2010 - Social media influencers - "The Influentials", Ed Keller, Jon Berry (2003) - "Connected: The Surprising Power of Our Social Networks and How They Shape Our Lives" (2009), Nicholas A. Christakis et James H. Fowler - "Social Media Marketing", Tracy L. Tuten, Michael R. Solomon (2019) - "An Influencer’s World : A Behind-the-Scenes Look at Social Media Influencers and Creators", Caroline Baker, Don Baker (2023) - "Social Media Influencers :  Apps, Algorithms and Celebrities" (The New York Times Editorial Staff, 2019) - ....


"Social media has revolutionized how we interact and share content online" est une phrase consacrée depuis les années 2000 (MySpace, 2003, Facebook, 2004, Twitter, 2006, Instagram, 2010), et représentative de la période post-2010, lorsque l’évolution des smartphones et des applications a rendu évidents et incontournables les impacts des "médias sociaux" dans le monde entier. 

Ces "médias sociaux" (Social media) ont modifié, nous le savons, non seulement nos interactions personnelles, mais aussi la manière dont les entreprises, les politiciens, et les artistes communiquent avec leurs publics; les plateformes qui les supportent, comptent des milliards d'utilisateurs actifs et "influencent" presque tous les aspects de la vie moderne; une innovation continue les caractérise, et ne cesse de renforcer l'image d'une véritable "révolution" qui se traduit explicitement en nouvelles "fonctionnalités", implicitement en évolution "culturelle" dont on ne sait encore véritablement définir, quelque vingt ans plus tard, ni le contenu ni l'impact ... 

Les différentes terminologies que l'on emploie sous la dénomination de "médias sociaux" montre la grande confusion de ce nouveau monde, "social media" est par exemple l’expression standard et universellement reconnue pour désigner les plateformes numériques où les utilisateurs interagissent, partagent du contenu et créent des communautés, mais la littérature évoque aussi les termes de "Social Media Platforms", "Social Networking Sites", "Digital Media" ...

Dans les faits, nombre de dynamiques travaillent cet "autre monde", cette "autre réalité du monde", que constituent les "médias sociaux", dont les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter), les plateformes de contenu (YouTube, TikTok), les plateformes professionnelles (LinkedIn), les messageries (WhatsApp, Discord), les hashtags communautaires, les influenceurs, les algorithmes (qui régulent ce qui est vu, comment les communautés se forment, et quelles tendances émergent), les marques et entreprises (qui utilisent les médias sociaux pour communiquer avec leur audience, souvent par le biais d’influenceurs), et des utilisateurs passifs (les consommateurs de contenu)....

 

Communautés en ligne et influenceurs font partie intégrante de ce qu’on appelle les médias sociaux.

Et il n'est pas d'influenceurs sans followers, ils forment tous deux un écosystème complexe qui joue désormais un rôle majeur dans la "culture numérique" contemporaine, influençant à la fois le marché et les dynamiques sociales. Le « marketing d’influence » est l’un des termes les plus utilisés de la décennie. Le phénomène des "influenceurs des médias sociaux" (social media influencers, KOLs (Key Opinion Leaders) en Chine) émerge au début des années 2010, mais ses racines remontent aux premiers jours des médias numériques, dès le blogging des années 2000 (Blogspot, WordPress, Perez Hilton (gossip), Chiara Ferragni, pour la mode). 

Le phénomène lui-même se développe avec l'essor des plateformes visuelles telles que Instagram (2010) et YouTube (2005), des plateformes qui permettant aux créateurs de contenu de diffuser des images et vidéos. Dès lors vont se multiplier ces fameux influenceurs, investissant les niches les plus variées, lifestyle, fitness, jeux vidéo, etc. Des "YouTubers" et des "vloggers" (pour "video" and "bloggers, des créateurs et et diffuseurs de blogs vidéo (vlogs), documentant le plus souvent des aspects de leur vie quotidienne, de leurs loisirs, de leur expertise ou de leurs intérêts), ont marqué cette période. 


Après 2015, succédant aux leaders d'opinion dans sa formulation la plus classique, on assiste à l'émergence de micro-influenceurs (microcelebrity) qui vont créer de l’influence en utilisant des techniques d’auto-présentation qui consiste à établir un sentiment d’intimité avec leur public en partageant du contenu dans une ou plusieurs communautés sociales. Comparativement aux célébrités traditionnelles, les microcélébrités ont un public plus restreint (elles sont classées comme des personnalités sociales ayant entre 1 000 et 100 000 abonnés) mais avec des taux d’engagement plus élevés et une plus grande influence dans leurs communautés. Contrairement aux célébrités traditionnelles qui peuvent avoir un large public sur plusieurs sites de réseaux sociaux, ces influenceurs ont tendance à se spécialiser dans une communauté.  

"In the beginning there were content creators, but the idea of monetizing content wasn’t even a twinkle in their eyes. The people who were in it at the time describe a creative renaissance powered by young talent. These were the first digital influencers..."

 

Avec l'ère TikTok et les plateformes éphémères, 2020 va révolutionner le paysage médiatique avec des vidéos courtes et virales, donnant naissance à des stars. L'algorithmique vient alors conforter une arrive massive d'influenceurs de tous horizons qui accède rapidement à une renommée mondiale. Appliquant un registre combinant des éléments verbaux, visuels et gestuels adapté à la nature interactive, visuelle et algorithmique (mots-clés et hashtags)des plateformes où ils évoluent, ces influenceurs vont jouer un rôle central dans la publicité numérique : les marques investissent en effet dans des campagnes d'influence pour toucher directement leur public cible, et les influenceurs sont là pour générer des décisions d'achat en créant un sentiment de proximité et de confiance avec leurs abonnés.

Pourquoi cette stratégie? "The meaning of a brand resides in the minds of consumers, not in the physical brand itself or in advertising about the brand", la signification d’une marque réside dans l’esprit des consommateurs, et non pas dans la marque elle-même ou dans la publicité à son sujet : ce sont les consommateurs qui donnent sens à la marque, et aucun spécialistes du marketing ne peut influencer celui-ci, si ce n'est en produire la matière première sous forme d’icônes, de métaphores et de phrases. En invitant les consommateurs à utiliser des métaphores lorsqu'ils parlent d'un produit ou d'un service, ce sont les pensées et les sentiments inconscients des consommateurs qui sont amenés à un niveau de conscience qui permet l'ouverture et le partage qui influencera leurs décisions (Gerald Zaltman, How Customers Think, 2003), c'est l'extraordinaire chemin qui semble s'ouvrir à l'influenceur ...


"a test case, patient zero, for the influencer industrial ethos ..."

Staring out from the cover of New York magazine’s September 2019 issue was a close-up of a young woman’s face, wide-eyed with a resigned “can you believe this?” expression, covered in red rubber darts. The cover line read, “What Instagram did to me.” Readers familiar with the fashion blogosphere of the 2000s or New York City’s arts or media scenes in the 2010s would recognize the face as that of Tavi Gevinson, who first made a name for herself in the late 2000s as a preteen style blogger. Her rise had been nervously and obsessively tracked by blog readers, journalists, and industry insiders. In the span of a few short years, Gevinson reaped enormous rewards from being an early entrant into the world of social media self-branding: from taking selfies to being photographed by Annie Leibovitz; from attending middle school to sitting front row at Fashion Week (and famously pissing off a Grazia editor by blocking the view with an enormous hair bow); from hanging out in the comments section of her blog to running her own digital teen magazine with the blessing of legendary editor Jane Pratt and radio producer Ira Glass. But by the time of this 2019 cover story, Gevinson, then aged twenty-three, had also been through the wringer. She had been a test case, patient zero, for the influencer industrial ethos: the idea that anyone can cultivate a loyal audience by providing consistent and relatable content on social media, and then use that audience’s likes, follows, and other engagement metrics as evidence of “influence” to be leveraged for a range of social and economic rewards—many of them accessible through partnering with commercial brands to entwine their messages with one’s own..." ("The Influencer Industry : The Quest for Authenticity on Social Media", Emily Hund, 2023).

Sur la couverture du numéro de septembre 2019 du New York magazine’s, on pouvait voir en gros plan le visage d'une jeune femme, les yeux écarquillés avec une expression résignée du genre  « pouvez-vous croire  ça? », recouvert de fléchettes en caoutchouc rouge. En couverture, on pouvait lire : « Ce qu'Instagram m'a fait ». Les lecteurs familiers de la blogosphère de la mode des années 2000 ou des scènes artistiques ou médiatiques de New York dans les années 2010 reconnaîtraient ce visage comme celui de Tavi Gevinson, qui s'est d'abord fait un nom à la fin des années 2000 en tant que blogueuse de style pour préadolescents. Son ascension a été suivie avec une attention quasi obsessionnelle par les lecteurs de blogs, les journalistes et les initiés de l'industrie. En l'espace de quelques années, Tavi Gevinson a récolté les fruits de son entrée précoce dans le monde des médias sociaux : elle est passée de la prise de selfies à la photographie par Annie Leibovitz, de la middle school  à la première rangée de la Fashion Week (et à l'énervement célèbre d'une rédactrice de Grazia qui lui a bloqué la vue avec un énorme nœud dans les cheveux) ; elle est passée de l'attente dans la section des commentaires de son blog à la gestion de son propre magazine numérique pour adolescents, avec la bénédiction de la légendaire rédactrice en chef Jane Pratt et du producteur de radio Ira Glass. Mais à l'époque de cette couverture de 2019, Gevinson, alors âgée de vingt-trois ans, était également passée par l'essoreuse. Elle avait été un cas test, un patient zéro, pour l'éthique industrielle des influenceurs : l'idée que n'importe qui peut cultiver un public fidèle en fournissant un contenu cohérent et diffusable sur les médias sociaux, puis utiliser les likes, les followers et autres mesures d'engagement de ce public comme preuve d'« influence » à exploiter pour une gamme de récompenses sociales et économiques - dont beaucoup sont accessibles en s'associant à des marques commerciales pour entrelacer leurs messages avec les siens....

 

"The influencer phenomenon did not come out of nowhere, and it was not inevitable. It was the result of people making particular decisions under particular economic, cultural, industrial, and technological circumstances. It is also a product of a long history of popular and academic thinking about who can influence and how, the features of persuasion, and the promises of technology. And like people, its priorities, aesthetics, and modes of working are often in flux, but its core remains essentially the same. Indeed, what enables this industry to continue to morph and succeed despite its and the world’s state of constant chaos is that it belies the chaos. It takes fundamental—and fundamentally slippery—ideals and processes like authenticity and influence and neatly packages them as commodities that can be measured and sold like any other product. It takes uncertainty and makes it feel manageable. ("The Influencer Industry : The Quest for Authenticity on Social Media", Emily Hund, 2023)


"Entertainment"? - Au cours des dernières décennies, l’essor des smartphones, tablettes et ordinateurs portables a facilité le rôle des médias sociaux comme moyen de connexion, de communication et de ce qui peut sembler être du "divertissement" (entertainment) partout où il y a une connexion Wi-Fi. Mais cette notion d' "entertainment" telle qu'elle se distribue sur les réseaux sociaux a changé de nature en s'adaptant aux algorithmes des plateformes et aux supposées préférences individuelles : à travers des formats visuels, audio et interactifs, elle crée de l' "expérience", expérience de consommation, souvent communautaire, et, contrairement au divertissement traditionnel (cinéma, télévision), engage à une participation directe, disponible en temps réel : on "commente", on "partage", on "like" ou on "co-crée" du contenu, des activités qui incluent souvent des aspects de marketing intégré. Les formats sont souvent courts (TikTok, Instagram Reels) pour répondre à la faible durée d'attention en ligne, l'objectif est de capter immédiatement l'attention avec des visuels dynamiques, des sons accrocheurs ou des animations.  Les plateformes utilisent des algorithmes pour proposer un contenu adapté aux goûts des utilisateurs et leurs contenus accessibles en permanence et diffusés rapidement grâce à la viralité. 

Reste que ce paysage numérique est en constante évolution et ne peut guère espérer échapper aux environnements conflictuels qui ne cesse d'agiter notre sphère mondiale. Le "divertissement", entendu dans notre culture numérique, est devenu un système global de mise en ligne de "presque-tout et de presque-pas grand chose" qui fonctionne selon sa propre logique technologique, "on" lui injecte du contenu, "on" se l'approprie comme une part de soi-même, il donne ce qui nous semble de la relation sociale, de la reconnaissance, de l'intelligence et du savoir, et qu'on ne maîtrise, non par le savoir, mais par des interventions d'opérateurs et de pouvoirs technocratiques dont la légitimité n'est que très peu remise en cause ... C'est dans ce contexte que du vécu circule, qu'un contenu viral évolue au sein d’une communauté sociale, - devient un "mème", un fragment d’information culturelle qui se propage d’une personne à l’autre jusqu’à ce qu’il entre dans la conscience générale -, qu'influenceurs et followers se bâtissent un autre monde aussi réel que celui, plus physique, dans lequel chacun de nous naît et meurt. Mais qui influence qui? ...


On peut s'interroger sur la distinction entre "influence" et "propagande", toutes deux sont destinées à influencer pensées et comportements, et toutes deux sont parfois difficiles à départager sur nos réseaux sociaux tels qu'ils ont été conçus (cf. les campagnes de désinformation en ligne, soutenues par des bots ou des algorithmes).Mais l'on nous parle à ce sujet de "connotations distinctes" : on en oublie un ouvrage fondamental, "Propaganda" dans lequel Edward Bernays (1928), considéré comme l'un des pères des relations publiques, analysait comment la manipulation consciente et intelligente des habitudes et opinions des masses jouait désormais un rôle significatif dans les sociétés démocratiques modernes...

 L'INFLUENCE est "la capacité à inciter ou à persuader autrui à adopter une idée, une opinion, un comportement ou une action"; elle repose souvent sur la relation, la crédibilité et la confiance entre celui qui influence et son audience. Des changements d’attitudes ou de comportements sont amenés sans coercition, la persuasion est "douce", directe, neutre ou positive (un influenceur recommande un produit ou une idée basée sur sa propre expérience ou expertise). La "propagande" est, quant à elle, décrite comme une forme de communication conçue pour manipuler les opinions ou les comportements dans le but contrôler l’opinion publique ou d'imposer une vision particulière : on sélectionne des informations, exagérations, distorsions, répétition, parfois désinformation, opacité, dissimulation en constituent les caractéristiques principales. D'un côté, donc, "on impose un point de vue ou une idéologie", et de l'autre, "on encourage des choix éclairés". Le propagandiste manipule perceptions et pensées pour limiter ou orienter les choix de manière intéressée, l'influenceur encouragerait la réflexion, le choix personnel et la liberté de décision. Notre démocratie a donc quitter les rives de la propagande pure et dure pour celle de l'influence, parée de toutes les vertus, une notion qui s'impose désormais jusque dans la sphère politique : gageons que nous n'en resterons pas là ... 


"Influence et manipulation", Robert B. Cialdini (1984)

Psychologue social et professeur émérite à l'Arizona State University, spécialisé dans l'étude de la persuasion, de l'influence sociale et de la manipulation comportementale, Cialdini est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont "Influence: The Psychology of Persuasion", régulièrement mis à jour. Il identifie six principes fondamentaux de persuasion qui influencent les comportements humains et nous explique comment ces principes sont utilisés, parfois de manière éthique ou manipulatrice, pour obtenir l’adhésion des individus.

- La réciprocité (Les êtres humains sont fortement influencés par le sentiment d’obligation lorsqu’ils reçoivent quelque chose).

- L’engagement et la cohérence (Une fois qu’une personne s’engage dans une action ou une idée, elle est poussée à maintenir sa cohérence dans ses actions futures).

- La preuve sociale (Les gens se fient aux comportements des autres pour déterminer la manière appropriée de se comporter, surtout en situation d'incertitude).

- L’autorité (Les individus sont enclins à obéir ou à se conformer aux instructions émanant d'une figure d'autorité ou d'un expert perçu).

- La sympathie (Les gens sont plus susceptibles de dire "oui" à ceux qu’ils trouvent  sympathiques ou auxquels ils s’identifient).

- La rareté (Les objets ou opportunités perçus comme rares ou limités sont plus attrayants et désirables).

Et ces principes de persuasion, tels que décrits par Cialdini, sont omniprésents dans le marketing, les relations sociales et .... les réseaux sociaux ...


"Audience: Marketing in the Age of Subscribers, Fans and Followers", Jeffrey K. Rohrs (2013)

Rohrs soutient que dans un monde numérique dominé par des "subscribers" (abonnés, des "fans" et des "followers", il est crucial, dans le marketing moderne, de construire, entretenir et cultiver ces audiences pour assurer une croissance durable. Et offre des conseils pratiques pour les entreprises souhaitant prospérer dans l’ère numérique....

 

"We like, follow, and subscribe to our favorite brands, companies, and people any time we want. We usually do so when it brings us joy, saves us money, or provides us with timely information. As consumers, we are in control. We decide which audiences to join, leave, or ignore altogether. Unfortunately, not all businesses appreciate this dynamic. They operate under the false assumption that paid media still rules the roost and provides all of the audiences needed to fuel their business. That may have been the case at one point in time, but no longer...

Nous aimons, suivons et nous abonnons à nos marques, entreprises et personnes préférées quand nous le voulons. Nous le faisons généralement lorsque cela nous apporte de la joie, nous permet d'économiser de l'argent ou nous fournit des informations opportunes. En tant que consommateurs, nous avons le contrôle. Nous décidons des publics que nous rejoignons, que nous quittons ou que nous ignorons complètement. Malheureusement, toutes les entreprises n'apprécient pas cette dynamique. Elles partent du principe erroné que les médias payants règnent toujours en maîtres et qu'ils fournissent toutes les audiences nécessaires à leur activité. C'était peut-être le cas à un moment donné, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui...

 

Consider that as you read this, there are the following phenomena:

- A cookie (the edible kind) with over 34 million FANS on Facebook

- A landscape designer with over 3.5 million Pinterest FOLLOWERS

- An actor with 13 times the Twitter FOLLOWERS of his TV show

- An oral care startup with 100 times more YouTube SUBSCRIBERS than competitors with over 100 times the revenue

- A local restaurant with over 20,000 email SUBSCRIBERS—over 500 of whom have restaurant-inspired tattoos

Each of these entities has a distinct advantage over their competitors who rely on driving business through paid media alone. With a push of the button, they can message their audiences directly in cost-effective ways that drive measurable sales, response, and engagement....

 

Aussi les entreprises doivent fonctionner comme des médias en eux-mêmes, en utilisant un écosystème intégré où chaque canal (email, réseaux sociaux, contenu web, etc.) joue un rôle spécifique dans l'engagement global de ces "audiences". Une réflexion stratégique donc sur le rôle central des "audiences" dans le marketing moderne : notre interrogation porte plus profondément sur l'existence du phénomène d'audience lui-même, conséquence de cette communication de masse dans laquelle nous sommes entrés depuis les années 1950 : et pourquoi, tout simplement, existe-t-il dans notre monde hypermédiatisé des "subscribers", des "fans" et des "followers"? La réponse semble loin d'être simple ...


Dans "Personal Influence: The Part Played by People in the Flow of Mass Communication" (New York: The Free Press, 1955), Elihu Katz et Paul F. Lazarsfeld s'interroge sur le rôle des interactions personnelles dans la transmission et l'influence des messages des médias de masse. Le concept de communication se déroule pour ces auteurs en deux étapes (two-step flow of communication), suggérant que l'influence médiatique passe par des leaders d'opinion avant d'atteindre la majorité des individus. 

Les messages des médias ne touchent pas directement la masse des individus de manière uniforme. Ils sont d'abord reçus par un groupe de personnes qualifiées de leaders d'opinion, qui interprètent et transmettent ces messages à leurs cercles sociaux à travers des interactions personnelles. Ces leaders d'opinion sont des individus influents dans leurs communautés ou groupes sociaux, qui ont une connaissance ou un intérêt particulier dans certains sujets. Leur influence dépasse celle des médias car ils interprètent les messages dans un langage accessible et pertinent pour leurs pairs. Et c'est ainsi que Katz et Lazarsfeld montreront que les relations sociales et les discussions personnelles ont une influence plus forte sur les attitudes, opinions et comportements des individus que l'exposition directe aux médias de masse (nous sommes en 1955). Contrairement aux théories précédentes qui supposaient que les médias de masse avaient un impact direct et puissant (hypodermic needle theory), Katz et Lazarsfeld montrent que cet effet est indirect et médié par des réseaux sociaux. Leurs travaux a modifié la manière d’étudier les campagnes électorales en soulignant le rôle des interactions sociales dans la formation des opinions politiques, et ouvert la voie à de nombreuses recherches sur les interactions entre médias et structures sociales....


Everett M. Rogers, dans "The Diffusion of Innovations" (1962), a étendu la théorie de Katz et Lazarsfeld en cherchant à comprendre comment les innovations (idées, produits, pratiques) se propagent au sein des sociétés. Il en est venu à populariser le concept des "early adopters" et des "opinion leaders" dans le processus de diffusion, identifiant cinq catégories d'adoptants (innovateurs, adopteurs précoces, majorité précoce, majorité tardive, retardataires) et expliquant le rôle des leaders d'opinion dans chaque étape...


"The influentials : people who influence people", Weimann, Gabriel, 1994

Weimann applique les idées de Everett Rogers sur la diffusion de l'innovation pour montrer le rôle central de certains individus influents dans la dynamique de la communication et de l'influence sociale : comment les influenceurs agissent comme des catalyseurs dans l'adoption de nouvelles idées, technologies ou comportements; des influenceurs qui se situent souvent dans les premières phases du cycle d'adoption, jouant le rôle de "connecteurs" entre les innovateurs et le grand public. Mais ils ne se contentent pas de relayer des messages, ils les modifient, les interprètent et les adaptent à leur audience. Les médias de masse vont jouer un rôle complémentaire en renforçant le statut des influenceurs, en leur offrant une plateforme ou en amplifiant leurs idées : c'st ainsi qu'ils deviennent des "médiateurs culturels" qui traduisent les messages médiatiques dans un langage accessible à leurs réseaux... 


"The Influentials", Ed Keller, Jon Berry (2003) 

Un ouvrage précurseur du concept moderne de marketing d'influence, qui, s'il se concentre davantage sur les relations interpersonnelles directes que sur les influenceurs numériques actuels, analyse, dans le contexte américain, les dynamiques de l'influence sociale. Basé sur des décennies de recherches menées par l'institut de sondage RoperASW (désormais GfK), l’ouvrage examine comment un petit pourcentage de la population exerce une influence disproportionnée sur les comportements, les opinions et les décisions des autres.

Selon Keller et Berry, environ 10 % de la population exerce une influence significative sur le reste.

Ces « influentials » ne sont pas des célébrités ou des figures publiques, mais des individus ordinaires ayant une forte présence dans leur réseau social et communautaire, forgeant les opinions des autres dans des domaines variés, allant des décisions d'achat à la politique, en passant par la culture. Ces "influentials" ne se contentent pas de consommer de l’information, mais sont actifs dans leur communauté et participent à des groupes, clubs et associations. Cette influence s'exerce principalement par des échanges personnels et non par des médias de masse ou des campagnes publicitaires (publié avant l'essor des médias sociaux modernes, le livre anticipe sur le fait que des interactions connexions personnelles et des recommandations entre pairs puissent être la clé de l'influence, même à l’ère numérique). Les influentials sont écoutés parce qu’ils sont perçus comme crédibles et dignes de confiance, à la différence des marques ou des figures institutionnelles.

Cette influence s’étend à de nombreux domaines : les décisions d'achat, la politique (ils mobilisent pour des causes et influencent les comportements électoraux), les tendances culturelles (ils contribuent à définir ce qui est « en vogue »). Quelles sont leurs caractéristiques? 

Bien informés et curieux, cherchant à se tenir à jour sur les sujets qui les intéressent, ils sont motivés par le désir d'aider ou de guider les autres, et non par des intérêts personnels ou financiers, sont proactifs et prennent souvent des initiatives. 

Keller et Berry suggèreront en conclusion que les entreprises devraient cibler ces influentials pour maximiser leur impact marketing et que les organisations devraient s’appuyer sur eux  pour promouvoir des causes ou influencer des changements sociaux ...


"Connected: The Surprising Power of Our Social Networks and How They Shape Our Lives" (2009) - Nicholas A. Christakis et James H. Fowler

De l'incroyable pouvoir des réseaux sociaux et et de leur profonde influence sur la vie de chacun, c'est-à-dire sur nos comportements, nos idées et nos émotions. Les auteurs mettent en avant l'importance des connexions personnelles et des influences indirectes dans nos choix. Pour eux, les réseaux sociaux ne se limitent pas aux plateformes numériques, mais incluent tous les types de relations interpersonnelles, famille, amis, collègues, voisins, etc. Les auteurs vont combiner sociologie, psychologie, médecine et sciences des réseaux pour offrir une vision intégrée des effets des relations interpersonnelles et déboucher sur une théorie des influences à trois degrés : l'influence d'une personne s'étend à ses amis, aux amis de ses amis, et aux amis des amis de ses amis....


"The Tipping Point: How Little Things Can Make a Big Difference", Malcolm Gladwell (2000) 

Le point de basculement (Tipping Point) est ce moment magique où une idée, une tendance ou un comportement social franchit un seuil et se propage comme un feu de bois. Tout comme un malade peut déclencher une épidémie de grippe, une poussée, infime mais ciblée peut provoquer une tendance, une mode, la popularité d’un nouveau produit ou une baisse du taux de criminalité.  

Un phénomène (mode, idée, produit, comportement) devient donc "viral" lorsque des facteurs spécifiques s’alignent pour déclencher une propagation rapide, atteignant un point critique où le changement devient irréversible. Gladwell identifie trois principes essentiels pour expliquer comment et pourquoi certains phénomènes atteignent ce point de bascule :

- La Loi des Petits Nombres (The Law of the Few), une minorité d’individus va jouer un rôle disproportionné dans la diffusion des idées : les "connecteurs" (des personnes socialement très bien connectées qui relient différents groupes), les "mavens" (des experts ou passionnés qui accumulent des informations et influencent les autres en partageant leurs connaissances), et et les "vendeurs" (des personnes charismatiques et persuasives capables de convaincre et d’inciter à l’action).

- Le Facteur d’Adhésion (The Stickiness Factor) : une idée ou un message doit être suffisamment mémorable et engageant pour rester dans l’esprit des gens et les inciter à agir.

- Le Pouvoir du Contexte (The Power of Context) : les comportements humains sont fortement influencés par le contexte environnemental ou social dans lequel ils se produisent. De petits changements dans le contexte peuvent déclencher de grands effets (exemple : la "théorie de la vitre brisée" qui montre comment réduire les désordres visibles peut diminuer la criminalité).

 

S'enclenche le phénomène dit de "propagation virale" : les idées, les produits et les comportements se propagent comme des épidémies, suivant des schémas de contagion similaires à ceux des maladies infectieuses. Gladwell met l’accent sur les dynamiques sociales et psychologiques qui transforment un phénomène isolé en une tendance généralisée (par exemple, la popularité soudaine de chaussures Hush Puppies dans les années 1990, la baisse de la criminalité à New York grâce à des changements dans l’environnement urbain, la propagation de certaines campagnes publicitaires ou produits à succès).

 

"The Tipping Point" met donc parfaitement en évidence le rôle des réseaux sociaux et des interactions interpersonnelles dans la diffusion des idées et des comportements. Les leaders d’opinion (connecteurs, mavens, vendeurs) sont essentiels pour initier et amplifier les tendances. On reprochera toutefois à Gladwell d'avoir simplifié des dynamiques sociales complexes en les réduisant à des règles générales, mais ses hypothèses seront largement appliqués dans des domaines tels que le marketing numérique, les médias sociaux, et la recherche sur les influenceurs ..


Un monde de "followers"? Un rapport de 2019 du Global Web Index nous confirmait déjà que les gens - surtout les jeunes - passent beaucoup de temps en ligne chaque jour, que ce chiffre était alors de deux heures et vingt-deux minutes par jour, un chiffre est en hausse depuis des années et qui devrait continuer d’augmenter. Un temps consacré à la messagerie, à la consommation de contenu comme des informations pratiques, des critiques de produits, des conseils relatifs à divers produits, des vidéos dites récréatives, etc. Une grande partie de ce contenu est fournit par les influenceurs des médias sociaux, des individus qui ont réussi à attirer l’attention de millions de personnes, en créant du "divertissement", en endossant des marques, en postant des commentaires et parfois en inspirant l'intérêt ou la colère des pouvoirs, des gouvernants, des autres médias en règle générale. Les applications de médias sociaux comme Twitter (X), Snapchat, Instagram, WhatsApp, Tumblr et Facebook attirent beaucoup l’attention, mais YouTube est le lieu où la culture pop en particulier prospère. Les mèmes, les commentaires, les séries Web, les tutoriels et la comédie sont autant d’éléments que les dits créateurs de contenu ou performers de toute nature  peuvent utiliser pour se distinguer. Et des millions de followers, de par le monde, sont en attente du contenu viral qui éclairera, au moins quelques heures, leur existence ...


Aujourd'hui, qui ne parle de "culture" : il n'est de médias ou de détenteurs de pouvoir qui, sans réellement savoir ce qu'en fin de compte ce terme recoupe, n'use et n'abuse de celui-ci. Plutôt qu'un patrimoine figé, des auteurs et des mouvements plus ou moins académiquement référencés, la culture est désormais perçue comme un processus, interactif et évolutif, enrichi par des échanges globaux, des hybridations, des réinterprétations massives, et des innovations plus de forme que de contenu. 

L'essor des technologies numériques a donné naissance à une "culture numérique" où des pratiques comme les mèmes, les vidéos virales, les réseaux sociaux et les influenceurs façonnent de nouvelles normes et codes "culturels". 

Qu'entendre dès lors par culture dans ce nouveau contexte ..

On peut distinguer "culture" et "tendance culturelle". Une culture peut être est décrite comme le socle global et évolutif qui façonne des identités collectives, nous ne sommes pas loin ici de l'idée de "civilisation". Une "tendance culturelle" (cultural trend) sera, quant à elle, définie comme un phénomène émergent, réactif, spécifique, éphémère, qui reflète les préférences, comportements, valeurs ou pratiques en vogue au sein d’un groupe ou d’une société à un moment donné. Cette tendance peut être observée dans divers domaines, la mode, les arts, la technologie, les modes de vie. On lui reconnaît le plus souvent un rôle de révélateur, celui d'évolutions sociales, économiques et technologiques. Nous sommes loin d'une histoire de la pensée ou des idées. C'est en ce sens que l'on peut dire que les influenceurs ne sont pas seulement des outils de marketing, mais également des agents culturels : ils vont reflèter, voire modifier les normes sociétales ...  

 

La notion de "culture" que nous évoquons ici, est entendue "sociétale" par son contenu, mais reconfigurée à l'ombre des réseaux sociaux : c'est en effet un système global dans lequel se manifestent et s'organisent sociabilité et interactions humaines, pratiques et comportements, valeurs individuelles et collectives, structures économiques et politiques; un système qui contribue activement à structurer notre manière de percevoir le monde, nos priorités, et nos modes de vie : mais la finalité pour tout un chacun (l'utilisateur), via la communauté numérique avec laquelle nous partageons cette culture, est bien d'acquérir mise en scène médiatisée et reconnaissance de soi.

Beaucoup ne seront que des followers plus ou moins actifs, certains autres réussiront à atteindre notoriété, puis influence ... : un YouTube superstar, ce peut être 9 million d'abonnés et 2.2 milliards de vue ...

 

Nous ne sommes pas ici dans le domaine de la pensée ou de la création artistique, au sens culturel et classique du terme (civilisation), mais dans celui bien connu de l'apparence, de sa représentation et du comportement lié à celle-ci ("People use comparisons as part of their self-definition to varying degrees. Some people are more externally focused, and some are more internally focused. The key seems to be striking the right balance").... 

 

Dès lors l'influenceur, au sens large, peut être présenté comme un intermédiaire qui "façonne" de la "tendance culturelle". Et chacune de ces "tendances" correspond aux différentes catégories dans lesquelles se distribuent tant l'influenceur que sa plateforme de prédilection, l'un et l'autre adossé plus ou moins au contexte marketing qui les financent : Lifestyle ou Mode de vie (Instagram, YouTube, Pinterest), Beauté et maquillage (YouTube, Instagram, TikTok), Gaming (YouTube, Twitch, Discord), Fitness et santé (Instagram, YouTube), Technologie et gadgets (YouTube, blogs spécialisés), Voyages (Instagram, YouTube), Cuisine et gastronomie (YouTube, Instagram, TikTok), Education et vulgarisation (YouTube, TikTok), Humour et divertissement (TikTok, YouTube, Instagram). 

YouTube est devenu un vaste monde, immatériel par définition, dans lequel naissent et meurent des influenceurs et des fragments de vidéo-culture, fragments hybrides de ce que nous appelons aujourd'hui pensées, mais des pensées qui, paradoxalement, ne se pensent pas ...

Réseau social, et par défintion politique. On peut adjoindre à ces thématiques dites "sociétales", des préoccupations qui interpellent les sociétés modernes sur leur organisation, leur éthique, et leur vision de l’avenir : à la frontière du politique et du social, l'écologie, pour ne citer qu'un exemple ...


"An Influencer’s World : A Behind-the-Scenes Look at Social Media Influencers and Creators", Caroline Baker, Don Baker (2023)

Les auteurs ont mené des dizaines d'entretiens avec des influenceurs en vogue, des PDG, des experts de l'industrie, des marques, des professionnels de la santé mentale et des célébrités pour présenter une perspective inédite sur les aspects commerciaux du métier d'influenceur ainsi que sur la vie personnelle de ces créateurs de contenu.

Les influenceurs sont représentés comme d'une importance incontournable dans la culture contemporaine : ces créateurs transforment les comportements, façonnent les tendances, et redéfinissent les relations entre les marques et les consommateurs.

 

"Social media influencers and creators have the unique experience of living with one foot in the real world and the other in a digital world where they hold the power. Every day, they are torn by the paradox of being adored by millions of followers while being trolled by haters. What’s the psychological toll of chasing the next post, going from adored to despised in the number of seconds it takes to read a comment? What got influencers to where they are now, and what helps them in the fight to remain relevant? How do they create an authentic brand that catches fire while still leading an authentic, healthy life?

(...)

"Les influenceurs et créateurs des médias sociaux ont l’expérience unique de vivre avec un pied dans le monde réel et l’autre dans un monde numérique où ils détiennent le pouvoir. Chaque jour, ils sont déchirés par le paradoxe d’être adorés par des millions de fidèles tout en étant pris au piège par les plus haineux. Quel est le coût psychologique de la poursuite du prochain article, passant de vénéré à méprisé en quelques secondes pour lire un commentaire? Qu’est-ce qui a amené les influenceurs là où ils sont maintenant, et ce qui les aide dans leur lutte pour continuer à être ce qu'ils sont? Comment créer une marque authentique qui prend feu tout en menant une vie aussi saine que possible?

(...)

Some of the most successful influencers and content creators tell a story with their posts, but even more fascinating is the story behind the posts. It’s a lifestyle that’s fast, exotic, voyeuristic, surreal, and sometimes mundane; it’s the opposite of anything as old-fashioned as nine-to-five. It’s the real world of an influencer. Some influencers and creators swim in money, drive exotic cars, vacation on luxury yachts, and live in mansions; others struggle to earn a living in the industry.

The purpose of the book is to get an insider’s look at the influencing industry by showcasing a diverse set of voices from within the industry. It’s an unconventional, holistic view that explores the business, history, culture, and psychology of influencing. To get the full picture, we’ve interviewed dozens of CEOs and other leading industry executives, brands, agents,

talent managers, sports and entertainment insiders, academics, mental health  professionals, celebrities, reality TV stars, and trending influencers.

(..)

Certains des influenceurs et créateurs de contenu les plus performants racontent une histoire avec leurs posts, mais ce qui est encore plus fascinant, c'est l'histoire qui se cache derrière ces posts. C'est un mode de vie rapide, exotique, voyeuriste, surréaliste et parfois banal, à l'opposé de tout ce qui est démodé comme le travail de nuit. C'est le monde réel d'un influenceur. Certains influenceurs et créateurs nagent dans l'argent, conduisent des voitures exotiques, passent leurs vacances sur des yachts de luxe et vivent dans des manoirs ; d'autres luttent pour gagner leur vie dans l'industrie.

L'objectif de ce livre est d'offrir un regard de l'intérieur sur l'industrie de l'influence en présentant un ensemble varié de voix issues de l'industrie. Il s'agit d'une vision non conventionnelle et holistique qui explore l'activité, l'histoire, la culture et la psychologie de l'influence. Pour obtenir une vue d'ensemble, nous avons interrogé des dizaines de PDG et d'autres cadres dirigeants de l'industrie, des marques, des agents, des gestionnaires de talents, des initiés du sport et du divertissement, des universitaires, des professionnels de la santé mentale, des célébrités, des stars de la télé-réalité et des influenceurs en vogue.

(...)

Après avoir abordé les mécanismes économiques derrière les partenariats entre marques et influenceurs, présenté des études de cas portant tant sur des campagnes réussies et que sur des erreurs marketing majeures, évoqué classiquement les caractéristiques des plateformes clés (Instagram, TikTok, YouTube) qui sont utilisées, les auteurs en viennent à l'essentiel, la vie quotidienne des influenceurs : les témoignages révèlent la pression constante à laquelle ils sont confrontés, notamment dans la production du contenu, dans le maintien de leur engagement et dans la gestion de leur présence en ligne. La réalité de cette pression conduit à s'interroger sur les impacts psychologiques d'un tel débordement d'activité. Le rôle des influenceurs dans la formation des normes sociales et des idéaux (parfois irréalistes) vis-à-vis de leur audience est un aussi un sujet évoqué. Les défis et controverses qu'affrontent l'influenceur, les questions de transparence, les problèmes éthiques (désinformation, exploitation des audiences vulnérables, faux influenceurs, achat de followers) constituent le dernier chapitre qui en vient à s'interroger sur l'avenir de cette stratégie à base d'influence, tant en termes d'évolutions technologiques (intelligence artificielle) que vis-à-vis de modèles éventuellement alternatifs ; "influencing and having a social audience and power and clout has become the norm in our society, and I don’t think you can ever strip it away..."

 

" ... In 1954, psychologist Leon Festinger proposed the social comparison theory, which centers around the idea that people have an innate drive to evaluate their opinions and abilities in relation to others. By drawing comparisons to the those around them, people form judgments about themselves and define who they are. When people want to feel better about themselves, they tend to seek downward comparisons with individuals who are worse off, but when they need motivation or inspiration, they tend to look for upward comparisons with individuals who are better off. The tricky part is that upward comparisons, especially when there are a lot of them, can damage self-esteem, causing feelings of inadequacy and self-doubt. 

Before digital spaces, people mainly compared themselves to those around them at school, at their jobs, at social organizations, and in places of worship. Movies, TV shows, and magazines drove home a glitzy, seemingly unattainable celebrity culture. Even so, it didn’t seem as ubiquitous and invasive as social media.

 

"... En 1954, le psychologue Leon Festinger a proposé la théorie de la comparaison sociale, qui s'articule autour de l'idée que les gens ont un besoin inné d'évaluer leurs opinions et leurs capacités par rapport aux autres. En établissant des comparaisons avec les personnes qui les entourent, les gens forment des jugements sur eux-mêmes et définissent qui ils sont. Lorsqu'ils veulent se sentir mieux dans leur peau, ils ont tendance à chercher des comparaisons descendantes avec des personnes moins bien loties, mais lorsqu'ils ont besoin de motivation ou d'inspiration, ils ont tendance à chercher des comparaisons ascendantes avec des personnes mieux loties. Le problème, c'est que les comparaisons ascendantes, surtout lorsqu'elles sont nombreuses, peuvent nuire à l'estime de soi, en provoquant des sentiments d'inadéquation et de doute. 

Avant l'avènement des espaces numériques, les gens se comparaient principalement à ceux qui les entouraient à l'école, au travail, dans les organisations sociales et dans les lieux de culte. Les films, les émissions de télévision et les magazines véhiculaient une culture de la célébrité clinquante et apparemment inaccessible. Néanmoins, cette culture ne semblait pas aussi omniprésente et envahissante que les médias sociaux.

 

"The question then becomes, how does social comparison differ online versus in the real world, perhaps in a common scenario like walking into a party, sizing everyone up, and immediately comparing yourself to the other guests? First of all is sheer number. At a party, only a finite number of people are there, available for comparison. Online, that number is infinite. Online, there are also a massive number of richer, prettier, smarter, and more talented people. In a global online community, there aren’t many spots open to be the best. In contrast, in someone’s town or neighborhood, statistically, it’s not as hard to be number one. In their own area, people are more likely to come across others who are relatively equal regarding social status, economic status, and education level. It’s the difference between being a big fish in a small pond, and a big fish in a vast ocean of fish, sharks, and whales...."

 

La question qui se pose alors est la suivante : en quoi la comparaison sociale diffère-t-elle en ligne et dans le monde réel, par exemple dans un scénario courant comme entrer dans une fête, jauger tout le monde et se comparer immédiatement aux autres invités ? Tout d'abord, il y a le nombre. Lors d'une fête, il n'y a qu'un nombre limité de personnes présentes, disponibles pour la comparaison. En ligne, ce nombre est infini. En ligne, il y a également un nombre considérable de personnes plus riches, plus belles, plus intelligentes et plus talentueuses. Dans une communauté mondiale en ligne, il n'y a pas beaucoup de places disponibles pour être le meilleur. En revanche, dans la ville ou le quartier d'une personne, il n'est statistiquement pas aussi difficile d'être le meilleur. Dans leur propre quartier, les gens ont plus de chances de rencontrer d'autres personnes relativement égales en termes de statut social, de statut économique et de niveau d'éducation. C'est la différence entre être un gros poisson dans un petit étang et un gros poisson dans un vaste océan de poissons, de requins et de baleines....

 

"Second is the amount of time spent online. Years ago, even if employees of a large company spent time and energy comparing themselves to their fellow workers, home could still be their refuge. Now, influencers live in a world where their career and home lives are enmeshed, with few boundaries between work time and downtime. With the constant barrage of images, videos, and text that they must attend to, influencers are less able to get away from the inevitable comparisons. Leach notes that people are tying their self-esteem and self-worth to “day-by-day, hour-by-hour, minute-byminute feedback, and attention from other people, and when they’re not getting it, feeling really bad.”

 

« Deuxièmement, le temps passé en ligne. Il y a quelques années, même si les employés d'une grande entreprise passaient du temps et de l'énergie à se comparer à leurs collègues, ils pouvaient toujours se réfugier chez eux. Aujourd'hui, les influenceurs vivent dans un monde où leur carrière et leur vie privée sont imbriquées, avec peu de frontières entre le temps de travail et le temps libre. Avec le barrage constant d'images, de vidéos et de textes dont ils doivent s'occuper, les influenceurs sont moins en mesure de se soustraire aux inévitables comparaisons. Leach note que les gens lient leur estime de soi et leur valeur personnelle au « feedback et à l'attention des autres, jour après jour, heure après heure, minute après minute, et lorsqu'ils ne l'obtiennent pas, ils se sentent vraiment mal ».

 

"Third, the comparisons aren’t apples to apples. Years ago, a party-goer wasn’t likely to know details about every single guest in attendance. Online, there’s an abundance of information about people’s lives that, for some, borders on TMI. Erin Vogel says, “On social media, we have so much information about people that we barely know. We’re not just seeing how somebody is presenting themselves at a party; we’re seeing everything that they’re sharing about their life on social media, which can be a lot. And when we see all that information, it’s easy to forget that they’re not sharing absolutely everything. It’s still kind of a highlight reel. So those comparisons are still there, but we’re really getting a lot of rich information about people that we barely know, or people that we’ve never met in real life.”

 

« Troisièmement, les comparaisons ne sont pas des pommes pour des pommes. Il y a quelques années, un fêtard n'était pas susceptible de connaître les détails de chaque invité présent. En ligne, il y a une abondance d'informations sur la vie des gens qui, pour certains, frise le TMI. Erin Vogel déclare : « Sur les médias sociaux, nous disposons de tellement d'informations sur des personnes que nous connaissons à peine. Nous ne voyons pas seulement comment quelqu'un se présente à une soirée ; nous voyons tout ce qu'il partage sur sa vie sur les médias sociaux, ce qui peut être beaucoup. Et lorsque nous voyons toutes ces informations, il est facile d'oublier qu'ils ne partagent pas absolument tout. Il s'agit toujours d'une sorte de bobine de clou. Ces comparaisons sont donc toujours possibles, mais nous obtenons des informations très riches sur des personnes que nous connaissons à peine ou que nous n'avons jamais rencontrées dans la vie réelle.

 

"Instead of comparing real life to real life, we’re comparing real life to highlight reel. However, because we may not fully recognize that it’s just a highlight reel, it’s playing a cognitive trick on us, making us think that we know more than we actually do. The highlight reel isn’t necessarily fake, but many people do tend to post the positive, celebratory moments in their lives, marking holidays, anniversaries, weddings, birthdays, and parties.

(...)

Au lieu de comparer la vie réelle à la vie réelle, nous comparons la vie réelle aux meilleurs moments. Toutefois, comme nous ne sommes pas toujours conscients qu'il ne s'agit que d'une bande-son, elle nous joue un tour cognitif en nous faisant croire que nous en savons plus que nous n'en savons en réalité. La bobine des meilleurs moments n'est pas nécessairement fausse, mais de nombreuses personnes ont tendance à poster les moments positifs et festifs de leur vie, comme les vacances, les anniversaires, les mariages, les anniversaires de naissance et les fêtes..."


"Social Media Influencers :  Apps, Algorithms and Celebrities" (The New York Times Editorial Staff, 2019)

Un incontournable, "Social Media Influencers",une  synthèse 2019 par l'équipe éditoriale du New York Times qui traite de l'essor des influenceurs sur les réseaux sociaux et de leur impact sur la culture contemporaine. Une compilation d'articles et d'analyses qui, entre autres, retrace l'évolution des influenceurs, depuis les premiers blogueurs jusqu'aux célébrités des plateformes modernes comme Instagram et TikTok, en soulignant comment les algorithmes et les applications ont facilité leur ascension; analyse comment les influenceurs modifient les tendances culturelles, influencent les comportements des consommateurs et redéfinissent les notions de célébrité et d'autorité à l'ère numérique. L'ouvrage aborde tant les questions économiques qu'éthiques, liées à la monétisation de l'influence, la transparence des partenariats sponsorisés et les implications éthiques de la promotion de produits ou d'idées auprès de vastes audiences. Il conclut en abordant les défis réglementaires posés par le marketing d'influence et la responsabilité des influenceurs en matière de diffusion d'informations et de contenu...


"Social Media Marketing", Tracy L. Tuten, Michael R. Solomon (2019)

En 2023, le marché mondial du marketing d'influence a atteint une valeur record de 21,1 milliards de dollars, reflétant une croissance significative par rapport aux années précédentes. Un ouvrage qui s’adresse principalement aux professionnels du marketing. Les différents types de médias sociaux, tels que les blogs, les microblogs comme Twitter, les communautés de contenu comme YouTube et les sites de réseaux sociaux comme Facebook, s'intègrent et complètent désormais la boîte à outils des marketeurs. Mais ces réseaux sociaux ne sont pas seulement des outils pour diffuser des messages : ils constituent des écosystèmes interactifs où les marques, les consommateurs et les influenceurs collaborent pour co-créer de la valeur. Et ce marketing réalisé à travers les médias sociaux nécessite une compréhension approfondie des comportements numériques, une maîtrise des plateformes, et une capacité à engager des conversations significatives avec les audiences. Les réseaux sociaux ont en effet transformer le marketing en un dialogue interactif où les consommateurs participent activement à la construction de l'image de la marque...

 

Although consumers get information from personal sources, they do not usually ask just anyone for advice about purchases. If you decide to buy a new sound system, you will most likely seek advice from a friend who knows a lot about this topic. This friend may own a sophisticated system, or may subscribe to specialized magazines such as Stereo Review and spend her free time browsing through electronics stores. However, you may have another friend who has a reputation for being stylish and who spends his free time reading Gentleman’s Quarterly and shopping at trendy boutiques. You might not bring up your sound system problem with him, but you may take him with you to shop for a new fall wardrobe.

 

Bien que les consommateurs s'informent auprès de sources personnelles, ils ne demandent généralement pas à n'importe qui de les conseiller sur leurs achats. Si vous décidez d'acheter un nouveau système audio, vous demanderez probablement conseil à un ami qui s'y connaît en la matière. Cet ami peut posséder un système sophistiqué ou être abonné à des magazines spécialisés tels que Stereo Review et passer son temps libre à parcourir les magasins d'électronique. En revanche, vous avez peut-être un autre ami qui a la réputation d'être un peu sophistiqué et qui passe son temps libre à lire le Gentleman's Quarterly et à faire du shopping dans les boutiques à la mode. Vous ne lui parlerez peut-être pas de votre problème de système audio, mais vous l'emmènerez peut-être avec vous pour acheter une nouvelle garde-robe d'automne...

"Opinion leaders (also known as influencers or power users in some communities) are people that others view as knowledgeable sources of information. They have a strong communication network that gives them the ability to affect purchase decisions for a number of other consumers, directly and indirectly. Five characteristics help to describe them: (1) activists, (2) connected, (3) impact, (4) active minds, and (5) trendsetters. In other words, opinion leaders develop a network of people through their involvement in activities. They are active participants at work and in their communities. Their social networks are large and well developed. Others trust them and find them to be credible sources of information about one or more specific topics. They tend to have a natural sense of intellectual curiosity that may lead them to new sources of information...."

 

Les leaders d'opinion (également connus sous le nom d'influenceurs ou d'utilisateurs influents dans certaines communautés) sont des personnes que les autres considèrent comme des sources d'information bien informées. Ils disposent d'un solide réseau de communication qui leur permet d'influer sur les décisions d'achat d'un certain nombre d'autres consommateurs, directement ou indirectement. Cinq caractéristiques permettent de les décrire : (1) activistes, (2) connectés, (3) impact, (4) esprits actifs et (5) créateurs de tendances. En d'autres termes, les leaders d'opinion développent un réseau de personnes en s'impliquant dans des activités. Ils participent activement au travail et à la vie de leur communauté. Leurs réseaux sociaux sont vastes et bien développés. Les autres leur font confiance et les considèrent comme des sources d'information crédibles sur un ou plusieurs sujets spécifiques. Ils ont tendance à faire preuve d'une curiosité intellectuelle naturelle qui peut les conduire à de nouvelles sources d'information..."

 

Et le phénomène des influenceurs sur les médias sociaux a pris une ampleur considérable au cours de la dernière décennie, jouant un rôle central dans les stratégies de marketing et influençant les comportements des consommateurs à l'échelle mondiale. Mais chaque réseau social (Instagram, TikTok, Twitter, LinkedIn, etc.) exige une approche distincte en raison de ses fonctionnalités uniques et de sa démographie d'utilisateurs : aux marques d'adapter leurs messages pour s'aligner sur la culture et le ton de chaque plateforme ..


"Influencer: Building Your Personal Brand in the Age of Social Media", Brittany Hennessy (2018)

Une référence pratique et stratégique pour comprendre comment construire et développer une marque personnelle à travers les médias sociaux, un livre qui s’adresse aussi bien aux influenceurs débutants qu’aux professionnels cherchant à perfectionner leur approche. Brittany Hennessy, experte en marketing d’influence et ancienne directrice de partenariats avec des influenceurs chez Hearst Magazines, partage des conseils concrets basés sur son expérience de l'industrie. L'auteur nous explique clairement ce qu'est un influenceur, comment fonctionne le marketing d'influence, et pourquoi les marques collaborent avec des créateurs de contenu, insiste sur l'importance de la cohérence entre le style visuel, la voix de marque, et les valeurs personnelles, et détaille comment exploiter efficacement les principales plateformes sociales (Instagram, YouTube, TikTok) pour maximiser la visibilité et l'engagement...


"The Social Media Bible: Tactics, Tools, and Strategies for Business Success", Lon Safko (2009)

Les médias sociaux ne sont pas seulement un phénomène de mode, mais une révolution fondamentale qui transforme la manière dont les entreprises interagissent avec leurs clients, partenaires et employés. Guide pratique et stratégique destiné à aider les entreprises à intégrer efficacement les médias sociaux dans leurs opérations commerciales à qui l'on reconnaîtra sa couverture exhaustive des outils, tactiques et stratégies.  

Contrairement aux médias traditionnels qui privilégient une communication unidirectionnelle, les médias sociaux favorisent une interaction bidirectionnelle entre les marques et leur audience. D'où l'illustration par les "3 C" des médias sociaux, Contenu, Collaboration, Communauté. Contenu, parce que celui-ci, de qualité, est la clé pour attirer et retenir une audience. Les entreprises doivent produire des messages pertinents, engageants et adaptés à leurs plateformes. Collaboration; puisque les médias sociaux permettent de collaborer avec les clients, employés et autres parties prenantes pour co-créer des produits, des services et des expériences. Enfin Communauté, car la construction de communautés autour de la marque est devenue essentielle pour générer une fidélité durable.

Safko va analyser en détail les plateformes majeures (Facebook, Twitter, LinkedIn, YouTube, etc.), leurs fonctionnalités leurs audiences cibles, leur potentiel et leurs rôles spécifiques dans une stratégie numérique. ROI et mesure de la performance, Intégration dans une stratégie marketing et commerciale globale, Gestion des risques et des défis (les médias sociaux exposent les entreprises à des critiques publiques et à des crises potentielles), la personnalisation comme facteur de succès et le rôle des leaders d'opinion constituent autant d'éléments qui vont permettre à l'auteur fournit un cadre pratique pour planifier, mettre en œuvre et évaluer une stratégie de médias sociaux ...


"The Influencer Code: The Insider’s Guide to Becoming an Online Success",  Amanda Russell (2020)

Un guide exhaustif et jugé incontournable sur l'utilisation stratégique du marketing d'influence pour renforcer et développer une marque. L'ouvrage démystifie les idées reçues sur le marketing d'influence (l'auteur distingue popularité et véritable influence, et souligne l'importance de l'authenticité et de la confiance dans les partenariats avec les influenceurs) 

et propose un cadre en trois étapes pour identifier, évaluer et collaborer efficacement avec les influenceurs pertinents pour atteindre des objectifs commerciaux spécifiques. Russell illustre ses concepts avec des études de cas variées, démontrant l'application réussie du marketing d'influence dans différentes industries et contextes.


Et, pour ne pas conclure, "Influenceurs" & "communautés en ligne" -  Les "médias sociaux" constituent l'infrastructure qui permet à deux phénomènes de coexister, d’interagir et de prospérer : les "communautés en ligne" (online communities), qui sont spécifiques à un sujet ou un groupe d’intérêt, avec des interactions horizontales entre ses membres, et les "influenceurs", qui jouent un rôle vertical, en tant que figures centrales capables de guider ou modeler une communauté. Pour certains auteurs, nous serons passé d'un modèle centré sur les communautés en ligne à celui de l'influence ...

En 2021, environ 76 % des internautes participaient à au moins une "communauté en ligne", soit 4,9 milliards d'utilisateurs, et près de 80 % des grandes entreprises possédaient au moins une communauté en ligne (40 % des petites entreprises). Les communautés en ligne sont apparues dès les années 1970 avec des outils rudimentaires comme Usenet, mais elles ont réellement pris leur essor dans les années 1990 avec le World Wide Web, puis dans les années 2000 avec les réseaux sociaux. Aujourd'hui elles sont omniprésentes et jouent un rôle crucial dans la culture numérique contemporaine. C'est au sein de ces communautés qu'émergent le plus souvent les "influenceurs", ou par le biais de ceux-ci qu'elles viennent à se développer.

 

Ces "communautés en ligne" (ou digital communities) sont définies en terme de "subcultures" (ce qui montre une fois de plus l'évolution de la notion de "culture" en ce XXIe siècle), et constituent de véritables "communautés organiques", auto-organisées (des personnes se rassemblent et interagissent autour d’un intérêt commun, d’une passion ou d’une cause, sans intervention artificielle), avec des leaders émergents plutôt que désignés. Dans son ouvrage majeur, "Gemeinschaft und Gesellschaft" (1887), le sociologue Ferdinand Tönnies (1855-1936) avait déjà décrit deux formes fondamentales d'organisation sociale, la "Gesellschaft" (société), faite de relations formelles, rationnelles, contractuelles, basées sur des intérêts individuels, et la 

Gemeinschaft (communauté), caractérisée par des relations sociales basées sur des liens naturels, émotionnels et organiques : les interactions ici sont souvent personnelles, intimes et motivées par des valeurs partagées. Tönnies utilise le terme "organique" pour souligner que ces communautés fonctionnent comme un tout intégré, où chaque individu contribue naturellement à un bien commun collectif partagé. Mais une "communauté organique" qui n'a ici d'existence que par des plateformes structurées par des algorithmes ou des objectifs commerciaux qui s'apparenterait davantage à la "Gesellschaft"...

 

Quel est l'impact de ces communautés numériques, considérable en nombre d'utilisateurs, sur l'évolution culturelle (au sens de civilisation) de notre monde? Nul ne s'y intéresse véritablement, nous n'avons guère le temps de trop penser ...

 

Parmi ces communautés (sources 2024), qui comptent influenceurs, recommandations virales, interactions directes entre "créateurs" et audience, et des dizaines de milliards de vue : 

#FoodTok (Cuisine et gastronomie), dédiée à la cuisine, incluant des recettes rapides, des astuces culinaires, et des critiques de restaurants;  #SkinTok (Soins de la peau, dermatologie); #FitnessTok (Fitness et bien-être); #TechTok (Technologie et gadgets);  #CleanTok (Nettoyage et organisation); #PetTok (Animaux de compagnie); et BookTok, une communauté en ligne centrée sur les livres, active principalement sur la plateforme TikTok. Elle rassemble des lecteurs, des écrivains, et des passionnés de littérature dans le monde entier (en janvier 2024, 150 millions d'utilisateurs aux Etats-Unis, 126 en Indonésie, 99 au Brésil, 51 au Mexique): le hashtag #BookTok a connu, depuis la pandémie de COVID-19 une croissance exponentielle, regroupant des millions de publications, cumulant plus de 200 milliards de vues à ce jour, et nous dit-on, véritable phénomène "culturel" influençant à la fois les lecteurs et l'industrie éditoriale : les genres populaires qui y dominent sont la romance et la fantasy, les thrillers psychologiques et les livres young adult (YA) ...