2000s

Media Power

Media Power1  - Ignacio Ramonet, "L'explosion du journalisme : Des médias de masse à la masse des médias" (2011), "Médias, propagande et démocratie (2022) - Bill Kovach, Tom Rosenstiel, « Blur: How to Know What's True in the Age of Information Overload » (2011) - Ryan Holiday, dans « Trust Me, I'm Lying: Confessions of a Media Manipulator » (2012) - Emily Bell, Taylor Owen dans  « Journalism After Snowden: The Future of the Free Press in the Surveillance State » (2017) - Alan Rusbridger, « Breaking News: The Remaking of Journalism and Why It Matters Now » (2018), « News and How to Use It: What to Believe in a Fake News World» (2020) - Uwe Krüger, « Mainstream: Warum wir den Medien nicht mehr trauen » (2016) -  Jeffrey Dvorkin, "Trusting the News in a Digital Age" (2021) - Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, "Network Propaganda: Manipulation, Disinformation, and Radicalization in American Politics" (2018) - Sinan Aral, "The Hype Machine: How Social Media Disrupts Our Elections, Our Economy, and Our Health - and How We Must Adapt (2020) - Cailin O’Connor & James Weatherall, "The Misinformation Age: How False Beliefs Spread" (2019) - ...

LastUpdate 11/11/2024


Who on earth can you believe any more? - Les démocraties modernes et les médias ont évolué en symbiose depuis le XVIIIe siècle. La liberté de la presse, pilier des démocraties libérales, est souvent considérée comme un "quatrième pouvoir" (c'est Thomas Carlyle (1841) qui a popularisé le terme de "Fourth Estate"). Il peut paraître trivial de rappeler que les dynamiques démocratiques et médiatiques sont certes  distinctes mais imbriquées. Ce "4e pouvoir" jouerait un rôle de contre-pouvoir, les médias informent, critiquent et contrôlent les trois pouvoirs classiques (on parle aujourd'hui avec les réseaux sociaux  de 5e pouvoir, la fameuse "influence citoyenne") : mais on connaît depuis les dérives possibles, la manipulation, la désinformation, la concentration médiatique, entre autres. Les médias ont en effet leurs propres logiques (économiques, technologiques, professionnelles) qui peuvent entrer en tension avec l'intérêt général et perdre leur vocation de garant de la transparence démocratique par leur capacité critique. La course à l'audience ("clickbait", info-spectacle) peut nuire au débat démocratique rationnel (théorie de l'infotainment de Neil Postman), la collusion avec le pouvoir une tentation constante ...

 

Toute démocratie authentique et durable nécessite le pluralisme médiatique. La Démocratie est un Système politique fondé sur la souveraineté populaire, le respect des libertés individuelles et collectives, l'alternance pacifique du pouvoir et la transparence du processus politique décisionnel. Pour soutenir toute démocratie, deux leviers semblent incontournables, d'une part la notion de "responsabilité démocratique" (accountability), - il s'agit d'assurer une vigilance critique sur l'action des gouvernants et limiter les abus de pouvoir -, et d'autre part la représentation équitable des différents courants d'opinion - il est nécessaire de garantir l'équité du débat démocratique et empêcher la domination d'une seule voix ou d’un seul groupe d’intérêt. Enfin seule une information diversifiée semble pouvoir permettre aux citoyens de former leur opinion politique de manière autonome et éclairée, et seuls des médias diversifiés semblent en capacité d'exercer une fonction critique vis-à-vis du pouvoir en dénonçant corruption, abus ou dysfonctionnements politiques. Sans cette diversité, le risque est grand que les médias soient instrumentalisés comme propagande. Autant d'éléments qui ne peuvent se maintenir sans ce qu'on appelle le "pluralisme médiatique". 

C'est à partir de ces éléments que s'instaure le lien théorique fondamental entre démocratie et pluralisme médiatique ...

 

Plusieurs régimes politiques dans le monde revendiquent un fonctionnement "démocratique" mais limitent fortement le pluralisme médiatique. Les médias majoritaires sont dans ce contexte souvent proches du pouvoir, restreignant la liberté d’expression et favorisant un débat public unilatéral. Le manque de pluralisme médiatique entraîne non seulement une détérioration globale significative de la qualité démocratique, mais conduit à une dérive vers une forme de démocratie autoritaire ou illibérale, où le processus démocratique est formellement maintenu mais substantiellement altéré. C'est la face la plus visible et la plus évidente des dérives altérant ce lien théorique fondamental entre démocratie et pluralisme médiatique.

 

Mais il est d'autres dérives, plus insidieuses : démocratie et pluralisme médiatique semblent se soutenir l'un l'autre et converger vers la même finalité, mais la réalité peut s'avérer d'une plus grande ambiguïté. L'idée des médias comme infrastructure démocratique repose sur l’idée qu’ils ne sont pas simplement des outils d’information, - et l'objectivité de l'information est elle-même déjà une problématique à part entière -, mais des institutions structurantes indispensables au fonctionnement d’une démocratie. Cette approche va au-delà de la vision traditionnelle des médias comme « quatrième pouvoir » et les considère comme une condition nécessaire à la participation citoyenne, à la délibération publique et au contrôle du pouvoir. Dans ce rôle, on peut observer de très fortes disparités dans les démocraties : le citoyen du monde, suivant le pays dans lequel il se trouve, n'est pas informé, éduqué, et doté d’un esprit critique, de la même façon. Ce qui invite à sortir de ses frontières nationales et à ne pas se contenter de la vision toujours biaisée du monde que l'on nous présente ...

 

De plus, une démocratie ne repose pas uniquement sur le pluralisme médiatique. Ainsi la concentration économique (oligarchie médiatique) peut affaiblir le pluralisme malgré l’existence formelle de nombreux médias (des démocraties comme la France en sont un exemple). Internet et réseaux sociaux redéfinissent de même la notion de pluralisme en multipliant les sources d’information alternatives, tout en créant des bulles d’opinions cloisonnées ou de nouvelles sources d'erreur. A cela s'ajoute la tentation permanente des médias traditionnelles de reproduire les structures de pouvoir, en limitant le plus qu'il est possible, toute dissociation réelle avec les élites politiques et économiques qui les soutiennent ...


Un tour d'horizon. Nous nous attacherons ici aux médias traditionnels (medias mainstream), soit ces principaux canaux d'information qui atteignent un large public et qui sont généralement considérés comme faisant partie de l'établissement médiatique dominant. Ils incluent tout autant la presse écrite (journaux nationaux et internationaux, magazines d'information générale),  la télévision (chaînes d'info en continu et journaux télévisés des grandes chaînes), la radio (les stations d'information). Ils ont ces caractéristiques de toucher un public massif (audience); d'être financés par la publicité, des groupes médiatiques ou des subventions; de disposer d'une ligne éditoriale (parfois perçue comme proche des élites politiques et économiques); d'être parfois soumis à des régulations strictes. On critique fréquemment leur manque de diversité d'opinions,  leur propension au sensationnalisme ou leur superficialité, leur concentration entre quelques mains, leurs soutiens idéologiques, leurs idées préconçues. À l'ère du numérique, leur influence est contestée par les médias, les réseaux sociaux et les podcasts indépendants....

Cf. les rapports du Reuters Institute for the Study of Journalism sur les tendances médiatiques.

 

 Une analyse comparative met en évidence une diversité significative dans les rapports entre médias et démocratie en fonction des contextes nationaux. 

Ainsi les modèles allemand et scandinave offrent des exemples de structures médiatiques favorisant la modération, la stabilité démocratique, et limitant l’impact négatif de la polarisation. Mais alors que la Suède ou la Norvège subventionnent une presse pluraliste, les anglo-saxons privilégient un marché médiatique libéralisé, une polarisation et une commercialisation extrême, avec des effets pervers (risques de désinformation et de fragmentation de l’audience). Le modèle méditerranéen (Italie/Espagne) se distingue par une politisation marquée des médias, une forte influence des pouvoirs économiques et politiques sur la presse, et une polarisation idéologique qui fragilise parfois la démocratie. Et la France semble combiner les pires aspects des modèles anglo-saxon (polarisation) et méditerranéen (concentration), sans les contre-pouvoirs scandinaves (subventions transparentes, fondations indépendantes) .. 

Il en ressort que tout citoyen qui se veut éclairé se doit de consulter les médias étrangers, ne serait-ce qu'à titre de comparaison, et ne peut se contenter d'un paysage médiatique national trop restreint et qui oublie souvent sa vocation critique face aux pouvoirs tant politiques qu'économiques ...

 

ETATS-UNIS

- Les principaux médias mainstream : Télévision : CNN (centre-gauche), Fox News (droite conservatrice), MSNBC (gauche), ABC, CBS, NBC (plus neutres) - Presse écrite : The New York Times (centre-gauche), The Washington Post (centre-gauche), Wall Street Journal (droite économique) - Radio : NPR (centre-gauche), Fox News Radio (droite), talk-shows conservateurs (Rush Limbaugh, etc.) - Numérique : Vox, HuffPost, Breitbart (extrême droite).

- Liberté de presse constitutionnelle extrêmement robuste (Premier amendement), offrant un espace critique ouvert vis-à-vis du pouvoir politique.

- Journalisme d’investigation de haute qualité (ex : New York Times, Washington Post, ProPublica) révélant régulièrement scandales et abus de pouvoir, garant d’une démocratie transparente.

- Pluralité médiatique : diversité exceptionnelle de médias locaux et nationaux offrant un large éventail de perspectives idéologiques (Freedom House, 2023). 

MAIS

- Les médias traditionnels américains (Fox News, CNN, MSNBC, etc.) sont fortement polarisés, créant des chambres d'écho qui exacerbent les clivages politiques et affaiblissent le débat démocratique (Pew Research Center, 2022). Démocrates vs. Républicains, Fox News et MSNBC influencent l’opinion. Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) jouent un rôle majeur.

- Influence des annonceurs et intérêts privés : une dépendance financière vis-à-vis de grands annonceurs privés et d’actionnaires génère des conflits d'intérêts et réduit l’indépendance éditoriale (Columbia Journalism Review, 2023).

- Infotainment : mélange d’information et de divertissement affectant la profondeur du traitement journalistique, contribuant à une baisse de qualité du débat public (Harvard Kennedy School, 2022).

 

Cf. "The Fox Effect: How Roger Ailes Turned a Network into a Propaganda Machine", written by David Brock (2012) : based on the meticulous research of the news watchdog organization Media Matters for America, David Brock and Ari Rabin-Havt show how Fox News, under its president Roger Ailes, changed from a right-leaning news network into a partisan advocate for the Republican Party...

 

ALLEMAGNE

- Les principaux médias mainstream :  Télévision : ARD/ZDF (services publics, neutres), RTL (commercial), Bild TV (droite populiste). - Presse écrite : Süddeutsche Zeitung (centre-gauche), Frankfurter Allgemeine (centre-droit), Die Welt (droite), Bild (populiste, tabloïd). - Radio : Deutschlandfunk (public), WDR (régional). - Numérique : Der Spiegel (centre-gauche, investigation), T-Online (centriste). Les médias publics (ARD/ZDF) sont très influents, mais Bild reste puissant malgré son côté sensationnaliste.

- Qualité et neutralité des médias publics (ARD, ZDF, Deutschlandradio), perçus comme des garants de stabilité et de modération du débat public, particulièrement appréciés en temps de crise (Reuters Institute Digital News Report, 2023).

- Responsabilité éditoriale élevée et éthique journalistique stricte, contribuant à maintenir un climat démocratique stable et fiable (European Journalism Observatory, 2023).

- Transparence et financement indépendant (redevance) protégeant relativement des influences économiques et politiques externes, renforçant la confiance démocratique (Bertelsmann Stiftung, 2022).

MAIS

- Uniformité et manque de diversité d'opinions : les grands médias traditionnels allemands, comme ARD, ZDF, ou les grands quotidiens comme FAZ et Die Welt, sont souvent accusés d'être trop consensuels ou de suivre une ligne éditoriale proche des élites politiques et économiques (Deutsche Welle, 2023).

- Sous-représentation des voix dissidentes : difficulté pour les opinions alternatives ou critiques du consensus dominant de trouver place dans le débat public (Reuters Institute, 2022).

- Réticence face à certains débats sensibles (comme l'immigration ou l'intégration), souvent considérée comme une autocensure ou une correction politique excessive (European Journalism Observatory, 2022).

 

ROYAUME-UNI

- Les principaux médias mainstream :  Télévision : BBC (service public, neutre mais critiquée), Sky News (centriste), ITV (commercial), Channel 4 (centre-gauche), GB News (droite populiste). - Presse écrite : The Guardian (gauche), The Times (centre-droit), Daily Telegraph (droite conservatrice), Daily Mail (droite populiste), The Sun (tabloïd, pro-gouvernement). - Radio : BBC Radio 4 (neutre), LBC (débats polarisés), TalkRadio (droite). - Numérique : HuffPost UK (gauche), The Independent (centriste).  

- Forte tradition journalistique de rigueur et d’investigation (BBC, The Guardian, Financial Times, The Times), assurant un contrôle démocratique efficace des pouvoirs politique et économique (London School of Economics, 2022).

- Pluralisme médiatique remarquable, permettant une représentation riche des différents courants politiques et sociaux, même dans un contexte post-Brexit polarisé (Reuters Institute Digital News Report, 2023).

- Indépendance éditoriale reconnue (BBC notamment) et engagement profond envers l’intérêt public, contribuant au maintien de standards démocratiques élevés (European Journalism Observatory, 2022).

MAIS

- Polarisation marquée par le Brexit : les médias britanniques, notamment tabloïds (Daily Mail, The Sun) mais aussi certaines chaînes (GB News, Sky News), ont alimenté une polarisation extrême et un affaiblissement du consensus démocratique (London School of Economics, 2022). Un journalisme de combat, des médias clairement alignés (Fox News vs. MSNBC ; The Guardian vs. Daily Telegraph).

- Tabloïdisation et dérive sensationnaliste réduisant la qualité du débat public, avec une influence politique souvent excessive (Reuters Institute, 2023).

- Dépendance aux intérêts économiques puissants, comme Murdoch ou autres grands propriétaires médiatiques, affectant l’indépendance éditoriale et démocratique (The Economist, 2023).

 

SUEDE

- Les principaux médias mainstream :  Télévision : SVT (service public, neutre, financé par la redevance), TV4 (privé mais à mission de service public, détenu par Telia)- Presse écrite : Dagens Nyheter (centre-gauche, qualité), Svenska Dagbladet (centre-droit, qualité), Aftonbladet (tabloïd, social-démocrate), Expressen (tabloïd, libéral) - Radio : SR (Sveriges Radio) (service public, pluraliste), P4 (réseau national de SR) - Numérique : Dagens ETC (gauche écologiste), 

Kvartal (conservateur/intellectuel) - Particularité : Pas d’équivalent à Fox News ou CNews. Les tabloïds (Aftonbladet) sont moins sensationnalistes qu’au Royaume-Uni ou aux USA.

- Haute indépendance éditoriale et absence de corruption dans les médias publics (SVT, Sveriges Radio), garantissant une confiance élevée des citoyens envers leurs institutions démocratiques (Freedom House, 2023). SVT et SR dominent l’audience, avec une forte confiance des citoyens (70-80% selon Reuters Institute). Dagens Nyheter et Svenska Dagbladet façonnent l’opinion des élites.

- Accès à l’information très développé : législation forte sur la transparence démocratique, soutenue par les médias comme défenseurs du droit public à l'information (Reuters Institute, 2023).

- Culture journalistique éthique rigoureuse, préservant le débat démocratique d’excès de polarisation ou de sensationnalisme (Nordicom, University of Gothenburg, 2023).

MAIS

- Consensus excessif : les grands médias suédois (SVT, Dagens Nyheter, Svenska Dagbladet) sont souvent accusés d’éviter les débats sensibles liés à l'immigration ou aux défis sociaux (Reuters Institute Digital News Report, 2023).

- Autocensure liée au politiquement correct : phénomène de « corridor d’opinion » limitant l’expression libre sur certains sujets sensibles, générant une frustration démocratique (Nordicom, University of Gothenburg, 2022).

- Monopole médiatique public/privé, limitant le pluralisme effectif des idées et perspectives (European Journalism Observatory, 2022).

 

ITALIE

- Les principaux médias mainstream : Télévision : RAI (service public, influencée par le gouvernement), Mediaset (Berlusconi, droite), La7 (centre-gauche). - Presse écrite : Corriere della Sera (centre-droit), La Repubblica (gauche), Il Giornale (droite), Il Fatto Quotidiano (anti-establishment). - Radio : Radio Rai (public), Radio 24 (économique). - Numérique : Fanpage (investigation), Il Post (centriste).

- Diversité significative de la presse : coexistence historique de plusieurs quotidiens majeurs aux orientations variées (Corriere della Sera, Repubblica, La Stampa, Il Fatto Quotidiano), favorisant un débat public pluraliste (Reuters Institute Digital News Report, 2023).

- Résistance démocratique des médias indépendants face à l'influence politique et économique, assurant une vigilance démocratique efficace, notamment en périodes électorales ou politiques critiques (Freedom House, 2023).

- Rôle des médias dans la mobilisation citoyenne : capacité régulière à influencer positivement les débats et les réformes démocratiques (European Journalism Observatory, 2022).

MAIS

- Domination par des personnalités politiques (Berlusconi historiquement), avec des groupes médiatiques (Mediaset, Rai) fréquemment accusés de servir des intérêts personnels ou politiques (Freedom House, 2022).

- Médias très politisés (RAI sous influence gouvernementale, Mediaset pro-Berlusconi). La Repubblica et Il Fatto Quotidiano critiquent le pouvoir. Les éditorialistes prennent clairement parti (ex : La Repubblica contre Meloni, Il Giornale pour la droite).

- Spectacularisation de la politique : couverture sensationnaliste et populiste renforçant la désillusion politique (Reuters Institute, 2023).

- Faible indépendance économique, avec des médias souvent dépendants d'intérêts économiques spécifiques ou politiques (The Guardian, 2023).

 

FRANCE

- Les principaux médias mainstream : Télévision : TF1 (centriste, propriété de Bouygues), France 2 (service public), BFM TV (droite économique), CNews (droite conservatrice). - Presse écrite : Le Monde (centre-gauche), Le Figaro (droite), Libération (gauche), L’Humanité (extrême gauche). - Radio : France Inter (service public, centre-gauche), RTL (centriste), Europe 1 (droite). - Numérique : Mediapart (investigation, gauche), Valeurs Actuelles (droite conservatrice).

- Une tradition de critique politique forte qui sombre dans les clivages politiques extrêmes et le manque d'argumentaires critiques, jadis garde-fou face au pouvoir exécutif (Oxford Reuters Institute, 2023), aujourd'hui nourri par un marketing hyper-présidentalisé sans réelle teneur politique mobilisatrice.

- Médias d’investigation dynamiques (Mediapart, Le Monde, Le Canard Enchaîné), exposant régulièrement affaires de corruption ou scandales politiques, renforçant la responsabilité démocratique.

- Diversité idéologique marquée, pluralité d’orientations politiques représentées dans la presse quotidienne, contribuant jadis à un débat démocratique dynamique (Reporters Without Borders, 2023), versant dans un clivage qui ne semble plus en capacité d'éclairer le citoyen ...

MAIS

- Proximité médias-politiques-élites économiques : forte interconnexion entre élites politiques et économiques (notamment milliardaires propriétaires de médias) menaçant l’indépendance éditoriale (Reporters Without Borders, 2023). 

- Polarisation culturelle, guerres médiatiques (wokisme, laïcité, immigration), fort clivage extrême-droite- extrême gauche, la presse reflète le manque de débats et le vide des argumentaires politiques, l'ensemble de la presse semble polarisée uniquement par le marketing du pouvoir en place. Crise de confiance : 58 % des Français estiment que les médias sont "sous influence" (Ifop 2023).

- Centrage parisien et élitiste : couverture médiatique trop centrée sur Paris, marginalisant les régions et renforçant le sentiment de fracture démocratique (Reuters Institute, 2022).

- Dramatisation extrême sans argumentaires particulièrement développés - Saturation des débats politiques par les polémiques superficielles plutôt que par l’analyse approfondie, entraînant une polarisation accrue et une perte de confiance démocratique (Oxford Reuters Institute, 2023).

 

ESPAGNE

- Les principaux médias mainstream : Télévision : TVE (service public), Antena 3 (droite, groupe Atresmedia), La Sexta (gauche, groupe Atresmedia), Telecinco (populiste, groupe Mediaset). - Presse écrite : El País (centre-gauche), El Mundo (centre-droit), ABC (droite conservatrice), La Vanguardia (centriste, Catalogne). - Radio : Cadena SER (gauche), COPE (droite catholique), Onda Cero (centriste). - Numérique : El Diario (gauche), OKDiario (droite populiste).

- Pluralisme régional fort : existence de médias régionaux (Catalogne, Pays basque, Galice) permettant une expression démocratique locale vivante et diversifiée (Reuters Institute, 2022).

- Rôle actif de la presse dans la dénonciation de la corruption politique et économique, participant au renouvellement démocratique régulier du pays (Freedom House, 2023).

- Grande diversité idéologique dans la presse nationale (El País, El Mundo, ABC, La Vanguardia), assurant une couverture démocratique riche et nuancée (European Federation of Journalists, 2023).

MAIS

- Médias sous contrôle politique indirect : les principaux journaux (El País, El Mundo, ABC) ou chaînes (TVE, Telecinco) sont accusés de parti-pris prononcé selon les gouvernements successifs, impactant l'équilibre démocratique (Reuters Institute Digital News Report, 2023).

- Concentration économique : une poignée de grands groupes (Prisa, Atresmedia, Mediaset) contrôle une grande partie de l'information, réduisant le pluralisme et renforçant des biais idéologiques (European Federation of Journalists, 2022).

- Instrumentalisation politique fréquente, limitant la capacité à servir d’espace démocratique neutre (The Economist, 2022). Clivage politique marqué (PP vs. PSOE/Podemos), avec des médias souvent associés à des partis (ex : El País pro-PSOE, OKDiario pro-droite). Les médias deviennent des armes partisanes (ex : crise catalane couverte différemment par La Vanguardia et El Mundo). La question catalane ou la montée de Vox sont couvertes de façon biaisée.


On peut globalement constater un affaiblissement, relatif suivant les pays, de la critique médiatique ... 

- Moins de confrontation directe avec le pouvoir, la France est à ce sujet un exemple symptomatique - Le journalisme d’investigation est en déclin et la crise économique des médias a pu en effet participer à ce mouvement (en France, 5 000 postes de journalistes supprimés entre 2009 et 2022 (Syndicat national des journalistes), aux USA, 2 200 journaux locaux ont fermé depuis 2005, Université de Caroline du Nord).

Les années 1970-80 constituèrent l'Âge d’or du journalisme d’investigation (ex : Washington Post et le Watergate, Le Canard Enchaîné en France). Dans les années 2020s, les médias sous pression financière, fragmentés, dans un monde qui semble avoir épuisé toute l'imagination dont il était capable, face à une défiance généralisée (seulement 30% des Français font "confiance" aux journalistes, sondage Reuters 2023).

- Un accès contrôlé aux sources de plus en plus fréquent : Les gouvernements et entreprises maîtrisent mieux leur communication (communiqués préformatés, pressions sur les journalistes "embarqués").

- Une tendance imposante à la concentration des médias et à la généralisation des conflits d’intérêts - Propriétaires milliardaires et groupes industriels, en France (3 milliardaires (Bolloré, Niel, Drahi) contrôlent 80% de la presse française en ligne, Acrimed), aux États-Unis (Murdoch, Bezos), et les propriétaires ont souvent des liens politiques ou économiques avec les pouvoirs qui influencent la ligne éditoriale.  

- La concurrence du numérique et la course au clic, la priorité à l’audience, les clickbait et l’info en temps réel qui réduisent le temps pour vérifier ou contextualiser (ex : traitement superficiel des réformes sociales ou des conflits géopolitiques). 

- Heureusement, on dispose de quelques contre-exemples (The Guardian a exposé les Cambridge Analytica (2018) et les Pandora Papers, 2021) et de nouveaux acteurs peuvent venir combler bien des lacunes (médias indépendants, journalistes freelance)..

 

Quelles pourraient être les causes profondes de cette dégradation ..

- L'économie de l’information est en crise : chute des revenus publicitaires (-50% en 20 ans pour la presse écrite), moins de journalistes et plus de contenus low-cost.

- Nette tendance à la polarisation, reflet de la société ambiante, et méfiance envers les médias. 

Accusations de "fake news", des politiques discréditent les journalistes pour éviter les critiques.

- Bulle idéologique : Les médias traditionnels sont perçus comme "trop élitistes" ou "trop mainstream", poussant le public vers des sources alternatives (parfois moins rigoureuses). L'argumentaire marque le pas au profit de l'invective ou d'une position morale insuffisamment étayée. 

- Collaboration médias-pouvoir - "Embedded journalism" : pendant les guerres (Irak 2003) ou les crises (COVID), ou les conflits géopolitiques, les médias ne font que reprendre la version officielle sans distance. The New York Times et CNN ont ainsi repris sans vérification les fausses preuves de l’administration Bush sur les "armes de destruction massive". Le Monde et BFM ont souvent relayé sans recul les annonces gouvernementales (ex : "l’immunité collective en 3 mois" en 2021).  L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a marqué un tournant dans les relations entre les médias français et le pouvoir exécutif. Plusieurs observateurs, y compris la presse étrangère (The Guardian, 2022, Der Spiegel, 2023, The New York Times, 2020), ont noté une critique éditoriale moins forte qu’avec ses prédécesseurs (Hollande, Sarkozy). Jeune, pro-européen, issu de la finance mais se présentant comme "antisystème" en 2017, il a bénéficié d’un a priori favorable dans les rédactions (notamment chez L’Obs, L’Express, Les Échos). Son discours "ni gauche ni droite" a séduit une partie des médias lassés du clivage traditionnel. La pratique des "off the record" (entretiens non attribuables) s’est généralisée, incitant à l’autocensure. L'accélération du phénomène de concentration de la presse a fortement contribué à cette uniformisation univoque des rédactions médiatiques. L'élection de Trump aux Etats-Unis et les réactions éditoriales dans le monde soulèvent plus de clivages et d'invectives que de réelles analyses critiques. 

 

Au final, dans nos démocraties, le citoyen a de plus en plus très peu d'éléments construits pour se forger une quelconque opinion. En Europe (surtout en France, Allemagne, Italie), le lien entre médias et pouvoir politique est souvent plus direct qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne (conflits d’intérêts, subventions publiques, connivences historiques, culture des élites). Les médias de service public (France Télévisions, ARD/ZDF, Rai) jouent un rôle ambigu : tantôt garants du pluralisme, tantôt relais des positions gouvernementales.

Aux États-Unis, le biais médiatique est plus marqué par le clivage partisan (Fox vs. CNN), alors qu’en Europe, le conformisme est souvent technocratique et néolibéral...


Ignacio Ramonet, dans "Médias, propagande et démocratie (2022), professeur de théorie de la communication à l’Université Paris-VII, ancien directeur du Monde diplomatique (1990-2008), a marqué la critique médiatique par ses analyses sur la désinformation et l’impérialisme culturel. Certes, le discours est percutant, militant et sans concession, le journaliste est engagé altermondialiste (Fondateur du mouvement ATTAC en 1998), proche de Noam Chomsky, mais il dénonce la mainmise des oligarchies sur l’information et l'illustre de quelques exemples : la couverture des Gilets jaunes (2018-2019), ou la diabolisation des mouvements sociaux; l'invitation majoritaire de pro-gouvernement (ex: 80% des économistes sur BFM/LCP défendaient la réforme - Observatoire des déséquilibres médiatiques) lors de la Réforme des retraites 2023; le vocabulaire manichéen et le recyclage des vieux réflexes de guerre froide pour éviter toute analyse géopolitique complexe d'un conflit comme celui de l'Ukraine; la fabrication de pseudo évènements; la crispation extrême sur les problèmes identitaires que l'on ne trouve pratiquement qu'en France et traitée plus en postures qu'en argumentaire conséquent ...

Le phénomène de "Revolving door" s'est intensifié des journalistes devenant conseillers politiques (ou inversement), les  conflits d’intérêts sont immenses.

- Crise culturelle globale, capacité de rénovation des idées politiques en régression, polarisation croissante des opinions, assèchement des idées politiques, simplification extrême des argumentaires ...

 

 Dans "L'explosion du journalisme : Des médias de masse à la masse des médias" (Éditions Galilée, 2011), Ramonet dresse une critique approfondie et une réflexion sur la transformation radicale du journalisme à l'ère numérique en cinq points fondamentaux, 

- la transformation structurelle du journalisme : Ramonet décrit une véritable "révolution médiatique" caractérisée par la montée des réseaux sociaux, des blogs, et de nouveaux acteurs numériques. Le passage d’un modèle traditionnel vertical, dominé par les grands médias institutionnels, à un modèle horizontal, participatif et fragmenté.

- la crise de confiance et de légitimité : l'explosion numérique a entraîné une crise de crédibilité sans précédent du journalisme traditionnel. L'auteur critique le journalisme devenu trop dépendant des logiques économiques, réduisant l'information à une marchandise.

- le phénomène du « citoyen-reporter » : Ramonet analyse l'apparition des citoyens ordinaires comme producteurs d’information via smartphones, réseaux sociaux (Twitter, Facebook) ou YouTube. Il met en avant les bénéfices démocratiques (pluralité, transparence) mais aussi les risques (fake news, informations non vérifiées, manipulation).

- la "tyrannie de l’instantanéité" : l'auteur se livre à une critique acerbe de la vitesse imposée par internet, empêchant souvent la vérification sérieuse des informations. Il parle d’un journalisme soumis à la pression du temps réel, favorisant le sensationnel au détriment de l’analyse approfondie.

- Enfin, Ramonet insiste sur la précarisation du métier de journaliste, qui menace directement la qualité de l'information et la démocratie. Il dénonce ici l’influence grandissante des grands groupes économiques et technologiques (GAFAM), transformant le journaliste en simple producteur de contenus rentables. Face à l’explosion informationnelle, Ramonet plaide pour un journalisme réinventé, recentré sur l’enquête, le décryptage, et la mise en contexte, assurant une véritable valeur démocratique ajoutée. Il appelle à une réorganisation éthique et économique pour protéger l'indépendance journalistique.


Bill Kovach et Tom Rosenstiel, experts en journalisme, dans « Blur: How to Know What's True in the Age of Information Overload » (2011), analysent comment la profusion numérique des informations a brouillé les frontières entre information vérifiée, rumeurs et opinions. Le public est confronté à un paradoxe : plus d’informations disponibles signifie paradoxalement moins de clarté. Ils critiquent également la pression du temps réel et plaide pour un retour à une éthique journalistique rigoureuse.

 

Kovach et Rosenstiel expliquent que la révolution numérique a transformé la façon dont l'information est produite et consommée. Avec l'essor des réseaux sociaux, des blogs et des algorithmes, il est devenu difficile de séparer le vrai du faux. Les citoyens doivent désormais jouer le rôle de leur propre rédacteur en chef, évaluant eux-mêmes la crédibilité des sources. Le livre est très centré sur les États-Unis, ce qui limite partiellement son universalité immédiate, même si ses principes sont largement applicables ailleurs.

 

"The numbers are shocking. In the initial ten years of the twenty-first century,  newspapers saw nearly half of their ad revenue disappear. Roughly a third of all newsroom jobs vanished. The audience and revenue for network news were less than half what they had been twenty years earlier. More than two billion dollars in news gathering annually disappeared. Yet for all that the information revolution may seem startling and disruptive, it is not unprecedented. We have been here before. Through the history of human civilization, there have been eight epochal transformations in communication that, in their way, were no less profound and transformative than what we are experiencing now: from cave drawings to oral language, the written word to the printing press, the telegraph to the radio, broadcast television to cable, and now the Internet. And with each information revolution, certain key patterns have repeated themselves and certain tensions have remained. Each new method of communication made the exchange of information easier, more textured, and more meaningful. Communication of shared knowledge and shared curiosity brought people together in larger and larger communities based on common ways of knowing. Each advance in form and efficiency also had a democratizing influence: As more people became more knowledgeable, they also became better able to question their world and the behavior of the people and institutions that directed their lives. And those new levels of  awareness resulted in shifts in power arrangements, toppling or changing old authorities and creating new ones. We moved from shamans to tribal  leaders, from tribal leaders to kings and city-states, from city-states to nations. Each change, in turn, forced existing power elites to try to exploit  communication in order to reorganize and direct the energy democratization released at the grassroots level.

 

« Les chiffres sont choquants. Au cours des dix premières années du XXIe siècle, les journaux ont perdu près de la moitié de leurs revenus publicitaires. Environ un tiers des emplois dans les salles de rédaction ont disparu. L’audience et les recettes des journaux télévisés étaient moins de la moitié de ce qu’elles avaient été vingt ans plus tôt. Plus de deux milliards de dollars consacrés chaque année au reportage d’information se sont évaporés. Pourtant, aussi surprenante et disruptive que puisse paraître cette révolution de l’information, elle n’est pas sans précédent. Nous avons déjà connu cela. À travers l’histoire de la civilisation humaine, il y a eu huit transformations majeures dans la communication qui, chacune à leur manière, ont été aussi profondes et bouleversantes que ce que nous vivons aujourd’hui : des peintures rupestres au langage oral, de l’écriture à l’imprimerie, du télégraphe à la radio, de la télévision hertzienne au câble, et maintenant à Internet. Et à chaque révolution de l’information, certains schémas clés se sont répétés, tandis que certaines tensions sont restées. Chaque nouvelle méthode de communication a rendu l’échange d’informations plus facile, plus riche et plus significatif. La transmission d’une connaissance et d’une curiosité partagées a rassemblé les gens au sein de communautés toujours plus vastes, fondées sur des manières communes de comprendre le monde. Chaque progrès dans la forme et l’efficacité a aussi eu un effet démocratisant : plus les gens acquéraient de connaissances, plus ils étaient en mesure de questionner leur monde et le comportement des individus et institutions qui dirigeaient leur vie. Et ces nouveaux niveaux de conscience ont entraîné des changements dans les rapports de pouvoir, renversant ou transformant les anciennes autorités pour en créer de nouvelles.

Nous sommes passés des chamans aux chefs tribaux, des chefs tribaux aux rois et cités-États, des cités-États aux nations. Chaque changement a, à son tour, poussé les élites en place à tenter d’exploiter la communication pour réorganiser et canaliser l’énergie démocratique libérée à la base. 

 

" And as it reorganized social order, each change in popular communications was accompanied by a renewal of the tension between two strands of knowledge or ways of trying to understand existence: the tension between knowledge based on observation and experience and knowledge grounded on faith and belief—the tension between fact and faith. All these patterns—the forming of larger new communities (community and democratization), the toppling of old authorities and the creation of new ones (reorganization), and the increasing gulf between empiricism and faith (tension)—are evident in the technological revolution of the twenty f irst century. Even the bloggers, cable demagogues, citizen Web sites, and populist political movements of our new century all have parallels in earlier moments of technological and socioeconomic change. Our challenge as citizens today is to understand and learn, as more power cedes to each of us, how to use the power and not be thwarted by it ..."

 

« Et tandis qu’elle réorganisait l’ordre social, chaque transformation des moyens de communication populaires s’est accompagnée d’une résurgence de la tension entre deux formes de savoir – ou deux manières de comprendre l’existence : la tension entre un savoir fondé sur l’observation et l’expérience, et un savoir ancré dans la foi et la croyance – entre faits et convictions.

Tous ces schémas – l’émergence de nouvelles communautés élargies (communauté et démocratisation), le renversement des anciennes autorités au profit de nouvelles (réorganisation), et le fossé grandissant entre empirisme et foi (tension) – sont visibles dans la révolution technologique du XXIe siècle. Même les blogueurs, les démagos des chaînes câblées, les sites web citoyens et les mouvements politiques populistes de notre siècle trouvent leurs équivalents dans les bouleversements techno-socio-économiques du passé.

Notre défi, en tant que citoyens aujourd’hui, est de comprendre et d’apprendre – alors que davantage de pouvoir échoit à chacun – comment user de ce pouvoir sans en être paralysé. ..»

 

Les auteurs identifient notamment quatre grands types d'information :

- Le journalisme d'affirmation (Journalism of Assertion) : affirmation sans vérification, basé sur l’opinion et l'idéologie. Kovach et Rosenstiel condamnent le journalisme d’affirmation, largement pratiqué par des médias américains très influents, notamment Fox News ou MSNBC. Ils critiquent fortement l'impact démocratique négatif des médias qui privilégient le sensationnel, l’émotion et l’opinion sur les faits vérifiés.

- Le journalisme de vérification (Journalism of Verification) : fondé sur des preuves rigoureuses, éthiques journalistiques et enquête approfondie (modèle idéal selon les auteurs).

- Le journalisme d’intérêt spécifique (Journalism of Interest) : informations biaisées par intérêts commerciaux ou politiques.

- Le journalisme de divertissement (Infotainment) : où l’objectif principal est d'attirer l’attention, même au détriment de la véracité.

Le livre est profondément critique envers l’idée que le « citoyen-reporter » (user-generated content) pourrait remplacer entièrement les journalistes professionnels. Kovach et Rosenstiel défendent fortement le professionnalisme journalistique comme essentiel à la démocratie.

 

 L’art du scepticisme intelligent - Pour évaluer une information, les auteurs proposent une méthode en 6 étapes :

- Identifier le type de contenu (Identify the Content Type, news, opinion, propagande, etc.).

- Vérifier la source (Check the Source, qui parle, quel est son agenda ?).

- Comparer les sources (Compare Multiple Sources, croisement des informations).

- Évaluer les preuves (Assess the Evidence, y a-t-il des données solides ?).

- Comprendre le contexte (Understand the Context, l’information est-elle présentée de manière équilibrée ?).

- Questionner ses propres biais (Question Your Own Biases , ne pas se laisser influencer par ses propres croyances).

 

Les pièges de l’ère numérique sont mis en évidence, 

- La viralité prime sur la vérité (Virality Over Truth) : Les fausses informations se propagent plus vite.

- Le phénomène des bulles informationnelles (Filter Bubbles) : Les algorithmes enferment les utilisateurs dans des écosystèmes idéologiques.

- L’émotion l’emporte sur la raison (Emotion Over Reason) : Le sensationnel attire plus que l’analyse rigoureuse.

 

Pour conclure, les auteurs rappellent que le bon journalisme repose sur la vérification des faits, l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs, la transparence sur les méthodes, l’engagement envers le public (et non envers les actionnaires). Kovach et Rosenstiel insistent sur la nécessité pour les citoyens de développer un esprit critique et de ne pas se contenter de consommer passivement l’information. Ils encouragent pour se faire la lecture transversale (confronter plusieurs sources), la méfiance envers les récits simplistes, l’éducation aux médias dès le plus jeune âge.


Ryan Holiday, dans « Trust Me, I'm Lying: Confessions of a Media Manipulator » (2012), explore comment le journalisme contemporain est manipulé par la vitesse, la viralité et le sensationnalisme, transformant le paysage médiatique en un espace de confusion démocratique. Ryan Holiday, ancien stratège marketing pour des personnalités et entreprises comme Tucker Max et American Apparel, dévoile, on sans provocation, comment il a exploité les failles des médias en ligne pour fabriquer des buzz artificiels.

Les dessous de la manipulation médiatique : l'auteur nous explique que son livre est la "confession" d’un ancien manipulateur. Il décrit comment les blogs et les médias en ligne, assoiffés de clics, sont facilement manipulables. Contrairement aux médias traditionnels, les blogs privilégient la vitesse et le sensationnalisme plutôt que la vérification des faits. Les petits blogs (comme Gawker, HuffPost) reprennent souvent des infos non vérifiées, qui remontent ensuite vers des médias plus sérieux (NYT, CNN) via un effet de cascade. Et les revenus dépendant des clics, les médias favorisent les titres choquants, même s’ils sont faux ou exagérés (la fameuse économie de l’attention). 

Holiday détaille ensuite les techniques de manipulation qu’il a utilisées : fabriquer une controverse (créer un faux scandale pour attirer l’attention), le "trading up the chain" (faire publier une fausse info sur un petit blog, puis la faire reprendre par des médias plus importants), le "dark arts of blogging" (uUtiliser les commentaires anonymes, les faux comptes et les fuites pour influencer la narration). Dans ’affaire Tucker Max, Holiday a ainsi orchestré des polémiques pour promouvoir les livres de son client. 

Ryan Holiday, fort de cette confession, inaugurera une nouvelle existence, qu'il illustre avec "Ego Is the Enemy" (2016), l'ego est un obstacle au succès et à la sagesse ...


Emily Bell, Taylor Owen dans  « Journalism After Snowden: The Future of the Free Press in the Surveillance State » (2017), un ouvrage collectif dirigé par Emily Bell (directrice du Tow Center for Digital Journalism) et Taylor Owen (spécialiste des médias et de la sécurité numérique) qui analyse l'impact des révélations d'Edward Snowden (2013) sur le journalisme à l'ère de la surveillance de masse. Les contributeurs, incluant des journalistes (Glenn Greenwald, Alan Rusbridger), des juristes et des chercheurs, analysent comment la collecte généralisée de données par les gouvernements et les entreprises menace la liberté de la presse, la protection des sources et, in fine, la démocratie.

Les fuites de Snowden ont révélé l’étendue de la surveillance exercée par la NSA (États-Unis) et le GCHQ (Royaume-Uni), avec la complicité des géants technologiques (Google, Facebook). De là, un nouveau paradigme de la protection des sources (les journalistes doivent désormais utiliser des outils cryptés (Signal, SecureDrop) pour éviter la surveillance) et un phénomène d'auto-censure (la peur d’être surveillé pousse les sources (whistleblowers) à moins s’exprimer). 

On en vient à une criminalisation du journalisme d’investigation : les gouvernements invoquent la "lutte contre le terrorisme" pour poursuivre les lanceurs d’alerte (ex. : Julian Assange, Chelsea Manning). Un cas d’étude, la destruction par The Guardian des disques durs contenant les fichiers Snowden, sous la pression du gouvernement britannique, illustre les menaces contre la presse.

Que répondent les plateformes technologiques : Facebook, Google et l’illusion de la neutralité. Ces entreprises coopèrent avec les agences de surveillance tout en se présentant comme des défenseurs de la vie privée. Et les modérations automatiques vont supprimer des contenus légitimes sous prétexte de "sécurité".

Comment s'opposer à cette situation?

- Renforcement du chiffrement : Adoption généralisée de protocoles comme PGP et Tor. Mais peut-être surestime-t-on la capacité des outils cryptés à contrer la surveillance étatique.

- Nouveaux modèles économiques : Soutien aux médias indépendants (ex. : The Intercept, ProPublica) pour réduire la dépendance aux publicités ciblées (elles-mêmes basées sur la surveillance).

- Cadres législatifs : Réforme du Espionage Act (États-Unis) et protection des whistleblowers. 

Malheureusement, les propositions restent souvent dans le cadre du système existant (réformes légales plutôt que renversement du capitalisme de surveillance). Et paradoxalement on notera que les gouvernements renforcent ou entendent renforcer leur surveillance (lois sur les fake news, reconnaissance faciale) ...


Alan Rusbridger (ancien rédacteur  en chef du Guardian) dans « Breaking News: The Remaking of Journalism and Why It Matters Now » (2018), analyse en profondeur comment le journalisme traditionnel peut être perturbé par l’ère numérique, en examinant notamment les fake news, la pression économique et les nouvelles responsabilités des journalistes dans une démocratie fragilisée. "Breaking News" est à la fois un témoignage historique (de la chute de la presse papier à l’ère des fake news) et un manifeste pour un journalisme réinventé.  

L’ouvrage mêle mémoires personnelles (notamment la gestion des Snowden Leaks en 2013) et analyse des enjeux démocratiques liés à la crise des médias pour nous évoquer la transformation radicale du journalisme à l'ère numérique, marquée par la chute des revenus publicitaires traditionnels, l’essor des réseaux sociaux et leur emprise sur l’information, et les dilemmes éthiques posés par le journalisme en temps réel.

La migration des annonceurs vers Google et Facebook a privé les journaux de 80 % de leurs recettes publicitaires entre 2000 et 2018. Rusbridger décrit son expérience du Guardian et la transition douloureuse vers un modèle hybride (gratuit + abonnements), avec des succès (augmentation du lectorat international) et des échecs (licenciements). Il dénonce par ailleurs le monopole des GAFA sur la distribution de l’information et leur rôle dans la désinformation. L’affaire Snowden (2013) consiste un chapitre clé dans lequel Rusbridger raconte comment le Guardian a publié les documents malgré les pressions du gouvernement britannique (destruction forcée de disques durs, menaces judiciaires). 

En conclusion, il ne rejette pas le numérique mais en critique les dérives, défendant un journalisme ouvert mais rigoureux : et nous montre comment la crise des médias affaiblit les contre-pouvoirs, avec des conséquences politiques graves. ..

 

YOUNG PEOPLE

"Study after study shows that young people (typically defined as 18- to 29 year-olds, or under-35s) are increasingly glued to their screens and social media, but rarely to consume the news. As their consumption declines, so does their trust in the media: young people hold a more negative view of local TV news, broadcast TV and the journalists they read and follow than any other age group, according to the American Press Institute. The only form of news they view more positively than other age groups is social media. Young people across the United States and the United Kingdom increasingly view traditional media as a burden, instead relying on platforms such as Reddit and Instagram to get their news. As a result, their media literacy when it comes to distinguishing opinion from news is lower than other age groups, although they are less likely to share fake news. The Pew Research Center found that 95 per cent of American teens have access to a smartphone, with 45 per cent online ‘almost constantly’, mostly using YouTube, Instagram, Snapchat and Facebook. When asked to share any positive uses of social media, only 16 per cent cited greater access to news and information.

 Backing these findings, the Reuters Institute and the research agency Flamingo published a report in 2019 on how young people consume the news. They tracked the smartphone behaviour of twenty participants – all under the age of thirty-five – in the United States and United Kingdom over two weeks, as well as asking a subset to keep a digital diary of the news they consumed. The smartphone was the main device for accessing the news for69 per cent of under-35s, with TV and even computers far behind. A 2019 Ofcom study in the United Kingdom had the same conclusion, finding that those aged 16 to 24 watch on average two minutes of TV news every day, compared with thirty-three minutes for those over sixty-five. The Reuters  Institute found that younger people within the age bracket were more likely to watch online videos, although everyone vastly preferred text because of control and flexibility.

 

Une étude après l'autre montre que les jeunes (généralement définis comme les 18-29 ans, ou les moins de 35 ans) sont de plus en plus rivés à leurs écrans et aux médias sociaux, mais rarement à l'actualité. Selon l'American Press Institute, les jeunes ont une opinion plus négative des journaux télévisés locaux, des chaînes de télévision et des journalistes qu'ils lisent et suivent que n'importe quel autre groupe d'âge. La seule forme d'information qu'ils jugent plus positivement que les autres groupes d'âge est celle des médias sociaux. Les jeunes des États-Unis et du Royaume-Uni considèrent de plus en plus les médias traditionnels comme un fardeau et se tournent vers des plateformes telles que Reddit et Instagram pour s'informer. Par conséquent, leur maîtrise des médias, lorsqu'il s'agit de distinguer les opinions des informations, est inférieure à celle des autres groupes d'âge, bien qu'ils soient moins susceptibles de partager des « fake news » (fausses nouvelles). Le Pew Research Center a constaté que 95 % des adolescents américains ont accès à un smartphone, et que 45 % d'entre eux sont en ligne « presque constamment », utilisant principalement YouTube, Instagram, Snapchat et Facebook. Lorsqu'on leur a demandé de citer des utilisations positives des médias sociaux, seuls 16 % ont cité un meilleur accès aux nouvelles et à l'information.

 À l'appui de ces conclusions, l'Institut Reuters et l'agence de recherche Flamingo ont publié en 2019 un rapport sur la manière dont les jeunes consomment les actualités. Ils ont suivi le comportement sur smartphone de vingt participants - tous âgés de moins de trente-cinq ans - aux États-Unis et au Royaume-Uni pendant deux semaines, et ont demandé à un sous-ensemble d'entre eux de tenir un journal numérique des actualités qu'ils consommaient. Le smartphone était le principal moyen d'accès aux informations pour 69 % des moins de 35 ans, la télévision et même l'ordinateur arrivant loin derrière. Une étude menée en 2019 par l'Ofcom au Royaume-Uni aboutit à la même conclusion : les personnes âgées de 16 à 24 ans regardent en moyenne deux minutes d'informations télévisées par jour, contre trente-trois minutes pour les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans. Le Reuters Institute a constaté que les jeunes de cette tranche d'âge étaient plus enclins à regarder des vidéos en ligne, bien que tous préfèrent largement le texte en raison du contrôle et de la flexibilité qu'il offre.

 

News apps didn’t appear in the top twenty-five apps used by any of the participants. Two participants with the BBC app both used it for less than 1 per cent of their total time spent on their phones. Instead, they were mostly consuming the news through social media. Instagram was the most popular platform, ahead of Facebook, with Twitter and Reddit as the main apps that mirror the function of traditional news. From qualitative interviews and observation, the researchers analysed the changing attitudes of young people toward the news. In their estimation, young people don’t view news as something ‘you should know’ but rather ‘what is useful to know, what is interesting to know, and what is fun to know’. Anything beyond that ‘is a chore’. As a result, traditional channels such as broadcasters and newspapers are having trouble connecting with under-35s, who prefer a wider range of topics – such as arts, culture and LGBTQ+ issues – often told from a more global perspective. More concerningly, with the rise of free platforms and content, the overwhelming majority of young people say they won’t pay for the news...."

 

Les applications d'actualités n'apparaissent dans les vingt-cinq applications les plus utilisées par aucun des participants. Les deux participants qui ont utilisé l'application de la BBC l'ont fait pendant moins de 1 % du temps total qu'ils ont passé sur leur téléphone. Au lieu de cela, ils ont surtout consommé les nouvelles par le biais des médias sociaux. Instagram était la plateforme la plus populaire, devant Facebook, tandis que Twitter et Reddit étaient les principales applications reflétant la fonction des actualités traditionnelles. À partir d'entretiens qualitatifs et d'observations, les chercheurs ont analysé l'évolution de l'attitude des jeunes à l'égard de l'actualité. Selon eux, les jeunes ne considèrent pas l'actualité comme quelque chose « qu'il faut savoir », mais plutôt comme « ce qu'il est utile de savoir, ce qu'il est intéressant de savoir et ce qu'il est amusant de savoir ». Tout ce qui va au-delà « est une corvée ». Par conséquent, les canaux traditionnels tels que les radiodiffuseurs et les journaux ont du mal à toucher les moins de 35 ans, qui préfèrent un éventail plus large de sujets - tels que les arts, la culture et les questions LGBTQ+ - souvent racontés d'un point de vue plus global. Plus inquiétant encore, avec l'essor des plateformes et des contenus gratuits, l'écrasante majorité des jeunes disent qu'ils ne paieront pas pour les informations..." (Alan Rusbridger, 2020)

 

"News and How to Use It: What to Believe in a Fake News World" (2020), Alan Rusbridger - Nothing in life works without facts. Une société qui n’est pas sûre de ce qui est vrai ne peut fonctionner. Sans faits, il ne peut y avoir ni gouvernement ni loi. La science est ignorée. La confiance s’évapore. Partout, les gens se sentent de plus en plus aliénés – et méfiants – par rapport aux nouvelles et à ceux qui les produisent. Nous ne semblons plus savoir à qui ou quoi croire. Nous traversons une crise du « chaos de l’information ». Nouvelles : Et comment l’utiliser C’est un glossaire pour cet âge ahurissant. De l’intelligence artificielle aux robots, de la crise climatique aux fausses nouvelles, de Clickbait aux trolls (et plus encore), voici le guide définitif de l’utilisateur sur la façon de rester informé, dire la vérité à partir de la fiction et tenir ceux qui sont au pouvoir responsables dans l’ère moderne.

L’analyse se concentre principalement sur les médias anglo-saxons et européens, négligeant des contextes comme l’Asie ou l’Afrique, où les dynamiques des fake news diffèrent. Si le diagnostic est précis, les propositions pour lutter contre la désinformation restent parfois vagues (renforcer l’éducation aux médias, réguler les plateformes).

 

"Who on earth can you believe any more?

 I am writing this at the peak – or so I hope – of the most vicious  pandemic to have gripped the world in a century or more. The question of what information you can trust is, all of a sudden, a matter of life and death. As an average citizen you have four choices about where to find information on this new plague. You can believe the politicians. That might work if you live in, say, New Zealand or Germany – less so if you are in Brazil, Russia, China, Hungary or the United States. And maybe not so much in Britain. What about the scientists? As politicians have struggled for authority – or even understanding – some leaders thrust scientists and doctors into the limelight. We began to absorb many lessons in epidemiology, immunology, exponential curves, antibody tests, vaccines and the modelling of viral infections. And we learned that scientists disagree with each other. They harbour – and value – doubts. They even change their minds. To some this is reassuring; to others, confusing. Or we can turn to our peers. As always, there is good and bad on social media; expertise and madness; inspiration and malicious nonsense. New words have been coined – infodemic and infotagion are just two – to describe an environment of viral information chaos which nevertheless has proved massively addictive as people the world over stumble in search of light ..."

 

« Qui peut-on encore croire ?

 J'écris ces lignes au plus fort - du moins je l'espère - de la pandémie la plus virulente qui ait frappé le monde depuis plus d'un siècle. La question de savoir à quelles informations on peut se fier est, tout à coup, une question de vie ou de mort. En tant que citoyen moyen, vous avez quatre possibilités pour trouver des informations sur ce nouveau fléau. Vous pouvez croire les politiciens. Cela peut fonctionner si vous vivez en Nouvelle-Zélande ou en Allemagne, mais moins si vous êtes au Brésil, en Russie, en Chine, en Hongrie ou aux États-Unis. Et peut-être pas tant que ça en Grande-Bretagne. Qu'en est-il des scientifiques ? Alors que les hommes politiques luttent pour leur autorité, voire pour leur compréhension, certains dirigeants ont propulsé les scientifiques et les médecins sous les feux de la rampe. Nous avons commencé à absorber de nombreuses leçons d'épidémiologie, d'immunologie, de courbes exponentielles, de tests d'anticorps, de vaccins et de modélisation des infections virales. Et nous avons appris que les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux. Ils nourrissent - et apprécient - des doutes. Ils changent même d'avis. Pour certains, c'est rassurant ; pour d'autres, c'est déroutant. Nous pouvons aussi nous tourner vers nos pairs. Comme toujours, il y a du bon et du mauvais sur les médias sociaux, de l'expertise et de la folie, de l'inspiration et de l'absurdité malveillante. De nouveaux mots ont été inventés - infodémie et infotagion n'en sont que deux - pour décrire un environnement de chaos informationnel viral qui s'est néanmoins avéré massivement addictif, les gens du monde entier trébuchant à la recherche de la lumière...

 

 And then there is journalism. There has been much to admire here: some brave reporting from inside hospitals and on the streets; some clear and honest analysis; some tough investigations into governmental advice and inaction; some brilliant visualisation of data and some admirably simpleexplanations of complex concepts. The best news organisations have performed a real, vital public service.

 But – as with social media – there is bad to counter the good. Some were slow to grasp the immensity of what was happening. There will be a special place in journalistic hell for Fox News and its initial torrent of Trumpechoing propaganda. That coverage will have helped contribute to numberless deaths. There was lamentable confusion about how to cover the nightly parade of presidential lies, sulks, boasts and vainglorious irrelevance that flagged itself as public information. There was uncertainty about how to communicate risk...."

 

 Et puis il y a le journalisme. Il y a eu beaucoup de choses à admirer ici : des reportages courageux à l'intérieur des hôpitaux et dans les rues ; des analyses claires et honnêtes ; des enquêtes difficiles sur les conseils et l'inaction des gouvernements ; des visualisations brillantes de données et des explications admirablement simples de concepts complexes. Les meilleurs organismes d'information ont accompli un véritable service public vital.

 Mais, comme pour les médias sociaux, il y a du mauvais pour contrebalancer le bon. Certains ont mis du temps à saisir l'immensité de ce qui se passait. Il y aura une place spéciale dans l'enfer journalistique pour Fox News et son torrent initial de propagande Trumpechoing. Cette couverture aura contribué à la mort d'un nombre incalculable de personnes. Il y a eu une confusion lamentable sur la manière de couvrir le défilé nocturne des mensonges présidentiels, des bouderies, des vantardises et de l'insignifiance vaniteuse qui s'est présentée comme une information publique. L'incertitude régnait quant à la manière de communiquer les risques..."


"Network Propaganda: Manipulation, Disinformation, and Radicalization in American Politics" (2018) est un ouvrage majeur de Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, qui analyse la dynamique de l'information dans l'écosystème médiatique américain, en particulier pendant les élections de 2016. Une analyse plus technique des écosystèmes de désinformation, complétant le travail de Rusbridger. Une étude qui se concentre sur les États-Unis et ne s’applique pas forcément à d’autres contextes politiques.

Comment les réseaux d'information en ligne (réseaux sociaux, médias traditionnels, sites partisans) ont contribué à la polarisation politique et à la diffusion de désinformation. La thèse principale est que l'écosystème médiatique américain est structuré de manière asymétrique :

- À droite, un système médiatique très cloisonné et insulaire (Fox News, Breitbart, Infowars, etc.) favorise la propagation de récits conspirationnistes et de désinformation.

- À gauche et au centre, les médias traditionnels (CNN, NYT, MSNBC) et les réseaux sociaux maintiennent une plus grande perméabilité aux faits vérifiés, malgré des biais partisans.

Les auteurs utilisent une analyse quantitative et qualitative des flux d’information pour structurer leur méthode : cartographie des réseaux  (étude des partages sur Twitter, Facebook et des liens entre sites web), analyse de contenu (comparaison des cadrages médiatiques entre médias de droite et médias traditionnels), études de cas (examen de fausses nouvelles (comme "Pizzagate") et de campagnes de désinformation). 

Les auteurs en concluent 

- une asymétrie de la désinformation : la désinformation circule principalement dans les cercles conservateurs, où elle est amplifiée par des médias partisans et des influenceurs. Les médias libéraux et centristes seraient plus enclins à s’auto-corriger et à relayer des vérifications factuelles.

- Effet d’écho vs. chambre de résonance : les médias de droite fonctionnent comme une "chambre de résonance" (où l'information est amplifiée sans critique). Les médias traditionnels et de gauche forment plutôt des "écosystèmes de vérification", où les fausses informations sont plus souvent contestées.

- Le rôle des plateformes sociales : Facebook et Twitter ont permis une diffusion virale de la désinformation, mais celle-ci reste concentrée dans des niches idéologiques. Les algorithmes favorisent l’engagement émotionnel, ce qui avantage les contenus sensationnalistes.

- Radicalisation et polarisation : l’isolement médiatique de la droite américaine a facilité la montée du trumpisme et des théories du complot. Les médias traditionnels, en cherchant à équilibrer leur couverture ("bothsidesism"), ont parfois légitimé des discours infondés.

Certains chercheurs contesteront l’idée d’une asymétrie aussi nette, arguant que la gauche peut aussi être sujette à la désinformation (ex. : Russiagate). Et les plateformes elles-mêmes ont évolué depuis 2016 (modération renforcée, nouveaux algorithmes), ce qui pourrait modifier les dynamiques observées.


"The Hype Machine: How Social Media Disrupts Our Elections, Our Economy, and Our Health—and How We Must Adapt (2020), Sinan Aral, expert en économie numérique et professeur au MIT, analyse comment les réseaux sociaux façonnent nos comportements, nos opinions et nos sociétés. Sa thèse principale est que les plateformes sociales (Facebook, Twitter, YouTube, etc.) forment une "machine à hype" (Hype Machine) qui amplifie à la fois le meilleur et le pire de l’humanité : côté positif, une connexion sociale, de l'innovation, une mobilisation citoyenne (ex. : printemps arabes, #MeToo), et côté négatif, de la désinformation, de la polarisation, de la manipulation politique. L'auteur pour soutenir ses thèses s’appuie sur des études comportementales (expériences en ligne, A/B testing), sur des analyse de millions de posts (pour mesurer la viralité), sur des modèles d’incitation des plateformes (modèle publicitaire basé sur l’attention) et sur des cas concrets (influence des réseaux sur les élections,Trump 2016, Brexit, ou problèmes de santé publique, anti-vaccins, troubles alimentaires).

Ses principales conclusions : 

- La viralité comme moteur des réseaux sociaux - Un principe de base, les algorithmes privilégient les contenus qui suscitent des réactions fortes (colère, peur, surprise). L'Effet "Fake News spreads faster" : les fausses informations se propagent 6 fois plus vite que les vraies (étude MIT 2018). Biais émotionnels : les posts moralisateurs ou outrageux sont plus partagés, ce qui favorise la polarisation.

- La Manipulation politique et désinformation - Micro-ciblage : les campagnes politiques utilisent les données personnelles pour influencer les électeurs (ex. : Cambridge Analytica). - Bots et astroturfing : des comptes automatisés amplifient artificiellement des messages (ex. : interférences russes en 2016). - Chambres d’écho : les algorithmes enferment les utilisateurs dans des bulles idéologiques.

- Les impacts économiques et sanitaires - Attention economy : les plateformes monétisent l’engagement, même s’il est toxique. - Impact sur la santé mentale : augmentation de l’anxiété et de la dépression chez les adolescents (liens démontrés avec Instagram). - Problèmes d’addiction (dopamine des likes et notifications). - Désinformation médicale : mouvements anti-vaccins - Promotion de régimes dangereux ou de pseudo-sciences.

- Un constat, l'échec de l’autorégulation : les plateformes ont tardé à réagir (Facebook minimisant longtemps l’impact des fake news) et la modération reste insuffisante (problème de scale, biais culturels).

En réaction, Aral défend une triple approche triple, - 1) une régulation gouvernementale, via la fameuse transparence algorithmique, l'obligation des plateformes à révéler comment leurs algorithmes sélectionnent les contenus), la lutte contre la désinformation (étiquetage des sources douteuses (comme Twitter avec les tweets trompeurs, régulation des publicités politiques, interdiction du micro-ciblage) et la protection des données et règles strictes type GDPR. - 2). des innovations technologiques, avec la désalgorithmisation (options chronologiques), la détection automatisée des deepfakes et fake news via IA, la promotion des contenus vérifiés (ex. : Facebook favorisant les médias certifiés). - 3). des changements individuels et sociaux (éducation aux médias, - apprendre à repérer les biais et la désinformation -, responsabilisation des entreprises, modèles économiques alternatifs tels que les abonnements sans pubs (ex. : Substack) pour réduire la dépendance à l’engagement.

Sans réforme, les réseaux sociaux peuvent-ils réellement détruire le débat démocratique? Une telle vision n'est-elle pas elle-même biaisée et à charge, c'est oublier bien d'autres effets, plus insidieux, dont les médiats traditionnels ne sont pas exempts ... 


"The Misinformation Age: How False Beliefs Spread" (2019), de Cailin O’Connor & James Weatherall, le premier est philosophe des sciences et le second physicien et philosophe : tous deux tentent de nous expliquer pourquoi les fausses croyances persistent et se propagent dans les sociétés modernes, malgré un accès généralisé à l’information. - The social dynamics of “alternative facts”: why what you believe depends on who you know. Why should we care about having true beliefs? And why do demonstrably false beliefs persist and spread despite bad, even fatal, consequences for the people who hold them? - Les philosophes des sciences Cailin O’Connor et James Weatherall soutiennent que ce sont les facteurs sociaux, plutôt que la psychologie individuelle, qui sont essentiels pour comprendre la propagation et la persistance de fausses croyances. Leur thèse principale est que la désinformation n’est pas seulement un problème individuel (manque d’esprit critique), mais un phénomène social et structurel, influencé par :

- les dynamiques de groupe (conformisme, polarisation).

- les biais cognitifs (raisonnement motivé, biais de confirmation).

- les structures de pouvoir (intérêts politiques/économiques qui exploitent l’ignorance).

Contrairement à d’autres ouvrages sur le sujet, ils insistent sur le fait que la science elle-même n’est pas immunisée contre la désinformation (ex. : climatoscepticisme, négationnisme vaccinal). Pour appuyer leurs propos, les auteurs utilisent des modèles mathématiques (théorie des réseaux, théorie des jeux) pour expliquer la propagation des croyances, des études historiques (ex. : tabagisme et désinformation orchestrée par l’industrie du tabac), des expériences psychologiques (biais cognitifs, influence sociale). Leur approche est interdisciplinaire, mêlant philosophie, sociologie et sciences politiques.

En conclusion, que disent-ils, 

- La désinformation comme phénomène social (pas seulement individuel) - Un exemple clé, la campagne de l’industrie du tabac pour nier les dangers du tabagisme, malgré des preuves scientifiques accablantes. Des acteurs puissants (entreprises, gouvernements) peuvent fabriquer artificiellement le doute en exploitant les failles du débat public.

- Le rôle des réseaux sociaux dans l’amplification, illustré par le fameux effet "echo chamber"(les communautés en ligne renforcent les croyances partagées, même fausses) et les bien connus "biais algorithmiques" (les plateformes favorisent les contenus engageants, donc souvent extrêmes ou trompeurs). Alors que dans "The Hype Machine", Aral se concentre sur l’économie de l’attention, O’Connor & Weatherall analysent comment les structures sociales rendent les gens vulnérables.

- Mais pourquoi la science est-elle si vulnérable à la désinformation - On peut évoquer le "doute manufacturé", les stratégies utilisées par les lobbies (climat, tabac, pesticides) pour semer la confusion, et le problème de "balance fallacy" : les médias présentent parfois les débats scientifiques comme équilibrés (ex. : "pro vs anti-vaccins"), alors qu’il y a un consensus scientifique écrasant d’un côté.

Pour lutter contre la désinformation, les auteurs proposent de rééformer les institutions scientifiques pour mieux communiquer (ex. : éviter le jargon, clarifier les consensus), de réguler les acteurs malveillants (comme les lobbies qui financent la désinformation), d'encourager l’éducation aux médias et à la pensée critique, et dde changer les incitations sur les réseaux sociaux. Les auteurs continuent à croire en la capacité de la science à s’autoréguler ...


Jeffrey Dvorkin, ancien journaliste à la NPR et expert en éthique des médias, explore dans "Trusting the News in a Digital Age" (2021) la crise de confiance dans le journalisme à l'ère du numérique.

Sa thèse centrale est que la désinformation, la polarisation et les modèles économiques des médias ont érodé la crédibilité de l'information, mais qu'une reconstruction de la confiance est possible grâce à une meilleure éthique journalistique, une éducation aux médias et une régulation responsable des plateformes.

Dvorkin s'appuie, pour étayer ses propos, sur des entretiens avec des journalistes, éditeurs et experts des médias, des études de cas sur des scandales médiatiques (ex. : couverture de Trump, traitement des mouvements sociaux), une analyse historique comparant l'évolution du journalisme (de l'imprimé au numérique). Son approche est à la fois critique et constructive, évitant le pessimisme tout en reconnaissant les défis majeurs.

 

Pourquoi la confiance dans les médias s'effondre-t-elle ?

- Polarisation politique : Les médias sont perçus comme partisans (ex. : Fox News vs MSNBC).

- Modèles économiques toxiques : Le clique-bait et l'info en continu privilégient le sensationnalisme.

- Désinformation en ligne : Les réseaux sociaux brouillent la frontière entre info et intox.

- Déconnexion journalistes/public : Les salles de rédaction manquent de diversité et semblent élitistes.

 

Le rôle des réseaux sociaux dans la crise

- Algorithmes qui divisent : Ils amplifient les contenus extrêmes pour maximiser l'engagement.

- Vitesse vs vérification : Le partage instantané prime sur l'exactitude (ex. : fausses nouvelles lors d'attaques terroristes).

- Monétisation de la colère : Les contenus outrageux génèrent plus de revenus publicitaires.

 

Les erreurs du journalisme traditionnel

- "Bothsidesism" (faux équilibre) : Donner autant de poids à des positions marginales qu'aux faits (ex. : climatosceptiques vs climatologues).

- Manque de transparence : Les audiences ne comprennent pas comment les reportages sont produits.

- Surenchère émotionnelle : Le ton alarmiste mine la crédibilité (ex. : couverture du COVID-19).

 

Dès lors, comment restaurer la confiance, si ce n'est par une plus grande transparence radicale (expliquer les choix éditoriaux, corriger les erreurs publiquement), en développant un journalisme plus local, en apprenant au public à évaluer les sources, en mettant en oeuvre de nouveaux modèles économiques (pour réduire la dépendance à la publicité, par exemple). 

Des recommandations qui supposent une volonté politique et industrielle qui manque aujourd'hui ...


Uwe Krüger, chercheur en sciences des médias allemand, dans « Mainstream: Warum wir den Medien nicht mehr trauen » (2016) se livre à une analyse des raisons de la défiance croissante envers les médias traditionnels en Allemagne et en Europe. Sa thèse principale est que les grands médias (presse écrite, télévision) sont devenus trop homogènes dans leur traitement de l’information, reproduisant un mainstream politico-médiatique qui marginalise les opinions divergentes et favorise une forme de conformisme journalistique.

Pourquoi les médias traditionnels perdent-ils en crédibilité ? Comment les relations entre journalistes, élites politiques et économiques influencent-elles le discours médiatique ? Existe-t-il un biais systémique dans le traitement de certains sujets (comme la politique étrangère, l’économie ou les questions sociales) ?

Krüger s’appuie sur une analyse de réseau, étudiant les liens entre journalistes, experts et décideurs politiques / économiques, des  études de cas (comparaison du traitement médiatique de certains événements, tels que la crise ukrainienne, la politique européenne) et des entretiens avec des professionnels des médias. Une approche critique inspirée de Bourdieu et Chomsky (théorie de la "manufacture" du consentement).

Que conclure ...

- L’homogénéisation du discours médiatique - Une remarque que justifient la concentration des médias (peu de groupes dominent le paysage, exple. : Axel Springer en Allemagne) qui réduit la diversité des opinions, des journalistes issus des mêmes milieux (des profils socio-économiques et éducatifs similaires, ce qui influence les angles de traitement), des interconnexions médias / politique constantes (de nombreux journalistes passent par des postes gouvernementaux ou think tanks, créant des conflits d’intérêts)

- Un biais pro-occidental et pro-establishment important - Ainsi, en politique étrangère, les médias allemands suivent majoritairement la ligne atlantiste (ex. : couverture de la crise ukrainienne en 2014), en économie, on peut noter peu de remise en cause des dogmes néolibéraux (ex. : traitement des politiques d’austérité en Europe), une militarisation du discours, ainsi la banalisation des interventions militaires sous couvert de "responsabilité internationale"...

- Une certaine marginalisation des voix critiques - Il y aune dichotomie "mainstream vs. populistes"  (les médias tendent à disqualifier les opinions divergentes comme "extrémistes" ou "conspirationnistes", une tendance que l'on retrouve dans nombre d'autres pays tels que la France), un phénomène d'auto-censure, ainsi les journalistes évitent certains sujets par peur de perdre l’accès aux sources officielles...

En Conséquences, la montée de la défiance et des médias alternatifs

- Perte de crédibilité : Le public perçoit les médias comme éloignés de ses préoccupations.

- Essor des réseaux sociaux et médias "alternatifs" (ex. : RT Deutsch, blogs critiques) qui comblent le vide laissé par le mainstream.

On notera paradoxalement que certains critiques à réception du livre reprocheront à l'auteur un certain "conspirationnisme" (c'est dire la puissance de certaines connotations devenues de véritables outils à marginalisation des opinions) et de sous-estimer l’indépendance rédactionnelle des journalistes