2000 - Smart Mobs

Digital literacy & Collective intelligence - Matt Ridley (1958), "The Origins of Virtue : Human Instincts and the Evolution of Cooperation" (1997), "The Red Queen: Sex and the Evolution of Human Nature" (1993), "When Ideas Have Sex" (2011), "The Evolution of Everything : How New Ideas Emerge" (2015) - James Surowiecki (1967) , "The Wisdom of Crowds ; Why the Many Are Smarter Than the Few and How Collective Wisdom Shapes Business, Economies, Societies, and Nations" (2004) - ...

 


"The Dawn of the Human Network" - Globalement le terme d" "intelligence collective" fait référence à la capacité d'un groupe de personnes à collaborer et à combiner leurs connaissances, compétences et expériences pour résoudre des problèmes, innover, ou prendre des décisions plus efficacement qu'un individu seul. L'idée de base est donc bien connue, la somme des contributions de plusieurs individus peut générer une connaissance ou une solution supérieure à celle qu'aurait pu produire une seule personne. L'internet et les réseaux sociaux ont permis d'illustrer un tel phénomène, de l'amplifier et de le transformer. Les plateformes en ligne comme Wikipedia, Reddit, et Quora sont des exemples de ce qu'on nomme le "crowdsourcing" : des centaines de milliers d'individus contribuent de manière bénévole à la création d'un véritable réservoir de connaissances partagées...

 

"The essence of crowdsourcing can be captured by the words: “crowd” and “outsourcing.” The history of crowdsourcing can be traced back to the early eighteenth century when the British government try to outsource the Longitude Problem to a crowd in pursuit of a solution toward safe sailing in the sea. The Oxford dictionary was the product of a crowdsourcing effort in the nineteenth century. In the twentieth century, Toyota selected its company logo through a crowdsourcing competition. 

The advancement of the Internet has enabled crowdsourcing to flourish in the early twenty-first century. The Internet has lowered the bar for a crowd to enter a crowdsourcing task. The term crowdsourcing was first proposed in 2006 by Howe and Robinson. The first scholarly paper that used the term crowdsourcing was by Brabham in 2008. Since the use of word crowdsourcing, there have been nearly 40 different interpretations of crowdsourcing. As time goes on, the notion of  crowdsourcing and its key components have converged to the following: (1) there is an organization that has a task that needs to be performed or solved; (2) there is a  crowd that is willing to perform the task either by incentive or voluntarily; (3) there is an online environment, also called a platform (e.g., Amazon’s Mechanical Turks), that facilitates the interaction between the organization and the crowd. 

 

L'essence du crowdsourcing peut être résumée par les mots « foule » et « externalisation » : « foule » et “externalisation”. L'histoire du crowdsourcing remonte au début du XVIIIe siècle, lorsque le gouvernement britannique a tenté de confier le problème de la longitude à une foule à la recherche d'une solution pour naviguer en mer en toute sécurité. Le dictionnaire Oxford est le fruit d'un effort de crowdsourcing au dix-neuvième siècle. Au XXe siècle, Toyota a choisi son logo à l'issue d'un concours de crowdsourcing. 

Les progrès de l'Internet ont permis au crowdsourcing de prospérer au début du XXIe siècle. Internet a abaissé le seuil de participation d'une foule à une tâche de crowdsourcing. Le terme « crowdsourcing » a été proposé pour la première fois en 2006 par Howe et Robinson. Le premier article scientifique à utiliser le terme crowdsourcing a été rédigé par Brabham en 2008. Depuis l'utilisation du terme crowdsourcing, il y a eu près de 40 interprétations différentes du crowdsourcing. Au fil du temps, la notion de crowdsourcing et ses composantes clés ont convergé vers ce qui suit : (1) une organisation a une tâche à accomplir ou à résoudre ; (2) une foule est prête à accomplir la tâche, soit par incitation, soit volontairement ; (3) un environnement en ligne, également appelé plateforme (par exemple, Mechanical Turks d'Amazon), facilite l'interaction entre l'organisation et la foule. 

 

The early twenty-first-century applications of crowdsourcing can be called crowdsourcing 1.0, which includes businesses using crowdsourcing to accomplish various tasks, including the ability to offload peak demand, accessing cheap labor, generating better results in a timely matter, and reaching out to a wider array of talent outside the organization. In the past decade, the widely used smart phones further broaden the horizon of the crowdsourcing applications. A smart phone can be used to perform basic sensing activities, perform basic computations, and communicate with other devices and with edge/cloud. With the explosive popularity of small phones and other small IoT devices and the rapid development of wireless networks and communication technology, we have reached an era of crowdsourcing 2.0, also called mobile crowdsourcing.

 

Les applications du crowdsourcing au début du XXIe siècle peuvent être appelées crowdsourcing 1.0, qui comprend les entreprises utilisant le crowdsourcing pour accomplir diverses tâches, y compris la capacité de décharger la demande de pointe, l'accès à une main-d'œuvre bon marché, la production de meilleurs résultats dans un délai raisonnable, et l'accès à un plus large éventail de talents en dehors de l'organisation. Au cours de la dernière décennie, l'utilisation généralisée des téléphones intelligents a encore élargi l'horizon des applications de crowdsourcing. Un téléphone intelligent peut être utilisé pour effectuer des activités de détection et de calcul de base, et communiquer avec d'autres appareils et avec la périphérie/le nuage. Avec la popularité explosive des petits téléphones et autres petits appareils IoT et le développement rapide des réseaux sans fil et de la technologie de communication, nous sommes entrés dans l'ère du crowdsourcing 2.0, également appelé "CROWDSOURCING MOBILE".

 

"Mobile crowdsensing, also known as spatial crowdsourcing, can be described as an extension of crowdsourcing to the mobile network to combine the idea of crowdsourcing with the sensing capacity of mobile devices. As a promising paradigm for completing complex sensing and computation tasks, mobile crowdsensing serves the vital purpose of exploiting the ubiquitous smart devices carried by mobile users to make conscious or unconscious collaboration through mobile networks, to complete large-scale and fine-grained sensing and computing tasks. Considering that we are in the era of mobile Internet, mobile crowdsensing is developing rapidly and has great advantages in deployment and maintenance, sensing range and granularity, reusability, and other aspects. Due to the benefits of using mobile crowdsensing, many emergent applications are now available for individuals, business enterprises, and governments. In addition, many new techniques have been developed and are being adopted..."

 

« Le crowdsensing mobile, également connu sous le nom de CROWDSOURCING SPATIAL, peut être décrit comme une extension du crowdsourcing au réseau mobile afin de combiner l'idée du crowdsourcing avec la capacité de détection des appareils mobiles. En tant que paradigme prometteur pour la réalisation de tâches complexes de détection et de calcul, le crowdsourcing mobile sert l'objectif vital d'exploiter les appareils intelligents omniprésents portés par les utilisateurs mobiles pour effectuer une collaboration consciente ou inconsciente à travers les réseaux mobiles, afin de réaliser des tâches de détection et de calcul à grande échelle et à granularité fine. 

Étant donné que nous sommes à l'ère de l'INTERNET MOBILE, le crowdsensing mobile se développe rapidement et présente de grands avantages en termes de déploiement et de maintenance, de portée et de granularité de la détection, de réutilisation et d'autres aspects. Grâce aux avantages de l'utilisation de la détection mobile de foule, de nombreuses applications émergentes sont désormais disponibles pour les particuliers, les entreprises et les gouvernements. En outre, de nombreuses nouvelles techniques ont été développées et sont en cours d'adoption... » ("Mobile Crowdsourcing: From Theory to Practice (Wireless Networks)", written by Jie Wu, 2023)


"Mindsharing: The Art of Crowdsourcing Everything", Lior Zoref (2014)

D'emblée, le postulat est le suivant, pour une pensée critique, cela reste postulat : avec plus de la moitié des adultes américains qui utilisent Facebook, Twitter et LinkedIn, nous sommes plus connectés que jamais; ces liens sont désormais notre plus grande source de connaissances et de prise de décisions. Que nous ayons besoin de faire de meilleurs choix financiers, de trouver l’amour de notre vie ou de transformer notre carrière, cette technologie du "partage d’esprit" (mind Sharing) offre des moyens hors du commun d’utiliser des "outils numériques" pour améliorer notre façon de penser, et sans doute de vivre. Grâce au pouvoir du "partage d’esprit", nous pouvons tous apprendre à prendre des décisions plus rapides, plus sages et plus objectives sur n’importe quel aspect de notre vie. Le "partage d’esprit" est l’endroit où l’innovation et la créativité sont alimentées par la sagesse collective de nos réseaux numériques. 

 

"When we reach out to the crowd for wisdom, we are able to access decision-making skills that are free of our own emotion. We are able to seek out the solutions to our problems and weigh our choices free of the bias intrinsic to unilateral decision making. If we learn to rely on and trust the wisdom of the crowd, our decisions will be better, quicker, and easier. There is a power in crowd wisdom, and this power is harnessed through technology and social media. The crowd (specifically, Aya Shapir, a young marketing professional in my crowd) has named this power “Mindsharing.” And while it may sound like some futuristic version of a Star Trek Vulcan mind meld, it is a simple way to use the tools and technology already at hand to access and share our greatest human resource—one another. Only this type of mind meld isn’t limited to two minds."

 

"Lorsque nous faisons appel à la sagesse de la foule, nous sommes en mesure d'accéder à des compétences de prise de décision qui ne sont pas influencées par nos propres émotions. Nous sommes en mesure de rechercher des solutions à nos problèmes et de peser nos choix sans les préjugés inhérents à la prise de décision unilatérale. Si nous apprenons à nous fier à la sagesse de la foule, nos décisions seront meilleures, plus rapides et plus faciles. La sagesse des foules a du pouvoir, et ce pouvoir est exploité par la technologie et les médias sociaux. La foule (plus précisément, Aya Shapir, une jeune professionnelle du marketing qui fait partie de mon groupe) a baptisé ce pouvoir « Mindsharing » (partage d'idées). Et bien que cela puisse ressembler à une version futuriste de la fusion mentale vulcaine de Star Trek, il s'agit d'un moyen simple d'utiliser les outils et la technologie déjà disponibles pour accéder à notre plus grande ressource humaine et la partager, l'une avec l'autre. Mais ce type de fusion ne se limite pas à deux esprits."

 

"It is important to note that when we Mindshare, we are not asking others to think for us, but rather, to think with us. And when others think with us it substantially improves our ability to make decisions and the quality of those decisions. I’m not saying that you surrender your free will and lay every future decision at the feet of the crowd, but through actively Mindsharing you can access the global brain (which is far more powerful than any individual brain) and hack your way into a better career, stronger relationships, and the fulfillment of virtually any dream or goal you can imagine...."

 

"Il est important de noter que lorsque nous faisons du Mindshare, nous ne demandons pas aux autres de penser à notre place, mais plutôt de penser avec nous. Et lorsque les autres pensent avec nous, cela améliore considérablement notre capacité à prendre des décisions et la qualité de ces décisions. Je ne dis pas qu'il faut abandonner son libre arbitre et confier toutes ses décisions futures à la foule, mais en partageant activement son esprit, on peut accéder au cerveau mondial (qui est bien plus puissant que n'importe quel cerveau individuel) et se frayer un chemin vers une meilleure carrière, des relations plus solides et la réalisation de pratiquement n'importe quel rêve ou objectif que l'on peut imaginer..."

 

Lior Zoref nous propose donc des lignes directrices pratiques, étape par étape, pour tirer parti du plein potentiel de ces incontournables réseaux en ligne auxquels nous ne pouvons plus guère échapper. Ces liens ont le pouvoir, nous dit-on, de changer des vies et de réaliser des rêves. Bien des exemples sont ainsi donnés, comment la mise à jour de Facebook d’une mère a sauvé la vie d’un garçon de quatre ans, ou comment un responsable a utilisé un groupe LinkedIn pour créer une année d’études de marché en moins d’une journée. En s’appuyant, nous dit-on, sur son expérience personnelle en tant qu’ancien cadre de Microsoft, ainsi que sur ses recherches doctorales et son vaste réseau, Zoref révèle à quel point le crowdsourcing stratégique a la capacité de surcharger notre réflexion et d’améliorer chaque aspect de nos vies....


Les réseaux sociaux ont montré leur capacité à mobiliser l'intelligence collective pour organiser des mouvements sociaux (le Printemps arabe, le mouvement Occupy Wall Street) et ont pu démontrer comment la coordination d'une intelligence collective peut conduire à des changements sociopolitiques.

En réunissant un groupe diversifié d'individus, l'intelligence collective permet de bénéficier d'une multitude de perspectives, ce qui peut mener à des solutions plus innovantes et inclusives. Grâce aux outils numériques, les groupes peuvent collaborer et partager des informations en temps réel, ce qui accélère le processus de prise de décision et d'innovation. Enfin, es décisions prises collectivement peuvent être plus robustes car elles intègrent une plus grande variété d'opinions et d'informations, ce qui réduit le risque d'erreurs dues à des biais individuels.

Mais les risques sont toujours les mêmes en fin de compte, et peut-être accentués par le nombre et la diversité : plus le groupe est grand, plus il peut être difficile de coordonner les contributions et de s'assurer que toutes les voix sont entendues; l'intelligence collective reposant sur la qualité des contributions individuelles, que se passe-t-il si ces contributions sont biaisées, mal informées, ou manipulées? On connaît par ailleurs les risques associés à toutes dynamiques de groupe et l'impact d'éventuelles manipulations ne peut être écarté...

Potentiel jugé immense à l'ère du numérique, en terme de dialogue et de prise de décision, l'intelligence collective, à une époque d'égocentrismes exacerbés, de micro-certitudes ou d'indifférence globale, semble vouée aux aléas d'une autre notion qu'elle nourrit parfaitement, la mobilisation sociale : passé le temps de cette mobilisation, que reste-t-il?


Matt Ridley, “When Ideas Have Sex" (2011)

Dans son TED Talk intitulé « When Ideas Have Sex », Matt Ridley explorait le concept de la façon dont le progrès humain est entraîné par l’échange et la combinaison d’idées, à la façon dont les gènes se combinent pendant la reproduction sexuelle; et Ridley de soutenir que l’innovation et l’évolution culturelle sont alimentées par une forme d' "accouplement" des idées, ce qui conduit à la création d’idées nouvelles et de plus en plus sophistiquées. On retrouve la foi dans le pouvoir de l’innovation collaborative et dans l’importance de maintenir un environnement où les idées peuvent se mélanger, se diversifier et évoluer. Du collectif, naît la pensée ... 

 

"When we moved away from self-sufficiency and began to work together, combining our knowledge, the consequence was far-reaching: We created things we could not and do not understand, from cordless mice to urban metropolises. Cooperation turned us into specialists: I’ll do this job, you do that one. Specialization gave us incentives to innovate. Innovation led to yet more specialization and more ways of combining different specialized skills. Human intelligence became collective and cumulative to an extent that no other species can rival."

 

Le progrès humain, nous explique Ridley, est dû en grande partie à la division du travail et à la capacité de commercer. Les individus peuvent ainsi se spécialiser dans différentes compétences, ce qui conduit à plus d’efficacité et d’innovation lorsqu’ils échangent leurs biens ou leurs idées. Et tout comme l’évolution biologique repose sur l’accumulation de changements génétiques, l’évolution culturelle dépend de l’accumulation des connaissances. L'accumulation de pensées génère de la pensée. Personne n’a besoin de tout savoir, bien au contraire : il y a progrès pour tout un chacun lorsque nous prenons en compte les idées et les connaissances des autres. Ridley omet sans doute que cette circulation d'idées entre les différents individus en relations sociales, politiques ou affectives, ne s'impose d'emblée, loin s'en faut : on ne n'écoute qu'après avoir été soi-même écouté, encore faut-il passer la barrière des préjugés de toutes sortes sur lesquelles nous avons construit non seulement notre pensée, notre langage, mais plus encore parfois, notre existence ...

Poursuivant sa défense et illustration du processus collaboratif "intelligent", Ridley nous expliquera combien de grandes innovations résultent de la collaboration et de l’interaction d’idées différentes plutôt que de pensées isolées.

L'idée centrale est bien connue, il n'est de  sociétés innovantes et prospères que celles qui encouragent la libre circulation des idées et le commerce ...

 

"The Evolution of Everything : How New Ideas Emerge",  written by Matt Ridley (2015)

Les forces qui conduisent le progrès en ce monde, de la biologie à la culture et à l’économie, sont fondamentalement le résultat d’un ordre spontané plutôt que d’un contrôle par le haut (top-down control). Ce sont les tendances ascendantes qui façonnent le monde et non les grands impératifs scientifiques et sociaux dictés par ceux qui se trouvent au sommet, que ce soit le gouvernement, le commerce, le milieu universitaire ou la morale. Et ce malgré notre infinie fascination pour la hiérarchie plus que pour les phénomènes d'émergence ...

Ridley réaffirme avec force, sa croyance en la puissance des processus "évolutionnaires" : douze chapitres vont décliner cette vision, chacun consacré à un domaine spécifique de notre connaissance et illustrant le fait fondamental que l’évolution ne se limite pas à la biologie, mais que celle-ci, définie comme un changement progressif et graduel, entraîné par la variation et la sélection, s’applique à l'ensemble du savoir humain, de la technologie à la morale. Il préconise donc d’adopter cette perspective à la gestion de notre monde, et de permettre enfin aux différents "systèmes" qui contribuent à la compréhension et à la survie de nos existences, biologiques, culturels ou économiques, d’évoluer naturellement sans interférence excessive.  

Prenons l’évolution de la moralité. Ridley suggère que celle-ci a évolué à partir des interactions sociales et de l’empathie humaine plutôt que d’un commandement divin ou d’une raison philosophique. Les codes moraux, comme les traits biologiques, ont été choisis au fil du temps parce qu’ils permettent à des groupes de fonctionner plus efficacement. A l'instar de l’évolution de la vie elle-même ou du matériel génétique, l'adaptation naturelle est encore ici et toujours le maître-mot. Et la culture évolue comme la biologie, soutient Ridley. Les innovations, les idées et les pratiques sociales se propagent et s’adaptent en fonction de leur utilité et de leur attrait. Internet, la révolution du téléphone mobile, la montée en puissance de l’Asie, tout comme la morale, les gènes, l’économie, la culture, la technologie, l’esprit, la personnalité, la population, l’éducation, l’histoire, le gouvernement, Dieu, l'émergence est le maître-mot ...

 

 Dans "The Red Queen: Sex and the Evolution of Human Nature" (1993), Matt Ridley avait utilisé une métaphore tirée de Lewis Carroll Through the Looking-Glass) pour nous expliquer le rôle de la sélection sexuelle dans la formation de la nature et du comportement humains; et comment, en fin de compte, le sexe peut être interprété comme la meilleure stratégie de l’humanité pour échapper aux prédateurs qui peuplent son histoire. Il distingue la sélection naturelle (qui favorise les traits qui améliorent la survie) de la sélection sexuelle (qui favorise les traits qui déterminent la stratégie de reproduction, parfois au détriment de la survie : survivre mais aussi et surtout attirer le partenaire); et cette dernière est particulièrement déterminante dans le vaste processus d'évolution dans lequel nous sommes socialement et individuellement engagés. Notre culture, notre société et notre comportement sont profondément enracinés dans ce phénomène d'évolution fondamental qu'incarne la sélection sexuelle...

 

Dans "The Origins of Virtue : Human Instincts and the Evolution of Cooperation" (1997), Ridley se demandait pourquoi, si, comme le suggèrait Darwin, l’évolution encourage sans relâche la survie du plus fort, sommes-nous obligés de vivre dans des sociétés coopératives et complexes ? Brassant comme toujours les dernières découvertes ou suggestions de généticiens, psychologues et anthropologues, Ridley en vient à conclure que la "human capacity for virtue", y compris l’altruisme, la confiance et la coopération, est profondément enracinée dans notre histoire évolutive. Et ces comportements n’ont pas évolué par pur altruisme, mais parce qu’ils profitent en fin de compte aux individus et aux groupes, conduisant au succès et à la survie des sociétés humaines. La coopération des individus entre eux et le comportement social ne sont pas des anomalies mais plutôt des traits évolués qui ont aidé les humains à survivre et à prospérer. 

L'argumentaire couvre bien des domaines : la théorie des jeux, en particulier le dilemme du prisonnier, permet d'expliquer comment la coopération peut évoluer même dans des situations où les individus pourraient être tentés d’agir de façon égoïste : les interactions répétées et le potentiel de rencontres futures créent des incitations à la coopération; les sociétés humaines ont développé des systèmes complexes de moralité, de normes et de lois pour encourager le comportement coopératif; bien que certains aspects du comportement coopératif soient enracinés dans notre constitution génétique, l’évolution culturelle joue également un rôle important dans le renforcement et la diffusion de ces comportements; s'’appuyant sur le concept de Richard Dawkins du "gène égoïste", il nous explique comment les gènes qui favorisent la coopération peuvent se propager au sein d’une population, et le comportement altruiste peut être compris comme un avantage pour le gène, même s’il semble coûteux pour l’individu. L'auteur explore de même tant le mécanisme de sélection des familles, - où les individus sont plus susceptibles de se comporter de manière altruiste envers leurs proches parce qu’ils partagent une partie importante de leurs gènes -, que . celui des groupe, les groupes coopératifs développant un avantage significatif. Enfin, Ridley établit des parallèles entre la coopération biologique et les systèmes économiques humains, suggérant que les marchés, le commerce et d’autres formes de coopération économique sont des prolongements de ces principes évolutifs. Reste un côté plus sombre de cette grande logique évolutive de la "coopération" qu peuvent expliquer certaines normes sociales ...

 

"How Innovation Works: Serendipity, Energy and the Saving of Time" (2020),  written by Matt Ridley - Processus fondamental de notre existence social, - qui ne peut être planifié ou prévu avec la moindre certitude, car issu le plus souvent de sources inattendues et prenant parfois des formes imprévues -, l'innovation n'est pas, pour Ridley le fruit de quelque  génie ou d'une planification descendante de quelque autorité, mais plutôt un processus décentralisé et progressif qui se nourrit d'essais et d'erreurs, de sérendipité et des contributions collectives d'un grand nombre de personnes. Il n'y a d'innovation possible, nous réaffirme Ridley, que lorsque les gens sont libres de penser, d’expérimenter et de spéculer, et qu'ils peuvent échanger entre eux, ... et qu'ils sont relativement prospères et pas trop désespérés. Et la collaboration est, comme il va de soi, présentée comme un moteur essentiel de l'innovation. L'importance de la collaboration interdisciplinaire, où des idées provenant de différents domaines se croisent pour créer quelque chose de nouveau, est de même soulignée, l'ensemble est le résultat d'une évolution inéluctable de notre humanité vers cet organisme saisissant qu'est l'esprit collectif qui joue spontanément sa propre partition et nous entraîne toujours plus loin, au-delà même de ce que nous pourrions penser ...

 

(Introduction)

(...) "Innovation happens when people are free to think, experiment and speculate. It happens when people can trade with each other. It happens where people are relatively prosperous, not desperate. It is somewhat contagious. It needs investment. It generally happens in cities. And so on. But do we really understand it? What is the best way to encourage innovation? To set targets, direct research, subsidize science, write rules and standards; or to back off from all this, deregulate, set people free; or to create property rights in ideas, offer patents and hand out prizes, issue medals; to fear the future; or to be full of hope? You will find champions of all these policies and more, fervently arguing their cases. But the striking thing about innovation is how mysterious it still is. No economist or social scientist can fully explain why innovation happens, let alone why it happens when and where it does. In this book I shall try to tackle this great puzzle. I will do so not by abstract theorizing or argument alone, though there will be some of both, but mainly by telling stories...."

 

"L’innovation se produit lorsque les gens sont libres de penser, d’expérimenter et de spéculer. Elle se produit lorsque les gens peuvent échanger entre eux. Cela se produit lorsque les gens sont relativement prospères, pas désespérés. C’est quelque peu contagieux. Il faut investir. Cela se produit généralement dans les villes. Et ainsi de suite. Mais le comprenons-nous vraiment? Quelle est la meilleure façon d’encourager l’innovation? Fixer des objectifs, diriger la recherche, subventionner la science, rédiger des règles et des normes; ou s’écarter de tout cela, déréglementer, libérer les gens; ou créer des droits de propriété sur les idées, offrir des brevets et des prix, décerner des médailles; craindre l’avenir; ou être plein d’espoir? Vous trouverez des champions de toutes ces politiques et plus encore, qui défendent avec ferveur leurs causes. Mais ce qui frappe dans l’innovation, c’est à quel point elle reste mystérieuse. Aucun économiste ou spécialiste des sciences sociales ne peut expliquer pleinement pourquoi l’innovation se produit, et encore moins pourquoi elle se produit quand et où. Dans ce livre, je vais essayer de résoudre ce grand casse-tête. Je ne le ferai pas en théorisant ou en argumentant seulement, bien qu’il y aura un peu des deux, mais principalement en racontant des histoires..."

 

(12) - An innovation famine - How innovation works

"The main ingredient in the secret sauce that leads to innovation is freedom. Freedom to exchange, experiment, imagine, invest and fail; freedom from expropriation or restriction by chiefs, priests and thieves; freedom on the part of consumers to reward the innovations they like and reject the ones they do not. Liberals have argued since at least the eighteenth century that freedom leads to prosperity, but I would argue that they have never persuasively found the mechanism, the drive chain, by which one causes the other. Innovation, the infinite improbability drive, is that drive chain, that missing link.

 "Innovation is the child of freedom, because it is a free, creative attempt to satisfy freely expressed human desires. Innovative societies are free societies, where people are free to express their wishes and seek the satisfaction of those wishes, and where creative minds are free to experiment to find ways to supply those requests – so long as they do not harm others. I do not mean freedom in some extreme libertarian, lawless sense, just the general idea that if something has not been specifically prohibited, then the assumption should be that it must be allowed: a surprisingly rare phenomenon today in a world where governments try to dictate what you can do as well as what you cannot.

This reliance on freedom explains why innovation cannot easily be planned, because neither human wishes nor the means of their satisfaction are easy to anticipate in the detail required; why innovation none the less seems inevitable in retrospect, because the link between desire and satisfaction is only then manifest; why innovation is a collective and collaborative business, because one mind knows too little about other minds; why innovation is organic because it must be a response to an authentic and free desire, not what somebody in authority thinks we should want; why nobody really knows how to cause innovation, because no one can make people want something"..

 

« L'ingrédient principal de la sauce secrète qui mène à l'innovation est la liberté. La liberté d'échanger, d'expérimenter, d'imaginer, d'investir et d'échouer ; la liberté de ne pas être exproprié ou limité par les chefs, les prêtres et les voleurs ; la liberté pour les consommateurs de récompenser les innovations qu'ils aiment et de rejeter celles qu'ils n'aiment pas. Depuis le XVIIIe siècle au moins, les libéraux affirment que la liberté mène à la prospérité, mais je dirais qu'ils n'ont jamais trouvé de manière convaincante le mécanisme, la chaîne d'entraînement, par lequel l'une entraîne l'autre. L'innovation, le moteur de l'improbabilité infinie, est cette chaîne d'entraînement, ce chaînon manquant.

L'innovation est l'enfant de la liberté, parce qu'elle est une tentative libre et créative de satisfaire des désirs humains librement exprimés. Les sociétés innovantes sont des sociétés libres, où les gens sont libres d'exprimer leurs souhaits et de chercher à les satisfaire, et où les esprits créatifs sont libres d'expérimenter pour trouver des moyens de répondre à ces demandes - tant qu'ils ne nuisent pas à autrui. Je n'entends pas la liberté dans un sens libertaire extrême, sans loi, mais simplement l'idée générale que si quelque chose n'a pas été spécifiquement interdit, on devrait supposer qu'il est autorisé : un phénomène étonnamment rare aujourd'hui dans un monde où les gouvernements essaient de dicter ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire.

 Cette confiance dans la liberté explique pourquoi l'innovation ne peut pas être facilement planifiée, parce que ni les désirs humains ni les moyens de les satisfaire ne sont faciles à anticiper dans les détails requis ; pourquoi l'innovation semble néanmoins inévitable rétrospectivement, parce que le lien entre le désir et la satisfaction ne se manifeste qu'à ce moment-là ; pourquoi l'innovation est une affaire collective et collaborative, parce qu'un esprit en sait trop peu sur les autres esprits ; pourquoi l'innovation est organique parce qu'elle doit être une réponse à un désir authentique et libre, et non à ce que quelqu'un d'autorité pense que nous devrions vouloir ; pourquoi personne ne sait vraiment comment provoquer l'innovation, parce que personne ne peut faire en sorte que les gens aient envie de quelque chose »....


"The Wisdom of Crowds ; Why the Many Are Smarter Than the Few and How Collective Wisdom Shapes Business, Economies, Societies, and Nations", written by James Surowiecki (2004)

"La sagesse des foules : pourquoi beaucoup sont plus intelligents que quelques-uns et comment la sagesse collective façonne les entreprises, les économies, les sociétés et les nations". Le chroniqueur d’affaires du New Yorker, James Surowiecki, explore une idée qui semble, à tort, d'une grande évidence : le nombre, le "collectif", est plus "intelligent" que l’élite, aussi brillante soit-elle, ou le "petit nombre", celui-là est plus en capacité de résoudre bien des problèmes qui se posent e toute société. La prise de décision collective, lorsqu’elle est bien structurée, donne des résultats plus précis et efficaces...

Surowiecki présente pour nous convaincre bien des arguments quant aux vertus du pouvoir de réflexion et de décision collectif dans des domaines aussi divers que la culture populaire, la psychologie, la biologie des fourmis, l’économie comportementale, l’intelligence artificielle, l’histoire militaire et la politique : illustrant comment cette simple idée offre des leçons importantes sur la façon dont nous vivons nos vies, choisissons nos dirigeants, dirigeons nos entreprises et pensons à notre monde. 

Ce faisant, il souligne l’importance de quatre conditions clés pour parvenir à exploiter cette "sagesse du collectif" (collective Wisdom) : la diversité d’opinion, l'indépendance d'esprit des protagonistes de ce collectif, l'éventuelle spécialisation ou pratique du niveau local, enfin la stratégie d'agrégation mise en oeuvre pour recueillir et de établir la synthèse des jugements individuels dans la décision collective.

Et comme toujours, d'incontournables exemples et cas d'école sont suggérés, la réalité concrète seule peut achever de nous convaincre sur la façon dont cette "sagesse des foules" fonctionne dans la pratique avec une pertinence indiscutable...

"The Stock Market" : Surowiecki montre comment les jugements collectifs des investisseurs peuvent refléter avec précision la valeur des entreprises. "Crowdsourcing" : des plateformes comme Google et Wikipédia sont des exemples de la façon dont les connaissances agrégées de nombreux individus peuvent créer des outils puissants. "Guessing the Weight of an Ox" : fameuse anecdote rapportée par Francis Galton selon laquelle où l'estimation moyenne d’une foule (en l'occurrence le poids d'un boeuf) était plus précise que n’importe quelle hypothèse formulée individuellement. 

(When Crowds Fail) Surowiecki persiste dans sa vision optimiste de cette fameuse "sagesse" du collectif malgré les exemples qui pourraient introduire l'amorce de quelque doute, notamment lorsque les individus se conforment à l’opinion majoritaire, conduisant à de mauvaises décisions (Groupthink), lorsque ils se laissent entraîner et suivent les actions des autres, ce qui conduit souvent à des bulles et à des krachs sur les marchés financiers (Herd Behavior), ou lorsque des personnes partageant les mêmes idées (like-minded people) renforcent leurs points de vue, ce qui conduit à des opinions extrêmes (Polarization).

Surowiecki termine son livre en montrant comment les entreprises peuvent utiliser cette "sagesse" pour améliorer tant la prise de décision que développement des produits dans le contexte de prévision de marchés. Il aborde également les implications pour la démocratie, suggérant que le jugement collectif des électeurs peut être une force puissante dans la gouvernance. Ayant donc opposé l'intelligence collective à l'opinion de l'expert, il rappelle combien cette expertise repose sur des bases trop étroites pour rivaliser avec  cette extraordinaire gisement qu'est l’intelligence collective ....