PAYSAGES - ASIE DU SUD - SOUTH ASIA - Narayan

South Asia - Indian English Literature" - R.K. Narayan (1906-2001),"Malgudi Days" (1943), "The Guide" (1958) - Raja Rao (1908-2006), "Kanthapura" (1938) - Mulk Raj Anand (1905-2004), "Intouchable" (1935), "Coolie" (1936) - ... 


Indian English Literature - "Qui, qui suis-je? Ma réponse : je suis la somme totale de tout ce qui m'a précédé, de tout que j'ai été ou fait, de tout ce qu'on m'a fait" (Salman Rushdie, Les Enfants de minuit) - La diaspora indienne est l’une des plus anciennes et des plus influentes au monde et durant les dernières du XXe siècle, la littérature indienne en langue anglaise s'est construit un genre bien à elle qui lui a valu de rencontrer une audience internationale. Cette littérature est née sous le Raj britannique, lorsque l’anglais a été introduit comme langue administrative et éducative en Inde. Les premiers auteurs indiens à écrire en anglais (XIXe siècle) incluent Henry Derozio, Toru Dutt (Ancient Ballads and Legends of Hindustan, 1882), et Raja Rao, qui ont utilisé l’anglais pour explorer des thèmes indiens. Après l’indépendance en 1947, de nombreux écrivains indiens ont continué à utiliser l’anglais pour atteindre un public international. Salman Rushdie, R.K. Narayan, Anita Desai, et Kamala Markandaya figurent parmi les pionniers modernes.

Alors que les écrivains des années 1950 et 1960, comme R. K. Narayan, se centraient sur la description de la vie quotidienne, ceux de la génération des années 1980 s'intéresseront à des problèmes plus spécifiques tels que la situation postcoloniale, les conséquences de l'impérialisme, les tensions religieuses ou le système des castes. Ces auteurs qui ont choisi de s'exprimer en anglais plutôt que dans l'une des nombreuses langues du sous-continent ont pour la plupart quitté l'Inde, ainsi Salman Rushdie qui incarne sans doute la figure la plus célèbre de cette diaspora. Son roman "Les Enfants de minuit" marqueront un tournant dans les belles-lettres indiennes en anglais...

 

Le roman indien en anglais existe depuis plus longtemps que ce qui est généralement écrit et les premiers essais datent du milieu du XIXe siècle. Mais il faut attendre les années 1930 et l'émergence de trois écrivains qui, malgré leurs différences, représentaient une génération littéraire. Les trois ont été publiés à Londres avant de l'être en Inde. Raja Rao reste surtout connu pour "Kanthapura" (1938), - une chronique de la vie dans un petit village du sud de l'Inde pendant la période de lutte pour l'indépendance. Mulk Raj Anand a, quant à lui, commencé sa carrière avec un naturalisme brut qui donne toute sa force à ses deux premiers romans "Intouchable" (1935) et "Coolie" (1936). R. K. Narayan, fils d’un maître d’école, a passé son enfance à Madras avant de déménager dans la ville intérieure de Mysore, et ses premiers romans sont des autobiographies centrées sur la vie provinciale de la classe moyenne, de l’école et du cricket et du passage au mariage : puis dans les presque soixante années qui ont suivi "Swami and Friends" (1935) et "The Grandma’s Tale" (1993), il a publié quatorze romans et un nombre incalculable d’histoires, presque toutes se déroulant dans la ville indienne à moitié mythique et à moitié générique de Malgudi. Le travail de Narayan a été bien accueilli dès le début en Angleterre, soutenu par le jeune Graham Greene; son auditoire indien e s'est constitué quant à lui que très progressivement, et en partie pour la courte fiction anecdotique qu’il a publiée dans le journal de Madras, "The Hindu". Puis le créateur de "Malgudi" s'est alors dans son pays imposé pendant de nombreuses années comme le plus important des écrivains indiens en anglais ...

 

In India, "Every writer has to keep in mind his own regional language, the national language which is Hindi, the classical language Sanskrit (this is often called a ‘dead language’ but dead only as a mountain could be dead) and above all the English language which seems nearly inescapable. Some of the regional languages are understood only within limited boundaries and cannot provide more than a few thousand (or even a few hundred) readers for a book. A really livelihood-giving sale for a writer can be obtained only on an all-India basis. That being so, whatever may be the original language of the writing, the urgent need is to have an organization, a sort of literary clearing-house and translation service, which can give a writer a countrywide audience. As conditions are, there is no general publishing in this country. There are several publishing firms but they are only concerned with the manufacture of school-texts, which alone, by diligent manoeuvering, can give a publisher (and incidentally his author) a  fivefigure public. It must also be admitted that on the other side all is not well with the public either. A certain amount of public apathy for book-buying is depressingly evident everywhere..."

 

En Inde, « chaque écrivain doit garder à l'esprit sa propre langue régionale, la langue nationale qui est l'hindi, la langue classique qu'est le sanskrit (souvent qualifiée de “langue morte”, mais morte seulement dans la mesure où une montagne peut l'être) et surtout la langue anglaise qui semble presque inéluctable. Certaines langues régionales ne sont comprises que dans des limites restreintes et ne peuvent fournir plus de quelques milliers (ou même quelques centaines) de lecteurs pour un livre. Une vente réellement rémunératrice pour un écrivain ne peut être obtenue que sur l'ensemble de l'Inde. Dans ces conditions, quelle que soit la langue d'origine de l'auteur, il est urgent de mettre en place une organisation, une sorte de centre d'échanges littéraires et de service de traduction, qui puisse donner à l'auteur une audience à l'échelle du pays. Dans l'état actuel des choses, il n'existe pas d'édition générale dans ce pays. Il y a bien quelques maisons d'édition, mais elles ne s'occupent que de la fabrication de textes scolaires, qui seuls, par une manœuvre diligente, peuvent donner à un éditeur (et accessoirement à son auteur) un public à cinq chiffres. Il faut aussi admettre que, de l'autre côté, tout n'est pas rose non plus pour le public. Une certaine apathie du public à l'égard de l'achat de livres se manifeste partout de façon déprimante .."

(Narayan, The Problem of the Indian Writer)


R.K. Narayan (1906-2001)

Célèbre pour son univers fictif de Malgudi, un microcosme de la société indienne, R.K.Narayan (Rasipuram Krishnaswami Iyer Narayanaswami) est l'un des premiers auteurs indiens à avoir écrit de la fiction en anglais et à avoir ainsi contribué à la formation de la littérature indienne anglophone moderne. Il naquit à Madras en 1906, dans une famille brahmane. Le premier de ses vingt-neuf livres, Swami and Friends", a été publié en 1935 : une amitié entre enfants, Swaminathan, Rajam, un garçon charismatique et fils d’un officier britannique, et Mani, un garçon audacieux, une passion commune pour le cricket autour duquel se crée une équipe; mais nous sommes dans le contexte de l'Inde coloniale, où les tensions politiques vont grandissantes :  la relation entre Swami et Rajam se détériore et ce dernier quittera Malgudi, laissant Swami désemparé. Suivent "The English Teacher" (1945), "L’attente du Mahatma" (1955) et "The Painter of Signs" ( 1977) et son roman "The Guide" (1958) lui vaut le prix national de l’Indian Literary Academy, la plus haute distinction littéraire du pays. En 1980, il reçoit la médaille A.C.Benson de la Royal Society of Literature et, en 1982, il est nommé membre honoraire de l’American Academy and Institute of Arts and Letters.  

Au cours d’une carrière de sept décennies, R.K. Narayan, l’un des écrivains les plus influents et importants de l’Inde, a peuplé la ville fictive de Malgudi avec une foule de personnages inoubliables : Swami et sa bande d’amis, l’Homme Bavard, Raju le guide et Sampath l’imprimeur, parmi beaucoup d’autres. Ces personnages ont trouvé leur place dans l’imaginaire populaire et continuent à vivre, toujours frais et divertissants, plusieurs décennies après leur première apparition.  

 

"The Guide" (R.K. Narayan, 1958)

C'est l'exemple le plus achevé du genre dans lequel Narayan excelle, la comédie sérieuse. Ce récit raconte le cheminement d`un jeune homme, Ramu, qui abandonne la poursuite des biens de ce monde pour atteindre, malgré lui, un niveau de spiritualité à la fois exemplaire et ridicule. Comme souvent chez l'auteur, ce cheminement est ponctué de rencontres apparemment très banales mais toutes formatrices. La première, celle de Rosy, une danseuse, entraîne notre héros dans une liaison qui est à la fois une révélation sensuelle et une réussite financière. Mais une méchante affaire de fausse facture brise vite ce bonheur égoïste et conduit Ramu en prison. Narayan, fidèle à sa technique de chutes rédemptrices, fait alors de Ramu une sorte, de mentor bénévole de ses codétenus qui, à sa libération, se trouve privé de ce modeste statut social qu`il s`était forgé. 

Désemparé, il se réfugie, un temps, dans un temple désert, lieu symbolique de la grande mystification autour de laquelle va s'organiser le récit. Un simple paysan, en partie trompé par l'aspect apparemment pieux de Ramu, en partie aveuglé par ses propres espoirs religieux, prend notre héros pour un mystique, quasiment un Dieu ... 

Celui-ci, séduit par l`absurdité évidente (mais aussi par la véracité potentielle) de cette situation, se glisse peu à peu dans ce rôle et devient le conseiller écouté de son village, le "guide" dont lui-même et les gens avaient tant besoin. En dépit des dénégations de Ramu, la comédie se poursuit et même se complique lors d'une autre rencontre qui n'est qu`un malentendu supplémentaire. La sécheresse sévit dans ce coin perdu et lors d'une conversation à sens unique, l'idiot du village croit comprendre que Ramu va jeûner pour faire revenir la pluie. Le héros. se révélant incapable de rétablir les faits et de dire la "vérité pure et simple", se retrouve entraîné dans une série de souffrances publiques qu'il accepte jusqu`à la fin avec une satisfaction intérieure intense. L'ambiguïté du personnage demeurera jusqu`à la dernière page et, lorsque au matin du onzième jour de privations, il annonce l`arrivée de la pluie, on ne sait trop s`il s'agit là de sa dernière imposture ou de sa première prophétie. (Trad. Belfond)

 

Le dernier chapitre illustre la quête de rédemption de Raju, un personnage complexe, partagé entre ses ambitions personnelles et sa recherche d'une signification plus profonde de la vie. Raju se retrouve pris au piège de son propre mensonge comme de son illusion face à des villageois pour qui il incarne le gourou capable de réaliser des miracles :  et il se retrouve à devoir mener une grève de la faim pour sauver le village d'une crise d'eau, persuadé comme eux qu'il est réellement la seule personne capable de ramener la pluie. Un sacrifice qui va marquer la fin de son voyage intérieur et le conduire vers une forme de libération....

 

"... A wandering newspaper correspondent who had come to the village picked up the news. The government had sent a commission to inquire into the drought conditions and suggest remedies, and with it came a press correspondent. While wandering around he heard about the Swamiji, went to the temple across the river, and sent off a wire to his paper at Madras, which circulated in all the towns of India. “Holy man’s penance to end drought,” said the heading, and then a brief description followed.

This was the starting point.

Public interest was roused. The newspaper office was be-sieged for more news. They ordered the reporter to go back. He sent a second telegram to say “Fifth day of fast.” He described the scene: how the Swami came to the river’s edge, faced its source, stood knee-deep in the water, from six to eight in the morning, muttering something between his lips, his eyes shut, his palms pressed together in a salute to the gods, presumably. It had been difficult enough to find knee-deep water, but the villagers had made an artificial basin in sand and, when it didn’t fill, fetched water from distant wells and filled it, so that the man had always knee-deep water to stand in. The holy man stood there for two hours, then walked up the steps slowly and lay down on a mat in the pillared hall of the temple, while his devotees kept fanning him continuously. He took notice of hardly anyone, though there was a big crowd around. He fasted totally. He lay down and shut his eyes in order that his penance might be successful. For that purpose he conserved all his energy. When he was not standing in the water, he was in deep meditation. The villagers had set aside all their normal avocations in order to be near this great soul all the time. When he slept they remained there, guarding him, and though there was a fair-sized crowd, it remained totally silent ..."

 

"...  Un jour, un journaliste vint au village, il accompagnait une commission désignée par le gouvernement pour enquêter sur la situation causée par la sécheresse et proposer des mesures. Au cours de ses contacts avec les habitants, il entendit parler du Swamiji. Il traversa la rivière et se rendit au temple, après quoi il envoya une dépêche à son journal à Madras ("Un saint homme fait pénitence pour mettre fin àla sécheresse"), qui fut reproduite dans tous les journaux de l”Inde.

L'intérêt du public fut éveillé, et la rédaction du journal assiégée de questions. On ordonna au reporter de retourner au village. Celui-ci envoya un second télégramme: "Cinquième jour de jeûne." Il décrivait la scène: le Swami descendait au bord de la rivière, restait debout tourné vers l'amont, avec de l`eau jusqu'aux genoux, de six heures à huit heures du matin. Les yeux fermés, les mains jointes comme pour saluer les dieux, il murmurait des mots indistincts. Pour qu'il puisse se tenir dans l'eau, les villageois avaient creusé un bassin dans la rivière et, quand il se vidait, ils le remplissaient de nouveau avec de l'eau qu'ils allaient puiser dans des puits éloignés. Au bout de deux heures, le saint homme remontait lentement les marches et s'allongeait sur une natte étendue dans la salle des colonnes du temple. Il était entouré de disciples qui l'éventaient continuellement. Quoique entouré d,une grande foule, il ne semblait remarquer personne. Son jeûne était total. Il restait immobile, les yeux fermés, gardant toute son énergie pour que son voeu soit exaucé. Quand il n' était pas debout, il restait absorbé dans une profonde méditation. Les paysans avaient abandonné leur routine habituelle pour rester tout le temps auprès de cette grande âme. Quand le Swami dormait, ils restaient auprès de lui, et bien qu'ils fussent nombreux le silence était absolu...

Au bout de quelques jours, les visiteurs commencèrent à affluer. Un bourdonnement continuel envahit l'endroit. Les enfants jouaient et criaient aux alentours; les femmes, qui portaient des corbeilles remplies de casseroles, de provisions et de combustible, faisaient la cuisine pour leur famille. Des volutes de fumée montaient le long des deux rives, on pique-niquait partout. Les saris multicolores des femmes brillaient au soleil; les hommes avaient revêtu leurs habits de fête. Les boeufs, délivrés de leur harnais, faisaient résonner leurs clochettes en broutant la paille sous les arbres. Les gens s'agglutinaient autour des petites flaques d'eau.

Lorsqu'il ouvrait les yeux, Raju les apercevait, et il savait pourquoi il y avait de la fumée; il savait qu'on mangeait et qu'on s'amusait. ll se demandait ce que les gens avaient préparé - du riz avec une pincée de safran et du ghee fondu ? - avec quels légumes ? Mais non, sans légumes avec cette sécheresse... Ce spectacle le torturait.

Avant son jeûne, il avait heureusement gardé dans un récipient en aluminium quelques restes de la veille qu'il avait dissimulés derrière un pilier dans le sanctuaire intérieur - du riz mélangé à du babeurre et un peu de légumes. Tard le soir, après les prières, il avait réussi à s'isoler. Il n'y avait pas encore trop de visiteurs.

Velan avait dû rentrer chez lui; ils n'étaient plus que deux à veiller sur le Swami et à lui éventer le visage avec une énorme feuille de palmier. Raju se sentait affaibli après le jeûne de la journée. Il leur dit soudain: - Vous pouvez dormir si vous voulez, je reviens tout de suite.

Il s'était levé avec le plus grand naturel et était entré dans le sanctuaire intérieur. "Je ne vais quand même pas leur expliquer où je vais, et combien de temps je vais rester absent..." Il se sentait irrité de cette intrusion dans sa vie privée: il était continuellement surveillé, épié, comme s'il était un voleur! Il retira rapidement la gamelle de sa niche, s'assit derrière l'estrade et engouffra la nourriture en quelques bouchées, s'efforçant de faire le moins de bruit possible. Le riz était aigre et desséché, mais il calma sa faim. Il se rinça la bouche pour qu'on ne sente pas qu'il avait mangé.

Quand il fut de nouveau allongé sur sa natte, il se mit à broyer du noir. Il était dégoûté de toute cette aventure. Quand tout le monde serait là, ne pouvait-il monter sur l'estrade et leur crier: « Allez-vous-en tous, laissez-moi en paix, ce n'est pas moi qui peux vous sauver. D'ailleurs nul pouvoir sur terre ne peut vous sauver si tel est votre destin. Pourquoi me persécutez-vous avec toute cette histoire de jeûne?" Mais cela ne servirait à rien, on croirait qu'il plaisantait. Il était le dos au mur, sans pouvoir battre en retraite. Cetteconstatation l'aida à supporter avec un peu plus de résignation le deuxième jour de jeûne. De nouveau il resta debout dans l'eau, tourné vers la montagne, avec le spectacle des joyeux pique-niqueurs sous les yeux. Le soir, sous l'emprise du désespoir, il quitta Velan un moment et se glissa dans le sanctuaire, espérant trouver un petit reste de nourriture dans la gamelle, tout en sachant fort bien qu'il l'avait vidée la veille jusqu'à la dernière miette.

ll entretenait l'espoir puéril d'un miracle. "Puisqu'ils attendent de moi toutes sortes de miracles, pourquoi ne commencerais-je pas avec ma gamelle?" se dit-il en ironisant sur son sort. Il se sentait faible et la vue de son garde-manger vide le mit en fureur. Il songea un instant, dans sa détresse, à supplier Velan de le laisser manger; lui seul pouvait le secourir! Velan savait à quoi s'en tenir sur son compte, mais l'imbécile continuait à croire qu'il serait leur sauveur... Dans sa colère, il jeta brutalement sa gamelle par terre ; quelle importance si elle se cassait puisqu'elle devait rester vide? Quand il retourna sur sa natte, Velan lui demanda respectueusement:

- Maître, d'où venait ce bruit?

- C'était un récipient vide. Tu ne connais pas le dicton: Un récipient vide fait beaucoup de bruit?

Velan laissa échapper un rire déférent et déclara avec admiration:

-Maître, vous en avez de belles idées dans la tête!

Raju aurait voulu le foudroyer du regard. Velan était le seul responsable de sa triste situation. Pourquoi ne le laissait-il pas en paix? C'était bien dommage que le crocodile ne l`ait pas attrapé quand il avait traversé la rivière! Mais cette pauvre vieille bête était morte de déshydratation. Quand on lui avait ouvert le ventre, on y avait trouvé pour dix mille roupies de bijoux. Cela signifiait-il que le crocodile ne dévorait que des femmes? Il faut croire que non, car on avait aussi découvert quelques boîtes de tabac à priser et des boucles d'oreilles d'homme. La question à l'ordre du jour était de savoir qui avait droit au trésor? On n'ébruita pas cette trouvaille, car on ne tenait pas à ce que le gouvernement en ait vent et en revendique la propriété comme c'est la règle. On annonça seulement que quelques babioles sans valeur avaient été ramassées dans le pauvre crocodile (alors qu'elles avaient permis à celui qui les avait recueillies de ne plus avoir de problèmes financiers sa vie durant !). Mais qui l'avait autorisé à ouvrir le ventre du crocodile? (si tant est qu'on doive demander la permission en pareil cas !). Telle était la question qui entretenait les conversations dans le village.

Velan, qui éventait Raju, finit par s'endormir. Raju, lui, était éveillé et avait laissé son esprit vagabonder. Soudain, jetant les yeux sur Velan, il fut touché à la vue de cet homme recroquevillé sur son siège. Le pauvre garçon était si enthousiaste, et se donnait tant de mal

pour que le vœu soit couronné de succès; il entourait le grand homme de tous les soins imaginables, sauf qu'il ne lui donnait, bien sûr, rien à manger... Pourquoi, se dit Raju, ne lui donnerais-je pas une chance, au lieu de soupirer après de la nourriture que, de toute façon, je ne peux pas me procurer? Il était irrité de penser sans cesse à manger, et avec une sorte de résolution auto-punitive, il décida: "Je vais désormais bannir toute pensée de nourriture pendant les dix jours qui viennent."

Il puisa une certaine force dans cette détermination. Il se disait: "Si j'aide ces arbres à fleurir et l'herbe à pousser en ne mangeant pas, cela en vaut vraiment la peine." Pour la première fois de sa vie, il faisait un effort réel, pour la première fois il connaissait le plaisir stimulant d'avoir un but qui n'était ni l'argent ni l'amour; pour la première fois il agissait de façon désintéressée.

Il éprouva aussitôt un tel enthousiasme qu'il lui vint des forces nouvelles pour supporter son épreuve.

Le quatrième jour de son jeûne, il se sentit en pleine forme. Il descendit a la rivière, et resta debout face à l'amont, les yeux fermés. Il répétait toujours la même prière, où il suppliait le ciel de sauver l'humanité et de faire tomber la pluie. ll la scandait rythmiquement et, à force de la répéter, ses sens s'émoussèrent; il ne sentait plus ses genoux engourdis au contact de l'eau froide. La faim lui donnait l'impression de flotter, sensation qu,il trouvait agréable. De plus, il se disait: «Voilà un plaisir que Velan ne pourra pas m'enlever." 

Le bourdonnement de la foule s'amplifiait, tandis que la conscience que Raju avait de ce qui l'entourait s'embrumait peu à peu. Sans qu'il s'en aperçoive, des flots de visiteurs affluaient ; la prose du journaliste avait suffi. .. Des trains spéciaux pour Malgudi furent mis en service, les gens voyageaient sur les marchepieds ou sur le toit des wagons. La petite gare de Malgudi se trouva asphyxiée par cette multitude  ..."


"The English Teacher" (1945) est l'un des romans les plus personnels de R.K. Narayan : Krishna est un homme dévoué à son travail, mais la mort de Sushila, sa femme, le plonge dans une profonde dépression. Il se rend compte qu'il doit non seulement faire face à la douleur du deuil, mais aussi trouver un moyen de continuer à vivre sans elle. Le roman raconte son cheminement intérieur, sa quête pour trouver un sens à sa vie après cette perte : une partie clé de son voyage consiste à apprendre à accepter la réalité de la mort et à transcender sa souffrance par la méditation. Au fur et à mesure que l'histoire progresse, Krishna commence à avoir des expériences mystiques et spirituelles qui le rapprochent de son épouse décédée, ce qui suggère que l'amour et les relations humaines peuvent continuer au-delà de la mort.


Dans "Waiting for the Mahatma" (1955), Narayan nous conte l’histoire de Sriram, un jeune homme naïf et un peu irréfléchi qui se trouve mêlé aux événements historiques du mouvement de l'indépendance de l'Inde. Le roman se déroule pendant la lutte pour l'indépendance de l'Inde, à une époque où Mahatma Gandhi était la figure centrale du mouvement de non-violence et de résistance contre le régime britannique. Sriram se rend à Bénarès, où il est rapidement fasciné par les idées de Gandhi par sa lutte spirituelle pour l'indépendance. Cependant, Sriram est également épris d'une jeune femme nommée Bina, et sa quête pour gagner son amour entre en conflit avec ses idéaux et ceux de Gandhi. Une métaphore de son propre voyage vers la maturité et la compréhension des sacrifices nécessaires pour atteindre des idéaux plus élevés.


"The Painter of Signs" (Narayan, 1977)

 Un court récit, le onzième publié par l'auteur. Le héros est, comme à l'accoutumée, un personnage modeste, un peintre d`enseignes, et le décor est, encore et toujours, la petite ville imaginaire de Malgudi que le héros parcourt en tous sens pour les besoins de son commerce. 

C'est là l'occasion pour le romancier de brosser une foule de portraits à la fois naïfs et retors, comme celui de l`excentrique local, le Professeur, qui, en toge, vend à ses foules crédules la solution de leurs problèmes sous la forme d`un petit billet où il a inscrit : "Tout ceci finira par passer", ou celui du vendeur de bracelets trop étroits qui masse avec délectation les poignets de ses clientes consentantes. 

Mais le pivot de cette comédie des années 70 est la rencontre du héros, personnage tout en nuances, avec une jeune femme faite, au contraire, tout d`un bloc et qui vit, avec une fureur qui frise le ridicule, son travail de responsable de la campagne de contrôle des naissances. Raman, le raisonnable, tombe amoureux de Daisy, l'intrépide. et ils partent tous les deux pour une tournée des villages, elle afin de prêcher frénétiquement la bonne parole et lui dans l`intention de mettre en place une série de tableautins illustrant les injonctions de la jeune femme. Leur collaboration devient une liaison amoureuse qui, cependant, ne parviendra pas à aboutir à un mariage... 

 

La rencontre entre Raman et Daisy

"... Ses pensées se tournèrent vers la personne qui avait passé cette commande. Elle s’appelait simplement Daisy ; une fille mince, en sari. Personne ne savait qui était son mari, ou son père, ou son frère, ni d’où elle venait ; elle avait atterri brusquement à Malgudi. Daisy ! Quel nom pour quelqu’un dont l’apparence était si indienne, traditionnelle et discrète. À ce poste, on se serait attendu à une personne imposante, comme la mère supérieure du couvent : massive, au visage large, dominant tout le monde, une maîtresse femme, capable de se faire obéir en faisant de grands gestes, alors que cette jeune personne ressemblait plutôt à une danseuse débutante. Raman se dit qu’il aimerait en savoir plus sur elle. Il n’avait pu l’observer d’assez près lors de leur première rencontre dans son bureau, situé dans le nouveau bâtiment sur Market Road. Comme elle était assise derrière sa table, il n’avait eu aucun moyen de voir la partie inférieure de son corps, mais il avait dans l’idée qu’elle était grande et large de hanches.

Virappa, l’homme important de la ville, était le propriétaire de ce bâtiment, et il le louait à des bureaux. Ils étaient amis depuis l’université et se retrouvaient parfois au Restaurant-sans-nom. C’est lui qui l’avait présenté à Daisy, du Centre de Planning familial. Mais, pendant cette rencontre, il s’était imposé, avait parlé tout le temps et n’avait pas laissé un moment de répit à Raman pour qu’il observe la jeune femme à loisir.

Raman avait aimé la voix de Daisy, bien qu’elle fût un peu masculine, et il aurait préféré l’écouter sans les interruptions de Virappa, qui se mettait toujours en avant et discourait sans arrêt. Raman aurait voulu la regarder tranquillement, pour se faire une idée de son apparence physique et de sa personnalité, mais son compagnon lui donnait des coups de coude pour attirer son attention, et disait : « Tiens, regarde ça… », ou bien : « Tu sais quoi ?… » Raman avait imaginé des difficultés à seule fin de pouvoir poser des questions à Daisy, mais Virappa s’était interposé et c’est lui qui avait répondu. « Quelle doit être la longueur totale du… ? » avait demandé Raman.

Virappa lui avait coupé la parole pour déclarer :

— Mais tu es le meilleur juge. Je suis sûr que cette dame te laisse le soin de décider.

Avant de partir, Raman aurait voulu demander pourquoi elle se faisait appeler Daisy. Daisy comment ? Mais le courage lui manqua. Il était sûr d’ailleurs que ce serait Virappa qui lui répondrait aussitôt. Qui était son protecteur, qu’était-il arrivé à celui-ci pour que cette mince créature en soit réduite à prendre en main toute seule les problèmes de surpopulation du pays ? Et son teint, était-il sombre ou clair ? Ses yeux étaient-ils ronds ou maquillés ? Quelle était la forme de son nez ? C’étaient les points essentiels que Raman aurait souhaité éclaircir. Il se dit qu’après tout son métier était important : il établissait des liens dans la société, parmi les hommes, entre différents types de personnes et d’activités. Sans les enseignes, les gens végéteraient dans la solitude, personne ne saurait ce que font les autres ni ce qui se passe.

Il aurait voulu interroger discrètement Daisy sur elle-même, en entremêlant ses questions de considérations techniques concernant l’enseigne. Heureusement, Virappa les quitta un instant pour se moucher et inhaler une pincée de tabac ; Raman en profita pour demander à Daisy où elle habitait...."

 

Dans cette "petite Inde" qui cède chaque jour à une modernité irréversible, les pesanteurs psychologiques demeurent encore fortes et les deux protagonistes restent prisonniers de leurs inhibitions, et ne connaissent pas la révélation spirituelle qui pourrait les conduire à une transformation. Daisy, toujours aussi excentrique et excessive, s`éloigne fébrilement vers un nouveau poste et Raman va, lui, rejoindre ses amis du café local, trop heureux de se retrouver égoïstement parmi des "gens ne s'occupant que de leurs propres affaires" ... 


"Malgudi Days" est un recueil de nouvelles de R.K. Narayan, publié pour la première fois en 1943 et qui constitue l'une des œuvres les plus célèbres de l'auteur.

Chaque nouvelle est centrée sur un personnage, souvent un homme ordinaire confronté à une situation particulière qui l'amène à une forme de compréhension ou de changement. Les personnages sont souvent modestes, mais leurs vies, avec leurs hauts et leurs bas, sont empreintes de profondeur et de sagesse. Les histoires mettent en lumière les contradictions, les émotions humaines et les relations sociales dans une petite ville indienne.

"An Astrologer's Day" est l'une des nouvelles les plus célèbres ne serait-ce que par sa brièveté et une narration d'une redoutable efficacité. Un marché animé, et dans celui-ci, un astrologue, vêtu de manière traditionnelle et entouré de ses outils divinatoires (coquilles de noix de coco, manuscrits, et une lampe à huile), qui offre ses services. Un astrologue qui ne connaît rien à l'astrologie mais dont les prédictions reposent sur une compréhension aiguë des comportements humains (et une manipulation astucieuse des attentes de ses clients). L’astrologue n’a pas choisi ce métier par vocation, il a fui son village natal à la suite d’un événement qui reste initialement flou, mais dont on devine la gravité. Un soir, alors que l’astrologue se prépare à fermer boutique, un homme étrange apparaît. Celui-ci est sombre, méfiant et exige une consultation. Après quelques échanges tendus, l’astrologue accepte, espérant en tirer un bon paiement. Cependant, le client le met au défi en déclarant qu’il ne paiera que si ses prédictions s’avèrent exactes. Au cours de la séance, l’astrologue fait une prédiction surprenante : il sait décrire avec précision que l’homme a été poignardé et laissé pour mort des années auparavant. Surpris, celui-ci confirme qu’il a effectivement été attaqué par un inconnu et a pu survivre de justesse. C’est alors que l’astrologue révèle que l’attaquant est mort, ce qui apaise le client. Ce dernier paie généreusement l’astrologue avant de partir. Et, rentrant chez lui, l’astrologue avoue à sa femme qu’il a rencontré l’homme qu’il croyait avoir tué dans sa jeunesse ...

"The Doctor's Word" - Le Dr Raman est un médecin réputé pour son pragmatisme et une honnêteté qui peut parfois être assez brutale. Contrairement à d’autres, il n’enjolive jamais la vérité et croit fermement en une approche scientifique de la médecine. Cependant, il entretient une profonde amitié avec Gopal, un vieil homme respecté dans la communauté. Celui-ci tombe gravement malade. Sa famille, désespérée, appelle le Dr Raman. Ce dernier examine son ami avec une gravité inhabituelle. Bien que compétent, il sait que les chances de survie de Gopal sont très faibles. En tant que médecin, il est confronté à un dilemme : doit-il dire la vérité à la famille et à Gopal lui-même, ou doit-il préserver leur espoir ? La tension s’accentue lorsque Gopal, conscient de son état critique, demande directement au Dr Raman si sa vie peut être sauvée. Pour la première fois, le docteur hésite à donner une réponse honnête. Il se rend compte que ses mots, généralement tranchants et définitifs, pourraient affecter profondément son ami, même au-delà du diagnostic médical. Finalement, le Dr Raman décide d’affirmer qu’il y a de l’espoir, même si cela va à l’encontre de sa nature habituelle. Il encourage Gopal à rester optimiste et promet de tout faire pour le soigner. À la surprise du Dr Raman, Gopal commence à montrer des signes de récupération. Malgré ses connaissances médicales, le médecin est forcé d’admettre que la foi et l’espoir peuvent avoir un impact significatif sur la guérison. La situation le poussera à reconsidérer son approche stricte et rationnelle de la médecine ...

"The Missing Mail", ou comment Narayan sait dépeint les joies et les peines de la vie quotidienne avec humour et compassion. Thanappa est un facteur dévoué et aimé par tous les habitants de Malgudi. Il entretient des relations chaleureuses avec les familles de son quartier et est bien plus qu’un simple fonctionnaire : il est un confident, un conseiller, et un ami. Il connaît les joies et les peines de chacun grâce aux lettres qu’il livre. Il est particulièrement proche de la famille de Ramanujam, un employé de bureau modeste qui s’inquiète de marier sa fille, Kamakshi, avant qu’elle ne devienne "trop âgée". Thanappa s’implique activement dans les discussions sur les alliances potentielles. Après des efforts considérables, une alliance idéale semble se dessiner. La famille Ramanujam est ravie, mais les préparatifs sont stressants. La date du mariage approche, et tout semble aller pour le mieux. Alors que les préparatifs battent leur plein, Thanappa reçoit une lettre importante pour Ramanujam. Elle contient une nouvelle tragique : un oncle de la famille est décédé. Thanappa comprend que si cette information parvient à Ramanujam avant le mariage, tout pourrait être annulé ou retardé, plongeant la famille dans une situation difficile. Après mûre réflexion, Thanappa choisit de ne pas livrer la lettre immédiatement. Le mariage de Kamakshi se déroule donc sans accroc, et la famille est comblée de bonheur. Après la cérémonie, Thanappa remet enfin la lettre à Ramanujam, en expliquant calmement pourquoi il en avait retardé sa livraison ...

Dans "The Blind Dog", un chien errant rôdant autour du marché de Malgudi survit en se nourrissant des restes et en évitant les coups. Sa vie prend un singulier tournant lorsqu'il rencontre un homme aveugle, un vendeur de cannes de bambou : celui-ci lui offre un jour un morceau de nourriture et, reconnaissant, le chien commence à le suivre. Progressivement, le chien devient les "yeux" de l'aveugle, le guidant à travers la ville et celui-ci  réalise rapidement que le chien peut faire bien plus que le guider. Il attache une corde au cou de l’animal et l’utilise pour attirer les clients en suscitant la pitié. Grâce au chien, ses revenus augmentent considérablement. Cependant, cette relation devient de plus en plus unilatérale : le chien est maltraité et privé de liberté. Un jour, un groupe d’hommes, touchés par la condition l'animal, décide de lui rendre sa liberté. Le chien s’enfuit, mais reviendra de lui-même quelques jours plus tard pour reprendre sa place auprès de son maître ...

 

"Malgudi Days" a été adapté en une série télévisée très populaire dans les années 1980, réalisée par Shankar Nag. La série a contribué à la popularité du livre et a permis à une nouvelle génération de découvrir l'univers de Malgudi.


"The Vendor of Sweets" (1967) 

Toujours situé dans la ville fictive de Malgudi, ce court roman met en scène un conflit entre un père et un fils, un conflit qui sait illustrer les tensions générées par la modernisation de l’Inde postcoloniale. Jagan, un homme de soixante-cinq ans, est le propriétaire d’une boutique de sucreries prospère à Malgudi. Il est profondément influencé par les idéaux gandhiens : il prône la simplicité, lit régulièrement les œuvres de Gandhi et fabrique même ses propres chaussures en cuir. Malgré sa richesse, il vit de manière modeste et s’efforce de respecter les valeurs traditionnelles. Jagan est veuf et élève seul son fils, Mali. Leur relation est tendue, car Mali incarne tout ce que son père rejette. Ambitieux et attiré par l’Occident, Mali délaisse les traditions indiennes pour poursuivre des rêves modernes. Il abandonne ses études en Inde et s’envole pour les États-Unis, laissant Jagan perplexe et désemparé.

Après plusieurs années, Mali revient à Malgudi avec une idée commerciale audacieuse : il veut introduire une machine à écrire des romans pour révolutionner l’industrie littéraire en Inde. Il est accompagné d’une jeune femme nommée Grace, qu’il présente comme sa femme. Cependant, Jagan découvre plus tard que leur union n’est pas légitime, ce qui le plonge dans un conflit moral. Mali demande à Jagan de financer son projet, mais ce dernier est réticent. Il voit dans les ambitions de son fils une déviation des valeurs indiennes. Les tensions entre eux s’intensifient lorsque Jagan apprend que Grace n’est pas indienne mais américaine, ce qui symbolise encore davantage l’écart culturel qui les sépare. Malgré sa tendresse pour Mali, Jagan ne peut que prendre ses distances avec son fils et décide de se retirer de la vie matérielle pour rechercher cette paix spirituelle qu'il poursuit tant. Il confie son commerce à un assistant et trouve un réconfort dans la solitude, tandis que Mali est arrêté pour des activités illégales liées à son projet commercial...


"The Ramayana: A Shortened Modern Prose Version of the Indian Epic" (2006) : presque tous les individus vivant en Inde", écrit R. K. Narayan dans l’introduction à cette nouvelle interprétation, ne peuvent ignorer lae plus grand des épopées indiennes et l’un des chefs-d’œuvre mondiaux de la narration. Le Ramayana imprègne notre vie culturelle et probablement vers le IVe siècle avant JC, les poètes ont produit d’innombrables versions variantes dans différentes langues. Ici, s’inspirant de l’œuvre d’un poète tamoul du XIe siècle nommé Kamban, Narayan a utilisé les talents d’un romancier-maître pour recréer toute l'extraordinaire expérience qu'il a pu ressentir à la lecture de l’original.  

Le livre raconte l'histoire classique de Rama, prince d'Ayodhya, et de son exil, accompagné de sa femme Sita et de son frère Lakshmana. L'épopée couvre l'exil de Rama, causé par une intrigue au palais; l'enlèvement de Sita par Ravana, le roi démon de Lanka; la quête de Rama pour récupérer Sita, aidé par Hanuman et une armée de singes; la bataille finale contre Ravana et la restauration de Rama comme roi d'Ayodhya. Narayan nous propose une version concise, simplifiée, et accessible aux lecteurs modernes, en préservant les valeurs et la spiritualité essentielles du texte d'origine.


Raja Rao (1908-2006)  

Né à Hassan, dans l'État de Mysore (Karnataka), d'une illustre famille de brahmanes du sud de l'Inde, Raja Rao  fréquente le Nizam College d'Hyderabad, dont il sort diplômé d'une licence en 1929, part en France étudier la littérature et l'histoire à l'université de Montpellier et à la Sorbonne et se fait rapidement connaître par ses nouvelles et ses contributions à diverses revues, telles que Le Mercure de France et les Cahiers du Sud. Il retourne en Inde en 1933, la même année où, en Europe et aux États-Unis, ses premiers récits sont publiés. Son premier roman, "Kanthapura" (1938), prend pour thème le mouvement indépendantiste indien et son impact dans le moindre des petits villages de cet immense continent. Il participe au mouvement pour l’indépendance de l’Inde et s’engage dans des activités clandestines contre les Britanniques. Il retourne en France en 1948 puis alterne un certain temps entre l’Inde et l’Europe. Il a visité les États-Unis pour la première fois en 1950 et, en 1966, il est devenu professeur de philosophie à l’université du Texas à Austin. Il a publié plusieurs romans, "The Serpent and the Rope" (1960), l'allégorique "The Cat and Shakespeare : A Tale of India" (1965), "The Chessmaster and His Moves" (1988), et des nouvelles rassemblées sous les titres "The Cow of the Barricades and Other Stories" (1947) et "The Policeman and the Rose" (1978). Il est également l'auteur de la biographie "The Great Indian Way : A Life of Mahatma Gandhi" (1998), une biographie qui bouleverse le genre avec une chronologie non linéaire, inventive, du dialogue et de l'anecdote :  Rao se concentre au passage sur les années de Gandhi en Afrique du Sud, sur la naissance de la notion de résistance non-violente puis nous entraîne dans l’épique lutte pour la liberté en Inde qui a donné à Gandhi sa renommée mondiale ...

 

Parmi les écrivains indiens en anglais, nous explique R. Parthasarathy dans son introduction de "Kanthapura", Raja Rao est peut-être unique dans sa tentative non seulement de nativiser mais aussi de "sanskritiser" la langue anglaise.

La "sanskritisation" est utilisée ici dans le sens où elle est comprise par les anthropologues comme un processus de changement social et culturel dans la civilisation indienne. "Rao pousse à leurs limites toutes les ressources expressives de la langue. Par conséquent, la réalité indienne qui émerge de son écriture est authentique. Parmi les principaux problèmes auxquels l’écrivain indien doit faire face, il y a d’abord l’expression des modes de pensée et de sentiment propres à sa culture et ensuite la terminologie. Rao surmonte le premier problème en s’appuyant invariablement sur le kannada et le sanskrit, et dans le processus il utilise des dispositifs tels que la traduction par emprunt, les équivalences idiomatiques et syntaxiques, et l’imitation de répertoires de style natif. Il surmonte le deuxième problème de trouver des mots pour des objets culturellement liés en les contextualisant afin que leurs significations soient évidentes. En évoquant l’ambiance culturelle nécessaire, ces stratégies aident l’écrivain à faire partie du courant dominant des littératures de l’Inde ..."

 

"Kanthapura" (1938)

Premier roman de Raja Rao, devenu un classique de la littérature indienne en anglais. Le roman est une chronique de la vie dans un petit village du sud de l'Inde, le village fictif de Kanthapura, pendant la période de lutte pour l'indépendance, en particulier pendant le mouvement du Quit India lancé par le Mahatma Gandhi en 1942. 

Le roman est raconté à travers les yeux de Achakka, une vieille femme du village, et adopte une technique narrative qui rappelle la tradition indienne du récit collectif et spirituel et contribue à donner au roman un véritable sentiment d'ancrage dans la culture indienne traditionnelle ("An attempt at puranic recreation of Indian storytelling: that is to say, the story, as story, is conveyed through a thin thread to which are attached (or which passes through) many other stories, fables, and philosophical disquisitions, like a mala (garland)"). 

L'intrigue se concentre sur l'impact de l'appel de Gandhi à la désobéissance civile, particulièrement la lutte pour le sel, et sur la façon dont le village réagit à ces événements nationaux. Moorthy, un jeune homme éduqué et influencé par Gandhi, devient le leader du mouvement de non-violence dans le village et pousse ses habitants à se joindre à la lutte pour l'indépendance. Cependant, cette résistance aux autorités coloniales est confrontée à des conflits internes et externes, y compris des divisions religieuses, des tensions entre les castes, et la répression violente des forces coloniales britanniques.

La lutte pour l'indépendance devient ici non seulement un moyen de libération politique, mais aussi un processus de libération spirituelle et morale. Moorthy, influencé par Gandhi, va chercher à émanciper les personnes opprimées, notamment les femmes et les membres des castes inférieures. L'auteur nous montre à quel point les idées de Gandhi sur l'égalité des castes, l'éducation des femmes et la non-violence peuvent bouleverser les structures sociales traditionnelles d'un village village. La figure féminine, représentée par des personnages comme Achakka et d'autres femmes du village, est centrale dans le roman ...

 

La préface de Kanthapura est révolutionnaire dans sa déclaration d'indépendance par rapport à la littérature anglaise, et elle est, par conséquent, devenue un guide stylistique classique pour les écrivains dont l'anglais n'est pas la langue maternelle, partout.....

 

"There is no village in India, however mean, that has not a rich sthalapurana, or legendary history, of its own. Some god or godlike hero has passed by the village - Rama might have rested under this pipal tree, Sita might have dried her clothes, after her bath, on this yellow stone, or the Mahatma himself, on one of his many pilgrimages through the country, might have slept in this hut, the low one, by the village gate. In this way the past mingles with the present, and the gods mingle with men to make the repertory of your grandmother always bright. One such story from the contemporary annals of a village I have tried to tell.

 

« Il n'y a pas de village en Inde, aussi modeste soit-il, qui n'ait son propre sthalapurana, ou histoire légendaire. Un dieu ou un héros divin est passé par le village - Rama s'est peut-être reposé sous ce pipal, Sita a peut-être séché ses vêtements, après son bain, sur cette pierre jaune, ou le Mahatma lui-même, lors de l'un de ses nombreux pèlerinages à travers le pays, a peut-être dormi dans cette hutte, la plus basse, près de la porte du village. C'est ainsi que le passé se mêle au présent et que les dieux se mêlent aux hommes pour que le répertoire de votre grand-mère soit toujours lumineux. J'ai essayé de raconter une de ces histoires tirées des annales contemporaines d'un village.

 

The telling has not been easy. One has to convey in a language that is not one’s own the spirit that is one’s own. One has to convey the various shades and omissions of a certain thought-movement that looks maltreated in an alien language. I use the word ‘alien,’ yet English is not really an alien language to us. It is the language of our intellectual make-up - like Sanskrit or Persian was before - but not of our emotional make-up. We are all instinctively bilingual, many of us writing in our own language and in English. We cannot write like the English. We should not. We cannot write only as Indians. We have grown to look at the large world as part of us. Our method of expression therefore has to be a dialect which will some day prove to be as distinctive and colorful as the Irish or the American. Time alone will justify it.

 

Le récit n'a pas été facile. Il faut transmettre dans une langue qui n'est pas la sienne l'esprit qui est le sien. Il faut transmettre les différentes nuances et omissions d'un certain mouvement de pensée qui semble maltraité dans une langue étrangère. J'utilise le mot « étranger », mais l'anglais n'est pas vraiment une langue étrangère pour nous. C'est la langue de notre constitution intellectuelle - comme l'étaient auparavant le sanskrit ou le persan - mais pas de notre constitution émotionnelle. Nous sommes tous instinctivement bilingues, beaucoup d'entre nous écrivant dans leur propre langue et en anglais. Nous ne pouvons pas écrire comme les Anglais. Nous ne devons pas le faire. Nous ne pouvons pas écrire uniquement en tant qu'Indiens. Nous avons appris à considérer le monde comme une partie de nous-mêmes. Notre méthode d'expression doit donc être un dialecte qui se révélera un jour aussi distinctif et coloré que l'irlandais ou l'américain. Le temps seul le justifiera.

 

After language the next problem is that of style. The tempo of Indian life must be infused into our English expression, even as the tempo of American or Irish life has gone into the making of theirs.  We, in India, think quickly, we talk quickly, and when we move we move quickly. There must be something in the sun of India that makes us rush and tumble and run on. And our paths are paths interminable. The Mahabharata has 214,778 verses and the Ramayana 48,000. The puranas are endless and innumerable. We have neither punctuation nor the treacherous ‘ats’ and ‘ons’ to bother us—we tell one interminable tale. Episode follows episode, and when our thoughts stop our breath stops, and we move on to another thought. This was and still is the ordinary style of our storytelling. I have tried to follow it myself in this story. It may have been told of an evening, when as the dusk falls, and through the sudden quiet, lights leap up in house after house, and stretching her bedding on the veranda, a grandmother might have told you, newcomer, the sad tale of her village."

 

Après la langue, le problème suivant est celui du style. Le rythme de la vie indienne doit être insufflé dans notre expression anglaise, tout comme le rythme de la vie américaine ou irlandaise est entré dans l'élaboration de la leur.  En Inde, nous pensons vite, nous parlons vite, et quand nous bougeons, nous le faisons vite. Il doit y avoir quelque chose dans le soleil de l'Inde qui nous pousse à nous précipiter, à dégringoler et à courir. Et nos chemins sont des chemins interminables. Le Mahabharata compte 214 778 vers et le Ramayana 48 000. Les puranas sont infinis et innombrables. Nous n'avons ni la ponctuation ni les perfides « ats » et « ons » pour nous déranger - nous racontons une histoire interminable. Les épisodes se succèdent, et lorsque nos pensées s'arrêtent, notre souffle s'arrête, et nous passons à une autre pensée. C'était et c'est toujours le style ordinaire de nos récits. J'ai essayé de le suivre moi-même dans cette histoire. Elle a peut-être été racontée un soir, lorsque, à la tombée du jour et dans le calme soudain, les lumières s'allument d'une maison à l'autre et que, étendant sa literie sur la véranda, une grand-mère aurait pu vous raconter, nouveau venu, la triste histoire de son village ».


"The Serpent and the Rope"  (Raja Rao, 1959)

Ce deuxième roman de Raja Rao est considéré comme son chef-d'œuvre : c'est avant tout un dialogue entre l'Orient et l'Occident à travers l'évocation de la vie d'un jeune intellectuel brahmane et de son épouse, partis en quête de la vérité spirituelle à travers l'Inde, la France et l'Angleterre. Ramaswamy, le narrateur, est de retour en Inde après un long séjour en France ou il prépare une thèse d`histoire médiévale. En fait, c`est à l'occasion de la mort de son père qu`il a entrepris ce long voyage, car, s`il appartient à une caste de brahmanes, Rama se sent un peu éloigné de son pays et de ses croyances. ll a épousé une Française de six ans son aînée. Madeleine, professeur à Aix-en-Provence; ils ont même eu un enfant, Pierre, qui est mort âgé de quelques mois seulement. En Inde, Rama retrouve ses sœurs, sa jeune belle-mère; un pèlerinage à Bénarès constitue un véritable retour aux sources. Et c`est un Rama tout différent qui rentre en France pour poursuivre ses études. Il y a bien sûr l`amour de Madeleine, mais il y a aussi le rire de Savithrí, la jeune Indienne qu'il retrouvera à Cambridge. Il y a aussi le souvenir du petit Pierre, qui hante Madeleine, et les longues conversations mystiques entre les deux époux. Madeleine, peu à peu, incline vers le bouddhisme et l`ascétisme. Bientôt Rama doit repartir en Inde pour y marier l`une de ses sœurs. Cette fois, il laisse à Aix une Madeleine enceinte. Là-bas, Rama, qui a toujours eu les poumons fragiles, tombe malade. C`est au cours des longs mois de sa convalescence qu`il apprendra la mort de l`enfant de Madeleine.

Au retour, rien n'est plus pareil. Madeleine se réfugie dans une foi bizarre, inspirée de Bouddha et de l'hérésie albigeoise; elle a renoncé à Rama et demande le divorce pour qu`il puisse épouser une fille de son pays. Dans ce long récit poétique, d`une lenteur tout indienne, les contes et les fables se greffent sur l`intrigue proprement dite, prenant une importance particulière. C`est à l`une d`elles que l`ouvrage doit son titre. "Il n`y a pas de paradis. Ou bien le monde est réel, ou il est irréel. C'est la corde ou le serpent. Il n`y a pas de milieu sinon en poésie, sinon en sainteté. On peut répéter toute la journée; non, non, c'est une corde! tout en piétinant le serpent. Mais imaginez le serpent et vous verrez le paradis, les saints, des avatars, des dieux, des héros, des univers, car où que vous alliez, vous ne voyez qu'avec les yeux du serpent. Vous contemplez la corde à partir du serpent, vous conférez l'existence au serpent, et à vous-même, et à la corde par dessus le marché" (trad. Calmann-Lévy).


"The Cat and Shakespeare, A Tale of India" (La Chatte et Shakespeare, 1965)

Une histoire à de multiples sens (métaphysique, allégorique), contée par un brahmane timide, Ramakrishna Pai, un employé ordinaire du gouvernement à Trivandrum (Kerala) :  simple, sincère et pragmatique, mais souvent distrait par les énigmes philosophiques de la vie, voici son existence est merveilleusement bouleversée par le formidable Govindan Nair, un truculent employé de bureau, à la fois son mentor spirituel et son ami. Nair est un personnage excentrique qui combine une sagesse profonde avec des comportements loufoques. Il introduit des concepts philosophiques complexes, souvent en utilisant des métaphores inattendues. L’histoire s’articule autour de la relation entre Pai et Nair. Ils discutent souvent de la vie, de la religion et de la philosophie, en particulier les notions de la foi en Dieu et de l’absurdité des conventions sociales. À travers des conversations et des anecdotes, Rao dépeint le monde bureaucratique indien et les complexités de la vie domestique, en les reliant subtilement à des concepts spirituels, tout en évoquant avec autant de réalisme que de poésie la vie quotidienne d'une ville de l'Inde du Sud pendant la Seconde Guerre mondiale. Des amours et des morts, un peu de corruption et d'hypocrisie, autant de renoncement que de joie de vivre. Et l'angoisse d'Hamlet avec la moins aristotélicienne des logiques : celle du Vedanta, impitoyable et tendre. "La Chatte et Shakespeare", c'est une "comédie métaphysique", nous dit Raja Rao. Mais l'écrivain, un des plus passionnants de l'Inde modeme, ajoute : "Je crois que c'est aussi un livre de prière." Le titre, "The Cat and Shakespeare", prend sa source dans une métaphore utilisée par Nair pour illustrer la foi et l’abandon spirituel (le concept de bhakti (dévotion) et de foi totale en Dieu). Le chat, selon lui, représente Dieu, qui prend soin de ses disciples comme une mère chatte transporte ses petits, tenant leurs destins entre ses dents avec douceur. Cette image devient une allégorie de la confiance totale en une force supérieure. 

Pai, malgré son rôle de narrateur, reste préoccupé par les tracas de sa vie quotidienne : son travail, sa famille, et les disputes sur un terrain immobilier. Ces éléments servent de toile de fond à des discussions plus profondes entre lui et Nair. Rao insuffle de l’humour à travers des descriptions de bureaucrates inefficaces et de coutumes sociales absurdes. Et Shakespeare est évoqué comme une figure symbolique représentant la sagesse universelle et la complexité de l’expérience humaine. Nair cite Shakespeare pour expliquer ses théories sur le karma, l’amour et la destinée : illustrant comment les textes occidentaux peuvent enrichir une perspective indienne tout en la complétant...

À mesure que l’histoire progresse, Pai commence à comprendre les leçons de Nair sur la foi et le détachement. Le récit atteint un point culminant lorsque Pai, confronté à des défis personnels et professionnels, découvre une forme de paix intérieure grâce aux enseignements philosophiques de Nair. Le roman se termine sur une note ouverte, symbolisant la continuité du voyage spirituel...

 

À ce court roman est jointe une nouvelle, "Le Camarade Kirilov" (Comrade Kirilovl), qui a sans doute demandé beaucoup d'enthousiasme à un intellectuel indien pour s'adapter aux surprises de l'Histoire lorsqu'il a grandi dans les mirages de la théosophie moderne avant de se convertir au marxisme, et lorsqu'il défend, à Londres, en 1942 comme en 1936, la pensée de Staline. Padmanabhan, dit Kirilov, met la grammaire sanscrite au service du matérialisme dialectique, disserte, voyage, pleure et s'agite, sans que l'Inde, déesse immobile, s'en aperçoive un seul instant; même si, pour finir, elle accueille au bord de la mer sacrée un petit orphelin, le fils de Kirilov. (Trad. Calmann-Lévy, 1966).


Mulk Raj Anand (1905-2004) 

Né à Peshawar (aujourd'hui Pakistan), dans une famille sikhe, Anand est diplômé en 1924 du Khalsa College d’Amritsar ,  poursuit des études à l’université de Cambridge et obtient un doctorat en philosophie de l’University College de Londres. Pendant ses études universitaires, il fréquentera le groupe de Bloomsbury qui inspireront ses techniques narratives, en particulier dans son roman fondateur "Intouchable "(1935), dans lequel il a cherché à représenter les dures réalités de l’injustice sociale en Inde. Dans "Conversations in Bloomsbury" (1981), il rappellera ses rencontres avec des écrivains, des artistes et des critiques illustres, dont D.H. Lawrence, Clive Bell, Nancy Cunard, E.M. Forster, Eric Gill et Aldous Huxley.  Anand est l’un des membres fondateurs de la Progressive Writers’ Association, établie à Londres en 1935, une organisation qui avait pour but de traiter les questions sociales par la littérature et de défendre la justice sociale et l’égalité en Inde avant l’indépendance (on y retrouvera Ahmed Ali, Premchand, Ismat Chughtai, Faiz Ahmed Faiz et Saadat Hasan Manto). Pendant ses 20 ans de séjour en Europe, il s’est engagé politiquement dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde et a écrit une série de livres sur divers aspects de la culture sud-asiatique, dont "Persian Painting" (1930), "Curries and Other Indian Dishes" (1932), "The Hindu View of Art" (1933), "The Indian Theatre" (1950) et "Seven Little-Known Birds of the Inner Eye" (1978), les deux derniers écrits après son retour en Inde.

 

"Intouchable" (1935) 

Roman et l'un des premiers ouvrages historiques socialement engagés dans la littérature indienne, Anand livre un portrait brut des dures réalités auxquelles sont confrontés les « intouchables » de la société indienne.

La représentation des luttes de Bakha, un jeune homme dalit  confronté à la discrimination sociale et à l'humiliation en raison de son statut, met en évidence l’oppression systématique et les injustices sociales enracinées dans le système des castes. 

 "Intouchable" ne pouvait être écrit que par un Indien et par un Indien qui observait de l'extérieur. Aucun Européen, aussi sympathique soit-il, n'aurait pu créer le personnage de Bakha, parce qu'il n'aurait pas pu appréhender suffisamment la réalité du personnage. Et aucun intouchable n'aurait pu écrire le livre, parce qu'il se serait laissé emporter par l'indignation et l'apitoiement.  De par sa caste, Arnand se retrouvait donc dans une position idéale....

 

"No wonder that the dirt enters into his soul, and that he feels himself at moments to be what he is supposed to be. It is sometimes said that he is so degraded that he doesn’t mind, but this is not the opinion of those who have studied his case, nor is it borne out by my own slight testimony: I remember on my visits to India noticing that the sweepers were more sensitive-looking and more personable than other servants, and I knew one who had some skill as a poet. "Untouchable" could only have been written by an Indian and by an Indian who observed from the outside. No European, however sympathetic, could have created the character of Bakha, because he would not have known enough about his troubles. And no "Untouchable could have written the book, because he would have been involved in indignation and self-pity. Mr. Anand stands in the ideal position. By caste he is a Kshatriya, and he might have been expected to inherit the pollution-complex. But as a child he played with the children of the sweepers attached to an Indian regiment, he grew to be fond of them, and to understand a tragedy which he did not share. He has just the right mixture of insight and detachment, and the fact that he has come io fiction through philosophy has given him depth. It might have given him vagueness—that curse of the generalising mind—but his hero is no suffering abstraction. Bakha is a real individual, lovable, thwarted, sometimes grand, sometimes weak, and thoroughly Indian. Even his physique is distinctive; we can recognise his broad intelligent face, graceful torso, and heavy buttocks, as he does his nasty jobs, or stumps out in artillery boots in hopes of a pleasant walk through the city with a paper of cheap sweets in his hand...." (E. M. Forster).

 

"... He crossed the street to where the Bengali sweetmeat-seller’s shop was. His mouth began to water for the burfi (the sugar candy) that lay covered with silver paper on a tray near the dirtily-clad, fat confectioner. ‘Eight annas in my pocket,’ he said to himself, ‘dare I buy some sweets? If my father comes to know that I spend all my money on sweets,’ he thought and hesitated, ‘but come, I have only one life to live,’ he said to himself, ‘let me taste of the sweets; who knows, to-morrow I may be no more.’ 

Standing in a corner, he stole a glance at the shop to see which was the cheapest thing he could buy. His eyes scanned the array of good things; rasgulas, gulabjamans and ludus. They were all so lushly, expensively smothered in syrup, that he knew they certainly could not be cheap, certainly not for him, because the shop- keepers always deceived the sweepers and the poor people, charging them much bigger prices, as if to compensate themselves for the pollution they courted by dealing with the outcastes. He caught sight of jalebis. He knew they were cheap. He had bought them before. He knew the rate at which they were sold, a rupee a seer (two pounds). 

 

 Il traversa la rue jusqu'à l'endroit où se trouvait la boutique du vendeur de friandises bengali. Il commença à avoir l'eau à la bouche pour le burfi (le bonbon au sucre) qui reposait, recouvert de papier d'argent, sur un plateau près du gros confiseur vêtu de vêtements sales. Huit annas en poche », se dit-il, »oserai-je acheter des sucreries ? Si mon père apprend que je dépense tout mon argent en sucreries », il réfléchit et hésite, “mais enfin, je n'ai qu'une vie à vivre”, se dit-il, “laissez-moi goûter aux sucreries ; qui sait, demain, je ne serai peut-être plus de ce monde”. 

Debout dans un coin, il jette un coup d'œil à la boutique pour voir quelle est la chose la moins chère qu'il peut acheter. Ses yeux balayèrent l'éventail de bonnes choses : rasgulas, gulabjamans et ludus. Ils étaient tous si abondamment et si chèrement arrosés de sirop qu'il savait qu'ils ne pouvaient certainement pas être bon marché, en tout cas pas pour lui, car les commerçants trompaient toujours les balayeurs et les pauvres, en leur faisant payer des prix beaucoup plus élevés, comme pour se dédommager de la pollution qu'ils s'attiraient en traitant avec les parias. Il aperçut des jalebis. Il savait qu'ils n'étaient pas chers. Il en avait déjà acheté. Il connaissait le prix auquel ils étaient vendus, une roupie par seer (deux livres). 

 

‘Four annas’ worth of jalebis,’ Bakha said in a low voice as he courageously advanced from the corner where he had stood. His head was bent. He was vaguely ashamed and self-conscious sad being seen buying sweets. The confectioner smiled faintly at a crudeness of the sweeper’s taste, for jalebis are rather coarse stuff and no one save a greedy low-caste man would ever buy four annas’ worth of jalebis. But he was a shop-keeper. He affected a casual manner and picking up his scales abruptly, began to put the sweets in one pan against bits of stone and some black, round iron weights which he threw into the other. The alacrity with which he lifted the little string attached to the middle of the rod, balanced the scales for the shortest possible space of time and threw the sweets into a piece torn off an old Daily Mail, was as amazing as it was baffling to poor Bakha, who knew he had been cheated, but dared not complain. He caught the jalebis which the confectioner threw at him like,a cricket ball, placed four nickel coins on the shoe-board for the confectioner’s assistant who stood ready to splash some water on them, and he walked away embarrassed, yet happy. 

 

Quatre annas de jalebis », dit Bakha à voix basse en s'avançant courageusement du coin où il s'était tenu. Sa tête était penchée. Il était vaguement honteux et gêné d'être vu en train d'acheter des sucreries. Le confiseur sourit faiblement devant la grossièreté des goûts du balayeur, car les jalebis sont des produits plutôt grossiers et personne, à l'exception d'un homme de basse caste avide, n'achèterait jamais pour quatre annas de jalebis. Mais c'était un commerçant. Il prit un air désinvolte et, saisissant brusquement sa balance, commença à mettre les bonbons dans un plateau contre des morceaux de pierre et des poids de fer noirs et ronds qu'il jeta dans l'autre. L'empressement avec lequel il souleva la petite ficelle attachée au milieu de la tige, équilibra la balance le plus rapidement possible et jeta les bonbons dans un morceau déchiré d'un vieux Daily Mail, était aussi étonnant que déconcertant pour le pauvre Bakha, qui savait qu'il avait été trompé, mais n'osait pas se plaindre. Il attrapa les jalebis que le confiseur lui lançait comme une balle de cricket, déposa quatre pièces de cinq cents sur la planche à chaussures pour l'assistant du confiseur qui se tenait prêt à les asperger d'eau, et il s'en alla, embarrassé, mais heureux. 

 

His mouth was watering. He unfolded the paper in which the jalebis were wrapped and put a piece hastily into his mouth. The taste of the warm and sweet syrup was satisfying and delightful. He attacked the packet again. It was nice to fill one’s mouth he felt, because only then could you feel the full savour of the thing. It was wonderful to walk along like that, munching and looking at all the sights. The big signboards advertising the names of Indian merchants, lawyers, and medical men, their degrees and professions, all in broad, huge blocks of letters, stared down at him from the upper stories of the shops. He wished he could read all the luridly painted boards. But he found consolation in’ recalling the arrangement he had made for beginning his lessons in English that afternoon. Then his gaze was drawn to a figure sitting in a window. He stared at her absorbed and unself-conscious. 

‘Keep to the side of the road, you low-caste vermin!’ he suddenly heard someone shouting at him. ‘Why don’t you call, you swine, and announce your approach! Do you know you have touched me and defiled me, you cock-eyed son of a bow-legged scorpion! Now I will have to go and take a bath to purify myself. And it was a new dhott and shirt I put on this morning!’ 

Bakha stood amazed, embarrassed. He was deaf and dumb. His senses were paralysed. Only fear gripped his soul, fear and humility and servility. He was used to being spoken to roughly. But he had seldom been taken so unawares. The curious smile of humility which always hovered on his lips in the presence of high-caste men now became more pronounced. He lifted his face to the man opposite him, though his eyes were bent down. Then he stole a hurried glance at the man. The fellow’s eyes were flaming and red-hot. 

 

Il avait l'eau à la bouche. Il déplia le papier dans lequel les jalebis étaient enveloppés et en mit un morceau dans sa bouche. Le goût du sirop chaud et sucré était satisfaisant et délicieux. Il s'attaqua de nouveau au paquet. Il était agréable de se remplir la bouche, car ce n'est qu'ainsi que l'on peut sentir toute la saveur de la chose. C'était merveilleux de se promener ainsi, en grignotant et en regardant tout ce qui se passait. Les grands panneaux annonçant les noms des commerçants, des avocats et des médecins indiens, leurs diplômes et leurs professions, le tout en gros caractères, le regardaient depuis les étages supérieurs des magasins. Il aimerait pouvoir lire tous ces panneaux peints de façon criarde. Mais il se consola en se rappelant les dispositions qu'il avait prises pour commencer ses cours d'anglais cet après-midi-là. Puis son regard fut attiré par une silhouette assise à une fenêtre. Il la fixa d'un air absorbé, sans se poser de questions. 

Il entendit soudain quelqu'un lui crier : « Reste sur le côté de la route, vermine de basse caste ! Pourquoi n'appelles-tu pas, espèce de porc, et n'annonces-tu pas ton approche ? Sais-tu que tu m'as touché et que tu m'as souillé, fils de scorpion à la jambe arquée ! Il va falloir que j'aille prendre un bain pour me purifier. Et c'est un nouveau dhott et une nouvelle chemise que j'ai mis ce matin ! 

Bakha resta stupéfait, embarrassé. Il était sourd et muet. Ses sens étaient paralysés. Seule la peur s'emparait de son âme, la peur, l'humilité et la servilité. Il était habitué à ce qu'on lui parle durement. Mais il avait rarement été pris aussi au dépourvu. Le curieux sourire d'humilité qui flottait toujours sur ses lèvres en présence d'hommes de haute caste s'accentua. Il leva son visage vers l'homme en face de lui, bien que ses yeux fussent baissés. Puis il jeta un coup d'œil précipité à l'homme. Les yeux de l'homme étaient flamboyants et rouges. 

 

"You swine, you dog, why didn’t you shout and warn me of your approach!’ he shouted as he met Bakha’s eyes. ‘Don’t you know, you brute, that you must not touch me!’ 

Bakha’s mouth was open. But he couldn’t utter a single word. He was about to apologise. He had already joined his hands instinctively. Now he bent his forehead over them, and he mumbled something. But the man didn’t care what he said. Bakha was too confused in the tense atmosphere which surrounded him to repeat what he had said, or to speak coherently and audibly. The man was not satisfied with dumb humility. 

‘Dirty dog! Son of a bitch! The offspring of a pig!’ he shouted, his temper spluttering on his tongue and obstructing his speech, and the sense behind it, in its mad rush outwards. ‘I... I'll have to go-o-o...and get washed—d—d...I,..I was going to business and now . . . now, on account of you, I'll be late.’ 

A man had stopped alongside to see what was up, a white-clad man, wearing the distinctive dress of a rich Hindu merchant, The aggrieved one put his case before him, trying to suppress his rage all the while with his closed, trembling lips which hissed like a snake’s: 

‘This dirty dog bumped right into me! So unmindfully do these sons of bitches walk in the streets ! He was walking along without the slightest effort at announcing his approach, the swine!’ 

 

« Espèce de porc, de chien, pourquoi n'as-tu pas crié pour m'avertir de ton approche ? s'écria-t-il en croisant le regard de Bakha. Ne sais-tu pas, brute, que tu ne dois pas me toucher ? 

Bakha avait la bouche ouverte. Mais il n'arrive pas à prononcer un seul mot. Il était sur le point de s'excuser. Il avait déjà joint ses mains instinctivement. Maintenant, il penchait son front sur elles et marmonnait quelque chose. Mais l'homme ne se soucie pas de ce qu'il dit. Bakha était trop confus dans l'atmosphère tendue qui l'entourait pour répéter ce qu'il avait dit, ou pour parler de façon cohérente et audible. L'homme n'était pas satisfait de l'humilité muette. 

'Sale chien ! Fils de pute ! Le rejeton d'un porc ! » cria-t-il, sa colère giclant sur sa langue et obstruant son discours, et le sens qui le sous-tendait, dans sa course folle vers l'extérieur. 'I... Je vais devoir aller-o-o... et me laver-d-d... Je,... j'allais travailler et maintenant... maintenant, à cause de vous, je vais être en retard ». 

Un homme s'était arrêté à côté pour voir ce qui se passait, un homme vêtu de blanc, portant l'habit distinctif d'un riche marchand hindou. La victime lui présenta son cas, essayant de réprimer sa rage tout en gardant ses lèvres fermées et tremblantes qui sifflaient comme celles d'un serpent : Ce sale chien m'a foncé dessus ! C'est ainsi que ces fils de pute marchent sans réfléchir dans les rues ! Il marchait sans faire le moindre effort pour annoncer son approche, le cochon ! 

 

Bakha stood still, with his hands joined, though he dared to lift his forehead, perspiring and knotted) with its hopeless and futile expression of meekness. 

A few other men gathered round to see what the row was about, and as there are seldom any policemen about in Indian streets, the constabulary being highly corrupt, as it is drawn from amongst rogues and scoundrels, on the principle of ‘set a thief to catch a thief,’ the pedestrians formed a circle round Bakha, keeping at a distance of several yards from him, but joining in to aid and encourage the aggrieved man in his denunciations. 

The poor lad confused still more by the conspicuous place he occupied in the middle of the crowd, felt like collapsing. His first impulse was to run, just to shoot across the throng, away, away, far away from the torment. But then he realised that he was surrounded by a barrier, not a physical barrier, because one push from his hefty shoulders would have been enough to unbalance the skeleton-like bodies of the Hindu merchants, but a moral one. He knew that contact with him, if he pushed through, would defile a great many more of these men. And he could already hear in his ears the abuse that he would thus draw on himself, ‘Don’t know what the world is coming to! These swine are getting more and more uppish!’ said a little, old man. ‘One of his brethren who cleans the lavatory of my house, announced the other day that he wanted two rupees a month instead of one rupee, and the food that he gets from us daily.’ ..."

 

Bakha resta immobile, les mains jointes, bien qu'il osât lever le front, transpirant et noué, avec son expression désespérée et futile de douceur, Quelques autres hommes se rassemblèrent pour voir ce qu'il en était de la dispute, et comme il y a rarement des policiers dans les rues indiennes, Comme il y a rarement des policiers dans les rues de l'Inde, la police étant très corrompue, puisqu'elle est recrutée parmi les voleurs et les vauriens, selon le principe « mettre un voleur pour attraper un voleur », les piétons formèrent un cercle autour de Bakha, se tenant à une distance de plusieurs mètres de lui, mais se joignant à lui pour aider et encourager l'homme lésé dans ses dénonciations. Le pauvre garçon, encore plus troublé par la place visible qu'il occupait au milieu de la foule, eut envie de s'effondrer. Son premier réflexe fut de courir, de filer à travers la foule, loin, loin, loin de ce supplice. Mais il se rendit compte qu'il était entouré d'une barrière, non pas physique, car une seule poussée de ses lourdes épaules aurait suffi à déséquilibrer les corps squelettiques des marchands hindous, mais morale. Il savait que son contact, s'il le franchissait, souillerait un grand nombre de ces hommes. Et il entendait déjà dans ses oreilles les injures qu'il s'attirerait ainsi : « Vous ne savez pas où en est le monde ! Ces porcs sont de plus en plus huppés », disait un petit vieux. Un de ses frères qui nettoie les toilettes de ma maison a annoncé l'autre jour qu'il voulait deux roupies par mois au lieu d'une roupie et de la nourriture qu'il reçoit de nous chaque jour...."

 

Le roman s'ouvre avec Bakha, un jeune garçon dalit (intouchable), qui se réveille tôt pour accomplir son travail quotidien de balayage dans la ville. Il vit avec son père, sa sœur et son frère dans une maison misérable. Chacune de ses tâches quotidiennes, fut-elle la plus infâme comme de nettoyer les latrines, sont sources d'humiliations et de rejets. Fatigué et désespéré, il rencontre un jeune étudiant britannique, Clerk Sahib, qui incarne l'autorité coloniale britannique et l'impact de celle-ci sur les relations sociales en Inde, en particulier sur la hiérarchie des castes. Intervient un autre personnage, Lakha, une figure de l'autorité dans la communauté des intouchables, mais il personnifie le conformisme et les conflits internes qui partagent les intouchables eux-mêmes. Bakha poursuit son chemin de croix, un chapitre entier décrira l'étendue de la ségrégation dans la société indienne, l'indifférence et la cruauté constante à l'égard des intouchables, y compris celle des représentants religieux. C'est alors que Bakha, désespéré, rencontre Gandhi l’espoir pour les intouchables qui prône l'égalité et l'abolition du système des castes. Ce chapitre met en lumière l'influence croissante de Gandhi sur le mouvement pour l'égalité des castes et sur la lutte pour l'indépendance de l'Inde. Des réformes sont possibles, mais l’ampleur de la résistance sociale à ces idées est incontournable. Bouleversé par les humiliations et les injustices qu’il a vécues, Bakha semble gagner par un mouvement de révolte, une lueur d'espoir vient clore le livre...


"Coolie" (1936)

Anand retrace ici l`histoire d'un jeune Indien de quatorze ans, Munoo, orphelin, descendu de ses collines natales pour se placer tour à tour comme domestique, ouvrier dans une usine de conserves, puis dans une filature, comme porteur, etc.; battu, injurié, accablé de besogne, il s'échappe, va de ville en ville et meurt d'épuisement à quinze ans. Le lecteur pénètre à sa suite au sein de cette cohue des coolies qui travaillent et sont traités comme du bétail, dorment dehors dans les rues, dans les marchés, dans des huttes sordides. « Et la mort s'avançait sur la terre sous les formes illusoires de masses sombres, comme dans un cauchemar, tantôt lentes, sinueuses et souples, tantôt soudaines, comme des hordes haletantes s'abattent dans l'espace, hystériques et convulsées, formes multiples de Satan qui traque les hommes jusqu'à la mort". La misère qu'entretient le système de la dette, jointe à la passivité incroyable des masses indiennes, rend ces hommes peu perméables aux tentatives d'évolution sociale. En dépit de certaines longueurs, un roman riche de scènes décrites avec vigueur : les massacres de Bombay, la vie des ouvriers dans les usines, la douloureuse et parfois tragique opposition des hindous et des musulmans. "Coolie" fut traduit dans de nombreux pays (Trad. Nagel, 1948).


"Two Leaves and a Bud" (1937)

Un roman qui raconte l'histoire de la lutte des travailleurs dans les plantations de thé en Inde, où des paysans sont exploités par les colons britanniques. L'histoire suit un jeune paysan et sa famille qui se retrouvent pris dans les rouages de l'exploitation coloniale et dans la révolte contre l'injustice. Le roman est également un exemple du style socialiste d'Anand, qui critique la domination coloniale et ses inégalités économiques.

 

" Life is like a journey,’ thought Gangu as he sat by Buta, the Sardar of the Macpherson Tea Estate, in the toy train that was going up to Assam. He conld see the engine of the narrow-gauge railway puffing and panting as it skirted the edge of an incline through the Jungle. ‘A journey into the unknown,’ he said to himself, as his gaze was beaten back by the dark recesses of the foliage that seemed to swallow up the line. He looked at his wife, Sajani, who sat facing him? with his fourteen-year-old daughter Leila on one side, and his son Buddhu on the other. She seemed distant, absorbed in something, far away from him. What was die thinking ? he wondered. Why was die not connected with him ? How could she forget the deep intimacy that had subsisted between them since their youth? 

How could she leave him alone to face the responsibility of thinking out what life held in store for them in the new home ? Why couldn’t she talk to him and give him faith, strengthen his hope rather than merely depend on him? Once, in their youth, when she had come as a newly wedded bride, she had sung to him that song which was one of die most popular melodies of die year in the hills, Companion of my Lift and Death. And, always that tune had haunted him..."


"Private Life of an Indian Prince" (1953)

C`est l`une des rares œuvres indiennes. après celle de Tagore. à avoir atteint les pays occidentaux. Mulk Raj Anand décrit ici la destinée d`un de ces princes indiens qui ont vu leur pouvoir parfois millénaire s'effondrer irrésistiblement sous la poussée de la jeune démocratie indienne née de la libération de 1947. Le maharajah de Sham Pur, qui s`efforce vainement de résister au gouvernement de Nehru et compte sur I`appui de ses amis anglo-saxons. est peut-être un personnage de roman un peu trop complaisant aux thèses de l`auteur. Cependant l`atmosphère où vit le héros est authentiquement indienne et les portraits vivants et variés.

L`écrivain veut montrer que la fin d'un certain système de valeurs et la prise de conscience d'un âge nouveau peut poser des problèmes semblables aussi bien en Inde qu'en Occident. Dans ce roman, le maharajah de Sham Pur est peut-être le dernier à chasser le tigre, à posséder des voitures, une maîtresse qu'il couvre de bijoux, un splendide palais. Sans l`humour du romancier, la tragédie du maharajah pourrait être sordide tant le prince est en proie à d'affreuses crises d`hystérie qui dégénèrent en folie peu après que sa maîtresse l`a quitté. Quant à son médecin (qui raconte cette tragi-comédie). il constate que certaines familles sont usées par l'hérédité, et sur tous les continents. "J'étais fasciné, nous dit-il,  parce que je distinguais derrière la maladresse extérieure de Son Altesse les raisons de son déséquilibre. Son intelligence semblait s`être échappée par les larges brèches de son éducation et de son expérience. ll découvrait beaucoup de choses dont il essayait de faire matière simple, mais c`était un monceau de faits et de fantaisies contradictoires dont l'ensemble incongru aboutissait à une créature étrange et sauvage (...) Toute sa conduite scandaleuse était due en somme aux efforts incongrus qu'il faisait pour atteindre l`équilibre, pour devenir simple, mais il n`était arrivé qu`à être une sorte d`homme artificiel, une créature pathétique. un enfant gâté..." 


Et pour ne pas conclure, citons "The Penguin Book of Modern Indian Short Stories" (1990),  ed. Stephen Alter - Un superbe recueil qui contient certaines des meilleures nouvelles indiennes écrites au cours des cinquante dernières années, tant en anglais que dans une langue régionale - et  "The Vintage Book of Indian Writing 1947-1997" ...

Le sous-continent indien a produit certains des plus grands écrivains du monde, et un corps de littérature inégalée dans son imagination. Salman Rushdie et Elizabeth West ont ici rassemblé ce qu'ils considèrent comme les meilleurs écrits indiens des cinquante dernières années pour une publication (1997) qui coïncide avec l’anniversaire de l’indépendance indienne. Une créativité littéraire indienne post-indépendance qui reflète tout autant une période marquée par des changements sociaux, politiques, et culturels majeurs. Le livre s'adresse à un public mondial, en mettant en avant des œuvres qui transcendent les frontières culturelles et linguistiques tout en restant profondément enracinées dans la réalité indienne.

En introduction Rushdie fournit un aperçu personnel et critique de l'évolution de la littérature indienne post-indépendance, défendant notamment la centralité de la littérature en anglais...

 

L’anthologie inclut des extraits d’œuvres de grands écrivains indiens, couvrant une variété de genres, de styles, et de thèmes...

- R.K. Narayan (un extrait de The Painter of Signs, illustrant la vie quotidienne dans une petite ville indienne).

- Salman Rushdie (un extrait de Midnight's Children, un roman emblématique sur la partition et l'indépendance).

- Anita Desai (une exploration des dynamiques familiales et des luttes intérieures).

- Vikram Seth (des passages de "A Suitable Boy", une fresque sociale monumentale).

- Arundhati Roy (un extrait de "The God of Small Things", un roman primé sur les hiérarchies sociales et familiales en Inde.

L’anthologie donne également de la place à des écrivains moins connus, permettant de découvrir une diversité de voix littéraires. Elle inclut des poèmes, des nouvelles, et des essais, offrant une variété de formes littéraires, tels que Jayanta Mahapatra (ses poèmes atmosphériques, souvent liés à la spiritualité et à la nature), Shashi Deshpande  (la femme dans un contexte indien traditionnel), Rohinton Mistry (une prose qui révèle la complexité des relations intercommunautaires en Inde), Gieve Patel (poète et dramaturge explorant des thèmes liés à la mortalité et à l’inégalité) ...

L’accent mis sur la littérature indienne anglophone a suscité des critiques, certains estimant que les œuvres en langues régionales indiennes (hindi, bengali, tamoul, etc.) sont sous-représentées.