2000s
SoftPower - "Bound to Lead: The Changing Nature of American Power" (1990), "Soft Power: The Means to Success in World Politics" (2004), Joseph S. Nye Jr. - "Competitive Identity: The New Brand Management for Nations, Cities, and Regions", Simon Anholt (2007) - "Weapons of Mass Distraction: Soft Power and American Empire", Matthew Fraser (2005) - ...
Joseph S. Nye Jr. (1937) est un politologue américain de renom, professeur à l'Université Harvard, et une figure influente dans le domaine des relations internationales : Il a occupé des postes de responsabilité au sein du gouvernement américain, notamment au Département de la Défense et au Conseil national du renseignement. Il est désormais largement reconnu pour ses contributions conceptuelles qui ont façonné la compréhension contemporaine de la puissance et de l'influence dans les relations internationales. C'est lui qui introduisit le concept de "soft power "en 1990 dans "Bound to Lead: The Changing Nature of American Power". Un concept d'autant plus innovant qu'il permettait de souligne l'importance de l'attraction et de la persuasion (plutôt que la coercition et la force brute) dans les relations internationales, transformant ainsi la manière dont les États perçoivent et exercent leur pouvoir. Une notion qui joue pleinement dans un monde globalisé dont le leadership est désormais partagé entre une poignée d'acteurs aux ressources de pouvoir et d'influence très différentes. Nye élargira son concept initial en proposant le "smart power", qui combine le soft power (attraction) et le hard power (force militaire et économique) pour obtenir des résultats optimaux en politique internationale.
Depuis, la notion de "soft power", recyclée médiatiquement, a perdu de sa pertinence initiale, Dan un essai publié en 1987, "La Soft-idéologie", François-Bernard Huyghe et Pierre Barbès dénonçait déjà la montée de cette nouvelle forme d'idéologie "douce" (soft), caractérisée par son omniprésence subtile et son ancrage dans les médias, la communication, et les valeurs consuméristes (à la différence des idéologies traditionnelles, religieuses ou politiques) : munie d'un sens global que l'on peut reprendre en l'état sans avoir à la penser, et donc échappant à toute entreprise critique, elle s’insinue dans les mentalités à travers des récits culturels et des valeurs implicites tant est immense la passivité collective de ce XXIe siècle. Mais le fonds est vide, nous sommes encore et toujours dans le spectacle permanent. La musique, la mode, et les produits culturels deviennent des vecteurs d’une idéologie globale axée sur l’individualisme, le plaisir immédiat, et la consommation. On y agrège des données dites "objectives" tels que le nombre annuel de touristes, d'articles scientifiques publiés, de succès musicaux ou sportifs, ou encore l'indice de développement humain du pays, et des données dites "subjectives", recueillies en effectuant des sondages internationaux, on parle d'attractivité ou de contribution à la culture mondiale : il permet de construire des scores (souvent discutables) et de faire vivre des cabinets de conseil en stratégie internationale, et à un certain nombre d'Etats et de dirigeants de se donner quelque illusion dans une mondialisation que nul ne contrôle mais dont tous ne profitent pas...
Il n'empêche, le concept de "soft power", si l'on veut bien tenter de ne pas trop altérer l'intention initiale qu'il décrit, reste d'intérêt critique pour nous aider à décrypter ces multiples effets de "domination douce", plus ou moins délibérés, que chacun des Etats, du moins pour les plus puissants d'entre eux, cultivent tant pour survivre internationalement qu'à destination de leurs propres citoyens-consommateurs qui ne demandent qu'à céder à tous les "charmes" et campagnes d'images qu'on leur propose pour éviter d'avoir tout simplement trop à penser ...
"Bound to Lead: The Changing Nature of American Power" (1990) - Joseph S. Nye Jr. introduit le concept de "soft power". Il s'agissait de répondre à l'idée que la puissance américaine, dans un monde de plus en plus interconnecté, ne dépendrait plus uniquement de sa supériorité militaire et économique (hard power), mais aussi de sa capacité à attirer et à persuader. Cette idée a été développée dans le contexte de la fin de la Guerre froide, alors que les États-Unis cherchaient à maintenir leur influence mondiale dans un monde multipolaire.
Nye définit le soft power comme "la capacité d’un pays à obtenir ce qu’il veut par l’attraction plutôt que par la coercition ou la rémunération".
Cette influence repose sur trois piliers principaux :
- La Culture : lorsque celle-ci est attractive pour d'autres nations.
- Les Valeurs politiques : lorsqu'elles sont crédibles et universellement reconnues.
- La Politique étrangère : lorsqu'elle est perçue comme légitime et morale.
"Soft Power: The Means to Success in World Politics" (2004), Joseph S. Nye Jr. - Une analyse approfondie de ce concept, le terme ayant été popularisé et intégré dans le lexique des relations internationales. Il s'agissait bien d'une "révolution conceptuelle" qui permettait d'élargir la notion de pouvoir dans les relations internationales, en mettant l'accent sur des formes d'influence plus subtiles et durables. Le concept a depuis été largement utilisé par les décideurs politiques, notamment dans les stratégies américaines, européennes, et asiatiques pour promouvoir leur influence mondiale. Le "soft power" est devenu un outil clé pour comprendre l'influence croissante des cultures, des médias, des institutions, et des valeurs dans un monde globalisé ...
".. What is "soft power"? It is the ability to get what you want through attraction rather than coercion or payments. It arises from the attractiveness of a country's culture, political ideals, and policies.
When our policies are seen as legitimate in the eyes of others, our "soft power" is enhanced. America has long had a great deal of "soft power". Think of the impact of Franklin Roosevelt's Four Freedoms in Europe at the end of World War II; of young people behind the "Iron Curtain" listening to American music and news on Radio Free Europe; of Chinese students symbolizing their protests in Tianan men Square by creating a replica of the Statue of Liberty; of newly liberated Afghans in 2001 asking for a copy of the "Bill of Rights"; of young Iranians today surreptitiously watching banned American videos and satellite television broadcasts in the privacy of their homes. These are all examples of America's "soft power". When you can get others to admire your ideals and to want what you want, you do not have to spend as much on sticks and carrots to move them in your direction.
Seduction is always more effective than coercion, and many values like democracy, human rights, and individual opportunities are deeply seductive. As General Wesley Clark put it, "soft power" "gave us an influence far beyond the hard edge of traditional balance-of-power politics." But attraction can turn to repulsion if we act in an arrogant manner and destroy the real message of our deeper values.
« ... Qu'est-ce que le « soft power » ? C'est la capacité d'obtenir ce que l'on veut par l'attraction plutôt que par la coercition ou la rémunération. Il découle de l'attrait de la culture, des idéaux politiques et des politiques d'un pays.
Lorsque nos politiques sont perçues comme légitimes aux yeux des autres, notre « soft power » est renforcé. L'Amérique dispose depuis longtemps d'un important « soft power ». Pensez à l'impact des Quatre libertés de Franklin Roosevelt en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale ; aux jeunes gens derrière le « rideau de fer » qui écoutaient de la musique et des informations américaines sur Radio Free Europe ; aux étudiants chinois qui symbolisaient leurs protestations sur la place Tianan men en créant une réplique de la Statue de la Liberté ; aux Afghans nouvellement libérés en 2001 qui demandaient une copie de la « Déclaration des droits » ; aux jeunes Iraniens d'aujourd'hui qui regardent subrepticement des vidéos américaines interdites et des émissions de télévision par satellite dans l'intimité de leur foyer. Ce sont là autant d'exemples de la « puissance douce » de l'Amérique. Lorsque vous pouvez amener les autres à admirer vos idéaux et à vouloir ce que vous voulez, vous n'avez pas besoin de dépenser autant en bâtons et en carottes pour les amener dans votre direction.
La séduction est toujours plus efficace que la coercition, et de nombreuses valeurs telles que la démocratie, les droits de l'homme et les opportunités individuelles sont profondément séduisantes. Comme l'a dit le général Wesley Clark, la « puissance douce » « nous a donné une influence qui va bien au-delà des limites de la politique traditionnelle d'équilibre des pouvoirs ». Mais l'attirance peut se transformer en répulsion si nous agissons de manière arrogante et détruisons le message réel de nos valeurs profondes.
The United States may be more powerful than any other polity since the Roman Empire, but like Rome, America is neither invincible nor invulnerable. Rome did not succumb to the rise of another empire, but to the onslaught of waves of barbarians. Modern high tech terrorists are the new barbarians. As the world wends its way deeper into a struggle with terrorism, it becomes increasingly apparent that many factors lie outside American control. The United States cannot alone hunt down every suspected AI Qaeda leader hiding in remote regions of the globe. Nor can it launch a war whenever it wishes without alienating other countries and losing the cooperation it needs for winning the peace.
The four-week war in Iraq in the spring of 2003 was a dazzling display of America's hard military power that removed a tyrant, but it did not resolve our vulnerability to terrorism. It was also costly in terms of our soft power-our ability to attract others to our side. In the aftermath of the war, polling by the Pew Research Center showed a dramatic decline in the popularity of the United States compared to a year earlier, even in countries like Spain and Italy, whose governments had provided support for the war effort, and America's standing plummeted in Islamic countries from Morocco to Turkey to Southeast Asia. Yet the United States will need the help of such countries in the long term to track the flow of terrorists, tainted money, and dangerous weapons. In the words of the Financial Times, "To win the peace, therefore, the US will have to show as much skill in exercising soft power as it has in using hard power to win the war."
Les États-Unis sont peut-être plus puissants que n'importe quel autre État depuis l'Empire romain, mais comme Rome, l'Amérique n'est ni invincible ni invulnérable. Rome n'a pas succombé à la montée d'un autre empire, mais à l'assaut de vagues de barbares. Les terroristes modernes de haute technologie sont les nouveaux barbares. À mesure que le monde s'enfonce dans la lutte contre le terrorisme, il devient de plus en plus évident que de nombreux facteurs échappent au contrôle des États-Unis. Les États-Unis ne peuvent pas, à eux seuls, traquer tous les dirigeants présumés d'Al-Qaïda qui se cachent dans des régions reculées du globe. Ils ne peuvent pas non plus lancer une guerre quand ils le souhaitent sans s'aliéner d'autres pays et perdre la coopération dont ils ont besoin pour gagner la paix.
La guerre de quatre semaines en Irak, au printemps 2003, a été une démonstration éblouissante de la puissance militaire des États-Unis, qui a permis d'éliminer un tyran, mais elle n'a pas résolu notre vulnérabilité face au terrorisme. Elle a également été coûteuse en termes de « soft power », c'est-à-dire notre capacité à attirer d'autres personnes de notre côté. Au lendemain de la guerre, les sondages du Pew Research Center ont révélé une baisse spectaculaire de la popularité des États-Unis par rapport à l'année précédente, même dans des pays comme l'Espagne et l'Italie, dont les gouvernements avaient soutenu l'effort de guerre, et la cote de l'Amérique a chuté dans les pays islamiques, du Maroc à la Turquie en passant par l'Asie du Sud-Est. Pourtant, les États-Unis auront besoin de l'aide de ces pays à long terme pour suivre les flux de terroristes, d'argent sale et d'armes dangereuses. Selon le Financial Times, « pour gagner la paix, les États-Unis devront donc faire preuve d'autant d'habileté dans l'exercice de la puissance douce que dans l'utilisation de la puissance dure pour gagner la guerre ».
I first developed the concept of "soft power" in "Bound to Lead", a book I published in 1990 that disputed the then-prevalent view that America was in decline. I pointed out that the United States was the strongest nation not only in military and economic power, but also in a third dimension that I called soft power. In the ensuing years, I have been pleased to see the concept enter the public discourse, used by the American secretary of state, the British foreign minister, political leaders, and editorial writers as well as academics around the world. At the same time, however, some have misunderstood it, misused and trivialized it as merely the influence of Coca-Cola, Hollywood, blue jeans, and money. Even more frustrating has been to watch some policy makers ignore the importance of our soft power and make us all pay the price by unnecessarily squandering it.
I returned to "soft power" in 2001 while writing "The Paradox of American Power", a book that cautioned against triumphalism, the opposite error from the declinism I had warned against in 1990. I spent a dozen or so pages on "soft power", but it was only a small part of a broader argument about multilateralism and foreign policy. Friends and critics urged that if I wanted the term to be properly understood and used in foreign policy, I needed to explore and develop it more fully, and that is the purpose of this book...."
J'ai développé pour la première fois le concept de « soft power » dans « Bound to Lead », un livre que j'ai publié en 1990 et qui contestait l'opinion répandue à l'époque selon laquelle l'Amérique était en déclin. J'y soulignais que les États-Unis étaient la nation la plus forte non seulement en termes de puissance militaire et économique, mais aussi dans une troisième dimension que j'ai appelée « soft power » (puissance douce). Au cours des années qui ont suivi, j'ai eu le plaisir de voir ce concept entrer dans le discours public, utilisé par le secrétaire d'État américain, le ministre britannique des affaires étrangères, des dirigeants politiques, des éditorialistes et des universitaires du monde entier. Dans le même temps, cependant, certains l'ont mal compris, mal utilisé et banalisé comme étant simplement l'influence de Coca-Cola, d'Hollywood, des blue jeans et de l'argent. Il est encore plus frustrant de voir certains décideurs politiques ignorer l'importance de notre puissance douce et nous en faire payer le prix en la dilapidant inutilement.
Je suis revenu au « soft power » en 2001 en écrivant « The Paradox of American Power », un livre qui mettait en garde contre le triomphalisme, l'erreur opposée au déclinisme contre lequel j'avais mis en garde en 1990. J'ai consacré une douzaine de pages au « soft power », mais ce n'était qu'une petite partie d'un argument plus large sur le multilatéralisme et la politique étrangère. Mes amis et mes détracteurs ont insisté sur le fait que si je voulais que ce terme soit correctement compris et utilisé en politique étrangère, je devais l'explorer et le développer plus en profondeur, et c'est l'objet de ce livre.... »
"The Future of Power", Joseph S. Nye Jr. (first published 2010)
À l’époque de Kennedy et de Khrouchtchev, la puissance s’exprimait en termes de missiles nucléaires, de capacité industrielle, de nombre d’hommes armés et de chars prêts à traverser les plaines de l’Europe de l’Est. En 2010, aucun de ces facteurs ne confère le même pouvoir : la capacité industrielle semble être une vertu presque victorienne et les cybermenaces sont exploitées par des acteurs non étatiques. La politique a changé et la nature du pouvoir, défini comme la capacité d’influencer les autres pour obtenir les résultats souhaités, a radicalement changé. Le pouvoir n’est pas statique; son histoire est faite de changements et d’innovations, de technologies et de relations. Joseph Nye est un analyste du pouvoir de longue date et un praticien actif dans le gouvernement. Plusieurs de ses idées ont été au cœur des débats récents sur le rôle que l’Amérique devrait jouer dans le monde : son concept de « soft power » a été adopté par les dirigeants de la Grande-Bretagne à la Chine ; « smart power » a été adopté comme autocollant pour la politique étrangère du gouvernement Obama. Ce livre est la synthèse de son travail, aussi pertinent pour les lecteurs généraux que pour les spécialistes de la politique étrangère. Il s’agit d’un récit vivant qui plonge derrière les visages insaisissables du pouvoir pour découvrir sa nature durable à l’ère cybernétique.
"Soft Power and Great-Power Competition: Shifting Sands in the Balance of Power Between the United States and China (China and Globalization)", Joseph S. Nye (2023)
Une analyse approfondie des outils et des stratégies de "soft power" utilisés par les États-Unis et la Chine, tout en proposant une réflexion sur leur impact sur l'équilibre mondial. Joseph Nye souligne l'importance d'une gestion responsable de cette compétition pour éviter des conflits inutiles et favoriser la coopération face aux enjeux mondiaux. Si les États-Unis restent leaders en matière de "soft power" grâce à leur culture et à leurs valeurs universelles, tandis que la Chine s’appuie davantage sur des initiatives économiques et culturelles contrôlées par l'État, cette stratégie ne peut réussir sans la reconnaissance d'une interdépendance mondiale : la rivalité entre les grandes puissances ne doit pas ignorer les défis communs qui nécessitent une coopération internationale. Le livre compte quatre parties ...
1. - "Conceptual Foundations of Soft Power" - L'auteur rappelle les bases théoriques du concept de "soft power (la capacité d’influencer les autres par l’attraction plutôt que par la coercition ou l’incitation économique). Les points importants : la différenciation entre hard power (force militaire et économique) et soft power (culture, valeurs, et diplomatie), l'importance de la crédibilité et de la légitimité dans l'exercice du soft power, et la compréhension du "comment" les grandes puissances, notamment les États-Unis et la Chine, utilisent le soft power pour atteindre leurs objectifs stratégiques.
2. - "The United States: Soft Power Leadership" - Analyse de l’évolution et de l’utilisation du soft power américain depuis la Seconde Guerre mondiale. Sont rappelés es sources du soft power des États-Unis, notamment : la culture populaire (Hollywood, musique, et technologie), les valeurs démocratiques et les droits de l'homme, Les institutions éducatives (Harvard, MIT, etc.) et scientifiques. Et les éléments problématiques qui s'y rattachent, tels que l’impact négatif des guerres en Irak et en Afghanistan, et les divisions internes. Nye insiste sur la résilience du soft power américain, mais souligne la nécessité de restaurer sa crédibilité.
3. - "China’s Soft Power Strategy" - Une partie qui entreprend l'analyse la montée du "soft power" chinois et les efforts du pays pour projeter une image positive à l'échelle mondiale. On rappelle là aussi, les outils du soft power chinois qui sont les Instituts Confucius, destinés à promouvoir la langue et la culture chinoises, la diplomatie économique, notamment à travers la Belt and Road Initiative (BRI), les investissements dans les médias internationaux, tels que CGTN. Et les éléments qui viennent affaiblir ces outils : le manque de crédibilité en raison de problèmes de droits de l'homme, la perception mondiale de la Chine comme une puissance autoritaire et sa volonté de renforcer son rôle dans les institutions internationales.
4. "The Future of Great-Power Competition" - L'auteur procède alors à l'examen critique de l’avenir de la rivalité entre les États-Unis et la Chine à travers le prisme du "soft power".
Parmi les points clés, on peut noter que cette stratégie est un des scénarios possibles pour garantir l’équilibre des pouvoirs entre les deux pays. On peut rappeler dans cette perspective, l’importance de la coopération, en particulier face à des défis mondiaux comme le changement climatique et les pandémies. Nye soutient que les États-Unis et la Chine doivent éviter une "nouvelle guerre froide" et privilégier une compétition constructive. Enfin, il est utilise de rappeler la complémentarité entre le soft power et le hard power dans les stratégies des grandes puissances....
L'essai publié en 1987, "La Soft-idéologie", de François-Bernard Huyghe et Pierre Barbès n'a pas perdu de sa pertinence, bien au contraire, il anticipait des problématiques qui se sont amplifiées avec l'avènement d'Internet et des réseaux sociaux. Il est notoire que nous sommes désormais dans un monde globalisé, quoique nos mentalités ne dépassent que rarement les frontières de l'Etat dans lequel nous tentons d'exister : ce que nous connaissons du monde extérieur est en général pris en charge, Etat par Etat, par le flux médiatique et celui du pouvoir, l'un et l'autre en symbiose parfaite, qui nous interprètent le monde à leur façon, détournant l’attention des vrais enjeux sociaux et politiques, réduisant, par leur indifférence ou leur individualisme égocentrique, les citoyens à de simples consommateurs sans la moindre emprise critique possible. "Soft power" ou "domination douce", autres termes mais un processus global déjà bien ancré dans l'histoire humaine, reste qu'aujourd'hui l'effet de masse, la puissance implicite des réseaux médiatiques et sociaux nous entraînent dans un monde sans la moindre prise conceptuelle possible ..
François-Bernard Huyghe, dans "Maîtres du faire croire. De la propagande à l'influence" (2008) et Matthew Fraser, dans "Weapons of Mass Distraction: Soft Power and American Empire" (2005), entre autres, savent nous proposer des analyses critiques et érudites des outils et des stratégies utilisés pour manipuler les esprits, influençant les opinions, les comportements, et les décisions dans les sphères politique, économique, et culturelle. Les "maîtres du faire croire", pour les premiers, désignent les acteurs capables de manipuler les perceptions, qu’il s’agisse de gouvernements, d’entreprises, de médias, ou même d’individus influents; et ces acteurs utilisent des outils sophistiqués pour produire des récits (storytelling), contrôler les informations, ou exploiter les émotions du public. Il n'est plus ici question de rationalité. Il est vrai que nous ne savons plus définir ce que nous entendons par "rationalité". Le processus d'influence est devenu de plus en plus diffus, la persuasion, quant à elle, passe par les récits, en général bien construits à base de faits ou d'arguments qui semblent rationnels, les technologies viennent alors en amplifier la portée, en diffusant à grande échelle et en personnalisant les contenus : nous sommes désormais, en effet, peut-être, dans un monde livré à une lutte sans précédent pour le contrôle des perceptions et des croyances de chacun d'entre nous ...
Dans "In Truth: A History of Lies from Ancient Rome to Modern America" (2020), Matthew Fraser avait exploré l'histoire et l'évolution des mensonges dans les sociétés humaines, depuis l'Antiquité jusqu'à l'ère moderne : comment, s'interrogeait-il, les mensonges ont-ils été utilisés comme outils de pouvoir, de persuasion et de manipulation à travers les époques.
Dans cette fresque retraçant l'histoire des mensonges dans la société humaine, Fraser commence par examiner le rôle des mensonges dans les sociétés anciennes, en montrant comment ils étaient souvent utilisés comme des moyens légitimes pour atteindre des objectifs politiques ou sociaux. Il passe ainsi en revue des figures historiques et des mythes qui ont façonné des récits collectifs, comme ceux de la Rome antique ou des premières dynasties européennes. Et le livre n'hésite pas à mettre en évidence comment les leaders politiques, de Jules César à Donald Trump, ont utilisé le mensonge comme un outil stratégique. Ce qui impose de se demander comment la manipulation de la vérité peut être institutionnalisée dans des systèmes politiques, comme la propagande dans les régimes totalitaires ou les campagnes de désinformation à l'époque moderne.
Incontournable, à notre époque, est le rôle des médias dans la diffusion des mensonges, notamment à travers l'histoire des journaux, de la radio, de la télévision, et des médias numériques. Il critique, comme beaucoup l'on fait depuis, l'impact des "fake news" dans l'ère contemporaine et leur rôle dans la polarisation politique et sociale. Mais après cette critique, que fait-on?
L'auteur en vient à s'interroger sur l'omniprésence des mensonges dans la culture populaire, y compris dans la publicité, le marketing, et les récits cinématographiques. La construction de l'identité tant nationale que personnelle montre l'importance du rôle des mythes. La psychologie des mensonges, les motivations psychologiques derrière les mensonges, à la fois au niveau individuel et collectif, fait l'objet d'un chapitre entier. La montée de la presse écrite et des médias de masse a transformé les mensonges en outils de manipulation à grande échelle.
Fraser analyse des exemples comme les campagnes de désinformation pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide. L'auteur met un accent particulier sur l'ère moderne des médias sociaux, où la vérité et les mensonges coexistent de manière incontrôlable. Fraser sait parfaitement rattacher les événements historiques à des questions contemporaines, montrant comment les pratiques anciennes influencent encore et toujours les comportements modernes, sans véritable perspective d'évolution en la matière. Un certain fatalisme : les mensonges ne sont pas seulement des anomalies ou des déviations, mais qu'ils font partie intégrante de la manière dont les humains naviguent dans leurs interactions sociales et politiques. Et la vérité est souvent manipulée pour servir le pouvoir : les récits historiques montrent que ceux qui détiennent le pouvoir ont toujours eu un intérêt à façonner la vérité pour leurs propres fins et l'ère numérique permet d'amplifie ces mensonges et de neutraliser toute éventuelle pensée critique qui tenterait de s'y opposer.
D'autant que le mensonge peut aussi avoir des fonctions positives : certains mensonges n'ont-ils pas été utilisés pour préserver ce que l'on appelle la cohésion sociale ou protéger des individus dans des situations délicates?
"Weapons of Mass Distraction: Soft Power and American Empire", Matthew Fraser (2005)
Matthew Fraser entend nous démontrer comment les États-Unis ont utilisé leur culture populaire et leurs industries médiatiques pour devenir une puissance mondiale, quel fut le rôle du "soft power" américain, et comment Hollywood, la musique, les chaînes de télévision, et les marques globales ont façonné la perception des États-Unis à travers le monde, façonné l’opinion mondiale, séduit les publics internationaux, et promu leur mode de vie. Cependant, Fraser met également en garde contre les effets homogénéisants de cette influence, soulignant la nécessité de protéger les cultures locales et de favoriser un dialogue culturel plus équilibré.
Le soft power américain repose principalement sur ses industries culturelles, qui ont influencé profondément les goûts, les valeurs, et les aspirations des populations mondiales. Car les États-Unis ne se limitent pas à une coercition militaire ou économique : leur véritable pouvoir réside dans leur capacité à séduire et attirer les masses dans les filets de leurs produits culturels tels que Hollywood (des films qui projettent des valeurs américaines universelles, liberté, héroïsme, individualisme), la musique populaire (du jazz et du rock des décennies passées à la pop et au hip-hop modernes), des marques mondiales (Coca-Cola, McDonald's, Apple, et bien d'autres symboles du mode de vie américain). Un premier niveau de critique qui n'est pas neuf si ce n'est que l'influence est plus profonde qu'on ne pense et moins aisée à contrer.
Fraser examine ensuite comment les médias de masse américains, y compris la télévision et les chaînes d’information comme CNN, ont joué un rôle clé dans la propagation du modèle américain. Les séries télévisées américaines, comme Friends ou The Simpsons, ont exporté des images de la vie quotidienne américaine, façonnant les aspirations de millions de téléspectateurs. Bien des blockbusters ont renforcé l’image des États-Unis comme une nation héroïque et dynamique (Independence Day, Saving Private Ryan). Les entreprises américaines, décrites comme des "ambassadeurs culturels", mais naturels dans l'esprit américain (on ne vend pas seulement des produits, mais aussi un idéal de modernité et de prospérité), ont utilisé des campagnes de publicité massive pour associer leurs produits à des idéaux comme la liberté, le progrès, et le succès.
Jusqu'au rôle joué par certaines crises mondiales, pour ne pas dire toutes. Fraser analyse l’impact des crises, notamment les attentats du 11 septembre 2001, sur le soft power américain. Il montre comment ces événements ont renforcé la propagation de récits américains à travers des films, des documentaires, et des reportages télévisés. Mais cette influence du soft power peut être affaiblie, en contrepartie, par des décisions controversées, comme la guerre en Irak, qui ont terni l'image des États-Unis dans de nombreuses régions du monde.
Fraser critique l’effet homogénéisant de la culture américaine, souvent accusée de "McDonaldisation" ou de "Coca-Colonisation" : nous le savons, les produits culturels américains dominent les marchés internationaux, marginalisant les cultures locales et régionales. Mais il soulève également des inquiétudes sur la manière dont la culture de consommation promue par les États-Unis a engendré des inégalités et des crises environnementales.
La "culture" est bien un outil de domination, ou du moins une certaine "culture" de cette celle-ci : Fraser soutient que la domination culturelle américaine est une forme subtile d'impérialisme, où l'attraction culturelle remplace la coercition militaire ou économique.
Mais si le soft power américain est puissant, il n’est pas sans opposition. Fraser note que dans certaines régions, notamment au Moyen-Orient, il est perçu comme une menace pour les valeurs traditionnelles et locales. Et avec la montée des nouvelles technologies et de la mondialisation, Fraser prédit que le soft power américain pourrait être défié par d'autres nations, comme la Chine ou l'Inde, qui investissent dans leurs propres industries culturelles.
Si Fraser reconnaît que la culture américaine inspire et séduit, il critique toutefois son impact qu'il juge destructeur sur la diversité culturelle et les sociétés locales. Mais c'est bien le cycle de la mondialisation qui fait aujourd'hui tourner la planète Terre, et ses membres les plus actifs se livrent à une véritable guerre de domination pour la nourrir et en recueillir le plus de profits possibles ...
"Competitive Identity: The New Brand Management for Nations, Cities, and Regions", Simon Anholt (2007)
"Competitive Identity" est une œuvre pionnière dans le domaine du "nation branding", une approche stratégique visant à améliorer l'image et l'attractivité d'un pays, d'une région ou d'une ville à l'échelle mondiale. Ce livre est une référence pour comprendre comment les entités géographiques peuvent se positionner dans un monde globalisé, où la concurrence pour attirer les investissements, le tourisme, et les talents est intense. Le concept de "nation branding" est présenté comme une forme moderne de "soft power" ("Places: Identity, Image, and Reputation", 2010) : comment les pays peuvent gérer leur réputation à l'international) ...
Simon Anholt est à l’origine de l’Anholt-Ipsos Nation Brands Index (2005) et du Good Country Index (2014). Le Nation Brands Index (NBI) mesure la perception des nations en termes de culture, gouvernance, exportations, tourisme, etc. Le Good Country Index évalue les pays en fonction de leur contribution positive au bien-être de l’humanité, dans des domaines comme la culture, la science, ou la durabilité...
"Made in America: Le déclin de la marque USA" est un ouvrage coécrit par Simon Anholt et Jeremy Hildreth, publié en 2006, et dans lequel les auteurs soulevaient la problématique selon laquelle les États-Unis fonctionnent non seulement comme une nation, mais aussi comme une marque mondiale : ils retraçaient alors l'évolution de cette "marque" depuis la guerre d'Indépendance, en soulignant comment, à travers l'histoire, les États-Unis ont méthodiquement construit et projeté leur image à l'échelle planétaire. Cette construction s'est appuyée sur divers vecteurs, notamment les entreprises, les médias, la culture populaire, les héros nationaux, les valeurs promues et la politique étrangère. Les auteurs constataient qu'à l'époque de la publication, la "marque USA" était en crise et observer que les États-Unis étaient devenus objets de dérision, de méfiance, d'incompréhension, et parfois même de haine. Cette détérioration de l'image américaine est attribuée à divers facteurs, notamment des politiques étrangères controversées, des actions militaires, et des perceptions négatives véhiculées par les médias internationaux...
Dans "Competitive Identity", Anholt remplace l'idée traditionnelle de "nation branding" par celle de "competitive identity" (identité compétitive), qui intègre :
- La culture et le patrimoine : Des éléments distinctifs qui définissent une nation.
- La politique étrangère et la diplomatie : L'influence et la crédibilité à l'échelle internationale.
- Le commerce et les entreprises : La réputation des produits et services d'un pays.
- Le tourisme : La capacité à attirer des visiteurs par son image et ses attraits.
- Les investissements : L'aptitude à séduire les capitaux étrangers et les talents.
Il critique l'idée simpliste de "branding" appliquée aux nations, soulignant qu'une nation ne peut pas être "vendue" comme un produit, mais qu'elle doit être authentique. C'est en ce sens que la "réputation" devient un atout stratégique : la réputation d'une nation est un actif immatériel crucial, influençant ses performances économiques, sa diplomatie, et sa culture. Une mauvaise réputation peut nuire à l’attractivité d’un pays, tandis qu’une image positive renforce son "soft power".
Pour réaliser la construction d'une identité compétitive, Anholt identifie six dimensions clés:
- Le tourisme : L’attraction des visiteurs grâce à des campagnes et des récits mémorables.
- Les marques nationales : La perception des produits et services d’origine nationale.
- La culture et le patrimoine : L'exportation d'éléments culturels distinctifs pour renforcer l'image.
- Les politiques étrangères : Les actions diplomatiques qui renforcent la crédibilité et l'influence.
- Les investissements : La capacité d'un pays à séduire les investisseurs étrangers.
- Les talents : L’aptitude à attirer et retenir des étudiants, des entrepreneurs, et des innovateurs.
Anholt insiste sur la nécessité pour les nations de présenter une image cohérente et authentique. Les campagnes de communication seules ne suffisent pas : elles doivent être soutenues par des politiques concrètes et des actions qui reflètent les valeurs et les atouts réels du pays. L'auteur critique au passage les approches superficielles ou opportunistes du "nation branding", qui reposent uniquement sur des slogans ou des campagnes publicitaires. Il souligne l'importance d'impliquer l'ensemble des parties prenantes (gouvernement, entreprises, citoyens) pour construire une identité compétitive durable.
Quelques études de cas sont alors évoquées ...
- Espagne (Marca España) : comment l’Espagne a-t-elle réussi à repositionner son image après la dictature franquiste, en mettant l’accent sur sa culture, son tourisme, et sa transition démocratique.
- Nouvelle-Zélande : le pays a su capitaliser sur son image de nature préservée et de qualité de vie pour attirer des touristes et des investisseurs, notamment grâce à des campagnes liées à des films comme "Le Seigneur des Anneaux".
- L'Allemagne : après sa réunification, l'Allemagne a travaillé pour transformer son image, mettant l'accent sur l'innovation, la technologie, et la responsabilité environnementale.
- L'Afrique du Sud : l'Afrique du Sud post-apartheid a utilisé des récits sur la réconciliation nationale et des événements mondiaux comme la Coupe du Monde de la FIFA pour redorer son image.
L’identité compétitive est un processus global, c'est le message central du livre. Elle ne peut pas être construite uniquement par des campagnes de marketing, mais nécessite des changements structurels, des politiques publiques, et des efforts collaboratifs. Dans ce cadre, l’authenticité est cruciale. Les nations doivent construire leur identité sur des atouts réels et crédibles, plutôt que de tenter de "vendre" des récits artificiels. Et la construction de cette réputation peut prendre du temps. Il est difficile de changer la perception d’une nation, surtout lorsqu’elle a une image négative enracinée. La patience et la cohérence sont essentielles. D'autant que dans un monde globalisé, les pays, les villes, et les régions se livrent une concurrence acharnée pour attirer les ressources, le tourisme, et l'attention internationale. Publié en 2007, l’ouvrage peut être enrichi par des analyses plus récentes, notamment sur l’impact des réseaux sociaux et des plateformes numériques sur la réputation nationale. Et l'idée de "competitive identity" s’étend aujourd’hui aux métropoles et aux régions, qui cherchent à se démarquer dans un contexte de décentralisation et de globalisation...
Dans "The Good Country Equation: How We Can Repair the World in One Generation" (2020), Anholt proposera une vision ambitieuse pour repenser les relations internationales, où les nations se concentrent sur leur contribution au bien-être mondial plutôt que sur leur intérêt individuel ..
Mark Leonard, "Why Europe Will Run the 21st Century" (2005)
Mark Leonard, un expert britannique en relations internationales, propose une thèse qui pourrait paraître provocante : alors que le pouvoir brut des États-Unis domine le début du XXIe siècle, l’Europe, avec son modèle unique de coopération et de "soft power", serait la mieux placée pour inspirer l'avenir mondial..
Leonard soutient que l'Union européenne incarne un nouveau modèle de puissance basé sur l'interdépendance, plutôt que sur la domination : contrairement aux empires traditionnels, l'UE ne s'appuie pas sur la conquête ou l'assimilation, mais sur l'attraction, l'intégration, et la coopération. L'élargissement de l'UE (comme avec les pays de l'Europe de l'Est après la chute du rideau de fer) est présenté comme une démonstration du succès de cette stratégie de type "soft power", dans laquelle les nations rejoignent volontairement une union qui représente la stabilité et la prospérité. L'Europe est décrite comme un véritable laboratoire de gouvernance post-moderne, où des États-nations collaborent pour résoudre des problèmes communs, tout en conservant leur souveraineté : les institutions européennes, bien qu'imparfaites, sont des exemples d'innovation politique, économique, et sociale, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est un symbole du leadership moral de l'Europe, le marché unique et l'euro démontrent la capacité de l'Europe à unir des économies diverses.
L'UE est ensuite présentée comme un "exportateur de normes" : des règles européennes dans des domaines tels que la sécurité alimentaire, la protection des données, et l'environnement deviennent des standards mondiaux. Cette "normative power" (puissance normative) est un outil d'influence majeur, car elle façonne les comportements des États et des entreprises à l'échelle mondiale.
Leonard voit ainsi l'UE comme mieux équipée que les États-Unis pour relever les défis mondiaux du XXIe siècle, notamment le changement climatique (l'Europe a été un leader dans les accords climatiques internationaux), la gestion des migrations (bien que problématique, la réponse européenne est plus humanitaire et coopérative que celle de nombreux autres blocs), la diplomatie (l'Europe privilégie des solutions multilatérales aux conflits internationaux).
Certains critiques considèrent que Leonard surestime la capacité de l'Europe à rivaliser avec des puissances comme les États-Unis ou la Chine et que les défis internes de l'UE, comme les tensions sur l'intégration et les inégalités entre les États membres, sont parfaitement sous-estimés...
Andrew Moravcsik, dans "Europe: Rising Superpower" (Foreign Policy, 2009) complète les thèses de Leonard, tandis que Ulrich Beck, "The Cosmopolitan Vision" (2006), évoque des idées similaires à celui-ci sur la gouvernance transnationale et le rôle de l’Europe dans un monde globalisé..
Daya Kishan Thussu, "International Communication: Continuity and Change" (2018)
Un ouvrage de référence écrit par Daya Kishan Thussu, expert en communication internationale qui, dans cette édition actualisée, aborde les transformations majeures des systèmes de communication mondiaux, en intégrant l'impact de la globalisation, des nouvelles technologies, et des changements géopolitiques. Il met notamment en lumière les vestiges des anciennes relations impériales et les disparités nord-sud dans le contrôle des flux d’information (les flux d’information sont toujours asymétriques, avec une prédominance des États-Unis et d'autres pays du "Nord global" dans la production et la distribution des contenus médiatiques), et se concentre sur les impacts des technologies numériques, de l’émergence de nouveaux acteurs globaux comme la Chine et l’Inde, et des défis posés par la désinformation.
La mondialisation a donc intensifié les échanges culturels et économiques à travers les médias, mais a aussi exacerbé les déséquilibres. Les grandes multinationales de médias, telles que Disney, Time Warner, et News Corporation, continuent de dominer le marché mondial. Cependant, l’émergence de nouveaux acteurs médiatiques est bien réelle, on pense évidemment au rôle croissant de pays comme la Chine, l’Inde, et le Qatar dans le paysage médiatique mondial. La Chine, avec des entreprises comme CGTN et des plateformes numériques comme TikTok. L'Inde, avec l’industrie de Bollywood et les chaînes d’information comme NDTV. Le Qatar, avec Al Jazeera qui a redéfini le journalisme mondial, en particulier dans le monde arabe.
Parallèlement la révolution numérique a vu l’émergence des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter, et TikTok., la montée de plateformes comme YouTube et Netflix, qui ont démocratisé la création et la consommation de contenu, mais non sans nouvelles problématiques bien connues, les fake news et la désinformation, le rôle des algorithmes dans la polarisation des opinions, les enjeux de la surveillance numérique.
Certaines nations continuent donc d'utiliser les médias comme outils de soft power, les États-Unis (influence majeure grâce à Hollywood, CNN, et les plateformes technologiques), la Chine (avec des initiatives comme les Instituts Confucius et CGTN, qui tente de redéfinir des récits globaux), l’Inde (qui combine Bollywood et sa diaspora mondiale pour projeter une image positive).
Enfin, l'auteur en vient à analyser le rôle des médias dans des crises contemporaines, telles que le changement climatique, les migrations internationales, les conflits géopolitiques (par exemple, la couverture de la guerre en Syrie ou en Ukraine), et critique les biais médiatiques et les inégalités dans la manière dont les crises sont rapportées.
Thussu ne se contente donc pas de décrire des tendances, mais adopte une approche critique des inégalités structurelles dans la communication internationale. Ses arguments sur l'importance croissante des acteurs non occidentaux, comme la Chine et l’Inde, sont encore plus pertinents à l’heure où les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) redéfinissent l’ordre mondial...
L'Inde utilise une variété d'outils de soft power pour promouvoir son influence culturelle, économique, et politique à travers le monde et de nombreux auteurs ont analysé sa stratégie.
En 2004, Joseph Nye mentionnait l’Inde comme un exemple de nation ayant un potentiel important grâce à sa culture, sa diaspora, et son modèle démocratique.
Dans "India as a Soft Power" (2017), Shashi Tharoor, diplomate et homme politique renommé, explore comment l’Inde utilise son riche héritage culturel, ses traditions spirituelles, son cinéma (Bollywood), et sa diaspora pour influencer le monde. Dans "India’s Soft Power: A New Foreign Policy Strategy" (2015), Daya Kishan Thussu explore en détail les dimensions de la" puissance douce" à l' indienne, en examinant les efforts du pays pour promouvoir sa culture, son cinéma, et ses institutions éducatives. "Branding India: An Incredible Story" (2010), Amitabh Kant, architecte de la campagne touristique mondiale" Incredible India", discute de la manière dont l'Inde a utilisé cette initiative pour se positionner comme une destination touristique attrayante. "Bollywood: A Global Journey" (2008), de Sangita Gopal et Sujata Moorti, explore encore et toujours l’impact mondial de Bollywood, un immense pont culturel, en particulier en Asie, en Afrique, et au Moyen-Orient.
Le cinéma indien est un moyen puissant de projeter une image de modernité et de diversité. Dans "Cultural Diplomacy and India’s Soft Power" (2015), Paramjit S. Sahai analyse comment l’Inde utilise la diplomatie culturelle pour promouvoir ses intérêts stratégiques. Dans "India and the Soft Power Question" (2017), David Malone analyse les opportunités et les limites du soft power indien dans un monde multipolaire, notamment sur les questions de droits de l’homme ....
1. Culture et traditions
- Bollywood et l'industrie cinématographique : L'une des plus grandes industries cinématographiques au monde, Bollywood, diffuse des récits universels et des valeurs indiennes à travers des films populaires, regardés dans plus de 100 pays. Les chansons, danses et récits familiaux sont très appréciés en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique, et même en Europe.
- La cuisine indienne, riche en saveurs et diversité, est un symbole mondial de l'Inde. Les restaurants indiens sont omniprésents dans les grandes villes du monde (La cuisine indienne est l’une des grandes réussites du Royaume-Uni : chaque semaine, 2,5 millions de clients mangent dans l’un des presque 10000 restaurants employant 80000 personnes)...
- Les saris, pashminas, et autres textiles traditionnels, ainsi que l'artisanat indien, véhiculent un attrait culturel unique.
2. Spiritualité et philosophie
- Yoga : l'Inde est largement reconnue comme le berceau du yoga, devenu une pratique mondiale associée à la santé, au bien-être, et à la spiritualité. Le 21 juin, déclaré Journée internationale du yoga par l'ONU (sous l'initiative de l'Inde), est célébré dans de nombreux pays.
- L'Inde est le foyer de grandes traditions religieuses, notamment l'hindouisme, le bouddhisme, le jaïnisme, et le sikhisme, qui attirent des millions de pèlerins et d'admirateurs spirituels.
- Des lieux comme Rishikesh, Varanasi, et Pondichéry sont des destinations spirituelles renommées pour les étrangers en quête de méditation et de renouveau spirituel.
- La diaspora indienne, forte de plus de 32 millions de personnes réparties dans plus de 130 pays, joue un rôle clé en tant qu'ambassadeur culturel de l'Inde. Elle contribue à promouvoir l'image de l'Inde par son succès économique, sa culture, et son engagement politique dans leurs pays d'accueil. Les membres influents de la diaspora, tels que Kamala Harris (vice-présidente des États-Unis), Rishi Sunak (Premier ministre britannique), et Sundar Pichai (PDG de Google), renforcent le prestige de l'Inde sur la scène mondiale.
- Les écrivains indiens contemporains, comme Salman Rushdie, Arundhati Roy, Vikram Seth, et Jhumpa Lahiri, sont acclamés internationalement, mettant en lumière la profondeur et la diversité des récits indiens. Les classiques comme le Mahabharata et le Ramayana continuent d'inspirer des récits à travers le monde.
- Des monuments comme le Taj Mahal sont des icônes mondiales, attirant des millions de touristes chaque année. L'art indien contemporain est également apprécié dans les galeries internationales.
- En termes de diplomatie culturelle, l'ICCR (Indian Council for Cultural Relations)organise des événements culturels, des expositions, et des festivals dans différents pays pour promouvoir la culture indienne. Des initiatives comme le Namaste India Festival au Japon ou le India Day Parade aux États-Unis renforcent les liens culturels entre l'Inde et d'autres nations.
- Aide internationale : l'Inde offre des bourses pour des étudiants étrangers et contribue à la construction d'infrastructures dans des pays partenaires, renforçant ainsi son image.
- Technologie et éducation : l'Inde est une source majeure de talents technologiques et scientifiques, avec de nombreux ingénieurs, médecins, et scientifiques travaillant dans des entreprises et des universités de premier plan dans le monde.
- L’Inde fait des vagues sur YouTube, avec 245 millions de téléspectateurs chaque mois. Les créateurs de contenu du monde entier réagissent à la culture indienne, en couvrant tout, des recettes aux films, en passant par les chansons et la vie quotidienne. C’est un phénomène mondial qui attire l’attention des YouTubers du monde entier.
- Leadership dans la technologie : L'Inde est reconnue comme un acteur clé dans les domaines de l'informatique, de l'IA, et de la recherche spatiale, avec des organisations comme ISRO (Indian Space Research Organisation) devenant des symboles nationaux de fierté. La résurrection de l'Université de Nalanda en tant que centre d'excellence éducative est un symbole de l'Inde en tant que pôle mondial de l'éducation. La puissance de l’Inde dans le domaine des technologies spatiales est un outil puissant et souple qui offre des possibilités infinies. Le lancement du satellite GSAT-9, ou satellite de l’Asie du Sud, met en valeur la diplomatie régionale indienne en fournissant des services spatiaux aux pays d’Asie du Sud.
- Soft Power économique : des entreprises comme Tata, Infosys, et Reliance sont devenues des acteurs majeurs à l’échelle mondiale, renforçant la présence économique de l’Inde.
- Aide au développement : l’Inde offre une aide bilatérale et des projets d'infrastructure dans les pays en développement, notamment en Afrique et en Asie. Avec des initiatives telles que l’International Solar Alliance et en promouvant des projets comme l’énergie solaire, l’Inde projette une image de leadership dans les initiatives climatiques et le développement durable.
- Cinéma et divertissement : Bollywood, Tollywood (cinéma télougou), et Kollywood (cinéma tamoul) ont un public mondial, notamment en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique, et même en Amérique latine. Des films comme RRR ou Dangal ont élargi leur audience internationale. La musique indienne, des classiques à la pop moderne, influence les charts internationaux. Les danses comme le bharatanatyam et le kathak fascinent un public global.
- Non-alignement et multilatéralisme : l'Inde, en tant que membre fondateur du Mouvement des non-alignés, continue de jouer un rôle clé dans les forums internationaux, prônant une voix indépendante pour les pays en développement. En Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, l'Inde se positionne comme un partenaire alternatif face aux grandes puissances comme la Chine et les États-Unis.
La stratégie de soft power de la Chine repose sur une combinaison d'initiatives culturelles, économiques, diplomatiques, et éducatives pour projeter une image positive et accroître son influence mondiale.
Bien que ces efforts aient obtenu des résultats impressionnants, notamment en Asie, en Afrique, et dans certains pays occidentaux, ils sont souvent perçus avec scepticisme en raison de la centralisation autoritaire du pouvoir en Chine.
Des ouvrages comme "Charm Offensive: How China's Soft Power Is Transforming the World" (2007), de Joshua Kurlantzick (il montre comment la Chine utilise la culture, la diplomatie, et l'économie pour améliorer son image et augmenter son influence mondiale) ou "Soft Power in China: Public Diplomacy through Communication" (2012), de Jian Wang (comment la Chine utilise la communication publique pour exercer son soft power, en se concentrant sur ses médias et ses campagnes culturelles), offrent une analyse approfondie de cette stratégie.
Parmi les autres livres, citons "China's Soft Power and International Relations" (2011), de Ying Zhu et Stanley Rosen (analyse des différentes dimensions du soft power chinois, notamment ses médias, son cinéma, et sa culture, ainsi que l’impact de ces efforts sur les relations internationales), "The Beijing Consensus: How China's Authoritarian Model Will Dominate the Twenty-First Century" (2004), de Stefan Halper (centré principalement sur l'attrait du modèle économique et politique chinois, il met en évidence l'influence de la Chine en tant qu'alternative aux démocraties libérales occidentales), "China Goes Global: The Partial Power" (2013), de David Shambaugh (de la montée mondiale de la Chine et comment elle utilise à la fois le soft power et le hard power pour atteindre ses objectifs), "Chinese Soft Power and Its Implications for the United States" (2009), de Carola McGiffert (de l’impact de la montée du soft power chinois sur l’ordre mondial et sur les intérêts américains) ..
- Culture et histoire : les Instituts Confucius, présents dans plus de 160 pays, enseignent la langue et la culture chinoises et servent d'outils pour promouvoir la civilisation chinoise et renforcer son attractivité. La Chine met en avant son patrimoine historique, ses sites emblématiques (comme la Grande Muraille), et sa philosophie traditionnelle (Confucianisme, Taoïsme) pour projeter une image d’une civilisation ancienne et riche. Des films comme "Crouching Tiger", "Hidden Dragon" ou "The Wandering Earth" et des séries télévisées exportées attirent un public mondial. Les médias chinois, comme CGTN et Xinhua, diffusent des récits favorables à la Chine dans différentes langues.
- L’organisation d’événements comme les Jeux Olympiques de Pékin (2008, 2022) est utilisée pour démontrer la puissance et la modernité de la Chine.
- Initiatives économiques : "Belt and Road Initiative" (BRI) est un projet visant à construire des infrastructures dans les pays en développement tout en renforçant les liens économiques et culturels avec ces pays. Des projets financés par la Chine dans des régions comme l'Afrique et l'Asie du Sud-Est contribuent à améliorer sa perception. La Chine offre des prêts, des investissements, et des projets humanitaires, souvent sans les conditions politiques associées à l'aide occidentale.
- Diplomatie de proximité : la Chine développe des relations étroites avec ses voisins asiatiques pour renforcer son influence régionale. Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) illustre le rôle de la Chine en tant que partenaire clé pour l'Afrique, renforçant son image de "partenaire du Sud global".
- La Chine projette son image de leader technologique mondial à travers des entreprises comme Huawei, Alibaba, et Tencent. Elle utilise également des plateformes comme TikTok pour influencer la culture numérique mondiale.
Le soft power des États-Unis est l’un des plus influents au monde, basé sur sa culture populaire, ses institutions démocratiques, son économie innovante, et sa capacité à promouvoir ses valeurs de liberté et d’égalité. Cependant, il est confronté à des défis importants, notamment la perception d’une certaine hypocrisie (alimentée le plus souvent par des auteurs américains) et la montée en puissance d’alternatives comme la Chine.
Nye considère les États-Unis comme un modèle exemplaire d’utilisation du soft power, grâce à leur culture populaire (Hollywood, musique, télévision), le rôle des institutions éducatives comme les universités américaines de renommée mondiale; leur capacité à promouvoir les droits de l’homme et la démocratie, mais, cependant, met en garde contre l’arrogance et les politiques étrangères coercitives qui peuvent diminuer l’attrait des États-Unis. D'où l'introduction du fameux concept de "smart power", combinant le "soft power" (attraction) et le "hard power" (coercition militaire et économique)...
Michael Ignatieff, dans "American Exceptionalism and Human Rights" (2005), analysant comment les États-Unis projettent leur soft power à travers la promotion des droits de l’homme, met en évidence le paradoxe du soft power américain dans lequel les États-Unis sont admirés pour leurs idéaux, mais critiqués pour leur hypocrisie dans leur application.
Robert Kagan, "The World America Made" (2012), défend l'idée que l'ordre mondial libéral, construit après la Seconde Guerre mondiale, repose sur le leadership américain, à la fois par le hard power et le soft power : mais il soutient que le soft power américain est crucial pour maintenir cet ordre, son érosion pourrait ouvrir la voie à des alternatives autoritaires.
David M. Lampton, dans "The Three Faces of Chinese Power: Might, Money, and Minds" (2008) se concentre principalement sur la Chine, mais comparant le soft power chinois à celui des États-Unis, montre que le soft power américain reste dominant grâce à ses idéaux universels et son attrait culturel: les États-Unis bénéficient d’un avantage significatif en raison de leur leadership dans les industries créatives et technologiques.
Peter J. Katzenstein et Robert O. Keohane, dans "Anti-Americanisms in World Politics" (2007) mettent en évidence l’ambivalence mondiale envers les États-Unis, où le soft power est à la fois une source d’attraction et de rejet : si la culture populaire américaine est globalement aimée, sa politique étrangère suscite des critiques.
Enfin, Henry Kissinger, dans "World Order" (2014), met en avant le rôle des États-Unis dans la construction d’un ordre mondial basé sur des valeurs démocratiques : il reconnaît que le soft power américain est renforcé par sa capacité à se présenter comme un défenseur des libertés et des institutions internationales.
Quelles sont les forces et faiblesses du soft power américain?
- Sa culture populaire : Hollywood, la musique, les séries télévisées, et la mode américaine jouent un rôle majeur dans la diffusion des valeurs et du mode de vie américain. Des icônes comme Coca-Cola, McDonald's, et Apple symbolisent le rêve américain.
- Les universités américaines, comme Harvard, Stanford, et MIT, attirent des étudiants du monde entier et renforcent l’influence intellectuelle des États-Unis.
- Des entreprises comme Google, Microsoft, et Amazon projettent une image de modernité et d’innovation.
- Les idéaux de liberté, de droits de l’homme, et de démocratie sont au cœur du soft power américain. Les États-Unis sont souvent perçus comme un modèle pour les pays aspirant à des réformes politiques. L'aide humanitaire et les projets de développement financés par les États-Unis renforcent leur image en tant que nation bienveillante.
- Mais les interventions militaires controversées (Irak, Afghanistan) et les scandales (Guantánamo, Snowden) sapent la crédibilité des États-Unis. Le soutien à des régimes non démocratiques nuit à leur image de promoteur des droits de l’homme.
- Mais bien que la culture populaire américaine soit globalement appréciée, elle est parfois perçue comme une forme d’hégémonie culturelle, suscitant des résistances.
- Mais les divisions politiques internes, les tensions raciales, et les controverses autour des armes à feu et de la santé affaiblissent l'image des États-Unis comme modèle démocratique.
- Mais des pays comme la Chine et la Russie cherchent activement à proposer des alternatives à l’ordre mondial dominé par les États-Unis.
Le soft power du Japon est reconnu mondialement et repose sur sa culture unique, son innovation technologique, son économie puissante, et sa diplomatie axée sur la paix.
Nye identifie le Japon comme un exemple classique de nation ayant maximisé son soft power grâce à sa culture populaire (manga, anime), son pacifisme, et son rôle dans l’aide internationale.
Il souligne que l’absence de hard power militaire rend le soft power du Japon encore plus central. Bien des auteurs ont repris ces analyses.
Douglas McGray, "Japan’s Gross National Cool" (Foreign Policy, 2002), qui a popularisé l'idée du "cool japonais" en analysant comment le Japon a utilisé sa culture populaire (anime, manga, jeux vidéo, mode) pour gagner une influence mondiale -, montre comment ces produits culturels ont construit une image du Japon comme un pays innovant et moderne.
Patrick W. Galbraith publie quant à lui des ouvrages portant sur des composantes du soft power japonais devenus vecteur d’attraction et d’influence mondiale. "The Otaku Encyclopedia: An Insider's Guide to the Subculture of Cool Japan" (2009) est décrit comme une véritable sous-culture totalement immersive au travers de ses multiples déclinaisons, animés et mangas (Naruto, Attack on Titan, et Demon Slayer), jeux vidéos et franchises associées ( Pokémon, Final Fantasy, et Legend of Zelda), figurines, vêtements, conventions (Comiket, Anime Expo), communautés en ligne, accessibilité mondiale via les plateformes de streaming, et quartiers comme Akihabara (Tokyo) et Nipponbashi (Osaka), devenus des destinations de pèlerinage pour les Otakus du monde entier. La Corée du Sud (avec la K-Pop et les K-dramas) est ici un concurrent majeur pour la domination culturelle en Asie et dans le monde et les plateformes numériques japonaises (comme Nico Nico Douga) peinent à rivaliser avec des géants mondiaux comme YouTube. "The Moe Manifesto: An Insider's Look at the Worlds of Manga, Anime, and Gaming" (2014) aborde une autre sous-culture et le concept de 'moe' dans la culture japonaise, un terme décrivant l'affection pour des personnages fictifs, et son impact sur les médias populaires, des personnages tels que Hatsune Miku (une chanteuse virtuelle) ou Astolfo (un personnage androgyne de "Fate/Grand Order"). Le Moe est un moteur clé dans la vente de figurines, de peluches, et d’autres produits dérivés. Ces objets incarnent la fascination pour les personnages et génèrent des revenus substantiels pour l'industrie...
"Anime's Media Mix: Franchising Toys and Characters in Japan" de Marc Steinberg (2012) nous expose le concept de "media mix", une stratégie japonaise dans laquelle les franchises étendent leur influence à travers plusieurs médias (animés, jouets, jeux vidéo, etc.), renforçant ainsi le soft power du Japon.
Koichi Iwabuchi, dans "Recentering Globalization: Popular Culture and Japanese Transnationalism" (2002), a montré comment la culture populaire japonaise a influencé d'autres cultures, notamment en Asie : il a analysé également le concept de "mukokuseki" (absence d'identité nationale distincte) dans la culture japonaise, qui rend ses produits culturels accessibles globalement. Malgré des défis liés à la démographie et à la concurrence régionale, le Japon reste une figure majeure du soft power mondial, offrant une vision équilibrée de tradition et de modernité.
Peter J. Katzenstein, dans "Cultural Norms and National Security: Police and Military in Postwar Japan" (1996), a étudié comment le Japon a utilisé des normes culturelles, comme le pacifisme constitutionnel, pour transformer son image internationale après la guerre : il décrit le Japon comme une puissance "normative", exerçant une influence par des valeurs et des institutions plutôt que par la coercition.
"Japanese Language and Soft Power in Asia" (2017), édité par des spécialistes des études linguistiques et culturelles, nous montre comment l'apprentissage de la langue japonaise (Japan Foundation) dans des pays comme la Chine, la Corée du Sud, la Thaïlande et l’Indonésie, peut devenir un outil stratégique pour promouvoir la culture et les valeurs du Japon. Les mangas, animés, films, et la musique jouent un rôle majeur dans l’augmentation de la popularité du japonais. Celui-ci reste donc une langue influente, mais doit rivaliser avec des langues globales comme l'anglais et des langues régionales comme le chinois.
Thomas U. Berger, dans "Cultures of Antimilitarism: National Security in Germany and Japan" (1998), compare le Japon et l'Allemagne pour montrer comment le pacifisme et l'antimilitarisme sont devenus des piliers du soft power japonais.
Yuko Kawanishi, "The Japanese Way of Justice" (1999), nous révèle comment le Japon promeut son système de justice et ses pratiques éthiques comme des modèles de discipline et d'équité, renforçant son attrait international.
Yasushi Watanabe et David McConnell, dans "Soft Power Superpowers: Cultural and National Assets of Japan and the United States" (2008), comparant l'utilisation du soft power par le Japon et les États-Unis, mettent en évidence la pertinence d'outils comme la culture populaire, la langue, et les traditions diplomatiques qui ont contribué à l'une des relations bilatérales les plus réussies du XXe siècle.
Enfin, dans "Japan and China as Charm Rivals : Soft Power in Regional Diplomacy" (2012), Jing Sun se concentre sur la concurrence entre la Chine et le Japon pour l’allégeance de la Corée du Sud, de Taïwan et d’autres États de la région : il constate qu’au lieu d’adopter une approche universelle, les Chinois et les Japonais déploient des campagnes de charme personnalisées pour chaque État cible, en tenant compte de la culture, de la position internationale et des valeurs politiques de la cible. Il évalue ensuite l’efficacité des campagnes individuelles du point de vue de l’État cible, sur la base des sondages d’opinion publique, de la couverture médiatique et de la réponse des dirigeants de l’État ...
Quelles sont les caractéristiques du soft power japonais ..
- En terme de culture populaire, anime et manga, des franchises comme Naruto, One Piece, Dragon Ball, et Studio Ghibli attirent des fans dans le monde entier. Les jeux vidéo sont incontournables : des entreprises comme Nintendo, Sony, et Sega renforcent l'image du Japon comme un leader dans le divertissement interactif.
- La Mode et la gastronomie : la mode de Harajuku, les sushis, et la cuisine japonaise, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, séduisent un public mondial.
- Technologie et innovation sont d'évidence : des marques comme Toyota, Sony, Panasonic, et Honda symbolisent la qualité et l'innovation japonaises. Le Japon est également à la pointe des technologies robotiques et de l'intelligence artificielle. Des avancées technologiques spectaculaires qui permettent de projeter une image d'excellence, de modernité et d'innovation. Masahiro Mori est célèbre pour son concept de la "vallée de l'étrange" (Uncanny Valley), dans lequel il explique que plus un robot ressemble à un humain, plus notre réponse émotionnelle est positive, jusqu'à un certain point où une ressemblance trop proche, mais imparfaite, provoque un sentiment de malaise ou de répulsion. Une théorie qui aura une influence majeure sur la conception des robots et des personnages animés, guidant les concepteurs à éviter des designs trop réalistes qui pourraient susciter une réaction négative. Dans "The Buddha in the Robot A Robot Engineer's Thoughts on Science and Religion" (1974), Mori intègrera des concepts bouddhistes pour réfléchir à la nature de la conscience et à la relation entre les humains et les machines, offrant une perspective philosophique sur la technologie et son développement. Mais les robots japonais, en particulier les modèles humanoïdes, sont devenus des symboles de la culture et de l’innovation japonaise ...
- Sa diplomatie pacifiste : depuis la Seconde Guerre mondiale, le Japon a adopté un pacifisme constitutionnel, renforçant son image de nation pacifique. Le Japon joue un rôle actif dans les organisations internationales, notamment en tant que donateur majeur d'aide au développement. Il est l’un des principaux contributeurs à l’aide humanitaire et au développement, en particulier en Asie et en Afrique.
- Son initiative "Cool Japan" vise à promouvoir la culture japonaise dans le monde entier. Les universités japonaises attirent des étudiants internationaux grâce à des programmes de bourses et à leur excellence académique. Les échanges culturels et les festivals japonais à l’étranger renforcent les liens interculturels.
Mais la démographie japonaise pourrait réduire la capacité du pays à maintenir son dynamisme culturel et économique. La Chine et la Corée du Sud rivalisent avec le Japon en termes d'influence culturelle, notamment en Asie et les tensions liées à la Seconde Guerre mondiale, notamment avec la Chine et la Corée du Sud, limitent l’impact du soft power japonais dans ces pays. Enfin, l’image du Japon comme une société homogène peut limiter son attrait dans les contextes plus multiculturels...
Le soft power des Émirats arabes unis (EAU) repose sur une stratégie proactive et diversifiée qui combine la culture, l'économie, le sport, et l'innovation pour projeter une image positive à l'échelle mondiale. Depuis leur fondation en 1971, les EAU ont transformé leur image de pays basé sur les ressources pétrolières à celle d'un hub global pour le commerce, le tourisme, et l'innovation technologique.
Des auteurs comme Ben Simpfendorfer et Kristian Coates Ulrichsen ont analysé en profondeur comment les EAU utilisent des initiatives globales dans les domaines de la culture, des sports, et de la technologie pour projeter une image de modernité, de tolérance, et de leadership. Ben Simpfendorfer, dans "The New Silk Road: How a Rising Arab World is Turning Away from the West and Rediscovering China" (2007) montre comment les EAU, en tant que carrefour entre l’Est et l’Ouest, utilisent leur position géographique stratégique pour renforcer leur influence économique et culturelle. Il met en évidence Dubaï comme un exemple de soft power basé sur l’innovation et le commerce. Kristian Coates Ulrichsen, dans "The Gulf States in International Political Economy" (2016) analyse comment les Émirats projettent leur influence en investissant dans des projets internationaux, des événements sportifs, et des initiatives culturelles, notamment via leur utilisation des fonds souverains, comme Mubadala et l’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA), pour accroître leur prestige mondial. Et bien que des défis subsistent, notamment en matière de droits de l’homme et de concurrence régionale, les EAU restent un acteur incontournable du soft power dans le monde arabe et au-delà.
Christopher M. Davidson, "Dubai: The Vulnerability of Success" (2008) cite Dubaï en tant que modèle de soft power dans le Golfe, en mettant en avant des initiatives comme le tourisme de luxe, les infrastructures modernes, et les zones franches économiques. Mehran Kamrava,"The Great Game in West Asia: Iran, Turkey and the South Caucasus" (2017), se penche sur le rôle des EAU dans la géopolitique régionale et internationale, en analysant leur utilisation du soft power pour équilibrer les relations avec des puissances comme l’Iran, l’Arabie saoudite, et les États-Unis. Jonathan G. Fulton, professeur assistant en sciences politiques à l'Université Zayed à Abu Dhabi, Émirats arabes unis, nous montre, dans "Gulf Monarchies and Soft Power" (2019), comment les monarchies du Golfe, longtemps été associées au hard power (richesse pétrolière et militaire), ont évolué vers des approches plus subtiles pour asseoir leur influence et se démarquer les unes des autres. Enfin, Andrew Hammond, "The Islamic Utopia: The Illusion of Reform in Saudi Arabia" (2012), bien que centré sur l'Arabie saoudite, compare la stratégie de soft power des EAU, en mettant en avant leur modèle plus ouvert et globalisé.
Mais les tensions avec des acteurs régionaux comme l’Iran et le Qatar peuvent nuire à l’image des EAU. Leur implication dans des conflits comme celui du Yémen soulève des critiques.
Mais, bien que les EAU projettent une image de modernité, des questions sur la liberté d’expression, les droits des travailleurs migrants, et les libertés politiques nuisent à leur soft power.
Mais malgré la diversification, la dépendance au pétrole reste une vulnérabilité qui pourrait limiter leur influence future.
Mais la concurrence régionale est sévère. Des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar rivalisent pour attirer l’attention mondiale, notamment dans les domaines du sport et de la culture ..
Quelles sont les caractéristiques du soft power des EAU?
- Tourisme, culture et infrastructure : Dubaï est devenu un symbole mondial d’innovation architecturale (Burj Khalifa, Palm Jumeirah) et de tourisme de luxe, tandis que Abu Dhabi se positionne comme un centre culturel grâce à des projets comme le Louvre Abu Dhabi et la Fondation Guggenheim. Les événements internationaux comme l’Expo 2020 à Dubaï renforcent leur image mondiale. Les EAU utilisent de même la culture pour projeter une image de modernité et de tolérance : Le Louvre Abu Dhabi symbolise le dialogue entre les cultures.
Des initiatives comme l’Année de la Tolérance (2019) promeuvent un islam modéré.
- Le Sport : les Émirats sont devenus un acteur majeur dans le domaine du sport, accueillant des événements internationaux comme La Formule 1 à Abu Dhabi, l’UFC Fight Island, la Coupe du monde des clubs de la FIFA. Les investissements dans des clubs sportifs européens, comme Manchester City, renforcent leur soft power.
- Innovation et technologie : les EAU entendent se positionner comme un leader régional en matière de technologie, avec des initiatives telles que Dubai Future Foundation pour promouvoir l’innovation ou le programme spatial émirati, notamment la mission Hope Probe vers Mars. Les zones franches comme le Dubai Internet City attirent des entreprises technologiques mondiales.
- L'Aide humanitaire : les EAU sont l’un des plus grands contributeurs mondiaux à l’aide humanitaire et au développement avec des investissements massifs en Afrique et en Asie, des programmes d’aide pour les réfugiés dans des pays comme la Syrie et le Yémen.
- Soft power économique : les fonds souverains comme Mubadala et ADIA projettent l’influence économique des EAU dans des secteurs clés, notamment l’immobilier, les énergies renouvelables, et les technologies.
- La tolérance religieuse : les EAU mettent en avant un islam modéré, accueillant des événements interreligieux et soutenant des initiatives comme l'ouverture de l'Abrahamic Family House à Abu Dhabi.
Le soft power du Qatar est en effet l’un des plus sophistiqués et ambitieux parmi les États du Golfe : malgré sa petite taille et sa population relativement faible, le Qatar a su tirer parti de ses vastes ressources énergétiques pour projeter une incroyable influence mondiale grâce à des investissements stratégiques, la diplomatie culturelle, et l’organisation d’événements internationaux. Le rôle d'Al Jazeera, des investissements économiques mondiaux, et des initiatives sportives comme outils principaux a été mis en évidence par Kristian Coates Ulrichsen
("The Gulf States in International Political Economy", 2016 ; "Qatar and the Gulf Crisis", 2018). Marc Lynch a su mettre en évidence comment le Qatar a utilisé Al Jazeera pour influencer les récits pendant les soulèvements arabes, renforçant ainsi son soft power dans le monde arabe ("The Arab Uprisings: The Unfinished Revolutions of the New Middle East", 2012). Mehran Kamrava a montré dans "Qatar: Small State, Big Politics" (2013) et "The Great Game in West Asia" (2017), comment le Qatar combine diplomatie et culture pour exercer une influence disproportionnée et le rôle de Doha comme médiateur dans les conflits régionaux et comme centre culturel. James Dorsey dans "The Turbulent World of Middle East Soccer" (2016) nous a décrit le rôle des investissements qataris dans le football, y compris l'organisation de la Coupe du Monde de la FIFA 2022, un outil majeur de soft power. Autant d'éléments repris par David Roberts dans "Qatar: Securing the Global Ambitions of a City-State" (2017).
Mais bien que riche en ressources, le Qatar reste dépendant du gaz naturel liquéfié (GNL) pour son économie, ce qui peut limiter ses ambitions à long terme...
- Al Jazeera, fondée en 1996, est devenue l’un des médias les plus influents dans le monde arabe et au-delà, offrant une plateforme pour des récits alternatifs. Elle a joué un rôle clé pendant les Printemps arabes, renforçant l’image du Qatar comme un défenseur de la liberté d’expression ("Al Jazeera and the Global Media Landscape: The South Is Talking Back", une analyse critique de Tine Ustad Figenschou, 2013; "The Al Jazeera Effect: How the New Global Media Are Reshaping World Politics", Philip Seib, 2008)
- Doha est devenue unvéritable hub éducatif avec des campus d'universités internationales comme Georgetown, Carnegie Mellon, et Northwestern via l’Education City.
- Le Musée d’art islamique et le Musée national du Qatar promeuvent la culture arabe et islamique, tout en attirant un public mondial.
- Le Qatar a accueilli la Coupe du Monde de la FIFA 2022, renforçant son image mondiale.
Il organise également des événements comme le Qatar Open (tennis) et des courses de MotoGP. Le Qatar a investi dans des clubs de football européens, comme le Paris Saint-Germain (PSG), devenant un acteur clé dans l’économie sportive mondiale. Mais la Coupe du Monde 2022 a attiré l’attention sur les conditions de travail des ouvriers migrants et les droits de l’homme, nuisance à l’image du Qatar, mais nuisance éphémère tant les médias occidentaux et leurs spectateurs ne demandent qu'à succomber aux fastes de la fête et du luxe. ("Sport, Politics and Society in the Middle East", Danyel Reiche et Tamir Sorek, 2019)
- En terme de diplomatie internationale, le Qatar sait jouer un rôle actif en tant que médiateur dans des conflits régionaux, notamment en Afghanistan, au Liban, et au Darfour. Ces efforts renforcent son image de pays neutre et stabilisateur.
- En terme d'aide humanitaire et d'investissements mondiaux, Qatar Charity et d’autres organisations mènent des initiatives humanitaires dans le monde entier. Le fonds souverain qatari, Qatar Investment Authority (QIA), investit massivement dans des secteurs stratégiques (immobilier, énergie, entreprises mondiales).
- Enfin, tolérance religieuse et modernité achève cette subtile stratégie : bien que conservateur, le Qatar se positionne comme un pays ouvert à la modernité et au dialogue interculturel. Une neutralité qui a pu rencontré certaines limites lorsque le blocus imposé par l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn, et l'Égypte (2017-2021) a mis en lumière les tensions dans le Golfe.
Nye a identifié l'Arabie saoudite comme un acteur clé du soft power religieux grâce à son rôle dans la gestion des lieux saints de l’islam, mais souligne que son influence est limitée par son image controversée sur les droits humains (2004).
Et il est vrai que le soft power de l'Arabie saoudite repose sur un équilibre subtil entre tradition et modernité. Son rôle religieux (elle est gardienne des lieux saints de l’Islam, La Mecque et Médin, et joue un rôle central dans le monde musulman : c'est le royaume qui organise le Hajj, le pèlerinage), son influence économique, et ses récents investissements dans le sport et la culture renforcent son attractivité. Cependant, son image est fragilisée par des controverses liées aux droits humains, aux tensions régionales, et aux perceptions de réformes autoritaires.
Les travaux d’auteurs comme Madawi Al-Rasheed, Bernard Haykel (contributions dans "Saudi Arabia in Transition: Insights on Social, Political, Economic and Religious Change", 2015 : comment l'Arabie saoudite utilise le wahhabisme pour projeter son influence religieuse dans le monde musulman), et Rachel Bronson ("Thicker than Oil: America's Uneasy Partnership with Saudi Arabia", 2008 : comment Riyad utilise son soft power économique et religieux pour maintenir son rôle stratégique dans le monde), offrent des perspectives nuancées sur les forces et limites de cette stratégie de soft power. Madawi Al-Rasheed, dans "A History of Saudi Arabia" (2010) et "The Son King: Reform and Repression in Saudi Arabia" (2020), a pu montrer comment l'Arabie saoudite utilise l'islam, la richesse pétrolière, et les réformes économiques comme outils de soft power, tout en mettant en évidence des contradictions entre les efforts de modernisation du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) et les répressions internes.
- L'Arabie saoudite est un acteur clé du marché énergétique mondial grâce à ses vastes réserves de pétrole, et Saudi Aramco, est l'une des plus grandes entreprises au monde, qui symbolise son rôle économique majeur.
- Le royaume utilise des fonds souverains, comme le Public Investment Fund (PIF), pour investir dans des projets internationaux et renforcer son image.
- Réformes culturelles et économiques : sous MBS, l'Arabie saoudite a lancé Vision 2030, une stratégie visant à diversifier l'économie, promouvoir le tourisme, et moderniser la société.
- L'Arabie saoudite utilise le sport comme outil de soft power: organisation de compétitions internationales (Formule 1, Super Coupe d'Espagne, combats de boxe) et investissements dans des clubs sportifs, comme l'achat de Newcastle United par le PIF.
- Riyad accueille des concerts, des festivals (comme le Riyadh Season), et d'autres événements culturels pour attirer un public mondial.
- Enfin, le royaume est, comme tous ses concurrents régionaux, l'un des principaux donateurs d'aide humanitaire et de développement, en particulier dans les pays musulmans.
- Mais les rivalités avec l'Iran et le Qatar limitent l'efficacité de la diplomatie saoudienne; la relation de l'Arabie saoudite avec le wahhabisme, une interprétation stricte de l'islam, a généré des tensions, notamment en Occident et dans certains pays musulmans; les restrictions sur la liberté d'expression et les droits des femmes continuent de susciter des critiques ...
Dans "Soft Power: The Means to Success in World Politics" (2004), Joseph Nye a identifie la France comme une grande puissance de soft power grâce à son immense patrimoine culturel, son rôle historique, et son influence dans la diplomatie mondiale, du moins jusqu'à une époque récente qui a connu l'échec d'un présidentialisme à la française trop exclusif et mal maîtrisé. Des auteurs comme Hugo Meunier ("Soft Power: Les ressorts cachés de l'influence internationale", 2019), Philippe Lamy ("La France, une puissance d'influence : Les enjeux du soft power à l'heure de la mondialisation", 2015), et Dominique Moïsi ("La Géopolitique de l'émotion", 2008) ont analysé les forces et les défis de cette influence mondiale. Malgré les pressions de la mondialisation et de la concurrence internationale, la France demeure une puissance culturelle majeure, mais la montée en puissance d'autres acteurs du soft power, comme les États-Unis, la Chine, et la Corée du Sud, complique le maintien de l'influence française. On peut s'interroger sur la pertinence d'un ouvrage collectif intitulé "La France : Puissance d'action, puissance d'influence" (2020) qui semble quelque peu désuet compte tenu du nouveau monde global dans lequel nous nous trouvons. Dans certains pays, notamment en Afrique, la France fait face à des critiques liées à son passé colonial, et à la maladresse, voire l'amateurisme, de ses dirigeants (2024). Enfin, les manifestations, les tensions sociales, et les polarisations politiques internes peuvent nuire à l’image de stabilité et de modernité que la France réussissait jusque-là à projeter ...
Nye cite le Royaume-Uni comme un exemple majeur de soft power, soulignant l'influence de sa langue, de sa culture populaire, et de ses institutions historiques. Malgré les défis récents tels que le Brexit, des auteurs comme John Kampfner ("The Global Power of Soft Power: How Britain Can Lead in the 21st Century", 2014 : le Royaume-Uni peut capitaliser sur ses forces culturelles et éducatives pour maintenir son influence mondiale dans un contexte post-Brexit) et Simon Anholt ("Competitive Identity: The New Brand Management for Nations, Cities and Regions", 2007 : le Royaume-Uni a utilisé sa marque nationale pour maintenir son attractivité mondiale, institutions culturelles et événements internationaux sont immense dans la promotion de l'image britannique) montrent que le Royaume-Uni conserve une influence mondiale significative grâce à sa créativité, son histoire, et ses valeurs démocratiques. L’anglais est la langue mondiale dominante, ce qui donne au Royaume-Uni un avantage naturel en matière de soft power, et les organisations comme le British Council jouent un rôle clé dans la promotion de l'apprentissage de l'anglais. Daya Kishan Thussu a montré le rôle essentiel des médias britanniques, notamment la BBC, dans la projection du soft power du Royaume-Uni ("International Communication: A Reader", 2010) et l'importance de la BBC World Service en tant que symbole de journalisme de qualité. Bien que centré sur les États-Unis, Inderjeet Parmar discute de la capacité britannique à influencer les normes mondiales grâce à ses institutions académiques et culturelles ("Soft Power and US Foreign Policy: Theoretical, Historical and Contemporary Perspectives", 2010) : les universités britanniques, comme Oxford, Cambridge, et la London School of Economics (LSE), attirent des étudiants du monde entier.
Le Royaume-Uni est un leader en recherche scientifique et innovation technologique. La musique britannique (The Beatles, Adele), le cinéma (James Bond, Harry Potter), et la télévision (Doctor Who, The Crown) projettent une image de créativité et de dynamisme. Des figures comme Shakespeare, Jane Austen, et J.K. Rowling renforcent le patrimoine littéraire mondial, tout ouvrage écrit en anglais s'ouvre le monde en diffusion. Le cinéma, la télévision, et la musique restent des symboles clés de la culture britannique...
Le soft power de la Corée du Sud a connu une croissance spectaculaire au cours des dernières décennies, faisant du pays une puissance culturelle mondiale.
Cette montée en puissance repose sur la culture populaire (hallyu ou Korean Wave), l’innovation technologique, et son rôle dans la diplomatie internationale. Youna Kim a analysé dans "South Korean Popular Culture and Soft Power: Hallyu Unbound" (2021) comment la vague coréenne (hallyu) a transformé l'image de la Corée du Sud à l'échelle mondiale, notamment à travers la musique (K-pop), le cinéma, et les séries télévisées (dramas). Keith Howard a repris ce schéma dans "Korean Pop Music: Riding the Wave" (206).
Dal Yong Jin, éminent universitaire spécialisé dans les médias et l’un des chercheurs les plus influents dans le domaine des médias coréens et de la mondialisation culturelle, a analysé comment les industries culturelles sud-coréennes, comme la musique, les jeux vidéo, et les dramas, s’intègrent dans les marchés globaux. Dans "New Korean Wave: Transnational Cultural Power in the Age of Social Media" (2016), il aborde la deuxième vague de la Hallyu (vague coréenne). Il montre que cette expansion n’est pas le fruit du hasard, mais résulte de différents facteurs : des politiques gouvernementales proactives, comme le soutien à l'industrie culturelle via des subventions et des partenariats publics-privés; le rôle clé des technologies numériques et des plateformes sociales (YouTube, Netflix, Spotify, TikTok) dans la diffusion mondiale des produits culturels coréens: la consommation participative fut un aspect crucial, les fans de K-Pop et de K-dramas utilisent les réseaux sociaux pour promouvoir les contenus, créant une dynamique transnationale unique. On ne peut perdre de vue que ces produits culturels ne se contentent pas de divertir mais transmettent des valeurs coréennes et influencent la perception de la Corée comme une nation innovante et créative. A cela s'est ajouté le fait qie la Corée du Sud s'est affirmé comme un pionnier dans les technologies de la communication mobile et les jeux en ligne, redoublant son influence mondiale ("Smartland Korea: Mobile Communication, Culture, and Society", 2017; "Transmedia Storytelling in East Asia", 2018).
Et selon Jin, la Corée du Sud a ainsi réussi à passer d'une position de périphérie culturelle (influencée historiquement par la Chine, le Japon, et l’Occident) à une position centrale dans l'industrie culturelle mondiale.
Jin n’idéalise pas pour autant le phénomène et met en garde contre une certaine surestimation du phénomène qui peut masquer bien des problèmes socio-économiques de la Corée, et les difficultés à maintenir un niveau de diversité culturelle qui ne peuvent manquer de se poser à court terme ("New Korean Wave: Transnational Cultural Power in the Age of Social Media", 2016). Enfin, "Understanding Korean Webtoon Culture: Transmedia Storytelling, Digital Platforms, and Genres", toujours de Dal Yong Jin (2022), analysant l'essor des webtoons coréeens (des bandes dessinées numériques conçues pour être lues sur des écrans), leur rôle dans la culture numérique et leur influence mondiale, montrent combien ils ont transformé les pratiques de consommation culturelle et redéfini la narration transmédiatique. Et les plateformes comme Webtoon et Tapas ont permis aux webtoons coréens de s'implanter dans des marchés globaux, notamment aux États-Unis, en Europe, et en Asie du Sud-Est...
La Corée a transformé les jeux vidéo en un outil culturel et économique global, favorisée par le fait qu'elle dispose d’une infrastructure Internet parmi les plus rapides et les plus accessibles au monde (les jeux en ligne). Les PC bangs, espaces dédiés aux jeux vidéo, permettent aux joueurs d'accéder à des jeux de haute qualité sans avoir besoin d'ordinateurs coûteux. La Corée est souvent considérée comme le berceau de l'e-sport (sports électroniques): "Lords of the Arena: The Rise of the Esports Phenomenon", de Ralf Lothar (2021), nous restitue unevue d'ensemble des e-sports mondiaux, avec une analyse de l'influence coréenne. PUBG (PlayerUnknown’s Battlegrounds), développé par Krafton, un studio sud-coréen, PUBG a popularisé le genre Battle Royale et reste un jeu phare dans le monde. Lost Ark, un jeu d’action-RPG en ligne massivement multijoueur (MMORPG), développé par Smilegate, a connu un succès massif en Corée avant de s’étendre à l’international. "Korea's Online Gaming Empire", de Dal Yong Jin (2010) nous raconte comment la Corée du Sud est devenue une puissance mondiale dans le secteur des jeux en ligne...
La Corée du Sud a donc bien délibérément développé ses industries culturelles pour devenir une force majeure dans le divertissement mondial, nous explique Euny Hong dans "The Birth of Korean Cool: How One Nation Is Conquering the World Through Pop Culture" (2014). Et bien qu'axé sur le Japon, Koichi Iwabuchi compare la Corée du Sud et son succès culturel en Asie, soulignant l’impact de la hallyu comme un phénomène transnational ("Recentering Globalization: Popular Culture and Japanese Transnationalism", 2002).
Quelles sont les caractéristiques du soft power coréen?
- La Korean Wave (Hallyu) : en musique, la K-pop (BTS, BLACKPINK) est devenu un phénomène mondial, attirant des millions de fans et générant des milliards de dollars. Au cinéma, des films comme "Parasite" (Oscar du meilleur film en 2020) et des réalisateurs comme Bong Joon-ho ont renforcé l'attrait culturel de la Corée du Sud. Des dramas comme "Crash Landing on You" et "Squid Game" ont captivé des publics mondiaux, popularisant la langue et la culture coréennes.
- Les innovations technologiques : des entreprises comme Samsung, LG, et Hyundai symbolisent la modernité et l'innovation. Geoffrey Cain, dans "Samsung Rising: The Inside Story of the South Korean Giant That Set Out to Beat Apple and Conquer Tech" (2020), et Jaeyong Song et Kyungmook Lee, dans "The Samsung Way: Transformational Management Strategies from the World’s Number One Consumer Electronics Company" nous en livrent les secrets. La Corée du Sud est également un leader dans les technologies numériques, la 5G, et l’intelligence artificielle.
- La cuisine coréenne, notamment le kimchi, le barbecue coréen, et les plats populaires, est devenue une partie intégrante de la scène culinaire mondiale. Les émissions culinaires et les tendances sur les réseaux sociaux ont amplifié son attrait.
- Les universités coréennes, comme KAIST et Seoul National University, attirent des étudiants internationaux. Le pays investit massivement dans la recherche scientifique et les industries créatives.
- Le gouvernement sud-coréen soutient activement l’exportation de la culture populaire par des politiques telles que la Korean Foundation for International Cultural Exchange (KOFICE).
- La Corée du Sud est un leader mondial dans l’industrie des jeux vidéo et l’e-sport, renforçant son attrait auprès des jeunes générations.
- Mais la Corée du Sud fait face à une forte concurrence de la Chine et du Japon, qui projettent également leur soft power dans la région et au-delà. Les inégalités économiques et sociales internes peuvent aussi affecter la cohésion de l'image projetée. Les tensions avec la Corée du Nord et les perceptions internationales de la péninsule coréenne comme une zone instable peuvent jouer négativement...
Le soft power de l’Espagne repose sur des piliers solides comme sa langue (l ’espagnol est la deuxième langue la plus parlée dans le monde par le nombre de locuteurs natifs), son patrimoine culturel, et son rôle dans le sport et la gastronomie. Nye identifie l’Espagne comme une puissance culturelle significative grâce à sa langue, son patrimoine, et son rôle historique en tant que pont avec l’Amérique latine. Des auteurs comme Ángel Badillo Matos (contributions dans "Cultural Diplomacy in Europe", 2020) et Fernando Valderrama ("España y su acción cultural en el exterior", 2018) ont mis en lumière les forces de la stratégie culturelle et linguistique espagnole, notamment à travers l’Institut Cervantes et la coopération ibéro-américaine. Malgré des défis tels que les tensions internes et la concurrence mondiale, l’Espagne demeure une puissance culturelle et touristique majeure, projetant une image de modernité et de tradition dans un équilibre unique ..
- Culture et patrimoine : le patrimoine artistique espagnol est mondialement reconnu, avec des figures comme Picasso, Dalí, et Gaudí. Des villes comme Barcelone, Séville, et Grenade attirent des millions de touristes chaque année grâce à leurs monuments historiques et leur architecture unique. La cuisine espagnole, notamment la paella, les tapas, et les vins de La Rioja, joue un rôle clé dans la projection de l’image de l’Espagne.
- L’Espagne est une puissance sportive majeure. Des clubs de football comme Real Madrid et FC Barcelone sont des marques mondiales.
- Cinéma et arts audiovisuels : des réalisateurs comme Pedro Almodóvar et des festivals comme le Festival de San Sebastián projettent l’influence cinématographique espagnole. Les séries télévisées comme La Casa de Papel (Money Heist) ont acquis une renommée mondiale.
- L’Espagne joue un rôle actif dans la promotion de la culture ibéro-américaine à travers des événements comme le Festival de la Hispanidad et des programmes de coopération culturelle.
- Tourisme : l’Espagne est l’un des pays les plus visités au monde, avec des destinations comme les îles Baléares, les Canaries, et les villes historiques.
- Mais les tensions avec la Catalogne et le Pays basque affectent l’image d’unité nationale de l’Espagne. Dans certaines parties de l’Amérique latine, l’image de l’Espagne reste associée à son passé colonial, ce qui peut limiter son influence. Comparée à des puissances comme les États-Unis ou la Chine, l’Espagne dispose de ressources financières et politiques plus restreintes pour développer son soft power.