2010 - Multiverse - Max Tegmark, "Our Mathematical Universe: My Quest for the Ultimate Nature of Reality" (2012) - Brian Greene, "The Hidden Reality : Parallel Universes and the Deep Laws of the Cosmos" (2011) - Leonard Susskind, "The Cosmic Landscape: String Theory and the Illusion of Intelligent Design" (2005) - Sean Carroll, "Something Deeply Hidden: Quantum Worlds and the Emergence of Spacetime" (2019) - David Deutsch, "The Fabric of Reality: The Science of Parallel Universes–And Its Implications" (1996) - ...
Le "multivers mathématique", nouvelle métaphysique ancrée dans l'expérimentation technologique, mais qui, reste par ailleurs à la surface, médiatique, de nos existences et des questions qui s'y rapportent ...
La vision de Tegmark, particulièrement fascinante et partiellement innovante, - l'univers est fondamentalement mathématique et nous vivons dans un "multivers mathématique" -, réanime ces fameuses questions fondamentales sur la nature des mathématiques, leur relation avec l'esprit humain, et leur capacité à décrire de manière exhaustive la réalité aux quelles bien des philosophes ont tenté de répondre au siècle précédent...
Mais cette approche, en ce début du XXIe siècle, est à mettre en relation avec plusieurs aspects de la technologie ambiante contemporaine, notamment dans les domaines de l'intelligence artificielle (IA), des technologies computationnelles, des simulations et de l'Internet des objets (IoT). Ces technologies montrent comment des systèmes mathématiques peuvent être utilisés pour modéliser, simuler et même influencer la réalité de manière pragmatique. La scène médiatique peut ainsi relier les idées de Tegmark aux pratiques technologiques actuelles qui enchantent tant nos esprits médiatisés à l'extrême...
Simulation numérique et modélisation mathématique sont au cœur de nombreuses technologies modernes, des superordinateurs et des algorithmes de machine learning sont utilisés pour résoudre des systèmes jugés techniquement complexes qui, dans un certain sens, "reproduisent" des aspects de la réalité physique. Les lois de la physique, de la biologie et des phénomènes sociaux peuvent être modélisées mathématiquement, permettant aux chercheurs et aux ingénieurs de faire des prédictions, des analyses et même de créer des mondes virtuels.
La fameuse intelligence artificielle, en particulier le machine learning, repose sur des structures mathématiques complexes comme les réseaux neuronaux, les algorithmes d'optimisation, et les modèles probabilistes. L'IA utilise des modèles mathématiques pour apprendre des données et prendre des décisions de manière autonome. L'algorithme apprend à partir de données et optimise ses paramètres pour minimiser l'erreur, en ajustant les coefficients d'un modèle mathématique. On peut ainsi considérer l'IA comme un outil d'exploration des structures mathématiques. Selon Tegmark, l'univers est une structure mathématique et, par extension, toute entité (comme une IA) qui utilise des mathématiques pour modéliser et interagir avec le monde. La réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA) permettent de créer des mondes numériques immersifs dans lesquels des règles et des interactions sont souvent basées sur des modèles mathématiques, géométrie 3D, et modèles de lumière et de couleur, une création de mondes virtuels à partir de structures mathématiques qui fait donc écho à l'idée de Tegmark selon laquelle un univers entier pourrait être une structure mathématique.
L'Internet des objets (IoT), qui consiste en un réseau de dispositifs physiques interconnectés qui collectent et échangent des données, et communiquent entre eux, souvent de manière autonome, repose sur des modèles mathématiques qui analysent et interprètent les données collectées en temps réel. Chaque objet connecté peut être ainsi vu comme une entité qui interagit dans un réseau mathématique, et l’IoT perçu comme le microcosme d’un univers mathématique dans lequel des entités interconnectées suivent des règles logiques et des algorithmes pour rendre le système plus efficace et autonome, tout comme les lois physiques gouvernent l'univers.
Enfin, la cryptographie moderne qui repose sur des concepts mathématiques complexes, tels que la théorie des nombres, les fonctions de hachage et les algorithmes de clé publique/privée, pour sécuriser les communications et les transactions numériques, correspond à l’idée de Tegmark selon laquelle des structures mathématiques définissent l’ordre sous-jacent de l’univers, des structures qui peuvent être utilisées pour réguler l'information, que ce soit dans un contexte physique (comme dans les lois de la nature) ou technologique (comme dans la sécurité numérique).
Dernier exemple, le calcul quantique qui s’appuie sur des modèles mathématiques de la mécanique quantique, qui eux-mêmes sont basés sur des structures mathématiques abstraites, et qui devraient nous permettre de découvrir des vérités mathématiques cachées dans l'univers, révélant ainsi des aspects d'un multivers mathématique qui nous étaient auparavant inaccessibles. Nous sommes donc bien de bout en bout dans une Technologie Ambiante, ses systèmes complexes, son intelligence artificielle, ses réalités simulées et ses réseaux interconnectés, et un Univers Mathématique plus que dans les questions fondamentales auxquelles note Humanité n'a guère trouvé de véritables réponses ...
Les livres de Max Tegmark et de Brian Greene sont souvent considérés comme les "livres cultes" sur le multivers, chacun offrant une vue d'ensemble des différentes théories et explications possibles. Max Tegmark, en particulier, est reconnu comme l'un des théoriciens les plus influents et l'un des plus ardents défenseurs de l'idée d'un multivers, avec une approche mathématique et conceptuelle qui pousse l'idée de multivers à son extrême. Cependant, des auteurs comme Leonard Susskind, Stephen Hawking, et Sean Carroll contribuent également de manière significative au débat sur le multivers en apportant des perspectives variées, allant des implications de la théorie des cordes aux interprétations de la mécanique quantique ...
Greene montre bien, en conclusion de son livre "The Hidden Reality" (2011), qu'en raison de leur nature spéculative et de leur manque de testabilité immédiate, les théories du multivers, traversent cette frontière si fascinante pour toute une littérature anglo-saxonne entre science et philosophie. Quelque sept siècles plus tard (que l'on pense à "De l'infini, de l'univers et des mondes", du si singulier Giordano Bruno, 1584), le "multivers" ouvre la porte, en quête de la structure ultime de notre réalité, à une conception infinie de celle-ci, à une étrange et singulière complexité : ici, les univers se multiplient à l'infini selon des modèles différents, des lois physiques variées, ou des configurations d’espace-temps distinctes, ici semble pouvoir se comprendre que les constantes physiques de l'univers puissent être réglées de manière extrêmement précise pour permettre l'émergence de la vie, ici semble peut-être se dessiner des pistes de réflexion nouvelles sur la structure de la réalité et de notre existence, et peut-être que cette idée d'un multivers pourrait affecter notre perception de l'univers et de notre place dans celui-ci, peut-être, mais ...
Et comme souvent dans ces nouveaux domaines d'interprétation, ou de réinterprétation, du monde auxquels bien des talents, souvent" outre-Atlantique ou Pacifique", nous fournissent de très volumineux ouvrages, il est d'usage de tenter d'établir une filiation philosophique à laquelle l'idée d'univers multiples ne peut échapper. Bien entendu, l'idée remonte à l'Antiquité, les philosophes grecs, comme Anaximandre (VIe siècle avant notre ère), ont spéculé sur l'existence de mondes multiples en dehors du nôtre, le philosophe Épicure (341–270 av. J.-C.) et plus tard son disciple Lucrèce ont aussi envisagé la possibilité d'une infinité de mondes dans un espace infini. Au Moyen Âge et durant la Renaissance, cette idée a parfois été reprise, notamment par Giordano Bruno (1548–1600), qui a imaginé un univers infini contenant d'innombrables mondes habités : Bruno pensait que chaque étoile pouvait être un soleil autour duquel orbitaient des planètes, anticipant une vision cosmique où notre monde n’était qu’un parmi d’autres. Il fallut attendre plus de quatre siècles avant que la notion de multivers prenne essor dans la science avec la mécanique quantique dans les années 1920 et 1930, l'interprétation des mondes multiples de la mécanique quantique dans les années 1950 du physicien Hugh Everett III, la théorie de l'inflation cosmique de Alan Guth et Andrei Linde dans les années 1980, puis les théories des cordes et plus tard la théorie des branes en physique théorique. En parallèle, la science-fiction s'était largement appropriée la notion de multivers bien avant qu'elle ne devienne un sujet sérieux de la physique théorique, H.G. Wells (The Door in the Wall, 1906), Michael Moorcock dans ses sagas d'heroic fantasy, ou encore Philip K. Dick ont exploré des mondes parallèles où les personnages vivent des réalités alternatives. Aujourd'hui, la théorie du multivers est un sujet de débats intenses en cosmologie et en philosophie de la science, et permet de réanimer une spéculation philosophique en panne totale d'idées...
Max Tegmark, "Our Mathematical Universe: My Quest for the Ultimate Nature of Reality" (2012)
Max Tegmark (1967), cosmologiste suédo-américain à l'institut MIT et fondateur du Future of Life Institute ("Life 3. 0 : Being Human in the Age of Artificial Intelligence"), apologiste renommé de la théorie du multivers, s'interrogeait sur la nature de la réalité que nous a livré en quelques décennies la cosmologie. C'est en explorant les différentes possibilités de compréhension et de représentation de ce nouvel univers qui s'offrent à nous, que 'est imposé à lui une nouvelle énigme : pourquoi notre univers semble-t-il si mathématique, ou du moins pourquoi les mathématiques sont-elles incontournables pour qui entend comprendre l'immense étrangeté physique qui nous entoure (why does math describe nature so well?). Tegmark en vint à proposer une idée radicale, que notre monde physique n’est pas seulement décrit par les mathématiques, mais qu’il est mathématique. Cette hypothèse semble dans un premier temps répondre à bien des interrogations, mais quelle est véritablement l’ampleur de cette réalité ? Une thèse qui va entraîner Max Tegmark sur le chemin d'une notion qui va devenir un incontournable de la scène médiatique, à la notion de "MULTIVERS" (Mathematical Multiverse).., une idée qui s'inscrit par ailleurs dans une réflexion plus large sur la nature des lois physiques et leur possible variation à travers un ensemble d'univers parallèles ...
C'est en réfléchissant sur les relations qu'entretiennent mathématiques et lois physiques, et plus encore sur la manière dont les lois de la physique semblent émerger tout naturellement de structures mathématiques, que Max Tegmark en vient pour une grande part à formuler sa théorie. Que la réalité soit mathématique découle de l'universalité et de la puissance explicative des mathématiques. L'idée n'est pas en soit nouvelle. Depuis les premières découvertes scientifiques, les mathématiques ont été utilisées pour décrire et prédire des phénomènes naturels avec une précision impressionnante. Les lois de la mécanique de Newton, les équations de Maxwell en électromagnétisme, et la relativité générale d'Einstein sont toutes des structures mathématiques qui décrivent l'univers de manière extrêmement efficace. Mais de plus, les mathématiques ne sont pas seulement des outils pratiques pour modéliser la réalité, mais semblent constituer une description intrinsèque de la nature elle-même. La plupart des lois physiques qui ont été découvertes jusqu'à présent n'émergent-elles pas de structures mathématiques, ce qui conduit à la question fondamentale : pourquoi les lois de la nature sont-elles si étonnamment bien décrites par les mathématiques ?
L'idée que la réalité soit mathématique découle également de la manière dont les structures mathématiques semblent exister indépendamment de l'esprit humain. Tegmark s'inscrit dans une vision réaliste des mathématiques, qui suggère que les entités mathématiques (comme les nombres, les formes géométriques ou les équations) existent en dehors de nous, indépendamment de notre perception ou de notre cognition. Les mathématiques ne sont pas simplement des inventions humaines, mais de véritables découvertes ...
Tegmark consolide son hypothèse en rappelant que la physique moderne cherche depuis plus d'un siècle à unifier les différentes forces de la nature sous une seule théorie cohérente. Et l'une des motivations de cette quête d'unification est que l'on peut effectivement penser qu'il existe une profonde simplicité sous-jacente à la nature (ainsi la théorie de la relativité générale d'Einstein et la mécanique quantique décrivent des phénomènes extrêmement différents, mais ont en commun une même structure mathématique unifiée). La quête de cette unité mathématique dans les lois physiques conduit naturellement notre auteur à l'idée que l'univers tout entier pourrait être fondé sur une structure mathématique unique et fondamentale. Selon Tegmark, si la réalité ultime de l'univers est une structure mathématique, alors toutes les lois physiques que nous observons sont simplement des manifestations ou des expressions de cette structure plus profonde ...
De la structure mathématique fondamentale au Multivers Mathématique ...
Donc, pour Tegmark, tout ce qui existe est mathématique, mais plus encore l'univers dans lequel nous vivons est un univers mathématique parmi une infinité d'autres. L'univers que nous percevons est un produit de structures mathématiques, et chaque ensemble de lois mathématiques cohérentes décrit un "univers" potentiel. Ce point de vue s'étend à l'idée que les différents types de multivers pourraient exister, chacun correspondant à des structures mathématiques différentes...
(String Theory and the Construction of the Multiverse) - La fameuse "théorie des cordes" qui , bien qu'elle n'ait pas encore été vérifiée expérimentalement, reste un domaine actif de recherche en physique théorique, en particulier dans le cadre de la recherche d'une unification des lois fondamentales de l'univers, va jouer un rôle important dans le raisonnement de Tegmark....
La thèse principale de cette théorie, - dont Leonard Susskind, Holger Bech Nielsen et Yoichiro Nambu sont considérés comme les pères fondateurs dans les années 1960-70 -, est que les particules élémentaires ne sont pas des points sans dimension, mais plutôt de petites cordes vibrantes qui oscillent à différentes fréquences dans un espace-temps à plusieurs dimensions. Ces vibrations déterminent les propriétés de la particule, comme sa masse, son charge et son type d'interaction. Dans ce cadre, la théorie des cordes va proposer non seulement des univers à multiples dimensions, mais aussi une variété de solutions possibles pour les structures fondamentales des lois de la physique, en fonction de la façon dont ces cordes vibrent et interagissent. Ces différentes solutions peuvent donner lieu à des univers aux propriétés très variées, et ainsi constituer des candidats pour différents types de multivers.
Tegmark ne reprend pas directement la théorie des cordes dans ses travaux, mais intègre certaines de ses implications dans sa thèse du "multivers mathématique". Pour lui, chaque solution mathématique possible aux équations de la physique pourrait décrire un univers distinct. Et la diversité des solutions de la "théorie des cordes", comme la multitude de possibilités pour la compactification des dimensions et les différentes topologies possibles de l’espace-temps qu'elle porte, pourrait révéler autant de réalités mathématiques ou d'univers distincts, des structures qui pourraient exister indépendamment de notre réalité observable.
Pour se résumer, toutes les structures mathématiques possibles existent réellement dans un "multivers mathématique", notre univers serait simplement une réalisation particulière d'une structure mathématique parmi une infinité d'autres.
Dans le chapitre 4 de "Our Mathematical Universe", intitulé "Quantum Reality", Max Tegmark explore la nature de la réalité quantique, une question qui a des implications profondes sur la manière dont nous comprenons l'univers. Ce chapitre est crucial pour comprendre sa vision de la réalité, car il cherche à expliquer pourquoi la mécanique quantique, qui semble défier notre intuition classique, peut être interprétée comme une structure mathématique.
Tegmark commence par affirmer que la mécanique quantique, qui décrit le comportement des particules subatomiques, est notre meilleure théorie physique pour comprendre la réalité. Et si cette théorie semble extrêmement étrange selon nos intuitions classiques, c'est qu'elle prouve que notre réalité est fondamentalement quantique. Puis il en vient à une autre idée que porte la mécanique quantique, celle de l'interprétation des mondes multiples (ou Many-Worlds Interpretation - MWI). Selon cette interprétation, lorsque plusieurs résultats sont possibles pour un événement quantique (par exemple, un électron qui peut passer par deux fentes dans l'expérience des fentes de Young), tous ces résultats se produisent, mais dans des branches séparées de l'univers. Chaque possibilité devient une réalité dans un "monde parallèle". Une interprétation bien différente de l'interprétation de Copenhague, mais Tegmark insiste sur le fait que l'interprétation des mondes multiples, bien qu'elle soit contre-intuitive, est mathématiquement cohérente et offre une solution élégante aux paradoxes quantiques comme le paradoxe du chat de Schrödinger (un chat qui est à la fois vivant et mort jusqu'à ce qu'il soit observé). Dans cette interprétation, le chat n'est pas dans un état flou, mais il existe réellement dans deux mondes parallèles, un dans lequel il est vivant et un autre dans lequel il est mort.
(La Nature Mathématique des Mondes Multiples) Tegmark, en suivant sa thèse générale que la réalité est mathématique, explique que dans l'interprétation des mondes multiples, chaque "monde" est en réalité une structure mathématique cohérente. En d'autres termes, chaque branche de l'univers, chaque "monde" parallèle, correspond à une solution mathématique valide aux équations de la mécanique quantique. Cela rejoint son idée plus large selon laquelle la réalité elle-même est une structure mathématique et que chaque univers possible décrit une structure mathématique distincte.
Dans l'univers quantique, il n'y a pas de phénomène de "choix" ou de "hasard" dans le sens classique. Pour Tegmark, ce qui semble être des événements aléatoires (comme la position d'une particule ou le résultat d'une mesure) est en fait le reflet d'une réalité sous-jacente extrêmement ordonnée et mathématiquement précise. Selon lui, les probabilités en mécanique quantique ne sont pas des imperfections de notre connaissance, mais des vérités fondamentales sur la structure mathématique de l'univers. La quantification des états dans la mécanique quantique n'est pas un phénomène accidentel ou mystérieux, mais plutôt le résultat d'une structure discrète et quantifiée du temps et de l'espace. Chaque branche de l'univers quantique représente une solution distincte et cohérente aux équations mathématiques sous-jacentes.
L'un des grands mystères de la mécanique quantique est ce que l'on appelle le problème de l'observation. Selon la théorie de Copenhague, l'acte d'observation "impose" au système quantique l'adoption d'un état bien défini. Cependant, dans l'interprétation des mondes multiples, ce n'est pas l'observation qui provoque un effondrement de la fonction d'onde, mais plutôt le fait que, lorsqu'un événement quantique a lieu, l'univers se divise en plusieurs branches, et chaque branche correspond à un état particulier.
Mais pourquoi expérimentons-nous une seule réalité alors qu'il pourrait y en avoir de multiples. Tegmark avancera que ce n'est pas un phénomène paradoxal : les différentes branches de l'univers existent réellement, mais nous n'interagissons qu'avec celle qui correspond à nos propres conditions d'observation...
Autre question de cet important chapitre, l'idée selon laquelle notre univers pourrait être une simulation. S'il est possible qu'un univers soit une structure mathématique, cela ouvre la porte à l'idée que notre propre univers pourrait être une simulation informatique dans un autre univers, une hypothèse connue sous le nom de "théorie de la simulation". Pour Tegmark, si l'univers que nous expérimentons est mathématiquement cohérent, alors il est réel au sens mathématique, même s'il n'est que simulation...
Un chapitre qui, soutenant que chaque possibilité quantique crée un univers distinct, remet en question notre vision linéaire de l'existence et de l'histoire...
Tegmark’s Classification of the Multiverse - Tegmark va dès lors structurer son argumentation à l'image de la représentation qu'il se fait de notre monde, d'une réalité qui, parce qu'elle existe indépendamment des êtres humains, doit nécessairement être définie selon des entités non humaines : "un hypothétique superordinateur idéal pourrait calculer comment l’état de notre univers change au fil du temps sans interpréter ce qui se passe en termes humains.." Le défi que nous lance Tegmark s'impose dès lors en ces termes : envisager la possibilité que les mathématiques ne décrivent pas seulement le monde mais constituent ce monde ...
Au-delà des simples suggestions cosmologiques, Tegmark présente sa fameuse classification en quatre niveaux (level) de multivers, une classification qui repose sur la manière dont les différents univers pourraient se distinguer par leurs lois physiques ou leurs structures mathématiques ...
Level 1 : Le multivers "classique" de l'inflation cosmique (The "Classical" Multiverse of Cosmic Inflation) - Selon la théorie de l'inflation (inflationary cosmology), après le Big Bang, l'univers a connu une expansion extrêmement rapide pendant une fraction de seconde. Cette idée conduit à la notion de "multivers inflationnaire", où différentes régions de l'espace-temps pourraient se comporter comme des "bulles" indépendantes, chacune ayant ses propres lois physiques. Ces "univers-bulles" (bubble universes) seraient donc en dehors de notre portée observable.
Level 2 : Le multivers des lois physiques différentes (The Multiverse of Different Physical Laws) - Ce niveau de multivers suppose que même les lois fondamentales de la physique (comme la constante de couplage, les forces fondamentales, etc.) peuvent être différentes d’un univers à l’autre. Cela découle des modèles de la théorie des cordes, où de nombreux "vacuum states" (états de vide) existent, chacun correspondant à un univers avec ses propres lois physiques.
Level 3 : Le multivers des mondes quantiques (The Quantum Multiverse - Many-Worlds Interpretation) - Ce niveau est lié à l'interprétation "Many-Worlds" de la mécanique quantique, qui postule que tous les résultats possibles d'une expérience quantique se réalisent dans des branches différentes de l'univers. Chaque fois qu'un événement quantique se produit avec des résultats multiples possibles, l'univers se divise en plusieurs "branches", créant ainsi un multivers de mondes parallèles.
Level 4 : Le multivers mathématique (The Mathematical Multiverse) - Le dernier niveau est le plus radical. Selon Tegmark, les structures mathématiques existent indépendamment de l'esprit humain et sont donc "réelles" ("real") au même titre que l'univers physique. Un multivers mathématique supposerait que chaque structure mathématique possible correspond à un univers réel. Autrement dit, il existerait un nombre infini d'univers correspondant à des structures mathématiques différentes. C'est une idée profondément ontologique et épistémologique, où la réalité elle-même serait une sorte de structure mathématique.
Correspondant à ce "Level IV multiverse, or the "Mathematical Universe Hypothesis" (MUH)", le chapitre 5 de "Our Mathematical Universe", intitulé "Our Mathematical Universe", permet à Max Tegmark de développer l'une de ses thèses les plus audacieuses et controversées : l'idée que l'univers tout entier est une structure mathématique et que toute structure mathématique cohérente correspond à une réalité physique. Tout ce qui existe - non seulement les objets physiques, mais aussi les lois qui les gouvernent - est en fait une manifestation de structures mathématiques. Et toutes les entités mathématiques étudiées par les mathématiciens ne sont pas de simples constructions abstraites mais des mondes réels, chacun avec ses propres propriétés physiques et règles. Un chapitre qui approfondit sa fameuse vision mathématique de la réalité, qui consiste à affirmer que l'univers ne « fait » pas partie de la mathématique, mais est la mathématique.
Une idée qui donne naissance à une conception de la réalité radicalement bien singulière, dans laquelle toutes les structures mathématiques possibles existent réellement, formant ainsi un multivers mathématique. Pour Tegmark, comprendre la réalité revient à comprendre ces structures mathématiques profondes et universelles.
Tegmark rappelle que les mathématiques ont toujours été un langage incroyablement puissant pour décrire les phénomènes naturels. Que ce soit les lois de Newton, l'équation de Schrödinger en mécanique quantique, ou les équations de la relativité générale d’Einstein, les mathématiques ont prouvé leur capacité à décrire le monde avec une précision stupéfiante. Cette étonnante adéquation entre les mathématiques et la nature n’est pas un hasard, mais un indication de la nature intrinsèque de l'univers. Ce qui en effet le fascine particulièrement, c’est que les phénomènes naturels semblent suivre des règles mathématiques, même là où les objets ne sont pas directement observables (comme dans le cas des trous noirs ou des particules subatomiques). L'idée de Tegmark est que cette "coïncidence" est en réalité le signe que l'univers est lui-même fondé sur des structures mathématiques, et non simplement que les mathématiques sont un outil utile pour décrire ce que nous observons.
Tegmark adopte dès lors une position réaliste vis-à-vis des mathématiques. Selon lui, les structures mathématiques existent indépendamment de l'esprit humain. Elles ne sont pas des inventions humaines mais des entités qui existent "dans le monde des idées", tout comme des objets physiques existent dans l'univers. Cette vision fait écho à la philosophie des mathématiques de Platon, qui soutenait que les entités mathématiques (comme les nombres, les formes géométriques, les équations, etc.) existent dans un monde séparé, une réalité non physique, et que nous les découvrons plutôt que de les inventer. Tegmark va sans doute un plus loin en suggérant que, si les mathématiques sont réelles, cela signifie que la réalité physique elle-même est fondamentalement mathématique.
(L'Univers Comme Une Structure Mathématique) - Le point central de la thèse de Tegmark est que l’univers tout entier — l’espace, le temps, les particules, les lois de la physique — est une structure mathématique. Plutôt que de voir l'univers comme une entité physique qui suivrait des lois mathématiques, Tegmark propose une vision plus radicale : les lois de la physique sont les propriétés mathématiques de l'univers. Autrement dit, la structure même de l'univers est mathématique. Il imagine l'univers comme un ensemble de relations mathématiques, où les particules, les champs et les forces sont des manifestations ou des réalisations de ces structures mathématiques. De cette manière, les objets physiques comme les atomes, les planètes ou les galaxies ne sont pas « réels » au sens traditionnel, mais sont des formes ou des configurations mathématiques qui existent dans l'espace-temps. Pour Tegmark, l'univers est comparable à un immense objet mathématique, une sorte de structure géométrique ou topologique infinie et dynamique.
Quant aux lois physiques qui régissent notre univers (comme la gravité, l'électromagnétisme, la mécanique quantique, etc.), elles ne sont pas simplement des observations empiriques ou des principes adoptés pour expliquer la nature, sont les propriétés invariables d'une même structure mathématique fondamentale.
(Le Multivers Mathématique) - Tegmark va rattacher son argumentaire sur la "nature mathématique de la réalité" à sa proposition de "multivers mathématique", développée précédemment. Si l'univers est une structure mathématique, alors toutes les structures mathématiques possibles correspondent à un univers réel. Il avance que l’univers dans lequel nous vivons est une réalisation spécifique d’une structure mathématique particulière, mais qu'il existe une infinité d'autres structures mathématiques possibles, chacune représentant un univers parallèle dans un multivers. Chaque structure mathématique cohérente existe effectivement comme un univers distinct. L'auteur va bien au-delà de l'idée classique de multivers (comme celui des "univers-bulles" de l'inflation cosmique), en suggérant que tout ce qui est mathématiquement possible existe vraiment.
Et c'est l'un des aspects les plus audacieux de la thèse de Tegmark : l'existence de mondes parallèles n'est pas un phénomène mystérieux ou spéculatif, mais une conséquence logique de la structure mathématique de l'univers. Dans son modèle, il n'y a pas de frontière nette entre notre univers et les autres "univers" du multivers. Ce sont tous des réalisations mathématiques différentes. Une hypothèse qui implique que la notion de réalité devient d'une souplesse inégalée : si tout ce qui peut être exprimé mathématiquement existe dans un multivers, cela remet en question nos conceptions classiques de ce qui est réel, en particulier la notion de causalité et de spatialité. Chaque "univers" dans ce multivers est régi par ses propres règles et structures mathématiques, mais tous sont réels en tant que structures mathématiques...
Une théorie de la réalité qui fait donc écho au platonisme mathématique, qui affirme que les objets mathématiques existent indépendamment de nous. Selon lui,
- cette ontologie mathématique est la seule à pouvoir expliquer l'universalité et la puissance des mathématiques pour décrire l'univers....
- et ces structures mathématiques existent indépendamment de l'esprit humain et celui-ci, grâce à son intellect, capable d’abstraction et de symbolisation, va découvrir ces structures abstraites, les formaliser et les utiliser pour décrire un univers qui est fondamentalement une réalité mathématique...
- Roger Penrose ("The Road to Reality: A Complete Guide to the Laws of the Universe", 2004), physicien théoricien et mathématicien, est l'un des critiques majeurs des idées de Tegmark. Il soutient ici l'idée que les lois physiques du monde ne peuvent pas être simplement réduites à des structures mathématiques abstraites, et que les lois de la physique sont beaucoup plus profondes et ne peuvent être expliquées uniquement par des mathématiques formelles...
- David Deutsch ("The Fabric of Reality: The Science of Parallel Universes–And Its Implications", 1996), physicien et l'un des pionniers de la computation quantique, explore la nature de la réalité et s'il soutient l'idée de multivers, il rejette la vision de Tegmark du multivers mathématique en soulignant des aspects spécifiques de la réalité quantique et du rôle de la conscience. Sa version du multivers est basée sur les interprétations de la mécanique quantique, en particulier l’interprétation des mondes multiples de Hugh Everett. Le multivers ne peut être qu'une construction mathématique indépendante des lois physiques réelles et de la conscience.
"When, in the course of my research on the foundations of quantum theory, I was first becoming aware of the links between quantum physics, computation and epistemology, I regarded these links as evidence of the historical tendency for physics to swallow up subjects that had previously seemed unrelated to it. Astronomy, for example, was linked with terrestrial physics by Newton’s laws, and over the next few centuries much of it was absorbed and became astrophysics. Chemistry began to be subsumed into physics by Faraday’s discoveries in electrochemistry, and quantum theory has made a remarkable proportion of basic chemistry directly predictable from the laws of physics alone. Einstein’s general relativity swallowed geometry, and rescued both cosmology and the theory of time from their former purely philosophical status, making them into fully integrated branches of physics. Recently, as I have discussed, the theory of time travel has been integrated as well.
Thus, the further prospect of quantum physics absorbing not only the theory of computation but also, of all things, proof theory (which has the alternative name ‘meta-mathematics’) seemed to me to be evidence of two trends. First, that human knowledge as a whole was continuing to take on the unified structure that it would have to have if it was comprehensible in the strong sense I hoped for. And second, that the unified structure itself was going to consist of an ever deepening and broadening theory of fundamental physics. The reader will know that I have changed my mind about the second point. The character of the fabric of reality that I am now proposing is not that of fundamental physics alone ..."
« Lorsque, au cours de mes recherches sur les fondements de la théorie quantique, j'ai commencé à prendre conscience des liens entre la physique quantique, l'informatique et l'épistémologie, j'ai considéré ces liens comme une preuve de la tendance historique de la physique à englober des sujets qui semblaient auparavant sans rapport avec elle. L'astronomie, par exemple, était liée à la physique terrestre par les lois de Newton et, au cours des siècles suivants, elle a été en grande partie absorbée pour devenir l'astrophysique. La chimie a commencé à être intégrée à la physique par les découvertes de Faraday en électrochimie, et la théorie quantique a rendu une proportion remarquable de la chimie de base directement prévisible à partir des seules lois de la physique. La relativité générale d'Einstein a avalé la géométrie et a sauvé la cosmologie et la théorie du temps de leur ancien statut purement philosophique, pour en faire des branches pleinement intégrées de la physique. Récemment, comme je l'ai indiqué, la théorie du voyage dans le temps a également été intégrée.
Ainsi, la perspective que la physique quantique absorbe non seulement la théorie du calcul mais aussi, entre autres, la théorie de la preuve (qui porte le nom alternatif de « méta-mathématiques ») m'a semblé témoigner de deux tendances. Premièrement, le savoir humain dans son ensemble continuait à prendre la structure unifiée qu'il devait avoir pour être compréhensible dans le sens fort que j'espérais. Et deuxièmement, que la structure unifiée elle-même allait consister en une théorie de la physique fondamentale toujours plus approfondie et plus large. Le lecteur sait que j'ai changé d'avis sur le second point. Le caractère du tissu de la réalité que je propose maintenant n'est pas celui de la seule physique fondamentale... »
- John Barrow ("The Constants of Nature", 2002), cosmologiste et mathématicien britannique, a exploré de manière critique la relation entre les lois de la physique et les mathématiques et, s'il ne conteste pas directement les écrits de Tegmark, s'oppose à l'idée que les mathématiques soient la réalité ultime qui sous-tend l'univers : elles ne sont qu'une linguistique de cet univers. Il met en lumière les limites des mathématiques et leur caractère contingent, et suggère que la réalité physique ne se réduit pas à une structure mathématique pure.
- Lee Smolin ("The Trouble with Physics: The Rise of String Theory, the Fall of a Science and What Comes Next", 2006), physicien, a critiqué les visions extrêmement abstraites et déconnectées de la réalité physique comme celle de Tegmark. Il soutient que les théories physiques ne peuvent être fondées sur une simple abstraction mathématique mais doivent être ancrées dans des observations empiriques et une épistémologie de la réalité physique. Et l'auteur nous entraîne dans un récit suffisamment étoffé pour donner un aperçu convaincant de la recherche actuelle : comment nous sommes passés d’Einstein et de la Relativité à travers la mécanique quantique aux prédictions étranges et bizarres de la théorie des cordes ...
"THE GREEK PHILOSOPHER HERACLITUS left us a lovely epigram: Nature loves to hide. It is so often true. There is no way Heraclitus could have seen an atom. No matter how much his fellow philosophers speculated about them, to see an atom was beyond any technology they might have imagined. These days, theorists make great use of nature’s tendency to inscrutability. If nature is indeed supersymmetric, or has more than three dimensions of space, she has hidden it well. But sometimes the opposite is true. Sometimes the key things are right in front of us, there for the seeing. Hiding in plain sight from Heraclitus were easily perceivable facts we now take for granted, like the principle of inertia or the constant acceleration of falling objects. Galileo’s observations of motion on Earth did not use the telescope or the mechanical clock. As far as I know, they could have been made in Heraclitus’s time. He had only to ask the right questions.
So, while we bemoan how hard it is to test the ideas behind string theory, we ought to wonder what might be hiding in plain sight around us. In the history of science, there have been many instances of discoveries that surprised scientists because they were not anticipated by theory. Are there observations today that we theorists have not asked for, that no theory invites—observations that could move physics in an interesting direction? Is there a chance that such observations have already been made but ignored because, if confirmed, they would be inconvenient for our theorizing?
The answer to these questions is yes ..."
« LE PHILOSOPHE GREC HERACLITUS nous a laissé une belle épigramme : La nature aime se cacher. C'est si souvent vrai. Héraclite n'aurait jamais pu voir un atome. Ses collègues philosophes avaient beau spéculer à leur sujet, voir un atome était au-delà de toute technologie qu'ils auraient pu imaginer. De nos jours, les théoriciens font grand usage de la tendance à l'impénétrabilité de la nature. Si la nature est effectivement supersymétrique, ou si elle possède plus de trois dimensions d'espace, elle l'a bien caché. Mais parfois, c'est le contraire qui est vrai. Parfois, les éléments clés se trouvent juste devant nous, là pour être vus. Héraclite a caché à la vue de tous des faits facilement perceptibles que nous tenons aujourd'hui pour acquis, comme le principe d'inertie ou l'accélération constante des objets qui tombent. Les observations de Galilée sur le mouvement de la Terre n'ont pas utilisé le télescope ou l'horloge mécanique. Pour autant que je sache, elles auraient pu être faites à l'époque d'Héraclite. Il suffisait de poser les bonnes questions.
Ainsi, alors que nous déplorons la difficulté de tester les idées qui sous-tendent la théorie des cordes, nous devrions nous interroger sur ce qui pourrait se cacher à la vue de tous autour de nous. Dans l'histoire de la science, il y a eu de nombreux cas de découvertes qui ont surpris les scientifiques parce qu'elles n'étaient pas prévues par la théorie. Existe-t-il aujourd'hui des observations que nous, théoriciens, n'avons pas demandées, qu'aucune théorie n'invite à faire, des observations qui pourraient faire évoluer la physique dans une direction intéressante ? Est-il possible que de telles observations aient déjà été faites mais ignorées parce que, si elles étaient confirmées, elles seraient gênantes pour nos théories ?
La réponse à ces questions est oui... »
- Alain Badiou ("L'Être et l'Événement", 1988), plus philosophe que physicien, soutient un idéalisme mathématique qui l'amène à partager certains points avec les idées de Tegmark, mais les objectifs philosophiques sont ici différents. Il utilise les mathématiques dans sa théorie ontologique en tant qu'outil pour penser l'être et les événements, pas comme une description complète et indépendante de l'univers.
- Thomas Metzinger ("The Ego Tunnel", 2009), philosophe et neuroscientifique, n’est pas un critique direct de la théorie de Tegmark, mais il soutient que la conscience et l’expérience humaine sont les produits d’un système cognitif complexe, et que réduire l’univers à une réalité mathématique pourrait ignorer le rôle crucial de l'expérience subjective et de la perception dans notre compréhension du monde.
Brian Greene, "The Hidden Reality: Parallel Universes and the Deep Laws of the Cosmos" (2011)
Brian Greene, physicien, spécialiste de la théorie des cordes et auteur à succès de "The Elegant Universe" et de "The Fabric of the Cosmos: Space, Time, and the Texture of Reality" (2003), explore dans "The Elegant Universe: Superstrings, Hidden Dimensions, and the Quest for the Ultimate Theory" (1999) différentes théories traitant de l'existence d'univers parallèles, - l'inflation éternelle, les univers-bulles, les univers parallèles issus des fluctuations quantiques, et même les univers issus des mathématiques pures -, des théories qui ne relèvent pas seulement de la science-fiction, mais s'appuient également sur des idées et des modèles physiques développés dans le cadre de la physique théorique moderne. En arrière-plan de ces théories, ce sont bien des questions philosophiques fondamentales que les auteurs tentent d'adresser, plus que la nature de la réalité ou de l'existence, l'orientation générale s'apparente à une vaste quête ontologique de notre survie ...
"If there was any doubt at the turn of the twentieth century, by the turn of the twenty-fi rst, it was a foregone conclusion : when it comes to revealing the true nature of reality, common experience is deceptive. On reflection, that’s not particularly surprising. As our forebears gathered in forests and hunted on the savannas, an ability to calculate the quantum behavior of electrons or determine the cosmological implications of black holes would have provided little in the way of survival advantage. But an edge was surely offered by having a larger brain, and as our intellectual faculties grew, so, too, did our capacity to probe our surroundings more deeply. Some of our species built equipment to extend the reach of our senses; others became facile with a systematic method for detecting and expressing pattern - mathematics. With these tools, we began to peer behind everyday appearances.
What we’ve found has already required sweeping changes to our picture of the cosmos. Through physical insight and mathematical rigor, guided and conrmed by experimentation and observation, we’ve established that space, time, matter, and energy engage a behavioral repertoire unlike anything any of us have ever directly witnessed. And now, penetrating analyses of these and related discoveries are leading us to what may be the next upheaval in understanding: the possibility that our universe is not the only universe. "The Hidden Reality" explores this possibility...."
"S'il y avait un doute au début du vingtième siècle, au début du vingt-et-unième, la conclusion était évidente : lorsqu'il s'agit de révéler la vraie nature de la réalité, l'expérience commune est trompeuse. À la réflexion, ce n'est pas particulièrement surprenant. Lorsque nos ancêtres se rassemblaient dans les forêts et chassaient dans les savanes, la capacité à calculer le comportement quantique des électrons ou à déterminer les implications cosmologiques des trous noirs n'aurait guère apporté d'avantage en termes de survie. En revanche, le fait d'avoir un plus gros cerveau offrait certainement un avantage, et au fur et à mesure que nos facultés intellectuelles se développaient, notre capacité à sonder notre environnement plus en profondeur augmentait également. Certaines de nos espèces ont construit des équipements pour étendre la portée de leurs sens ; d'autres se sont familiarisées avec une méthode systématique de détection et d'expression des formes - les mathématiques. Grâce à ces outils, nous avons commencé à regarder derrière les apparences quotidiennes.
Ce que nous avons découvert a déjà entraîné des changements radicaux dans notre vision du cosmos. Grâce à la perspicacité physique et à la rigueur mathématique, guidées et confirmées par l'expérimentation et l'observation, nous avons établi que l'espace, le temps, la matière et l'énergie ont un répertoire comportemental dont aucun d'entre nous n'a jamais été le témoin direct. Aujourd'hui, des analyses pénétrantes de ces découvertes et d'autres encore nous conduisent à ce qui pourrait être le prochain bouleversement de notre compréhension : la possibilité que notre univers ne soit pas le seul univers. « La réalité cachée » explore cette possibilité...."
"Chapter 1 - The Bounds of Reality", pose les jalons de cet ouvrage en explorant la nature de la réalité telle qu’elle a été comprise historiquement, du développement de la théorie du Big Bang au modèle standard de cosmologie, pour aborder la possibilité d'une réalité qui s’étendrait au-delà de l’univers observable, jetant ainsi les bases des concepts multivers qui suivent ...
(Greene’s Multiverse Types) - Le livre de Greene sera donc structuré autour de neuf types de multivers, chacun dérivé de différents domaines de la physique théorique et ne s'excluant pas nécessairement les uns les autres ...
- "Quilted Multiverse" : Infinite spatial regions repeat due to finite arrangements of particles.
- "Inflationary Multiverse" : Bubble universes with different properties emerge from eternal inflation.
- "Brane Multiverse": Parallel brane-worlds exist in higher dimensions.
- "Cyclic Multiverse" : Repeated Big Bangs occur from colliding branes.
- "Landscape Multiverse" : Different string theory configurations correspond to different universes.
- "Quantum Multiverse" : Reality branches at every quantum event in a Many-Worlds framework.
- "Holographic Multiverse" : Universes encoded on cosmic boundaries via the holographic principle.
- "Simulated Multiverse" : Advanced civilizations might create simulated universes.
- "Ultimate Multiverse" : Every mathematical structure forms a distinct universe.
- (Chapter 2: The Quilted Multiverse) - Ce modèle est le plus simple et repose sur l'idée que l'univers, étant infiniment grand, contient forcément une infinité de régions identiques à celle que nous observons. Si l'univers est assez grand (ou infini), il doit y avoir des configurations identiques à la nôtre, avec des variations infinitésimales, mais aussi des configurations radicalement différentes qui émergeraient simplement par le hasard de l'agencement des particules. Une notion de multivers ne nécessite pas de lois physiques exotiques, mais repose sur la notion d'infinité de l'espace.
Un chapitre qui nous invite à imaginer un multivers où, dans un espace-temps infini, des copies de notre propre univers se répètent à l'infini. Le terme "quilted multiverse" fait référence à l’idée d’un multivers composé d'univers similaires mais disposés dans une structure ordonnée, comme des pièces d’une courtepointe (quilt) géante. Selon cette hypothèse, si l'univers est suffisamment grand et contient un nombre infini de particules, alors les configurations de ces particules (et donc des événements dans l'univers) devraient se répéter à l'infini, et ce, de manière prévisible. L’argument de base de cette théorie repose sur la taille finie de l'univers observable. Si l'univers est effectivement infini, il existe une possibilité que, sur de très grandes échelles, des configurations identiques ou très similaires d’éléments (étoiles, planètes, galaxies, etc.) se reproduisent. Il pourrait par exemple exister une région de l'univers qui serait une réplique exacte de notre propre système solaire, ou même une version identique de nous-mêmes, vivant les mêmes vies. Cette idée découle de la logique de l’infinité — à un moment donné, une configuration donnée, aussi rare ou improbable soit-elle, doit se répéter. La structure du multivers quilté peut également être vue comme une structure fractale, où les mêmes motifs se répètent à différentes échelles. De même que l’on peut observer des motifs similaires dans des structures fractales, des répétitions d’univers pourraient se manifester à différentes échelles de l’espace-temps.
Une des implications philosophiques de cette conception est qu’elle soulève la question du hasard et de la nécessité : si un univers peut se répéter, cela suggère que tout événement, même s’il semble improbable, pourrait se reproduire à un moment donné dans l'infinité. Et si les événements se répètent à une échelle infinie, cela peut signifier qu'il existe une limite à notre compréhension de la diversité réelle de l'univers : en d’autres termes, bien que nous puissions observer notre propre "patch", il est possible que nous soyons incapables de découvrir ou de percevoir les autres univers dans le multivers "quilté".
- (Chapter 3: The Inflationary Multiverse) - L'inflation cosmique est une théorie cosmologique qui postule que, dans les premières fractions de seconde après le Big Bang, l'univers a subi une expansion extrêmement rapide, plus rapide que la vitesse de la lumière. Cette période d'expansion exponentielle a joué un rôle clé dans la formation de l'univers tel que nous le connaissons aujourd'hui. Greene explique que l'inflation résout plusieurs problèmes fondamentaux de la cosmologie classique, tels que le problème de l'horizon et le problème de la platitude. L'inflation permet d’expliquer pourquoi l'univers semble homogène et isotrope (identique en tous points) malgré l'énorme distance qui nous sépare des régions lointaines. Greene établit un lien entre l'inflation et l'idée du multivers en introduisant le concept de "multivers inflationnaire". Selon cette idée, l'inflation ne serait pas un phénomène unique, mais plutôt un processus qui pourrait se répéter dans différentes régions de l'univers, créant ainsi des univers-bulles indépendants les uns des autres, possédant des propriétés physiques très différentes, créant ainsi un ensemble d'univers avec des lois de la physique et des constantes fondamentales qui peuvent varier d’un univers à l’autre.
Le "multivers inflationnaire" est donc une idée selon laquelle l'univers observable n'est qu'une petite partie d'un ensemble beaucoup plus vaste d'univers, qui eux-mêmes sont en train de se former et d'évoluer à des vitesses différentes. Chaque "bulle" de cet ensemble peut évoluer selon ses propres lois physiques, créant ainsi une pluralité infinie d'univers.
L'une des raisons pour lesquelles le multivers inflationnaire est une hypothèse intéressante, est qu'elle répond au problème du "fine-tuning" (le réglage précis des constantes physiques dans notre univers). Si nous vivons dans un multivers, il n'est pas nécessaire que les lois de la physique et les constantes fondamentales soient ajustées de manière fine pour permettre la vie telle que nous la connaissons. Dans un multivers, il suffirait qu'une infinité d'univers existent, et certains d'entre eux auraient des propriétés compatibles avec la vie.
L'un des points d'importance du chapitre est la discussion sur la vérifiabilité de cette théorie. Le multivers inflationnaire est extrêmement difficile à tester expérimentalement, car les univers-bulles créés par l'inflation sont par définition séparés de notre propre univers par des horizons causaux infranchissables. Cette idée soulève des questions sur la manière dont la science peut traiter de telles théories qui échappent aux méthodes empiriques traditionnelles. Enfin, en raison de la nature même du multivers inflationnaire, il devient presque impossible de faire des prédictions précises sur ce que nous pourrions observer dans d'autres bulles d'univers. Cela pose un défi majeur à la validité de cette théorie, car la science repose souvent sur la capacité à faire des prédictions testables. Un chapitre qui peut nous convier à réfléchir sur les limites de notre connaissance et sur la manière dont des idées radicales, bien qu’intéressantes, peuvent parfois défier les fondements mêmes de la méthode scientifique....
- "Chapter 4 : Unifying nature's laws" - Un chapitre dans lequel Brian Greene explore la quête des physiciens pour unifier les lois de la nature en une seule théorie cohérente, la "théorie du tout", réconciliant les deux piliers de la physique moderne, la relativité générale (qui décrit la gravité à grande échelle) et la mécanique quantique (qui gouverne les phénomènes à l’échelle subatomique). Il montre comment l’unification des forces fondamentales, notamment via la théorie des cordes, pourrait non seulement résoudre les incompatibilités entre la relativité générale et la mécanique quantique, mais aussi ouvrir la porte à l’idée du multivers. L'un des grands avantages de la théorie des cordes est qu'elle suggère l'existence de plus de quatre dimensions spatiales (les trois dimensions de l’espace et une dimension temporelle), avec certaines de ces dimensions étant "compactifiées" ou repliées à une échelle si petite qu'elles sont invisibles à nos yeux. L'unification théorique, combinée aux concepts d'inflation cosmique et de dimensions supplémentaires, suggère qu'il pourrait exister un multivers infini d'univers, chacun ayant des lois physiques et des constantes fondamentales différentes. Le chapitre se termine sur une réflexion sur les implications philosophiques de la quête d'unification, qui pourrait à la fois offrir une compréhension plus profonde de l'univers et, paradoxalement, mener à la découverte de nouveaux mystères et de nouvelles questions sans réponses définitives.
- Le Chapitre 5, intitulé "Hovering Universes" ("Les univers en suspension"), aborde un modèle du multivers où des univers parallèles coexistent dans une réalité partagée, mais restent séparés les uns des autres, flottant à proximité sans interagir. Ce concept est lié à l'idée des univers branaire (branes, abréviation de "membranes") issus de la théorie des cordes. Selon cette théorie, notre univers pourrait être une brane flottant dans un espace hyperspatial plus vaste, avec d'autres univers parallèles existant à proximité mais séparés, et incapables d'interagir avec le nôtre. Ce modèle offre une nouvelle manière de concevoir les lois de la physique, en particulier la gravité, et soulève des questions profondes sur la nature de la réalité et sur les possibilités d’un multivers. Une vision poétique de la coexistence de multiples réalités, tout en mettant en lumière les défis épistémologiques auxquels la science se heurte lorsqu'elle explore des dimensions au-delà de notre perception actuelle.
- Dans le Chapitre 6, intitulé "Landscape Multiverse" ("Le Multivers du Paysage"), Brian Greene explore un modèle du multivers qui découle directement des théories des cordes et en particulier d’un concept appelé le" paysage des solutions" (landscape). Ce modèle du multivers repose sur l’idée que, dans le cadre de la théorie des cordes, il existe un grand nombre de solutions possibles aux équations fondamentales de la physique, chacune correspondant à un univers différent. Ces solutions génèrent une multitude de configurations d'univers, dont chacun pourrait avoir des propriétés physiques différentes, comme des constantes fondamentales et des lois de la nature distinctes. Et dans ce cadre, notre propre univers n'est qu'un parmi une multitude d'univers, chacun avec des propriétés uniques et distinctes. Comment aborder des théories qui semblent, par nature, inaccessibles à l'observation directe...
- "Chapter 7 : On Inference" - La science repose principalement sur l'observation, l’expérimentation et l’inférence. Mais Greene souligne qu’à mesure que nos théories scientifiques deviennent de plus en plus abstraites, il devient souvent impossible d'observer directement certains aspects de la réalité. Par exemple, la théorie des cordes, qui sous-tend de nombreuses propositions du multivers, décrit un espace-temps avec des dimensions supplémentaires qui sont beaucoup trop petites pour être observées directement; les scientifiques doivent donc recourir à des inférences pour justifier la plausibilité de ces théories. De même, dans le cas de l'inférence cosmologique, les scientifiques postulent l'existence de phénomènes invisibles, comme la matière noire ou l’énergie noire, parce qu’ils ont observé leurs effets sur la matière visible et la structure de l'univers; ces phénomènes n'ont pas été directement observés, mais les inférences basées sur les effets qu'ils produisent dans l'univers sont suffisamment convaincantes pour que la communauté scientifique les accepte provisoirement.
C'est ainsi que pour justifier les théories du multivers, et en particulier le multivers cosmologique (comme l’inflation éternelle), , les scientifiques font appel à des inférences qui reposent sur la cohérence théorique, la beauté mathématique, et l'intégration des nouvelles idées dans les cadres existants. Le multivers, avec ses implications sur l’existence d’univers parallèles, est un exemple de théorie qui soulève des questions non résolvables en l'état sur la testabilité et la falsifiabilité (au sens de K. Popper) en science, et pousse la réflexion sur les limites de la méthode scientifique elle-même. Ce chapitre veut illustrer comment la science et la philosophie peuvent se rejoindre, il suffit de traiter des questions qui défient les capacités d'observation directe...
- Chapter 8 - The Quantum Multiverse - Une approche fondée sur l'interprétation de la mécanique quantique, en particulier l'interprétation des multiples mondes (ou « many-worlds interpretation ») proposée par Hugh Everett dans les années 1950. Dans "Relative State" (1957), "The Theory of the Universal Wavefunction" (publié dans le Reviews of Modern Physics), Everett propose une révision radicale de la manière dont nous comprenons les résultats des mesures quantiques: plutôt que de supposer qu'un seul résultat parmi plusieurs possibles se produit lors d'une mesure (comme le postule l'interprétation de Copenhague), il suggère que tous les résultats possibles d'une mesure quantique se réalisent, mais dans des univers parallèles distincts. Chaque fois qu'une observation quantique a lieu, l'univers "se divise" en plusieurs branches, où chaque résultat possible se produit dans une réalité parallèle différente. Ce processus donne ainsi naissance à un multivers de mondes parallèles, chacun contenant une version différente de la réalité en fonction des événements quantiques. Avec le concept du "relative state", 'idée fondamentale d'Everett est que l'état d'un système quantique, lorsqu'il est observé, est "relatif" à l'observateur. Au lieu d'un seul état observé, tous les états possibles existent simultanément, mais chaque observateur n'est conscient que de son propre "état" dans un univers particulier. Ces mondes sont réels, mais non observables, à moins de pouvoir interagir avec eux par des moyens qui dépassent la physique actuelle. L'ouvrage "The Many-Worlds Interpretation of Quantum Mechanics" (1973) édité par Bryce DeWitt, qui fut l'un des premiers à populariser l'idée d'Everett) est aussi une référence importante pour ceux qui veulent approfondir la théorie des mondes multiples...
- Dans le Chapitre 9, intitulé "Holographic Multiverse" ("Le Multivers Holographique"), Brian Greene explore une idée fascinante et contre-intuitive née de la théorie des cordes et de la gravitée quantique : le concept de l'univers holographique. Ce modèle repose sur l'idée que notre univers, tel que nous le percevons en trois dimensions, pourrait en réalité être une projection d’informations codées sur une surface bidimensionnelle. En d’autres termes, ce que nous expérimentons comme un espace tridimensionnel pourrait être, au niveau fondamental, un hologramme d’un univers plus profond et plus complexe. Ce modèle pourrait aussi s’étendre à un multivers, où de multiples "hologrammes" coexistent, créant ainsi une vision du multivers tout à fait nouvelle. L'idée centrale du principe holographique est née des recherches sur les trous noirs dans les années 1990, notamment avec le travail du physicien Juan Maldacena qui relie la gravité dans un espace à des théories de champs quantiques qui n’ont pas de gravité, mais qui se trouvent à la frontière de cet espace.
Dans le Chapitre 10 (Universes, Computers, and Mathematical Reality - The Simulated and the Ultimate Multiverses), Brian Greene explore deux idées singulières et bien radicales concernant la nature du multivers : le "multivers simulé" et le "multivers ultime". Ces deux concepts vont au-delà des modèles précédemment abordés dans le livre (comme le multivers inflationnaire, du paysage, ou du multivers holographique). L’auteur examine en effet l’idée que notre univers pourrait être une simulation créée par des entités plus avancées, ou que la réalité ultime pourrait être fondamentalement différente de ce que nous pouvons percevoir.
L'idée du "multivers simulé" (Simulated Universes) repose sur l'idée que notre univers, ainsi que potentiellement d'autres univers, pourrait être une simulation informatique extrêmement avancée, réalisée par une intelligence supérieure, on retrouve ici une des thématiques les plus anciennes de science-fiction que reprendra par exemple Nick Bostrom dans son "argument de simulation". Selon Bostrom, il est possible, voire probable, qu'une civilisation technologiquement avancée puisse créer des simulations réalistes d’univers, dans lesquelles des entités conscientes vivent des vies semblables aux nôtres, sans savoir qu’elles sont dans une simulation.
L'idée de "multivers ultime" (Ultimate Multiverse) se base sur une réalité ultime qui pourrait être fondamentalement non physique et composée uniquement de structures mathématiques ou d'entités mathématiques pures. On retrouve ici l'inspiration d'un Max Tegmark ("Our Mathematical Universe").Tout ce qui existe, y compris les univers physiques et la conscience, pourrait être réduit à des structures mathématiques. Nous basculons dans un multivers constitué d'univers basés sur des structures mathématiques pures, sans aucune restriction physique ou observationnelle. Chaque "univers" dans ce multivers pourrait être régi par des lois différentes, et il n’y aurait aucune limitation aux possibilités des structures mathématiques. Il s'agit effectivement d'une hypothèse qui pousse la notion de multivers à un niveau extrême et abstrait, des univers sans matière ou même des réalités qui n'ont aucune ressemblance avec notre propre expérience du monde. Un chapitre sans doute le plus original de l'ouvrage ...
Dans "Until the End of Time: Mind, Matter, and Our Search for Meaning in an Evolving Universe" (2020), Brian Greene cherchera à fusionner les connaissances scientifiques actuelles sur l’univers, la biologie et la conscience, pour tenter, sinon de répondre du moins de fournir un fil conducteur guidant les lecteurs sur le chemin des grandes questions philosophiques sur le sens de la vie. Il entend nous inviter à réfléchir sur la manière dont l'humanité peut trouver du sens et de la signification, même dans un univers voué à l'entropie et à la désintégration. L'ouvrage a pour ambition de soulever ainsi la question fondamentale de la place de l'humanité dans un cosmos en constante évolution, en explorant le rapport entre la matière, la conscience, et la quête de sens, tout en soulignant l'importance de la science comme outil pour comprendre cette quête.
- L'évolution de l'univers et du temps - Greene explore comment l'univers a évolué depuis le Big Bang jusqu'à son état actuel et continue à évoluer. Il s'intéresse particulièrement à l'idée d'un univers qui, avec ses lois et sa structure, pourrait suivre une trajectoire qui finira par aboutir à un état de désintégration ou de "mort thermique". Cette idée s'appuie sur les concepts de l'entropie et de la thermodynamique, et pose la question de la fin ultime de l'univers, tout en soulignant la relation complexe entre le temps et l'évolution cosmique. Ce serait dans ce cadre que se déploierait de fait l’expérience humaine du sens et de la vie.
- L'émergence de la vie et de la conscience - Greene examine comment la vie a émergé dans l'univers à partir de simples particules élémentaires et de lois physiques fondamentales. Il explique comment, à un certain point de l'évolution de l'univers, des structures complexes ont émergé, en particulier la conscience humaine. Mais cette conscience, bien qu'émergente des interactions physiques, semble difficile à expliquer uniquement par les lois de la matière. Greene propose alors une réflexion sur la nature de la conscience et comment elle pourrait être liée à la structure fondamentale de l'univers...
- La quête de sens dans un univers en évolution - Greene examine la manière dont l’humanité, malgré sa place particulièrement réduite dans l’immensité de l’univers et son destin inéluctable dans un cosmos qui évolue vers un état de "mort thermique", cherche toujours à donner un sens à son existence. C'est l'occasion de sa saisir des grandes questions philosophiques (pourquoi existe-t-on ? Qu'est-ce qui donne un sens à la vie dans un monde qui, selon les lois de la physique, semble destiné à l’oubli et à la disparition ?) et de décrire cette quête de sens non pas comme une contradiction avec les lois de la nature, mais comme une partie intégrante de notre existence, un produit de notre conscience et de notre intelligence émergente...
- La place de la science et de la philosophie dans la recherche du sens - l'étude des phénomènes physiques conduit Greene à la tentative de réflexion philosophique, maintes fois tentée par ailleurs, mettant en lumière la tension entre les découvertes scientifiques sur l'univers et la recherche humaine de signification, de valeur morale et de but...
Leonard Susskind, "The Cosmic Landscape : String Theory and the Illusion of Intelligent Design" (2005)
Leonard Susskind, l'un des fondateurs de la théorie des cordes, est également un grand défenseur de l'hypothèse du multivers. "The Cosmic Landscape" est l'un des premiers ouvrages à faire le lien entre la théorie des cordes et le multivers, l'idée d'un "paysage cosmique" où des milliers d'univers différents peuvent exister, chacun avec ses propres lois physiques: c'est soutenir que la théorie des cordes prédit l'existence d'un grand nombre d'univers possibles, chacun avec ses propres configurations de lois physiques. Aux explications traditionnelles, dont le fameux "design intelligent" qu'il ne peut admettre
(The Laws of Physics and the Illusion of Intelligent Design), Susskind oppose donc son hypothèse d’un vaste "paysage" d’univers possibles (The Cosmic Landscape), celui dont les équations régissent un univers permettant un nombre presque infini de solutions possibles, et chacune correspondant à un univers différent avec ses propres propriétés physiques uniques. De là découle l'hypothèse que l'ordre de notre univers pourrait tout simplement être une conséquence de la présence de nombreux autres univers dans lesquels différentes lois physiques s'appliquent...
La théorie du multivers rejoint un autre débat, celui relatif au "principe anthropique". Nous nous situons ici dans un contexte philosophique et cosmologique qui cherche à expliquer pourquoi les constantes physiques et les conditions initiales de notre univers semblent particulièrement adaptées pour permettre l'émergence de la vie, en particulier de la vie intelligente. C'est le physicien britannique Brandon Carter qui, en 1974, formula le "Principe anthropique" (Anthropic Principle) dont l'idée de base est que les caractéristiques de l'univers ne sont pas un hasard. Le cosmologiste britannique Martin Rees, explorera les implications du principe anthropique dans son ouvrage "Just Six Numbers: The Deep Forces That Shape The Universe" (2001), tandis que John Barrow et Frank Tipler approfondiront le concept dans "The Anthropic Cosmological Principle" (1986). En d'autres termes, si les conditions de l'univers étaient différentes, la vie telle que nous la connaissons, et en particulier la vie consciente capable de s'interroger sur son propre existence, n'aurait pas émergé.
L'argument anthropique vient ainsi expliquer pourquoi notre univers semble particulièrement adapté à la vie : là aussi, tout simplement, parce que, parmi un grand nombre d'univers possibles, il en a existé un pour lequel les conditions furent favorables à l'émergence de la vie consciente. Le principe anthropique est toujours en débat, notamment autour de la question de savoir s'il offre une véritable explication des lois de l'univers ou s'il s'agit simplement d'une observation sur le fait que nous existons et pouvons poser des questions sur l'univers. Mais si nous ne pouvons observer que notre propre univers, comment pourrions-nous espérer vérifier l'existence des autres ?
Sean Carroll, "Something Deeply Hidden : Quantum Worlds and the Emergence of Spacetime" (2019)
Bien des vulgarisateurs scientifiques n'ont cessé de nous répéter que la mécanique quantique, qui sous-tend toute la physique moderne, était étrange, contradictoire et impossible à comprendre. Mais s'il est un adepte de la théorie du comportement quantique des mondes multiples, c'est bien Sean Carroll, physicien et cosmologiste qui soutient l’interprétation de Hugh Everett des mondes multiples comme étant la meilleure explication des phénomènes quantiques : ce qui implique un multivers dans lequel chaque possibilité quantique crée un univers parallèle. L’apport essentiel de ce livre réside bien dans la manière dont Carroll présente la théorie des mondes multiples (Many-Worlds Interpretation, ou MWI) de la mécanique quantique, celui qui résume l'argumentation centrale de l'auteur, tout en offrant une réflexion sur les implications de cette théorie pour notre compréhension de la réalité....
Un autre aspect essentiel du livre est la manière dont Carroll développe la vision de l’émergence de l'espace-temps. Il suggère que, plutôt que d'être une structure fondamentale de la réalité, l’espace-temps pourrait émerger de phénomènes quantiques plus profonds, une idée qui s’inscrit dans les efforts contemporains pour unifier la gravité quantique et la cosmologie quantique...
" This book has three main messages. The first is that quantum mechanics should be understandable—even if we’re not there yet—and achieving such understanding should be a high-priority goal of modern science. Quantum mechanics is unique among physical theories in drawing an apparent distinction between what we see and what really is. That poses a special challenge to the minds of scientists (and everyone else), who are used to thinking about what we see as unproblematically “real,” and working to explain things accordingly. But this challenge isn’t insuperable, and if we free our minds from certain old-fashioned and intuitive ways of thinking, we find that quantum mechanics isn’t hopelessly mystical or inexplicable. It’s just physics.
Ce livre contient trois messages principaux. Le premier est que la mécanique quantique devrait être compréhensible - même si nous n'y sommes pas encore - et qu'une telle compréhension devrait être un objectif prioritaire de la science moderne. La mécanique quantique est la seule des théories physiques à établir une distinction apparente entre ce que nous voyons et ce qui est réellement. Cela pose un défi particulier à l'esprit des scientifiques (et de tous les autres), qui sont habitués à considérer ce qu'ils voient comme étant « réel » sans problème, et à s'efforcer d'expliquer les choses en conséquence. Mais ce défi n'est pas insurmontable, et si nous libérons notre esprit de certains modes de pensée démodés et intuitifs, nous découvrons que la mécanique quantique n'est pas désespérément mystique ou inexplicable. C'est tout simplement de la physique.
"The second message is that we have made real progress toward understanding. I will focus on the approach I feel is clearly the most promising route, the Everett or Many-Worlds formulation of quantum mechanics. Many-Worlds has been enthusiastically embraced by many physicists, but it has a sketchy reputation among people who are put off by a proliferation of other realities containing copies of themselves. If you are one of those people, I want to at least convince you that Many-Worlds is the purest way of making sense of quantum mechanics—it’s where we end upif we just follow the path of least resistance in taking quantum phenomena seriously. In particular, the multiple worlds are predictions of the formalism that is already in place, not something added in by hand. But Many-Worlds isn’t the only respectable approach, and we will mention some of its main competitors. (I will endeavor to be fair, if not necessarily balanced.) The important thing is that the various approaches are all well-constructed scientific theories, with potentially different experimental ramifications, not just woolly-headed “interpretations” to be debated over cognac and cigars after we’re finished doing real work.
"Le deuxième message est que nous avons fait de réels progrès vers sa compréhension. Je me concentrerai sur l'approche qui me semble clairement la plus prometteuse, la formulation d'Everett ou Many-Worlds de la mécanique quantique. Cette dernière a été adoptée avec enthousiasme par de nombreux physiciens, mais elle n'a pas bonne réputation auprès des personnes qui sont rebutées par la prolifération d'autres réalités contenant des copies d'elles-mêmes. Si vous faites partie de ces personnes, je voudrais au moins vous convaincre que les mondes multiples sont la façon la plus pure de donner un sens à la mécanique quantique - c'est ce à quoi nous aboutissons si nous suivons la voie de la moindre résistance en prenant les phénomènes quantiques au sérieux. En particulier, les mondes multiples sont des prédictions du formalisme déjà en place, et non quelque chose d'ajouté à la main. Mais Many-Worlds n'est pas la seule approche respectable, et nous mentionnerons quelques-uns de ses principaux concurrents. (L'important est que les différentes approches soient toutes des théories scientifiques bien construites, avec des ramifications expérimentales potentiellement différentes, et pas seulement des « interprétations » à la noix à débattre autour d'un cognac et de cigares une fois que nous aurons fini de faire du vrai travail.
"The third message is that all this matters, and not just for the integrity of science. The success to date of the existing adequate-but-not-perfectly coherent framework of quantum mechanics shouldn’t blind us to the fact that there are circumstances under which such an approach simply isn’t up to the task. In particular, when we turn to understanding the nature of spacetime itself, and the origin and ultimate fate of the entire universe, the foundations of quantum mechanics are absolutely crucial. I’ll introduce some new, exciting, and admittedly tentative proposals that draw provocative connections between quantum entanglement and how spacetime bends and curves—the phenomenon you and I know as “gravity.”
"« Le troisième message est que tout cela est important, et pas seulement pour l'intégrité de la science. Le succès remporté jusqu'à présent par le cadre cohérent actuel de la mécanique quantique, adéquat mais pas parfait, ne doit pas nous faire oublier que dans certaines circonstances, cette approche n'est tout simplement pas à la hauteur de la tâche. En particulier, lorsqu'il s'agit de comprendre la nature de l'espace-temps lui-même, ainsi que l'origine et le destin ultime de l'univers tout entier, les fondements de la mécanique quantique sont absolument cruciaux. Je présenterai quelques propositions nouvelles, passionnantes, et certes provisoires, qui établissent des liens provocateurs entre l'intrication quantique et la façon dont l'espace-temps se plie et se courbe - le phénomène que vous et moi connaissons sous le nom de « gravité ».
"For many years now, the search for a complete and compelling quantum theory of gravity has been recognized as an important scientific goal (prestige, prizes, stealing away faculty, and all that). It may be that the secret is not to start with gravity and “quantize” it, but to dig deeply into quantum mechanics itself, and find that gravity was lurking there all along. We don’t know for sure. That’s the excitement and anxiety of cuttingedge research. But the time has come to take the fundamental nature of reality seriously, and that means confronting quantum mechanics head-on...."
« Depuis de nombreuses années, la recherche d'une théorie quantique complète et convaincante de la gravité est reconnue comme un objectif scientifique important (prestige, prix, vol de professeurs, etc.). Il se peut que le secret ne soit pas de commencer par la gravité et de la « quantifier », mais de creuser profondément dans la mécanique quantique elle-même et de découvrir que la gravité s'y cachait depuis le début. Nous n'en sommes pas sûrs. C'est l'excitation et l'anxiété de la recherche de pointe. Mais le temps est venu de prendre au sérieux la nature fondamentale de la réalité, ce qui implique de s'attaquer de front à la mécanique quantique.... »