Political Notes - Freedom

 "On Freedom", Timothy Snyder (2024) - Isaiah Berlin, "Two Concepts of Liberty" (1958) - "Creating Capabilities : the human development approach", Martha Nussbaum (2011) - ...

Last update: 06/06/2024


La liberté est, entre autre, un engagement fondamental organisant la vie politique et socio-économique des Etats-Unis, c'est aussi pour tout citoyen du monde vivant en démocratie une notion incontournable dont le principe semble se suffire à lui-même. Bien des politiciens et médias associés usent et abusent de cette notion, à tel point que nous avons perdu de vue ce qu'elle pouvait réellement encore signifier. On vient même à une notion contradictoire et d'une dangereuse ambiguïté  : 

- Qui ne détient pas le pouvoir pense que que nous sommes libres si nous pouvons faire et dire ce que nous voulons; dans ce contexte, l'ambiguïté est encore plus grande, notre liberté est menacée autant par l'autre que par celui qui détient ce pouvoir, et pourtant nous demandons à ce dernier, malgré ses excès éventuels, protection et sécurisation de notre sphère privée. 

- Qui détient le pouvoir, dans nos démocraties, est supposé incarner un équilibre entre une notion abstraite de la liberté de tous qu'il convient de préserver juridiquement et une pratique qui n'a plus pour seule finalité que de neutraliser les supposés excès de cette liberté : on en vient dans cette logique à lui opposer des valeurs relevant d'un bien commun encore plus obscurément défini, on parle de Nation, de République, de Légitimité, de Grandeur, de Souveraineté populaire ou d'Ordre tout simplement ...


Isaiah Berlin, "Two Concepts of Liberty" (1958) 

C'est dans le contexte de la guerre froide des années 1950, où les deux grandes idéologies opposées (libéralisme occidental et communisme soviétique) qui dominaient alors le monde revendiquer chacune d'incarner la "véritable liberté", que le philosophe britannique Isaiah Berlin a développé, dans son célèbre essai "Two Concepts of Liberty" (1958), la distinction entre "liberté négative" et "liberté positive", soit la liberté comme absence de contraintes extérieures à la liberté comme capacité à agir et à se réaliser pleinement. Et, pour lui, la liberté positive ne peut  justifier des formes autoritaires, comme celles des régimes totalitaires, qui imposent une vision normative du "bien" aux individus...

 

Liberté négative :

- C'est l'absence de contrainte extérieure imposée par d'autres individus ou institutions.

- D'où la question centrale : "Que m'est-il permis de faire sans interférence d'autrui ?"

La liberté de parole, de propriété, ou de choix personnel, tant qu'elle n'est pas entravée par des forces coercitives, comme un gouvernement autoritaire ou une oppression sociale.

Mais cette "liberté négative" ne garantit pas que les individus auront les ressources ou la capacité de réaliser leurs objectifs.

 

Liberté positive :

- C'est la capacité d'agir en fonction de sa propre volonté, de réaliser ses objectifs, et d'être maître de soi-même.

- D'où la question centrale : "Qui me contrôle et comment puis-je être maître de moi-même ?"

Le droit à l'éducation pour développer son potentiel ou les politiques qui permettent de surmonter des obstacles économiques et sociaux pour atteindre l'autonomie.

- mais Berlin nous met en garde : cette liberté positive peut être exploitée pour justifier des formes de coercition, comme dans les régimes totalitaires, où les dirigeants prétendent savoir ce qui est "mieux" pour les individus. 

La question peut tout autant se poser dans un contexte démocratique, le fait majoritaire s'imposant selon une légitimité qui ne peut être fondamentalement contestée : mais le fait majoritaire ne résout pas toutes les problématiques relatives à la notion de liberté. Compte tenu des effets de masse et des oppositions de plus en plus marquées, et revendiquées, entre des individus de conditions culturelles et économiques fortement dissonantes, il semble que d'autres catégories de la pensée politique soient à mobiliser pour tenter de revaloriser le débat politique, on parle, sans véritablement les maîtriser, de notions telles que la pratique participative et la recherche du consensus ...

 

Cette distinction entre ces deux formes de liberté, "liberté négative" et "liberté positive" est une donc une création de la philosophie politique moderne mais s'enracine dans plusieurs traditions philosophiques ...

 

- La liberté négative, un héritage "libéral" ...

- John Locke (1632–1704) : Locke défend l'idée que la liberté consiste en l'absence de contraintes arbitraires imposées par un pouvoir extérieur. Il met l'accent sur les droits naturels (vie, liberté, propriété) et sur la limitation du pouvoir de l'État.

- Thomas Hobbes (1588–1679) : Pour Hobbes, la liberté est l'absence d'obstacles extérieurs. Tant que les lois ne restreignent pas directement nos actions, nous sommes libres.

- Adam Smith (1723–1790) : Le père de l'économie moderne valorise la liberté négative dans le contexte des marchés libres, où les individus doivent être laissés libres de poursuivre leurs intérêts.

 

- La liberté positive, un héritage "idéaliste" ...

- Jean-Jacques Rousseau (1712–1778) : Rousseau introduit l'idée que la liberté véritable repose sur l'obéissance à une "volonté générale" rationnelle, qui transcende les désirs individuels immédiats.

- G.W.F. Hegel (1770–1831) : Hegel voit la liberté comme l'autoréalisation dans le cadre des institutions sociales et historiques. La liberté est réalisée lorsque l'individu agit en accord avec sa nature rationnelle, ce qui nécessite des relations avec autrui et l'intégration dans une communauté.

- Karl Marx (1818–1883) : Marx associe la liberté à l'émancipation collective et à la suppression des structures de domination économique, considérant que la liberté individuelle est entravée par les inégalités structurelles.

 

La distinction conçue par Berlin a marqué les débats sur la liberté pour bien des auteurs, mais totalement ignoré du grand public, et du miroir médiatique que lui tendent ces quelques individualités qui accèdent au pouvoir et qui, pour la plupart, se révèlent d'une ignorance politique assez remarquable. Certains penseurs ont estimé que cette dichotomie masque la complexité des différentes formes de liberté, d'autres que la liberté négative et la liberté positive ne s'excluent pas mutuellement, mais se complètent. Des philosophes comme Amartya Sen et Martha Nussbaum ont proposé des conceptions plus nuancées de la liberté, en mettant l'accent sur les capabilités (capacités réelles à réaliser des objectifs significatifs)...

 

La philosophie politique n'a guère progressé sur ces sujets depuis que furent patiemment déconstruits les phénomènes totalitaires et les justifications de la colonisation. L'instauration de la démocratie et la revendication abstraite de la liberté individuelle ne donnent plus à penser.  Il est peut-être temps de nous demander de quoi nous parle le politique qui nous sollicite nos suffrages, les medias qui réinterprètent le monde en temps réel sans aucune contrepartie critique, et chacun d'entre nous qui tentons d'exister les uns vis à vis des autres sans plus d'argumentaire que l'indifférence ou l'invective permanente ...


"Creating Capabilities : the human development approach", Martha Nussbaum (2011)

"The Capabilities Approach" - Pour la philosophe américaine Martha Nussbaum (1947), la liberté n’est pas simplement l’absence de contraintes extérieures (liberté négative) ni la capacité abstraite de réaliser ses objectifs (liberté positive), mais elle est plutôt une question de "capabilités" réelles, de "libertés concrètes" dont disposent les individus pour vivre une vie la plus digne et épanouie possible. Une proposition qui semble de bon sens, la question fondamentales qui se posent est en effet celle des conditions réelles nécessaires pour que tout individu puisse exercer sa "liberté" de manière significative. Ou plus simplement encore, qu’est-ce que chaque personne peut réellement faire et être? Quelles sont les possibilités réelles qui s’offrent à eux? ...

 

"The Capabilities Approach can be provisionally defined as an approach to comparative quality-of-life assessment and to theorizing about basic social justice. It holds that the key question to ask, when comparing societies and assessing them for their basic decency or justice, is, "What is each person able to do and to be?" In other words, the approach takes each personas an end, asking not just about the total or average well-being but about the opportunities available to each person. It is focused on choice or freedom, holding that the crucial good societies should be promoting for their people is a set of opportunities, or substantial freedoms, which people then may or may not exercise in action: the choice is theirs. It thus commits itself to respect for people's powers of self-definition. 

 

« L'approche des capacités peut être provisoirement définie comme une approche de l'évaluation comparative de la qualité de vie et de la théorisation de la justice sociale fondamentale. Elle soutient que la question clé à poser, lorsque l'on compare des sociétés et que l'on évalue leur décence ou leur justice fondamentale, est la suivante : « Qu'est-ce que chaque personne est capable de faire et d'être ? ». En d'autres termes, cette approche considère chaque personne comme une fin, et s'interroge non seulement sur le bien-être total ou moyen, mais aussi sur les possibilités offertes à chacun. Elle se concentre sur le choix ou la liberté, estimant que le bien essentiel que les sociétés devraient promouvoir pour leurs citoyens est un ensemble d'opportunités, ou de libertés substantielles, que les gens peuvent ou non exercer dans l'action : c'est à eux de choisir. Elle s'engage donc à respecter le pouvoir d'autodéfinition des individus.

 

"The approach is resolutely pluralist about value: it holds that the capability achieve ments that are central for people are different in quality, not just in quantity; that they cannot without distortion be reduced to a single numerical scale; and that a fundamental part of understanding and producing them is understanding the specific nature of each. Finally, the approach is concerned with entrenched social injustice and inequality, especially capability failures that are the result of discrimination or marginalization. It ascribes an urgent task to government and public policy-namely, to improve the quality of life for all people, as defined by their capabilities..."

 

L'approche est résolument pluraliste en ce qui concerne la valeur : elle soutient que les réalisations de capacités qui sont essentielles pour les personnes sont différentes en qualité, et pas seulement en quantité ; qu'elles ne peuvent pas être réduites sans distorsion à une échelle numérique unique ; et qu'une partie fondamentale de la compréhension et de la production de ces réalisations est la compréhension de la nature spécifique de chacune d'entre elles. Enfin, l'approche se préoccupe de l'injustice et de l'inégalité sociales profondément enracinées, en particulier des défaillances de capacités qui résultent de la discrimination ou de la marginalisation. Elle attribue une tâche urgente aux gouvernements et aux politiques publiques, à savoir l'amélioration de la qualité de vie de tous les individus, telle qu'elle est définie par leurs capacités...."

 

Dans notre ère d’iniquités injustifiables, Nussbaum semble nous montrer comment, en écoutant les récits des individus et en saisissant l’impact quotidien des politiques, nous pouvons permettre aux gens de vivre une vie pleine et créative. Une vision qui met l’accent sur des thématiques fortement répandues de nos jours telles que la justice sociale, l’émancipation des groupes vulnérables et la responsabilité des institutions pour garantir les conditions nécessaires à la réalisation de cette liberté...

 

La "théorie des capabilités" de Martha Nussbaum, développée notamment dans des œuvres comme "Women and Human Development" (2000) et "Creating Capabilities" (2011), propose une conception de la liberté centrée sur la capacité des individus à réaliser leur potentiel dans des dimensions essentielles de la vie humaine. Ces "capabilités" sont les libertés réelles dont dispose une personne pour choisir et agir dans des domaines clés de sa vie. Contrairement aux ressources (comme l'argent) ou aux opportunités abstraites (comme des droits formels), les capabilités mettent l’accent sur ce que les individus peuvent réellement faire ou être. 

Pour Nussbaum, la liberté est plus qu’une absence de contraintes ; elle consiste en la possibilité de mener une vie digne et épanouie, grâce à la garantie des conditions minimales suivantes :

- Santé : Avoir la capacité de vivre une vie longue et en bonne santé.

- Éducation : Pouvoir développer ses compétences intellectuelles et accéder à la connaissance.

- Expression : Pouvoir exprimer librement ses pensées, croyances et opinions.

- Autonomie corporelle : Avoir le contrôle de son corps, notamment en matière de choix reproductifs.

- Participation politique : Pouvoir participer activement à la vie politique et sociale.

Nussbaum élabore ainsi une liste de dix "capabilités" centrales, qu'elle considère comme les bases d'une vie humaine digne. Ces capabilités sont des prérequis nécessaires pour exercer une véritable liberté.

 

La liberté, selon Nussbaum, ne peut être réalisée que dans des conditions de justice sociale. Elle critique les conceptions qui se concentrent uniquement sur la liberté négative (absence d'interférence de l'État ou d'autrui) et défend une approche selon laquelle les gouvernements ont l'obligation de créer des conditions permettant aux individus de développer leurs capabilités. A l'Etat, de garantir des droits fondamentaux et d'investir dans les infrastructures nécessaires (éducation, santé, justice) et de s'attaquer aux inégalités structurelles. Nussbaum rejette l’idée que la liberté peut se résumer à l’absence de coercition (liberté négative). Elle soutient que cette conception ne tient pas compte des inégalités réelles qui limitent la capacité de certains individus à exercer leur liberté.

Nussbaum met l'accent sur la diversité humaine et les différences dans les besoins et capacités des individus. Contrairement aux théories de la justice qui s'appuient sur des notions uniformes de droits ou de ressources, elle insiste sur l'importance de prendre en compte les contextes spécifiques qui influencent la liberté réelle des personnes.

Dans ses travaux sur le développement humain (en collaboration avec Amartya Sen), Nussbaum lie la liberté aux objectifs de justice mondiale. Elle critique les modèles de développement qui mesurent la prospérité uniquement en termes de PIB ou de croissance économique, arguant que ces indicateurs ignorent les libertés réelles des individus. Les politiques internationales doivent viser à élargir les capabilités des personnes, notamment dans les pays en développement. La liberté est ainsi conçue sur le mode d'une émancipation mondiale : la liberté est ici comme un projet universel, mais sensible aux contextes locaux ..


"On Freedom", Timothy Snyder (2024) 

La notion de liberté, pour Timothy Snyder, historien et professeur à l'Université de Yale, doit être réévaluée. On ne peut plus la limiter à sa formule classique, largement partagée, à sa formulation négative qui réside toute entière en l'absence de contraintes. Cette interprétation, d'une évidence absolue, jusque-là, semble nous conduire à une progressive érosion de nos institutions démocratiques. Il est une notion plus positive que l'auteur nous propose de définir et d'approfondir, elle est collective en ce sens qu'elle s'étend désormais à notre capacité à pouvoir nous épanouir et collaborer au sein de structures sociales qui puissent nous correspondre. La liberté est décrite comme une entreprise collective, nécessitant la participation active de chacun pour créer et maintenir des structures sociales justes et équitables.

Timothy Snyder (1969) est un historien américain spécialisé dans l’histoire de l’Europe centrale et orientale, le totalitarisme, et les génocides du XXe siècle. Il est particulièrement connu pour ses travaux sur l’Holocauste, les régimes nazi et soviétique, ainsi que sur les défis contemporains à la démocratie. "Bloodlands: Europe Between Hitler and Stalin" (2010) offrait une comparative des deux régimes totalitaires en étudiant les meurtres de masse perpétrés dans les "terres de sang" que furent la Pologne, l'Ukraine, la Biélorussie. "Black Earth: The Holocaust as History and Warning" (2015) tentait une réinterprétation de l'Holocauste en tant que drame à situer dans la continuité de la destruction des États-nations en Europe de l’Est. "On Tyranny: Twenty Lessons from the Twentieth Century" (2017) s'inspirait de l'expérience passée des régimes autoritaires du XXe siècle pour en tirer suffisamment de leçons nous permettant d'espérer résister aux menaces modernes contre la démocratie de notre époque. "The Road to Unfreedom: Russia, Europe, America" (2018) étudiait les origines et mécanismes de la montée des régimes autoritaires contemporains, avec une attention particulière sur  la Russie et à son influence sur l’Occident. "Our Malady: Lessons in Liberty from a Hospital Diary" (2020) se présentait comme un livre plus personnel mêlant réflexion politique et récit de son expérience médicale, et critiquant les défaillances du système de santé américain....

 

"In this book, I aim to define freedom. The task begins with rescuing the word from overuse and abuse. I worry that, in my own country, the United States, we speak of freedom without considering what it is. Americans often have in mind the absence of something: occupation, oppression, or even government. An individual is free, we think, when the government is out of the way. Negative freedom is our common sense.

To be sure, it is tempting to think of liberty as us against the world, which the notion of negative freedom allows us to do. If the barriers are the only problem, then all must be right with us. That makes us feel good. We think that we would be free if not for a world outside that does us wrong. But is the removal of something in the world really enough to liberate us? Is it not as important, perhaps even more important, to add things? "

 

"Dans ce livre, j'ai l'intention de définir la liberté. Il s'agit tout d'abord de sauver le mot d'un usage excessif et abusif. Je crains que, dans mon propre pays, les États-Unis, nous parlions de liberté sans réfléchir à ce qu'elle est. Les Américains ont souvent à l'esprit l'absence de quelque chose : l'occupation, l'oppression ou même le gouvernement. Nous pensons qu'un individu est libre lorsque le gouvernement ne s'en mêle pas. La liberté négative est notre sens commun.

Certes, il est tentant de penser que la liberté, c'est nous contre le monde, ce que la notion de liberté négative nous permet de faire. Si les barrières sont le seul problème, alors tout doit bien se passer pour nous. Nous nous sentons bien. Nous pensons que nous serions libres s'il n'y avait pas un monde extérieur qui nous fait du tort. Mais la suppression de quelque chose dans le monde suffit-elle vraiment à nous libérer ? N'est-il pas aussi important, voire plus important, d'ajouter des choses ? "

 

"If we want to be free, we will have to affirm, not just deny. Sometimes we will have to destroy, but more often we will need to create. Most often we will need to adapt both the world and ourselves, on the basis of what we know and value. We need structures, just the right ones, moral as well as political. Virtue is an inseparable part of freedom.

“Stone Walls do not a Prison make / Nor Iron bars a Cage”—said the poet. Sometimes they do, and sometimes they don’t. Oppression is not just obstruction but the human intention behind it. In Ukraine’s Donetsk, an abandoned factory became an art lab; under Russian occupation, the same building became a torture facility. A school basement, as in Yahidne, can be a concentration camp.

Early Nazi concentration camps, for that matter, were in bars, hotels, and castles. The first permanent one, Dachau, was in an abandoned factory. Auschwitz had been a Polish military base meant to defend people from a German attack. Kozelsk, a Soviet POW camp where Polish officers were held before their execution, had been a monastery—the one where Fyodor Dostoevsky, in The Brothers Karamazov, set the dialogue with the famous question: If God is dead, is everything permitted?

No larger force makes us free, nor does the absence of such a larger force. Nature gives us a chance to be free, nothing less, nothing more. We are told that we are “born free”: untrue. We are born squalling, attached to an umbilical cord, covered in a woman’s blood. Whether we become free depends upon the actions of others, upon the structures that enable those actions, upon the values that enliven those structures—and only then upon a flicker of spontaneity and the courage of our own choices."

 

"Si nous voulons être libres, nous devrons affirmer, et pas seulement nier. Parfois, nous devrons détruire, mais plus souvent nous devrons créer. Le plus souvent, nous devrons adapter le monde et nous-mêmes, sur la base de ce que nous connaissons et apprécions. Nous avons besoin de structures, les bonnes, morales et politiques. La vertu est indissociable de la liberté.

« Les murs de pierre ne font pas une prison / Ni les barreaux de fer une cage », disait le poète. Parfois, c'est le cas, parfois non. L'oppression n'est pas seulement une obstruction, c'est aussi l'intention humaine qui la sous-tend. À Donetsk, en Ukraine, une usine abandonnée est devenue un laboratoire d'art ; sous l'occupation russe, le même bâtiment est devenu un lieu de torture. Le sous-sol d'une école, comme à Yahidne, peut devenir un camp de concentration.

Les premiers camps de concentration nazis se trouvaient d'ailleurs dans des bars, des hôtels et des châteaux. Le premier camp permanent, Dachau, se trouvait dans une usine désaffectée. Auschwitz était une base militaire polonaise destinée à défendre la population contre une attaque allemande. Kozelsk, un camp de prisonniers de guerre soviétique où des officiers polonais étaient détenus avant leur exécution, avait été un monastère - celui où Fiodor Dostoïevski, dans Les Frères Karamazov, a engagé le dialogue avec la célèbre question : « Si Dieu est mort, tout est-il permis ? Si Dieu est mort, tout est-il permis ?

Aucune force supérieure ne nous rend libres, pas plus que l'absence d'une telle force. La nature nous donne une chance d'être libres, rien de moins, rien de plus. On nous dit que nous « naissons libres » : c'est faux. Nous naissons malingres, attachés à un cordon ombilical, couverts du sang d'une femme. Notre liberté dépend des actions des autres, des structures qui permettent ces actions, des valeurs qui animent ces structures, et seulement ensuite d'un soupçon de spontanéité et du courage de nos propres choix."

 

"The structures that hinder or enable are physical and moral. It matters how we speak and think about freedom. Liberty begins with de-occupying our minds from the wrong ideas. And there are right and wrong ideas. In a world of relativism and cowardice, freedom is the absolute among absolutes, the value of values. This is not because freedom is the one good thing to which all others must bow. It is because freedom is the condition in which all the good things can flow within us and among us.

Nor is it because freedom is a vacuum left by a dead God or an empty world. Freedom is not an absence but a presence, a life in which we choose multiple commitments and realize combinations of them in the world. Virtues are real, as real as the starry heavens; when we are free, we learn them, exhibit them, bring them to life. Over time, our choices among virtues define us as people of will and individuality."

 

"Les structures qui entravent ou favorisent la liberté sont physiques et morales. La façon dont nous parlons et pensons la liberté est importante. La liberté commence par la désoccupation de notre esprit des idées erronées. Et il y a des idées justes et des idées fausses. Dans un monde de relativisme et de lâcheté, la liberté est l'absolu parmi les absolus, la valeur des valeurs. Ce n'est pas parce que la liberté est la seule bonne chose devant laquelle toutes les autres doivent s'incliner. C'est parce que la liberté est la condition dans laquelle toutes les bonnes choses peuvent circuler en nous et parmi nous.

Ce n'est pas non plus parce que la liberté est un vide laissé par un Dieu mort ou un monde vide. La liberté n'est pas une absence mais une présence, une vie dans laquelle nous choisissons des engagements multiples et en réalisons des combinaisons dans le monde. Les vertus sont réelles, aussi réelles que les cieux étoilés ; lorsque nous sommes libres, nous les apprenons, nous les exposons, nous les faisons vivre. Au fil du temps, nos choix parmi les vertus nous définissent comme des personnes de volonté et d'individualité."

 

"How does freedom figure in our lives? The connections between freedom as a principle and freedom as a practice are the five forms of freedom. The forms create a world where people act on the basis of values. They are not rules or orders. They are the logical, moral, and political links between common action and the formation of free individuals. The forms resolve two apparent conundrums: a free person is an individual, but no one becomes an individual alone; freedom is felt in one lifetime, but it must be the work of generations."

 

"Quelle est la place de la liberté dans notre vie ? Les liens entre la liberté en tant que principe et la liberté en tant que pratique sont les cinq formes de liberté. Ces formes créent un monde où les gens agissent sur la base de valeurs. Il ne s'agit pas de règles ou d'ordres. Ce sont les liens logiques, moraux et politiques entre l'action commune et la formation d'individus libres. Les formes résolvent deux énigmes apparentes : une personne libre est un individu, mais personne ne devient un individu seul ; la liberté est ressentie au cours d'une vie, mais elle doit être l'œuvre de plusieurs générations."

 

"The five forms are: sovereignty, or the learned capacity to make choices; unpredictability, the power to adapt physical regularities to personal purposes; mobility, the capacity to move through space and time following values; factuality, the grip on the world that allows us to change it; and solidarity, the recognition that freedom is for everyone.

The labor of freedom begins after the labor of a mother. A baby has the potential to evaluate the world and change it, and it develops the requisite capabilities with the support of and in the company of others. This is sovereignty. Coming of age, a young human being learns to see the world as it is and to imagine how it might be. A sovereign person mixes chosen virtues with the world outside to make something new. Thus unpredictability is the second form of freedom.

Our bodies need places to go. We cannot as young people create for ourselves the conditions that will allow us to be sovereign and unpredictable. But once those conditions have been created, we rebel against the very institutions that made them possible and go our own way. And this mobility, the third form of freedom, is to be encouraged.

We are free to do only the things we know how to do, and free to go only to places where we can go. What we don’t know can hurt us, and what we do know empowers us. Freedom’s fourth form is factuality. No individual achieves freedom alone. Practically and ethically, freedom for you means freedom for me. This recognition is solidarity, the final form of freedom."

 

"Les cinq formes sont : la souveraineté, ou la capacité acquise de faire des choix ; l'imprévisibilité, le pouvoir d'adapter les régularités physiques à des fins personnelles ; la mobilité, la capacité de se déplacer dans l'espace et le temps en suivant des valeurs ; la factualité, la prise sur le monde qui nous permet de le changer ; et la solidarité, la reconnaissance du fait que la liberté est pour tout le monde.

Le travail de la liberté commence après le travail de la mère. Un bébé a le potentiel d'évaluer le monde et de le changer, et il développe les capacités requises avec le soutien et en compagnie d'autres personnes. C'est la souveraineté. En atteignant l'âge adulte, un jeune être humain apprend à voir le monde tel qu'il est et à imaginer comment il pourrait être. Une personne souveraine mélange les vertus qu'elle a choisies avec le monde extérieur pour en faire quelque chose de nouveau. L'imprévisibilité est donc la deuxième forme de liberté. Notre corps a besoin d'endroits où aller. En tant que jeunes, nous ne pouvons pas créer nous-mêmes les conditions qui nous permettront d'être souverains et imprévisibles. Mais une fois ces conditions créées, nous nous rebellons contre les institutions qui les ont rendues possibles et nous suivons notre propre chemin. Cette mobilité, troisième forme de liberté, doit être encouragée.

Nous sommes libres de faire uniquement les choses que nous savons faire, et libres d'aller uniquement là où nous pouvons aller. Ce que nous ne savons pas peut nous blesser, et ce que nous savons nous donne du pouvoir. La quatrième forme de la liberté est la réalité. Aucun individu ne peut atteindre la liberté seul. Dans la pratique et sur le plan éthique, la liberté pour toi signifie la liberté pour moi. Cette reconnaissance est la solidarité, la dernière forme de liberté."

 

L'auteur identifie donc cinq dimensions essentielles de la liberté :

 

- La Souveraineté (Sovereignity) : sans autonomie décisionnelle il n'est de possibilité d'exercer une véritable liberté. 

Une autonoimie qui se fonde sur la compréhension personnelle que l'on peut avoir de soi et du monde : "A sovereign person knows themselves and the world sufficiently to make judgments about values and to realize those judgments". Et dans ce cadre, l'auteur en appelle singulièrement aux travaux d'Edith Stein, qui souligne l'importance de l'empathie dans la formation de la conscience de soi. Edith Stein (1891-1942), qui fut l'une des principales élèves d'Edmund Husserl, le fondateur de la phénoménologie,se convertit au catholicisme en 1922 à la lecture de l'autobiographie de Sainte Thérèse d'Avila, entra au carmel de Cologne, où elle prit le nom de Sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix face à la montée du nazisme et aux persécutions antisémites (1933), et fut déportée à Auschwitz, où elle mourut dans les chambres à gaz le 9 août 1942. Son ouvrage majeur : "De l’empathie" (Zum Problem der Einfühlung, 1917). En reconnaissant l'existence et les perspectives des autres, nous développons une meilleure compréhension de nous-mêmes, renforçant ainsi notre souveraineté personnelle. Une empathie qui se prolongera dans les structures sociales via la "solidarité" ...

 

- L'Imprévisibilité (Unpredictability) : nous ne pouvons espérer naviguer dans un monde en constante évolution et exercer une liberté authentique si  nous n'avons pas la capacité de nous adapter à des situations nouvelles et à innover. Snyder met en garde contre une société trop prévisible, dans laquelle les structures rigides peuvent étouffer toute innovation. Il insiste sur le rôle de l'éducation dans le développement de l'imprévisibilité, en encourageant la pensée critique, la créativité et la capacité à remettre en question les normes établies.

 

- La Mobilité (Mobility) englobe tout à la fois le déplacement physique (se déplacer dans l'espace et le temps) et les possibilités d'ascension sociale. Les inégalités croissantes, notamment aux États-Unis depuis les années 1980, ont réduit cette dernière, transformant le "rêve américain" en un mythe inaccessible pour beaucoup. La possibilité de se déplacer, de changer de situation et de saisir de nouvelles opportunités est essentielle pour que les individus puissent réaliser leur potentiel et vivre selon leurs valeurs...

 

 - La Factualité (Factuality, Living Truth) : il n'est de prise de décision éclairée et d'exercice d'une liberté authentique sans un désir de vérité, de vérité factuelle et de pensée critique vis-à-vis du monde qui nous entoure...

 

".. We get leverage on liberty when we understand the facts of our existence. If we know something about child development, we can raise children to be sovereign. If we understand social media, we can avoid being predictified. If we know the history of Nazism, we can recognize the politics of ecological collapse. If we have some grasp of natural history, we can imagine structures that would open the future. Confident about the big truths of science, we can resist the apostles of negative freedom and their bogus certainties.

Negative freedom is the fantasy that the problem is entirely beyond us, and that we can become free simply by removing an obstacle. We have confronted a few forms of negative freedom: just eliminate property (Marx); just eliminate the Jews (Hitler); just eliminate the imperialists (anticolonialists); just eliminate government (Americans)."

 

 « Nous avons un effet de levier sur la liberté lorsque nous comprenons les faits de notre existence. Si nous avons des connaissances sur le développement de l'enfant, nous pouvons élever nos enfants de manière à ce qu'ils soient souverains. Si nous comprenons les médias sociaux, nous pouvons éviter d'être prédictifs. Si nous connaissons l'histoire du nazisme, nous pouvons reconnaître la politique de l'effondrement écologique. Si nous avons une certaine connaissance de l'histoire naturelle, nous pouvons imaginer des structures qui ouvriraient l'avenir. Confiants dans les grandes vérités de la science, nous pouvons résister aux apôtres de la liberté négative et à leurs fausses certitudes.

La liberté négative est le fantasme selon lequel le problème nous dépasse entièrement et que nous pouvons devenir libres simplement en éliminant un obstacle. Nous avons été confrontés à quelques formes de liberté négative : il suffit d'éliminer la propriété (Marx) ; il suffit d'éliminer les Juifs (Hitler) ; il suffit d'éliminer les impérialistes (anticolonialistes) ; il suffit d'éliminer le gouvernement (Américains). 

 

"Negative freedom presents itself as revolutionary, but the revolution it demands ignores the terrain that matters: the way we think about ourselves and the way we evaluate the world. Our contemporary American version of negative freedom is presented as the hard truth, but it fails entirely to deal with how the world actually works. It does not assimilate the most essential knowledge: biology, chemistry, and physics; birth, death, aging; the earth we live on; our place in the universe; our power to consider that place."

 

La liberté négative se présente comme révolutionnaire, mais la révolution qu'elle exige ignore un processus fondamental : la façon dont nous nous percevons et dont nous évaluons le monde. Notre version américaine contemporaine de la liberté négative est présentée comme la stricte vérité, mais elle ne tient aucun compte de la manière dont le monde fonctionne réellement. Elle n'assimile pas les connaissances les plus essentielles : la biologie, la chimie et la physique ; la naissance, la mort, le vieillissement ; la terre sur laquelle nous vivons ; notre place dans l'univers ; notre pouvoir de considérer cette place.

 

"Life, liberty, and the pursuit of happiness. A right to life begins with knowledge: what life is; how life works; how life is possible on this earth. If we neglect that knowledge, we cease to be. We are vulnerable to nature and to those who wish to manipulate and harm us. Yet if we gain and apply knowledge about the energy of life, we can not only avoid the worst but ensure the best. Our universe neither makes us free nor prevents us from being free. It leaves open a realm of what should be, a law of freedom that allows us our endless combinations of virtues. Its constraints become our capacities if we understand them and apply our knowledge with a purpose..."

 

« La vie, la liberté et la recherche du bonheur. Le droit à la vie commence par la connaissance : ce qu'est la vie, comment elle fonctionne, comment elle est possible sur cette terre. Si nous négligeons cette connaissance, nous cessons d'être. Nous sommes vulnérables à la nature et à ceux qui veulent nous manipuler et nous faire du mal. Pourtant, si nous acquérons et appliquons des connaissances sur l'énergie de la vie, nous pouvons non seulement éviter le pire, mais aussi garantir le meilleur. Notre univers ne nous rend pas libres et ne nous empêche pas de l'être. Il laisse ouvert un domaine de ce qui devrait être, une loi de liberté qui nous permet nos combinaisons infinies de vertus. Ses contraintes deviennent nos capacités si nous les comprenons et si nous appliquons nos connaissances dans un but précis... »

 

- La Solidarité (Sildarity) : la véritable liberté ne peut donc être atteinte individuellement, mais  nécessite une reconnaissance mutuelle et une coopération entre les membres de la société. Se limiter la liberté comme simple absence ou évitement d'oppression, néglige l'importance incontournable des structures collectives nécessaires pour permettre à chacun d'espérer mener une existence dite "significative". Evoquer la nécessaire reconnaissance mutuelle et une coopération entre les membres de la société, c'est discuter du rôle des institutions publiques, et de réévaluer ce rôle de telle façon qu'elle puisse contribuer à la création des conditions permettant à chacun de s'épanouir et de contribuer positivement à la société .. 

 

"The solution to the problem of freedom is not, as some on the Right think, to mock or abandon government. The solution is also not, as some on the Left think, to ignore or cast away the rhetoric of freedom. Freedom justifies government. The forms of freedom show us how. This book follows the logic of an argument and the logic of a life. The first three forms of freedom pertain to different phases of life: sovereignty to childhood; unpredictability to youth; mobility to young adulthood. Factuality and solidarity are the mature forms of freedom, enabling the others. Each form has a chapter."

 

"La solution au problème de la liberté n'est pas, comme le pensent certains à droite, de se moquer du gouvernement ou de l'abandonner. La solution n'est pas non plus, comme le pensent certains à gauche, d'ignorer ou de rejeter la rhétorique de la liberté. La liberté justifie le gouvernement. Les formes de liberté nous montrent comment. Ce livre suit la logique d'un argument et la logique d'une vie. Les trois premières formes de liberté correspondent à différentes phases de la vie : la souveraineté à l'enfance, l'imprévisibilité à la jeunesse et la mobilité au début de l'âge adulte. La factualité et la solidarité sont les formes matures de la liberté, qui permettent aux autres de s'épanouir. Chaque forme fait l'objet d'un chapitre."

 

"In the introduction, I draw on my own life, beginning with the first time I remember thinking about freedom: during the summer of 1976, the American bicentennial year. I will try to show, on the basis of five decades of my own mistakes, how some misunderstandings of freedom arose, and how they might be corrected. The conclusion describes a good government, one that we might create together. There I imagine an America that has reached the year 2076, its tercentennial, as a land of the free."

 

"Dans l'introduction, je m'inspire de ma propre vie, en commençant par la première fois où je me souviens avoir pensé à la liberté : au cours de l'été 1976, l'année du bicentenaire des États-Unis. J'essaierai de montrer, sur la base de cinq décennies de mes propres erreurs, comment certains malentendus sur la liberté sont apparus et comment ils pourraient être corrigés. La conclusion décrit un bon gouvernement, que nous pourrions créer ensemble. J'y imagine une Amérique qui a atteint l'année 2076, son tricentenaire, en tant que terre de liberté."

 

"The chapters are divided into vignettes. Some of them include memories that sprang to mind as I was trying to address a philosophical issue. The flashes of recollection enable some reflection. They allow me to apply a humble version of the Socratic method to my earlier self: questioning the sense of words and the habits of life, to awaken what is, in some sense, already known. The point is to elicit truths about this country and about freedom that were not evident to me in the moment—and that would not be evident to me now had I not passed through those earlier experiences."

 

"Les chapitres sont divisés en vignettes. Certains d'entre eux comprennent des souvenirs qui me sont venus à l'esprit alors que j'essayais d'aborder une question philosophique. Ces flashs de mémoire permettent une certaine réflexion. Ils me permettent d'appliquer une humble version de la méthode socratique à mon moi d'avant : interroger le sens des mots et les habitudes de vie, pour réveiller ce qui est, d'une certaine manière, déjà connu. Il s'agit de faire émerger des vérités sur ce pays et sur la liberté qui n'étaient pas évidentes pour moi sur le moment - et qui ne le seraient pas aujourd'hui si je n'étais pas passé par ces expériences antérieures."

 

"This is a philosophical method (I hope) fitting for a historian, which is what I am. I rely on historical examples and know more about the past of some regions than others. This is a book about the United States, but I draw comparisons with western Europe, eastern Europe, the Soviet Union, and Nazi Germany. I am in discussion here with philosophers ancient, modern, and contemporary. Sometimes I leave the references implicit; those who care will catch them. I do cite explicitly five thinkers: Frantz Fanon, Václav Havel, Leszek Kołakowski, Edith Stein, and Simone Weil. These figures are not American and are not well known in the United States; with minor exceptions, they neither resided in the country nor wrote about it. A prodding from another tradition (or a term from another language) can shake us free of misapprehensions. I adapt from each thinker a concept that advances the argument; I do not claim that they agree with one another (or with me) on every issue."

 

"Il s'agit d'une méthode philosophique (je l'espère) qui convient à un historien, ce que je suis. Je m'appuie sur des exemples historiques et je connais mieux le passé de certaines régions que d'autres. Ce livre traite des États-Unis, mais je fais des comparaisons avec l'Europe occidentale, l'Europe de l'Est, l'Union soviétique et l'Allemagne nazie. Je discute ici avec des philosophes anciens, modernes et contemporains. Parfois, je laisse les références implicites ; ceux qui s'y intéressent les repéreront. Je cite explicitement cinq penseurs : Frantz Fanon, Václav Havel, Leszek Kołakowski, Edith Stein et Simone Weil. Ces personnalités ne sont pas américaines et ne sont pas bien connues aux États-Unis ; à quelques exceptions près, elles n'ont pas résidé dans le pays et n'ont pas écrit sur lui. Une incitation provenant d'une autre tradition (ou un terme d'une autre langue) peut nous débarrasser de nos malentendus. J'adapte à chaque penseur un concept qui fait avancer l'argumentation ; je ne prétends pas qu'ils sont d'accord entre eux (ou avec moi) sur toutes les questions."

 

"This book is conservative, in that it draws from tradition; but radical, in that it proposes something new. It is philosophy, but it cleaves to experience. A few phrases in this book are text messages that I wrote to myself in intermittent moments of consciousness in a hospital bed, during an illness that nearly took my life. Arguments were conceived while teaching a class inside an American maximum security prison. I wrote much of what follows during three journeys to wartime Ukraine. 

The fundamental questions were posed by readers. My books Bloodlands and Black Earth, studies of mass killing, led to public discussions that moved me toward the ethical subject of this book. If I can describe the worst, can I not also prescribe the best? After I published the political pamphlet On Tyranny and a contemporary history called The Road to Unfreedom, I was asked what a better America would look like. This is my answer."

 

"Ce livre est conservateur, en ce sens qu'il s'inspire de la tradition, mais il est radical, en ce sens qu'il propose quelque chose de nouveau. C'est de la philosophie, mais elle s'attache à l'expérience. Quelques phrases de ce livre sont des messages textuels que je me suis écrits dans des moments intermittents de conscience sur un lit d'hôpital, au cours d'une maladie qui a failli me coûter la vie. Les arguments ont été conçus alors que je donnais un cours dans une prison américaine de haute sécurité. J'ai écrit une grande partie de ce qui suit au cours de trois voyages dans l'Ukraine en temps de guerre. 

Les questions fondamentales ont été posées par des lecteurs. Mes livres Bloodlands et Black Earth, des études sur les massacres de masse, ont donné lieu à des discussions publiques qui m'ont fait évoluer vers le sujet éthique de ce livre. Si je peux décrire le pire, ne puis-je pas aussi prescrire le meilleur ? Après avoir publié le pamphlet politique On Tyranny et une histoire contemporaine intitulée The Road to Unfreedom, on m'a demandé à quoi ressemblerait une meilleure Amérique. Voici ma réponse."

 

"Defining freedom is a different sort of ambition from defending it. I interrogate my former self; I interrogate others; and others interrogate me. The method is part of the answer: there may be truth about freedom, but we will not get to it in isolation or by deduction. Freedom is positive; getting words around it, like living it, is an act of creation.

This book is meant to exemplify the virtues it commends. It is, I hope, reasonable, but also unpredictable. It is intended to be sober, but also experimental. It celebrates not who we are, but the freedom that could be ours. The sun rises outside my window. The border approaches. I begin my reflection on a summer day."

 

"Définir la liberté est une ambition différente de celle de la défendre. J'interroge mon ancien moi, j'interroge les autres et les autres m'interrogent. La méthode fait partie de la réponse : il peut y avoir une vérité sur la liberté, mais nous n'y parviendrons pas de manière isolée ou par déduction. La liberté est positive ; la formuler, comme la vivre, est un acte de création.

Ce livre est censé illustrer les vertus qu'il préconise. Il est, je l'espère, raisonnable, mais aussi imprévisible. Il se veut sobre, mais aussi expérimental. Il célèbre non pas ce que nous sommes, mais la liberté qui pourrait être la nôtre. Le soleil se lève devant ma fenêtre. La frontière approche. Je commence ma réflexion sur un jour d'été."

 

Dans sa conclusion, "Government", Timothy Snyder en appelle donc à repenser le rôle du gouvernement non pas comme une entrave, mais comme un facilitateur essentiel de la liberté authentique, en mettant en place les structures et les politiques nécessaires pour que chaque individu puisse pleinement réaliser son potentiel. On en revient à un discours bien connu, sans un gouvernement engagé à créer des conditions propices, la liberté réelle devient inaccessible pour beaucoup, en particulier les plus vulnérables...

Repenser la liberté comme une entreprise collective, est essentielle au maintien des institutions démocratiques et à l'épanouissement individuel. L'auteur nous ouvre effectivement des perspectives en termes conceptuels, mais la mise en oeuvre pratique, qui est la finalité première d'une telle réflexion reste à imaginer ...


"De la liberté" (On Liberty, 1859)

Dans cet essai, John Stuart Mill examine les limites de l'autorité sociale sur l'individu, plaidant pour une liberté personnelle maximale tant qu'elle ne nuit pas à autrui. Il explore la relation entre l'individu et la société, soulignant l'importance de la liberté d'expression et de pensée.

 


"La Route de la servitude" (The Road to Serfdom, 1944) 

Hayek définit la liberté comme l'absence de coercition arbitraire dans les décisions individuelles. Il distingue cette liberté de la licence anarchique, affirmant que la véritable liberté implique un cadre institutionnel permettant aux individus de poursuivre leurs propres objectifs sans interférence injustifiée. Hayek fait un lien étroit entre la liberté et le fonctionnement des marchés libres. Il soutient que les marchés permettent une coordination spontanée des actions humaines, en respectant la diversité des objectifs individuels. 

Hayek rejette la notion de liberté positive, qui désigne la capacité d'atteindre un objectif ou de réaliser son potentiel. Il estime que cette conception mène à des interventions étatiques dangereuses. Pour lui, la liberté doit être entendue uniquement comme une condition où les individus ne subissent pas la contrainte arbitraire d'autrui, y compris celle de l'État.

" Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coercition. Mais ce principe peut comporter une infinie variété d'applications. Il y a, en particulier, uhe immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera le rôle le plus bienfaisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu'elles sont... Si la première tentative pour créer un monde d'hommes libres a échoué, nous devons recommencer. Ce principe suprême : la politique de liberté individuelle, seule politique vraiment progressive, reste aussi valable aujourd'hui qu'au XIXe siècle." - 

Friedrich August von Hayek, économiste et philosophe autrichien-britannique, rédige ce livre en réponse à la montée des idéologies collectivistes (nazisme, fascisme, communisme) et à la popularité croissante des politiques de planification économique en Europe et aux États-Unis. La planification économique centralisée, même lorsqu'elle est motivée par de nobles intentions (on pense à l'économiste britannique John Maynard Keynes dont il contesta dans les années 1930s les idées sur la Grande dépression), entraîne inévitablement une concentration du pouvoir entre les mains d'un petit groupe de décideurs. Rejetant l'idée que des planificateurs centralisés puissent avoir suffisamment d'informations pour organiser efficacement une économie complexe (le fameux "problème de la connaissance"), Hayek défend les principes du libéralisme classique, fondés sur la primauté de la propriété privée, l'état de droit et la liberté individuelle, comme la meilleure défense contre les dérives autoritaires... 

 

(La route abandonnée) "... Lorsque le cours de la civilisation fait un tournant inattendu, lorsqu'au lieu du progrès continu que nous espérions nous nous voyons menacés de périls qui nous rappellent une barbarie révolue, nous accusons tout, sauf nous-mêmes. Ne nous sommes-nous pas tous efforcés selon nos meilleures lumières, nos meilleurs esprits n'ont-ils pas travaillé sans relâche à rendre notre monde meilleur? Tous nos efforts n'ont-ils pas été dirigés vers un accroissement de la liberté, de la justice et de la prospérité? Si le résultat est si différent de celui que nous visions, si, au lieu de la liberté et de la prospérité, nous nous trouvons face à face avec l'esclavage et la misère, n'est-il pas évident que des forces pernicieuses ont déjoué nos desseins, que nous sommes victimes d'une puissance maléfique qu'il faut vaincre avant de pouvoir reprendre la route du mieux-être? Nous ne sommes pas d'accord sur le coupable:  nous accusons qui le méchant capitaliste, qui la méchanceté de telle ou telle nation, qui la stupidité de nos aînés, qui un régime social non encore entièrement abattu, bien que nous le combattions depuis un demi-siècle. Mais nous sommes tous, ou du moins nous étions tous récemment convaincus d'une chose: les idées dominantes qui, jusque au cours de la dernière génération, ont été adoptées par la plupart des hommes de bonne volonté et ont déterminé les transformations essentielles de notre vie sociale, ces idées ne peuvent pas être fausses. 

Nous sommes prêts à accepter toutes les explications de la crise actuelle de notre civilisation sauf une : à savoir que l'état actuel du monde résulte peut-être d'une véritable erreur de notre part, et que la recherche de certains des idéaux qui nous sont les plus chers a produit des résultats tout à fait différents de ceux que nous attendions. 

A l'heure où toutes nos énergies tendent à gagner la guerre, nous avons parfois du mal à nous rappeler que, dès avant cette guerre, les valeurs pour lesquelles nous combattons aujourd'hui étaient menacées chez nous et détruites ailleurs. A cette heure, les idéaux en cause sont représentés par des nations en guerre qui luttent pour leur existence; mais n'oublions pas que ce conflit est né d'une lutte d'idées au sein de ce qui, naguère, était encore une civilisation commune à toute l'Europe; et que les tendances qui ont abouti à la création des régimes totalitaires n'existaient pas seulement dans les pays qui s'y sont soumis. Aujourd'hui, il s'agit avant tout de gagner la guerre. Mais une fois la guerre gagnée, il faudra de nouveau faire face aux problèmes essentiels et trouver le moyen d'éviter le destin qui s'est abattu sur des civilisations apparentées à la nôtre. 

(...)

Le point crucial, que si peu de gens connaissent encore ici, c'est non seulement l'immensité des transformations qui ont eu lieu au cours de la dernière génération, mais encore le fait qu'elles signifient une modification complète de la direction du mouvement de nos idées et de notre ordre social. Depuis vingt-cinq ans au moins avant le moment où le spectre du totalitarisme est devenu une menace immédiate, nous nous sommes progressivement écartés des idéaux essentiels sur lesquels la civilisation européenne est fondée. Ce mouvement, dans lequel nous nous sommes engagés avec tant d'espoirs et d'ambitions, nous a menés devant l'horreur totalitaire : notre génération en a été profondément ébranlée, et elle persiste à refuser d'établir une relation entre les deux faits. Pourtant cette évolution ne fait que confirmer les avertissements des pères de la philosophie libérale que nous professons encore. Nous avons peu à peu abandonné cette liberté économique sans laquelle la liberté personnelle et politique n'a jamais existé. Deux des plus grands penseurs politiques du XIXe siècle, de Tocqueville et Lord Acton, nous avaient dit que le socialisme signifie l'esclavage.  Mais nous n'avons cessé d'aller vers le socialisme. Aujourd'hui, nous avons vu une nouvelle forme d'esclavage surgir devant nos yeux. Et c'est à peine si nous nous rendons compte que les deux choses sont liées. 

La tendance moderne vers le socialisme signifie une rupture brutale, non seulement avec le passé récent, mais encore avec toute l'évolution de la civilisation occidentale. On s'en rend compte en considérant cette tendance, non plus seulement dans le cadre du XIXe siècle, mais dans une perspective historique plus vaste. Nous abandonnons rapidement, non seulement les idées de Cobden et de Bright, d'Adam Smith et de Hume, ou même de Locke et de Milton, mais encore une des caractéristiques les plus saillantes de la civilisation occidentale telle qu'elle s'est édifiée sur les fondations posées par le christianisme, par la Grèce et par Rome. Ce qu'on abandonne peu à peu, ce n'est pas simplement le libéralisme du XIXe et du XVIIIe siècle, mais encore l'individualisme fondamental que nous avons hérité d'Erasme et de Montaigne, de Cicéron et de Tacite, de Périclès et de Thucydide...


"Capitalisme et liberté" (Capitalism and Freedom, 1962)

Milton Friedman, économiste américain, professeur à l’Université de Chicago, et l’un des principaux défenseurs du libéralisme économique au XXe siècle, défend l'idée que la liberté économique est une condition nécessaire à la liberté politique. Il explore comment le capitalisme de laissez-faire peut servir de fondement à une société libre et démocratique. Son opposition aux politiques interventionnistes keynésiennes a marqué un tournant dans la pensée économique, conduisant à une réévaluation du rôle de l'État dans l'économie dans les années 1970 et 1980.

Pour Milton Friedman, la liberté est avant tout l'absence de coercition, garantie par des institutions économiques et politiques basées sur le marché libre. Il voit la liberté économique comme la pierre angulaire de toutes les autres libertés, plaide pour un État minimal et critique vigoureusement les politiques interventionnistes et redistributives.


"The Ethics of Liberty" (1982)

Figure clé du libertarianisme et de l'école autrichienne d'économie, Murray Rothbard développe sa conception de la liberté principalement dans des œuvres comme "Man, Economy, and State" (1962) et "For a New Liberty: The Libertarian Manifesto" (1973) ; dans ce dernier il expliquera comment une société libre pourrait fonctionner sans État. Sa notion de liberté est basée sur les droits naturels, inspirée de John Locke : chaque individu possède un droit inaliénable à sa vie, sa liberté et sa propriété, et toute intervention coercitive (notamment par l'État) constitue une violation de cette liberté. Même un État minimal ou "gardien de nuit" finit par s'accroître et s'imposer arbitrairement. Rothbard propose un modèle de société anarcho-capitaliste, où les fonctions traditionnellement exercées par l'État (justice, sécurité, etc.) seraient assurées par des entreprises privées opérant dans un cadre de marché libre. Rothbard distingue la liberté de la moralitél s : ilsoutient que, bien que certaines actions puissent être moralement discutables, elles doivent être autorisées tant qu'elles ne violent pas les droits d'autrui. Le principe de non-agression (Non-Aggression Principle, NAP) est au cœur de la conception de la liberté. Rothbard critique également la démocratie, qu'il considère souvent comme une forme de tyrannie de la majorité. Il rejette l'idée que les décisions prises par une majorité légitiment des violations des droits individuels. Pour lui, seul le respect des droits naturels garantit la liberté.


"Les pathologies de la liberté" (Die Pathologien der Freiheit, 2001)

Axel Honneth, philosophe allemand influent dans la tradition de l'École de Francfort, explore les conséquences négatives du concept moderne de liberté. Sous-titré "Une analyse du libéralisme contemporain", ce livre s'intéresse aux dysfonctionnements sociaux et individuels causés par des conceptions unilatérales et déséquilibrées de la liberté dans les sociétés modernes. Il met en avant la nécessité de repenser la liberté comme une réalité relationnelle et collective, pour surmonter les pathologies engendrées par un individualisme exacerbé. La reconnaissance mutuelle et le renforcement des institutions démocratiques au profit de la justice sociale et du rééquilibrage des rapports entre liberté individuelle et solidarité, constituent de solutions envisageables....