Program - Brett Frischmann, Evan Selinger , "Re-Engineering Humanity" (2018) - Nicholas Carr, "The Shallows: What the Internet is Doing to Our Brains" (2010) - Douglas Rushkoff, "Program or Be Programmed: Ten Commands for a Digital Age" (2010), "Present Shock: When Everything Happens Now" (2013) - Adam Alter, "The Rise of Addictive Technology and the Business of Keeping Us Hooked" (2017) - ...
"The computer, I began to sense, was more than just a simple tool that did what you told it to do. It was a machine that, in subtle but unmistakable ways, exerted an influence over you ..." (Je commençais à sentir que l’ordinateur était plus qu’un simple outil qui exécute vos ordres. C’était une machine qui exerçait une influence subtile mais indéniable sur vous) - "Welcome to the age of behavioral addiction–an age in which half of the American population is addicted to at least one behavior ..." - Bienvenue à l’âge de la dépendance comportementale – un âge où la moitié de la population américaine est accro à au moins un comportement. Nous sommes obsédés par nos courriels, nos likes sur Instagram et nos liens Facebook; nous dévorons des séries et des vidéos YouTube; et nous passons en moyenne trois heures par jour à utiliser nos smartphones. La technologie n'est pas intrinsèquement bonne ou mauvaise, mais c'est bien l'être humain, son concepteur et son utilisateur, qui porte l'entière responsabilité de son devenir ("Our attitude to addictive experiences is largely cultural, and if our culture makes space for work-free, game-free, screen-free downtime, we and our children will find it easier to resist the lure of behavioral addiction...)...
"Half of the developed world is addicted to something, and for most people that something is a behavior. We’re hooked on our phones and email and video games and TV and work and shopping and exercise and a long list of other experiences that exist on the back of rapid technological growth and sophisticated product design. Few of those experiences existed in the year 2000, and by the year 2030 we’ll be grappling with a new list that barely overlaps with the current roster. What we do know is that the number of immersive and addictive experiences is rising at an accelerating rate, so we need to understand how, why, and when people first develop and then escape behavioral addictions. On the lofty end of the spectrum, our health, happiness, and well-being depend on it—and right here, down to earth, so does our ability to look one another in the eyes to form genuine emotional connections..."
« La moitié du monde développé est accro à quelque chose, et pour la plupart des gens, il s'agit d'un comportement. Nous sommes accros à notre téléphone, à notre courrier électronique, aux jeux vidéo, à la télévision, au travail, au shopping, à l'exercice physique et à une longue liste d'autres expériences qui existent grâce à une croissance technologique rapide et à une conception sophistiquée des produits. Peu de ces expériences existaient en l'an 2000, et d'ici 2030, nous serons aux prises avec une nouvelle liste qui se confond à peine avec la liste actuelle. Ce que nous savons, c'est que le nombre d'expériences immersives et addictives augmente à un rythme accéléré. Nous devons donc comprendre comment, pourquoi et quand les gens développent d'abord des addictions comportementales, puis s'en libèrent. Nous devons donc comprendre comment, pourquoi et quand les gens développent d'abord une dépendance comportementale, puis en sortent. À l'extrémité supérieure du spectre, notre santé, notre bonheur et notre bien-être en dépendent, tout comme notre capacité à nous regarder dans les yeux pour nouer de véritables liens émotionnels... » (Adam Alter)
L'humanité a souvent considéré le Monde comme une matière première que nous pouvions modifier et manipuler à notre guise, ce qui semblait nous confèrer un énorme pouvoir, pour certains, sur les êtres humains eux-mêmes. Mais paradoxalement, nous savions aussi déjà que nous n'étions pas entièrement maîtres de nos pensées et de nos actions et que nous pouvions être influencés par des "forces" invisibles et souvent ignorées de notre environnement. En ce XXIe siècle qui a déjà débuté depuis plus de vingt ans, nos existences semblent traverser une expérience que nous sommes les premières générations à vivre et à connaître en profondeur, durablement : nous existons de plus en plus dans un environnement informatisé et médiatisé conçu pour répondre automatiquement à nos besoins, à tous nos besoins, une fiction qui prend forme : moins d'action et moins de réflexion, et croyons-nous plus de liberté. En fait rien n'est moins assuré. En transférant notre pouvoir aux ordinateurs et aux logiciels, mais aussi, insensiblement et sans tout à fait nous en apercevoir, aux réseaux, aux plateformes, aux entreprises, à des décideurs, à des concepteurs, à des gouvernants, nous commençons à céder le contrôle de nos désirs et de nos décisions...
"Human beings have a genius for designing, making, and using tools. Our innate talent for technological invention is one of the chief qualities that sets our species apart from others and one of the main reasons we have taken such a hold on the planet and its fate. But if our ability to see the world as raw material, as something we can alter and otherwise manipulate to suit our purposes, gives us enormous power, it also entails great risks. One danger is that we come to see ourselves as instruments to be engineered, optimized, and programmed, as if our minds and bodies were themselves nothing more than technologies. Such blurring of the tool and its maker is a central theme of this important book.
Worries that machines might sap us of our humanity have, of course, been around as long as machines have been around. In modern times, thinkers as varied as Max Weber and Martin Heidegger have described, often with great subtlety, how a narrow, instrumentalist view of existence influences our understanding of ourselves and shapes the kind of societies we create. But the risk, as Brett Frischmann and Evan Selinger make clear, has never been so acute as it is today.
« L'être humain a le génie de concevoir, de fabriquer et d'utiliser des outils. Notre talent inné pour l'invention technologique est l'une des principales qualités qui distinguent notre espèce des autres et l'une des principales raisons pour lesquelles nous avons pris une telle emprise sur la planète et son destin. Mais si notre capacité à considérer le monde comme une matière première, comme quelque chose que nous pouvons modifier et manipuler à notre guise, nous confère un énorme pouvoir, elle comporte aussi de grands risques. L'un de ces risques est que nous en venions à nous considérer comme des instruments à concevoir, à optimiser et à programmer, comme si nos esprits et nos corps n'étaient eux-mêmes rien d'autre que des technologies. Cette confusion entre l'outil et son fabricant est un thème central de ce livre important.
Les craintes que les machines ne nous dépossèdent de notre humanité existent, bien sûr, depuis que les machines existent. À l'époque moderne, des penseurs aussi différents que Max Weber et Martin Heidegger ont décrit, souvent avec beaucoup de subtilité, comment une vision étroite et instrumentale de l'existence influence notre compréhension de nous-mêmes et façonne le type de sociétés que nous créons. Mais le risque, comme l'expliquent Brett Frischmann et Evan Selinger, n'a jamais été aussi aigu qu'aujourd'hui.
Thanks to our ever-present smartphones and other digital devices, most of us are connected to a powerful computing network throughout our waking hours. The companies that control the network are eager to gain an ever-stronger purchase on our senses and thoughts through their apps, sites, and services. At the same time, a proliferation of networked objects, machines, and appliances in our homes and workplaces is enmeshing us still further in a computerized environment designed to respond automatically to our needs. We enjoy many benefits from our increasingly mediated existence. Many activities that were once difficult or time-consuming have become easier, requiring less effort and thought. What we risk losing is personal agency and the sense of fulfillment and belonging that comes from acting with talent and intentionality in the world.
Grâce à nos smartphones et autres appareils numériques omniprésents, la plupart d'entre nous sont connectés à un puissant réseau informatique tout au long de nos heures de veille. Les entreprises qui contrôlent ce réseau sont désireuses d'exercer une emprise de plus en plus forte sur nos sens et nos pensées par l'intermédiaire de leurs applications, sites et services. Parallèlement, la prolifération d'objets, de machines et d'appareils en réseau dans nos foyers et sur nos lieux de travail nous imbrique encore davantage dans un environnement informatisé conçu pour répondre automatiquement à nos besoins. Nous tirons de nombreux avantages de notre existence de plus en plus médiatisée. De nombreuses activités qui étaient autrefois difficiles ou chronophages sont devenues plus faciles, nécessitant moins d'efforts et de réflexion. Ce que nous risquons de perdre, c'est notre capacité d'action personnelle et le sentiment d'accomplissement et d'appartenance que procure le fait d'agir avec talent et intentionnalité dans le monde.
As we transfer agency to computers and software, we also begin to cede control over our desires and decisions. We begin to “outsource,” as Frischmann and Selinger aptly put it, responsibility for intimate, self-defining assessments and judgments to programmers and the companies that employ them. Already, many people have learned to defer to algorithms in choosing which film to watch, which meal to cook, which news to follow, even which person to date. (Why think when you can click?) By ceding such choices to outsiders, we inevitably open ourselves to manipulation. Given that the design and workings of algorithms are almost always hidden from us, it can be difficult if not impossible to know whether the choices being made on our behalf reflect our own best interests or those of corporations, governments, or other outside parties. We want to believe that technology strengthens our control over our lives and circumstances, but if used without consideration technology is just as likely to turn us into wards of the technologist...."
En transférant notre pouvoir aux ordinateurs et aux logiciels, nous commençons également à céder le contrôle de nos désirs et de nos décisions. Nous commençons à « externaliser », comme le disent très justement Frischmann et Selinger, la responsabilité d'évaluations et de jugements intimes, qui nous définissent nous-mêmes, aux programmeurs et aux entreprises qui les emploient. De nombreuses personnes ont déjà appris à s'en remettre aux algorithmes pour choisir le film à regarder, le repas à préparer, les informations à suivre, voire la personne avec qui sortir. (En confiant ces choix à des personnes extérieures, nous nous exposons inévitablement à la manipulation. Étant donné que la conception et le fonctionnement des algorithmes nous sont presque toujours cachés, il peut être difficile, voire impossible, de savoir si les choix qui sont faits en notre nom reflètent nos propres intérêts ou ceux des entreprises, des gouvernements ou d'autres parties extérieures. Nous voulons croire que la technologie renforce notre contrôle sur nos vies et nos circonstances, mais si elle est utilisée sans considération, elle est tout aussi susceptible de nous transformer en pupilles de la technologie.... » (Re-Engineering Humanity - Foreword, by Nicholas Carr)
"Re-Engineering Humanity", written by Brett Frischmann, Evan Selinger (2018)
Brett Frischmann, professeur de droit à la Villanova University Charles Widger School of Law, et Evan Selinger, professeur de philosophie à la Rochester Institute of Technology (RIT), nous sensibilisent sur l'emprise qu'exercent les technologies modernes sur l'être humain, en particulier celles basées sur l'intelligence artificielle, les algorithmes et les réseaux sociaux, qui sont en mesure, disent-ils, d'influencer et de modifier profondément nos comportements ...
Le livre est divisé en quatre parties. Dans la première partie, les auteurs utilisent des observations contemporaines, des expériences de pensée et une analyse théorique pour tenter réfléchir aux raisons pour lesquelles il est si difficile de comprendre l'ingénierie techno-sociale et de s'attaquer au dilemme techno-social de l'humanité : "certaines raisons tiennent à la difficulté d'identifier les logiques dominantes qui animent les systèmes techno-sociaux. D'autres sont liées à la nature progressive du changement techno-social et à la difficulté de reconnaître le moment où l'adoption graduelle atteint un point de basculement et devient une transformation radicale" (Some reasons concern the difficulty of identifying the dominant logics driving techno-social systems. Others have to do with the incremental nature of techno-social change and the challenge of recognizing when gradual adoption hits a tipping point and becomes radical transformation).
Frischmann et Selinger soutiennent que les technologies modernes poussent les humains à se comporter de manière de plus en plus prévisible, automatique et programmable.
Ils comparent cela à un processus d'ingénierie où les humains sont "reprogrammés" pour réagir de manière spécifique à des stimuli numériques, souvent au détriment de leur autonomie et de leur humanité....
Sont ensuite mises en évidence les différentes façons dont l'ingénierie techno-sociale programme notre comportement, et ces mécanismes sont complexes, subtils et souvent imbriqués. Les technologies offrent aux différents acteurs des capacités différentes, et il n'est que trop facile de se laisser séduire par les résultats positifs de l'innovation tout en sous-estimant le coût de ses inconvénients et en étant pris au dépourvu, voire en ignorant le fait que ces inconvénients existent (Technologies afford different actors different capabilities, and it’s all too easy to become enthralled with the positive outcomes of innovation while underestimating the cost of its downsides and being blindsided by them, and even ignoring the fact that downsides exist).
We open the second part of the book with a historical primer on the transformative power of tools. Then we use electronic contracts as a case study that illustrates why techno-social engineering isn’t taken as seriously as it should be, despite having powerful effects. From there we explain how mind-extending technologies can invite others into our minds, incline us to outsource important aspects of thinking and acting, and even lead to worrisome cases of mind control. These discussions highlight how techno-social engineering can influence our beliefs, preferences, and even values. We then critically discuss why there’s so much excitement about smart environments, why dominant discussions of these environments obscure important points about techno-social engineering, and why we may not be aware of how profoundly techno-social engineering is altering our social relationships.
La deuxième partie du livre débute par une introduction historique relative au pouvoir de transformation des outils. Les auteurs nous expliquent ensuite comment les technologies d'extension de l'esprit (mind-extending technologies) peuvent nous inciter à externaliser des aspects importants de la pensée et de l'action, et même conduire à des cas inquiétants de contrôle de l'esprit. Des discussions qui mettent en évidence la manière dont l'ingénierie techno-sociale peut influencer nos croyances, nos préférences et même nos valeurs (These discussions highlight how techno-social engineering can influence our beliefs, preferences, and even values). Une revue critique des environnements intelligents (smart environments), qui suscitent par ailleurs tant d'enthousiasme, est effectuée pour donner juste mesure à ces discours dominants qui occultent des points importants concernant l'ingénierie techno-sociale : il s'avère que nous ne sommes peut-être pas conscients de la profondeur avec laquelle l'ingénierie techno-sociale (techno-social engineering) modifie nos relations sociales...
Sont identifiées trois raisons majeures qui peuvent expliquer l'ampleur, la portée, l'influence et le pouvoir croissants de l'ingénierie techno-sociale. Premièrement, la raison instrumentale est valorisée à un point tel qu'elle s'est pratiquement fétichisée. Deuxièmement, la gestion scientifique des êtres humains en général et la gestion de l'efficacité basée sur les données en particulier se répandent rapidement, et ce changement peut être interprété comme une extension du taylorisme, du contexte du lieu de travail à presque tous les environnements dans lesquels nous développons et vivons nos vies (the extension of Taylorism from the workplace context to nearly every environment within which we develop and live our lives). Troisièmement, il devient de plus en plus facile de concevoir des technologies qui nous incitent à passer en pilote automatique et à accepter le plaisir bon marché qui découle d'une réflexion minimale (to design technologies that nudge us to go on autopilot and accept the cheap pleasure that comes from minimal thinking); et les environnements intelligents sont sur le point d'exacerber cette situation de manière significative...
C'est ainsi que, examinant ce qui leur semble les "effets subtils des technologies", les auteurs montre comment les technologies que nous utilisons quotidiennement, comme les smartphones, les assistants vocaux et les réseaux sociaux, influencent imperceptiblement mais profondément nos comportements, nos choix et nos interactions sociales. Frischmann et Selinger nous mettent en garde contre le fait que ces technologies sont conçues pour maximiser notre adhésion en exploitant des mécanismes psychologiques, ce qui peut éroder notre capacité à penser et à agir de manière indépendante.
Les auteurs analysent ainsi comment les technologies modifient non seulement les comportements individuels, mais aussi les relations sociales. Les interactions humaines empruntent de plus la voie quasi exclusive des plateformes numériques, ce qui peut déshumaniser les relations en les réduisant à des échanges de données ou à des transactions impersonnelles...
Dans la troisième partie de l'ouvrage est proposé une nouvelle méthode qui pourrait permettre d'identifier et d'évaluer l'impact de cette ingénierie techno-sociale sur l'être humain (a new framework for identifying and evaluating the techno-social engineering of humans) : un test d'ingénierie techno-sociale qui suit une procédure en deux étapes. La première étape consiste à mener une expérience (une expérience empirique ou une expérience de pensée) qui détermine si, dans un certain contexte, les humains se comportent comme des machines simples. Dans les cas où les humains se comportent comme des machines simples (et où, en principe, ils pourraient être remplacés sans que rien d'important ne soit perdu dans cette transformation), serait alors déclenché une analyse de ce que cette ingénierie techno-sociale mise en place nous fait subir. La seconde étape sera évaluative : il s'agit d'évaluer si l'ingénierie techno-sociale qui se déroule dans l'environnement étudié lors de la première étape a un impact négatif sur nous. Ce qui signifie globalement qu'il faut absolument traiter le problème. Un cadre méthodologique qui s'inspire du célèbre test de Turing, qui entendait distinguer l'humain de la machine au fil d'un dialogue. Il s'agissait de déterminer si une machine pouvait penser, on connaût les développements considérables de cette quête de l'itelligence, mais nos auteurs ne s'intéressent guère, rappellent-ils, à l'ingénierie des machines intelligentes mais plutôt à l'ingénierie des humains inintelligents ...
Mais plus encore, c'est bien la menace que fait peser le déterminisme technique sur le libre arbitre humain qui est ici au centre du débat. Si le libre arbitre est la capacité d'une personne à réfléchir et à déterminer ses croyances, ses préférences, ses valeurs et ses intentions, et compte tenu du rôle fondamental que joue le libre arbitre dans la civilisation humaine et dans le domaine de notre responsabilité morale, "nous faisons le pari pragmatique de vivre nos vies et de structurer la société comme si le libre arbitre existait et avait de l'importance, puis nous proposons des tests d'ingénierie technosociale pour étayer la réalité de ce libre arbitre..."
La troisième partie se conclut en examinant de manière critique la question normative centrale : l'ingénierie technosociale touche au cœur même de notre identité et du type de monde dans lequel nous voulons vivre; nous sommes des animaux technosociaux; ce qui distingue significativement l'homo sapiens de toutes les autres espèces est notre capacité à imaginer, à conceptualiser et à concevoir notre environnement et nous-mêmes (We are techno social animals. What meaningfully distinguishes homo sapiens from all other species is our capability to imagine, conceptualize, and engineer our environment and ourselves). Et ce qui importe pour être humain, c'est la manière dont nous exerçons ce pouvoir au fil des générations pour produire, cultiver et soutenir collectivement des conceptions normatives partagées de l'humanité. Comment devrions-nous exercer ce pouvoir ? Comment devrions-nous concevoir notre monde et nous-mêmes (How should we engineer our world and ourselves) ? Quel type de société devrions-nous construire et maintenir ? Ces questions ne sont pas nouvelles et chaque génération y est confrontée et se définit par la manière dont elle y répond. L'ingénierie techno-sociale du XXIe siècle présente ces questions sous un jour nouveau et stimulant (Twenty-first-century techno-social engineering frames these questions in a new and challenging light) ....
Le livre se conclut par des recommandations, la plus fondamentale est celle d'un vibrant appel à la liberté, une liberté qui englobe deux idéaux,
1) La liberté par rapport à la programmation, au conditionnement et au contrôle conçus par d'autres. Dans notre monde technosocial moderne, nous appelons cela la liberté d'être "hors circuit" (Freedom from programming, conditioning, and control engineered by others. In our modern technosocial world, we call this the freedom to be off).
2) La liberté de volonté et d'action pratique, ou, dans notre monde technosocial moderne, a liberté par rapport à un déterminisme artificiel(Freedom of will and practical agency. In our modern techno-social world, we call this freedom from engineered determinism). Après avoir discuté de ces deux idéaux, les auteurs développent une série de stratégies pour atténuer le dilemme techno-social de l'humanité et réorienter l'ingénierie techno-sociale pour soutenir l'humanité....
D'où l'importance, en d'autres termes, de l'Éthique et de la Régulation dans la manière avec laquelle nous développons et utilisons la technologie. Ils plaident tous deux pour une régulation plus stricte des technologies numériques pour prévenir une "ingénierie" excessive de la vie humaine qui pourrait mener à une perte de liberté et d'autonomie. Ils insistent sur la nécessité de concevoir des technologies qui respectent et renforcent les capacités humaines, plutôt que de les diminuer...
"The Shallows: What the Internet is Doing to Our Brains", Nicholas Carr (2010)
Nicholas Carr, dans "Does IT Matter?" (2004) critiquait l’importance des technologies de l’information dans les entreprises, en faisant valoir que les TI sont devenues une marchandise et ne constituent plus une source d’avantage concurrentiel; dans "The Big Switch: Rewiring the World, from Edison to Google" (2008), il discutait de l’essor du cloud computing et de ses implications pour les entreprises et la société. En 2010, il publie son livre le plus célèbre, "The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains". Il y explore les effets de l'Internet sur nos modes de pensée et nous propose de "réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté.
Carr est de ceux qui entend démontrer comment la dépendance croissante à l'égard des ordinateurs et des technologies automatisées modifie notre façon de penser, de travailler et de percevoir le monde. Bien qu'elle simplifie et optimise de nombreuses tâches, l'automatisation peut aussi réduire les compétences humaines, la créativité et notre potentiel de mobilisation. Carr se penche sur des exemples concrets, comme les pilotes de ligne et les médecins, pour montrer comment la dépendance excessive à l'automatisation peut affaiblir les compétences et la vigilance, créant ainsi une illusion de sécurité tout en augmentant les risques d'erreurs graves.
Carr souligne également les effets plus subtils de la technologie sur notre psychologie, en particulier comment elle peut diminuer notre capacité à rester attentifs et engagés de manière profonde. Il met en garde contre les dangers d'une vie de plus en plus dirigée par des machines, où les êtres humains deviennent des passagers passifs dans leur propre vie, perdant leur sens de la maîtrise et de l'autonomie. Enfin, Carr appelle à un usage plus réfléchi et équilibré de la technologie, où l'automatisation serait utilisée pour compléter et renforcer les compétences humaines plutôt que de les remplacer ou les affaiblir.
Tout naturellement, Nicholas Carr rappelle dès le début de son livre les prophéties d'un Marshall McLuhan qui, en 1964, avait publié "Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme" (Understanding Media: The Extensions of Man), un ouvrage qui fit aussitôt une star de l’universitaire obscur qu’il était, mais aussi un livra dont on discuta beaucoup sans l'avoir vraiment lu. McLuhan déclarait alors que les « médias électriques » (electric media) du XXe siècle – le téléphone, la radio, le cinéma, la télévision – étaient en train de briser la tyrannie du texte sur nos pensées et sur nos sens. Les individus que nous étions, isolés et fragmentés, enfermés depuis des siècles dans la lecture privée des pages imprimées, retrouvaient leur entièreté, se fondant à l’échelle planétaire dans l’équivalent d’un village tribal. Nous nous approchions de « la simulation technologique de la conscience, où le processus créatif du savoir s’étendra collectivement à l’ensemble de la société humaine» (the technological simulation of consciousness, when the creative process of knowing will be collectively and corporately extended to the whole of human society)...
"McLuhan understood that whenever a new medium comes along, people naturally get caught up in the information—the “content”—it carries. They care about the news in the newspaper, the music on the radio, the shows on the TV, the words spoken by the person on the far end of the phone line. The technology of the medium, however astonishing it may be, disappears behind whatever flows through it — facts, entertainment, instruction, conversation. When people start debating (as they always do) whether the medium’s effects are good or bad, it’s the content they wrestle over. Enthusiasts celebrate it; skeptics decry it. The terms of the argument have been pretty much the same for every new informational medium, going back at least to the books that came off Gutenberg’s press. Enthusiasts, with good reason, praise the torrent of new content that the technology uncorks, seeing it as signaling a “democratization” of culture. Skeptics, with equally good reason, condemn the crassness of the content, viewing it as signaling a “dumbing down” of culture. One side’s abundant Eden is the other’s vast wasteland. The Internet is the latest medium to spur this debate...."
McLuhan avait compris que, chaque fois qu’apparaît un nouveau média, les gens deviennent naturellement prisonniers de l’information – du « contenu » – qu’il livre. Ils sont attentifs aux nouvelles dans les journaux, à la musique à la radio, aux spectacles à la télévision, aux mots que prononce la personne à l’autre bout de la ligne du téléphone. La technologie de ce média, pour étonnante qu’elle soit, disparaît derrière le flot qui en émane – faits, distractions, instruction, conversation. Quand les gens commencent à débattre (comme ils le font toujours) pour savoir si les effets du média sont bons ou mauvais, c’est sur le contenu qu’ils s’affrontent. Les enthousiastes le célèbrent, les sceptiques le dénigrent. Les termes de la discussion sont pratiquement toujours les mêmes pour tous les nouveaux médias d’information, en remontant au moins aux livres qui sont sortis de la presse de Gutenberg. Les enthousiastes, à juste titre, se félicitent du torrent de nouveaux contenus que libère la technologie, y voyant le signe d’une « démocratisation » de la culture. Les sceptiques, à juste titre, condamnent le manque de finesse du contenu, y voyant le signe d’un « nivellement par le bas ». L’abondance paradisiaque des uns est l’immense friche des autres. Internet est le dernier média qui a relancé ce débat ...
Mais pour Nicholas Carr, "ce que ne voient ni les enthousiastes ni les sceptiques, c’est ce qu’a vu McLuhan : "à long terme, le contenu d’un média a moins d’importance que le média lui-même pour son influence sur notre façon de penser et d’agir (in the long run a medium’s content matters less than the medium itself in influencing how we think and act). Étant notre fenêtre sur le monde et sur nous-mêmes, le média qui est en vogue façonne ce que nous voyons et notre façon de le voir - et en fin de compte, à l’usage, il change ce que nous sommes, en tant qu’individus et en tant que société (As our window onto the world, and onto ourselves, a popular medium molds what we see and how we see it —and eventually, if we use it enough, it changes who we are, as individuals and as a society). « Les effets de la technologie ne se produisent pas au niveau des opinions ou des concepts », écrivait McLuhan. Bien plutôt, ils altèrent « peu à peu et sans la moindre résistance les schémas de perception » ...
"As McLuhan suggested, media aren’t just channels of information. They supply the stuff of thought, but they also shape the process of thought. And what the Net seems to be doing is chipping away my capacity for concentration and contemplation. Whether I’m online or not, my mind now expects to take in information the way the Net distributes it: in a swiftly moving stream of particles. Once I was a scuba diver in the sea of words. Now I zip along the surface like a guy on a Jet Ski.
Comme le laissait penser McLuhan, les médias ne sont pas seulement des canaux d’information. Ils fournissent le matériau de la pensée, mais ils modèlent aussi son processus. Et j’ai aussi l’impression que le Net endommage ma capacité de concentration et de contemplation. Que je sois en ligne ou non, mon esprit compte maintenant avaler l’information telle que le Net la livre : dans un flot rapide de particules. Le plongeur qui, naguère, explorait l’océan des mots, en rase maintenant la surface à la vitesse de l’éclair comme un adepte du jet-ski.
"Maybe I’m an aberration, an outlier. But it doesn’t seem that way. When I mention my troubles with reading to friends, many say they’re suffering from similar afflictions. The more they use the Web, the more they have to fight to stay focused on long pieces of writing. Some worry they’re becoming chronic scatterbrains. Several of the bloggers I follow have also mentioned the phenomenon. Scott Karp, who used to work for a magazine and now writes a blog about online media, confesses that he has stopped reading books altogether. “I was a lit major in college, and used to be [a] voracious book reader,” he writes. “What happened?” He speculates on the answer: “What if I do all my reading on the web not so much because the way I read has changed, i.e. I’m just seeking convenience, but because the way I THINK has changed?”
"Peut-être suis-je une aberration, un être à part. Mais apparemment ce n’est pas le cas. Quand je parle de mes problèmes de lecture avec des amis, beaucoup disent éprouver les mêmes : plus ils utilisent la Toile, plus ils doivent lutter pour garder leur attention sur de longs écrits. Certains ont peur d’être déboussolés pour toujours. Plusieurs auteurs de blogs que je lis régulièrement ont aussi cité ce phénomène. Ainsi, Scott Karp, qui travaillait auparavant pour un magazine, et qui tient maintenant un blog sur les médias en ligne, avoue avoir complètement arrêté de lire des livres. « Au collège, j’étais étudiant en littérature, et je dévorais les livres. Que s’est-il passé ? » se demande-t-il. Il risque une réponse : « Ne serait-ce pas que je ne lis que sur la Toile pas tant parce que ma façon de lire a changé, c’est-à-dire que je recherche seulement l’aspect pratique, mais parce que c’est ma façon de penser qui a changé ? »
"La façon dont a progressé le Web en tant que média reproduit, à la vitesse d’un très court film, toute l’histoire des médias modernes. Des centaines d’années se sont compressées en deux décennies" - Le titre "The Shallows" fait référence à l'idée que l'Internet nous pousse à penser de manière plus superficielle (the internet is leading to a shallower, more distracted mode of thinking, where depth is sacrificed for speed and breadth). La plasticité de notre cerveau est telle que celui-ci peut être aisément remodelé par l’utilisation répétée de la technologie numérique : ce qui nous conduit insensiblement à une véritable dégradation ne toute pensée profonde pour des variantes de réflexion plus superficielles et ne traitant l'information qu'en se dispersant sans mesure.
"Les jeunes adultes de vingt-cinq à trente-quatre ans, qui sont parmi les plus grands utilisateurs du Net, ont lu des documents papier pour un total d’à peine quarante-neuf minutes par semaine en 2008, soit une chute vertigineuse de 29 % depuis 2004" - L'hyperconnectivité et la consommation rapide d'informations sur le web encouragent cette lecture superficielle De plus, l'Internet, avec ses distractions constantes (notifications, liens hypertextes, publicités), fragmente notre attention. Cela réduit notre capacité à nous concentrer sur une seule tâche pendant une période prolongée. Enfin, Carr soutient que l'Internet devenant une quasi-extension de notre mémoire : nous nous appuyons de plus en plus sur des moteurs de recherche et des bases de données externes, ce qui va dans le sens d'un affaiblissement de notre capacité, voire de notre volonté, de mémorisation. Les conséquences sont évidentes, et nous voici incapable de la moindre lecture un peu approfondie. Certes, les outils technologiques, comme l'écriture ou l'imprimerie, ont toujours influencé notre pensée, mais l'Internet semble porter en lui des effets plus néfastes qu'utiles, des conséquences à long terme pour notre intelligence, notre mémoire et notre capacité à mener des pensées complexes ...
"The Internet, like the personal computer before it, has proven to be so useful in so many ways that we’ve welcomed every expansion of its scope. Rarely have we paused to ponder, much less question, the media revolution that has been playing out all around us, in our homes, our workplaces, our schools. Until the Net arrived, the history of media had been a tale of fragmentation. Different technologies progressed down different paths, leading to a proliferation of special-purpose tools. Books and newspapers could present text and images, but they couldn’t handle sounds or moving pictures. Visual media like cinema and TV were unsuited to the display of text, except in the smallest of quantities. Radios, telephones, phonographs, and tape players were limited to transmitting sounds. If you wanted to add up numbers, you used a calculator. If you wanted to look up facts, you consulted a set of encyclopedias or a World Almanac. The production end of the business was every bit as fragmented as the consumption end..."
"Comme l’ordinateur personnel avant lui, Internet s’est révélé si utile de bien des façons que nous avons fait bon accueil à toutes les extensions de son domaine. Ce n’est pas souvent que nous nous sommes arrêtés pour nous interroger – et encore moins pour la contester – sur la révolution des médias qui était en cours tout autour de nous, à la maison, sur notre lieu de travail et dans nos écoles. Jusqu’à l’avènement du Net, l’histoire des médias était un récit parcellaire. Des technologies différentes progressaient sur des voies différentes, entraînant une prolifération d’outils spécifiques. Les livres et les journaux pouvaient présenter du texte et des images, mais pas gérer des sons ou des films. Les médias visuels comme le cinéma et la télévision n’étaient pas adaptés pour présenter du texte, sinon en quantités infimes. Les radios, tourne-disques et magnétophones se limitaient à transmettre des sons. Pour additionner des nombres, on utilisait une calculatrice. Pour rechercher des faits, on consultait une série d’encyclopédies ou une encyclopédie annuelle du monde. En bout de course, la production était tout aussi fragmentée que la consommation .."
" ... The shift from paper to screen doesn’t just change the way we navigate a piece of writing. It also influences the degree of attention we devote to it and the depth of our immersion in it. Hyperlinks also alter our experience of media. Links are in one sense a variation on the textual allusions, citations, and footnotes that have long been common elements of documents. But their effect on us as we read is not at all the same. Links don’t just point us to related or supplemental works; they propel us toward them. They encourage us to dip in and out of a series of texts rather than devote sustained attention to any one of them. Hyperlinks are designed to grab our attention. Their value as navigational tools is inextricable from the distraction they cause.
"Le passage du papier à l’écran ne change pas seulement notre façon de naviguer sur un écrit. Il influence aussi le degré d’attention que nous lui portons et la profondeur à laquelle nous y plongeons. Les hyperliens eux aussi altèrent notre approche des médias. En un sens, les liens sont une variante des allusions textuelles, des citations et des notes de bas de page qui font classiquement partie des documents depuis longtemps. Mais, quand nous lisons, ils n’ont pas du tout le même effet sur nous. Non seulement ils nous indiquent des travaux apparentés ou complémentaires, mais ils nous poussent vers eux. Ils nous incitent à faire des petits sauts dans une série de textes plutôt que de prêter une attention soutenue à l’un d’entre eux. Les hyperliens sont conçus pour capter notre attention. Si précieux soient-ils en tant qu’outils de navigation, ils ont en même temps ce défaut incontournable de nous disperser.
"The searchability of online works also represents a variation on older navigational aids such as tables of contents, indexes, and concordances. But here, too, the effects are different. As with links, the ease and ready availability of searching make it much simpler to jump between digital documents than it ever was to jump between printed ones. Our attachment to any one text becomes more tenuous, more provisional.
La capacité qu’ont les ouvrages à être cherchés en ligne est aussi une variante des outils de navigation plus anciens qu’étaient les tables des matières, les index et les renvois. Mais, là aussi, les effets sont différents. Comme pour les liens, la facilité et la rapide disponibilité de la recherche font qu’il est beaucoup plus simple de sauter d’un document numérique à un autre que ça ne l’a jamais été entre des documents sur papier. La relation que nous avons avec un texte devient plus fragile, plus éphémère.
Searches also lead to the fragmentation of online works. A search engine often draws our attention to a particular snippet of text, a few words or sentences that have strong relevance to whatever we’re searching for at the moment, while providing little incentive for taking in the work as a whole. We don’t see the forest when we search the Web. We don’t even see the trees. We see twigs and leaves. As companies like Google and Microsoft perfect search engines for video and audio content, more products are undergoing the fragmentation that already characterizes written works.
Les recherches font aussi éclater les œuvres en ligne. Un moteur de recherche attire souvent notre attention sur un extrait particulier, quelques mots ou quelques phrases pertinents pour ce que nous cherchons sur le moment, sans pour autant nous inciter beaucoup à nous approprier l’œuvre comme un tout. Lors d’une recherche sur la Toile, nous ne voyons pas la forêt. Nous ne voyons même pas les arbres. Tout ce que nous voyons, ce sont des rameaux et des brindilles. Et, quand des sociétés comme Google et Microsoft perfectionnent des moteurs de recherche pour des contenus vidéo et audio, un plus grand nombre de produits subissent cette fragmentation qui caractérise déjà les œuvres écrites.
By combining many different kinds of information on a single screen, the multimedia Net further fragments content and disrupts our concentration. A single Web page may contain a few chunks of text, a video or audio stream, a set of navigational tools, various advertisements, and several small software applications, or “widgets,” running in their own windows. ..."
En combinant de nombreux types différents d’information sur un seul écran, le Net multimédia fragmente encore plus le contenu et nous perturbe davantage. Une seule page du Web peut contenir des bouts de texte, une vidéo ou une séquence audio, un ensemble d’outils de
navigation, diverses publicités, et plusieurs petits programmes, ou « widgets », qui s’activent dans leurs propres fenêtres.
(...)
En 2016, dans "Utopia Is Creepy: And Other Provocations", Nicholas Carr se livrera à un véritable jeu de massacres à l'encontre des fantasmes optimistes du futur technologique vu par la Silicon Valley. Et si nous avions été abusé, se demande-t-il. C'est unehistoire alternative de l’ère numérique qu'il propose, tout y est délires, accidents, triomphes aveugles et conséquences inattendues. Ses cibles préférées? ces "fanatiques" qui croient tellement aux ordinateurs et aux données qu’ils abandonnent tout bon sens, mais les outils numériques bon marché ne font pas de nous tous le prochain Fellini ou Dylan. Les réseaux sociaux, aussi divergents soient-ils, ne sont pas les intermédiaires incontournables d’auto-illumination aussi soudaines que brèves. Quant aux célèbres « likes » et retweets, pouvons-nous les considérer comme une extraordinaire revitalisation du discours politique? Lorsque nous attendons des technologies conçues pour le profit qu’elles offrent un paradis de prospérité et de commodité, nous avons oublié qui nous sommes. En réponse, Carr propose des évaluations détaillées de ce qui pourrait nous advenir, sans illusion ...
"Present Shock: When Everything Happens Now", Douglas Rushkoff (2013)
Douglas Rushkoff (1961), professeur de théorie des médias à la City University of New York (Queens College), une figure centrale dans les discussions autour de l'impact des médias numériques et de la technologie sur la société moderne, et ses écrits nous offrent souvent une perspective très critique sur la direction que prend notre monde sous l'influence des nouvelles technologies. Il est particulièrement connu pour avoir popularisé plusieurs concepts, provoquants, tels que "l'alphabétisation des médias" (media literacy), qui met l'accent sur l'importance de comprendre et de critiquer les médias que nous consommons, ainsi que "l'économie de l'attention", qui examine comment les entreprises technologiques capturent et monétisent notre attention. Il n'a de cesse de dénoncer cette singulière caractéristique ne notre nouveau monde, "programmer ou être programmé" (Program or Be Programmed), soulignant l'importance de comprendre la technologie afin de ne pas en devenir esclave.
En 1994, dans "Cyberia: Life in the Trenches of Hyperspace", il explorait la montée de la cyberculture et l'impact des technologies numériques sur la société. La même année, dans "Media Virus! Hidden Agendas in Popular Culture", Rushkoff introduiait le concept de "media virus", analysant comment les idées se propagent à travers les médias de manière similaire à un virus biologique. "Ecstasy Club" (1997), est œuvre de fiction qui explore la culture underground des années 1990, en particulier la scène rave et les contre-cultures numériques. En 1999, dans "Playing the Future: How Kids' Culture Can Teach Us to Thrive in an Age of Chaos", Douglas Rushkoff explorait l'idée que la culture des jeunes, particulièrement à travers les jeux vidéo, les médias numériques et les nouvelles technologies, serait sans doute un avant-goût du futur : enfants et adolescents sont naturellement adaptés à la complexité et à la rapidité du monde moderne, les adultes ne peuvent qu'apprendre de leur manière d'interagir avec cette culture pour mieux naviguer dans l'avenir.
C'est sans doute avec "Present Shock: When Everything Happens Now" (2013) qu'il se fit particulièrement connaître : il nous y décrit comment la technologie moderne a conduit à un état où le présent semble envahir tous les aspects de la vie, rendant difficile la planification pour l'avenir ou la réflexion sur le passé. Dans "Throwing Rocks at the Google Bus: How Growth Became the Enemy of Prosperity" (2016), il critiquera le modèle de croissance des grandes entreprises technologiques, arguant que ce modèle nuit à l'économie globale et propose des alternatives pour un avenir plus durable... Enfin, "Team Human" (2019) constitue un manifeste en faveur de l'humanisme à l'ère numérique, appelant à la préservation des valeurs humaines face aux forces déshumanisantes de la technologie...
En 1999, à une époque qui ne connaissait pas encore la prépondérance acquise par le phénomène des réseaux sociaux, Rushkoff se livrait, dans "Coercion: Why We Listen to What They Say", à l'analyse des moyens par lesquels les pouvoirs en place, qu'ils soient commerciaux, politiques ou médiatiques, exercent une influence sur les masses. Il mettait ainsi en évidence les dynamiques de pouvoir invisibles (The Power of Coercion) qui façonnent nos vies, poussent les individus à agir contre leur propre volonté, souvent sans même s'en rendre compte, et invitait à une prise de conscience pour regagner un contrôle sur nos propres choix ("Coercion works on our minds by exploiting our desires, fears, and vulnerabilities. The most effective forms are the ones that make us believe we are acting out of our own free will, when in fact, we are being guided by unseen forces").
Rushkoff décrivait ainsi comment les entreprises, les gouvernements, et les médias utilisent des stratégies sophistiquées pour manipuler nos pensées et nos actions, selon des techniques qui vont au-delà de la simple publicité et incluent des méthodes psychologiques, sociales et culturelles. Et si effectivement nous nous acceptons si aisément d'obéir à des figures d'autorité ou de suivre des tendances populaires, même si cela va à l'encontre de nos propres intérêts, c'est que nous avons, écrit Rushkoff, une tendance naturelle à vouloir appartenir à un groupe : ce qui peut nous rendre vulnérables aux manipulations. L'auteur s'appuie sur de nombreux exemples concrets tirés de la vie quotidienne pour illustrer comment la coercition fonctionne. Il examine les stratégies de marketing, les techniques de vente, et les campagnes politiques pour montrer comment les individus sont incités à acheter des produits, à voter pour des candidats, ou à adopter certaines croyances.
Rushkoff encourage ses lecteurs à devenir plus conscients des forces coercitives qui les entourent et nous appelle à une réflexion critique sur les messages auxquels nous sommes exposés quotidiennement ("To regain control over our lives, we must learn to see through the techniques of coercion. This requires an understanding of how media and marketing work, and a willingness to question the motives behind the messages we receive").
"Life inc. : how the world became a corporation and how to take it back" (2009)
Your money or your life : a lesson on the front stoop -- Once removed : the corporate life-form -- Charters and the disconnect from commerce -- Mistaking the map for the territory -- Colonialism and the disconnect from place -- The ownership society -- Real estate and the disconnect from home -- Individually wrapped -- Public relations and the disconnect from one another -- You, you're the one -- Consumer empowerment and the disconnect from choice -- To whom credit is due -- Self-interest and the disconnect from currency -- From ecology to economy -- Big business and the disconnect from value -- No returns -- How resistance disconnects us even further -- Here and now -- The opportunity to reconnect.
«Nous en sommes venus à voir le monde à travers le prisme de l'entreprise. Nous considérons nos vies comme des entreprises, notre valeur est mesurée par notre productivité et nos relations sont des transactions. L'entreprise nous a appris à penser comme elle, à tout voir en termes de capital et de marchandises, même notre temps, notre énergie et notre passion. Nous sommes tellement ancrés dans cette réalité de l'entreprise que nous ne parvenons souvent pas à reconnaître que ce n'est pas la seule façon de vivre, ni nécessairement la meilleure» (We have come to see the world through the lens of the corporation. We view our own lives as enterprises, our value measured by our productivity, and our relationships as transactions. The corporation has taught us to think like it does— to see everything in terms of capital and commodities, even our own time, energy, and passion. We have become so embedded in this corporate reality that we often fail to recognize that it is not the only way to live, nor is it necessarily the best).
Dans "Life IncDouglas Rushkoff analyse la manière dont les valeurs et les pratiques des entreprises (corporate values and practices) ont progressivement envahi tous les aspects de la vie moderne, transformant la société en un système dominé par la logique de la rentabilité et de la consommation. Il critique la "corporatisation" (corporatization) de la vie quotidienne et propose des solutions pour reprendre le contrôle et réhumaniser la société.
Retraçant l'histoire de la montée en puissance des "corporations, l'auteur nous explique comment elles sont devenues les entités les plus puissantes de la société moderne, comment elles ont façonné non seulement l'économie, mais aussi la culture, la politique, et même les valeurs personnelles. La mentalité d'entreprise s'est infiltrée dans presque tous les aspects de la vie, du travail à la vie privée, en passant par les interactions sociales, et nous voici encouragés à penser et à agir en fonction des intérêts des entreprises, souvent à notre propre détriment.
S'il est un aspect que le livre met en lumière, c'est bien l'aliénation et la déconnexion qui résultent de la domination des valeurs "corporatistes" : les individus sont devenus des consommateurs isolés, encouragés à se définir par ce qu'ils achètent plutôt que par leur participation à la communauté ou leurs relations personnelles.
Rushkoff propose alors des moyens de reprendre le contrôle face à cette "corporatisation" omniprésente, plaide pour une relocalisation de l'économie, un soutien aux entreprises locales et une réappropriation des espaces publics, en appelle même à une révision des pratiques économiques et va jusqu'à critiquer un système monétaire basé sur la dette ...
"Program or Be Programmed: Ten Commands for a Digital Age" (2010)
Time. Do not be always on -- Place. Live in person -- Choice. You may always choose none of the above -- Complexity. You are never completely right -- Scale. One size does not fit all -- Identity. Be yourself -- Social. Do not sell your friends -- Fact. Tell the truth -- Openness. Share, don't steal -- Purpose. Program or be programmed. Essential reading.
Un manifeste qui examine comment les technologies numériques influencent non seulement notre façon de penser, mais aussi nos comportements. Rushkoff argue que dans le monde numérique d'aujourd'hui, les gens doivent choisir entre comprendre et maîtriser la technologie ou être contrôlés par elle. Le livre est structuré autour de dix « commandements » ou principes directeurs pour naviguer dans l'âge numérique de manière plus consciente et autonome. Rushkoff insiste sur l'importance de comprendre le code et la programmation, même à un niveau de base, pour éviter de devenir de simples consommateurs passifs des technologies conçues par d'autres. Il met également en lumière les effets néfastes potentiels des algorithmes, des plateformes de médias sociaux et des autres technologies numériques sur notre liberté de pensée, notre vie privée et notre capacité à prendre des décisions indépendantes. Le message central de l'ouvrage est que, pour ne pas être asservis par la technologie, nous devons devenir des participants actifs dans sa création et son utilisation.
Les Dix Commandements de "Program or Be Programmed", une éthique pour exister à lère de la connectivité numérique intégrale ...
- "Time: Do Not Be "Always On" - La technologie numérique nous pousse à être constamment connectés : il nous faut refuser d'être esclave de cette connectivité permanente et prendre du temps pour se déconnecter et vivre dans le présent.
- "Place: Live in Person" - Bien que les technologies permettent de se connecter avec des personnes à distance, il est essentiel de valoriser les interactions en face à face et de vivre pleinement dans le monde physique.
- "Choice: You May Always Choose None of the Above" - Les interfaces numériques offrent souvent des choix prédéfinis, mais des choix que nous ouvons refuser, apprendre à penser par soi-même, au-delà des options proposées.
- "Complexity: You Are Never Completely Right" - Les systèmes numériques tendent à simplifier les questions les plus complexes. Mais il est nécessaire au contraire de reconnaître la complexité du monde et de ne pas se laisser piéger par des réponses simplifiées ou binaires.
- "Scale: One Size Does Not Fit All" - Les technologies numériques favorisent souvent des solutions universelles. N'oublions pas que chaque situation est unique et que les solutions doivent être adaptées aux contextes spécifiques.
- "Identity: Be Yourself" - Dans le monde numérique qui est maintenant le nôtre, il est facile de se créer des identités multiples ou de se cacher derrière un avatar. Rushkoff préconise tout au contraire, l'authenticité et l'intégrité dans la présentation de soi en ligne.
- "Social: Do Not Sell Your Friends" - Les réseaux sociaux transforment souvent les relations personnelles en capital social monétisable. Il est crucial de respecter l'intimité et l'intégrité des relations, plutôt que de les exploiter pour un gain personnel ou commercial.
- "Fact: Tell the Truth" - L'information en ligne est facilement manipulable. Rushkoff souligne l'importance de la véracité et de l'honnêteté dans la communication numérique pour maintenir la confiance et la crédibilité.
- "Openness: Share, Don't Steal" - Dans un monde numérique où le contenu est facilement accessible, il est tentant de "voler" ou de réutiliser sans autorisation. Rushkoff encourage le partage respectueux et la contribution plutôt que l'appropriation indue du travail des autres.
- "Purpose: Program or Be Programmed" - c'est bien entendu le commandement central du livre. il est en effet essentiel de comprendre comment les technologies fonctionnent pour ne pas en devenir esclave. Rushkoff incite chacun à apprendre à programmer, ou du moins à comprendre les systèmes numériques, pour conserver le contrôle sur leur vie et leur destin dans l'ère numérique...
"Present Shock: When Everything Happens Now" de Douglas Rushkoff (2013) explore l'impact des technologies numériques sur notre perception du temps et notre expérience du monde. Rushkoff soutient que nous vivons dans un état constant de « present shock», où la ligne entre le passé, le présent et le futur s'estompe à cause de la technologie. Contrairement à la notion de "Future Shock" (l'angoisse face à un avenir incertain), celle de "Present Shock" couvre un domaine de l'esprit dans lequel lorsque tout semble se dérouler simultanément. Dans cette nouvelle "réalité", où le flux constant d'informations nous submerge, tant la planification à long terme, que la narration linéaire et la prise de décisions réfléchies nous semblent inatteignables. Cette situation résulte de l'omniprésence des médias numériques, qui nous bombardent d'informations en temps réel, créant une sensation de pression constante pour être constamment connectés et réactifs.
Rushkoff identifie cinq phénomènes distincts qui illustrent comment ce "Present Shock" se manifeste dans la vie quotidienne. Il en résulte globalement la perte de la narration linéaire dans les médias, une fragmentation de l'esprit due à la surcharge d'informations numériques, et culture de l'immédiateté qui pousse les individus à réagir instantanément, souvent au détriment de la réflexion et de la planification à long terme ...
- "Narrative Collapse" ou perte de la narration traditionnelle, au profit d'une fragmentation de l'esprit et une immédiateté constantes. Les histoires avec un début, un milieu et une fin sont remplacées par des flux d'informations sans fin, comme les mises à jour sur les réseaux sociaux, les actualités en continu, et les séries télévisées qui s'éternisent sans conclusion claire.
- "Digiphrenia", un terme imaginé par Rushkoff pour décrire une fragmentation de l'esprit résultant de notre tentative, désespérée et désespérante, de vivre simultanément dans le monde numérique et le monde physique. Les individus souffrent en conséquence de stress et de confusion en essayant de gérer plusieurs identités en ligne et hors ligne, souvent en temps réel.
- "Overwinding", pour décrire le phénomène qui consiste à compresser de longues périodes de temps en de très brefs moments. Exemple, tenter de condenser une vie entière en un post Instagram ou de résoudre des problèmes complexes instantanément. De là, une pression pour obtenir des résultats immédiats, souvent au détriment de la profondeur et de la qualité.
- "Fractalnoia", qui pourrait être la tendance à voir des motifs et des conspirations dans des événements qui ne sont pas nécessairement connectés. Conséquence logique, sans doute, du surcroît d'information qui nous pousse à chercher des connexions là où il n'y en a pas. D'où des pensées paranoïaques et une méfiance généralisée envers les institutions et les informations.
- "Apocalypto", la sensation que l'apocalypse ou la fin des temps est imminente, un sentiment amplifié par les médias qui jouent sur les peurs et l'angoisse d'une catastrophe imminente. Un tel sentiment ne peut déboucher que sur le désengagement vis-à-vis de la vie quotidienne et une obsession pour des solutions immédiates et radicales, même si elles sont irréalistes.
Rushkoff propose donc, en réaction, une adaptation plus consciente au temps présent, en suggérant que nous devons réapprendre à vivre dans le moment sans succomber à l'urgence constante...
"The Rise of Addictive Technology and the Business of Keeping Us Hooked", Adam Alter (2017)
Adam Alter, professeur de marketing, de psychologie et d'économie comportementale à l'université de New York (Stern School of Business) est principalement connu pour ses recherches sur la manière dont les environnements, les technologies et les entreprises influencent les comportements humains. Adam Alter a ainsi décidé d'observer ce phénomène qui parcourt la Terre entière, celui d'une augmentation sans limite apparente de la dépendance comportementale à des produits qui nous apparaissent totalement irrésistibles. Certes ces produits miraculeux font fondre les kilomètres qui séparent les individus à travers le monde, mais si le magnétisme extraordinaire qu'il dégage peut être parfois dommageable, ce n’est pas par hasard. Les entreprises qui conçoivent ces produits les ajustent au fil du temps jusqu’à ce qu’il soit presque impossible de leur résister. En faisant une rétro-ingénierie de la dépendance comportementale, Alter explique comment nous pouvons exploiter les produits qui créent une dépendance pour le bien – améliorer notre façon de communiquer entre nous, de dépenser et d’économiser, et de fixer des limites entre le travail et les loisirs – et comment nous pouvons atténuer leurs effets les plus néfastes sur notre bien-être, ainsi que sur la santé et le bonheur de nos enfants. Le pragmatisme à l'américaine ...
"Irresistible: The Rise of Addictive Technology and the Business of Keeping Us Hooked" a attiré une large attention pour sa critique des technologies modernes, comme les smartphones et les réseaux sociaux, qui sont conçus pour capter et maintenir notre attention de manière souvent addictive.
Alter commence donc par nous expliquer combien sont intentionnellement conçues pour être addictives nombre de technologies (Intentional Design of Addictive Technologies). Les entreprises utilisent des principes de psychologie comportementale pour capter et retenir l'attention des utilisateurs, en exploitant des vulnérabilités psychologiques telles que le besoin de validation sociale ou la peur de manquer quelque chose (FOMO). Il nous décrit comment les boucles de récompense variable (Variable Reward Loops), où les utilisateurs reçoivent des récompenses de manière imprévisible (comme les notifications, les likes, ou les succès dans les jeux vidéo), sont particulièrement puissantes pour créer des habitudes addictives. Ces boucles sont comparées aux machines à sous dans les casinos, qui captivent les joueurs en offrant des récompenses intermittentes et imprévisibles.
"Some of these addictions continue to grow with technological innovation and social change. One recent study suggested that up to 40 percent of the population suffers from some form of Internet-based addiction, whether to email, gaming, or porn. Another found that 48 percent of its sample of U.S. university students were “Internet addicts,” and another 40 percent were borderline or potential addicts. When asked to discuss their interactions with the Internet, most of the students gravitated toward negative consequences, explaining that their work, relationship, and family lives were poorer because they spent too much time online.
At this point, you may be wondering whether you or someone you love is technically “addicted to the Internet.” This is a sample of five questions from the twenty-item Internet Addiction Test, a widely used measure of Internet addiction. Take a moment to answer each question using the scale below, from 0 to 5 ..."
Alter discute ensuite des effets négatifs de ces technologies sur la santé mentale, notamment l'augmentation de l'anxiété, de la dépression, et du stress. Il souligne que l'utilisation excessive de smartphones, de réseaux sociaux, et de jeux vidéo peut entraîner une détérioration du bien-être émotionnel. Abordant le thème de la normalisation de l'addiction (Normalization of Addictive Behavior), il nous explique comment s'est normalisée dans notre société la dépendance à la technologie. Des comportements autrefois considérés comme problématiques, comme passer des heures devant un écran, sont désormais monnaie courante et souvent encouragés par les normes sociales.
Alter examine dans ce contexte la responsabilité des entreprises technologiques (Corporate Responsibility) dans la création de produits addictifs. Il critique le modèle économique qui pousse ces entreprises à maximiser le temps d'écran des utilisateurs pour augmenter les revenus publicitaires, souvent au détriment du bien-être des utilisateurs. Bien entendu, comme dans tout ouvrage de ce type, Alter nous livre des études de cas pour illustrer ses arguments, notamment des exemples de plateformes populaires comme Facebook, Instagram, et des jeux vidéo comme World of Warcraft, montrant comment elles exploitent les mécanismes psychologiques pour accrocher les utilisateurs (Games like WoW attract millions of teens and young adults, and a considerable minority - up to 40 percent - develop addictions) ...
"Gamification is a powerful tool, and like all powerful tools it brings mixed blessings. On the one hand, it infuses mundane or unpleasant experiences with a measure of joy. It gives medical patients respite from pain, schoolkids relief from boredom, and gamers an excuse to donate to the needy. By merely raising the number of good outcomes in the world, gamification has value. It’s a worthwhile alternative to traditional medical care, education, and charitable giving because, in many respects, those approaches are tone-deaf to the drivers of human motivation. But Ian Bogost was also wise to illuminate the dangers of gamification. Games like FarmVille and Kim Kardashian’s Hollywood are designed to exploit human motivation for financial gain. They pit the wielder of gamification in opposition to the gamer, who becomes ensnared in the game’s irresistible net. But, as I mentioned early in this book, tech is not inherently good or bad. The same is true of gamification. Stripped of its faddish popularity and buzzwordy name, the heart of gamification is just an effective way to design experiences. Games just happen to do an excellent job of relieving pain, replacing boredom with joy, and merging fun with generosity..."
« La "gamification" est un outil puissant et, comme tous les outils puissants, elle apporte des bienfaits mitigés. D'une part, elle confère une certaine joie à des expériences banales ou désagréables. Elle offre aux patients un répit dans leur douleur, aux écoliers un soulagement dans leur ennui et aux joueurs une excuse pour faire des dons aux nécessiteux. En augmentant simplement le nombre de bons résultats dans le monde, la gamification a de la valeur. C'est une alternative intéressante aux soins médicaux traditionnels, à l'éducation et aux dons caritatifs car, à bien des égards, ces approches sont sourdes aux moteurs de la motivation humaine. Mais Ian Bogost a également eu la sagesse de mettre en lumière les dangers de la gamification. Des jeux comme FarmVille et Kim Kardashian's Hollywood sont conçus pour exploiter la motivation humaine à des fins financières. Ils opposent le maître de la gamification au joueur, qui se retrouve pris dans le filet irrésistible du jeu. Mais, comme je l'ai mentionné au début de ce livre, la technologie n'est pas intrinsèquement bonne ou mauvaise. Il en va de même pour la ludification. Débarrassée de sa popularité à la mode et de son nom à la mode, la gamification n'est au fond qu'un moyen efficace de concevoir des expériences. Il se trouve que les jeux font un excellent travail pour soulager la douleur, remplacer l'ennui par la joie et fusionner l'amusement et la générosité....
Ayant décrit les problèmes liés à la technologie addictive, Alter propose des débuts d'alternative et encourage les utilisateurs à reprendre le contrôle de leur temps en utilisant des outils de gestion du temps, en désactivant les notifications non essentielles, et en adoptant des habitudes plus saines en matière de technologie.
Adam Alter est l'auteur de plusieurs livres qui ont eu un certain retentissement, dont "Drunk Tank Pink: And Other Unexpected Forces That Shape How We Think, Feel, and Behave" (2013) : il y explore les influences subtiles, souvent inattendues, qui façonnent nos pensées, nos émotions et nos comportements au quotidien avec un titre qui fait référence à une couleur rose particulière, appelée "Drunk Tank Pink", qui a été utilisée dans les cellules de dégrisement des prisons et qui aurait un effet calmant sur les détenus. Alter commence par nous montrer comment des éléments apparemment insignifiants de notre environnement, comme les couleurs, les noms, ou les lieux, peuvent avoir un impact profond sur notre comportement (la couleur rose peut calmer les gens, tandis que des noms faciles à prononcer sont perçus plus positivement). Le voici explorant comment les noms que nous portons, les mots que nous utilisons, et les labels que l'on nous donne influencent nos décisions et nos perceptions. Puis il examine comment la présence d'autres personnes, même subtilement, modifie notre comportement. Cela inclut des phénomènes comme l'effet d'audience ou l'influence des attentes sociales.
Le livre met ainsi en lumière comment de nombreux facteurs externes, souvent hors de notre conscience, dirigent nos choix ( le temps qu'il fait ou même la façon dont les objets sont disposés dans une pièce ne peuvent-ils pas affecter notre humeur et nos décisions?).
Pour Alter donc, notre comportement est fortement influencé par le contexte dans lequel nous nous trouvons. Les comportements, les émotions, et les décisions peuvent changer de manière radicale en fonction de l'environnement immédiat. Alter va s'appuyer sur une série d'expériences psychologiques pour illustrer son argumentation, chaque chapitre est rempli d'exemples concrets et de données scientifiques qui démontrent l'ampleur de l'influence du contexte sur nos vies.
Dans "Anatomy of a Breakthrough: How to Get Unstuck When It Matters Most" (2023), Adam Alter nous livre un guide pour nous libérer des pensées, des habitudes, des emplois, des relations et même des modèles d’affaires qui nous empêchent de réaliser notre plein potentiel. Presque tout le monde se sent coincé d’une certaine façon, un jour ou l'autre, et pour se libérer, il nous offre sa méthode : il nous faut comprendre le 'blocage" auquel nous nous heurtons, en explorer les raisons psychologiques, puis apprendre à changer de perspective, études de cas à l'appui ...