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Pak Kyung-ni (1926-2008), "Toji" (The Land, 1969-1994, Pak Kyung-ni ), "The Naked Tree" (1970, Pak Kyung-ni) - Lee Beom-seon (192-1982), "An Aimless Bullet" (Obaltan, 1959) - Hwang Sok-yong (1943), "The Guest" (2001), "Mater 2-10" (2023), "Gwangju Uprising: The Rebellion for Democracy in South Korea" (2022) - Kim Young-ha (1968), "I Have the Right to Destroy Myself" (1996) - Cho Nam-Joo (1978), "Kim Jiyoung, Born 1982" (2016) - Shin Kyung-sook (1963), "The Girl Who Wrote Loneliness" (1995, Oettan Bang), "Please Look After Mom" (2008), "I Went To See My Father: A Novel" (2021) - Han Kang (1970), "The Vegetarian"  (2007), "Greek Lessons" (2011), "Human Acts" (2014), "The White Book" (2016), "We Do Not Part" (2021, Jagbyeolhaji anhneunda) - ...


La traduction en Corée, qu’il s’agisse de la traduction de textes étrangers vers le coréen ou de la littérature coréenne vers d’autres langues, est un sujet de débat...

Contrairement à la littérature japonaise ou chinoise, qui bénéficie d’un grand nombre de traductions dans le monde, la littérature coréenne reste relativement peu traduite ... 

Peu d’éditeurs occidentaux prennent le risque de publier des auteurs coréens, sauf en cas de succès international exceptionnel (comme "Kim Jiyoung, Born 1982" ou "The Vegetarian" de Han Kang). Beaucoup de romans coréens sont d’abord traduits en anglais avant d’être retranscrits dans d’autres langues, ce qui entraîne une perte de sens et de nuances. Ce problème concerne notamment les œuvres de Yi Sang, Choi In-hun et Han Kang, dont les traductions indirectes sont parfois critiquées pour leur manque de fidélité au texte original. Et beaucoup de traductions de romans étrangers souffrent d’adaptations incomplètes, de raccourcis ou d'erreurs, parfois même d’omissions volontaires. Certains contenus perçus comme sensibles ou inappropriés pour la société coréenne sont altérés ou édulcorés dans les traductions (des passages de romans japonais ont par exemple été modifiés pour éviter de heurter la sensibilité coréenne en raison des tensions historiques entre les deux pays)...

Le pays possède en effet une identité linguistique forte, avec une langue unique, le "hangeul", et une histoire marquée par des tentatives de préservation culturelle face aux influences extérieures. Plusieurs problèmes majeurs affectent de plus le secteur de la traduction en Corée, notamment le manque de traducteurs spécialisés, des politiques culturelles protectionnistes et la difficulté à rendre la littérature coréenne accessible sur la scène internationale.

Ce n’est qu’au cours des années 1980 que ds œuvres littéraires sont devenues plus largement disponibles à l’étranger et dans d’autres langues.  La participation du gouvernement a contribué dans les années 1990 à la création de l’Institut coréen de traduction littéraire, mais rien n'est encore véritablement résolu : lorsque K-drama Squid Game est sorti en 2021, les sous-titres en anglais ont suscité la controverse...

Le coréen (Hangugeo) est en effet une langue unique qui ne fait partie d’aucune grande famille linguistique mondiale. Contrairement au japonais, qui partage certaines similitudes grammaticales avec le coréen, ou au mandarin, dont le vocabulaire a influencé la Corée, le coréen est une langue isolée, bien que certains linguistes suggèrent un lien hypothétique avec les langues altaïques. Et contrairement à la Chine et au Japon qui utilisent des caractères dérivés du chinois (hanzi / kanji), la Corée a développé son propre alphabet phonétique le Hangeul en 1443 sous le roi Sejong, ce qui rend la langue plus accessible et distincte. Et le premier poème hangeul, "Yongbieocheonga" (la Chanson des dragons qui volent vers le ciel), a été publié en 1447 et documente les changements de la dynastie Joseon. Tout comme les premiers contes oraux portaient sur la croyance spirituelle, le poème trace l’ascension des vertus confucéennes et bouddhistes et célèbre la force morale et spirituelle de la Corée.  Au fur et à mesure que le public de l’écriture vernaculaire grandissait, la littérature s’étendit au-delà de ses origines spirituelles. L’une des premières œuvres de fiction à connaître une énorme popularité fut le roman du XVIIIe siècle "The Biography of Hong Gildong" ...


"Modern Korean Literature: An Anthology", édité par Peter H. Lee et publié en 1990, est une collection essentielle de textes littéraires coréens modernes traduits en anglais. Cette anthologie vise à offrir un aperçu représentatif de l’évolution de la littérature coréenne du XXe siècle, couvrant divers genres, notamment la poésie, la nouvelle et l’essai. Peter H. Lee, un spécialiste renommé de la littérature coréenne, cherche à introduire aux lecteurs anglophones les thèmes, styles et préoccupations majeurs des écrivains coréens modernes.

L’ouvrage est organisé de manière chronologique et thématique, permettant aux lecteurs de suivre l’évolution de la littérature coréenne moderne à travers des contextes historiques majeurs.

 

Yi Sang (1910-1937), né sous le nom de Kim Hae-gyeong, est l’un des écrivains et poètes les plus influents de la littérature coréenne moderne. Pionnier du modernisme et de l’avant-garde littéraire en Corée, il avait connu les tendances artistiques et littéraires occidentales, notamment le surréalisme, l'expressionnisme et le dadaïsme, qu'il avait intégrés dans sa poésie et sa prose. Sa vie, courte et tragique, a été marquée par la maladie (tuberculose), l’exil et une mort précoce à l’âge de 27 ans dans une prison japonaise à Tokyo : il a en effet  vécu pendant la période coloniale japonaise (1910-1945), ce qui a profondément influencé son écriture.  

Son oeuvre emblématique, "Le Treizième Enregistrement du Journal du Pavillon Octogonal" (1934), un poème en prose et en vers, mêlant journal intime, hallucinations et jeu avec les nombres et les formes. Un texte jugé difficile, mais fascinant par sa densité symbolique, exprimant l'aliénation, l'absurdité de l'existence et la perte de soi dans un monde oppressif. "Crow's Eye View" (Ogamdo, 1934), une série de poèmes visuellement et linguistiquement déroutants, inspirée par le cubisme et le surréalisme. Dans le domaine de la prose, une nouvelle semi-autobiographique, "Les Ailes" (Nalgae, Wings, 1936), conte l’histoire d’un homme vivant sous l’emprise de sa femme-protectrice, tout en errant dans Séoul. "Les Auberges de Tokyo" (1937) s'inspire de sa propre expérience à Tokyo, où il fut arrêté par la police japonaise pour ses idées nationalistes cachées dans ses œuvres. "Le Passé" (Isanghan Gayeokbaneung, 1935) s'affirme au travers de souvenirs et d'un temps non linéaire, influencée par la psychanalyse et le modernisme occidental. Une figure culte de la littérature coréenne moderne : le Prix littéraire Yi Sang a été créé en 1977 et récompense chaque année un auteur coréen pour une œuvre de fiction exceptionnelle...

 

"The Dreaming Incense" (Hyang), written by Kim Dong-in and first published in 1946, est considéré comme l’une des œuvres majeures de la littérature coréenne moderne et reflète le profond engagement de l’auteur avec les thèmes du désir humain, de la lutte existentielle et de la recherche de sens dans un monde en évolution rapide. Le roman raconte l’histoire d’un jeune homme du nom de Kim Byeong-uk, qui devient désabusé par le monde matérialiste et superficiel qui l’entoure. Il se lance dans un voyage spirituel et philosophique, à la recherche d’un sens plus profond de la vie. En cours de route, il rencontre divers personnages et expériences qui défient ses croyances et ses désirs. Le titre, "L’encens rêveur," symbolise la nature éphémère des désirs humains et les illusions que les gens chassent. Le protagoniste est aux prises entre les désirs matériels et accomplissement spirituel..

Kim Dong-in (1900-1951)  est surtout connu pour son rôle dans l’introduction du réalisme et du naturalisme dans la littérature coréenne. Né en 1900 à Pyongyang, alors sous domination japonaise, il étudie à Tokyo, où il est influencé par la littérature réaliste et naturaliste occidentale. Il commence sa carrière littéraire en 1919, en fondant la revue "Changjo" (Création), l’une des premières revues littéraires modernes de Corée, qui marque une rupture avec la littérature traditionnelle. 

Ainsi "Gamja", "La Pomme de terre" (Potato, 1925) est considéré comme une nouvelle emblématique du naturalisme coréen. El raconte l’histoire tragique d’une femme qui, pour survivre, se livre à la prostitution, illustrant la brutalité des conditions sociales et toute perte de dignité humaine. "Unmyeong", "Destin" (1924), met en scène la fatalité et le déterminisme social, dans la lignée du naturalisme européen. "The Young Zombie" (Jeolmeun Siche, 1925) conte l’histoire d'un jeune homme tourmenté par son amour non réciproque pour une femme. Incapable de surmonter son chagrin, il tombe dans un état d’apathie extrême. Cette obsession le consume lentement, entraînant une détérioration physique et psychologique. Il devient un être inerte, un « zombie » au sens métaphorique, privé d’émotions, incapable de fonctionner normalement dans la société. "Gwangyeom Sonata", "Sonate ardente" (1930) est une œuvre plus psychologique, de la complexité des émotions humaines à travers la musique et toujours le côté obsessionnel ...

Il est souvent mis en parallèle avec Lee Kwang-soo (1892-1950), autre pionnier de la littérature moderne coréenne, bien que leurs styles et philosophies diffèrent (Kim Dong-in étant plus naturaliste, tandis que Lee Kwang-soo était plus idéaliste et nationaliste).

 

"A Ready-Made Life: Early Masters of Modern Korean Fiction", by Chong-un Kim (1998) - Premier volume de fiction coréenne moderne à paraître en anglais aux États-Unis. Écrites entre 1921 et 1943, les seize histoires constituent une solide introduction aux richesses de la fiction coréenne moderne. Parmi ces auteurs figurent Hwang Sun-won, le plus grand écrivain coréen moderne de nouvelles; Kim Tong-in, considéré par beaucoup comme l’auteur qui a su le mieux exprimer l’essence de l’identité coréenne; Ch’ae Man-shik, un maître de l’ironie; Yi Sang, un éminent moderniste; Kim Yu-jong, dont les histoires sont marquées par un mélange unique d’humour et de compassion; Yi Kwang-su, comme Kim Tong-ni, un modernisateur du langage de la fiction coréenne du XXe siècle; et Yi Ki-yung, Yi T’ae-jun et Pak T’ae-won, trois écrivains qui ont émigré en Corée du Nord peu après la libération de 1945 et dont les œuvres ont été interdites en Corée du Sud jusqu’à la démocratisation à la fin des années 1980. On peut considérer cet ensemble de textes comme un récit collectif d’un peuple dont les choix de vie ont été sévèrement limités, non seulement par la colonisation, mais par l’éducation (trop peu ou trop, comme le montre le titre) et par une société très structurée qui avait peu de tolérance pour ceux qui dépassaient ses limites ...

 

A noter, le profil atypique de Bora Chung, née en 1976 à Séoul, une écrivaine et traductrice sud-coréenne reconnue pour son œuvre littéraire mêlant divers genres tels que le réalisme magique, l'horreur et la science-fiction. Chung a effectué des études approfondies en langues et littératures slaves. Elle a obtenu une maîtrise en études russes et est-européennes à l'Université Yale, suivie d'un doctorat en littérature slave à l'Université de l'Indiana. Actuellement, elle enseigne la langue et la littérature russes ainsi que les études de science-fiction à l'Université Yonsei en Corée du Sud. Parallèlement à son activité d'écrivaine, elle traduit des œuvres littéraires modernes du russe et du polonais vers le coréen.

Son recueil intitulé "Cursed Bunny" ("Lapin maudit" en français) a particulièrement retenu l'attention internationale. Cette collection de dix nouvelles transcende les genres, abordant des thèmes tels que la corporéité, le dégoût, la peur et la honte, tout en explorant les horreurs du patriarcat et du capitalisme dans la société moderne. 



La littérature coréenne a connu plusieurs périodes de résistance culturelle et politique ..

- La première, durant l'occupation japonaise (1910-1945), de nombreux écrivains coréens ont utilisé la littérature comme outil de lutte nationale. Ainsi Yi Kwang-su, initialement un réformiste qui devint plus tard un collaborateur. Cependant, son roman "The Heartless" (1917) marque la naissance de la littérature moderne coréenne. Han Yong-un : Son recueil de poèmes "Le Silence de l’amour" (1926) est une allégorie de la résistance et du nationalisme coréen. Kim Sowol () : Son célèbre poème "Azalée" (1925) exprime la douleur de la séparation, souvent interprétée comme une métaphore du colonialisme. Cette période est marquée par la censure, la répression et l’exil de nombreux écrivains.

- Puis une littérature engagée sous la dictature de Park Chung-hee et Chun Doo-hwan (1961-1987)

Après l’assassinat de Park Chung-hee en 1979, son successeur Chun Doo-hwan poursuit une répression sanglante, notamment après le soulèvement de Gwangju en 1980 ..

 

"Writers of the Winter Republic : Literature and Resistance in Park Chung Hee’s Korea", de Youngju Ryu (2015), analyse la manière dont la littérature sud-coréenne des années 1970 a servi de moyen de résistance contre le régime autoritaire de Park Chung-hee. Ryu se concentre sur quatre écrivains emblématiques de cette période : Kim Chi-ha (1941-2022), Yi Mun-gu, Cho Se-hŭi et Hwang Sŏk-yŏng. Chacun de ces auteurs a utilisé la littérature pour critiquer l'oppression politique et sociale de l'époque.  

 

Les années 1970 furent une période politiquement troublée en Corée du Sud et le poète Kim Chi-ha (1941-2022)devint l’une des figures majeures de la littérature de résistance : dès les années 1960, il avait critiqué le régime autoritaire de Park Chung-hee, puis celui de Chun Doo-hwan, une voix dissidente à travers ses poèmes contre le gouvernement militaire dictatorial. Il fut arrêté et détenu à plusieurs reprises en prison jusqu’à ce qu’il soit finalement libéré en 1980. Malgré la censure, son œuvre fut reconnue internationalement et traduit en plusieurs langues. Son oeuvre majeure, "Five Bandits" (Ojeok), est un poème satirique publié en 1970 dans le journal The Sasangge, qui attaque directement la corruption des élites coréennes. Il y met en scène cinq bandits représentant les bureaucrates corrompus, les hommes d’affaires avides, les généraux militaires, les parlementaires opportunistes, les propriétaires terriens exploitants.

Ce poème lui vaudra une condamnation à mort en 1974, bien que la peine soit ensuite commuée. "The Yellow Earth" (Hwangto, 1970) est un recueil de poèmes traitant du destin du peuple coréen sous oppression. "The Cry of the People" (1975) s'inspire du Mouvement démocratique coréen et appelle à la résistance contre l’oppression militaire. "With a Burning Thirst" (1975) est l’un de ses poèmes les plus célèbres, une ode à la liberté et à la lutte contre l’injustice.

Après la chute de la dictature, Kim Chi-ha se tournera vers le bouddhisme et la philosophie orientale, évoluant vers un engagement plus spirituel et abandonnant peu à peu l’activisme direct...

 

"The Failure of Democracy in South Korea", by Sungjoo Han (1974).

Sungjoo Han analyse les raisons de l'effondrement de la démocratie en Corée du Sud entre 1960 et 1961, période marquée par l'instabilité politique qui a conduit au coup d'État militaire de 1961. L'auteur examine les facteurs internes et externes ayant contribué à cette défaillance démocratique. L'ouvrage est notamment structuré autour de l'analyse de la Deuxième République de Corée du Sud (1960-1961), une période caractérisée par une tentative de mise en place d'un gouvernement démocratique après la chute de Syngman Rhee. Han note l'incapacité des dirigeants à instaurer une gouvernance stable et efficace, les tensions entre différentes factions politiques et idéologiques, les difficultés économiques exacerbant les mécontentements sociaux, mais aussi le rôle des puissances étrangères dans la politique intérieure sud-coréenne. Autant de facteurs qui conduisirent à une perte de confiance publique et à l'ascension des forces militaires, culminant avec le coup d'État de mai 1961. Bien que publié en 1974, l'ouvrage offre une perspective historique précieuse sur les défis de la démocratisation en Corée du Sud. Cependant, il ne couvre pas les développements politiques ultérieurs, tels que la transition démocratique des années 1980...

 

Pendant les régimes autoritaires de Park Chung-hee (1961-1979) et Chun Doo-hwan (1980-1987), le cinéma sud-coréen fut soumis à une censure stricte et à une forte surveillance de l’État. Les films devaient promouvoir les "valeurs nationales" (anticommunisme, industrialisation, patriotisme) et les productions hollywoodiennes encouragées pour détourner l’attention du public des réalités politiques locales. Des réalisateurs indépendants tentent de contourner la censure en utilisant des métaphores et des allégories, ainsi "March of Fools", de Ha Gil-jong, qui, malgré son apparente neutralité, sera finalement interdit par le régime...


Pak Kyung-ni (1926-2008) 

Née à Tongyeong, dans la province de Gyeongsang du Sud, pendant la période coloniale japonaise,  Pak Kyung-ni a traversé plusieurs tragédies personnelles qui ont profondément marqué son œuvre, la perte de son père alors qu'elle était encore enfant, puis celle de son mari, Kim Haesung, mort pendant la guerre de Corée (1950-1953), laissant Pak Kyung-ni seule avec leur fille. Cette perte brutale a été un tournant dans sa vie : elle s’est alors tournée vers l’écriture, à la fois comme moyen de subsistance et comme exutoire à sa douleur. Ces expériences de deuil et de lutte ont nourri la profondeur psychologique de ses personnages, en particulier dans "Toji", où l’héroïne, Seo Hee, traverse des épreuves similaires (perte de son père, spoliation, résilience dans un monde en transformation). L'œuvre de Pak Kyung-ni est souvent vue comme un témoignage puissant de la capacité des femmes coréennes à survivre et à se reconstruire dans des conditions extrêmes, et la terre s'impose comme le symbole de l’identité nationale ...

Elle fit ses débuts littéraires en 1955 avec la première de nombreuses nouvelles écrites au cours des années 1950.  Ces histoires reflétaient les absurdités de la société dans les années d’après-guerre civile."Seokbong" (1955), "Farewell at Dongsim Bridge" (1957), et "A Time of Disbelief" (Pulssinsidae), publié en 1957, un point culminant de ces thèmes devenu une référence dans la littérature coréenne des années 1950. C'est dans les années 1960 que Pak a produit ses principaux romans, dont "Fields in Sunset" (Nou ljin tu lnyuo k), "The Daughters of the Apothecary,Kim" (Kim yakkugu ittaldu l), "The Marketplace and the Battlefield" (Sijang kwa cho njang, 1964), une vision critique de la modernisation rapide de la Corée dans les années 1960.  En 1969, Pak débute la publication de son opus magnum, « Land » (T’oji), qui la mobilisera pendant les vingt-cinq années suivantes. Tout au long des années 1970, Pak travaille sur "Land" dans des circonstances très défavorables et pénibles. 

En 1973, sa fille unique épouse Kim Chi-ha, de son vrai nom Kim Yeong-il, poète et dramaturge (1941-2022).On a dit que Pak elle-même avait encouragé ce mariage tant elle estimait Kim.Les années 1970 furent une période politiquement troublée en Corée du Sud et Kim Chi-ha devint l’une des figures majeures de la littérature de résistance en Corée du Sud dans les années 1970 et 1980 : il fut arrêté et détenu à plusieurs reprises en prison jusqu’à ce qu’il soit finalement libéré en 1980. Malgré la censure, son œuvre fut reconnue internationalement et traduit en plusieurs langues. Dans les années 1980, "Land" s'installa progressivement dans le paysage littéraire de la Corée du Sud  et, en 1993, lorsque l'oeuvre fut enfin achevé et que ses cinq parties furent publiées en seize volumes par Sol Publishers, Pak reçut un accueil sans précédent ...

"Toji" (1969-1994) est considéré comme l’œuvre la plus puissante et la plus importante de la littérature coréenne moderne.

Et bien qu’il soit le plus grand roman national, il possède en même temps un attrait universel puisqu’il traite de thèmes fondamentaux, sans frontières et intemporels de l’humanité tels que l’amour,la trahison,le fossé entre les riches et les pauvres, le destin et les traditions profondément enracinées face à la marée du changement.

Au tournant du XXe siècle, "Land" ("Toji" )  suit les fortunes et malheurs de plusieurs générations des villageois d’une communauté agricole traditionnelle. Au centre de la communauté se trouve la famille Ch’oe, les propriétaires fonciers qui ont régné sur le territoire pendant plusieurs générations. Un roman-fleuve en 16 volumes, en cinq parties,  environ 7 000 pages et plus de 500 personnages ..

Considéré comme l’un des chefs-d'œuvre de la littérature coréenne. Il décrit la transformation de la Corée à travers la vie de Seo Hee, une femme issue d’une famille noble dont la fortune est confisquée sous l’occupation japonaise. Chaque partie se déroule à un endroit spécifique et utilise des techniques narratives quelque peu différentes. Cette différence semble particulièrement perceptible dans le style d’écriture entre les trois premières parties, d’abord publiées en série dans des magazines en 1969-1977, puis publiées sous forme de livre en 1970-1980, et les Parties Quatre et Cinq, d’abord publiées dans un journal en 1987,puis dans plusieurs éditions de livres les années suivantes. 

Mélange de réalisme social, saga familiale et critique historique, il est souvent comparé aux grandes fresques romanesques de la littérature mondiale. Adapté en drama télévisé (1987) et en film (1974), il a eu un fort impact culturel en Corée. "Toji"  est étudié dans les écoles et universités en Corée du Sud et est traduit en plusieurs langues...

 

"Toji" (The Land, 1969-1994, Pak Kyung-ni ) 

Un roman-fleuve qui couvre près de 40 ans d’histoire coréenne et ses bouleversements socio-politiques entre la fin de la dynastie Joseon et l’occupation japonaise (1897-1945). Le roman débute à Pyeongsa-ri, un village de la province de Gyeongsang, au sud de la Corée, à la fin du XIXe siècle. C’est une époque de transformation violente : la dynastie Joseon décline, la modernité et l’influence étrangère s’intensifient, et l’impérialisme japonais commence à s’imposer. Le récit s'attache aux pas de Seo Hee, fille d’une famille noble propriétaire terrienne. Lorsque son père meurt empoisonné par un rival avide de pouvoir, elle doit survivre seule dans un monde en mutation. Orpheline et héritière de vastes terres, Seo Hee vit dans un monde qui ne cesse de comploter autour d'elle. Jo Jun-gu, un vassal autrefois fidèle à son père, trahit la famille en s’alliant aux autorités japonaises. Il vole les terres de Seo Hee et devient un homme puissant. Réduite à l’exil, Seo Hee fuit son village et entame un long périple à travers la Corée et la Mandchourie. Ce passage illustre la dépossession progressive de la noblesse terrienne coréenne, notamment par la collusion entre les élites locales et les colonisateurs japonais.

Seo Hee trouve refuge en Mandchourie, où elle rejoint une communauté d’exilés coréens.

Elle découvre la résistance anti-japonaise, notamment à travers le mouvement indépendantiste coréen. Elle y rencontre des figures de la lutte nationale et évolue d’une jeune noble dépossédée à une femme engagée, qui comprend que la terre qu’on lui a volée représente plus qu’une richesse matérielle : elle symbolise l’identité et la mémoire coréenne.

Après plusieurs années d’exil, Seo Hee revient en Corée, où elle retrouve un pays complètement transformé sous l’occupation japonaise. Elle se bat pour récupérer sa terre, mais comprend que le combat n’est pas seulement personnel, mais national. Le roman se termine sur une note ambiguë : bien qu’elle parvienne en partie à retrouver ses terres, la Corée reste sous domination japonaise, et son combat semble devoir continuer sous une autre forme.

 

"The Naked Tree" (1970, Pak Kyung-ni)

C'est l'un de ses romans les plus traduits, qui, contrairement à "Toji", une épopée historique, se révèle plus intimiste : un roman largement autobiographique, inspiré par la propre expérience de Pak Kyung-ni après la guerre de Corée (1950-1953), où elle a perdu son mari et dû survivre seule avec son enfant. L’histoire se déroule dans le Séoul des années 1950, immédiatement après la guerre de Corée. La ville est dévastée, en ruines, et la population tente de reconstruire leur vie dans un climat de pauvreté et de désespoir. L’occupation américaine est très présente, influençant la culture et l’économie locale. Deux personnages principaux : Gyeong-a, une jeune femme ayant perdu sa famille et vivant seule à Séoul : elle travaille dans une boutique de peintures et vend des tableaux à des soldats américains; et le peintre Oh Sang-byeok, un artiste plus âgé, cynique et amer, dont Gyeong-a tombe amoureuse : une figure intellectuelle et artistique qui pourrait lui donner un sens à sa vie, mais qui se révèle distant, froid et indifférent. Gyeong-a idéalise un temps leur relation, mais à mesure que le roman progresse, Gyeong-a prend conscience de sa solitude, et du fait que son attachement à Oh Sang-byeok est une illusion : l’arbre nu (the naked tree) une métaphore de sa réalité existentielle ...

 

(1953-1960s) - "The Naked Tree" de  Pak Kyung-ni un est livre encore étudié dans les cours de littérature coréenne pour son réalisme psychologique et son regard critique sur la reconstruction de la Corée. Après la guerre de Corée (1950-1953), on a oublié que la Corée du Sud est entrée dans une période de reconstruction massive, marquée par une pauvreté extrême, une instabilité politique et une forte influence américaine. Cette phase est fondamentale pour comprendre la transformation socio-économique du pays, ainsi que l'impact sur la littérature et la culture. La guerre avait dévasté les villes, les usines et les routes. Des million de déplacés et de réfugiés vivaient dans des conditions précaires. Famine et pauvreté extrême étaient aggravées par une économie agricole inefficace et un manque d’industrialisation. Les États-Unis vont jouer un rôle central dans la reconstruction, fournissant une aide économique via l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international).

Le Plan Marshall asiatique permet d’injecter des fonds pour stabiliser l’économie sud-coréenne.

Et l’armée américaine restera stationnée en Corée du Sud, marquant une présence militaire et culturelle constante ...


"The American Press and the Cold War: The Rise of Authoritarianism in South Korea, 1945-1954" est une étude approfondie d'Oliver Elliott qui analyse la manière dont la presse américaine a couvert l'évolution politique de la Corée du Sud entre 1945 et 1954. Cette période englobe l'occupation américaine après la Seconde Guerre mondiale et les premières années du régime de Syngman Rhee. Les récits médiatiques de l'époque étaient largement influencés par des perspectives anti-coréennes et centrées sur la guerre froide, ce qui réduisait l'attention portée à la répression subie par la population sud-coréenne. Déférence envers les autorités américaines : De nombreux journalistes basés en Extrême-Orient montraient une grande déférence envers les autorités américaines, limitant ainsi les critiques potentielles. Contraintes imposées par les autorités militaires américaines : Pendant la période d'occupation, les autorités militaires américaines ont restreint la liberté de la presse, limitant la capacité des journalistes à rapporter librement les événements...


Lee Jung-seob (1916–1956) fut l’un des premiers artistes coréens à incorporer dans son travail des techniques occidentales, comme la peinture à l’huile et la gravure, tout en conservant une sensibilité nettement coréenne. Il est connu pour ses œuvres profondément émouvantes et expressives qui reflètent ses luttes personnelles, son amour pour sa famille (dont il a été séparé pendant la guerre de Corée), la douleur et les épreuves qu’il a endurées, y compris la pauvreté, la maladie et le traumatisme de la guerre. Malgré sa courte vie, son art a laissé un impact durable sur l’art moderne coréen.  

- "Ox" (소, So) Series, 1950s, dont "White Ox" (Huin So, 1954) : Cette série est l’œuvre la plus emblématique de Lee Jung-seob. Le bœuf symbolise la force, l’endurance et la résilience, reflétant les propres luttes et la détermination de l’artiste. Les peintures sont caractérisées par des lignes audacieuses et expressives et une palette monochromatique, souvent en utilisant de la feuille d’argent en raison de son manque de ressources. La série "Ox" peut se voir dans les principaux musées coréens, dont le Musée national d’art moderne et contemporain (MMCA) et le Musée Lee Jung-seob à Seogwipo, Jeju.

- "Family" (가족, Gajok) Series, 1950s: Ces œuvres représentent sa femme et ses enfants dans des décors presque surréalistes. Ils expriment son désir de retrouver sa famille et son désir de les protéger et de subvenir à leurs besoins. La série fait partie de la collection du musée Lee Jung-seob et d’autres institutions artistiques coréennes.


Le Japon, après 1945, fut ainsi aussi sous forte influence américaine, mais a bénéficié d’un traitement plus favorable que la Corée du Sud grâce à sa valeur stratégique en Asie. Les États-Unis vont permettre au Japon de reconstruire rapidement son industrie, contrairement à la Corée qui reste sous-développée jusque dans les années 1960. Dès les années 1970, le Japon deviendra une puissance économique mondiale, tandis que la Corée du Sud mettra encore deux décennies pour atteindre un niveau similaire : parce que le pays restera faiblement industrialisé et reposera sur l’importation de produits manufacturés américains; parce que les États-Unis orienteront la politique économique sud-coréenne vers une économie de marché et freineront dans un premier temps les tentatives de développement industriel autonome ...

 

Cette période dite de reconstruction est souvent désignée sous plusieurs termes en coréen, en fonction des aspects spécifiques abordés ... 

- "Jeonhu Bokgu-gi ", ou «Période de restauration d’après-guerre», correspond à la reconstruction immédiate après 1953, englobant les années 1953-1961 : elle se réfère principalement à la reconstruction des infrastructures, au retour des réfugiés et à la stabilisation économique après la guerre. 

- "Gyeongje Gaebal Sidae", ou «L’ère du développement économique», est souvent utilisée pour décrire la période de forte industrialisation et de modernisation sous Park Chung-hee (1961-1979). Elle englobe les grands plans quinquennaux de développement économique, qui ont transformé la Corée du Sud en une puissance manufacturière. C'est aussi l'ère des chaebols (conglomérats) comme Samsung, Hyundai, LG, et celle de la montée des inégalités sociales et de la répression politique sous dictature militaire. Mais si l'on compare avec le Japon, l’industrie sud-coréenne restera largement dépendante des investissements américains et de la technologie occidentale...

- "Hangang-ui Gijeok", ou «Le Miracle du Han», fait référence à la croissance économique rapide de la Corée du Sud sous Park Chung-hee (années 1960-1980). Il met en avant le passage d’une économie rurale en ruines à une puissance industrielle mondiale.


1953-1960 - Reconstruction des villes et infrastructures, soutien massif des Etats-Unis - La Corée du Sud était alors dirigée par Syngman Rhee, un président soutenu par les États-Unis mais de plus en plus autoritaire et corrompu. En 1960, après des élections truquées et une forte contestation populaire, il est contraint de démissionner. Un nouveau gouvernement civil, dirigé par Yun Bo-seon et le Premier ministre Chang Myon, tente d'instaurer une démocratie parlementaire, mais il est jugé faible et inefficace. C’est dans ce contexte que Park Chung-hee et un groupe d'officiers militaires renversent le gouvernement en mai 1961, imposant un régime autoritaire. L’administration américaine était alors dirigée par John F. Kennedy ...

En 1961, le général Park Chung-hee prend donc le pouvoir par un coup d’État militaire et impose une dictature autoritaire : son objectif sera de moderniser la Corée du Sud à marche forcée, inspiré du modèle économique japonais. Bien que les États-Unis n’aient pas officiellement soutenu le putsch, ils ont rapidement accepté le nouveau régime et ont fini par coopérer avec Park en raison de leurs intérêts stratégiques en Asie : Park Chung-hee était ancien officier formé au Japon, clairement pro-occidental et anti-communiste convaincu. Les États-Unis soutenaient déjà des régimes autoritaires en Asie (Taiwan, Philippines, Vietnam du Sud) et adopteront la même approche en Corée du Sud, privilégiant la stabilité politique sur la démocratie. Les années 1960-1980 verront donc un renforcement de la présence militaire américaines sous les régimes autoritaires (Park Chung-hee, Chun Doo-hwan) : les bases américaines sont toujours actives en Corée du Sud, notamment la grande base militaire de Camp Humphreys (Pyeongtaek). Les tensions avec la Corée du Nord justifient officiellement cette présence ...

La Corée du Sud n’a obtenu le commandement opérationnel de ses propres forces armées qu’en 1994 : avant cela, elles étaient sous commandement américain en cas de guerre. L’opposition à la présence militaire américaine est plus forte en Corée du Sud qu’au Japon, notamment à cause du souvenir de la guerre de Corée et du soutien américain aux dictatures sud-coréennes...


 "An Aimless Bullet" (Obaltan, Une balle perdue), écrit par Lee Beom-seon en 1959, est l'une des nouvelles les plus emblématiques de la littérature sud-coréenne d'après-guerre. Elle reflète le climat social et économique de la Corée du Sud dans les années 1950, une période marquée par la division du pays, la pauvreté extrême et l'incertitude existentielle. "Obaltan", le motif de la balle perdue, la trajectoire sans but des personnages et de la société coréenne de l’époque, où l’absence de direction mène inévitablement au désastre. Lee Beom-seon (1920-1982) critique une société qui glorifie la modernisation sans offrir d’opportunités à ceux qui en ont le plus besoin ...

L’histoire suit Song Chul-ho, un employé de bureau pauvre qui vit à Séoul avec sa famille dans des conditions misérables. Son existence est marquée par une lutte constante pour survivre après la guerre de Corée, dans un pays fragmenté et économiquement dévasté. Chul-ho est un homme silencieux, introverti, et résigné à sa situation. Il souffre de maux de dents chroniques, mais il n’a pas les moyens de se faire soigner. Sa famille représente une métaphore de la société coréenne de l’époque : son frère cadet, Young-ho, est un ancien combattant de la guerre de Corée, il est sans emploi et désabusé par la société qui l’a abandonné après la guerre; sa sœur, Myung-sook, ne trouvant pas d’autre moyen de survivre, finit par se prostituer pour subvenir aux besoins de la famille; sa mère, traumatisée par la guerre et la pauvreté, répète sans cesse "Allons ailleurs" (gaja, gaja), symbolisant une quête illusoire d’un avenir meilleur. Et son épouse est enceinte, mais rongée par l’angoisse de mettre au monde un enfant dans un monde désespéré. 

C'est alors que Young-ho, son frère, décide de braquer une banque après avoir été rejeté par la société. Il espère ainsi échapper à la misère et offrir une vie meilleure à sa famille. Cependant, son plan échoue, et il est arrêté par la police. Après l’arrestation de son frère, Chul-ho erre dans Séoul, confronté à l’injustice de la société et à sa propre impuissance. Il se rend chez un dentiste, mais ce dernier lui annonce qu’il n’a plus d’autre choix que d’arracher ses dents, une métaphore de la souffrance inévitable et de l’absence d’alternative pour les classes pauvres.

Il entend à la radio que Young-ho a été condamné, ce qui achève de le plonger dans le désespoir. Le récit se termine par un moment d’absurdité tragique : Chul-ho, accablé par la douleur physique et psychologique, monte dans un taxi et prononce les mots de sa mère : "Allons ailleurs." Mais lorsqu’on lui demande où aller, il reste silencieux, incapable de répondre. Le récit se termine sur cette incertitude, soulignant le manque d’échappatoire pour ceux qui souffrent ...

L’histoire a été adaptée en un célèbre film du même nom réalisé par Yu Hyun-mok en 1961, considéré comme un chef-d'œuvre du cinéma coréen réaliste. 


(A scene from Amanda Kim's documentary on Korean American video art visionary, "Nam June Paik: Moon Is the Oldest TV")

Nam June Paik (1932-2006), "the Father of Video Art", fut l’un des premiers artistes à utiliser la vidéo comme support artistique, transformant les téléviseurs et la technologie vidéo en outils d’expression artistique et explorant leurs impacts en terme d’interaction humaine. En tant qu’artiste coréen-américain, Paik a fait le pont entre les cultures orientale et occidentale. Son travail a été exposé dans le monde entier. L’art de Paik critique souvent la culture de consommation, la saturation des médias et le rôle de la technologie dans la société.  

- "TV Buddha" (1974) est l'une de ses installations emblématiques: une statue de Bouddha face à une télévision en circuit fermé qui diffuse sa propre image en direct. L’œuvre a été exposée dans les principaux musées, notamment au Stedelijk Museum à Amsterdam et au Nam June Paik Art Center en Corée. 

- "Electronic Superhighway : Continental U.S., Alaska, Hawaii" (1995) est une installation de grande envergure, une carte des États-Unis réalisée à partir de néons et d’écrans vidéo. Chaque état affiche des clips vidéo liés à sa culture, son histoire ou ses stéréotypes. Une critique de la "electronic superhighway". L’œuvre fait partie de la collection permanente du Smithsonian American Art Museum à Washington, D.C.

-  "Robot K-456" (1964) est l’une des premières sculptures robotiques de Paik, un robot télécommandé conçu pour interagir avec le public. Le robot a été exposé dans divers musées, y compris le Nam June Paik Art Center.

- "Global Groove" (1973), un travail vidéo révolutionnaire, une vidéo rapide et collagére qui mélange la culture pop, les performances traditionnelles et des visuels expérimentaux. Il s’agit de l’une des premières œuvres à explorer le concept d’un paysage médiatique mondialisé. La vidéo est fréquemment projetée dans des musées et des galeries du monde entier, y compris au Museum of Modern Art (MoMA) à New York.

- « TV Garden » (1974-1977) présente des téléviseurs placés dans un écrin de verdure, qui jouent les œuvres vidéo de Paik, juxtaposant ainsi la nature à la technologie, créant une expérience surréaliste et immersive, pour reprendre le mot à la mode. L’œuvre a été exposée au Musée Guggenheim de New York et dans d’autres grandes institutions.


La littérature de la démocratisation (1987-1997)

Après les mouvements de 1987 qui ont conduit à la fin de la dictature militaire, une nouvelle vague littéraire émerge. Hwang Sok-yong continue à explorer les blessures du passé avec "L’Invité" (2001). Yi Mun-yol propose des récits introspectifs sur la société post-dictature. Les écrivains se penchent sur les traumatismes de la guerre de Corée, la mémoire collective et la transition démocratique...


Hwang Sok-yong (1943)

"Unless we find a way to forgive one another, none of us will ever be able to see each other

 again." - Les œuvres de Hwang Sok-yong reflètent souvent l’histoire mouvementée de la Corée, y compris la division de la péninsule, la guerre de Corée et les luttes des gens ordinaires face à l’oppression et à la modernisation. Hwang est reconnu pour son engagement en faveur de la justice sociale, sa profonde empathie envers les communautés marginalisées et sa capacité à intégrer des histoires personnelles dans des contextes historiques et politiques plus larges.

Né à Changchun, en Chine (pendant l’occupation japonaise de la Corée, sa famille est retournée en Corée après la libération en 1945. Hwang a grandi en Corée du Sud et a étudié la philosophie à l’université de Dongguk à Séoul, mais l’ombre de la division de la guerre froide et le sentiment d’une perte d’identité nationale le poussèrent à l'écriture et à l'activisme, protestant notamment contre le contrôle de son pays par l’extérieur, malgré sa prétendue indépendance. Son militantisme l’a mené à une courte peine d’emprisonnement en 1964, mais c’est après avoir servi dans les forces armées pendant la guerre du Vietnam à la fin des années 1960 qu’il a concentré toute son énergie dans l’écriture. Vivant sous une dictature répressive, Hwang a commencé à prendre une part active aux mouvements de résistance qui ont culminé en 1980 dans le soulèvement de Gwangju contre la domination militaire. Il a été plus circonspect dans son écriture, publiant le recueil d’histoires "On the Road to Sampo" en 1974, et l’épopée sérialisée Jang Gilsan, utilisant des paraboles pour dénoncer les injustices de la dictature et échapper ainsi à la censure. Hwang est devenu plus explicite tout au long des années 1980, dans des romans comme "The Shadow of Arms" (1985) sur la guerre du Vietnam, et dans ses critiques directes du gouvernement.   

Démocrate engagé, Hwang espérait unir la Corée en construisant des ponts entre les artistes du Nord et du Sud, et en violation de la loi, il a voyagé via le Japon et la Chine jusqu’à Pyongyang en Corée du Nord. Plutôt que de retourner à Séoul pour faire face à la justice, il s’est ensuite exilé volontairement aux États-Unis, où il a enseigné à l’université de Long Island. Il a également passé un certain temps en Allemagne. L’attrait de son pays natal était cependant trop fort pour résister, et Hwang est retourné en Corée du Sud en 1993. Il a été emprisonné pendant sept ans pour atteinte à la sécurité nationale, et on lui a refusé des documents écrits et on l’a généralement mal traité en prison. Hwang a répondu en faisant la grève de la faim, une action dans laquelle il a été soutenu par des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty et PEN America. En 1998, des pressions exercées sur le nouveau président élu Kim Dae-jung ont conduit à sa libération et à son pardon après avoir purgé cinq ans de sa peine. Les écrits historiques et politiques de grande envergure de l’auteur continuent de donner une voix aux sentiments de « sans-abri » : la perte et l’isolement causés par la guerre et l’occupation, ainsi que l’aliénation et la disparition des valeurs traditionnelles causées par la modernisation.

 

"The Guest" (2001)

Basé sur des événements réels, "The Guest" est un portrait profond d’un peuple divisé hanté par un passé douloureux et la recherche de réconciliation d’une génération. Pendant la guerre de Corée, la province de Hwanghae en Corée du Nord a été le théâtre d’un horrible massacre de cinquante-deux jours. Dans un acte d’amnésie collective, les atrocités ont été attribuées à l’armée américaine, mais en vérité elles sont le résultat de combats malveillants entre chrétiens et communistes coréens. Quarante ans plus tard, Ryu Yosop, un ministre vivant en Amérique, retourne dans son village natal, où son frère aîné a joué un rôle notoire dans l’effusion de sang. Assiégé par des souvenirs vifs et visité par les esprits troublés de la défunte, Yosop doit faire face aux survivants de la tragédie et mettre l’âme de son frère au repos. Comme Faulkner dans ses récits entrelacés, "The Guest" est un roman audacieux et ambitieux d’une figure majeure de la littérature mondiale.

Parmi les personnages, Ryu Yosop (révérend Yosop Ryu), un pasteur coréen-américain qui revient dans sa ville natale en Corée du Nord après des décennies passées aux États-Unis. Le retour de Yosop est provoqué par la mort de son frère aîné, Yohan, qui a été impliqué dans le massacre de Sinchon. Alors que Yosop renoue avec son passé, il est contraint de faire face à ses propres souvenirs et au traumatisme collectif de la guerre. Yohan Ryu, le frère aîné de Yosop, dont la mort sert de catalyseur pour son voyage. Yohan était un sympathisant communiste pendant la guerre et a joué un rôle dans le massacre de Sinchon. Le roman met en scène par ailleurs une série de personnages, dont des survivants du massacre, des membres de la famille et des personnages historiques, chacun représentant différentes perspectives sur la guerre et ses conséquences.

Le roman débute  avec le retour du révérend Yosop Ryu dans sa ville natale en Corée du Nord après avoir reçu des nouvelles de la mort de son frère Yohan. Le décès de Yohan rappelle le massacre de Sinchon, un événement brutal pendant la guerre de Corée où des milliers de civils ont été tués, prétendument par les communistes nord-coréens et les forces américaines. Alors que Yosop renoue avec son passé, il est hanté par des visions et des souvenirs du massacre. Le récit alterne entre le présent et le passé, mêlant événements historiques et souvenirs personnels. Le voyage de Yosop devient une quête de compréhension et de réconciliation, alors qu’il cherche à découvrir la vérité sur le rôle de son frère dans le massacre et à faire face à sa propre culpabilité et à son traumatisme. Le roman évoque également la division idéologique entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, ainsi que l’impact de la guerre sur les individus et les familles. Par le biais des interactions de Yosop avec les survivants et à ses propres réflexions, Hwang Sok-yong nous dresse un tableau saisissant du coût humain de la guerre et des cicatrices durables qu’elle laisse derrière elle...

 

"The Old Garden" (2000)

Un roman profondément émouvant qui mêle l’amour personnel à la lutte politique, dans le contexte du mouvement pro-démocratique sud-coréen des années 1980. L’histoire suit Hyun Woo, un ancien activiste politique libéré de prison après 18 ans, et ses réflexions sur son passé, en particulier sa relation avec Han Yunhee, une femme qu’il aimait et a laissé derrière lui.  

Parmi les personnages, Hyun Woo, ancien étudiant militant et artiste emprisonné pour son implication dans le mouvement pro-démocratie. Après sa libération, il réfléchit à son passé, y compris son amour pour Yunhee et les choix qui ont mené à leur séparation. Han Yunhee, une institutrice et l’amour de la vie de Hyun Woo. Elle s'implique dans le mouvement pro-démocratie grâce à sa relation avec Hyun Woo. Les lettres et les entrées du journal de Yunhee fournissent un contrepoint aux souvenirs de Hyun Woo, offrant un aperçu de ses pensées et de ses sentiments. Le roman met par ailleurs en scène une série de personnages, dont des militants, des membres de la famille et des amis, qui représentent chacun différentes facettes de la lutte pour la démocratie et du sacrifice personnel.

 Le roman débute avec Hyun Woo libéré de prison après 18 ans. Tout en essayant de s'adapter à la vie extérieure, il est hanté par les souvenirs de son passé, en particulier sa relation avec Han Yunhee. Le récit alterne entre le présent et le passé, mêlant les réflexions de Hyun Woo aux lettres et aux entrées du journal de Yunhee. Dans les années 1980, Hyun Woo et Yunhee se sont rencontrés et sont tombés amoureux à une époque de bouleversements politiques intenses. Hyun Woo était profondément impliqué dans le mouvement pro-démocratie, tandis que Yunhee le soutenant s'impliquera de plus en plus dans la lutte. Leur histoire d’amour se déroule sur fond de protestations, d’arrestations et de dures réalités de la vie sous un régime autoritaire.

Alors que Hyun Woo réfléchit à son passé, s'imposent en lui des sentiments de culpabilité et de regret, en particulier au sujet de sa décision de laisser Yunhee derrière lui quand il a décidé de disparaître. Les lettres de Yunhee révèlent ses propres luttes, y compris ses efforts pour élever sa fille seule et son amour durable pour Hyun Woo. Le titre du roman, "The Old Garden," fait référence à un lieu de refuge et de beauté que Hyun Woo et Yunhee créent ensemble, symbolisant leurs rêves d’un avenir meilleur. Cependant, à mesure que la situation politique s’aggrave, le jardin devient un rappel de ce qu’ils ont perdu ...

 

"The Shadow of Arms" (1985)

Un roman basé sur les expériences de Hwang en tant que soldat pendant la guerre du Vietnam. Il critique l’impact de la guerre sur les soldats et les civils, ainsi que les ambiguïtés morales du conflit. Le roman offre une perspective unique sur la guerre, en se concentrant non seulement sur le champ de bataille mais aussi sur l’économie du marché noir qui a prospéré à l’ombre du conflit. Il explore les ambiguïtés morales de la guerre, l’exploitation des populations locales et le coût humain de la violence.

Parmi les personnages, Ahn Yong Kyu, un soldat sud-coréen qui est affecté au marché noir militaire au Vietnam. Son rôle consiste à gérer le commerce des marchandises, y compris les armes, l’alcool et d’autres fournitures, entre l’armée et les marchands locaux. Les expériences de Yong Kyu l’obligent à affronter les dilemmes éthiques de la guerre et les frontières floues entre le bien et le mal. Oh Hyon est un camarade soldat et ami de Yong Kyu, qui devient de plus en plus désabusé par la guerre et la corruption qui l’entoure.

Le roman met également en scène des civils et des marchands vietnamiens, dont la vie est profondément affectée par la guerre et la présence de soldats étrangers.

Le roman se déroule dans la ville portuaire animée de Da Nang, au Vietnam, au plus fort de la guerre du Vietnam. Yong Kyu, un soldat sud-coréen, est affecté au marché noir militaire, où il supervise le commerce de marchandises entre l’armée et les marchands locaux. À travers ses yeux, le lecteur est initié au monde complexe et souvent corrompu de la guerre, où les soldats, les marchands et les civils naviguent dans le chaos du conflit. Alors que Yong Kyu s'implique de plus en plus dans le marché noir, il commence à remettre en question la moralité de ses actions et les implications plus larges de la guerre. Il est témoin de l’exploitation des civils vietnamiens, de la cupidité des soldats et des marchands et de l’impact dévastateur de la guerre sur la population locale et les soldats eux-mêmes.

 

"Familiar Things" (2011)

Séoul. À la périphérie de la métropole scintillante de la Corée du Sud se trouve un endroit que peu de gens connaissent : un vaste site d’enfouissement appelé Flower Island. C’est ici que Bugeye, 13 ans, et sa mère arrivent après l’internement de son père dans un camp d’éducation du gouvernement. Il vit dans une cabane et se nourrit en désherbant les déchets recyclables, Au début, la vie de Bugeye sur l’île Flower est difficile. Mais une nuit, il remarque des lumières mystérieuses autour du site d’enfouissement. Et lorsque les anciens esprits qui peuplent encore le paysage de l’île se révèlent à lui, La chance de Bugeye commence à changer, mais peut-elle durer? Vibrante et enchanteresse, Familiar Things représente une société au bord d’un changement économique et social vertigineux. Elle nous rappelle à tous de faire attention à ce que nous jetons.

 

"Princess Bari" (2007)

Un roman lyrique qui réinvente une histoire traditionnelle coréenne sur une princesse qui se lance dans un périple périlleux pour sauver sa famille. Hwang Sok-yong mêle mythe, histoire et questions contemporaines pour créer un conte qui s’étend sur des siècles et des continents. Le roman suit le voyage de Bari, une jeune fille qui fuit la Corée du Nord et traverse les déserts et les océans à la recherche d’une sécurité et d’une vie meilleure. En chemin, elle affronte à la fois les dures réalités du monde moderne et le pouvoir intemporel du mythe. Bari est la sixième fille d’une famille nord-coréenne, une position qui fait honte dans une société qui valorise les fils. Après que sa famille ait été déchirée par la famine et l’oppression politique, Bari fuit la Corée du Nord et se lance dans un voyage qui l’emmène à travers la Chine, le Moyen-Orient, et finalement l’Europe. Le Chaman est la figure mystérieuse qui guide Bari et la relie au mythologique personnage de princesse. Le chaman aide Bari à comprendre son destin et la signification spirituelle de son voyage. Le roman met en scène une série de personnages, dont des migrants, des passeurs et des guides spirituels, chacun représentant différentes facettes de l’expérience du migrant.

Le roman débute par l’histoire de la mythologique princesse Bari, qui est abandonnée par ses parents parce qu’elle est la septième fille et donc mal considérée. Dans le mythe, la princesse Bari se lance dans un voyage vers les enfers pour récupérer l’eau de vie et sauver ses parents. Après la destruction de sa famille, elle s’enfuit en Chine, où elle entreprend un voyage qui reflète le mythe de la princesse Bari. En chemin, elle fait face à de nombreux défis, notamment l’exploitation, la violence et la menace constante de la déportation. Au cours de son voyage, Bari rencontre le chaman qui l’aide à comprendre son lien avec la princesse mythologique Bari et la signification spirituelle de son voyage. Le roman alterne entre expériences de Bari et mythe de la princesse, créant une riche tapisserie du passé et du présent, du mythe et de la réalité. Bari embrassera son destin et trouvera un moyen de guérir les blessures de son passé... Traduction française, éditions Picquier.

 

"At Dusk" (2015)

Les thèmes de la mémoire, du regret et du passage du temps, dans le contexte de la modernisation et de l’urbanisation rapides de la Corée du Sud. L’histoire alterne entre les perspectives de deux personnages principaux, dont la vie est reliée par leur passé commun dans un quartier pauvre de Séoul appelé Moon Hollow. Park Minwoo est un architecte de 60 ans qui a réussi à atteindre la richesse et le statut, mais ressent un sentiment croissant de vide et de déconnexion par rapport à ses racines. Alors qu’il fait face au crépuscule de sa vie, il réfléchit à son enfance à Moon Hollow et aux choix qui l’ont éloigné de ses humbles débuts. Cha Soona est une femme de Moon Hollow qui a grandi avec Minwoo. Elle est restée dans le quartier et a été témoin de sa transformation d’une communauté soudée à un bidonville négligé. Soona écrit des lettres à Minwoo, se souvenant de leur passé commun et s’interrogeant sur le coût du progrès et de la modernisation.

Né dans la pauvreté d’un quartier misérable de Séoul, Park Minwoo a surfé sur la vague a vague de l'expansion et de la modernisation qui a porté la Corée si rapidement. Aujourd’hui directeur d’un grand cabinet d’architectes, son travail acharné et son ambition lui ont apporté triomphe et satisfaction. Mais lorsque son entreprise fait l’objet d’une enquête pour corruption, il est obligé de reconsidérer son rôle dans la transformation de son pays. En même temps, il reçoit un message inattendu d’une vieille amie, Cha Soona, une femme qu’il avait aimée et trahie. Alors que les souvenirs reviennent spontanément, Minwoo se souvient d’un monde qu’il pensait avoir laissé derrière lui - un monde qu’il comprend maintenant qu’il a aidé à détruire. À travers ces deux récits, Hwang Sok-yong dresse un tableau saisissant du coût humain du progrès et de la perte de communauté face à l’urbanisation. Le roman soulève des questions sur ce que signifie réussir, le prix de l’ambition et l’importance de se rappeler d’où nous venons...

 

"Mater 2-10", by Hwang Sok-yong (2023)

"The wheels of the train keep turning, carrying the weight of history and the dreams of those who built it." - Le virtuose Hwang Sok-yong, nominé par le Booker international, est de retour avec une autre histoire puissante – un conte épique et multigénérationnel qui relie ensemble un siècle d’histoire coréenne. Centré sur trois générations d’une famille de cheminots et un ouvrier mis à pied, "MATER 2-10" dépeint avec éclat la vie des travailleurs coréens ordinaires, depuis l’ère coloniale japonaise jusqu’à lapremier siècle. C’est à la fois un récit puissant qui exprime le désir d’une nation de relier le Nord et le Sud par une ligne de chemin de fer, un roman magique et réaliste qui décrit la vie des ouvriers industriels modernes, et l’aboutissement de la carrière de Hwang — un chef-d’œuvre en gestation depuis trente ans. Véritable voix d’une génération, Hwang montre encore une fois pourquoi il est inégalé lorsqu’il s’agit de dépeindre le chagrin d’une nation divisée et de faire vivre l’identité culturelle et les épreuves du peuple coréen.

Deux personnages principaux, Yi Jino, un cheminot et le protagoniste du roman. Son récit de vie sert de lentille à travers laquelle le lecteur fait l’expérience de l’histoire tumultueuse de la Corée. Le voyage de Jino reflète les luttes des gens ordinaires pendant l’occupation japonaise, la guerre de Corée et l’industrialisation rapide de la Corée du Sud. Et Yi Baekman, le père de Jino, un cheminot qui s’est battu pour les droits des travailleurs pendant la période coloniale japonaise. Son héritage de résistance et de solidarité inspire Jino et d’autres. Le roman débute avec Yi Jino, maintenant un homme âgé, qui réfléchit sur sa vie et l’histoire de la Corée. À travers ses souvenirs, le récit se déploie de manière non linéaire, passant d’une période à l’autre : l’ère coloniale japonaise (1910-1945) - L’histoire plonge dans les conditions difficiles auxquelles sont confrontés les travailleurs des chemins de fer coréens sous la domination japonaise. Le père de Jino, Yi Baekman, devient un symbole de la résistance alors qu’il organise des grèves et lutte pour les droits des travailleurs -, la Guerre de Corée (1950-1953), - la guerre ravage le pays et Jino vit les horreurs du conflit, notamment la division de la Corée et la perte d’êtres chers -, l'Industrialisation et modernisation (1960-1980), - alors que la Corée du Sud connaît une industrialisation rapide, Jino et ses collègues sont confrontés à de nouveaux défis, notamment l’exploitation, les mauvaises conditions de travail et l’érosion des droits des travailleurs -, et l'époque contemporaine : le roman reflète tout l’héritage de l’industrialisation de la Corée et les luttes en cours de la classe ouvrière dans une économie mondialisée. Et tout au long du roman, la locomotive Mater 2-10 le puissant symbole du voyage de la Corée : ses difficultés, sa résilience et ses aspirations. Le train représente à la fois le progrès et le coût humain de ce progrès...

 

"Gwangju Uprising: The Rebellion for Democracy in South Korea", by Hwang Sok-yong (2022)

Le compte-rendu essentiel de la rébellion sud-coréenne en faveur de la démocratie de 1980 Le 18 mai 1980, des militants étudiants se sont rassemblés dans la ville sud-coréenne de Gwangju pour protester contre le coup d’état et la loi martiale du général Chun Doo-hwan. Les forces de sécurité ont réagi avec une violence sans faille et, au cours des dix jours suivants, des centaines d’étudiants, d’activistes et de citoyens ont été arrêtés, torturés et assassinés. Les événements du soulèvement ont façonné plus d’une décennie de résistance au régime répressif sud-coréen et ouvert la voie à la démocratisation du pays dans les années 1990. Sujet de la conspiration et de la polémique de droite en Corée du Sud, les textes du soulèvement de Gwangju ont survécu à la circulation clandestine et ont été récemment réédités. Cette nouvelle traduction par Slin Jung du texte original, compilée à partir de témoignages oculaires, constitue un récit saisissant et complet tant des événements du soulèvement que de la situation politique qui a précédé et suivi les violences de ces jours. Avec une préface de Hwang Sok-yong qui situe le soulèvement dans son contexte local et international à long terme. Le volume qui en résulte est un compte rendu inégalé du mouvement pour la démocratie et la liberté en Corée du Sud dans la période tumultueuse de la dictature des années 1980. Une collection essentielle pour les personnes intéressées par l’histoire contemporaine de l’Asie de l’Est et la lutte mondiale pour la démocratie.


Après le soulèvement de Gwangju (1980) et les manifestations de 1987 qui mènent à la fin de la dictature, le cinéma coréen devient une arme politique directe. C'est l'émergence du "cinéma du peuple", un film tel que "The Night Before the Strike" (1990), qui décrit les conditions de travail des ouvriers sous les chaebols, est tourné en secret et projeté clandestinement dans les cercles militants. Avec la démocratisation des années 1990, les cinéastes commencent à traiter directement des tabous historiques, ainsi le massacre de Gwangju (1980) devient un sujet central. "Peppermint Candy", de Lee Chang-dong (1999), retrace l’histoire récente de la Corée en remontant le temps, à travers la vie d’un homme brisé par les violences de l’État. Et les films des années 2000 revisiteront les événements réprimés par la dictature, souvent avec une approche grand public : "The Attorney", de de Yang Woo-suk (2013), montre comment un avocat autrefois apolitique se révolte contre la répression d’État sous Chun Doo-hwan. "Parasite", de de Bong Joon-ho (2019), décrit les inégalités de classe dans la Corée contemporaine, héritées de l’industrialisation brutale des années Park Chung-hee (c'est le premier film sud-coréen à remporter la Palme d’or et l’Oscar du meilleur film et l'impact sera mondial). On peut citer "A Taxi Driver" (2017), l'histoire vraie d’un chauffeur impliqué dans le soulèvement de Gwangju, ou "The President’s Last Bang" (2005), satire de l’assassinat de Park Chung-hee. Si la critique du patriarcat et des discriminations de classe est devenue un nouveau terrain d’engagement du cinéma, on peut noter que les conservateurs sud-coréens ont tenté d’interdire ou de censurer certains films, montrant que l’impact du cinéma est toujours perçu comme une menace...


Depuis 1987, la Corée du Sud est devenue une démocratie stable, mais avec des difficultés structurelles persistantes souvent mentionnées. Depuis la fin de la dictature, plusieurs partis ont accédé au pouvoir (Kim Dae-jung, Roh Moo-hyun, Lee Myung-bak, Park Geun-hye, Moon Jae-in, Yoon Suk-yeol). La censure d’État a disparu, et les médias sont "relativement" libres. Les Sud-Coréens ont montré par ailleurs une forte capacité de mobilisation, notamment lors de la destitution de Park Geun-hye en 2017 après des manifestations massives (Candlelight Movement).

La politique sud-coréenne reste pourtant vulnérable, régulièrement marquée par des scandales impliquant des élites économiques et politiques. Et le pouvoir reste très concentré dans la présidence, ce qui crée des tensions à chaque alternance politique (la France est le seul pays européen et occidental qui soit dans une situation similaire d'hyper-présidentialisme, une situation néfaste à toute pratique démocratique). Mais les conflits idéologiques entre conservateurs et progressistes sont intenses, conduisant à une instabilité politique fréquente ...


"The Red Room: Stories of Trauma in Contemporary Korea (Modern Korean Fiction)", by Bruce Fulton (2009) - Des effets de la guerre de Corée, de la colonisation japonaise et de la division du pays sur les identités individuelles et collectives, du fardeau des pressions sociétales, attentes familiales, rôles de genre et difficultés économiques, des personnages aux prises avec des sentiments d’aliénation et de désespoir...

Une anthologie de trois nouvelles coréennes, traduites par Bruce et Ju-Chan Fulton, qui explorent les séquelles psychologiques laissées par les bouleversements historiques du XXᵉ siècle en Corée. Chaque récit met en lumière la manière dont les traumatismes de la guerre et de la violence politique affectent profondément la vie des individus. - Dans "In the Realm of the Buddha" de Pak Wan-so, la narratrice et sa mère entreprennent un pèlerinage bouddhiste pour honorer leur père et frère décédés. Leur douleur non exprimée est décrite comme une masse indigeste qu'elles portent en elles, nécessitant une purification pour éviter qu'elle ne les consume. Ce voyage spirituel devient une métaphore de leur quête de guérison et de libération du poids du passé. - "Spirit on the Wind" de O Chong-hui raconte l'histoire de Ŭn-su, une femme en proie à une envie irrésistible de vagabonder, conséquence d'un traumatisme enfoui dans son inconscient. Ses disparitions répétées perturbent sa famille, notamment son mari Se-jung, qui peine à comprendre son comportement. Le récit alterne entre les perspectives de Ŭn-su et de Se-jung, illustrant les tensions familiales et la difficulté de surmonter un passé traumatique.  - La nouvelle éponyme, "The Red Room" de Im Ch’or-u, explore la dynamique entre un enseignant arrêté arbitrairement et son interrogateur. Le récit alterne entre leurs points de vue, révélant comment le traumatisme se transmet du bourreau à la victime. L'interrogateur, marqué par des violences passées, perpétue un cycle de brutalité, tandis que l'enseignant subit une transformation psychologique sous la torture.


"Recurrence" (되풀이, Doepoori) - Kim Tschang-yeul (1929–2021) est surtout connu pour ses peintures hyper-réalistes de gouttelettes d’eau, qui semblent si réalistes qu’elles semblent briller sur la toile ...

Ce style unique le distingue dans le monde de l’art contemporain. Ses œuvres ne sont pas seulement des chefs-d’œuvre techniques, mais ont aussi une profonde signification philosophique et spirituelle. Les gouttelettes d’eau dans ses peintures symbolisent la pureté, la clarté et le caractère transitoire de la vie, mais représentent également une forme de méditation, comme Kim les décrivait souvent en les peignant comme un moyen d'"effacer" ses souvenirs traumatiques de la guerre de Corée et d’atteindre la paix intérieure. Kim Tschang-yeul a dit un jour : « Je peins des gouttes d’eau pour dissoudre toutes les choses qu’elles contiennent, la colère, l’anxiété, la peur et tout le reste. » Son art était un processus thérapeutique, tant pour lui-même que pour les spectateurs : "Water Drops on Stone", "Water Drops and Calligraphy", "Evaporation" ...

En tant qu’artiste coréen ayant passé une grande partie de sa carrière en France, Kim Tschang-yeul a fait le pont entre les traditions artistiques orientales et occidentales, mêlant le spiritualisme coréen au modernisme occidental. 

La série "Récurrence" a été exposée dans de grandes galeries et musées du monde entier, dont le Musée national d’art moderne et contemporain (MMCA) en Corée et le Centre Pompidou à Paris. Le Kim Tschang-yeul Art Museum (Jeju, South Korea) est entièrement consacré à sa vie et à ses œuvres, présentant une collection complète de ses peintures, y compris sa série emblématique de gouttelettes d’eau (water droplet series).


Que dire de la littérature du XXIe siècle? Depuis les années 2000, la littérature coréenne connaît un tournant vers des thèmes plus personnels et universels, signant sans doute la fin d'un ère d'engagement politique. Des auteurs comme Shin Kyung-sook (Please Look After Mom, 2008) ou Han Kang (The Vegetarian, 2007) abordent des questions d’identité, de genre et de traumatisme, mais moins de résistance politique directe ou d'interprétation socio-politique du monde qui les entourent. La montée du capitalisme et du matérialisme détourne désormais une partie de la littérature des enjeux politiques au profit d’une exploration psychologique et sociale de soi, parfois des autres, une thématique désormais mondialisée ...

 

Les jeunes générations coréennes semblent moins influencées par l’héritage de la dictature et s’intéressent plus aux questions économiques et sociales (logement, emploi, inégalités) qu’à la politique institutionnelle. Cependant, des mouvements comme le féminisme, l’activisme environnemental et les droits des travailleurs ont émergé ces dernières années. L’élection de Yoon Suk-yeol en 2022 a révélé une fracture générationnelle et idéologique, notamment sur les questions de genre et d’égalité sociale. Si la littérature engagée des années 1970-1980 s’attaquait aux régimes autoritaires, la nouvelle génération explore les conséquences du capitalisme et des inégalités dans une démocratie "stable"...


En 2024, Han Kang (1970) a été récompensée par le prix Nobel de littérature. La Swedish Academy a salué son "intense prose poétique qui confronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine". Cette distinction fait d'elle la première Sud-Coréenne à recevoir ce prestigieux prix. Une oeuvre qui sera qualifiée de "sensuelle, provocatrice et violente, riche en images puissantes, en couleurs saisissantes et questions dérangeantes" et toute entière inspirée par la pression écrasante des conventions sociales coréennes à l'encontre des femmes ..

 

"The Vegetarian" est un roman de l'autrice sud-coréenne Han Kang (1970), publié en 2007. Ce livre a contribué à la reconnaissance internationale de Han Kang, notamment avec l'obtention du Man Booker International Prize en 2016 (traduit par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot, Éditions Le Serpent à Plumes, 2015). Parmi ses autres œuvres notables, citons "Human Acts" (qui traite du soulèvement de Gwangju en 1980), "The White Book" (une exploration lyrique et inquiétante du chagrin personnel, écrite à travers le prisme de la couleur blanche), "We Do Not Part" (2021), qui  raconte l’histoire d’une amitié entre deux femmes alors qu’elles se réconcilient avec un chapitre caché de l’histoire coréenne. Ses œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues, ce qui lui a valu une renommée internationale ... 

Avant le cauchemar, Yeong-hye et son mari menaient une vie ordinaire. Mais lorsque des images éclatées et ensanglantées commencent à hanter ses pensées, Yeong-hye décide de purger son esprit et de renoncer à manger de la viande. Dans un pays où les mœurs sociales sont strictement respectées, la décision de Yeong-hye d’adopter une existence plus « végétale » est un acte de subversion choquant. Et tandis que sa rébellion passive se manifeste sous des formes toujours plus extrêmes et effrayantes, le scandale, les abus et l’éloignement commencent à envoyer Yeong-hye en spirale dans les profondeurs de son fantasme. 

Mais ce que le personnage de Han Kang, Yeong-hye, semble découvrir, en fin de compte, c’est une bien singulière liberté, dont la prise de conscience a débuté par celle du corps : si elle veut refuser son corps, personne ne peut l’en empêcher. Comme les hommes de sa vie, Yeong-hye objectifie son corps, mais elle le fait pour des raisons différentes. Le corps physique de Yeong-hye devient un récipient qu’elle peut vider comme elle l'entend, d’abord, de l’anxiété et de la colère, ensuite, du désir et du besoin, enfin, de la vie animale elle-même. Et quand bien cet apparent contrôle de Yeong-hye sur son propre corps semblerait la soumettre à d'autres contraintes, - un système médical qui va gérer son corps, suturer ses blessures après une tentative de suicide, lui administrer des tranquillisants lorsqu’elle est épuisée, nourrir son corps de force -,  il n'empêche : Yeong-hye découvre, c’est que si elle veut refuser son corps, personne ne peut l’en empêcher, sa vie et sa mort, inséparables de la chair de son corps, lui appartiennent à elle seule. 

 

Sa vie et sa mort, inséparables de la chair de son corps, lui appartiennent à elle seule. Yeong-hye découvre qu’elle a la capacité de choisir comment et si elle mange, et donc, comment elle pourrait mourir. Comme les hommes de sa vie, Yeong-hye objectifie son corps. Mais elle le fait pour des raisons différentes. Le corps physique de Yeong-hye devient un récipient qu’elle vide efficacement : d’abord, de l’anxiété et de la colère ; ensuite, du désir et du besoin ; enfin, de la vie animale elle-même. Cependant, le contrôle de Yeong-hye sur son corps la rend de plus en plus soumise à des efforts institutionnels pour la contraindre. Les tentatives du système médical pour gérer son corps — pour suturer ses blessures après une tentative de suicide, pour lui administrer des tranquillisants lorsqu’elle est épuisée, pour nourrir son corps en le nourrissant par un tube — sont finalement vaines. Ce que Yeong-hye découvre, c’est que si elle veut refuser son corps, personne ne peut l’en empêcher. Sa vie et sa mort, inséparables de la chair de son corps, lui appartiennent à elle seule. À la fin de l'histoire, Yeong-hye aura donc subi une profonde transformation physique et mentale, elle aura tout rejeté, et peut-être rien acquis de plus, son corps se détériore, nul ne la comprend, la conclusion reste ouverte ...

 

Yeong-hye semble être donc une femme bien ordinaire : mais en fait, elle porte les blessures psychiques d’années de violence physique et émotionnelle. Lorsqu’elle était enfant, son père, qui avait un tempérament particulier, la battait. Au début de l’âge adulte, Yeong-hye a contracté un mariage arrangé avec M. Cheong, qui la critique souvent et la traite comme un être inférieur. Yeong-hye est d’abord considérée comme une rebelle par les hommes de sa famille, puis comme une malade mentale par sa sœur et ses médecins.  En choisissant de devenir végétarienne, Yeong-hye montre qi'elle est capable d’exercer un mode de discipline et de contrôle sur son propre corps et sur sa propre vie, quelque chose que son père et M. Cheong se sentaient jusque-là seuls tous deux en droit de faire. En devenant végétarienne, elle s'oppose non seulement à  leur emprise (son père, comme son mari, exigeaient qu’elle mange de la viande), mais étend cette révolte intérieure à toutes les contraintes sociales qui l'obsédaient jusqu'alors . Elle commencera à tester les limites de sa liberté en s’automutilant et, finalement, en entrant, à un certain moment, dans les fantasmes sexuels de son beau-frère ...

 

"The Vegetarian" est structuré en trois parties, chacune offrant une perspective différente sur la protagoniste, Yeong-hye, une femme ordinaire qui décide soudainement de devenir végétarienne après un rêve perturbant ..

 

- Une première partie (The Vegetarian), racontée par le mari de Yeong-hye, qui décrit sa perplexité et son incompréhension face au refus soudain de sa femme de consommer de la viande, mettant en lumière les attentes patriarcales et les normes sociales rigides. M. Cheong raconte l'histoire de la dépression de sa « banale » (unremarkable) épouse. Il l'a choisi parce qu'il pensait qu'elle ne remettra pas en cause son mode de vie bien ordonné (his orderly way of life). Et Yeong-hye s'avère en effet être une épouse travailleuse et peu exigeante. Sa seule particularité est qu'elle n'aime pas porter de soutien-gorge, ce qui dérange M. Cheong.  Mais tôt, un matin, M. Cheong trouve Yeong-hye immobile devant le réfrigérateur. Elle lui dit qu'elle a fait un rêve. Le lendemain matin, elle est de nouveau là, occupée cette fois à mettre de la viande dans des sacs poubelles.  Lorsque M. Cheong lui demande ce qu'elle fait, Yeong-hye répond à nouveau qu'elle a fait un rêve, qu'elle était perdue dans une forêt sombre, lorsqu'elle est tombée sur une grange : elle est entrée et a découvert de la viande ensanglantée qui pendait un peu partout. Elle s'est enfuie, mais elle sentait encore de la viande crue dans sa bouche. Puis elle a vu un visage qui était à la fois le sien et pas le sien, mais qui lui était étrangement familier...

 Les mois passent. Yeong-hye ne dort plus. Elle devient squelettique et ne mange que du riz et du kimchi. Après qu'elle ait commencé à refuser d'avoir des relations sexuelles avec M. Cheong, celui-ci rentre à la maison ivre un soir, la pousse par terre et la viole. M. Cheong continue à violer Yeong-hye périodiquement, mais il trouve que cela le rend encore plus détestable.

Lors d'une réunion de famille, le père et la sœur de Yeong-hye, In-hye, la réprimandent en lui disant qu'elle doit manger. Yeong-hye se contente de les regarder fixement. Lorsque sa sœur tente de lui donner des huîtres, Yeong-hye déclare simplement qu'elle ne les mangera pas. Furieux, son père la gifle violemment et tente de lui faire avaler du porc. Yeong-hye résiste. Après que son père l'ait frappée une seconde fois, elle saisit un couteau et se taillade le poignet.

 Peu de temps après, à l'hôpital, la mère de Yeong-hye lui apporte un liquide riche en nutriments provenant d'un sac de viande de chèvre noire. Elle le sert à Yeong-hye dans une tasse fumante et lui dit que c'est un médicament à base de plantes. Yeong-hye en prend une gorgée, puis la vomit dans la salle de bains. Un matin, M. Cheong se réveille à l'hôpital et découvre que Yeong-hye a arraché sa perfusion et quitté la chambre. Il la retrouve dehors, dans le jardin, assise nue, les seins à l'air. Dans sa main, elle tient un oiseau, écrasé par sa prise. Il porte les marques de dents d'un prédateur...

 

Deuxième partie, - « La marque mongole » (Mongolian Mark) -, racontée du point de vue du beau-frère de Yeong-hye, un artiste obsédé par elle, obsession, désir et transgression pseudo artistique. Une deuxième partie au cours de laquelle Yeong-hye semble vouloir franchir une nouvelle étape vers une mort lente et prématurée, se livrer sexuellement comme pour se débarrasser de tout désir ...

 Le beau-frère (non nommé) est un autre homme dans la vie de Yeong-hye qui l’utilisera, elle et son corps, afin de satisfaire ses propres désirs. Il est esthétiquement et sexuellement obsédé par la marque de naissance de Yeong-hye parce qu’il croit qu’elle représente la vie organique dans ses longs processus évolutionnaires.  Au début, le beau-frère ne perçoit même pas la marque comme faisant partie de Yeong hye, en surcodant le corps de sa belle-soeur, il la dépersonnalise, en fait un simple objet d’exploration et de consommation ..

Les événements de la deuxième partie se déroulent deux ans après les faits relatés dans la première partie. M. Cheong a quitté Yeong-hye. Entre-temps, son beau-frère, un artiste vidéo, est devenu obsédé par une image qu'il imagine : celle de deux personnes nues avec des fleurs peintes sur tout le corps en train de faire l'amour.  Un jour, alors qu'elle donne le bain à leur jeune fils, Ji-woo, In-hye remarque que celui-ci porte encore une marque mongole, une sorte de tache congénitale qui disparaît généralement d'elle-même au bout de quelques années. Elle mentionne à son mari que Yeong-hye a eu sa marque mongole jusqu'à l'âge de 20 ans. Le beau-frère de Yeong-hye est excité à l'idée d'une tache de naissance en forme de fleur sur les fesses d'une femme adulte. Il commence à associer Yeong-hye à son fantasme d'amants peints. Il est obsédé par l'idée d'avoir des relations sexuelles avec elle après qu'ils aient tous deux été peints avec des fleurs.  Le beau-frère demande alors à Yeong-hye de poser pour lui, ce qu'elle accepte. Alors qu'elle se déshabille, il voit qu'elle a encore sa marque mongole sur la fesse. Il peint des fleurs sur toute sa peau et filme son corps en détail. Satisfait de son premier enregistrement vidéo, le beau-frère se lance dans un second projet. Il veut maintenant mettre en scène l'image d'un homme et d'une femme, tous deux peints et en train de faire l'amour, comme dans son fantasme. Il invite Yeong-hye à participer à la vidéo. Elle y consent. Le beau-frère invite son séduisant compagnon de studio, J, à jouer le rôle de l'homme dans le film. Il peint le corps de J et lui fait prendre des poses érotiques avec Yeong-hye. J est excité, mais lorsque le beau-frère leur demande de faire l'amour, J se met en colère. Le beau-frère suggère alors qu'ils simulent des rapports sexuels. Il demande à J de se placer derrière Yeong-hye comme s'il la pénétrait, mais J refuse et s'en va. Pris de désir, le beau-frère tente d'approcher Yeong-hye, mais elle le repousse. Lorsqu'elle lui dit que c'est le corps peint de J qui l'a excitée, le beau-frère lui propose de se faire peindre des fleurs sur le corps et lui demande si elle acceptera de faire l'amour avec lui à ce moment-là. Yeong-hye accepte.  Le beau-frère demande alors à son ex-petite amie P de lui peindre le corps. Lorsqu'il arrive à l'appartement de Yeong-hye, elle est complètement nue. Ils ont des rapports sexuels rapides et intenses, il les enregistre, et se filme, la fleur peinte autour de son pénis semblant s'ouvrir et se refermer au-dessus de la marque mongole de Yeong-hye, comme il l'avait imaginé.

 Le lendemain matin, le beau-frère se réveille et trouve In-hye dans l'appartement. Elle s'inquiétait pour Yeong-hye. Lorsqu'elle est arrivée, la porte était ouverte. Après avoir visionné leur vidéo sexuelle, In-hye pense qu'ils sont tous deux devenus fous et appelle une ambulance pour les interner. Avant qu'elle n'arrive, le beau-frère avait envisagé de sauter de la véranda, mais se contentera de regarder Yeong-hye qui se tient nue au soleil...

 

Troisième partie, menée du point de vue de la sœur aînée de Yeong-hye, In-hye. L'existence de celle-ci est au moins aussi misérable que celle de sa petite sœur.  Bien qu’elle ne perde pas la tête comme Yeong-hye, In-hye souffre; entre colère et culpabilité. Elle déteste son mari pour avoir séduit Yeong-hye, mais se sent aussi responsable de l'état de Yeong-hye maltraitée par les hommes pendant la majeure partie de sa vie. Son père ne l'a jamis battu, contrairement à sa soeur. S'analysant, elle en vient à penser que sa si forte implication dans son travail n’est au fond qu'un moyen de survie dans des conditions de vie hostiles. In-hye croit que l’observation des limites, des règles et des routines est la clé de la survie dans un monde social instable. Sans eux, les relations précaires et les arrangements sociaux peuvent se défaire. Pour survivre dans une société coréenne dominée par les hommes, les femmes doivent faire preuve de force, d’équilibre et d’endurance face aux difficultés. Et quand sa sœur refuse de maintenir sa santé et sa vie familiale, In-hye en vient à craindre ce qu’elle pourrait faire d’autre : alors que son mari a utilisé Yeong-hye pour réaliser son fantasme sexuel puis s'est enfuit en détruisant toute sa famille, c'est bien aux femmes d'assumer ici la responsabilité de garder intactes ces institutions sociales si fragiles que sont le mariage et la famille ..

Et dans cette culture patriarcale si forte et si paradoxale, les femmes doivent aussi dépenser une grande partie de leur énergie à se fournir mutuellement de l’aide physique et du soutien émotionnel : la survie de In-hye dépend ainsi de sa capacité à donner et à recevoir de l’aide d’autres femmes. Une des dernières scènes qui décrit les ultimes transformation de Yeong-hye dépeint ce phénomène de la souffrance partagée des femmes :  In-hye exige que les médecins de Yeong-hye enlèvent le tube d’alimentation que sa sœur ne veut pas et, en embrassant sa sœur, se retrouve couverte du sang qu’elle a vomi, la souffrance des femmes est représentée par le sang de Yeong-hye, que In-hye porte sur son corps comme si c’était le sien ...

Au début de la troisième partie, intitulée « Flaming Trees », In-hye est en route pour rendre visite à Yeong-hye à l'hôpital psychiatrique. Cela fait trois ans que Yeong-hye a décidé d'arrêter de manger de la viande. Trois mois auparavant, elle s'est échappée de l'hôpital et a été retrouvée dans une partie isolée de la forêt voisine. Aujourd'hui, In-hye lui rend visite chaque semaine, même si c'est difficile pour elle en tant que mère célibataire. Après sa liaison avec Yeong-hye, son mari est entré dans la clandestinité, laissant derrière lui sa femme et son fils.

La santé de Yeong-hye continue de se dégrader. On lui a diagnostiqué une anorexie et une schizophrénie. In-hye remarque que sa sœur est de plus en plus obsédée par les arbres qui se trouvent derrière la fenêtre de sa chambre d'hôpital. Les médecins sont désespérés. Ils ont essayé de nourrir Yeong-hye à l'aide d'un tube placé dans son nez. S'ils ne parviennent pas à la nourrir avec le tube, expliquent-ils, ils devront la transférer à l'hôpital général. Lorsque Yeong-hye parle à In-hye, elle lui dit qu'elle n'est plus un animal et que tout ce dont elle a besoin pour survivre, c'est de la lumière du soleil. Bientôt, ses mots et ses pensées disparaîtront, dit-elle.   Au côté de Yeong-hye, In-hye murmure que tout n'a peut-être été qu'un rêve et que Yeong-hye doit se réveiller à un moment ou à un autre. Puis In-hye regarde les arbres par la fenêtre, pensant qu'ils se gonflent dans le vent comme la chair de grands animaux...

 

En refusant de prendre soin de son propre corps et de sa famille, Yeong-hye a rejetté les comportements qui définissent son rôle dans la société coréenne (entre autres). Deux conséquences, peut-être ..

- Une existence sans reconnaissance et validation sociale, et malgré les contraintes ou à cause de celles-ci, est totalement impossible à vivre humainement ..

- Yeong-hye semble aspirer en fin de compte à une forme de vie sans genre, ultime possibilité tant s'abstraire de la validation sociale de son existence semble impossible ...

Elle choisit de mettre fin à sa vie en vivant comme une plante, en ne prenant que l’eau et la lumière. Elle décide d’imiter la vie qui, dans son esprit, lui donne le plus de liberté : celle d’un arbre, solidement enraciné dans la terre mais tendant vers le ciel pour prendre les rayons du soleil, une formulation totalement asexuée. En tant que partie de la terre, elle imagine qu’elle sera reliée à tout et ne sera redevable à personne; elle sera l’une parmi d’autres, pas supérieure ou inférieure à ses pairs sur la base de hiérarchies arbitraires.  En fin de compte, pour Yeong-hye, se retirer du genre revient à se détourner de la vie animale elle-même. Elle aspire à devenir aussi stoïque, insensible et intouchable qu’un arbre qui résiste aux saisons, au soleil et au vent, même si cela la conduit à la mort ...

C'est peut-être en ce sens que l'oeuvre de Han Kang nous semble révéler une évolution significative dans cette singulière cohabitation de l'homme et de la femme en ce début du XXIe siècle ...

 

"Greek Lessons" (Han Kang, 2011)

Han Kang aborde ici la thématique de la perte sensorielle, perte de la parole chez une poétesse coréenne, à la suite de traumatismes personnels, notamment la perte de sa mère et la séparation d'avec son fils : cherchant à redonner un sens à sa vie et à renouer avec le langage, elle s'inscrit à un cours de grec ancien. Et perte de la vue chez son professeur, un homme d'origine coréenne qui enseigne le grec malgré sa cécité progressive. Comment deux âmes blessées en viennent à se rapprocher, trouvant une forme de consolation mutuelle dans leur lutte respective contre la perte de leurs sens. La puissance du langage et de la communication au-delà des mots. Dans une salle de classe à Séoul, une jeune femme regarde son professeur de langue grecque au tableau noir. Elle essaie de parler mais a perdu sa voix. Son maître se retrouve attiré par la femme silencieuse, car jour après jour il perd la vue. Bientôt ils découvrent qu’une douleur plus profonde les lie ensemble. Pour elle, en l’espace de quelques mois seulement, elle a perdu à la fois sa mère et le combat pour la garde de son fils de neuf ans. Pour lui, c’est la douleur de grandir entre la Corée et l’Allemagne, d’être déchiré entre deux cultures et langues, et la peur de perdre son indépendance...

 

"Human Acts",  by Han Kang (2014)

Le soulèvement de 1980 à Gwangju fut un mouvement pro-démocratique brutalement réprimé par le gouvernement sud-coréen. 'Human Acts" déroule les thèmes du traumatisme, de la mémoire et de l’impact durable de la violence étatique sur les individus et la société à travers des récits interconnectés de victimes, de survivants et de personnes touchées par le massacre. Chaque chapitre est centré sur un personnage différent, dont un garçon qui cherche le corps de son ami, une mère en deuil de son fils et un prisonnier torturé...

En octobre 1979, la Corée du Sud entre, après l'assassinat du président Park Chung-hee, un général qui avait instauré un régime autoritaire, dans une période d'instabilité politique qui voit, en lieu et place d'une possible transition démocratique, s'imposer un autre militaire, Chun Doo-hwan, qui prend le pouvoir en décembre 1979 à travers un coup d'État interne à l'armée. Il impose la loi martiale et réprime les mouvements étudiants et ouvriers qui demandent plus de libertés. Le 18 mai 1980, des étudiants et citoyens de Gwangju, une grande ville du sud-ouest du pays, organisent une manifestation contre le régime militaire et la suppression des libertés. L'armée envoie des troupes spéciales pour disperser la foule avec une extrême brutalité. Les 19-21 mai 1980, la répression s'intensifie, les soldats tirent sur les manifestants et commettent de nombreuses exactions (viols, tortures, exécutions sommaires). Face à cette violence, la population prend les armes et repousse temporairement les forces militaires. Les 22-27 mai 1980, Gwangju devient une ville autogérée par les citoyens, avec une organisation démocratique spontanée. Cependant, le 27 mai, l'armée reprend la ville par une attaque massive, causant des centaines de morts. Le nombre exact de victimes reste controversé, mais les estimations varient entre 600 et 2 000 morts. Le massacre de Gwangju devient ainsi un symbole de la lutte pour la démocratie en Corée du Sud. L’événement sera longtemps censuré sous la dictature, mais dans les années 1990, avec la démocratisation du pays, il est officiellement reconnu. En 1995, Chun Doo-hwan et d'autres responsables du massacre seront jugés et condamnés ...

 

Chapitre 1 : The Boy, 1980 - L’histoire commence avec Dong-ho, un garçon de 15 ans qui cherche le corps de son ami Jeong-dae parmi les piles de cadavres dans un gymnase devenu morgue pendant le soulèvement de Gwangju. Dong-ho se porte volontaire pour aider à identifier et soigner les morts, en témoignant de la brutalité de la répression militaire. Le chapitre exprime son innocence, sa peur et l’écrasante sensation de perte qu’il ressent face à la violence qui l’entoure. - Chapitre 2 : The Boy’s Friend, 1980 - Ce chapitre évoque un autre point de vue, celui de Jeong-dae, l’ami de Dong-ho, qui a été tué. Il nous fait part de son expérience depuis l'au-delà, la manière dont son corps a été jeté dans une clairière, empilé avec d'autres victimes. Incapable de communiquer avec les autres âmes présentes, il exprime sa frustration et sa colère envers les soldats responsables de sa mort et de celle de sa sœur, Jeong-mi. - Chapitre 3 : The Editor, 1985 - Eun-sook, une ancienne collègue de Dong-ho, travaille désormais dans une maison d'édition. Elle lutte contre la censure imposée par le régime militaire tout en étant hantée par les souvenirs du soulèvement et des amis perdus. Son engagement pour la vérité et la justice la pousse à publier des œuvres dénonçant les atrocités commises, malgré les risques encourus. - Chapitre 4 : The Prisoner, 1990 - Kim Jin-su, un survivant du soulèvement, est emprisonné pour son implication dans les manifestations. Il endure des tortures physiques et psychologiques, se sentant coupable d'avoir survécu alors que tant d'autres, comme Dong-ho, ont péri. Incapable de supporter ce poids, il finit par se suicider près de dix ans après les événements de mai 1980. - Chapitre 5 : The Factory Girl, 2002 - Seon-ju, une ouvrière d'usine, a subi des sévices sexuels pendant le soulèvement. Des années plus tard, elle continue de lutter contre les traumatismes de son passé tout en s'engageant activement dans des mouvements sociaux pour les droits des femmes et des travailleurs. Son histoire met en lumière les séquelles durables de la violence étatique sur les individus. - Chapitre 6 : The Mother, 2010 - La mère de Dong-ho exprime sa douleur et son chagrin face à la perte de son fils. Elle réfléchit à l'impact de sa mort sur sa famille et sur elle-même, cherchant à comprendre le sens de son sacrifice et à trouver une forme de rédemption ou de paix intérieure. - Chapitre 7 : The Writer, 2013 - Le dernier chapitre est écrit à la deuxième personne, s’adressant directement à Dong-ho. Han Kang s’insère dans le récit, réfléchissant à sa propre interaction avec le soulèvement de Gwangju et aux raisons pour lesquelles elle a écrit le roman. Elle s’attaque à la responsabilité éthique de représenter le traumatisme et à la difficulté de saisir toute l’étendue de la souffrance humaine. L’épilogue fournira le contexte historique pour le soulèvement de Gwangju, fondant les récits fictionnels du roman sur des événements réels. Il rappelle l’importance de se souvenir et d’honorer ceux qui ont souffert et sont morts.

 

" — On dirait qu’il va pleuvoir, murmures-tu.

 Que faire s’il pleuvait vraiment ?  Tu fixes de tes yeux mi-clos les ginkgos qui se dressent devant la  préfecture. Comme si parmi les branches qui s’agitent allait soudain surgir la silhouette du vent. Comme si les gouttes de pluie cachées dans les  particules d’air allaient gicler en même temps et briller dans le vide telles  des pierres précieuses.

 Tu écarquilles les yeux. Le contour des arbres te paraît plus flou qu’à  l’instant précédent, quand tu les gardais à moitié ouverts. Auras-tu un jour  besoin d’une paire de lunettes ? Le visage boudeur de ton deuxième frère  aîné orné d’une monture en plastique marron te vient à l’esprit, puis  s’estompe sous les cris et les applaudissements qui éclatent du côté de la  fontaine. Il disait qu’en été, ses lunettes lui glissaient sur le nez, qu’en hiver,  dès qu’il entrait quelque part, la buée l’empêchait de distinguer quoi que ce  soit. Peux-tu espérer que ta vue cessera de baisser et que tu échapperas à  ça ?

 — Je te parle gentiment. Rentre tout de suite !

 Tu secoues la tête pour chasser la voix de ton frère qui était très en  colère. Le haut-parleur devant la fontaine diffuse la voix vibrante d’une  jeune femme qui tient un micro. La fontaine elle-même n’est pas visible  depuis les marches du gymnase sur lesquelles tu es assis. Il faut contourner  le bâtiment par la droite pour voir la cérémonie d’hommage, même de loin,  au lieu de quoi tu tends l’oreille pour saisir les paroles de cette femme :

 — Mesdames et Messieurs, voici les corps de nos chers concitoyens qui  arrivent de l’hôpital de la Croix-Rouge.

 Puis elle entame l’hymne national. Plusieurs milliers de voix se  superposent, formant comme une tour de plusieurs milliers de mètres de  haut pour recouvrir celle de la femme. Toi aussi, tu fredonnes ce chant qui,  après avoir laborieusement atteint le sommet, se laisse refouler vers le bas. « Combien de corps en provenance de l’hôpital de la Croix-Rouge  aujourd’hui ? » as-tu demandé ce matin à Chinsu qui t’a répondu : « Une  trentaine. » Pendant que le refrain de ce chant pesant s’élève comme une  très haute tour, puis retombe, une trentaine de cercueils seront déchargés du  camion les uns après les autres. Ils seront alignés aux côtés des vingt-huit

 autres que ce matin toi et tes aînés avez transportés jusqu’à la fontaine, près  du gymnase.

 Des quatre-vingt-trois qui s’y trouvaient, vingt-six, auxquels se sont  ajoutés deux nouveaux corps identifiés hier soir par les familles, puis  rapidement mis en bière, n’avaient pas encore bénéficié d’une cérémonie  collective d’hommage. Tu as inscrit leur nom sur le cahier ainsi que le  numéro du cercueil. Tu as tracé à côté de la liste une longue accolade, puis  ajouré : « Cérémonie collective 3. » Chinsu t’avait expliqué qu’il fallait le  préciser pour éviter que les mêmes cercueils ne soient déplacés lors de la  célébration suivante. Pour une fois, tu aurais voulu y assister mais il t’a dit  de ne pas bouger.

 — On peut avoir besoin de toi. Reste à ta place.

 Les aînés qui travaillaient avec toi y sont eux tous partis. Les membres  des familles ont suivi lentement les cercueils qu’ils avaient veillés plusieurs  jours, un ruban noir épinglé sur le côté gauche de leur poitrine, comme  autant d’épouvantails bourrés de sable ou de tissu. Unsuk, qui était parmi  les derniers, a eu un bref sourire qui laissait voir sa surdent quand tu lui as

 dit que tout allait bien pour toi, qu’elle devrait y aller. La surdent lui donnait  une expression espiègle, même lorsqu’elle se forçait à sourire malgré sa  gêne ou son malaise.

 — Je reviens vite après avoir assisté au début.

 Laissé seul, tu t’es assis sur l’escalier d’entrée du gymnase. Tu as posé  sur tes cuisses le cahier à la couverture en carton noir. Le contact avec le  ciment était froid à travers le survêtement bleu clair. Tu as boutonné  jusqu’au cou la veste militaire que tu avais enfilée par-dessus et croisé les  bras.

 « Trois cents lieues de terres splendides couvertes d’hibiscus »

 Alors que tu chantes l’hymne national en même temps que les autres, tu  t’arrêtes. « Terres splendides », répètes-tu en te rappelant un des quatre  caractères chinois composant l’expression que tu avais apprise en classe, « ryŏ ». Tu n’es pas sûr de pouvoir reproduire ce sinogramme aux traits  particulièrement nombreux. Des terres avec de belles fleurs ? Ou des terres  belles comme des fleurs ? Sur le caractère viennent se superposer les roses  trémières qui poussent plus haut que toi en été dans un coin de la cour. Des  tiges longues et droites sur lesquelles s’épanouissent des fleurs qui  ressemblent à des assiettes en tissu blanc. Tu fermes les yeux pour mieux  les voir. Quand tu les rouvres à moitié, les ginkgos devant la préfecture

 s’agitent toujours dans le vent. Aucune goutte de pluie n’a encore jailli de  ce souffle...."

("Celui qui revient", trad. Jeong Eun-Jin & Jacques Batillio, Le Serpent à plumes)

 

"The White Book" (2016)

Une œuvre profondément introspective qui s’éloigne du format narratif conventionnel. La signification de la couleur blanche est évoquée à travers une série de fragments poétiques et méditatifs. Le livre est à la fois un hommage à une sœur aînée décédée peu après sa naissance et une réflexion sur la mémoire et le deuil. L’histoire commence en effet par l’évocation d’un événement familial tragique : la narratrice (qui peut être perçue comme un alter ego de l’auteure) raconte comment sa mère, alors très jeune, a accouché d’une petite fille prématurée. Cette sœur, qui aurait dû être l’aînée de la famille, n’a survécu que deux heures avant de succomber. Ce deuil originel, bien qu’antérieur à la naissance de la narratrice, a hanté son existence comme une présence invisible. Tout au long du récit, Han Kang s'attache à des objets et des éléments associés à la couleur blanche — neige, sel, lait, lumière, os — chacun d’eux servant de prisme pour examiner la fragilité et l’éphémère. L’écriture est fragmentaire, avec des images saisissantes qui évoquent à la fois la pureté et l’absence. La narratrice se rend à Varsovie, une ville marquée par la destruction et la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, et ses propres observations sur les ruines et la renaissance de la ville se mêlent à ses réflexions intérieures. Le livre est aussi une tentative de rendre hommage à cette sœur disparue : la narratrice imagine une vie pour elle, la fait revivre à travers les mots, lui donne une présence littéraire. En écrivant, elle tente de « blanchir » la douleur, de la sublimer en quelque chose de lumineux, d’apaisé. C’est un livre qui se lit comme une méditation ...

 

"We Do Not Part" (2021, Jagbyeolhaji anhneunda)

Le roman aborde le massacre de Jeju (Jeju sasam sageon), un épisode souvent méconnu de l’histoire coréenne, où des civils ont été massacrés par les forces gouvernementales. Un massacre qui s’est déroulé entre avril 1948 et mai 1949 sur l’île de Jeju, située au sud de la péninsule coréenne, dans le contexte tendu de la guerre froide. Sur cette île, un mouvement de résistance composé de paysans, de travailleurs et de communistes sympathisants du Nord s’oppose à des élections, considérées comme illégitimes et imposées par les forces étrangères: en réponse, le gouvernement sud-coréen, avec le soutien des États-Unis, mènera une répression brutale contre la population locale. Le nombre exact de victimes restera incertain, mais les estimations varient entre 25 000 et 30 000 morts, soit près de 10% de la population de l’île à l’époque. De nombreux survivants seront contraints à l’exil ou emprisonnés pendant des années. Pendant des décennies, parler de ces événements en Corée du Sud était interdit sous peine d’arrestation ou de persécution...

Han Kang entend nous révéler la manière dont ces traumatismes collectifs affectent les générations suivantes, évoquant la transmission de la douleur et la nécessité du souvenir. Une thématique qui résonne avec d’autres œuvres de l’auteure, notamment "Human Acts", qui traite du soulèvement de Gwangju.

Une intrigue au centre de laquelle Kyungha, une écrivaine vivant à Séoul, reçoit un appel urgent de son amie de longue date, Inseon, hospitalisée après un accident de travail : Inseon demande à Kyungha de se rendre sur l’île de Jeju pour s’occuper de son oiseau de compagnie, Ama, laissé seul dans sa maison isolée. Kyungha entreprend le voyage vers Jeju en plein hiver, mais une tempête de neige exceptionnelle frappe l’île à son arrivée. Déterminée à atteindre la maison d’Inseon pour sauver l’oiseau, elle lutte contre le froid intense et les vents violents. Son périple à travers la neige épaisse devient une épreuve physique et mentale, reflétant son propre état intérieur marqué par des cauchemars récurrents liés à son travail sur les massacres historiques.

Une fois arrivée chez Inseon, Kyungha découvre des archives familiales détaillant les atrocités du massacre de Jeju de 1948-1949, où des milliers d’habitants ont été tués par le gouvernement sud-coréen sous prétexte de réprimer une insurrection communiste. Ces documents révèlent les souffrances endurées par la famille d’Inseon, notamment la perte de proches et les traumatismes transmis de génération en génération. Le récit hésite entre le présent de Kyungha, ses rêves troublants et les souvenirs d’Inseon. La frontière entre le réel et le surnaturel s’estompe, créant une atmosphère onirique où les fantômes du passé semblent hanter les vivants. Kyungha est confrontée à la douleur collective de l’histoire de Jeju, tout en explorant la profondeur de son amitié avec Inseon.

 

" La neige tombe, éparse.  Le champ où je me trouve s’étend sur une colline hérissée de milliers

 d’arbres noirs sans cimes ni branches, de troncs nus. Ils sont de taille  légèrement variée, comme des personnes d’âges différents. Ils ne sont  guère plus épais qu’une traverse de voie ferrée mais courbés, tordus,  l’ensemble évoquant une frise composée de milliers d’hommes, de  femmes et d’enfants maigres qui se tiendraient sous la neige, épaules  voûtées.

 Suis-je dans un cimetière ? me demandé-je.

 Tous ces arbres sont-ils des pierres tombales ?

 Je marche entre les troncs noirs sur lesquels se sont posés des flocons  de neige semblables à des cristaux de sel, et derrière chaque arbre s’élève  un tumulus. Si je m’arrête soudain, c’est que je sens sous mes baskets  comme des petits clapotis. C’est bizarre, me dis-je, alors que l’eau monte  jusqu’au-dessus de mon pied. Je me retourne. Je n’en crois pas mes yeux.

 L’autre extrémité du champ que je prenais pour une terre s’étirant vers  l’horizon est en réalité une mer. Et la marée continue de monter.  Sans le vouloir, c’est à haute voix que je lance :

 Quelle idée d’installer des tombes dans un tel endroit ?

La mer monte de plus en plus vite. La marée fait-elle vraiment cet  aller-retour deux fois par jour ? Les ossements des tombeaux au pied de  la colline sont-ils tous emportés par le reflux, qui ne laisse subsister que  les tumuli ?

 Le temps presse. Il est trop tard pour les sépultures déjà immergées,  mais il est encore possible de déplacer les ossements des tombes en  amont. Avant que la mer ne les atteigne, maintenant, tout de suite.  Mais comment faire ? Je suis seule, il n’y a personne. Je n’ai même  pas de bêche. Comment sauver tous les morts enterrés ? Désemparée, je  m’enfuis à travers les fûts noirs des arbres, chassant devant moi l’eau qui  a atteint mes genoux.

 J’ouvre les yeux. L’aube n’est pas encore là. Dans la pièce sombre, il  n’y a plus de champ sous la neige, plus d’arbres noirs, plus de marée  montante. Je regarde un moment la fenêtre, avant de refermer mes  paupières. J’ai à nouveau rêvé de cette ville. Je reste allongée, mes  paumes froides couvrant mes yeux.

 J’ai fait ce rêve en 2014, durant l’été, près de deux mois après la  parution de mon livre portant sur les massacres commis dans cette ville.  Durant les quatre années qui ont suivi, j’ai ignoré le sens caché de ce  rêve. C’est l’été dernier que j’ai eu pour la première fois l’intuition qu’il  ne concernait peut-être pas cette cité, et que mon sentiment premier,  spontané, pouvait être dû à un jugement erroné ou à une réflexion hâtive...." ("Impossibles adieux", trad. Grasset)


Lee Bul (1964) est connue pour ses œuvres provocantes et visuellement étonnantes qui explorent des thèmes d’utopie, de dystopie, de genre et du corps humain. Son art englobe la sculpture, l’installation, la performance et le multimédia, mêlant souvent une esthétique futuriste à des interrogations philosophiques ...

- "Cyborg" Series (1997–2011) - Une série emblématique qui présente des sculptures cyborgs féminines sans tête et futuristes qui défient les notions traditionnelles de beauté, de genre et d’identité. Les œuvres reflètent l’intérêt de Lee Bul pour l’intersection entre la technologie et le corps humain. Cf. Museum of Modern Art (MoMA), New York, USA - Hayward Gallery, London, UK (often featured in major exhibitions) - National Museum of Modern and Contemporary Art (MMCA), Seoul, South Korea.

- "Monster" Series (1998–2000) : Des sculptures grotesques qui combinent des éléments organiques et mécaniques, explorant les thèmes de la mutation, de la décomposition et de la transformation. Cf. Leeum, Samsung Museum of Art, Seoul, South Korea - Centre Pompidou, Paris, France.

- "Majestic Splendor" (1991/1997) : Une installation controversée mettant en scène des poissons en décomposition ornés de paillettes et de perles, symbolisant la tension entre la beauté et le déclin, la vie et la mort. Cf. This work has been exhibited at various institutions, including the Museum of Modern Art (MoMA), New York, but is not permanently on display due to its perishable nature.

- "Via Negativa" (2012) : Une installation labyrinthique à grande échelle qui invite le spectateur à naviguer dans un labyrinthe en miroir, créant des réflexions dérangeantes et interrogeant les perceptions de la réalité. Cf. Artsonje Center, Seoul, South Korea (occasionally exhibited) - Martin-Gropius-Bau, Berlin, Germany (featured in past exhibitions) - 

- "Willing To Be Vulnerable" (2015–2016) : Une installation à grande échelle avec une structure en forme de zeppelin faite de matériau réfléchissant, symbolisant la fragilité des rêves utopiques. Cf. Mudam Luxembourg – Musée d'Art Moderne Grand-Duc Jean, Luxembourg - Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington, D.C., USA


Kim Young-ha (1968)

Né à Hwacheon, dans la province de Gangwon, Kim Young-ha a étudié l'administration des affaires à l'université Yonsei de Séoul puis a débuté sa carrière littéraire en 1995 avec la publication de "A Nameless Thing" dans une revue trimestrielle. Depuis, il est devenu une figure majeure de la littérature coréenne contemporaine, explorant divers genres et thématiques avec un humour sombre, mêlant réalisme avec des éléments surréalistes ou absurdes ...

 

"I Have the Right to Destroy Myself" (1996)

Un roman sombre et philosophique sur le suicide, l’art et le désespoir existentiel. La vie de deux frères et une femme mystérieuse qui travaille comme "consultant en suicide." Ne pas encourager le meurtre. Je n’ai aucun intérêt à ce qu’une personne en tue une autre. Je veux seulement extraire ces désirs morbides, emprisonnés profondément dans l’inconscient. Une réalité qui, une fois libérée, commence à se développer. Leur imagination est libre et ils découvrent rapidement leur potentiel... Ils attendent quelqu’un comme moi. Un narrateur spectral sans nom hante les êtres perdus et blessés de la grande ville de Séoul, qui pourraient résoudre tous leurs problèmes par le suicide. Errant au beau milieu de leur existence urbaine, C et K sont des frères qui tombent amoureux de la même femme – Se-yeon. Au fur et à mesure que leurs vies se croisent, ils se déchirent dans une lutte pour trouver la connexion dans le monde sans nuances qui est le leur. Onirique et cinématographique, "I Have the Right to Destroy Myself" affirmera brillamment Young-ha Kim en tant que jeune maître littéraire coréen. Traduction française, "La Mort à demi-mots", éditions Picquier. 

"I'M LOOKING AT JACQUES-LOUIS David's 1793 oil painting, The  Death of Marat, printed in an art book. The Jacobin revolutionary Jean-Paul  Marat lies murdered in his bath. His head is wrapped in a towel, like a  turban, and his hand, draped alongside the tub, holds a pen. Marat has  expired—bloodied—nestled between the colors of white and green. The  work exudes calm and quiet. You can almost hear a requiem. The fatal knife  lies abandoned at the bottom of the canvas...". Singulier.

 

"Your Republic Is Calling You" (2006)

Un thriller d’espionnage sur un agent nord-coréen vivant en Corée du Sud qui est soudainement rappelé au Nord après 20 ans. Importateur de films étrangers, Gi-yeong est un homme de famille avec une femme et une fille. Amateur de Heineken, de football et de sushi, il est aussi un espion nord-coréen qui vit parmi ses ennemis depuis vingt et un ans. Soudain, il reçoit un mystérieux courriel, une directive qui semble venir du bureau à domicile. Il a un jour pour retourner au quartier général. Il n’a eu de nouvelles de personne depuis plus de dix ans. Pourquoi est-il rappelé maintenant? Ce message vient-il vraiment de Pyongyang? Revient-il pour recevoir de nouveaux ordres ou pour être exécuté par manque de diligence? Y a-t-il quelqu’un dans le Sud qui ait découvert son identité secrète? C’est un piège ? Sur une journée, "Your Republic Is Calling You" est un roman psychologiquement astucieux et envoûtant qui révèle la profondeur d’un secret de famille particulièrement saisissant et la façon dont nous ne connaissons parfois jamais vraiment les personnes que nous aimons. Confrontant des questions morales à petite et grande échelle, elle mine les transformations politiques et culturelles qui ont transformé la Corée du Sud depuis les années 1980. Un deuil pour le sort d’une certaine sorte d’homme et une certaine sorte de virilité, c’est en fin de compte une étude brûlante des effets longs et insidieux de diviser une nation en deux. Traduction française, "L'Empire des lumières", éditions Picquier.

 

"Black Flower" (2003)

Histoire véridique de 1.033 Coréens partis émigrer au Mexique au début du XXe siècle, paysans, chasseurs de baleines,  soldats, chamans, eunuques, voleurs à la tire ou nobles de sang royal, tous  fuient leur pays envahi par le Japon. Vendus à leur insu à des propriétaires terriens, ils travaillent sur des plantations de sisal et doivent s’adapter aux conditions de vie d’une terre hostile. 44 d’entre eux s’enfoncent dans la jungle pour rejoindre la révolution qui a éclaté au Guatemala, tandis que d’autres fondent un Etat éphémère sur le site maya de Tikal. Roman traduit en français aux éditions Picquier (Fleur noire). L'auteur a su donner au roman un souffle épique qui résonne à travers les continents et les océans reliant l’Est et l’Ouest ...

 

"Quiz Show" (2007)

Min-su, un jeune diplômé sans emploi, passe ses journées à naviguer sur Internet et à regarder des émissions télévisées de quiz. Il découvre une société secrète dédiée à des compétitions de quiz intenses dans la vie réelle. En rejoignant ce monde parallèle, il s'entraîne dans un lieu caché, aux côtés de personnes aussi étranges et perdues que lui. Ce monde impitoyable et fascinant reflète la solitude et l'effondrement des significations dans une société dominée par le virtuel. Traduction française Picquier. 

 

"Diary of a Murderer, and other stories" (2013-2019)

Le premier recueil de nouvelles de Young-ha Kim à être publié en anglais. Son travail a été comparé aux romans de Haruki Murakami, Raymond Chandler et Albert Camus, et il s’est fait une réputation comme l’écrivain coréen le plus talentueux et prolifique de sa génération. "Diary of a Murderer" est une collection de nouvelles tout autant captivante que provocante, abordant ce que cela signifie d’être au bord de la mort, entre la vie et la mort, le bien et le mal. Dans la nouvelle du titre, un ancien tueur en série souffrant de perte de mémoire se tourne vers une nouvelle cible finale : un tueur dont la prochaine victime est sa fille. Dans les trois histoires suivantes, nous assistons à une liaison entre deux amis d’enfance qui questionne les limites de la loyauté et de l’amour ; la désintégration d’une famille après qu’un fils en bas âge est enlevé et récupéré des années plus tard ; et une course sauvage, érotique sur la poursuite de la créativité au détriment de tout le reste. D’après « l’un des meilleurs écrivains de la Corée du Sud » (NPR), traduit par l’auteur primé Krys Lee, « Diary of a Murderer » est une œuvre terrifiante et puissante.

 

 "I Hear Your Voice", by Kim Young-ha (2012)

La vie d'un jeune homme doté de la capacité d'entendre les pensées des autres. Cette faculté, loin d'être un don, devient une malédiction qui l'isole du monde. L'œuvre aborde des thèmes tels que l'empathie, la solitude et la quête d'identité.

 


"Kim Jiyoung, Born 1982", Cho Nam-Joo (2016)

Un roman féministe sud-coréen qui a profondément marqué la société coréenne et au-delà. À travers la vie ordinaire de Kim Jiyoung, une femme née en 1982 en Corée du Sud, le livre dépeint les discriminations systémiques auxquelles les femmes sont confrontées, du patriarcat institutionnalisé à la pression sociale omniprésente. L’œuvre a été un immense succès en Corée du Sud, vendant plus d’un million d’exemplaires et déclenchant un vaste débat sur les droits des femmes. Elle a également été adaptée en film en 2019, avec Jung Yu-mi et Gong Yoo dans les rôles principaux.

Structuré de manière sobre et factuelle, le roman montre tout simplement que les injustices subies par Jiyoung ne sont pas le fruit d’une malchance personnelle, mais bien un problème systémique. Les premièresinégalités débutent très tôt et l'enchaînement d'une logique déconcertante. L’auteure insère régulièrement des données sociologiques et des faits historiques pour étayer les expériences de Jiyoung. Ce choix renforce la véracité du récit et souligne l’ampleur du problème...

Kim Jiyoung naît dans une famille où la préférence pour les fils est évidente : son frère est choyé tandis qu’elle et sa sœur doivent faire des concessions. Elle constate très tôt les injustices genrées, par exemple lorsqu’elle doit aider aux tâches ménagères pendant que son frère joue. À l’école, elle fait face à des discriminations subtiles mais constantes : les garçons sont encouragés à être leaders, tandis que les filles sont censées être discrètes et obéissantes. Malgré de brillants résultats scolaires, Jiyoung doit surmonter de nombreux obstacles pour accéder à l’université et trouver un emploi. Une fois dans le monde du travail, elle découvre une hiérarchie dominée par les hommes et des attentes sexistes. Ses supérieurs lui attribuent des tâches subalternes et elle doit supporter des remarques sexistes et du harcèlement de la part de collègues masculins. Elle assiste aussi à la discrimination à l’embauche et aux inégalités salariales, des femmes étant licenciées ou mises de côté après leur mariage.

Jiyoung se marie avec un homme relativement compréhensif, mais qui ne perçoit pas totalement l’ampleur des injustices qu’elle subit. Après avoir eu un enfant, elle est contrainte d’abandonner sa carrière, faute de soutien institutionnel pour les mères actives. Son quotidien devient un cycle de soins pour son enfant et de solitude, tandis que son mari continue sa carrière sans contrainte. Elle commence à manifester des signes de détresse psychologique, parlant parfois avec la voix d’autres femmes comme sa mère ou une amie décédée.

Le roman se termine de manière brutale. Sentant que quelque chose ne va pas, son mari l’emmène consulter un psychiatre. Le médecin écoute son récit, semble compatissant, mais la dernière phrase du roman révèle qu’il est lui-même empreint des mêmes biais sexistes, réduisant ses souffrances à un simple trouble psychologique, sans remettre en question la société qui en est responsable.

Cho Nam-joo est une écrivaine sud-coréenne née en 1978 à Séoul. Diplômée en sociologie de l'Université Ewha pour femmes, elle a travaillé pendant près de dix ans comme scénariste pour des programmes télévisés d'actualités.


"Because I Hate Korea", by Jang Kang-myung (2015) raconte l'histoire de Gye-na, une jeune femme de 20 ans qui, insatisfaite de sa vie en Corée du Sud, malgré un emploi stable et une relation de longue date avec son petit ami Ji-myeong, décide de tout quitter pour s'installer en Nouvelle-Zélande à la recherche de son propre bonheur. Le roman a été adapté en un film du même nom, sorti en 2023, avec Go Ah-sung dans le rôle de Gye-na. Le film a été présenté en avant-première au 28e Festival international du film de Busan en octobre 2023 et est sorti en salles en août 2024.

"Please Look After Mom", by Shin Kyung-sook (2008, Eommareul Butakhae), traduit en anglais par Chi-young Kim et publié aux États-Unis en 2011, raconte l'histoire de Park So-nyo, une femme de 69 ans, qui disparaît dans la foule à la station de métro de Séoul alors qu'elle rendait visite à ses enfants. Sa famille entame une recherche désespérée pour la retrouver, ce qui les conduit à réfléchir sur leurs relations avec elle et à découvrir des aspects méconnus de sa vie. À travers les voix de ses enfants et de son mari, le récit évoque les thèmes de la perte, de la culpabilité et de la redécouverte de soi. Le roman a rencontré un succès international, se vendant à plus d'un million d'exemplaires en Corée du Sud en moins de dix mois. Il a été traduit en plusieurs langues et publié dans 19 pays. En 2011, "Please Look After Mom" a remporté le Man Asian Literary Prize, faisant de Shin Kyung-sook la première femme et la première Sud-Coréenne à recevoir cette distinction.

 

Shin Kyung-sook (1963)

La capacité de Shin Kyung-sook à évoquer les vies intérieures des gens ordinaires et son exploration des thèmes universels ont fait d’elle l’un des auteurs les plus aimés de la Corée. Ses œuvres offrent une fenêtre sur les réalités émotionnelles et sociales de la société coréenne, tout en résonnant auprès des lecteurs du monde entier. Elle est née dans la province de Jeolla, en Corée du Sud, et a étudié l’écriture créative à l’Institut des arts de Séoul. Elle a fait ses débuts littéraires en 1985 avec la nouvelle "Winter’s Fable"...

 

"The Place Where the Harmonium Was" (Punggeumi Itdeon Jar, 1993)

Ce recueil a joué un rôle déterminant dans la carrière de Shin Kyung-sook, la faisant connaître sur la scène littéraire coréenne. Abordant les subtils changements intérieurs de ses personnages et leurs profondeurs existentielles, son approche était novatrice à une époque où la fiction coréenne était principalement dominée par des œuvres réalistes axées sur la simple narration. Bien que le recueil complet n'ait pas été traduit en anglais, certaines nouvelles ont été rendues accessibles aux lecteurs anglophones à travers diverses anthologies et publications littéraires.

 

"The Girl Who Wrote Loneliness" (1995, Oettan Bang)

Un roman semi-autobiographique de l'auteure sud-coréenne Shin Kyung-sook, initialement publié en 1995. Le récit se déroule à la fin des années 1970 et offre une plongée dans la vie des jeunes ouvrières en Corée du Sud durant cette période d'industrialisation rapide. Une adolescente de 16 ans, dont le nom n'est pas révélé, quitte sa campagne natale pour Séoul afin de travailler dans une usine d'électronique. Sa famille, trop pauvre pour financer sa scolarité, l'envoie en ville dans l'espoir d'une vie meilleure. Elle se retrouve à assembler des stéréos sur une chaîne de montage, travaillant de longues heures dans des conditions difficiles. Malgré la fatigue, elle assiste à des cours du soir, nourrissant le rêve de devenir écrivaine. Le roman dépeint la dure réalité des usines sud-coréennes des années 1970, où de nombreuses jeunes filles issues de zones rurales étaient exploitées et soumises à des conditions de travail éprouvantes. Ces ouvrières formaient la base de la hiérarchie sociale de Séoul, souvent oubliées et ignorées. L'héroïne partage une petite chambre avec ses frères et sa cousine, tous venus en ville pour travailler. Malgré les difficultés, elle trouve du réconfort dans la lecture et l'écriture. Un professeur de l'école du soir la remarque et l'encourage en lui offrant un livre, "The Dwarf" de Cho Se-hui, qu'elle recopie dans son carnet, alimentant son aspiration littéraire. Le récit aborde également les tensions liées aux tentatives de syndicalisation au sein de l'usine. Les ouvrières qui cherchent à améliorer leurs conditions de travail sont confrontées à l'intimidation et à la violence de la part de la direction. La protagoniste et sa cousine, sélectionnées pour suivre des cours du soir, sont contraintes de quitter le syndicat, illustrant les pressions exercées sur les travailleurs pour maintenir le statu quo.

Des années plus tard, devenue une écrivaine reconnue, la narratrice revisite cette période de sa vie. Elle se remémore les défis auxquels elle a été confrontée, les sacrifices consentis et les relations tissées, notamment avec une amie proche, Hui-jae, dont le destin tragique l'a profondément marquée. Ce retour en arrière est à la fois une catharsis et une confrontation avec des blessures encore vives.

 

"Violets" (2001) 

Un roman de Shin Kyung-sook sur la solitude, le désir et la marginalisation dans la Corée du Sud des années 1990. L'histoire d'Oh San, une jeune femme de 22 ans, marquée par une enfance difficile et des expériences de rejet.

San naît dans un village rural, non désirée par sa famille. Son père l'abandonne peu après sa naissance, laissant sa mère, la première femme divorcée du village, élever seule sa fille dans une société conservatrice. Enfant, San développe une amitié profonde avec une autre fille du village. Cependant, une expérience intime entre elles conduit à une rupture brutale, laissant San isolée et traumatisée. À l'âge adulte, San déménage à Séoul, cherchant à échapper à son passé. Après avoir échoué à obtenir un emploi de bureautique, elle trouve un poste dans une boutique de fleurs. Là, elle rencontre Su-ae, une collègue extravertie avec qui elle se lie d'amitié et finit par cohabiter. Cette amitié offre à San une lueur d'espoir et une chance de connexion humaine. Un jour, un photographe visite la boutique pour un reportage. Il remarque San et la photographie avec des violettes, des fleurs qu'il trouve banales mais qui, à travers l'objectif, prennent une nouvelle dimension. Cette interaction éveille en San des sentiments longtemps réprimés. Elle développe une obsession pour le photographe, interprétant leur brève interaction comme une possibilité d'amour et de reconnaissance. Consommée par cette obsession, San commence à le suivre, plante des violettes près de son bureau et imagine des scénarios où ils seraient ensemble. Cependant, lorsqu'elle le confronte finalement, il ne la reconnaît pas, ce qui la plonge dans une profonde détresse. Le roman culmine avec une scène déchirante où San, submergée par la solitude et le désespoir, fait face à la brutalité d'une société indifférente à sa souffrance. Le titre "Violets" symbolise la fragilité de San et de nombreuses femmes comme elle, considérées comme insignifiantes et souvent négligées, à l'image des violettes qui poussent partout mais sont rarement remarquées. 

 

"I’ll Be Right There" (2010, Eodiseonga Nareul Chatneun Jeonhwabeli Ulligo)

L'histoire se déroule dans les années 1980 en Corée du Sud, une période marquée par des bouleversements politiques et sociaux. Jung Yoon, une jeune femme qui, après avoir reçu un appel téléphonique de son ancien petit ami Myungsuh l'informant de l'état critique de leur ancien professeur, replonge dans ses souvenirs d'étudiante. Au début de ses études universitaires à Séoul, Jung Yoon est encore affectée par la mort récente de sa mère. Elle fait la connaissance de Myungsuh, un étudiant engagé politiquement, et de Miru, une jeune femme énigmatique portant des cicatrices physiques et émotionnelles. Leur professeur, une figure charismatique, les inspire à travers la littérature et la philosophie, malgré le climat de répression politique. Le roman évoque les relations complexes entre ces personnages, leurs amitiés, leurs amours et leurs problèmes. Les manifestations étudiantes, les disparitions et les suicides sont évoqués en toile de fond, reflétant l'impact de la violence politique sur la jeunesse de l'époque. Shin Kyung-sook dépeint avec sensibilité la fragilité des liens humains et la quête de sens dans une période d'incertitude. Une réflexion profonde sur la jeunesse, la mémoire et la manière dont les relations humaines se tissent et se délitent dans des contextes historiques troublés....

 

 "I Went To See My Father: A Novel", written by Kyung-sook Shin (2021)

Un best-seller instantané en Corée et la suite du best-seller international, "Please Look After Mom", centré sur les efforts d’une femme pour renouer avec son père vieillissant, découvrant des secrets familiaux de longue date. Deux ans après avoir perdu sa fille dans un accident tragique, Hon retourne enfin chez elle à la campagne pour s’occuper de son père. Au début, son père ne semble que retiré et fragile, un homme vieillissant, maladroit mais gentil avec sa propre fille. Puis, après avoir trouvé une boîte aux lettres, Hon découvre la vérité du passé de son père et reconstruit sa propre histoire familiale. Consumée par son propre chagrin, Hon avait été aveugle à la vulnérabilité de son père et la fragilité de sa famille. Dévoilant secret après secret et grâce à des conversations avec sa famille aimante et ses amis, Hon se rapproche de son père, qui s’avère être plus complexe qu’elle ne le croyait. Après avoir vécu l’une des périodes les plus tumultueuses de l’histoire de la Corée, la vie de son père était autrefois dynamique et ambitieuse, mais elle a pris un tournant pendant les années d’après-guerre. Maintenant, après des années d’isolement émotionnel, Hon apprend toute la vérité, de l’affaire de son père et l’implication dans une secte, à la vie dynamique de ses propres frères, aux difficultés financières de sa famille. Ce que Hon découvre au sujet de son père l’aide à comprendre la grande portée de ses sacrifices et de son héroïsme, ainsi que celle de son pays dans son ensemble. Plus qu’un simple portrait d’un homme célibataire, "I Went to See My Father" ouvre une fenêtre sur l’humanité, la famille, la perte et la guerre." Avec cette suite tant attendue de "Please Look After Mom", le traducteur primé Anton Hur–Kyung-Sook Shin a créé un roman ambitieux, global, épique et durable. 


"One Hundred Shadows" ("Baek-ui Geurimja") est un roman de l'auteure coréenne Hwang Jungeun, publié en 2010. La traduction anglaise, réalisée par Jung Yewon, est parue en 2016. Le roman se déroule au marché de Dongdaemun à Séoul et plonge dans la vie des travailleurs marginalisés, mêlant réalisme et surréalisme subtil. Un quartier en voie de gentrification à Séoul, où des ateliers d'électronique sont menacés de démolition. Les protagonistes, Eungyo et Mujae, travaillent dans ces ateliers et développent une relation profonde en partageant leurs expériences et leurs inquiétudes face à l'incertitude de leur avenir. Le roman explore des thèmes tels que la précarité, la marginalisation et la résilience, tout en incorporant des éléments surnaturels, notamment des ombres qui se détachent de leurs propriétaires (les ombres des habitants du bidonville ont commencé à « se lever »), symbolisant les angoisses des personnages. Le côté méconnu d’une société ultra-modernisée ...

Dans "I’ll Go On" (2014), deux sœurs, Sora et Nana, qui naviguent dans la complexité de leur vie à Séoul, leurs luttes personnelles, la dynamique familiale et les problèmes sociaux plus larges auxquels elles sont confrontés. Sora, la sœur aînée, est une correctrice indépendante qui lutte contre les sentiments d’isolement et de désillusion. Nana, la sœur cadette, est une étudiante universitaire qui s’implique dans l’activisme politique, reflétant les tensions et les conflits de la société sud-coréenne. Le récit alterne entre les perspectives des deux sœurs, offrant un regard profond et intime sur leurs pensées, leurs émotions et leurs expériences. L’écriture de Hwang Jungeun est connue pour sa qualité lyrique et sa capacité à restituer toutes les nuances du quotidien ...