2000 - Smart Mobs

Digital literacy & Collective intelligence - Howard Rheingold (1947), "The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier" (1993), "Smart Mobs: The Next Social Revolution" (2002), "Net Smart: How to Thrive Online" (2012) - Robert Wright (1957), "Nonzero: The Logic of Human Destiny" (1999) -   ...

 

Au cours des vingt dernières années, les technologies numériques sous la forme de médias de masse, de télévision, de musique et de films ont convergé avec des formes numériques telles que le World Wide Web et les jeux vidéo, pour nous installer dans un paysage médiatique numérique sans faille, mais a-t-on réellement constaté quelques impacts significatifs dans les domaines de l'art, de la musique, du cinéma et de la littérature

La filiation est connue, l'arrivée de la cybernétique, de l'intelligence artificielle, de l'ordinateur personnel, de l'arpanet et de l'internet, puis une jonction avec d'autres évolutions  à consonance sociétale, le féminisme, le structuralisme, la déconstruction, le punk et le bouillon de culture "Silicon Valley". Cette "culture numérique" n'est ni radicalement nouvelle, ni ultimement axée sur la technologie, rien à ce jour ne permet de la penser, si ce n'est de constater son omniprésence ...

 

Pourtant, potentiellement, pour nombre d'auteurs, la culture numérique nous ouvre bien des perspectives, et ce n'est pas tant le terme de "culture" qu'il faut ici adresser, que celui l'ouverture de l'intelligence (à supposer qu'elle soit potentiellement limitée par nature) et de l'efficacité de la pensée (à supposer que toute pensée utile ait pour source unique une pensée dite efficace) dans le sillage de la logique selon laquelle on "pense" l'intelligence artificielle. Non pas plus de savoir, non pas plus de connaissance, non pas une meilleure compréhension de soi, du monde et des autres, - au fond rien n'a changé sur ces sujets depuis que l'être humain s'est aventuré à l'extérieur de sa caverne - mais une sorte d' "intelligence collective", soif d'exaltation commune à l'état brut, spontanée, une "intelligence collective", nous dit H. Rheingold, qui fonctionne avec des communautés d'individus hors organisation traditionnelle mais en réseaux technologisés avec lesquels, désormais, à défaut de penser le monde tel qu'il est, nous pouvons le penser tel qu'il pourrait l'être et avec une "efficacité" renforcée. De l'efficience de cette pensée dépend essentiellement son contenu ... 


De l'importance de la technologie dans la transformation des formes de mobilisation collective - "Smart Mob" ("foule intelligente"? "intelligence collective"?), concept d'auto-organisation développé par Howard Rheingold dans "Smart Mobs: The Next Social Revolution" (2002) pour décrire est un groupe de personnes qui, grâce à l'utilisation des technologies mises en oeuvre dans les formes de communication instantanée (smartphones, SMS, les réseaux sociaux), est capable de se mobiliser rapidement, de manière coordonnée et efficace, pour atteindre un objectif commun. Cette coordination se fait souvent en temps réel, ce qui permet des actions collectives rapides et souvent imprévisibles (flash mobs, hashtags, boycotts, ou autres formes de protestation ou de soutien) ...


La "culture" dite "digitale" envahit donc, grossièrement, globalement, notre façon de penser et de nous comporter, les médias sociaux ont changé le monde, nous dit-on, - mais que veut-on dire par là?, avons-nous pu lire à ce sujet  des contributions suffisamment argumentées pour nous donner ne serait-ce matière à penser? - certes non, à ce jour, et notre consommation du monde est toujours aussi importante et notre affectif n'a guère évolué depuis les premiers temps de notre histoire humaine sur cette planète Terre. Dans "Social media freaks : digital identity in the network society" (2017), Dustin Kidd se demande, sans pouvoir répondre, si les médias sociaux reproduisent les inégalités ou sont éventuellement en capacité de les subvertir. Dans "Sharing our lives online : risks and exposure in social media" (2014), David Brake rappelle les risques d'exposition de nos vies privées que nous prenons inconsidérément, souvent sous une pression sociale, technologique et commerciale dont nous ne sommes pas toujours pleinement conscient. Ces "liaisons numériques" sont des liaisons potentiellement "dangereuses", certes...

Mais que peut-on en dire si ce n'est que l'adoption massive, rapide, brutale, insidieuse, de ces réseaux sociaux depuis les premiers jours de ce XXIe siècle, s'impose sans doute à nos pensées et à nos comportements,  nous ne quittons guère plus des yeux nos écrans tactiles de communication et d'affirmation de soi, c'est par eux que, que  nous nouons relations, intégrons une communauté, que nous trouvons partenaires de sexe, de vie ou de pseudo-réflexions, que nous accédons aux informations tant de l'actualité que de notre cercle plus ou moins familier, que nous nous organisons pour échanger ce que nous prétendons être nos idées, exiger plus ou moins de liberté, choisir une terrasse de café et donner notre avis sur un voyage organisé, mais au-delà? Sommes nous plus ou moins créatifs,  plus ou moins libres, plus ou moins autonomes, plus ou moins cultivés, plus ou moins lucides, plus ou moins critiques, positifs, ouverts, attentifs...

 

Et nous verrons avec Matt Ridley et Robert Wright s'ouvrir, nous dit-on, un nouveau territoire, la dynamique de la symbiose entre l'être humain et la technologie, comprendre ce qui caractérise la raison humaine impose, à défaut de ressasser de génération en génération les mêmes thématiques sans véritablement les renouveler, de comprendre les contributions complémentaires de la biologie et de la technologie, au sens large, ainsi que les schémas denses et réciproques d'influence causale et coévolutive qui semblent les relier , et, à défaut de nous donner à penser, de penser notre pensée ...

 

Apprendre à vivre collectivement, mais "apprendre", "à vivre", et "collectivement" selon une très singulière appréhension de chacun de ces termes : se fondre dans une intelligence collective, mais ce n'est pas réellement l'individu, ses caractéristiques physiques, psychologiques, morales ou intellectuelles, qui entrent ici en jeu, mais une représentation de lui-même qui s'intègrent spontanément dans une mise en scène technologisée, médiatisée, standardisée, peu de paroles, peu de réflexions, ce n'est plus ici l'essentiel. Et lorsque nous sortons de scène, nous laissons derrière nous ces empreintes digitales qui nous ont à un moment donné défini aux yeux d'une communauté éphémère sans réelle consistance à laquelle nous référer. 

 

"When I started looking into mobile telephone use in Tokyo, I discovered that Shibuya Crossing was the most mobile-phone-dense neighborhood in the world: 80 percent of the 1,500 people who traverse that madcap plaza at each light change carry a mobile phone ..." (H.Rheingold)

 

"How to Recognize the Future When It Lands on You..

THE FIRST SIGNS OF THE NEXT SHIFT BEGAN TO REVEAL THEM SELVES TO me on a spring afternoon in the year 2000. That was when I began to notice people on the streets of Tokyo staring at their mobile phones instead of talking to them. The sight of this behavior, now commonplace in much of the world, triggered a sensation I had experienced a few times before—the instant recognition that a technology is going to change my life in ways I can scarcely imagine. Since then the practice of exchanging short text messages via mobile telephones has led to the eruption of subcultures in Europe and Asia. At least one government has fallen, in part because of the way people used text messaging. Adolescent mating rituals, political activism, and corporate management styles have mutated in unexpected ways..."

 

LES PREMIERS SIGNES DU PROCHAIN CHANGEMENT ONT COMMENCÉ À SE RÉVÉLER À MOI par un après-midi de printemps de l'an 2000. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à remarquer, dans les rues de Tokyo, des gens qui fixaient leur téléphone portable au lieu de leur parler. La vue de ce comportement, aujourd'hui banalisé dans une grande partie du monde, a déclenché une sensation que j'avais déjà éprouvée quelques fois auparavant : la reconnaissance instantanée qu'une technologie allait changer ma vie d'une manière que j'ai du mal à imaginer. Depuis lors, la pratique de l'échange de courts messages textuels par le biais de téléphones mobiles a conduit à l'éruption de sous-cultures en Europe et en Asie. Au moins un gouvernement est tombé, en partie à cause de la façon dont les gens utilisaient les SMS. Les rituels d'accouplement des adolescents, l'activisme politique et les styles de gestion des entreprises ont connu des mutations inattendues.... (Smart Mobs : The Next Social Revolution", Howard Rheingold, 2002)

 

"The future of digital culture—yours, mine, and ours—depends on how well we learn to use the media that have infiltrated, amplified, distracted, enriched, and complicated our lives. How you employ a search engine, stream video from your phonecam, or update your Facebook status matters to you and everyone, because the ways people use new media in the first years of an emerging communication regime can influence the way those media end up being used and misused for decades to come.  Instead of confining my exploration to whether or not Google is making us stupid, Facebook is commoditizing our privacy, or Twitter is chopping our attention into microslices (all good questions), I’ve been asking myself and others how to use social media intelligently, humanely, and above all mindfully..."

 

L'avenir de la culture numérique - le vôtre, le mien et le nôtre - dépend de la façon dont nous apprenons à utiliser les médias qui ont infiltré, amplifié, distrait, enrichi et compliqué nos vies. La façon dont vous utilisez un moteur de recherche, dont vous diffusez des vidéos à partir de votre phonecam ou dont vous mettez à jour votre statut sur Facebook est importante pour vous et pour tout le monde, car la façon dont les gens utilisent les nouveaux médias au cours des premières années d'un régime de communication émergent peut influencer la façon dont ces médias finiront par être utilisés et mal utilisés pendant les décennies à venir.  Au lieu de limiter mon exploration à la question de savoir si Google nous rend stupides, si Facebook marchandise notre vie privée ou si Twitter découpe notre attention en micro-tranches (autant de bonnes questions), je me suis demandé, ainsi qu'à d'autres, comment utiliser les médias sociaux de manière intelligente, humaine et, surtout, réfléchie... » ("Net Smart: How to Thrive Online", Howard Rheingold, 2012)

 

"We believe that talking on a mobile phone in a public place is in part a matter of a conflict of social spaces in which people assume different faces. Mobile phone use often necessitates the interleaving of multiple activities and of multiple public faces. When mobile phone users are on the phone, they are simultaneously in two spaces: the space they physically occupy, and the virtual space of the conversation (the conversational space). When a phone call comes in (or perhaps more pretentiously, when a call is placed out), the user decides, consciously or otherwise, what face takes precedence: the face that is consonant with one’s physical environment, or that of the conversational space. The greater the conflict between the behavioral requirements of the two spaces, the more conscious, explicit, and difficult this decision might be.

 

"Nous pensons que le fait de parler au téléphone portable dans un lieu public relève en partie d'un conflit d'espaces sociaux dans lesquels les gens prennent différents visages. L'utilisation d'un téléphone portable nécessite souvent l'imbrication de plusieurs activités et de plusieurs visages publics. Lorsque les utilisateurs de téléphones portables sont au téléphone, ils se trouvent simultanément dans deux espaces : l'espace qu'ils occupent physiquement et l'espace virtuel de la conversation (l'espace conversationnel). Lorsqu'un appel téléphonique arrive (ou peut-être plus prétentieusement, lorsqu'un appel est émis), l'utilisateur décide, consciemment ou non, quel visage a la priorité : le visage qui est en accord avec son environnement physique ou celui de l'espace conversationnel. Plus le conflit entre les exigences comportementales des deux espaces est important, plus cette décision est consciente, explicite et difficile à prendre.

 

One’s assumption of multiple faces, it would seem, is what is largely at issue for those who find public mobile telephone use disturbing or even offensive. First, choosing to be behaviorally present in a different space from one’s physical location may be perceived as inconsiderate by those in the space. Second, a mobile phone user might have to violate (or at least perturb) the social norms of the physical space in order to honor the norms in the conversational space. Finally, perhaps what is most apparent to the public is that the face one presents on the phone is in contrast to the face assumed just before the phone call. This changing act brings to the fore that faces are publicly assumed, which then gives rise to the feeling that the new face and perhaps even the old face are false.

 

Il semblerait que ce soit le fait d'assumer plusieurs visages qui soit en grande partie en cause pour ceux qui trouvent l'utilisation des téléphones portables en public dérangeante, voire offensante. Tout d'abord, le choix d'une présence comportementale dans un espace différent de celui où l'on se trouve physiquement peut être perçu comme un manque d'égards par les personnes présentes dans cet espace. Deuxièmement, un utilisateur de téléphone portable peut être amené à violer (ou du moins à perturber) les normes sociales de l'espace physique afin de respecter les normes de l'espace conversationnel. Enfin, ce qui est peut-être le plus évident pour le public, c'est que le visage que l'on présente au téléphone contraste avec celui que l'on avait juste avant l'appel. Cet acte de changement met en évidence le fait que les visages sont assumés publiquement, ce qui donne lieu au sentiment que le nouveau visage et peut-être même l'ancien visage sont faux."

(Leysia Palen, Marilyn Salzman, and Ed Youngs, “Discovery andIntegration of Mobile Communications in Everyday Life,” Personal and Ubiquitous Computing Journal, vol. 5, 2001).


"Tools for Thought: The History and Future of Mind-Expanding Technology", written by Howard Rheingold (1985) - La révolution numérique n’a pas commencé avec les millionnaires adolescents de la Silicon Valley, affirme Howard Rheingold, mais avec des géants intellectuels précoces tels que Charles Babbage, George Boole et John von Neumann. Rheingold nous conte ici l’histoire de ce qu’il appelle les patriarches, les pionniers et les infonautes de l’informatique, en se concentrant en particulier sur des pionniers tels que J. C. R. Licklider, Doug Engelbart, Bob Taylor et Alan Kay. En passant pas à pas des mathématiques du XIXe siècle à l’informatique contemporaine, il présente au lecteur un fascinant recueil d’excentriques, de génies et de visionnaires de toutes sortes...

 

Howard Rheingold (1947)

Ardent zélateur de la cyberculture et encourageant les individus à s’engager de manière critique dans la "digital culture" de notre temps avec les outils numériques dont chacun de nous dispose dès qu'il est en âge de marcher, ayant enseigné dans des établissements comme l’Université de Stanford et l’UC Berkeley, Howard Rheingold s’est fait connaître dès 1993 avec un ouvrage intitulé "The Virtual Community : Homesteading on the Electronic Frontier" qui  fut l'un des premiers livres à explorer le concept des communautés en ligne. 

Un document historique et une analyse prospective du rôle d’Internet dans la société. Rheingold jetait les premières bases pour comprendre la notion de "communautés en ligne",  son impact sur l’interaction sociale, sur la fameuse participation citoyenne et l’avenir de la communication. La communauté à l’ère numérique prenait forme. 

Examinant comment chacun d'entre nous pouvaient désormais se connecter, partager des idées et établir des relations dans des espaces virtuels ("The Power of Connection"), Rheingold définissait les communautés virtuelles (virtual communities) comme des agrégations sociales qui, par-delà les frontières géographiques, émergent d’internet lorsque suffisamment d'individus mènent des discussions publiques sur un temps suffisament long pour créer un espace suscitant un sentiment de relations personnelles partagées. Le "WELL" (Whole Earth 'Lectronic Link) est une étude de cas qui sert ici de modèle à une communauté en ligne florissante où les membres s’engagent dans des discussions qui paraissent approfondies et favorise un sentiment d’appartenance et d’entraide entre ses membres.

Tout au long de ses très nombreux ouvrages, Rheingold respire l'optimisme, compte sur le potentiel des communautés virtuelles pour améliorer l’engagement civique en fournissant des plateformes de discussion politique, d’organisation de la base et d’action collective, ou plus largement encore pour autonomiser les individus et démocratiser l’information.

Défis et risques ne sont pas tout à fait sous-estimés, mais il est de ceux qui ont très tôt reconnu l’importance croissante de ces communautés dans les sphères personnelles et politiques.


Dans "Smart Mobs : The Next Social Revolution" (2002), Howard Rheingold inventait le terme "smart mobs" (foule intelligente) pour décrire le potentiel des technologies de communication mobile et d’Internet dans la façon dont nous pouvions désormais nous organiser collectivement, anticipant ainsi l’essor des médias sociaux, de l’informatique mobile et de l’utilisation de la technologie dans les mouvements sociaux. Les "smart mobs" sont définis comme des groupes de personnes capables d’agir d'une manière coordonnée même si elles ne se connaissent pas, grâce à l’utilisation d’appareils de communication mobiles, d’internet ou d’autres technologies; des groupes qui peuvent s’organiser très rapidement et efficacement pour atteindre des objectifs communs, souvent en réponse à des événements ou à des situations spécifiques.

Parmi les exemples de "Smart Mobs in Action", on peut citer la "1999 Battle of Seattle", - qui voit des manifestants utiliser le téléphone portable et l’internet pour coordonner leurs efforts lors des manifestations de l’Organisation mondiale du commerce (World Trade Organization, WTO) -, la "Philippine "People Power II" Revolution" (2001), dont les "text messaging" ont été utilisés pour organiser des manifestations de masse qui ont conduit à l’éviction du président Joseph Estrada...

 

"Bypassing the complex of broadcasting media, cell phone users themselves became broadcasters, receiving and transmitting both news and gossip and often confounding the two. Indeed, one could imagine each user becoming a broadcasting station unto him or herself, a node in a wider network of communication that the state could not possibly even begin to monitor, much less control. Hence, once the call was made for people to mass at Edsa, cell phone users readily forwarded messages they received, even as they followed what was asked of them. Cell phones then were invested not only with the power to surpass crowded conditions and congested surroundings brought about by the state’s inability to order everyday life.They were also seen to bring a new kind of crowd about, one that was thoroughly conscious of itself as a movement headed towards a common goal." (Vicente Rafael, “The Cell Phone and the Crowd: Messianic Politics in Recent Philippine History”).

 

"En contournant la complexité des médias de diffusion, les utilisateurs de téléphones portables sont devenus eux-mêmes des diffuseurs, recevant et transmettant à la fois des informations et des ragots, et confondant souvent les deux. En effet, on pourrait imaginer que chaque utilisateur devienne une station de radiodiffusion à lui tout seul, un nœud dans un réseau de communication plus large que l'État ne pourrait même pas commencer à surveiller, et encore moins à contrôler. ..."

 

C'est ainsi que la notion de "Flash Mob Phenomenon" s'est imposée, des rassemblements spontanés, souvent organisés par messagerie texte et médias sociaux, et devenus tendance culturelle : on peut se demander au passage si le contenu du message n'est pas rapidement occulter par un sentiment d'action collective technologisé qui s'apparente plus à un vaste ludiciel partagé qu'à une conscience idéologique. 

Les Implications sociales et politiques sont bien réelles, et Rheingold explore comment des groupes d'individus peuvent créer et entraîner d'autres individus dans une sorte d'intelligence et de pratique collective, renforcer un désir de participation démocratique et de perturber les structures traditionnelles du pouvoir, ou influencer le comportement économique, la consommation collaborative et favoriser la montée en puissance de nouveaux modèles commerciaux. Et toute cela, comme une formidable conséquence du développement des technologies mobiles et internet....

 

Et comment tout cela a-t-il commencé? En fait, on retrouve ici les mêmes logiques de réflexions qui eurent leurs heures de gloire depuis les décennies 1950, 1960, 1970, via par exemple la fameuse théorie des systèmes ou l'intelligence dite computationnelle, heuristiques, logique floue, réseaux de neurones, algorithmes évolutionnistes, forme de panthéisme appliqué à l'esprit, immanence d'une intelligence nous dépassant infiniment et que génère spontanément tout phénomène collectif ...

 

"Decades ago, computer scientists thought that someday there would be forms of “artificial intelligence,” but with the exception of a few visionaries, they never thought in terms of computer-equipped humans as a kind of social intelligence. Although everyone who understands the use of statistical techniques to make predictions hastens to add the disclaimer that surprises are inevitable, and one of the fundamental characteristics of complex adaptive systems is their unpredictability, the initial findings that internetworked groups of humans can exhibit emergent prediction capabilities are potentially profound...."

 

"Il y a des décennies, les informaticiens pensaient qu’un jour il y aurait des formes d'« intelligence artificielle », mais à l’exception de quelques visionnaires, ils n’ont jamais pensé aux humains équipés d’ordinateurs comme une sorte d’intelligence sociale. Bien que tous ceux qui comprennent l’utilisation des techniques statistiques pour faire des prédictions s’empressent d’ajouter le disclaimer que les surprises sont inévitables, et une des caractéristiques fondamentales des systèmes adaptatifs complexes est leur imprévisibilité, les premières conclusions selon lesquelles des groupes d’humains travaillant en réseau peuvent présenter des capacités de prédiction émergentes sont potentiellement profondes..."

 

De l'illustration de la pensée collective et de son éventuelle importance pour échapper, dans nos existences, à une pensée individuelle par trop étroite et trop vite saturée ...

 

"... Threshold models of collective action and the role of the Interaction Order are both about media for exchange of coordinating knowledge. Understanding this made it possible to see something I had not noticed clearly enough before—a possible connection between computer wearing social networks of thinking, communicating humans and the swarm intelligence of unthinking (but also communicating) ants, bees, fish, and birds. Individual ants leave chemical trail markers, and the entire nest calculates the most efficient route to a food source from a hundred aggregated trails without direction from any central brain.

Individual fish and birds (and tight-formation fighter pilots) school and flock simply by paying attention to what their nearest neighbors do. The coordinated movements of schools and flocks is a dynamically shifting aggregation of individual decisions. Even if there were a central tuna or pigeon who could issue orders, no system of propagating orders from a central source can operate swiftly enough to avoid being eaten by sharks or slamming into trees. When it comes to hives and swarms, the emergent capabilities of decentralized self-organization can be surprisingly intelligent.

 

"... Les modèles d’action collective et le rôle de l’Ordre des interactions sont tous deux des moyens pour échanger des connaissances. Comprendre cela m’a permis de voir quelque chose que je n’avais pas remarqué assez clairement auparavant : une possible connexion entre les réseaux sociaux de pensée portés par l’ordinateur, la communication des humains et l’intelligence collective des fourmis sans pensée (mais aussi la communication), les abeilles, les poissons et les oiseaux. Les fourmis individuelles laissent des traces chimiques, et le nid entier calcule la voie la plus efficace pour se rendre à une source de nourriture à partir d’une centaine de traces agrégées sans direction provenant du cerveau central. Les poissons et les oiseaux (ainsi que les pilotes de chasse en formation serrée) font école et se rassemblent simplement en prêtant attention à ce que leurs voisins les plus proches font. Les mouvements coordonnés des écoles et des troupeaux sont une agrégation dynamique de décisions individuelles. Même s’il y avait un thon ou un pigeon central qui pouvait émettre des ordres, aucun système de propagation d’ordres à partir d’une source centrale ne peut fonctionner assez rapidement pour éviter d’être mangé par les requins ou de se jeter dans les arbres. En ce qui concerne les ruches et les essaims, les capacités émergentes de l’auto-organisation décentralisée peuvent être étonnamment intelligentes.

 

What happens when the individuals in a tightly coordinated group are more highly intelligent creatures rather than simpler organisms like insects or birds? How do humans exhibit emergent behavior? As soon as this question occurred to me, I immediately recalled the story Kevin Kelly told at the beginning of "Out of Control", his 1994 book about the emergent behaviors in biology, machinery, and human affairs. He described an event at an annual film show for computer graphics professionals. A small paddle was attached to each seat in the auditorium, with reflective material of contrasting colors on each side of the paddle. The screen in the auditorium displayed a high-contrast, realtime video view of the audience. The person leading the exercise, computer graphics wizard Loren Carpenter, asked those on one side of the auditorium aisle to hold the paddles with one color showing and asked the other half of the audience to hold up the opposite color. Then, following Carpenter’s suggestions, the audience self-organized a dot that moved around the screen, added a couple of paddles on the screen, and began to play a giant game of self-organized video Pong, finally creating a graphical representation of an airplane and flying it around the screen. Like flocks, there was no central control of the exercise after Carpenter made a suggestion. Members of the audience paid attention to what their neighbors were doing and what was happening on the screen. Kelly used this as an example of a self-conscious version of flocking behavior.

 

Que se passe-t-il lorsque les individus d’un groupe étroitement coordonné sont des créatures plus intelligentes que des organismes plus simples comme les insectes ou les oiseaux? Comment les humains présentent-ils un comportement émergent? Dès que cette question m’est venue à l’esprit, je me suis immédiatement rappelé l’histoire que Kevin Kelly a racontée au début de "Out of Control", son livre de 1994 sur les comportements émergents en biologie, machinerie et affaires humaines. Il a décrit un événement qui se déroulait lors d’une exposition annuelle de films pour les professionnels de l’infographie. Une petite pagaie était attachée à chaque siège de l’auditorium, avec du matériel réfléchissant de couleurs contrastées de chaque côté de la pagaie. L’écran de la salle affichait une vue vidéo en temps réel et à fort contraste du public. La personne qui a mené l’exercice, Loren Carpenter, un assistant en infographie, a demandé aux personnes qui se trouvaient d’un côté de l’allée de l’auditorium de tenir les palettes en une seule couleur et a demandé à l’autre moitié de l’auditoire de tenir la couleur opposée. Puis, suivant les suggestions de Carpenter, le public s’est auto-organisé un point qui se déplaçait autour de l’écran, a ajouté quelques palettes sur l’écran et a commencé à jouer un jeu géant d’auto-Organiser la vidéo Pong, enfin créer une représentation graphique d’un avion et le faire voler autour de l’écran. Comme pour les troupeaux, il n’y avait pas de contrôle central de l’exercice après que Carpenter eut fait une suggestion. Les membres du public ont prêté attention à ce que leurs voisins faisaient et à ce qui se passait sur l’écran. Kelly a utilisé cela comme un exemple d’une version consciente du comportement de flocage.

(...)

At this point, connections between the behavior of smart mobs and the behavior of swarm systems must be tentative, yet several of the earliest investigations have shown that the right kinds of online social networks know more than the sum of their parts: Connected and

communicating in the right ways, populations of humans can exhibit a kind of “collective intelligence.” In the summer between my smart mob inquiries in Scandinavia and my expedition to Tokyo, my inquiries brought me to a fellow who seems to have discovered the underpinnings of group intelligence. Bernardo Huberman, formerly at Xerox PARC, now scientific director of Hewlett-Packard’s Information Dynamics research laboratory, was doing intriguing research on the emergence of primitive forms of collective intelligence.

(...)

À ce stade, les liens entre le comportement des groupes d’internautes et celui des essaims doivent être timides, mais plusieurs des premières recherches ont montré que les bons types de réseaux sociaux en ligne savent plus que la somme de leurs parties : Les populations humaines, connectées et communiquant de la bonne façon, peuvent présenter une sorte d’« intelligence collective ». Entre mes enquêtes sur la mafia en Scandinavie et mon expédition à Tokyo, mes enquêtes m’ont mené à un homme qui semble avoir découvert les fondements de l’intelligence de groupe. Bernardo Huberman, ancien du Xerox PARC, aujourd’hui directeur scientifique du laboratoire de recherche Information Dynamics de Hewlett-Packard, faisait des recherches intrigantes sur l’émergence de formes primitives d’intelligence collective...."

(...)

"Intelligence is not restricted to single brains; it also appears in groups, such as insect colonies, social and economic behavior in human societies, and scientific and professional communities. In all these cases, large numbers of agents capable of local tasks that can be conceived of as computations, engage in collective behavior which successfully deals with a number of problems that transcend the capacity of any individual to solve. . . . When large numbers of agents capable of symbolic processing interact with each other, new universal regularities in their overall behavior appear. Furthermore, these regularities are quantifiable and can be experimentally tested.

 

L’intelligence n’est pas limitée à un seul cerveau; elle apparaît également dans des groupes, comme les colonies d’insectes, le comportement social et économique dans les sociétés humaines, et les communautés scientifiques et professionnelles. Dans tous ces cas, un grand nombre d’agents capables de tâches locales qui peuvent être conçues comme des calculs, s’engagent dans un comportement collectif qui traite avec succès un certain nombre de problèmes qui transcendent la capacité de n’importe quel individu à résoudre. ... Lorsque de nombreux agents capables de traitement symbolique interagissent entre eux, de nouvelles régularités universelles apparaissent dans leur comportement global. De plus, ces régularités sont quantifiables et peuvent être testées expérimentalement.

 

(...)

 

Il ne s'agit plus de "penser" mais de "penser plus efficacement", c'est bien de cette plus grande "efficience" de notre cerveau que naîtront sans doute créativité et réflexion ...

 

"Clark believes that future cognitive technologies will make it harder to draw the line between tool and user: “What are these technologies? They include potent, portable machinery linking the user to an increasingly responsive World Wide Web. But they include also, and perhaps ultimately more importantly, the gradual smartening up and interconnection of the many everyday objects which populate our homes and offices.” (Andy Clark, “Natural-Born Cyborgs?” in Cognitive Technology : Instruments of Mind, Proceedings of the 4th International Conference on Cognitive Technology, ed. M. Benyon, C. Nehaniv, and K. Dautenhahn, Berlin: Springer-Verlag, 2001).

Clark’s notions support the conjecture that smart mobs in computation-pervaded environments could enable some people to transform the way they think and the way civilization operates, the way some people used printing presses, literacy, the scientific method, and new social contracts to transform feudalism into modernism. Enlightenment rationality has its limits, but the reason it is called “the Enlightenment” is that the changes enabled by the systematic use of reason, aided by mathematics and literacy, represented a step toward a more democratic and humane world. Part of taking that step involved learning to think in new ways, aided by cognitive technologies — learning to become new kinds of humans.

 

« Clark estime que les futures technologies cognitives rendront plus difficile la distinction entre l'outil et l'utilisateur : « Quelles sont ces technologies ? Elles comprennent des machines puissantes et portables qui relient l'utilisateur à un World Wide Web de plus en plus réactif. Mais elles comprennent aussi, et peut-être surtout, l'amélioration progressive de l'intelligence et de l'interconnexion des nombreux objets quotidiens qui peuplent nos maisons et nos bureaux ».  Les notions de Clark soutiennent la conjecture selon laquelle les foules intelligentes dans des environnements envahis par l'informatique pourraient permettre à certaines personnes de transformer leur façon de penser et le fonctionnement de la civilisation, de la même façon que certaines personnes ont utilisé les presses à imprimer, l'alphabétisation, la méthode scientifique et les nouveaux contrats sociaux pour transformer le féodalisme en modernisme. 

La rationalité des Lumières a ses limites, mais la raison pour laquelle on l'appelle « les Lumières » est que les changements rendus possibles par l'utilisation systématique de la raison, aidée par les mathématiques et l'alphabétisation, représentaient un pas vers un monde plus démocratique et plus humain. Pour franchir cette étape, il fallait notamment apprendre à penser d'une nouvelle manière, avec l'aide des technologies cognitives, c'est-à-dire apprendre à devenir de nouveaux types d'humains.

 

"It would be a mistake, Clark cautions, to try to nail “human nature” down to what humans used to be, because “ours are (by nature) unusually plastic brains whose biologically proper functioning has always involved the recruitment and exploitation of non-biological props and scaffolds. More so than any other creature on this planet, we humans emerge as natural- born cyborgs, factory tweaked and primed so as to be ready to grow into extended cognitive and computational architectures: ones whose systematic boundaries far exceed those of skin and skull.”  Clark doesn’t claim a final word on the subject, but he declares the opening of a new territory for cognitive science research—the dynamics of human-technology symbiosis. “Understanding what is distinctive about human reason thus involves understanding the complementary contributions of both biology and (broadly) speaking technology, as well as the dense, reciprocal patterns of causal and co-evolutionary influence that run between them.”

 

Ce serait une erreur, avertit Clark, d'essayer de ramener la « nature humaine » à ce que les humains étaient autrefois, car « nos cerveaux sont (par nature) exceptionnellement plastiques et leur fonctionnement biologiquement correct a toujours impliqué le recrutement et l'exploitation d'accessoires et d'échafaudages non biologiques... ». Plus que toute autre créature sur cette planète, nous, les humains, émergeons comme des cyborgs nés dans la nature, des usines réglées et préparées pour être prêtes à se développer en architectures cognitives et informatiques étendues : des architectures dont les limites systématiques dépassent de loin celles de la peau et du crâne ». Clark ne prétend pas avoir le dernier mot sur le sujet, mais il déclare l'ouverture d'un nouveau territoire pour la recherche en sciences cognitives - la dynamique de la symbiose entre l'homme et la technologie. « Comprendre ce qui caractérise la raison humaine implique donc de comprendre les contributions complémentaires de la biologie et de la technologie (au sens large), ainsi que les schémas denses et réciproques d'influence causale et coévolutive qui les relient.

 

"Coevolution seems to me a key word. If Heidegger, Ellul, and Weizen-baum represent the shadow aspects of technology as an extension of the brutally mechanical and exploitive part of human nature, perhaps Clark points to a complementary way of looking at the same trait. Perhaps the transaction between danger and opportunity necessitated by our tool-making nature is not a zero-sum game but a balancing act. Certainly, we wouldn’t be using personal computers with graphic interfaces to explore a worldwide network if machines that entered the world as weapons had not been repurposed by determined people who saw them as “mindware upgrades.” ...

 

La coévolution me semble être un mot clé. Si Heidegger, Ellul et Weizenbaum représentaient les aspects obscurs de la technologie comme une extension de la partie brutalement mécanique, exploiteuse de la nature humaine, Clark indique peut-être une autre manière de considérer cette réalité. Peut-être que le lien entre la menace et l'opportunité rendue nécessaire par notre nature de fabricant d'outils n'est pas un jeu à somme nulle mais un acte d'équilibre. Il est certain que nous n'utiliserions pas d'ordinateurs personnels dotés d'interfaces graphiques pour explorer un réseau mondial si les machines qui sont entrées dans le monde en tant qu'armes n'avaient pas été réaffectées par des personnes déterminées qui les considéraient comme des « améliorations de l'esprit »....

(...)


"Nonzero: The Logic of Human Destiny", Robert Wright (1999) est une des références citées largement par  Rheingold. C'est que pour Wright, auteur à succès de "The Evolution of God" (2009), la "mondialisation", le phénomène d'interconnexion généralisée qui la caractérise, est un phénomène totalement naturel, auquel on ne peut se soustraire, la logique fondamentale de complexité croissante et de coopération qu'elle sous-tend est au coeur de l'histoire et de l'évolution de l'être humain. Cette trajectoire n’est pas aléatoire, mais suit un modèle d’interactions à "somme non nulle", où le succès d’une partie est lié au succès de l’autre, ce qui conduit à des avantages mutuels. C'est donc vers une société mondiale plus unifiée et coopérative que nous nous dirigeons inéluctablement. La logique des interactions à somme non nulle pointe vers un "destin humain" possible de coopération et d’intégration mondiales croissantes. La coopération et la complexité sont essentielles à notre progrès et façonne notre avenir, tant individuel que commun : on oublie souvent, nous dit-il, que lorsque nous interagissons de façon mutuellement profitable, nous ne sommes pas toujours conscients qu’en fait nous coopérons les uns avec les autres, et de citer des psychologues évolutionnistes affirmant que les fondements inconscients de la coopération (comme l’affection et l’indignation) sont enracinés dans nos traits génétiques. 

Après un premier best-seller, "The Moral Animal" (1994), dans lequel Robert Wright tentait d'appliquer les principes de la biologie évolutive à l’étude du mental humain, le voici  s'essayant à expliquer la direction de l’évolution et de l’histoire humaine, et plus encore où elle nous mène. Dans "Nonzero",  il affirme que depuis la première phase de l’exode, la vie a suivi un schéma fondamental. Les organismes et les sociétés humaines sont devenus plus complexes en maîtrisant les défis de la coopération interne. Le récit de Wright va des bactéries fossilisées aux chauves-souris vampires, des villages de l’âge de pierre à l’Organisation mondiale du commerce, avec la volonté considérer que, au cours de notre évolution biologique et culturelle, notre "moralité humaine" s’est améliorée au fil du temps et que notre instinct à découvrir le sens peut lui-même servir un but supérieur.  

Le concept central du livre est ici l’idée d’un jeu à somme non nulle, où tous les participants peuvent bénéficier de cette notion de "coopération" qui a forgé notre humanité. Tout au long de l’histoire, les sociétés humaines ont évolué à travers une logique continuelle d'interactions, favorisant les organismes qui peuvent coopérer et former des systèmes complexes. Des organismes simples aux sociétés humaines, ceux qui s’engagent dans des interactions à somme non nulle ont tendance à prospérer. Et les sociétés qui développent des technologies, des réseaux commerciaux et des systèmes de gouvernance qui encouragent la coopération ont tendance à être plus prospères et résilientes...

 

"We’re heading into more of that turbulence that Wright mentioned, écrit Howard Rheingold dans "Smart Mobs", pour conclure. The metatechnologies that could constrain the dangers of smart mob technologies and channel their power to beneficial ends are not fully formed yet. I believe we can do wonderful things together, if enough people learn how. How might a new literacy of cooperation look? Technologies and methodologies of cooperation are embryonic today, and the emergence of democratic, convivial, intelligent new social forms depends on how people ap- propriate, adopt, transform, and reshape the new media once they are out of the hands of engineers—as people always do.

 

... Nous allons entrer dans une turbulence plus importante que celle dont Wright a parlé. Les métatechnologies qui pourraient limiter les dangers des technologies de la foule intelligente et canaliser leur pouvoir à des fins bénéfiques ne sont pas encore complètement formées. Je crois que nous pouvons faire des choses merveilleuses ensemble, si suffisamment de gens apprennent comment.  A quoi une nouvelle culture de coopération pourrait-elle ressembler? Les technologies et méthodologies de coopération sont aujourd’hui embryonnaires, et l’émergence de nouvelles formes sociales démocratiques, conviviales, intelligentes dépend de la façon dont les gens s’approprient, adoptent, transforment, et de refaçonner les nouveaux médias une fois qu’ils sont hors de la main des ingénieurs — comme c’est toujours le cas.

 

"Over the next few years, will nascent smart mobs be neutralized into passive, if mobile, consumers of another centrally controlled mass medium? Or will an innovation commons flourish, in which a large number of consumers also have the power to produce? The convergence of smart mob technologies is inevitable. The way we choose to use these technologies and the way governments will allow us to use them are very much in question. Technologies of cooperation, or the ultimate disinfotainment apparatus? The next several years are a crucial and unusually malleable interregnum. Especially in this interval before the new media sphere settles into its final shape, what we know and what we do matters.

 

Au cours des prochaines années, les groupes de gens intelligents naissants seront-ils neutralisés et deviendront-ils des consommateurs passifs, voire mobiles, d’un autre média de masse contrôlé de manière centralisée ? Ou bien un espace commun de l’innovation va-t-il s’épanouir, dans lequel un grand nombre de consommateurs auront également le pouvoir de produire? La convergence des technologies de la mafia intelligente est inévitable. La façon dont nous choisissons d’utiliser ces technologies et la manière dont les gouvernements nous permettront de les utiliser sont très discutables. Technologies de la coopération, ou l’ultime dispositif de désinformation ? Les prochaines années sont un inter-regnum crucial et exceptionnellement malléable. Surtout dans cet intervalle avant que la nouvelle sphère des médias ne prenne sa forme finale, ce que nous savons et ce que nous faisons a son importance", et plus qu'on ne croit ...


"Net Smart: How to Thrive Online", written by Howard Rheingold (2012)

Désormais le message médiatique est assez bien répandu, savoir utiliser les outils en ligne sans être surchargé d’informations est un ingrédient essentiel à la réussite personnelle au XXIe siècle. 

 

"I believe that learning to live mindfully in cyberculture is as important to us as a civilization as it is vital to you and me as individuals. The multifold extension of human minds by chips and nets in the first decade of the twenty-first century has granted power to billions, but in these still-early years of multimedia production studios in your pocket and global information networks in the air, it is clear to even technology enthusiasts like me that our enhanced abilities to create and consume digital media will certainly mislead those who haven’t learned how to exert mental control over our use of always-on communication channels.

 

Je crois qu'apprendre à vivre en pleine conscience dans la cyberculture est aussi important pour nous en tant que civilisation que vital pour vous et moi en tant qu'individus. L'extension multiple de l'esprit humain par les puces et les réseaux au cours de la première décennie du XXIe siècle a donné du pouvoir à des milliards de personnes, mais en ces années encore précoces de studios de production multimédia dans votre poche et de réseaux d'information mondiaux dans les airs, il est clair, même pour les passionnés de technologie comme moi, que nos capacités accrues de créer et de consommer des médias numériques induiront certainement en erreur ceux qui n'ont pas appris à exercer un contrôle mental sur l'utilisation que nous faisons des canaux de communication toujours en activité.

 

The mindful use of digital media doesn’t happen automatically. Thinking about what you are doing and why you are doing it instead of going through the motions is fundamental to the definition of mindful, whether you are deciding to follow someone on Twitter, shutting the lid of your laptop in class, looking up from your BlackBerry in a meeting, or consciously deciding which links not to click. Although educational institutions have been slow to incorporate digital literacies, practical know-how is available to those who figure out how to find it. This know-how, from the art of growing social capital in virtual communities to the craft of cultivating wiki collaboration, might determine whether life online will drive us to distraction, or augment and broaden our minds...."

 

L'utilisation réfléchie des médias numériques n'est pas automatique. Réfléchir à ce que l'on fait et à la raison pour laquelle on le fait au lieu de suivre le mouvement est fondamental dans la définition de la pleine conscience, que l'on décide de suivre quelqu'un sur Twitter, que l'on ferme le couvercle de son ordinateur portable en classe, que l'on lève les yeux de son BlackBerry lors d'une réunion ou que l'on décide consciemment de ne pas cliquer sur certains liens. Bien que les établissements d'enseignement aient été lents à intégrer la culture numérique, un savoir-faire pratique est à la disposition de ceux qui savent comment le trouver. Ce savoir-faire, qui va de l'art de développer le capital social dans les communautés virtuelles à l'art de cultiver la collaboration sur wiki, pourrait déterminer si la vie en ligne nous conduira à la distraction, ou si elle augmentera et élargira notre esprit.... »

 

Mais comment utiliser ces médias numériques pour qu’ils nous rendent des participants autonomes plutôt que des récepteurs passifs? Dans « Net Smart », l’expert en cyberculture Howard Rheingold va nous montrer comment utiliser les médias sociaux de manière intelligente, humaine et surtout consciente. Utiliser les médias numériques avec conscience, c’est réfléchir à ce que nous faisons et cultiver une recherche intérieure continue sur la façon dont nous voulons passer notre temps. 

 

"One of the most powerful effects Facebook has had on a growing fraction of the human race (a half-billion users by 2011) is the way it’s transforming aspects of social relationships that had heretofore been more abstract and private into a much more concrete, public form. We have had friends since our species evolved, but Facebook now forces us to inscribe our friendships on our profile pages by listing our friends publicly, and publish information about our tastes in music and sexual preference, marital status, college networks, and workplaces. If we don’t know how to change Facebook’s privacy settings (which Facebook has notoriously changed a number of times), we disclose ourselves not only to our “friends” but also to the whole world. Not only does Facebook enable and require us to publish this information that was formerly oral and ephemeral, we cast our digital characteristics in formats that are findable through search engines, and this information is much more difficult to remove than most people are aware. As it turns out, we can learn a lot by inspecting people’s Facebook profiles...."

 

L'un des effets les plus puissants de Facebook sur une fraction croissante de l'humanité (un demi-milliard d'utilisateurs en 2011) est la façon dont il transforme des aspects des relations sociales qui étaient jusqu'alors plus abstraits et privés en une forme beaucoup plus concrète et publique. Nous avons des amis depuis que notre espèce a évolué, mais Facebook nous oblige désormais à inscrire nos amitiés sur nos pages de profil en listant nos amis publiquement, et à publier des informations sur nos goûts musicaux et nos préférences sexuelles, notre état civil, nos réseaux universitaires et nos lieux de travail. Si nous ne savons pas comment modifier les paramètres de confidentialité de Facebook (que Facebook a notoirement modifiés à plusieurs reprises), nous nous dévoilons non seulement à nos « amis », mais aussi au monde entier. Non seulement Facebook nous permet et nous oblige à publier ces informations qui étaient auparavant orales et éphémères, mais nous présentons nos caractéristiques numériques dans des formats qui peuvent être trouvés par les moteurs de recherche, et ces informations sont beaucoup plus difficiles à supprimer que la plupart des gens ne le pensent. Il s'avère que nous pouvons apprendre beaucoup de choses en inspectant les profils Facebook des gens...."

 

Rheingold décrit cinq compétences numériques fondamentales, des compétences en ligne qui nous aideront à faire cela : l’attention, la participation, la collaboration ("The Web is the primary example of network-enabled collaboration on a scale that was never before possible—a phenomenon that has become known as mass collaboration"), la consommation critique de l’information et les réseaux intelligents (five fundamental digital literacies, online skills that will help us do this: attention, participation, collaboration, critical consumption of information (or “crap detection”), and network smarts). Il explique comment fonctionne l’attention et comment nous pouvons utiliser notre attention pour nous concentrer sur la petite portion pertinente du tsunami d’informations qui arrive. Il décrit la qualité de la participation qui permet aux meilleurs des blogueurs, internautes, tweeters et autres participants à la communauté en ligne (the best of the bloggers, netizens, tweeters, and other online community participants) d’accéder à l’information; il examine comment les entreprises collaboratives en ligne apportent de nouvelles connaissances au monde de manière inédite (how successful online collaborative enterprises contribute new knowledge to the world); la volonté de nous enseigner ce que sont "réseaux" et conception de réseaux. 

Mais Rheingold souligne qu’il y a un problème social plus important à l’œuvre dans ce processus de mise en culture numérique, qui va au-delà de l’autonomisation personnelle. Si nous combinons nos efforts individuels à bon escient, cela ne pourrait-il pas "produire une société plus réfléchie" (la fameuse "intelligence collective" dont notre auteur tente par tous les moyens de nous convaincre de sa réalité)  : d’innombrables petits actes comme la publication d’une page Web ou le partage d’un lien ne pourraient-ils pas contribuer à une forme de "conscience collective" qui enrichit tout un chacun ?

 

"I believe that learning to live mindfully in cyberculture is as important to us as a civilization as it is vital to you and me as individuals. The multifold extension of human minds by chips and nets in the first decade of the twenty-first century has granted power to billions, but in these still-early years of multimedia production studios in your pocket and global information networks in the air, it is clear to even technology enthusiasts like me that our enhanced abilities to create and consume digital media will certainly mislead those who haven’t learned how to exert mental control over our use of always-on communication channels.

 

Je crois qu'apprendre à vivre en pleine conscience dans la cyberculture est aussi important pour nous en tant que civilisation qu'il est vital pour vous et moi en tant qu'individus. L'extension multiple de l'esprit humain par les puces et les réseaux au cours de la première décennie du XXIe siècle a donné du pouvoir à des milliards de personnes, mais en ces années encore précoces de studios de production multimédia dans votre poche et de réseaux d'information mondiaux dans les airs, il est clair, même pour les passionnés de technologie comme moi, que nos capacités accrues de créer et de consommer des médias numériques induiront certainement en erreur ceux qui n'ont pas appris à exercer un contrôle mental sur l'utilisation que nous faisons des canaux de communication toujours en activité.

 

The mindful use of digital media doesn’t happen automatically. Thinking about what you are doing and why you are doing it instead of going through the motions is fundamental to the definition of mindful, whether you are deciding to follow someone on Twitter, shutting the lid of your laptop in class, looking up from your BlackBerry in a meeting, or consciously deciding which links not to click. Although educational institutions have been slow to incorporate digital literacies, practical know-how is available to those who figure out how to find it. This know-how, from the art of growing social capital in virtual communities to the craft of cultivating wiki collaboration, might determine whether life online will drive us to distraction, or augment and broaden our minds.

 

L'utilisation réfléchie des médias numériques n'est pas "automatique". Réfléchir à ce que l'on fait et à la raison pour laquelle on le fait au lieu de suivre le mouvement est fondamental dans la définition de la pleine conscience, que l'on décide de suivre quelqu'un sur Twitter, que l'on ferme le couvercle de son ordinateur portable en classe, que l'on lève les yeux de son BlackBerry lors d'une réunion ou que l'on décide consciemment de ne pas cliquer sur certains liens. Bien que les établissements d'enseignement aient été lents à intégrer la culture numérique, un savoir-faire pratique est à la disposition de ceux qui savent comment le trouver. Ce savoir-faire, qui va de l'art de développer le capital social dans les communautés virtuelles à l'art de cultiver la collaboration sur les wikis, pourrait déterminer si la vie en ligne nous conduira à la distraction ou si elle augmentera et élargira notre esprit.

 

For individuals, the issue of where digital culture may be heading  is personal as well as philosophical: knowing how to make use of online tools without being overloaded with too much information is, like it or not, an essential ingredient to personal success in the twenty-first century. Just as learning to drive an automobile (or at least learning how to survive as a pedestrian) was crucial for citizens of the early twentieth century, learning how to deploy attention in relation to available media is key today for success in education, business, and social life. Similarly, those who understand the fundamentals of digital participation, online collaboration, informational credibility testing, and network awareness will be able to exert more control over their own fates than those who lack this lore.

 

Pour les individus, la question de la direction que peut prendre la culture numérique est à la fois personnelle et philosophique : savoir comment utiliser les outils en ligne sans être surchargé d'informations est, qu'on le veuille ou non, un ingrédient essentiel de la réussite personnelle au XXIe siècle. Tout comme apprendre à conduire une automobile (ou au moins à survivre en tant que piéton) était crucial pour les citoyens du début du vingtième siècle, apprendre à déployer son attention par rapport aux médias disponibles est aujourd'hui essentiel pour réussir dans l'éducation, les affaires et la vie sociale. De même, ceux qui comprennent les principes fondamentaux de la participation numérique, de la collaboration en ligne, de l'évaluation de la crédibilité des informations et de la connaissance des réseaux seront en mesure d'exercer un meilleur contrôle sur leur propre destin que ceux qui n'ont pas cette connaissance.

 

I see a bigger social issue at work with digital literacy, in addition to personal empowerment: if we combine our individual efforts wisely, enough of the right know-how could add up to a more thoughtful society as well as enhance those individuals who master digital network skills. Web 2.0 impresario Tim O’Reilly claims that the secret sauce behind Google, Wikipedia, and the Web itself is the “architecture of participation,” enabling countless small acts of self-interest like publishing a Web page or sharing a link to add up to a public good that enriches everybody. Examples of the social-media-enabled public goods that grow out of self-interested actions include the Web and free online search engines.

I don’t believe that technology itself, a fixed human nature, or the powers that be wholly determine who ends up in control and who ends up being controlled by others when a communication medium is adopted. But I do recognize that powers eventually emerge that try to close gates, meter resources, and lock down liberties. I’m enough of an optimist to persist in believing that this hasn’t happened quite yet, despite real advances in the direction of control by governments and corporations around the world. Right now (and for a limited time), we who use the Web have an opportunity to wield the architecture of participation to defend our freedom to create and consume digital media according to our own agendas. Or by not acting in our own interests, we can let others shape our future.

 

Je vois un enjeu social plus important dans la culture numérique, en plus de l'autonomisation personnelle : si nous combinons judicieusement nos efforts individuels, une quantité suffisante de savoir-faire pourrait permettre de créer une société plus réfléchie et d'améliorer les compétences des individus qui maîtrisent les réseaux numériques. Tim O'Reilly, l'impresario du Web 2.0, affirme que la sauce secrète de Google, de Wikipédia et du Web lui-même est l'« architecture de la participation », qui permet à d'innombrables petits actes d'intérêt personnel, comme la publication d'une page Web ou le partage d'un lien, de s'ajouter à un bien public qui enrichit tout le monde. Le Web et les moteurs de recherche en ligne gratuits sont des exemples de biens publics fondés sur les médias sociaux qui résultent d'actions intéressées.

Je ne crois pas en la technologie elle-même seule, une nature humaine figée ou les pouvoirs en place déterminent entièrement qui finit par contrôler et qui finit par être contrôlé par d'autres lorsqu'un moyen de communication est adopté. Mais je reconnais que des formes de pouvoir peuvent émerger pour tenter de fermer toutes portes, de contrôler les ressources et de verrouiller les libertés. Je suis suffisamment optimiste pour persister à croire que cela ne s'est pas encore produit, malgré les progrès réels réalisés dans le sens du contrôle par les gouvernements et les entreprises du monde entier. À l'heure actuelle (et pour un temps limité), nous, les utilisateurs du web, avons la possibilité d'utiliser l'architecture de la participation pour défendre notre liberté de créer et de consommer des médias numériques en fonction de notre propre agenda. Ou bien, en n'agissant pas dans notre propre intérêt, nous pouvons laisser les autres façonner notre avenir."