide d'événements catastrophiques. Mais voici la raison pour laquelle il est important que l'humanité reconnaisse aujourd'hui la relation entre la complexité et l'effondrement : Les signes d'un seuil cognitif commencent à apparaître bien avant l'effondrement, ce qui laisse amplement le temps d'agir.
Avec le recul, les scientifiques ont découvert une montagne de preuves montrant que les dirigeants mayas étaient conscients, depuis de nombreux siècles, de leur étroite dépendance à l'égard des précipitations. Les pénuries d'eau étaient non seulement comprises, mais aussi enregistrées et planifiées. Les Mayas appliquaient des mesures de conservation pendant les années de faible pluviosité, en réglementant étroitement les types de cultures, l'utilisation de l'eau publique et le rationnement de la nourriture. Pendant la première moitié de leur règne de trois mille ans, les Mayas ont continué à construire des réservoirs souterrains et des citernes plus grands afin de stocker l'eau de pluie pour les mois de sécheresse. Aussi impressionnants que leurs temples ornés, leurs systèmes hydrauliques de collecte et de stockage de l'eau étaient des chefs-d'œuvre de conception et d'ingénierie...."
Chapter 7: Evolutionary Mismatch
Costa examine ici le concept de l’inadéquation évolutionnaire (evolutionary mismatch) - l’idée que les capacités cognitives et émotionnelles humaines ont évolué pour résoudre des problèmes plus simples du passé, et ces capacités sont insuffisantes pour les questions complexes d’aujourd’hui. Cette inadéquation entraîne des conséquences psychologiques et sociales, nous rendant mal équipés pour relever les défis modernes.
Chapter 8: Cognitive Thresholds and Biological Limitations
L'auteur explore les limites biologiques et cognitives, arguant que notre espèce n’a pas développé les outils mentaux nécessaires pour comprendre ou résoudre bon nombre des défis mondiaux complexes d’aujourd’hui. Elle suggère que cette lacune biologique est un obstacle majeur à la résolution efficace des problèmes et à la prise de décisions.
Chapter 9: The Neuroplasticity Solution
L'auteur soutient ici que la neuroplasticité (neuroplasticity) - la capacité du cerveau à changer et à s’adapter - est la clé pour surmonter les limites cognitives. Elle préconise de cultiver la « réflexion perspicace » (insightful thinking), un mode de pensée qui permet aux gens de sortir des schémas linéaires et limités et d’aborder les problèmes complexes plus efficacement.
Chapter 10: Developing Collective Insight
Dans ce chapitre, Costa discute du potentiel de la compréhension collective (for collective insight), notion à partir de laquelle les sociétés tirent parti de l’intelligence et de la sagesse partagées pour aborder des questions complexes. Elle préconise la promotion de la collaboration, de l’innovation et de la réflexion interdisciplinaire pour trouver de nouvelles solutions aux défis sociétaux.
Chapter 11: Correction and Prevention Strategies
Costa conclut en suggérant des stratégies pratiques pour aider les sociétés à éviter l’effondrement. Il s’agit notamment de promouvoir la flexibilité cognitive (cognitive flexibility), de donner la priorité à l’alphabétisation scientifique (scientific literacy) et d’encourager la pensée systémique (systems thinking) dans le domaine de l’éducation. Elle soutient que ce n’est qu’en s’attaquant directement à la complexité et aux limitations cognitives que les sociétés peuvent espérer éviter l’effondrement et favoriser une croissance durable (sustainable growth).