PAYSAGES - ASIE DU SUD - SOUTH ASIA - Salman Rushdie ...
South Asia - Indian Diaspora Literature - V.S. Naipaul (1932-2018), "A House for Mr. Biswas" (1961) - Kamala Markandaya (1624-2004), "Nectar in a Sieve" (1954) - Anita Desai (1937), "Clear Light of Day" (1980), "In Custody" (1984), "Fasting, Feasting" (1999) - Salman Rushdie (1947), "Midnight's Children" (1981), "The Satanic Verses" (1988) - ...
La diaspora indienne est l’une des plus anciennes et des plus influentes au monde. Sa taille (plus de 32 millions de personnes) et sa diversité (travailleurs sous contrat, professionnels qualifiés, entrepreneurs) reflètent l’évolution de l’histoire de l’Inde et de ses interactions globales. Elle continue de jouer un rôle crucial dans les sphères économique, politique, et culturelle à l’échelle mondiale, tout en conservant des liens forts avec son pays d’origine.
La diaspora indienne est extrêmement diverse, incluant des communautés d'immigrants aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Afrique de l’Est, en Asie du Sud-Est, et dans les Caraïbes.
Les écrivains de la diaspora indienne ont joué un rôle clé dans la mondialisation de la littérature, en combinant des traditions narratives indiennes avec des influences occidentales. Leur succès sur la scène internationale a contribué à la reconnaissance de l'Inde comme une puissance littéraire globale.
Ils montrent aussi, forts de leur expérience des impacts durables du colonialisme sur leurs cultures et leurs sociétés et sur les diasporas qu'il a généré, comment les migrations peuvent façonner l’identité et la mémoire collective, loin, très loin de ces dénonciations brutales et simplistes du mouvement migratoire que tentent de leur opposer des dirigeants occidentaux à courte vue. Le multiculturalisme est en marche, quoique l'on dise, mais cette diversité culturelle et linguistique demande, pour ne pas dire exige, d'être pensé pour être, non pas assimilé, mais intégré dans notre humanité commune. Et ce multiculturalisme semble de plus s'enrichir de nouvelles thématiques intégrant les relations entre les humains et la nature, notamment dans ce que l'on décrit par "contexte du changement climatique" ...
"India Moving: A History of Migration" de Chinmay Tumbe (2018) est le premier ouvrage exhaustif sur les migrations en Inde : composantes essentielles de l'histoire indienne, elles ont souvent été négligées comme sujet d'étude. Le livre décrit les origines de l’incroyable diversité humaine que l’on trouve en Inde et couvre les migrations d’artisans, de marchands, d’esclaves, d’étudiants, de guerriers, de travailleurs, de femmes et de bien d’autres. Il révèle la persistance de la migration de main-d’œuvre depuis la fin du XIXe siècle et offre une nouvelle perspective sur la migration des communautés d’affaires à l’intérieur et à l’extérieur de l’Inde. Il montre comment 25 millions de personnes qui ont trouvé leurs racines en Inde au cours des trois derniers siècles étaient dispersées à travers le monde, du Japon à la Jamaïque, et pourquoi les diasporas internes sont aussi importantes que les diasporas internationales. Il documente les migrations de masse causées par les multiples partitions, les crises de réfugiés et autres déplacements dans l’histoire indienne et leur impact disproportionné sur certaines communautés. Enfin, il donne une perspective sur la migration et le développement, dans l’histoire et au XXIe siècle ..
Population totale de la diaspora indienne : plus de 32 millions de personnes, ce qui en fait la plus grande diaspora au monde (source : Ministry of External Affairs, Government of India).
Répartition régionale :
- Golfe Persique : Environ 8 à 9 millions (travailleurs expatriés).
- États-Unis : Environ 4,9 millions (professionnels, entrepreneurs).
- Royaume-Uni : Plus de 1,5 million (descendants de migrants post-coloniaux).
- Afrique de l’Est et du Sud : 2,5 millions (descendants de travailleurs sous contrat).
- Asie du Sud-Est : Plus de 3 millions (Malaisie, Singapour).
- Caraïbes : Environ 1,5 million (Guyana, Trinidad, Jamaïque, Suriname).
Quant aux villes ayant les plus grandes concentrations d'expatriés indiens, Londres, New York, Toronto, Dubaï, Singapour...
Salman Rushdie, dans "Imaginary Homelands" (1991), théorise la manière dont les écrivains de la diaspora utilisent la mémoire et l'imaginaire pour reconstruire leurs identités (Imaginary Homelands: Essays and Criticism 1981-1991 un incontournable ...)
"... England’s Indian writers are by no means all the same type of animal. Some of us, for instance, are Pakistani. Others Bangladeshi. Others West, or East, or even South African. And V. S. Naipaul, by now, is something else entirely. This word ‘Indian’ is getting to be a pretty scattered concept. Indian writers in England include political exiles, first-generation migrants, affluent expatriates whose residence here is frequently temporary, naturalized Britons, and people born here who may never have laid eyes on the subcontinent. Clearly, nothing that I say can apply across all these categories. But one of the interesting things about this diverse community is that, as far as Indo-British fiction is concerned, its existence changes the ball game, because that fiction is in future going to come as much from addresses in London, Birmingham and Yorkshire as from Delhi or Bombay.
One of the changes has to do with attitudes towards the use of English. Many have referred to the argument about the appropriateness of this language to Indian themes. And I hope all of us share the view that we can’t simply use the language in the way the British did; that it needs remaking for our own purposes. Those of us who do use English do so in spite of our ambiguity towards it, or perhaps because of that, perhaps because we can find in that linguistic struggle a reflection of other struggles taking place in the real world, struggles between the cultures within ourselves and the influences at work upon our societies. To conquer English may be to complete the process of making ourselves free.
"Les écrivains indiens d'Angleterre ne sont en aucun cas tous de la même espèce. Par exemple, parmi nous, certains sont originaires du Pakistan. D'autres du Bangladesh. D'autres d'Occident, d'Asie ou même d'Afrique du Sud. Et V. S. Naipaul est tout à fait différent. Le terme "indien" est en train de devenir un concept diffus. Parmi les écrivains indiens en Angleterre, il y a des exilés politiques, des émigrés de la première génération, de riches expatriés généralement résidents temporaires, des Anglais naturalisés et des gens nés ici et qui n'ont peut-être jamais mis les pieds dans le sous-continent. Manifestement, rien de ce que je dis n'est valable pour toutes les catégories. Mais une des choses intéressantes à propos de cette communauté très diverse c'est que, dans la mesure où la fiction indo-britannique est concernée, son existence modifie la règle du jeu, parce qu'à l'avenir cette fiction va venir aussi bien de Londres, de Birmingham et du Yorkshire que de Delhi ou de Bombay. Une des modifications est en rapport avec l'emploi de la langue anglaise. Beaucoup ont avancé l'argument de l'adaptation de cette langue aux thèmes indiens. Et j'espère que nous pensons tous que nous ne pouvons pas simplement utiliser la langue anglaise comme le font les Britanniques ; que nous devons la réinventer pour nos besoins. Ceux d'entre nous qui emploient la langue anglaise le font malgré notre attitude ambiguë à son égard ou peut-être à cause d'elle, peut-être parce que nous pouvons trouver dans cette lutte linguistique un reflet des autres luttes qui se déroulent dans le monde réel, des luttes entre les cultures à l'intérieur de nous-mêmes et les influences à l'œuvre sur nos sociétés. Conquérir la langue anglaise c'est peut-être achever le processus de notre libération.
"But the British Indian writer simply does not have the option of rejecting English, anyway. His children, her children, will grow up speaking it, probably as a first language; and in the forging of a British Indian identity the English language is of central importance. It must, in spite of everything, be embraced. (The word ‘translation’ comes, etymologically, from the Latin for ‘bearing across’. Having been borne across the world, we are translated men. It is normally supposed that something always gets lost in translation; I cling, obstinately, to the notion that something can also be gained.) To be an Indian writer in this society is to face, every day, problems of definition. What does it mean to be ‘Indian’ outside India? How can culture be preserved without becoming ossified? How should we discuss the need for change within ourselves and our community without seeming to play into the hands of our racial enemies? What are the consequences, both spiritual and practical, of refusing to make any concessions to Western ideas and practices?
What are the consequences of embracing those ideas and practices and turning away from the ones that came here with us? These questions are all a single, existential question: How are we to live in the world? I do not propose to offer, prescriptively, any answers to these questions; only to state that these are some of the issues with which each of us will have to come to terms.
Mais, de toute façon, l'écrivain indien d'Angleterre n'a tout simplement pas la possibilité de rejeter la langue anglaise. Ses enfants la parleront en grandissant, probablement comme première langue; et dans la création d'une identité indo-britannique, la langue anglaise est d'une importance centrale. Il faut l'adopter envers et contre tout. (Étymologiquement, le mot "traduire" vient du latin traducere, "mener au-delà". Ayant été menés au-delà du lieu de notre naissance, nous sommes des hommes "traduits". Il est généralement admis qu'on perd quelque chose dans la traduction; je m'accroche obstinément à l'idée qu'on peut aussi y gagner quelque chose.)
Être un écrivain indien dans cette société c'est affronter quotidiennement des problèmes de définition. Que signifie être "indien" en dehors de l'Inde ? Comment peut-on préserver une culture sans l'ossifier ? Comment parler du besoin de changement en nous-mêmes et dans notre communauté sans avoir l'air d'être le jouet de nos ennemis racistes ? Quelles sont les conséquences, à la fois spirituelles et pratiques, du refus de toute concession aux idées et aux pratiques occidentales ? Quelles sont les conséquences de l'acceptation de ces idées et de ces pratiques et de l'abandon de celles que l'on a apportées ici avec nous ? Toutes ces questions se résument à une seule question existentielle : comment allons-nous vivre dans le monde ? Je ne me propose pas de donner de façon autoritaire les réponses à ces questions; je veux simplement affirmer qu'il s'agit de problèmes que chacun de nous devra affronter.
"To turn my eyes outwards now, and to say a little about the relationship between the Indian writer and the majority white culture in whose midst he lives, and with which his work will sooner or later have to deal: In common with many Bombay-raised middle-class children of my generation, I grew up with an intimate knowledge of, and even sense of friendship with, a certain kind of England: a dream-England composed of Test Matches at Lord’s presided over by the voice of John Arlott, at which Freddie Trueman bowled unceasingly and without success at Polly Umrigar; of Enid Blyton and Billy Bunter, in which we were even prepared to smile indulgently at portraits such as ‘Hurree Jamset Ram Singh’, ‘the dusky nabob of Bhanipur’. I wanted to come to England. I couldn’t wait. And to be fair, England has done all right by me; but I find it a little difficult to be properly grateful. I can’t escape the view that my relatively easy ride is not the result of the dream-England’s famous sense of tolerance and fair play, but of my social class, my freak fair skin and my ‘English’ English accent. Take away any of these, and the story would have been very different. Because of course the dream-England is no more than a dream.
Sadly, it’s a dream from which too many white Britons refuse to awake. Recently, on a live radio programme, a professional humorist asked me, in all seriousness, why I objected to being called a wog. He said he had always thought it a rather charming word, a term of endearment. ‘I was at the zoo the other day,’ he revealed, ‘and a zoo keeper told me that the wogs were best with the animals; they stuck their fingers in their ears and wiggled them about and the animals felt at home.’ The ghost of Hurree Jamset Ram Singh walks among us still.
Il me faut maintenant regarder vers l'extérieur et parler des relations entre l'écrivain indien et la majorité de la culture blanche dans laquelle il vit et avec laquelle son œuvre devra tôt ou tard établir des rapports. Comme beaucoup d'enfants de ma génération, fils de la bourgeoisie, élevé à Bombay, j'ai grandi avec la connaissance profonde, et même avec un sentiment d'amitié envers une certaine Angleterre : une Angleterre rêvée faite de "test matches" à Lord's, présidés par la voix de John Arlott, dans lesquels Freddie Trueman ne cessait de lancer sans succès à Polly Umrigar; d'Enid Blyton et de Billy Bunter, une Angleterre dans laquelle nous étions même préparés à sourire avec indulgence à des portraits comme celui de Hurree Jamset Ram Singh le "sombre nabab de Bhanipur". Je voulais venir en Angleterre. Je ne pouvais pas attendre. Et pour être juste, l'Angleterre a très bien fait les choses pour moi ; mais il m'est difficile d'être vraiment reconnaissant. Je ne peux m'empêcher de considérer que mon parcours relativement facile n'est pas le résultat du célèbre sens de la tolérance et du fair-play de mon Angleterre de rêve mais de ma classe sociale, de ma peau curieusement claire et de mon accent anglais très "anglais". Si un de ces éléments avait été absent, l'histoire aurait été très différente. Parce que l'Angleterre du rêve n'est bien sûr qu'un rêve. Malheureusement, c'est un rêve dont trop de Britanniques refusent de s'éveiller. Récemment, dans une émission de radio en direct, un humoriste professionnel m'a demandé, très sérieusement, pourquoi je ne voulais pas qu'on me traite de bougnoule. Il a ajouté que le mot lui avait toujours semblé charmant, un terme de tendresse. "L'autre jour, j'étais au zoo et un gardien m'a dit qu'il n'y avait pas mieux que les bougnoules avec ses animaux ; ils s'enfoncent les doigts dans les oreilles et les agitent, et les animaux se sentent comme chez eux." L'esprit de Hurree Jamset Ram Singh rôde toujours parmi nous.
"As Richard Wright found long ago in America, black and whitedescriptions of society are no longer compatible. Fantasy, or the mingling of fantasy and naturalism, is one way of dealing with these problems. It offers a way of echoing in the form of our work the issues faced by all of us: how to build a new, ‘modern’ world out of an old, legend-haunted civilization, an old culture which we have brought into the heart of a newer one. But whatever technical solutions we may find, Indian writers in these islands, like others who have migrated into the north from the south, are capable of writing from a kind of double perspective: because they, we, are at one and the same time insiders and outsiders in this society. This stereoscopic vision is perhaps what we can offer in place of ‘whole sight’.
Comme Richard Wright l'avait découvert en Amérique il y a longtemps, les descriptions en noiret blanc de la société ne sont plus compatibles. L'imagination, ou un mélange d'imagination et de naturalisme, est une des façons de traiter ces problèmes. Elle permet de faire écho dans notre œuvre aux problèmes que nous rencontrons tous : comment construire un monde nouveau, "moderne", à partir d'une civilisation ancienne, hantée par les légendes, une vieille culture que nous avons introduite au cœur d'une plus récente. Mais quelles que soient les solutions techniques que nous puissions trouver, les écrivains indiens dans ces îles, comme d'autres qui ont émigré du sud vers le nord, sont capables d'écrire à partir d'une espèce de double perspective : ils sont à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de cette société. Cette vision stéréoscopique est peut-être ce que nous pouvons offrir à la place d'une "vision totale".
"There is one last idea that I should like to explore, even though it may, on first hearing, seem to contradict much of what I’ve so far said. It is this: of all the many elephant traps lying ahead of us, the largest and most dangerous pitfall would be the adoption of a ghetto mentality. To forget that there is a world beyond the community to which we belong, to confine ourselves within narrowly defined cultural frontiers, would be, I believe, to go voluntarily into that form of internal exile which in South Africa is called the ‘homeland’. We must guard against creating, for the most virtuous of reasons, British-Indian literary equivalents of Bophuthatswana or the Transkei.
This raises immediately the question of whom one is writing ‘for’. My own, short, answer is that I have never had a reader in mind. I have ideas, people, events, shapes, and I write ‘for’ those things, and hope that the completed work will be of interest to others. But which others? In the case of Midnight’s Children I certainly felt that if its subcontinental readers had rejected the work, I should have thought it a failure, no matter what the reaction in the West. So I would say that I write ‘for’ people who feel part of the things I write ‘about’, but also for everyone else whom I can reach. In this I am of the same opinion as the black American writer Ralph Ellison, who, in his collection of essays Shadow and Act, says that he finds something precious in being black in America at this time; but that he is also reaching for more than that. ‘I was taken very early,’ he writes, ‘with a passion to link together all I loved within the Negro community and all those things I felt in the world which lay beyond.’
Il reste une dernière idée que j'aimerais explorer même si, au premier abord, elle peut sembler en contradiction avec ce que j'ai dit jusqu'ici. C'est celle-ci : de tous les nombreux pièges à éléphants qui nous attendent, la fosse la plus grande et la plus dangereuse serait l'adoption d'une mentalité de ghetto. Oublier qu'il existe un monde au-delà de la communauté à laquelle nous appartenons, nous enfermer à l'intérieur de frontières culturelles étroitement définies, serait à mon avis entrer volontairement dans cette forme d'exil intérieur qu'en Afrique du Sud on appelle "homeland. Nous devons nous garder de créer, pour les raisons les plus vertueuses,
des équivalents littéraires indo-britanniques du Bophuthatswana ou du Transkei.
Ceci soulève immédiatement la question de savoir pour qui l'on écrit. Afin de répondre rapidement, je dirai que je n'ai jamais pensé à un lecteur particulier. J'ai dans l'esprit des idées, des gens, des événements, des formes; c'est pour ces choses que j'écris et j'espère que l'œuvre terminée intéressera les autres. Mais quels autres ? Dans le cas des "Enfants de minuit", j'aurais certainement considéré comme un échec que les lecteurs du sous-continent indien rejettent l'œuvre, quelle qu'ait été la réaction de l'Occident. Aussi je dirais que j'écris pour ceux qui se sentent appartenir aux choses sur lesquelles j'écris, mais aussi pour n'importe quel autre que je peux atteindre. Sur ce point, je rejoins l'écrivain noir américain Ralph Ellison qui dans son recueil d'essais "Shadow and Act" dit qu'il y a quelque chose de précieux à être noir en Amérique aujourd'hui ; mais il va bien plus loin. "Très tôt, écrit-il, j'ai été pris par la passion de relier tout ce que j'aimais dans la communauté noire et toutes les choses que je ressentais dans le monde qui s'étendait au-delà".
"Art is a passion of the mind. And the imagination works best when it is most free. Western writers have always felt free to be eclectic in their selection of theme, setting, form; Western visual artists have, in this century, been happily raiding the visual storehouses of Africa, Asia, the Philippines. I am sure that we must grant ourselves an equal freedom.
Let me suggest that Indian writers in England have access to a second tradition, quite apart from their own racial history. It is the culture and political history of the phenomenon of migration, displacement, life in a minority group. We can quite legitimately claim as our ancestors the Huguenots, the Irish, the Jews; the past to which we belong is an English past, the history of immigrant Britain. Swift, Conrad, Marx are as much our literary forebears as Tagore or Ram Mohan Roy. America, a nation of immigrants, has created great literature out of the phenomenon of cultural transplantation, out of examining the ways in which people cope with a new world; it may be that by discovering what we have in common with those who preceded us into this country, we can begin to do the same.
L'art est une passion de l'esprit. Plus elle est libre, mieux l'imagination fonctionne. Les écrivains occidentaux ont toujours eu la liberté d'être éclectiques dans le choix d'un thème, d'un cadre et d'une forme ; au cours de ce siècle, les plasticiens occidentaux ont dévalisé avec bonheur les magasins d'Afrique, d'Asie, des Philippines. Je suis sûr que nous pouvons nous permettre une liberté égale. Permettez-moi de suggérer que les écrivains indiens d'Angleterre ont accès à une seconde tradition, tout à fait différente de leur propre histoire raciale. C'est la culture et l'histoire politique du phénomène de migration, de déplacement, de la vie dans un groupe minoritaire. Nous pouvons légitimement revendiquer comme ancêtres les huguenots, les Irlandais, les juifs ; le passé auquel nous appartenons est un passé anglais, l'histoire de l'immigration en Grande-Bretagne. Swift, Conrad, Marx sont autant nos ancêtres littéraires que Tagore ou Ram Mohan Roy. L'Amérique, une nation d'immigrés, a créé une grande littérature à partir du phénomène de transplantation culturelle, en étudiant la façon dont les gens font face à un nouveau monde; peut-être qu'en découvrant ce que nous avons en commun avec ceux qui nous ont précédés dans ce pays, nous pourrons commencer à faire comme eux.
"I stress this is only one of many possible strategies. But we are inescapably international writers at a time when the novel has never been a more international form (a writer like Borges speaks of the influence of Robert Louis Stevenson on his work; Heinrich Böll acknowledges the influence of Irish literature; cross-pollination is everywhere); and it is perhaps one of the more pleasant freedoms of the literary migrant to be able to choose his parents. My own—selected half consciously, half not—include Gogol, Cervantes, Kafka, Melville, Machado de Assis; a polyglot family tree, against which I measure myself, and to which I would be honoured to belong ..."
Je souligne que ce n'est qu'une des nombreuses stratégies possibles. Mais nous sommes inéluctablement des écrivains internationaux dans une époque où le roman est plus que jamais une forme internationale (un écrivain comme Borges parle de l'influence de Robert Louis Stevenson sur son œuvre ; Heinrich Böll reconnaît l'influence de la littérature irlandaise ; la pollinisation croisée est partout) ; et une des libertés les plus agréables de l'immigrant littéraire est peut-être celle d'être capable de choisir ses parents. Les miens - choisis en partie consciemment, en partie inconsciemment - comprennent Gogol, Cervantès, Kafka, Melville, Machado de Assis; un arbre généalogique polyglotte, auquel je me mesure et auquel j'aimerais avoir l'honneur d'appartenir...." (éditions Gallimard, traduction, essais 1981-2002)
Selon Rushdie, «pour certaines personnes, l'ironie selon laquelle les meilleures productions de l'Inde depuis l'indépendance pourraient avoir été rédigées dans la langue du colonisateur est tout simplement inadmissible". La question du choix de la langue a fait couler beaucoup d'encre, dans le contexte indien comme dans tout contexte postcolonial - les écrivains maghrébins et africains qui s'expriment en français ne le savent que trop bien. Est-ce l'ancien colonisateur qui prend sa revanche en obtenant la préférence de la langue, ou l'ancien colonisé qui se dédommage en s'invitant dans la littérature du premier. Quoi qu'il en soit, la popularité du roman indien en anglais n'a cessé de croître durant les premières années du XXIe siècle, grâce à des écrivains comme Arundhati Roy, Jhumpa Lahiri, Amitav Ghosh ou Kiran Desai, qui contribuent à l'enrichir en situant leurs récits dans l'Inde moderne ou en explorant le déracinement de la diaspora ...
Anita Desai (1937)
Anita Desai (Anita Mazumdar) est née en Inde d’une mère allemande et d’un père bengali. Elle a grandi dans une tradition multilingue, parlant allemand, bengali, hindi, urdu et anglais. Elle publie son premier récit à l’âge de neuf ans (A. Desai to Costa 2001). Desai a fait ses études à la Queen Mary’s Higher Secondary School de Delhi et à Miranda House, à l’université de Delhi, où elle a obtenu un baccalauréat en littérature anglaise en 1957. L’année suivante, elle épouse Ashvin Desai, un homme d’affaires avec qui elle a quatre enfants. En 1971, Anita Desai déménage en Angleterre où elle passe un an avec sa fille, Kiran Desai. Aujourd’hui, Anita Desai vit aux États-Unis où elle est professeure d’écriture à l’Institut de technologie du Massachusetts, Cambridge (MA). Elle est membre de la Royal Society of Literature, de l’American Academy of Arts and Letters et du Girton College de Cambridge. Elle écrit également pour la revue New York Review of Books. Anita Desai reconnaît sa relation ambivalente avec l’Inde, affirmant qu’elle la considère comme une étrangère mais qu’elle a toujours les sentiments d’une personne née en Inde (A. Desai à De Neefe 2006). L’auteure éprouve une certaine nostalgie pour son lieu de naissance, avouant que son statut de visiteur a créé une « étrange déconnexion » avec l’Inde (A. Desai à Elmhirst, 2011).
Elle a publié son premier livre, "Cry, the Peacock" en 1963, roman d'une femme, Maya, confrontée à un mariage sans amour et à la solitude, toute en tension tradition et désir personnel. Depuis, elle a écrit plus de seize romans et recueil de nouvelles. Elle a été nominée trois fois pour le prix Booker pour "Clear Light of Day" (2001), "In Custody" (1984) et "Fasting, Feasting" (1999). Ses premiers travaux évoquent le confinement des femmes de la classe moyenne d’Asie du Sud au foyer, en s’appuyant sur le modèle du roman psychologique de Virginia Woolf auquel Anita Desai a été initiée en Inde (Ostberg 2000). Anita Desai a également été considérée comme une pionnière, en ce qui concerne son écriture sur les questions féministes. Puis elle s'est écartée de son inspiration initiale, par ailleurs critiquée, pour élargir son horizon thématique : "I felt I was limiting the territory to such an extent that it created a kind of suffocation even for me. So I very deliberately opened the doors, to widen the canvas, and started writing more about male characters and their lives, because I felt they had a wider experience of the world, and I could address a greater variety of experiences" (A. Desai to Costa 2001).
"Voices in the City" (1965)
"Voix dans la ville", un récit écrit par une jeune femme de vingt-huit ans, la "ville" de ce roman à plusieurs "voix" est Calcutta, une mégapole vénéneuse où une pauvreté incommensurable côtoie une richesse décadente. Les trois protagonistes du livre sont deux sœurs et un frère qui succombent aux "pouvoirs sombres et magiques" de cette ville du malheur où règnent saleté, cupidité et ennui. La première "voix" du livre s'exprime à la première personne : c`est celle d`un jeune journaliste qui vit dans le souvenir d`un père qui l'a désavoué et d'une mère possessive dont il s`est éloigné. Tout au long du livre, ce personnage crée autour de lui un climat de désespoir existentiel profond mais organise sa chute avec un cynisme non dénué d'ostentation. Sa sœur aînée ne possède pas cette énergie du désespoir et consigne frileusement dans son journal les menus incidents de la vie qu'elle mène parmi les femmes envahissantes d`une belle-famille conformiste et auprès d'un mari bon mais peu sensible (dont elle ne peut pas avoir d`enfant). A force de s`aligner tout en se révoltant, à force de repousser la moindre consolation traditionnelle, c'est sa mort que prépare cette désespérée qui va finir par s`arroser d`essence dans la maison familiale. Les flammes deviennent alors la métaphore centrale du roman : à l'embrasement du désir inassouvi succède la chaleur du feu libérateur, sans parler du bûcher où s`achève une existence banale et incomprise. La dernière voix du texte est légèrement plus assurée : la jeune sœur de ce trio tragique a une vision plus saine des choses et des gens et, grâce à l`indépendance financière qu'elle a acquise, réussit à faire fructifier ses qualités de cœur, d'esprit et de créativité. En cela, elle est la première des héroïnes positives d`Anita Desai et témoigne pour celles qui vont, dans les romans ultérieurs de l'auteur, tenter d'échapper aux "rites de destruction" et essayer de dominer leurs multiples désordres ...
"Fire on the Mountain" (1977)
Nanda Kaul, une veuve âgée, vit seule dans une maison (Carignano), perchée sur les collines de Kasauli. Après une vie passée à servir sa famille en tant qu’épouse et mère dévouée, elle savoure maintenant la solitude et la tranquillité de sa retraite, un isolement vécu comme une forme de liberté. Repliée sur elle-même, fuyant tout contact, jusqu’à ce qu’un événement perturbe sa routine : l’arrivée de sa petite-fille, Raka. Cellec-ci a été envoyée chez Nanda Kaul par ses parents. Son père, alcoolique, a gravement blessé sa mère lors d’une dispute, et Raka, encore jeune, est marquée par cette violence familiale. Contrairement à ce que Nanda imagine, Raka est tout aussi solitaire qu’elle, voire plus. Elle est décrite comme une enfant frêle et silencieuse, mais profondément curieuse et attirée par la nature sauvage qui entoure Carignano. Au début, Nanda espère que Raka deviendra une jeune compagne avec qui partager sa solitude, mais découvre rapidement que Raka reste distante et indifférente à ses tentatives de rapprochement, passant la plupart de son temps à parcourir la nature la nature et à éviter toutes conversations prolongées avec sa grand-mère. Deux générations qui ne parviennent pas à se parler ...
Une voisine, Miss Ivy, vient régulièrement rendre visite à Nanda Kaul : une femme exubérante, bavarde, intrusive. Des visites qui irritent Nanda, tant elles lui rappellent toutes ces obligations sociales et ces compromis qu’elle cherche à fuir. Des flashbacks nous font découvrir toute la vérité sur la vie de Nanda Kaul : derrière son apparente tranquillité, elle cache une vie marquée par des sacrifices et des désillusions : un mari qui la trompait, des enfants qui, bien qu’aimés, semblaient lui peser. La nature et les collines environnantes agissent ici comme un miroir des difficultés psychologiques de chacune des deux femmes, un incendie que Raka prétendra avoir déclenché symbolisant toute la colère refoulée de l'une et l'impossibilité pour l'autre d'échapper aux déceptions de sa vie passée ...
Le livre remporte le Sahitya Akademi Award en 1978.
"Clear Light of Day" (1980)
Desai dit qu'elle porte l'lnde dans son cœur, mais que, dans sa tête, elle l'observe de l'extérieur comme une étrangère; et que nous sommes balayés par des forces historiques et sociales que nous essayons vainement de contrôler. "La Claire Lumière du jour" se déroule dans le vieux Delhi, dans un grand manoir qui tombe en ruines. ll dépeint les relations tendues et hargneuses d'une famille très divisée, avec pour cadre des événements déterminants pour l'histoire de l'lnde: la partition, la mort de Gandhi et la lutte pour le pouvoir politique qui s'ensuivit. Les deux personnages principaux sont deux sœurs en froid, Bim et Tara, qui se retrouvent à l'occasion du mariage de leur nièce. Bim, l'aînée, est restée s'occuper de son frère cadet autiste et de sa tante alcoolique. Tara a fui la maison familiale et ses traditions en épousant un diplomate. Les deux femmes évoquent leur enfance et tentent de trouver un terrain d'entente malgré les chemins très différents qu'elles ont pris. Néanmoins, Tara s'aperçoit vite que Bim est aigrie et sur la défensive et qu'elle ne lui pardonne pas d'avoir, à ses yeux, trahi sa famille ...
"In Custody" (1984)
Sélectionné pour le Booker Prize et adapté en film en 1993 par Ismail Merchant, c'est un des des romans les plus célèbres d’Anita Desai, finaliste du Booker Prize en 1984. L'histoire d’un modeste professeur fasciné par la poésie ourdou, de ce que l'art semble pouvoir offrir dans une société en transition...
Deven Sharma, professeur de hindi dans une petite ville indienne, mène une existence modeste et sans éclat. Bien qu’il enseigne le hindi, sa véritable passion est la poésie ourdou, qu’il considère comme un art supérieur. Sa vie, quant à elle, est marquée par des frustrations, un emploi peu gratifiant, un mariage sans amour avec Sarla, et un sentiment général d’échec. Une opportunité inattendue surgit lorsque son ami journaliste Murad lui propose d’interviewer Nur Shahjehanabadi, un grand poète ourdou vieillissant, vivant à Delhi. Enthousiasmé par cette possibilité de rencontrer enfin son idole littéraire, Deven se rend à Delhi avec l’espoir de toucher enfin l’essence de la grandeur poétique de Nur et de contribuer à la préservation de la culture ourdoue. Mais la rencontre s'avère décevante. Le poète, autrefois célèbre, est maintenant un vieillard amer qui vit entouré de parasites, d’admirateurs intéressés, et de sa deuxième épouse autoritaire, Imtiaz Begum, elle-même poétesse. Nur passe son temps à boire, à se plaindre de l’ingratitude de ses contemporains, et à se disputer avec Imtiaz. Sa maison est un chaos où règnent le désordre et les tensions.
Malgré sa déception, Deven décide de poursuivre son projet, enregistrer le poète pour préserver son héritage, mais il se heurte tant à son environnement familial et social qu'à ses propres échecs personnels. Le projet d’enregistrement tournera court. Le roman illustre toute la difficulté de préserver de la disparition progressive l’ourdou : en tant que langue littéraire et artistique dans une Inde post-coloniale où le hindi domine de plus en plus ...
"Baumgartner’s Bombay" (1988)
Beaucoup plus ambitieux que les précédents, ce livre est une fresque historique qui conduit le lecteur du Berlin de l'époque nazie à l'Inde de la partition. Le personnage principal de cette histoire est un Allemand et ce choix est tout à fait inhabituel chez une romancière qui, jusque-là, avait surtout décrit des femmes indiennes. Mais Anita Desai (qui est de descendance germanique par sa mère) a sans doute voulu, par ce portrait de Juif errant, donner à son propos des dimensions tragiquement mondiales. Fuyant, terrorisé, les bruits de bottes et les bris de glace, Baumgartner arrive d'abord à Venise mais se sent déjà étranger dans cette ville qui le fascine autant qu'elle l'inquiète car elle représente pour lui l'Occident honni qu'il doit quitter et l'Orient inconnu qu'il doit affronter. Une fois arrivé en Inde, il s'installe tant bien que mal sur cette terre d'accueil ou, plutôt, d'échouage. Mais, même au bout de trente ans de séjour, il a toujours les réflexes d'un intrus et même d'un exclu. Il perd peu à peu toutes ses caractéristiques d'Occidental : sa façon de s'habiller, de se nourrir et même de s'exprimer, sans pour cela vouloir (ou pouvoir) s'indianiser vraiment. Sa triple appartenance lui vaut d'ailleurs d'être interne par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale en tant qu'étranger suspect alors qu'il clame sa qualité de juif persécuté par les nazis.
À la sortie de ce camp (qu'il considère comme une extension de ceux de son enfance), la victoire des Alliés est difficilement la sienne et il s'enfonce dans une dérive professionnelle et personnelle : entouré de chats faméliques, fréquentant de pauvres Indiens dans des cafés minables, se raccrochant à l'amitié d'une ex-danseuse de cabaret; véritable épave humaine, il finit par se faire tuer par un hippie allemand qu'il a recueilli plus par réflexe que par charité. Ainsi se clôt une vie construite ou plutôt déconstruite en forme de cercle : l'enfance dramatique préfigure la vieillesse pathétique et le destin minable de l'homme n'est que l'illustration de l'histoire apocalyptique du monde. (Trad. Stock, 1991)
"Fasting, Feasting" (1999)
L’histoire met en parallèle l'Inde et les Etats-Unis, la vie d’une femme, Uma, écrasée par les attentes patriarcales, et celle d’Arun, son frère étudiant, dynamiques familiales, contraintes culturelles et tensions entre tradition et modernité dans deux mondes différents.
L’histoire commence en Inde (partie 1), dans une petite ville ; Uma, une femme d’âge moyen, vit toujours sous l'autorité humiliante de ses parents, MamaPapa (un surnom fusionné reflétant leur commune domination) ; ayant renoncé à ses rêves de liberté et d'éducation pour se vouer à leurs exigences quotidiennes. Deux mariages arrangés échouent, l’un parce que le fiancé meurt avant la cérémonie, et l’autre à cause d’un mari qui disparaît avec la dot. Mama et Papa sont des figures de contrôle total. Les seules influences extérieures positives pour Uma sont sa cousine Anamika, une femme brillante qui obtient une bourse à Oxford, mais dont la vie est ruinée par un mariage abusif, et sa sœur cadette Aruna, qui s’échappe par un mariage avantageux mais reste distante.
La seconde partie du roman suit Arun, le frère cadet d’Uma, qui vit et étudie aux États-Unis. Contrairement à Uma, Arun a bénéficié de toutes les ressources familiales, mais n’a jamais eu la liberté de choisir son propre chemin, et son éducation devient une source de stress plutôt qu’une opportunité. Il vit avec une famille américaine, les Patton, qui représente un contraste frappant avec sa propre famille. Mrs. Patton est une mère de famille obsédée par les régimes alimentaires et la santé, et Mr. Patton, jovial en apparence, mais autoritaire dans ses décisions familiales. Melanie, leur fille, souffre de troubles alimentaires et 'un mal-être global. Rod, leur fils, incarne le stéréotype du jeune homme athlétique et insouciant. Malgré leur apparence de liberté, Arun découvre que la famille Patton est toute aussi dysfonctionnelle que la sienne, mais d’une manière différente. Les pressions sociales et culturelles dans les deux contextes révèlent des formes variées d’oppression qu'il faut affronter.
Le titre "Fasting, Feasting" reflète les contrastes entre les personnages et les cultures, "Fasting" (jeûne), symbolisant la privation, les sacrifices, et les restrictions imposées à Uma en Inde, et une vie est marquée par le déni de ses désirs personnels. "Feasting" (festin), l’abondance matérielle aux États-Unis, mais aussi la consommation excessive et le vide émotionnel de la famille Patton. Un livre qui met en évidence, au-delà des différences culturelles, l’universalité des pressions familiales ...
"The Artist of Disappearance" (2011)
Un recueil de trois longues nouvelles situées en Inde, et des individus isolés, en décalage avec leur environnement. Dans "The Museum of Final Journeys", le narrateur, un jeune fonctionnaire gouvernemental, est affecté dans un poste reculé de l’Inde rurale et découvre une grande demeure coloniale en ruine, habitée par un vieil intendant, qui lui révèle un musée qui contient une collection hétéroclite d’objets rares, symbolisant l’héritage culturel d’une époque révolue. L’élément central en est un immense éléphant âgé, conservé dans l’obscurité par un serviteur dévoué. Un héritage que le narrateur sera incapable de préserver. Dans "Translator Translated", Prema, une enseignante de littérature passionnée par les œuvres d’un écrivain oublié, Suvarna Devi, se lance dans un projet de traduction de ces œuvres en anglais, espérant les faire découvrir à un public plus large : au fil de sa traduction, elle en viendra à modifier le texte original, imposant ses propres idées et trahissant l’intention de l’auteur. Dans "The Artist of Disappearance", Ravi, un homme reclus dans une maison isolée dans les montagnes après avoir fui le monde moderne, passe son temps à cultiver un jardin qu’il considère comme son œuvre d’art. Sa tranquillité est perturbée lorsqu’une équipe de télévision arrive pour filmer un documentaire sur la déforestation, cherchant un "exemple" local à mettre en avant. Bien que les visiteurs découvrent indirectement l’œuvre de Ravi, ils ne parviennent pas à comprendre sa profondeur ni son objectif. La véritable valeur de l’art semble résider ici dans sa fugacité et sa pureté, indépendamment de toute reconnaissance publique...
Kamala Markandaya ("Nectar in a Sieve", 1954)
Auteur de la seconde génération (post-indépendance), avec Salman Rushdie (Midnight’s Children, 1981), Anita Desai (Clear Light of Day, 1980) et Kamala Markandaya (Nectar in a Sieve, 1954), née dans une famille brahmane à Mysore, Kamala Markandaya (1924-2004) a grandi dans un environnement privilégié : elle a étudié l’histoire à l’Université de Madras, est devenue comme journaliste, puis, en 1948, après l’indépendance de l’Inde, s’est installée au Royaume-Uni. Et si son mariage avec Bertrand Taylor, un Anglais, l’éloigne géographiquement de l’Inde, elle continuera d'écrire sur son pays natal : "Nectar in a Sieve" (1954) conte la vie de Rukmani, une femme indienne, et de son mari Nathan, des paysans confrontés à la pauvreté, la famine, et les bouleversements causés par l’industrialisation de leur village. "Some Inner Fury" (1955) évoque les tensions politiques et personnelles dans l’Inde coloniale, à travers l’histoire d’une romance entre un Indien nationaliste et une femme anglo-indienne. "A Silence of Desire" (1960) traite de la lutte d’un couple pour concilier foi traditionnelle et modernité, lorsque la femme cherche un guérisseur spirituel pour traiter une maladie grave. "Possession" (1963) est l'histoire d'une la relation complexe entre un jeune artiste indien et sa riche mécène anglaise, symbolisant les dynamiques coloniales persistantes. "The Nowhere Man" (1972) conte les défis de Srinivas, un immigrant indien âgé vivant en Angleterre, l’une des premières œuvres à aborder de front la montée du racisme envers les immigrés indiens au Royaume-Uni. "Two Virgins" (1973) raconte l’histoire de deux sœurs originaires d’un village indien, qui aspirent à des vies différentes et affrontent les réalités de leurs choix. "The Golden Honeycomb" (1977) se veut saga historique portant sur l’histoire d’une famille princière indienne pendant la période coloniale (des effets durables du colonialisme). Et "Pleasure City" (1982) (également publié sous le titre Shalimar) évoque les effets du tourisme de masse sur une communauté côtière indienne...
Dans "Nectar in a Sieve", le premier roman de Kamala Markandaya, écrit en anglais, l'Inde rurale se raconte par l'entremise de Rukmani, femme déclassée qui devient paysanne, mais dans cette société patriarcale qu'est l'Inde, l'auteur entend nous dire que c'est par les femmes que les structures parviennent à survivre ...
Mariée à Nathan, un fermier modeste, Rukmani est issue d’une famille de caste supérieure, mais la pauvreté de celle-ci l'a poussé à un mariage en dessous de son rang. Rukmani et Nathan s’installent dans un village rural, où ils mènent une vie simple basée sur l’agriculture. Elle y apprend la vie paysanne, apprend à cultiver et à gérer la maison avec peu de ressources. Leur première enfant, une fille nommée Ira (Irawaddy), est une source de joie, bien que Rukmani espère avoir des fils, considérés comme des soutiens pour l’avenir. Parmi les autres villageois qui composent son entourage, Kenny, un médecin anglais, la soutient lors de ses difficultés. Mais voici qu'une tannerie est construite près du village, elle va entraîner d'importants bouleversements : bien qu’elle offre des emplois, elle menace le mode de vie traditionnel des paysans. Les prix augmentent, les terres agricoles sont menacées, et les tensions sociales s’exacerbent. Nathan s’oppose à la tannerie, mais il est impuissant face aux changements économiques et aux pressions des propriétaires terriens. Après plusieurs mauvaises récoltes dues à des sécheresses et des inondations, la famille sombre dans une pauvreté extrême. Les enfants souffrent de malnutrition, et Rukmani doit vendre ses possessions les plus précieuses pour survivre. Ira est mariée, mais elle est renvoyée chez ses parents car elle est stérile. Cela brise les espoirs de Rukmani et de Nathan pour leur fille. Et pour subvenir aux besoins de sa famille, celle-ci se prostitue : Rukmani finit par accepter le sacrifice de sa fille. Elle donne naissance à un enfant illégitime, qui est albinos et, malgré les préjugés, Rukmani et Nathan acceptent l’enfant. L’un des fils de Rukmani, Kuti, meurt de faim. Un tournant tragique. Nathan et Rukmani perdent leurs terres au profit de la tannerie, les forçant à quitter le village où ils ont vécu toute leur vie. Arrivé en ville, ils cherchent leur fils Murugan, espérant un soutien, mais découvrent que celui est parti, abandonnant femme et enfants ...
Pendant leur voyage, Nathan va s'effondre dans un champ et mourir d’épuisement dans les gras de sa femme, laissant Rukmani seule pour affronter l’avenir. La scène la plus dramatique du livre (et la fin d'une génération de paysans). Rukmani retournera au village avec Puli, un garçon des rues qu’elle a adopté. Le roman se termine sur une note d’acceptation et d’espoir ...
"... Nathan's head kept twitching from side to side, he called to our sons and muttered words that I did not understand. The rays from the lantern fell on his wasted face, on the tight yellowed skin, on the lips split with fever, on his limbs which were like a child's. Sometimes his breath came between his chattering teeth in gusts, rising above the rain and the winds that swished down the corridors; at other times I had to bend to listen.
Hour after hour his body suffered; his mind had fled from the tormented flesh. Midnight approached. The time of in-between when it is neither day nor night, when nature seems to pause, to sigh and turn and prepare for another day.
Midnight, and, as always before, his paroxysms eased. The fits of shivering stopped, the stiff limbs fell limp and relaxed. In the calm stillness I saw him open his eyes, his hand came to my face, tender and searching, wiping away the unruly tears.
"You must not cry, dearest. What has to be, has to be."
"Hush," I said. "Rest and grow better."
"I have only to stretch out my hand," he said, "to feel the coldness of death. Would you hold me when my time is come? I am at peace. Do not grieve."
"If I grieve," I said, "it is not for you, but for myself, beloved, for how shall I endure to live without you, who are my love and my life?"
"You are not alone," he said. "I live in my children," and was silent, and then I heard him murmur my name and bent down.
"Have we not been happy together?"
"Always, my dearest, always."
"It is slipping away fast," he said. "Rest with me a little."
« La tête de Nathan bougeait d'un côté à l'autre, il appelait nos fils et marmonnait des mots que je ne comprenais pas. Les rayons de la lanterne tombaient sur son visage émacié, sur sa peau jaunie et tendue, sur ses lèvres fendues par la fièvre, sur ses membres semblables à ceux d'un enfant. Parfois, son souffle s'échappait en rafales entre ses dents claquantes, s'élevant au-dessus de la pluie et des vents qui s'engouffraient dans les couloirs ; d'autres fois, je devais me pencher pour l'écouter.
Heure après heure, son corps souffrait ; son esprit avait fui sa chair tourmentée. Minuit approchait. Le moment de l'entre-deux où il n'y a ni jour ni nuit, où la nature semble faire une pause, soupirer, se retourner et se préparer pour un autre jour.
Minuit, et comme toujours auparavant, ses paroxysmes s'atténuèrent. Les crises de frissons cessèrent, les membres raides se relâchèrent et se détendirent. Dans le calme, je l'ai vu ouvrir les yeux, sa main s'est approchée de mon visage, tendre et fouilleuse, essuyant les larmes qui s'y étaient accumulées..."
"The Nowhere Man" (1972)
Du racisme violent déclenché par la poussée d’immigration de l’après-guerre en Grande-Bretagne. Srinivas, un vieux brahmane, vit dans la banlieue sud de Londres depuis 30 ans. Après la mort de son fils, puis de sa femme, cet homme solitaire se lie à une anglaise dans la soixantaine, Mrs. Pickering, qu’il accueille chez lui. Les deux forment une relation profonde et durable mais l'atmosphère sociale s'est altérée en Grande-Bretagne. Mais le refuge qu’ils se sont créé est fragile. L’apparition de Fred Fletcher, un voisin raciste, au chômage, fait basculer l'intrigue. La violence raciste entre dans leur monde et la vie de Srinivas change irrévocablement, tout comme son rêve d’une Angleterre tolérante. Epuisé par le harcèlement et l’isolement, Srinivas va mourir, seul dans sa maison. Sa mort symbolise l’échec de sa quête d’appartenance dans un pays qui ne l’a jamais véritablement accepté ...
Le chapitre relatif à l’affrontement final entre Srinivas et Fred Fletcher, exprime une haine xénophobe dont on connaît malheureusement les thèmes, l'immigrés est un intrus qui vole les opportunités des "vrais Britanniques". Srinivas ne peut que lui opposer son impuissance, brisé par des années d’isolement et de rejet...
Salman Rushdie (1947), "Midnight's Children" (1981), "The Satanic Verses" (1988)
Evoquant comment les sociétés colonisées reconstruisent leur identité après l’indépendance, Rushdie utilise des narrateurs souvent fragmentés ou marginalisés pour en refléter les complexités culturelles et historiques, migration et diaspora toujours présentes, des migrants, partagés entre attachement à leurs racines et assimilation dans un nouvel environnement...
Né dans une famille musulmane bourgeoise à Bombay, alors sous domination britannique, d'un père, un homme d’affaires, diplômé de Cambridge, Rushdie est l'un des écrivains indiens les plus célèbres à l'échelle internationale, connu pour sa maîtrise du "réalisme magique" et son exploration de l'identité post-coloniale. "Midnight's Children", méditation sur l'histoire de l'Inde, racontée à travers les yeux de Saleem Sinai, un enfant né à minuit le jour de l'indépendance de l'Inde, a remporté le Booker Prize. En 1961, sa famille s’est installée à Karachi, au Pakistan, après la partition de l’Inde, une expérience qui imprègne son œuvre. Puis Rushdie est envoyé en Angleterre pour étudier, fréquente le King's College, à Cambridge, où il obtient un diplôme en histoire. Son expérience en tant qu’étudiant indien dans une société britannique encore marquée par les séquelles de l’empire colonial inspirera de nombreux aspects de ses œuvres : "Midnight's Children" (1981), "The Satanic Verses" (1988), qui suscitera une immense controverse pour sa représentation perçue de l’islam, en particulier des passages interprétés comme une critique du prophète Mahomet (en 1989, une fatwa appelant à son assassinat est émise par l’ayatollah Khomeini en Iran, forçant Rushdie à vivre sous protection policière pendant des années), "The Moor’s Last Sigh" (1995), - une critique des mouvements nationalistes et religieux en Inde, au travers de la vie de Moraes Zogoiby, le dernier descendant d’une riche famille marchande de Cochin -, "Shalimar the Clown" (2005), - qui mêle les histoires de plusieurs personnages, dont Shalimar, un artiste cachemirien, et Max Ophuls, un diplomate américain, pour examiner les conflits politiques au Cachemire -, "Joseph Anton : A Memoir" (2012), - un titre qui fait référence à son pseudonyme, combinant les noms de Joseph Conrad et Anton Tchekhov, autobiographie écrite à la troisième personne dans laquelle Rushdie raconte sa vie après la fatwa et ses années de clandestinité -, et "Victory City" (2023), - qui marque le retour de Rushdie après l’attaque dont il a été victime en 2022, et qui conte l’histoire de Pampa Kampana, une poétesse visionnaire qui façonne la destinée d’un royaume imaginaire.
"In 1975 I published my first novel, "Grimus", and decided to use the £700 advance to travel in India as cheaply as possible for as long as I could make the money last, and on that journey of fifteen-hour bus rides and humble hostelries Midnight’s Children was born. It was the year that Margaret Thatcher was elected leader of the Conservative Party and Sheikh Mujib, the founder of Bangladesh, was murdered; when the Baader-Meinhof gang was on trial in Stuttgart and Bill Clinton married Hillary Rodham and the last Americans were evacuated from Saigon and Generalissimo Franco died. In Cambodia it was the Khmer Rouge’s bloody Year Zero. E. L. Doctorow published "Ragtime" that year, and David Mamet wrote "American Buffalo", and Eugenio Montale won the Nobel Prize. And just after my return from India, Mrs. Indira Gandhi was convicted of election fraud, and one week after my twenty-eighth birthday she declared a state of emergency and assumed tyrannical powers. It was the beginning of a long period of darkness that would not end until 1977. I understood almost at once that Mrs. G. had somehow become central to my still-tentative literary plans..."
"En 1975, j’ai publié mon premier roman, « Grimus », et j’ai décidé d’utiliser l’avance de 700 livres pour voyager en Inde aussi peu cher que possible et aussi longtemps que je pourrais le faire durer. Sur ce voyage de quinze heures en bus et dans des auberges modestes est né "Midnight Children". C’est l’année où Margaret Thatcher a été élue chef du Parti conservateur et où le Sheikh Mujib, fondateur du Bangladesh, a été assassiné; que bande Meinhof a été jugé à Stuttgart, que Bill Clinton a épousé Hillary Rodham, que les derniers Américains ont été évacués de Saigon et que le Généralissime Franco est mort. Au Cambodge, c’était l’année zéro sanglante des Khmers rouges. E. L. Doctorow a publié "Ragtime" cette année-là, et David Mamet a écrit "American Buffalo", et Eugenio Montale a remporté le prix Nobel. Et juste après mon retour d’Inde, Mme Indira Gandhi a été condamnée pour fraude électorale, et une semaine après mon vingt-huitième anniversaire, elle a déclaré l’état d’urgence et a assumé des pouvoirs tyranniques. Ce fut le début d’une longue période de noirceur qui ne finira qu’en 1977. J’ai compris presque immédiatement que Mme. G. était devenue en quelque sorte centrale à mes plans littéraires encore hésitants ..."
"Midnight's Children" (1981)
Dans "Les Enfants de Minuit", souvent considéré comme son chef-d'œuvre, Rushdie s'empare de l'histoire post-indépendance de l'Inde à travers les yeux de Saleem Sinai et déroule un kaléidoscope de souvenirs exprimés à la première personne : un roman (trois parties et 30 chapitres) qui ne laisse jamais entrevoir clairement la limite entre ce qui est vrai et faux, - l'identité même de Saleem prêtera à confusion, très tôt dans le récit on apprendra qu'il a été échangé avec Shiva à la naissance et qu'il grandira dans la peau de ce dernier -, mais un hommage de Rushdie à son pays natal est un mélange stimulant de réalisme magique et de réalité politique ...
Book One, "The Perforated Sheet" (Le drap troué) - Le roman commence en 1915, avec Aadam Aziz, le grand-père du narrateur, Saleem Sinai. Aadam, un médecin formé en Europe, examine sa future épouse, Naseem, à travers un drap troué, ne voyant qu'une partie de son corps à chaque visite médicale, métaphore de la manière fragmentée dont les personnages et les nations voient leur histoire et leur identité...
"I was born in the city of Bombay … once upon a time. No, that won’t do, there’s no getting away from the date: I was born in Doctor Narlikar’s Nursing Home on August 15th, 1947. And the time? The time matters, too. Well then: at night. No, it’s important to be more … On the stroke of midnight, as a matter of fact. Clock-hands joined palms in respectful greeting as I came. Oh, spell it out, spell it out: at the precise instant of India’s arrival at independence, I tumbled forth into the world. There were gasps. And, outside the window, fireworks and crowds. A few seconds later, my father broke his big toe; but his accident was a mere trifle when set beside what had befallen me in that benighted moment, because thanks to the occult tyrannies of those blandly saluting clocks I had been mysteriously handcuffed to history, my destinies indissolubly chained to those of my country.
For the next three decades, there was to be no escape. Soothsayers had prophesied me, newspapers celebrated my arrival, politicos ratified my authenticity. I was left entirely without a say in the matter. I, Saleem Sinai, later variously called Snotnose, Stainface, Baldy, Sniffer, Buddha and even Piece-of-the-Moon, had become heavily embroiled in Fate—at the best of times a dangerous sort of involvement. And I couldn’t even wipe my own nose at the time. Now, however, time (having no further use for me) is running out. I will soon be thirty-one years old. Perhaps. If my crumbling, overused body permits. But I have no hope of saving my life, nor can I count on having even a thousand nights and a night. I must work fast, faster than Scheherazade, if I am to end up meaning - yes, meaning - something. I admit it: above all things, I fear absurdity.
And there are so many stories to tell, too many, such an excess of intertwined lives events miracles places rumors, so dense a commingling of the improbable and the mundane! I have been a swallower of lives; and to know me, just the one of me, you’ll have to swallow the lot as well. Consumed multitudes are jostling and shoving inside me; and guided only by the memory of a large white bedsheet with a roughly circular hole some seven inches in diameter cut into the center, clutching at the dream of that holey, mutilated square of linen, which is my talisman, my open-sesame, I must commence the business of remaking my life from the point at which it really began, some thirty-two years before anything as obvious, as present, as my clock-ridden, crime-stained birth...."
"Pour comprendre une seule vie, il vous faut avaler le monde entier". On dit volontiers le livre vorace et monstrueux, à l'image du sous-continent indien qui le nourrit, et le roman de la vie de Saleem Sinai reproduit l'histoire convulsive de l'Inde et du Pakistan depuis l'indépendance en 1947, le 15 août. Les préoccupations formelles qui sont celles du narrateur - comment parvenir à introduire un semblant d'ordre dans un matériau informe ? - battent rapidement en retraite devant la marche chaotique d'un destin rebelle à toute classification. Son désir d'être au centre de l'histoire de son pays se voit ridiculisé puis réduit à néant par un irrésistible mouvement centrifuge destiné à l'en déloger.
Book One, "Many-headed Monsters" (Monstres à plusieurs têtes) - Saleem, le narrateur, découvre qu’il peut télépathiquement communiquer avec les 1 001 enfants nés à minuit le 15 août 1947, date de l’indépendance de l’Inde. Ces enfants, chacun doté de pouvoirs surnaturels, symbolisent les potentialités et les divisions de la jeune nation. Un chapitre qui introduit le concept central des Enfants de minuit et incarne les espoirs, les échecs et les fractures de l’Inde post-coloniale....
"Enfant de minuit", car né la nuit de l'indépendance, la vie Saleem va symboliser le développement de la jeune nation, mais Rushdie ne se contente pas de laisser son protagoniste incarner le pays, il entend le laisser explores les complexes fantaisies et échecs que contient le mythe du nationalisme. Tous les enfants nés autour de minuit ont un don exceptionnel; plus proche de minuit est leur naissance, plus puissant sera leur don. Cette alliance de fantastique et de réel - des enfants qui voyagent dans le temps, qui multiplient les poissons, qui deviennent invisibles - symbolise le riche potentiel de l'lnde. De ce groupe d'enfants, deux sont nés sur le coup de minuit et sont donc potentiellement les plus forts de ce groupe : Saleem, qui peut lire dans les cœurs et dans les esprits des autres, et Shiva, qui détient le don opposé, celui de la guerre, et deviendra un meurtrier brutal. L'antagonisme entre les deux est capital pour ce récit tentaculaire, qui se passe lors des premières années de l'indépendance.
Saleem vient d'une famille privilégiée et bien introduite, tandis que Shiva, l'orphelin des rues, n'a rien. Vers le milieu du roman, on découvre que les deux enfants ont été échangés à la naissance: ni l'un ni l'autre n'est ce qu'il pense être. Cette découverte suscite des anxiétés relatives à la paternité, la dépossession, l'authenticité et la confiance qui résonnent tout au long du récit et qui sont constamment soulevées par l'histoire de la partition de l'Inde ....
Book 2, "The Fisherman's Point" (La pointe du pêcheur)
Saleem perd sa famille dans un bombardement à Karachi et finit par errer seul. Il devient amnésique et est adopté par une famille pauvre, assumant une nouvelle identité. Il vit dans une pauvreté extrême, une allégorie des classes marginalisées en Inde. Un tournant dans la vie de Saleem, la perte d’identité personnelle et nationale. Un chapitre qui et aussi en évidence les luttes des plus pauvres, souvent oubliés dans les récits grandioses de l’histoire...
"Is it possible to be jealous of written words? To resent nocturnal scribblings as though they were the very flesh and blood of a sexual rival? I can think of no other reason for Padma’s bizarre behavior; and this explanation at least has the merit of being as outlandish as the rage into which she fell when, tonight, I made the error of writing (and reading aloud) a word which should not have been spoken … ever since the episode of the quack doctor’s visit, I have sniffed out a strange discontent in Padma, exuding its enigmatic spoor from her eccrine (or apocrine) glands. Distressed, perhaps, by the futility of her midnight attempts at resuscitating my “other pencil,” the useless cucumber hidden in my pants, she has been waxing grouchy. (And then there was her ill-tempered reaction, last night, to my revelation of the secrets of my birth, and her irritation at my low opinion of the sum of one hundred rupees.) I blame myself: immersed in my autobiographical enterprise, I failed to consider her feelings, and began tonight on the most unfortunate of false notes...."
Book 2, "At the Pioneer Café" (Au café Pioneer) - Saleem commence à utiliser ses pouvoirs pour organiser des réunions télépathiques entre les Enfants de minuit. Il devient le lien entre les enfants de différentes castes, religions et régions. Ces réunions sont interrompues par des luttes internes et des divisions, reflétant les tensions sociales et politiques de l’Inde. Tout le potentiel d’unité nationale et des obstacles à celle-ci ...
Book 2, "Alpha and Omega" (Alpha et Oméga) - Un chapitre relatant les conflits familiaux des Sinai, en parallèle avec les troubles politiques en Inde. Shiva, l’un des Enfants de minuit, est introduit comme un antagoniste clé, parfait opposé de Saleem, agressif, pragmatique et dénué de scrupules. Le duel symbolique entre Saleem et Shiva reflète les luttes idéologiques et les conflits de classe dans l’Inde indépendante...
Symboles d'une génération sacrifiée, celle des neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres enfants de minuit et de leurs dons, plus ou moins excentriques, mais toujours fabuleux, qui auraient dû perpétuer la vocation tératomorphe de l'Inde millénaire. Ils sont les innocents qu'un pouvoir, celui d'Indira Gandhi, "TheWidow " (la "Veuve", surnom allégorique en raison de son statut de veuve et de sa politique autoritaire durant la période de l'État d'urgence, 1975-1977), va s'acharner à persécuter, jusqu'à la solution finale de la vasectomie - ou "spérectomie". Une fable à valeur de pamphlet politique qui parle du corps monstrueux de Saleem pour mieux traiter du devenir d'un corps social et politique en crise, et dont la pathologie, démesurément grossie sous l'effet de l'écriture en fusion, n'en demeure pas moins fidèlement restituée au terme de cette démarche d'anatomiste, partagée entre la volonté d'en découdre, armée du rire, avec un pouvoir totalitaire rendu responsable d'une criminelle normalisation et la mélancolie poignante ressentie devant une Inde émasculée, coupée de son vieux fond de magie, mais plus que jamais livrée à ses vieux démons.
Book 2, "Commander Sabarmati’s Baton" (Le bâton du commandant Sabarmati) - Un scandale éclate lorsque le commandant Sabarmati, un voisin des Sinai, tue l’amant de sa femme. Cet événement met en lumière l’hypocrisie et la corruption sociale. Une satire mordante des normes sociales et de la moralité dans la société indienne. Et comment les drames personnels sont inextricablement liés aux réalités sociales ....
C'est que l'Inde est un pays que divisent des murailles de mots ; d'où le projet utopique de Saleem : se faire l'artisan, par télépathie interposée, d'une communion de langues et de discours. Mais la cacophonie guette, et ses parents en l'opérant des amygdales lui coupent la voie des ondes. Reste le salut par l'écriture : adoptant sur le mode de la farce le paradigme proustien de la petite madeleine, Saleem découvre les capacités du chutney à restituer la saveur du Bombay d'antan. Conteur la nuit et producteur de pickles le jour, Saleem livre sa version de l'Inde, aigre-douce. Elle ne saurait en exclure d'autres, ainsi celle de son frère ennemi Shiva, déterminé à broyer son éléphantesque appendice nasal entre ses énormes genoux cagneux. On l'a dit et redit, un livre qui doit autant à Rabelais, Cervantès et Sterne qu'à Grass, et qui touche à l'universel. Semblable en cela aux romans du continent latino-américain, il nous parle, dans une langue d'une virtuosité décapante, de l'histoire et de ses calamités. (trad. Stock, 1986).
Book 3, "Abracadabra" (Abracadabra) - Dans le dernier chapitre, Saleem, maintenant adulte, raconte sa vie et ses échecs. Il sent qu’il se désintègre physiquement, une métaphore de l’effondrement de l’idéalisme post-colonial. Le roman se termine sur une note ambivalente, oscillant entre espoir et résignation ...
"Shame" (1983)
Roman politique et allégorique inspiré par l’histoire moderne du Pakistan, une œuvre de fiction mais qui reflète la vie politique de figures historiques comme Zulfikar Ali Bhutto et Muhammad Zia-ul-Haq, ainsi que les luttes de pouvoir et la corruption : la "honte" est omniprésente dans le roman, incarnée littéralement par le personnage de Sufiya, - la fille de Harappa et le Premier ministre - , et symboliquement par les conflits politiques et familiaux, les ambitions personnelles des dirigeants qui mènent à des cycles de trahison et de déclin. Le ton est ironique et omniscient, mêlant humour noir et commentaire politique, combinant descriptions luxuriantes et digressions philosophiques. Le roman se déroule dans le pays fictif de Q, un double allégorique du Pakistan et, comme dans "Midnight’s Children", Rushdie utilise le réalisme magique pour mêler l’histoire et la mythologie, donnant une dimension allégorique aux événements : en ce sens ce livre en est le digne successeur, faisant preuve de cette même habileté dans l'excès comique, la complexité narrative et la critique politique acerbe ...
Omar Khayyam Shakil, né d’une union mystérieuse entre trois sœurs recluses, Chhunni, Munnee, et Bunny Shakil, qui le considèrent toutes comme leur fils et qui refusent de révéler qui est sa mère biologique, grandit isolé dans la maison familiale : c'est un héros périphérique qui devient un médecin renommé mais se tient à distance des conflits émotionnels et politiques. "La Honte" va accompagner la querelle entre le Premier ministre, Iskander Harappa, joueur et coureur dejupons, et Raza Hyder, qui usurpe son pouvoir lors d'un coup d'État : autant Iskander Harappa est charismatique et manipulateur (une figure politique montante, inspirée de Zulfikar Ali Bhutto), connu pour son hédonisme et sa soif de pouvoir, autant Raza Hyder est un général conservateur et austère : basé sur Muhammad Zia-ul-Haq, il représente le militarisme et le fondamentalisme religieux. Au milieu de ce combat politique, les familles Hyder et Harappa se retrouvent inextricablement liées dans une série d'intrigues sexuelles et maritales largement axées sur les personnages féminins, en particulier Sufiya Zinobia, la fille de Harappa, qui finit par épouser Omar Shakil, une Zinobia qui incarne ce nom ourdou à peine traduisible, "sharam", qui signifie "honte". Fille de Raza Hyder et de sa femme Bilquis, née après une longue période d’infertilité, et décevant ses parents par son sexe (elle aurait du être un fils) et sa fragilité mentale, Zinobia symbolise ainsi le Pakistan, ce miracle qui a mal tourné. La honte bestiale enfouie en elle finira par faire surface pour châtier tous les personnages du roman...
Omar est contraint d’épouser Sufiya Zinobia, bien qu’il ne ressente aucun attachement envers elle. Leur relation est marquée par l’indifférence d’Omar et la détérioration mentale de Sufiya. Iskander devient Premier ministre de Q, mais son règne est marqué par la corruption et les excès. Il est finalement trahi par Raza Hyder, son ancien allié, qui le fait emprisonner et exécuter. Après avoir pris le pouvoir, Raza impose un régime militaire strict, utilisant la religion pour justifier ses actions. Sa répression provoque des troubles sociaux croissants. Rejetée par ses parents et négligée par Omar, Sufiya devient une figure monstrueuse. Sa rage réprimée se transforme en une violence incontrôlable, et elle commet plusieurs meurtres brutaux. À la fin du roman, Sufiya devient une bête sauvage, incarnant les conséquences de la honte et de la répression. Elle est pourchassée par les autorités mais reste insaisissable. La dictature de Raza Hyder s’effondre dans le chaos, symbolisant l’instabilité politique du pays. Il est tué, tout comme Iskander Harappa avant lui, montrant que le cycle de pouvoir et de trahison est inévitable. Et Omar lui-même est finalement tué par les habitants du village en représailles pour ses actions passées, bien qu’il ait toujours cherché à rester en dehors des conflits....
"Les Versets sataniques" (1988)
« Les versets sataniques » est le quatrième roman de Rushdie, neuf chapitres qui tissent des récits parallèles. Il raconte l'histoire de deux acteurs indiens musulmans, Gibreel Farishta et Saladin Chamcha, qui, au début du roman, survivent miraculeusement à un attentat terroriste sur leur vol vers l'Angleterre. Farishta est une star du cinéma de Bollywood et joue souvent des rôles de dieux hindous. Chamcha n'a aucun lien avec ses racines indiennes et fait du doublage en Angleterre. En tombant de l'avion qui a explosé, Farishta devient l'archange Gabriel et Chamcha se transforme en démon. Séparés, ils tentent peu à peu de reconstruire leur vie ; mais Chamcha en veut à Farishta de l'avoir abandonné après leur chute du ciel et se venge en incitant la jalousie féroce de Farishta à détruire sa relation avec Allie, une alpiniste anglaise.
De retour en Inde, Farishta tue Allie et lui-même, mais Chamcha retrouve ses racines et s'installe à nouveau dans son pays natal. Ce récit est encadré par une série de séquences de rêves vécues par Farishta, concernant le prophète Mahomet. L'une d'elles est une attaque à peine voilée contre l'ayatollah Khomeini, le chef religieux et spirituel de l'Iran à l'époque. Une autre décrit une vision de l'archange Gabriel qui persuade une paysanne de conduire son village en pèlerinage à pied à la Mecque, au cours duquel elle assure aux villageois qu'ils pourront traverser la mer d'Arabie à pied. Lorsqu'ils s'avancent dans l'eau et disparaissent, personne ne sait s'ils se sont noyés ou non.
La séquence de rêve qui a suscité la plus grande controverse raconte un épisode de la vie de Mahomet au cours duquel il a été trompé par le Diable et a accepté des versets dédiés à trois déesses païennes de la Mecque, une ville que Mahomet espérait convertir à l'Islam. Se rendant compte de son erreur, Muhammad est revenu sur sa déclaration selon laquelle les déesses devaient être honorées. Des versets sataniques, dont l'existence est encore contestée aujourd'hui par les spécialistes de l'islam. Dans le rêve de Farishta, cependant, il est révélé que les versets n'ont pas été écrits par le Diable, mais par Gabriel lui-même. En outre, l'un des compagnons de Mahomet met en doute l'authenticité du prophète et réécrit discrètement des parties du Coran dictées par Mahomet ....
"Gibreel when he submits to the inevitable, when he slides heavylidded towards visions of his angeling, passes his loving mother who has a different name for him, Shaitan, she calls him, just like Shaitan, same to same, because he has been fooling around with the tiffins to be carried into the city for the office workers’ lunch, mischeevious imp, she slices the air with her hand, rascal has been putting Muslim meat compartments into Hindu non-veg tiffin-carriers, customers are up in arms. Little devil, she scolds, but then folds him in her arms, my little farishta, boys will be boys, and he falls past her into sleep, growing bigger as he falls and the falling begins to feel like flight, his mother’s voice wafts distantly up to him, baba, look how you grew, enor-mouse, wah-wah, applause. He is gigantic, wingless, standing with his feet upon the horizon and his arms around the sun.
In the early dreams he sees beginnings, Shaitan cast down from the sky, making a grab for a branch of the highest Thing, the lote-tree of the uttermost end that stands beneath the Throne, Shaitan missing, plummeting, splat. But he lived on, was not couldn’t be dead, sang from hellbelow his soft seductive verses. O the sweet songs that he knew. With his daughters as his fiendish backing group, yes, the three of them, Lat Manat Uzza, motherless girls laughing with their Abba, giggling behind their hands at Gibreel, what a trick we got in store for you, they giggle, for you and for that businessman on the hill. But before the businessman there are other stories, here he is, Archangel Gibreel, revealing the spring of Zamzam to Hagar the Egyptian so that, abandoned by the prophet Ibrahim with their child in the desert, she might drink the cool spring waters and so live. And later, after the Jurhum filled up Zamzam with mud and golden gazelles, so that it was lost for a time, here he is again, pointing it out to that one, Muttalib of the scarlet tents, father of the child with the silver hair who fathered, in turn, the businessman. The businessman: here he comes.
Sometimes when he sleeps Gibreel becomes aware, without the dream, of himself sleeping, of himself dreaming his own awareness of his dream, and then a panic begins, O God, he cries out, O all-good allahgod, I’ve had my bloody chips, me. Got bugs in the brain, full mad, a looney tune and a gone baboon. Just as he, the businessman, felt when he first saw the archangel: thought he was cracked, wanted to throw himself down from a rock, from a high rock, from a rock on which there grew a stunted lote-tree, a rock as high as the roof of the world...."